[Enregistrement électronique]
Le jeudi 25 avril 1996
[Traduction]
La présidente: La séance est ouverte. Nous recevons aujourd'hui Mme Mona Lynch, du Bureau d'aide juridique de la Nouvelle-Écosse; et M. Danny Graham, de Pink Murray. Tout d'abord, je vous souhaite la bienvenue. C'est la dernière journée de notre séjour dans la région de l'Atlantique.
Nous avons une heure. Habituellement, nous laissons les témoins parler à leur guise, mais nous posons des questions à la fin. Par conséquent, veuillez réserver du temps à cet effet.
Mme Mona Lynch (avocate, Bureau d'aide juridique de la Nouvelle-Écosse): Pour commencer, au nom de Danny et à mon nom personnel, je vais vous donner une idée de mon travail. Je suis avocate conseil au Bureau d'aide juridique de la Nouvelle-Écosse. Dans notre province, le service d'aide juridique est assuré par le personnel du bureau. Les avocats en pratique privée ne travaillent pas beaucoup dans ce domaine.
Ainsi donc, mon travail quotidien consiste à représenter les jeunes contrevenants qui sont accusés devant les tribunaux. En Nouvelle-Écosse, les jeunes contrevenants sont placés en deux catégories: ceux de 12 à 15 ans et ceux de 16 et 17 ans. Au tribunal, je m'occupe des jeunes de 12 à 15 ans.
En septembre, je vous ai envoyé un mémoire et je suis sûre que vous l'avez reçu. Je vais simplement faire ressortir certains aspects de mon mémoire et peut-être modifier certaines choses, pour les reformuler d'une autre façon.
Je dirais d'abord que la critique de la Loi sur les jeunes contrevenants que vous entendez et que j'entends quotidiennement de la part de la population me semble provenir de gens qui connaissent mal le système, et cette critique est peut-être fondée sur un cas, à la rigueur. Ils écoutent les médias et les politiciens et critiquent la loi.
Je pense que la peur insufflée par les politiciens et les médias a rendu la population pratiquement hystérique au sujet de la Loi sur les jeunes contrevenants. À mon avis, ces gens manque d'une vue d'ensemble.
Comme je l'ai dit, je travaille tous les jours dans le système judiciaire pour les jeunes contrevenants. La plupart des jeunes qui comparaissent devant les tribunaux correspondent bien à la clientèle que visait le législateur en adoptant la Loi sur les jeunes contrevenants. Je pense que le Canada est bien servi tant par la loi que par le système en place.
La plupart des jeunes gens commettent impulsivement des actes d'adolescent qui les font traduire en justice. Les juges devant qui je plaide ne disent pas qu'ils aimeraient infliger des peines supérieures au maximum établi. Ils ne disent pas que les sentences de deux ou trois ans qu'on leur permet de prononcer ne suffisent pas. Nous n'en sommes pas arrivés au point où toutes les sentences sont insuffisantes, ce qui justifierait un changement de la peine maximale.
En vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants, il n'existe aucune infraction qui ne soit punissable par la détention. Une infraction punissable par procédure sommaire peut valoir à un jeune contrevenant 6 mois de détention. La Loi sur les jeunes contrevenants ne devrait pas s'appliquer à tous les contrevenants, ni à toutes les infractions. C'est pour cela quelle comporte les dispositions relatives au renvoi. L'on y a apporté les amendements prévoyant le transfert présomptif pour les infractions graves, mais les infractions les plus graves sont commises par un très faible pourcentage des prévenus.
Il est généralement accepté, je pense, que la plupart des jeunes gens commettent une infraction ou peut-être plus d'une infraction en grandissant. C'est pour cette raison que nous avons la Loi sur les jeunes contrevenants, ce qui est une bonne chose.
L'un des domaines que je voulais aborder est celui de la responsabilité familiale et parentale à l'égard de la criminalité chez les jeunes. D'aucuns estiment qu'il faut faire payer les parents. Je pense que l'objet de la Loi sur les jeunes contrevenants est de faire en sorte que le jeune assume la responsabilité de son infraction. Il me semble que c'est tout à fait normal. L'idée de rendre les parents ou les familles responsables est tout à fait contraire à l'esprit de notre droit pénal, qui impute la responsabilité d'un acte à la personne qui l'a commis.
Ce n'est ni dans le droit pénal, ni dans la Loi sur les jeunes contrevenants que l'on peut améliorer les parents. Cette tâche n'incombe ni à la Loi sur les jeunes contrevenants ni au système de justice pénale. Elle relève de la législation sur le bien-être des enfants. Si vous ordonnez à un parent de payer, de se faire conseiller ou de devenir un meilleur parent, l'ultime sanction prévue par le système de justice pénale est l'emprisonnement. Ainsi, nous emprisonnerions ceux qui n 'ont pas fait ce qu'on leur a ordonné, alors qu'ils n'ont commis aucune infraction, ce qui est totalement contraire à ce que je considère comme l'esprit du système de justice pénale.
Le système de protection des enfants est conçu pour régler les problèmes relatifs à l'encadrement des enfants. Si les parents manquent à leurs devoirs, le pire qu'on puisse leur faire est de leur retirer les enfants. De plus, le droit civil prévoit que, si les parents sont jugés négligents, on peut les poursuivre au civil pour les actes de leurs enfants s'ils y ont participé par négligence.
Je voudrais aussi parler des connaissances que possèdent les adultes et les adolescents sur les infractions commises par les jeunes, sur le système judiciaire pour adolescents et la Loi sur les jeunes contrevenants. Certains journalistes font comme si l'on enseignait à tous les enfants leurs droits et les dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants en même temps que l'alphabet à l'école primaire. Cependant, je constate que les parents et les enfants à qui j'ai affaire ne savent pas à quoi s'attendre quand ils viennent au tribunal.
Beaucoup d'entre eux croient au mythe répandu selon lequel rien ne peut leur arriver. Ils sont choqués quand je leur dis que cela n'est pas vrai, qu'ils risquent d'être emprisonnés à cause de l'infraction dont il sont accusés. Ils répondent que telle n'est pas leur conception des choses, qu'ils sont de jeunes contrevenants. Ils pensent que leurs dossiers disparaissent automatiquement dès qu'ils ont 18 ans. Ils se font beaucoup d'illusions.
Beaucoup d'idées fausses circulent au sujet de la Loi sur les jeunes contrevenants. Je m'en rends compte en parlant à des amis ou en regardant les nouvelles du soir. Un soir, j'ai vu un présentateur de nouvelles locales commenter et démolir la Loi sur les jeunes contrevenants. Il a dit qu'il n'en revenait pas que le Parlement ne l'ait pas encore abolie, et il s'est demandé quand est-ce qu'on allait le faire. J'ignore d'où il tenait ses informations. Je ne l'ai jamais vu dans un tribunal de la jeunesse. Mais il semble avoir adopté ce que la population croit.
À mon avis, la Loi sur les jeunes contrevenants est la mesure législative la plus mal comprise au Canada en ce moment, et j'espère que ce n'est pas une raison pour la modifier. C'est plutôt une raison d'informer et de sensibiliser le public, et non pas de modifier la loi.
Je voudrais également parler de l'âge minimum et maximum. Je crois qu'à partir de 12 ans, une personne peut assumer ses responsabilités pénales. Certains disent que les jeunes de 12 ans en savent davantage aujourd'hui que par le passé, mais si nous remontons un peu en arrière, nous constatons qu'il n'y a pas si longtemps, les gens travaillaient à temps plein à 16 ans. Il me semble que les jeunes gens restent sous la protection de leurs parents plus longtemps que jamais auparavant, et ils habitent plus longtemps chez ces derniers. La plupart des crimes ne sont pas commis par des jeunes gens de ce groupe d'âge.
Il m'est très difficile d'expliquer la situation des jeunes de 12 ans, mais parfois, je suis bien obligée d'expliquer les mesures législatives les concernant. Quand on a moins de 12 ans, on doit être gardé. On n'est pas assez responsable pour rester tout seul. Cela me préoccupe que certains pensent qu'à cet âge, on peut être pénalement responsable. Le meilleur système pour s'occuper des jeunes de moins de 12 ans est le système d'aide à l'enfance, et je crois que les choses devraient demeurer ainsi.
Peu importe l'âge que l'on choisit, si l'on rabaisse l'âge minimum, disons à 7 ans, certains diront qu'il y a des enfants de 6 ans qui complotent pour battre ceux de 5 ans. Par conséquent, je ne pense pas qu'il soit possible de satisfaire tout le monde, mais je pense que la limite actuelle est la bonne.
En fixant l'âge maximum à 17 ans, on reconnaît que les jeunes de cet âge ne sont pas des adultes. Nous ne les traitons pas comme des adultes dans d'autres aspects de leur vie, et nous ne devrions pas leur imputer la même responsabilité pénale qu'aux adultes. Nous leur donnerions toutes les responsabilités et aucun droit.
Les dispositions relatives au renvoi sont plus que suffisantes en ce moment pour s'occuper du faible pourcentage des jeunes gens qui se retrouvent dans le système de justice juvénile et qui ne devraient pas y être. J'estime que les prisons pour adultes ne sont pas faites pour des gens de 16 et 17 ans.
Je vous invite à étudier la situation des prisons pour les jeunes. Je sais qu'hier, vous êtes allés visiter le Nova Scotia Youth Centre à Waterville. Ce qui me préoccupe au sujet de ce centre et de celui de Shelburne, où l'on envoie en détention les jeunes à qui j'ai affaire, est leur éloignement par rapport à Halifax. La plupart des parents de ces jeunes n'ont pas les ressources nécessaires pour aller visiter leurs enfants lorsqu'ils sont en détention. Cela rend difficile les possibilités de réconciliation et de counselling familial. Cela complique également la représentation juridique, à cause de la distance entre Halifax et les centres de Waterville et Shelburne. Le problème ne se pose pas seulement à Halifax; il est difficile pour les gens d'Antigonish et de la plupart des localités de la province d'aller à ces endroits.
Je pense que les centres pour jeunes que nous avons ici en Nouvelle-Écosse ne sont pas semblables à ceux des autres provinces dans la mesure où la garde en milieu ouvert ne se fait pas de la même façon. Dans chaque région, il devrait y avoir un plus grand nombre d'établissements de garde en milieu ouvert semblables aux foyers de groupes, plutôt que les grands établissements que nous avons actuellement.
Parfois, les médias comparent ces établissements à des camps d'été. En huit an et demi de pratique, un jeune ne m'a jamais demandé de lui obtenir une peine plus élevée parce qu'il aimerait passer l'été à Waterville ou à Shelburne. Les jeunes ne considèrent pas ces établissements comme des camps d'été. Parfois, certains jeunes peuvent le dire par bravade, mais ce sont les mêmes qui me téléphonent en pleurant pour me demander de les sortir de là.
Peu importe ce qu'on dit du milieu naturel, il y a toujours quelqu'un qui vous réveille le matin, qui vous dit quoi faire toute la journée, et qui organise votre vie. Vous n'êtes pas libre d'aller à la piscine ou de vous divertir comme bon vous semble. Les établissements ne fonctionnent pas de cette manière. Les jeunes qui y sont détenus reçoivent une bonne programmation, mais ils perdent assurément leur liberté.
Je voudrais maintenant parler de l'appareil judiciaire pour adolescents, du système d'aide à l'enfance et du lien entre les deux. Dans notre province, les jeunes sont régulièrement ballottés d'un système à l'autre. Cela est dû au manque de ressources dans le système d'aide à l'enfance et de santé mentale. C'est ainsi que l'on recourt au système judiciaire pour essayer de s'occuper des jeunes. Les deux systèmes sont différents. Chacun joue un rôle différent, ce qui est normal.
Ce n'est pas une bonne chose d'incarcérer par manque de ressources. Le tribunal de la jeunesse n'est pas là pour rattraper les insuffisances du système d'aide à l'enfance. Il faudrait améliorer la coordination entre le système de justice juvénile et le système d'aide à l'enfance.
Étant donné que je travaille dans ce domaine depuis longtemps, je constate que tout le monde se renvoie la balle. Si vous amenez un jeune dans un établissement de santé mentale, on va vous diriger vers le service d'aide à l'enfance. Celui-ci va vous renvoyer au service de santé mentale ou au tribunal de la jeunesse en vous disant c'est là que l'on doit s'occuper du jeune.
Au fond, cette attitude découle du manque de ressources. Le système devrait être plus en mesure de s'adapter pour répondre aux besoins des jeunes.
Il nous faut également déceler dès le plus jeune âge les jeunes qui risquent de mal tourner. Les enseignants nous disent qu'ils peuvent prédire très tôt si un enfant risque d'avoir plus tard des démêlés avec l'appareil judiciaire pour les jeunes. Nous devrions accorder plus d'attention à ce que nous disent les enseignants et débloquer des ressources lorsque les enfants sont encore jeunes.
Au lieu de cela, on nous dit que les programmes sociaux font l'objet de coupures. J'ai entendu aux nouvelles l'autre jour que l'Ontario envisage d'investir dans un camp de type militaire. J'ai également entendu dire que ce projet sera financé à partir des fonds alloués au système de protection de l'enfance, aux garderies et à l'aide sociale.
À mon avis, ce n'est absolument pas la bonne approche. Il nous faut offrir des services en aval et aider les jeunes pour éviter qu'un jour ils aient besoin d'un camp de type militaire. Au lieu de cela, nous investissons en amont pour nous attaquer aux adolescents qui commettent les actes les plus graves en vue de les incarcérer. Construire de nouvelles et meilleures prisons est sans doute la réponse la plus facile, mais c'est également la plus onéreuse, tant sur le plan social qu'économique.
Je voudrais également traiter des liens existant entre la Loi sur les jeunes contrevenants et la criminalité chez les jeunes. La LJC n'est pas une mesure législative proactive, mais plutôt réactive. Elle n'entre en vigueur que lorsqu'un jeune est accusé d'avoir commis un acte criminel, mais pas avant.
Les gens ont l'impression que la Loi sur les jeunes contrevenants favorise d'une certaine façon la criminalité, et que si les sanctions étaient plus sévères, le taux de criminalité diminuerait. C'est selon moi une façon simpliste de voir les choses. Rien ne prouve que le fait de prévoir des sanctions plus sévères diminue le taux de criminalité. Je dirais même que c'est plutôt l'inverse d'après ce qui se passe aux États-Unis.
En outre, cela suppose un processus de réflexion illogique, selon lequel tout adolescent ou personne qui commet un acte criminel en mesure toutes les conséquences et prend sciemment une décision. C'est loin d'être le cas.
Dans le cadre de mon travail je constate que la plupart des jeunes commettent des actes criminels de façon impulsive ou avec l'idée qu'ils ne se feront pas prendre, ce qui témoigne d'un manque de maturité, et les sanctions ne représentent rien pour eux. La majorité de mes clients ont des problèmes d'ordre social, familial, des problèmes d'apprentissage et d'alcoolisme ou de toxicomanie.
Ce qui préoccupe avant tout la société, c'est le manque de respect dont font preuve les jeunes. Là encore, nous devrions essayer d'y remédier en finançant des programmes sociaux, au lieu de les réduire. Ce sont la pauvreté et les problèmes sociaux qui en sont la cause, à mon avis, et pourtant nous réduisons le financement des programmes sociaux. Cela va nous retomber un jour sur le nez.
Voyez l'une des initiatives qui ont été prises dans ma province de Nouvelle-Écosse à l'égard des jeunes du groupe d'âge dont je m'occupe. Auparavant, il y avait des délégués à la jeunesse ou des agents de probation dont la charge de travail était restreinte et qui pouvaient s'occuper des adolescents. Ils étaient en mesure de contribuer à la bonne santé d'un jeune en essayant de prévenir une situation de crise possible à la maison. Ou encore le jeune risquait d'en arriver au point où tout nous portait à croire qu'il allait violer les conditions de sa probation.
Toutefois, on a modifié le système et doublé la charge de travail des délégués à la jeunesse, qui n'ont plus le temps de s'occuper de cela. C'était un outil de prévention utile qui n'existe plus.
J'aimerais traiter pendant un instant de la publication des noms. Rien ne prouve que cela exerce un effet dissuasif sur les adolescents. Si c'est nécessaire pour la sécurité du public, il est possible de publier les noms des contrevenants aux termes de l'article 38 de la LJC. La plupart des jeunes dont je m'occupe ne lisent pas les journaux et ils ne sauraient pas que leur nom y est publié. Je ne pense pas que ce soit un facteur de dissuasion. S'il s'agit d'un acte criminel plus grave, ou d'un contrevenant plus violent qui est renvoyé devant un tribunal pour adultes, le nom est alors publié.
En résumé, l'un des principaux arguments que je tiens à vous faire valoir est la nécessité de débloquer des ressources pour mettre en oeuvre les dispositions essentielles de la loi. Je sais qu'il n'y a pas que la loi qui compte - les mesures de protection de l'enfance sont du ressort provincial - mais les ressources qui sont nécessaires pour s'occuper des adolescents et leur offrir les services de counselling dont ils ont besoin devraient faire partie intégrante du processus des délégués à la jeunesse.
Ce ne sont pas des adultes. Ils ne pensent pas comme des adultes. Ils ne conçoivent pas le temps qui s'écoule de la même façon que les adultes. Les adolescents dont je m'occupe se plaignent de devoir attendre deux mois pour une chose ou une autre, et pourtant, à mes yeux, l'année s'écoule en un instant. Ils n'ont pas la même notion du temps que moi.
J'ai vu des adolescents comparaître devant des tribunaux dont les parents s'étaient suicidés sous leurs yeux. J'en ai vu d'autres dont le père avait brutalement violé leur mère sous leurs yeux. J'ai vu des jeunes garçons et filles de 13 ans se prostituer pour financer leur dépendance à la cocaïne ou au crack.
Il nous faut mettre sur pied de meilleurs services pour protéger ces jeunes, et modifier la Loi sur le jeune contrevenant n'atteindra pas ce but. Ce n'est pas la réponse. Si l'on y apporte d'autres changements, cela calmera peut-être les esprits, mais uniquement chez les gens qui, à mon avis, sont mal informés au sujet de la loi. Il est peut-être de bon ton d'agir ainsi, mais je ne pense pas que ce soit la bonne chose à faire.
Merci.
La présidente: Merci.
Monsieur Graham.
M. Danny Graham (avocat, Pink Murray and associates): Merci. Il y a cinq ans, j'exerçais le droit commercial dans un important cabinet d'avocats, du moins selon les normes de la Nouvelle-Écosse, et mes valeurs étaient celles d'un homme de la classe moyenne, à revenu moyen, si je peux m'exprimer ainsi.
Je m'intéressais au droit sur la pauvreté, et j'ai donc quitté ce cabinet. Je suis devenu avocat à l'emploi de l'Aide juridique de la Nouvelle-Écosse. En fait, j'ai commencé à exercer le droit pénal.
Lorsque j'exerçais le droit commercial, mes opinions étaient assez proches de la plupart des membres de la société, surtout en ce qui a trait à la Loi sur les jeunes contrevenants. Au service d'aide juridique de la Nouvelle-Écosse, la notion de droit sur la pauvreté n'existait pas vraiment, et il m'a donc fallu choisir entre le droit familial et le droit pénal, et mon choix s'est porté sur ce dernier.
Depuis lors, j'exerce exclusivement dans ce domaine. Il y a deux ans, je suis retourné dans un cabinet privé.
À l'heure actuelle, 30 p. 100 de mon travail est concentré dans la criminalité chez les jeunes. Au cours de ces cinq ans, je me suis rendu compte que mes opinions sur le système judiciaire pour adolescents, avant de m'occuper de près du système de justice pénale, n'étaient pas vraiment fondées et que je ne connaissais pas vraiment les causes fondamentales de la criminalité chez les jeunes. Bref, j'étais un représentant typique de la société.
En tant que députés et que membres de partis politiques, vous comprenez tous sans doute les problèmes et la frustration qu'on éprouve lorsqu'on essaie de faire passer un message et de dire la vérité au sujet d'une chose, et que les médias ou un autre organisme ou groupe d'intérêt s'efforce toujours de déformer ce message ou de l'étouffer dans l'oeuf d'une façon ou d'une autre alors que la vérité vous saute aux yeux.
La vérité au sujet de la Loi sur les jeunes contrevenants, en toute franchise, saute aux yeux à la plupart des gens qui sont appelés quotidiennement à la mettre en vigueur. La frustration que nous éprouvons est sans doute semblable à celle que vous ressentez de temps à autre lorsque vous essayez de faire passer un message à vos électeurs.
D'une certaine façon, la Loi sur les jeunes contrevenants me rappelle la légende au sujet de l'empereur qui n'avait pas de vêtements. L'histoire a pris une telle ampleur, est devenue si célèbre et si souvent répétée que tout le monde a commencé à y croire. Cela fait partie intégrante de la culture selon laquelle la Loi sur les jeunes contrevenants est mauvaise.
Je ne sais pas comment nous en sommes arrivés là, mais c'est un fait. Je suppose que le fait que la Chambre des communes ait chargé un comité comme le vôtre de cerner les problèmes liés à la Loi sur les jeunes contrevenants, au système judiciaire pour les adolescents et à la criminalité chez les jeunes souligne l'importance que le gouvernement accorde à cette question. On semble partir du principe qu'il existe un problème dans ce domaine.
Et si ce n'était qu'un problème mineur? Et si on vous avait entraîné sur une fausse piste? Et si on vous avait dit que toutes ces dispositions sont atroces et que le système est pourri, mais qu'en réalité, ce ne soit pas le cas?
La vérité c'est que vous pourriez dépenser vos ressources et votre temps à bien meilleur escient dans d'autres domaines si vous cherchez à vous attaquer aux vrais problèmes, c'est-à-dire la criminalité chez les jeunes et les problèmes de la jeunesse.
On a tort de se préoccuper uniquement de la Loi sur les jeunes contrevenants. Au lieu de tripatouiller la loi, comme l'a fait la Chambre des communes en 1992 et en 1995 - et certains iront même jusqu'à dire que c'était bien plus que du tripatouillage - il ne faut pas s'en tenir là. À mon avis, il est temps que les gens commencent à s'attaquer aux questions plus fondamentales que la loi proprement dite et les aspects matériels du système judiciaire pour les jeunes.
Vous allez entendre le témoignage de Canadiens d'horizons et de milieux différents qui vous donneront leur avis sur cette question. Les personnes les plus convaincantes que vous entendrez vous diront que la criminalité chez les jeunes pose un problème. Les personnes non représentées, les marginalisés, les sans-espoir, les jeunes à tendance criminelle du Canada posent un problème. Personne n'en disconviendra.
La criminalité chez les jeunes est un problème qui persistera tant qu'elle n'aura pas totalement disparue. Vous allez certainement être débordés de données statistiques à ce sujet, lorsque vous rentrerez à Ottawa. D'après ce que j'ai pu voir, dans l'ensemble, ces statistiques sont malléables. Elles ne disent pas grand-chose quant à la tendance de la criminalité chez les jeunes. Si elle est à la hausse, cette augmentation n'est pas aussi importante que semblent le croire les Canadiens à l'heure actuelle.
Vous entendrez des personnes convaincantes qui vous parleront surtout du fait que vous pourriez utiliser votre temps, votre argent, vos idées et vos ressources à meilleur escient en vous attaquant à la racine du mal, c'est-à-dire aux problèmes liés à la pauvreté, aux problèmes familiaux, aux questions sociales et en matière d'éducation. Tout cela fait peut-être penser à un jargon obscur d'ordre psychosocial, et ce n'est pas très concret.
Il vous faut peut-être vivre ce que Mona et moi et bien d'autres qui oeuvrent dans le système judiciaire pour les jeunes ont vécu en s'occupant de ces questions jour après jour, et avant de m'occuper de droit pénal je n'avais aucune idée de ce qu'était le système de justice pénale - nous avons interrogé des centaines de jeunes. Au moins 80 p. 100 d'entre eux correspondent à un profil déjà bien établi. Ils viennent de familles dysfonctionnelles, ont peu d'instruction, ont des parents peu instruits, manquent d'estime d'eux-mêmes et sont alcooliques ou toxicomanes, ont des parents dans ce cas, ou vivent d'autres problèmes liés à la pauvreté.
Voilà les problèmes à l'origine de la criminalité. Voilà les raisons premières pour lesquelles les jeunes arrivent jusqu'à nous. Lorsque ces jeunes atteignent l'âge de 12, 14 ou 16 ans, la plupart de ces problèmes feront à tout jamais partie de leur vie. La Loi sur les jeunes contrevenants n'est qu'une goutte d'eau dans l'océan quant aux initiatives visant à donner un sens à leur vie. Bien avant d'avoir atteint l'âge de 12 ans, bon nombre d'entre eux ont connu ces problèmes. Mona en a dit quelques mots.
La Chambre des communes et la population dans une certaine mesure devrait se focaliser sur cette goutte d'eau et essayer de résoudre le problème. Vous voulez sans doute quelque chose de concret à quoi vous attaquer. Tant que vous concentrerez vos efforts sur les choses anodines comme la Loi sur les jeunes contrevenants et le système judiciaire pour les jeunes, vous ne vous attaquerez pas aux causes fondamentales de la criminalité.
Comme l'a dit Mona, la Loi sur les jeunes contrevenants est l'un des textes de loi les plus mal compris. Je suis parfaitement d'accord avec elle sur ce point. Je ne sais pas à quel moment nous nous sommes égarés. C'est peut-être dû au fait qu'elle s'appelle Loi sur les jeunes contrevenants. Cela fait penser à une sorte d'exutoire pour tous ceux qui trouvent à redire aux jeunes - pas seulement aux jeunes contrevenants, mais aux jeunes en général.
Pour le moment, je ne pense pas que le fait de modifier le titre de la loi ne change grand-chose à l'affaire. Il faut à un moment donné changer l'image qui l'entoure. Si l'on modifie son titre et qu'on essaie de la présenter à nouveau, les gens considéreront qu'il s'agit simplement d'une simple façade tout à fait superficielle. Les gens diront que c'est toujours la même vieille histoire et on peut supposer que ce sera effectivement le cas.
Qui sont donc ces jeunes contrevenants? En toute franchise, je pense que pour les Canadiens, un jeune contrevenant est une jeune personne qu'ils ont simplement du mal à accepter. À leur avis, il s'agit du jeune mal élevé qui ne leur tient pas la porte ouverte. Il s'agit des jeunes irrespectueux qui n'appellent plus les gens monsieur et madame. L'énorme colère et mécontentement qu'éprouvent un nombre croissant de gens au sujet de ces jeunes concernent les voyous qui vont à l'école avec nos enfants.
J'ai des enfants. Certains jeunes avec lesquels ils se tiennent ont l'air de voyous mal élevés. Moi aussi j'éprouve cette frustration, mais ne nous laissons pas dérouter de notre objectif essentiel dans ce domaine.
Il m'arrive d'éprouver le même mécontentement que les autres personnes au sujet des adolescents à l'heure actuelle. Moi aussi, je souhaite parfois leur tordre le cou. Mona également. Elle a une fille adolescente.
Il nous faut comprendre que lorsque nous étions enfants, tout ce que nous avions à faire, c'était terminer l'école secondaire. Il fallait obtenir son diplôme d'études secondaires et à ce moment-là tous les espoirs nous étaient permis. Nous avions un avenir. Nous avions la perspective d'un bon emploi. Puis il y a eu l'enseignement universitaire, le diplôme commercial, la maîtrise en administration des affaires et peut-être une autre spécialisation professionnelle.
Aujourd'hui, il n'existe aucune garantie pour les jeunes de la génération X. Le moment est venu pour ceux d'entre nous qui y ont échappé de porter notre regard sur ces jeunes et de comprendre qu'ils sont sans espoir. Ils n'ont aucune des attentes au sujet de la vie et de ce que leur réserve la trentaine, la quarantaine et la cinquantaine, que nous avions à l'époque. Rien ne les attend. Ils se heurtent à un plafond qui les empêche d'aller plus loin.
Nous ne pouvons pas laisser l'écart de génération tout à fait démodé que nous avons connu lorsque nous étions enfants entraver des initiatives objectives et mûrement réfléchies visant à résoudre les problèmes de la criminalité chez les jeunes. La solution de ces problèmes peut sembler une tâche insurmontable. Il faut agir de façon subtile. Bien sûr, il peut paraître plus simple de renforcer les dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants, mais comme l'a signalé Mona et comme vous pourrez le constater d'ici la fin de vos audiences, cela n'aura pratiquement aucun effet et nous n'aurons absolument pas commencé à nous attaquer à la racine du mal.
Vous pensez peut-être que ce sont là des juristes chevronnés qui connaissent le droit sur le bout des doigts. Nous les rencontrons continuellement et ils sont loin d'être des experts. Ce sont des gens qui connaissent bien les problèmes de rue, mais ils ne connaissent pas les questions de droit. Ils ne connaissent pas la Loi sur les jeunes contrevenants. Vous pouvez modifier cette loi pour en faire le texte de loi le plus draconien que l'on puisse imaginer, mais si vous ne vous attaquez pas aux causes fondamentales des problèmes, de la criminalité, les mêmes enfants se retrouveront devant vous d'ici 10, 15 ou 20 ans.
Nous ne nous attendons pas à ce que vous acceptiez tous les opinions que nous exprimons aujourd'hui ou celles que vous entendrez d'ici la fin de vos audiences. Toutefois, malgré ce que vous diront les groupes d'intérêts, y compris les chefs de police et d'autres parties prenantes, j'espère que la plupart d'entre vous, à un moment ou à un autre - et je l'espère d'ici la fin de vos délibérations - appuieront dans l'ensemble les opinions que nous vous présentons.
Votre problème est en partie d'ordre législatif et en partie d'ordre politique. Législatif en ce sens que vous devrez vous focaliser sur des questions autres que la Loi sur les jeunes contrevenants, et notamment d'autres lois visant à prévenir la criminalité chez les jeunes. Politique dans le sens où vous représentez un vaste groupe d'électeurs qui, en général, sont mal informés au sujet de la Loi sur les jeunes contrevenants, qui sont souvent induits en erreur à ce sujet et qui s'attendent maintenant à ce que cette loi soit modifiée en fonction de vos recommandations.
Qu'allez-vous faire pour y remédier? Vous pouvez essayer d'éduquer ces personnes. La promotion de la Loi sur les jeunes contrevenants a été un véritable fiasco. On espérait qu'elle serait acceptée beaucoup plus facilement, mais aujourd'hui, cette promotion est indispensable. À une époque, ce n'était qu'une mesure législative parmi d'autres.
Par exemple, dites aux Néo-Écossais qu'une étude a été effectuée dernièrement par le ministère de la Justice. Il ne s'agit pas d'une étude réalisée par les avocats de la défense ou d'autres qui prêchent peut-être pour leur saint dans ce dossier. Selon les études effectuées depuis 1993 et 1994 par le ministère de la Justice, les jeunes par rapport aux adultes détenus dans les établissements provinciaux ont en fait purgé des peines deux fois plus longues que celles des adultes. La durée moyenne d'incarcération pour un adolescent, en Nouvelle-Écosse, est de 122 jours, mais de 61 jours pour un adulte. Les gens ne le savent pas. C'est parce que les adolescents ne sont pas mis en liberté conditionnelle, contrairement aux adultes.
Dites aux gens en général - et ceci vient seulement des études de la Nouvelle-Écosse que je connais - que les jeunes font tout leur temps de prison. Ils sont déclarés coupables plus souvent que les adultes, semble-t-il. Ils ont plus de chances également d'aller en prison. Il faut que cela se sache. Oui, nous devons parler de la question de la responsabilité des jeunes. Mais on ne peut pas prendre la responsabilité sans leur donner à eux certaines responsabilités.
J'aimerais dire quelques mots sur une ou deux questions concrètes. Tout d'abord, il y a en fait un gros problème au Canada en ce qui concerne les parents. Pourquoi ne pas institutionnaliser la notion de cours sur le rôle des parents, comme nous avons des cours prénataux et, dans certains groupes religieux, des cours prénuptiaux? Je sais qu'il s'agit d'une compétence provinciale, mais pourquoi ne donne-t-on pas obligatoirement dans les écoles secondaires des cours sur le rôle des parents avant que les adolescents ne deviennent eux-mêmes parents? Ce serait certainement une façon d'attaquer à la racine le problème des familles qui, en se disloquant, n'apportent pas aux enfants le soutien dont ils ont besoin.
Si nous pouvions simplement consacrer le temps, les ressources et la réflexion nécessaires à cela, le concept est assez simple, mais il peut être assez difficile à mettre en oeuvre. Il serait bon d'avoir des cours sur le rôle des parents avant que les femmes ne tombent enceintes, lorsqu'elles tombent enceintes et lorsque les parents ont des enfants, peut-être par l'intermédiaire du système de services à la famille, qui enverrait les parents suivre réellement des cours afin qu'ils comprennent ce que cela représente.
Je vais également m'arrêter sur les transferts. Je sais que le projet de loi a déjà été modifié à ce sujet. Il sera plus facile de transférer les jeunes au tribunal pour adultes dans le cas de certains crimes. Cela ne s'appliquerait qu'aux crimes les plus graves.
Dans l'ensemble, très franchement, cela ne me semble pas poser énormément de problèmes dans certaines circonstances particulières pour les contrevenants plus âgés, pour les crimes les plus graves, pour les récidivistes. Aux tribunaux pour adultes, ces jeunes risqueraient simplement de voir leur peine allonger. Théoriquement, cela ne pose pas de problème.
Dans la réalité, le problème est énorme, parce que le système correctionnel concernant les adultes est à la fois pernicieux et mauvais. C'est de l'exploitation de la pire espèce. On ne peut pas, d'un côté, modifier la Loi sur les jeunes contrevenants pour que les jeunes aient plus de chances de se retrouver devant les tribunaux pour adultes et, de l'autre, négliger le fait qu'ils risquent de se faire violer et exploiter par les services réservés aux adultes. Si vous voulez modifier les choses pour que les jeunes aient plus de chances de se retrouver derrière les barreaux fédéraux, vous ferez bien de changer le système pour adultes afin de vous assurer que leur vie ne sera pas complètement gâchée de cette façon.
Je recommanderais un certain nombre de choses à propos de votre système correctionnel, mais, dans l'ensemble, je pense qu'il est bien meilleur que celui qui est réservé aux adultes. Peut-être faudrait-il insister davantage sur l'importance de la collectivité locale et du lieu de résidence.
Voilà ce que j'avais à dire. Je vous prie de m'excuser d'avoir pris autant de temps. Évidemment, nous sommes prêts à répondre à vos questions.
Ce que Mona ne vous a pas dit, c'est qu'elle a un contrat avec un éditeur national pour une publication sur la Loi sur les jeunes contrevenants. Elle est en train de terminer un livre à ce sujet.
La présidente: Merci beaucoup.
Nous avons 15 minutes pour les questions; alors, allez-y, monsieur Ramsay.
M. Ramsay (Crowfoot): Je vous remercie de votre exposé.
Je voudrais tout d'abord revenir sur certaines de vos observations liminaires, Mona, quand vous dites que les médias et les politiques ont créé un climat d'hystérie et de crainte, ce qui semble vouloir dire qu'il n'y a pas de raison de tellement s'inquiéter de tout cela.
Si les seules statistiques fiables que nous avons sont exactes à propos de la criminalité chez les jeunes, et il s'agit de statistiques concernant les meurtres - elles sont exactes parce qu'on peut compter les corps - on peut prévoir qu'environ 42 innocents seront tués par des jeunes contrevenants dans les 12 prochains mois. Je ne sais pas si s'inquiéter de cela comme le font les gens à qui nous parlons à l'occasion de nos assemblées publiques peut être qualifié d'hystérie. Je ne le crois pas. Je crois que dans tout le pays on demande qu'on renforce l'ordre public.
Les facteurs qui mènent les jeunes au crime peuvent être déterminés, et l'on nous en a signalé certains au début des audiences que nous avons ici, notamment l'analphabétisme au sein même des écoles.
Quand vous dites qu'il n'est pas nécessaire de prendre des mesures pour responsabiliser les parents et leur faire comprendre qu'ils sont responsables des actes et du comportement de leurs enfants, je ne suis pas d'accord avec vous.
J'ai quatre enfants, de jeunes adultes et des adultes. Si l'un d'entre eux casse une fenêtre, démolit une voiture après l'avoir volée, vole une bicyclette ou autre chose, je me sens moralement obligé de réparer au mieux les dommages causés à mon voisin.
Je ne vois aucun inconvénient à codifier cette responsabilité. Si nous ne commençons pas à assurer à nos enfants la protection qui doit leur venir des adultes auxquels ils ont affaire, notamment leurs parents, leurs instituteurs, la police, etc., si nous n'exigeons pas que ces gens-là s'assurent que les règles sont respectées au foyer, à l'école, dans la cour d'école, etc., nous n'attaquons pas le problème à sa racine.
Les seuls gens qui ont le droit de traiter avec les enfants indépendamment de la loi sont leurs parents. C'est eux qui ont le plus d'impact sur leurs enfants. Donc, quand on vous dit: votre enfant peut faire ce qu'il veut, ou ce qu'elle veut, et vous ne serez pas tenu responsable, je ne pense pas que ce soit bien. J'estime que lorsque nous sommes passés de la Loi sur les jeunes délinquants à la Loi sur les jeunes contrevenants, nous avons perdu certains de ces outils.
Vous dites que le minimum de 12 ans est bon et que l'assistance publique devrait s'occuper de ceux qui commettent des infractions. Ma foi, qui va arrêter un enfant de 11 ans dans une voiture volée? Est-ce l'assistance publique? Non, c'est la police, qui n'a plus aucun pouvoir après avoir arrêté le véhicule. En fait, en vertu des dispositions de l'ancienne Loi sur les jeunes délinquants... et mon parti et moi-même recommandons que l'on ramène l'âge minimum à dix ans, non pas parce que nous voulons les voir devant les tribunaux, mais parce que nous voulons assurer à la société un moyen de se protéger contre les actes criminels. Il n'est pas nécessaire qu'ils comparaissent devant les tribunaux. Ils peuvent être confiés à d'autres autorités.
Mais il y a des témoins qui ont comparu devant notre comité - et je les ai entendus dire, lorsque je leur ai parlé personnellement, qu'il n'y a pas... En fait, M. McNamara, de Victimes de violence, à Ottawa, a paru devant notre comité, et c'est ce qu'il a dit.
Qui dans la société qui empêcher un jeune de 10 ou 11 ans de commettre un crime?
Nous avons entendu la grand-mère de Sylvain Leduc, qui a dit très clairement que les adultes qui ont finalement tué Sylvain ont eu recours à des adolescents pour le kidnapper et le leur amener avec les deux filles.
Quand vous nous dites que nous, les législateurs, qui sommes censés faire des recommandations au ministre de la Justice, ne devrions pas envisager d'amendements qui donneraient aux adultes plus de pouvoirs et de responsabilités face à leurs enfants, je ne pense pas que ce soit très sensé.
Et, oui, vous avez confirmé ce que l'on nous a déjà dit, à savoir qu'il nous faut consacrer davantage de ressources à la prévention. Je conviens que nous pouvons déceler ces symptômes à l'école. Le service Sydney Mines nous a dit les choses très clairement en nous expliquant les résultats qu'il obtient avec les enfants qui ne suivent pas à l'école et qui commencent à faire des bêtises et à abandonner. Ils ont réussi des choses phénoménales auprès de ces enfants en leur faisant comprendre qu'ils peuvent faire et réaliser des choses qu'ils n'avaient jamais imaginé pouvoir faire.
Nous devons commencer à consacrer à des activités pro-actives les 10 à 12 milliards de dollars que nous dépensons actuellement pour l'incarcération. Toutefois, on nous dit également que 5, 6 ou 8 p. 100 des jeunes contrevenants ne réagiront pas à ce nouveau régime et que nous devons donc protéger la société.
Au cours de votre exposé, je ne vous ai pas entendu dire - bien que ce fût sous-entendu - que la sécurité de la société était la priorité du système judiciaire, ce qui pourtant devrait être le cas.
Au cours de vos deux exposés de ce matin, je vous ai entendus dire qu'en ce qui concerne la Loi sur les jeunes contrevenants, ça va, n'y touchez pas. Vous avez peut-être raison. Toutefois, j'aimerais vous demander...
La présidente: Monsieur Ramsay, cela fait maintenant huit minutes, et je vais devoir vous demander d'arrêter.
M. Ramsay: Très bien, je vais simplement terminer.
La présidente: Non, monsieur Ramsay, cela fait huit minutes, et l'autre côté a droit à du temps aussi. Je regrette.
M. Ramsay: Très bien.
La présidente: Monsieur Gallaway.
M. Gallaway (Sarnia - Lambton): Bonjour. Merci d'être ici. C'était très intéressant.
Il semble y avoir deux pensées philosophiques qui existent en vase clos. Dans certains milieux du pays, on vit dans ce que j'appellerais le monde de l'Ancien Testament, où qui aime bien châtie bien.
Vous avez entendu mentionner les 42 personnes qui, d'après M. Ramsay, seront fort probablement assassinées par des jeunes délinquants cette année. Si je vous disais: je vais vous donner tout le pouvoir législatif nécessaire, comment pourriez-vous empêcher que cela ne se produise avec la seule Loi sur les jeunes contrevenants?
M. Graham: En pratique, vous ne le feriez pas.
Permettez-moi de revenir à la question des chiffres pendant un instant. M. Ramsay et vous êtes peut-être plus au courant que moi des dernières données statistiques sur les meurtres. Toutefois, d'après mes derniers chiffres, entre les périodes 1974-1979 et 1986-1992, le taux d'homicide chez les jeunes, selon la police, au Canada, a en fait diminué. Je vous cite là des chiffres du ministère de la Justice.
S'il y a eu augmentation récemment, c'est peut-être un petit dérapage. Je pense qu'il faut examiner les tendances sur une certaine période de temps.
Les données statistiques les plus récentes révèlent peut-être une tendance un peu différente, mais, de façon générale, le meurtre, comme comportement, est une impulsion provoquée par des circonstances qui n'ont pas grand-chose à voir avec... Pendant cet instant de passion, est-ce que je pense aux dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants?
M. Gallaway: À votre avis, l'objectif premier de la Loi sur les jeunes contrevenants consiste-t-il à protéger la population, ou considérez-vous qu'il y a d'autres objectifs équivalents ou supérieurs à celui-là?
Mme Lynch: J'aimerais revenir à ce que disait M. Ramsay, qui déplorait que nous n'avions pas parlé au cours de notre exposé de la protection ou de la sécurité du public.
Tout notre exposé portait sur la protection et la sécurité du public, puisque si nous pouvons trouver les ressources nécessaires pour empêcher ces jeunes de commettre des crimes, nous obtiendrons ce résultat. Je pense que la réadaptation est toujours considérée comme l'un des principaux objectifs, et ce, dans le but justement d'assurer la protection et la sécurité du public. Voilà ce que j'en pense. Tout ce dont nous avons parlé et les ressources affectées à cette fin finiront par protéger le public.
M. Gallaway: Certains prétendraient fermement que tout ce que vous avez à dire au sujet de la Loi sur les jeunes contrevenants doit être rejeté parce que vous faites partie de ce que l'on appelle l'industrie de la justice pénale, qu'en un certain sens vous êtes des initiés qui profitent des travers des jeunes. Certains en effet prétendent que c'est la population qui devrait dicter ce qu'elle veut comme traitement pour les jeunes.
Quels seraient les changements que vous apporteriez éventuellement à la Loi sur les jeunes contrevenants? Je parle bien de la loi; je ne parle pas de ce qui relève de la compétence provinciale, car nous ne pouvons rien à ce niveau.
Mme Lynch: Je n'apporterais pas de changements.
M. Gallaway: Très bien.
M. Graham: Dans l'ensemble, voilà la situation. Ma position, c'est toujours que nous consacrons énormément d'argent et de ressources à ce petit pépin que l'on appelle la Loi sur les jeunes contrevenants, alors que les problèmes réels existent bien en amont dans le système. C'est...
Mme Clancy (Halifax): Bravo!
M. Graham: Vous pourriez faire des remaniements, Mary.
Une voix: Elle est désabusée...
Mme Clancy: [Inaudible - Éditeur]
M. Graham: Vous voulez peut-être faire des remaniements, et je suis persuadé que Mona et moi, ensemble, pourrions trouver des choses à modifier. Mais nous pourrions changer ce que vous avez fait en décembre 1995.
M. Gallaway: Si nous suivons votre logique et que nous ramenons l'âge à dix ans, qu'est-ce qui nous empêche ensuite de l'abaisser à huit ans? Quelle justification pouvez-vous avancer pour fixer l'âge à 12 ans - ou à deux ans, à vrai dire.
Mme Lynch: À ce rythme-là, nous arriverons in vitro.
Des voix: Oh, oh!
Mme Lynch: Comme je l'ai dit, si vous choisissez dix ans, je ne pense pas que les gens parleront de jeunes intrigants de neuf ans qui contournent le système.
C'est moi - Danny ne s'occupe pas de jeunes aussi jeunes - qui m'assois avec des jeunes de 12 ans pour tenter de leur expliquer quelle est l'accusation, ce qu'est une partie à une infraction, les concepts du Code criminel. Ils n'y comprennent rien.
Devant les tribunaux, j'ai eu des témoins de dix ans dont je tentais d'obtenir de l'information. Ils avaient été témoins, mais ils ne pouvaient se rappeler ce qui s'était produit la semaine précédente. Ce n'est pas...
M. Graham: Il y a d'autres moyens de coercition. Il y a les lois provinciales sur les services à la famille et aux enfants, et il est faux de prétendre que la police ne peut rien faire. Les moyens à la disposition de la police sont différents de ceux qui le seraient aux termes de la Loi sur les jeunes contrevenants, mais il reste que la police peut faire des choses. Si nous faisions preuve d'une plus grande diligence on réussirait peut-être à satisfaire ceux qui exigent des comptes quand il s'agit de jeunes.
Mona a parlé de jeunes de 12 ans. Très franchement, j'ai du mal à obtenir mes instructions de jeunes de 14 et 15 ans, même lorsqu'il s'agit de récidivistes. Ils ne semblent vraiment pas comprendre le système.
Cela ne signifie pas qu'on ne doit pas exiger de comptes d'eux. Il faut rendre des comptes, et je ne peux que souligner ce qu'a dit Mona: ce que nous recherchons, c'est la sécurité du public. Toutefois, à notre avis, de façon générale, on regarde dans la mauvaise direction.
M. Wells (South Shore): Je sais que le temps est écoulé, mais puis-je poser une brève question?
La présidente: Rien ne presse, vous avez presque une minute.
M. Wells: Presque une minute!
Des voix: Oh, oh!
M. Wells: Vous avez préparé un excellent mémoire. Toutefois, nous étions à Waterville hier, où on nous a dit qu'en fait il y a un enseignant parmi les employés, alors que vous avez écrit dans ce mémoire que ce n'est pas le cas. On a donc peut-être remédié à cette lacune.
Selon la procédure actuelle - et je devrais connaître la réponse, mais je ne la connais pas - si un jeune délinquant, disons, de 16 ou 17 ans a son procès et est reconnu coupable devant un tribunal pour adultes, peut-il être condamné à purger sa peine dans un établissement pour jeunes contrevenants?
M. Graham: Oui, il y a une étape intermédiaire...
M. Wells: Très bien, parce que vous laissez entendre que c'est automatique, que le jeune contrevenant purgerait sa peine dans un établissement pour adultes.
M. Graham: Je ne connais aucune situation où... Les jeunes contrevenants sont condamnés à purger leur peine dans des établissements pour adolescents. Il y a eu quelques cas. La plupart du temps, il s'agit de contrevenants condamnés aux termes du programme «alive». Selon la nouvelle loi, la libération conditionnelle n'est pas prévue avant une certaine période.
Généralement, les établissements pour jeunes n'accueillent personne de plus de 19 ou 20 ans. À un moment donné, les jeunes se retrouvent dans le système pour adultes. C'est une question de temps, et j'ai moi-même connu... Il y a actuellement, dans les établissements de la région atlantique, des jeunes de 16 ans qui subissent certainement les pires sévices.
M. Wells: Est-ce que c'est la règle? Est-ce que d'habitude, ils doivent quitter l'établissement pour jeunes à l'âge de 20 ans?
Mme Lynch: Au moment du prononcé de la sentence en vertu du Code criminel, le juge doit indiquer si le jeune doit aller dans une prison pour adultes ou un établissement pour jeunes contrevenants. La décision appartient donc entièrement au juge, au moment du prononcé de la sentence.
La présidente: Votre temps est écoulé.
M. Wells: Je vous remercie.
La présidente: Je tiens à vous remercier très sincèrement d'avoir comparu devant le comité à une heure aussi matinale. Nous avons beaucoup apprécié vos interventions.
M. Graham: Merci.
Mme Lynch: Merci.
La présidente: Nous allons prendre quelques minutes pour les changements de places, et nous revenons dans trois minutes.
La présidente: Nous recevons Yvonne Hanson et Mark Moffett, de la Youth Alternative Society.
Soyez les bienvenus. D'après nos règles, plus vous parlez et moins nous avons de temps pour les questions. Mais je vous donne tout d'abord la parole. Vous savez comment faire passer votre message.
Mme Yvonne Hanson (directrice administrative, Youth Alternative Society): Tout d'abord, je vous remercie de nous permettre de prendre part à vos travaux. Nous attendions depuis longtemps l'occasion de vous rencontrer autour d'une table, et nous y voilà enfin.
Je voudrais vous parler un peu de l'historique de la Youth Alternative Society, la YAS. Depuis plus de 15 ans, nous administrons un programme de mesures de rechange conformément à l'article 4 de la Loi sur les jeunes contrevenants.
Notre société a été constituée en 1981, mais avant cela, en 1978, nous avons géré pendant trois ans un projet pilote pour le ministère fédéral du Solliciteur général et pour le ministère provincial des Services communautaires. C'était, bien sûr, avant la Loi sur les jeunes contrevenants. Le projet a remporté un vif succès; dans mon mémoire, j'en indique les origines et le déroulement.
Le 25 septembre 1981, le programme de mesures de rechange pour les jeunes a été constitué en société en vertu de la Loi de la Nouvelle-Écosse sur les sociétés et a changé de nom pour devenir la Youth Alternative Society, qui a reçu le statut d'organisme à but non lucratif. Après les trois ans du projet pilote, nous avons pensé que c'était la meilleure formule pour assurer la poursuite du programme à l'intention des jeunes contrevenants de 12 à 15 ans. C'est à eux que nous nous sommes consacrés au départ.
En 1994, nous avons accepté les jeunes de 16 et 17 ans. Avant cela, le ministère des Services communautaires séparait le groupe de 12 à 15 ans du groupe de 16 et 17 ans.
Cette année-là, tous ceux qui s'occupaient de justice pénale sont passés sous l'autorité du ministère provincial de la Justice. Nous avons donc commencé à négocier des contrats avec ce ministère. Nous sommes passés des Services communautaires au ministère de la Justice, et nous avons commencé à nous occuper de jeunes de 16 et 17 ans.
Notre société travaille dans la région désormais appelée municipalité régionale de Halifax, qui comprend bien sûr Dartmouth, Halifax et le comté environnant. C'est un très vaste secteur, avec une population très diversifiée, qui comprend également les comtés de Lunenburg et de Queens. Nous avons un bureau à Halifax, où se fait l'essentiel du travail administratif, et un coordonnateur social à Bridgewater.
Le financement du programme est assuré par le ministère de la Justice et par Centraide. Par ailleurs, nous recevons des subventions des municipalités et nous avons des activités de levée de fonds.
Depuis sa constitution, la société s'est occupée de plus de 5 000 jeunes. Rien que l'année dernière, nous en avons eu plus de 1 000. Cela comprend le travail auprès du nouveau groupe d'âge, c'est-à-dire les jeunes de 16 et 17 ans.
Nous formons des bénévoles, qui assurent le fonctionnement des programmes de mesures de rechange et des ordonnances de service communautaire. Nous avons d'autres programmes, notamment un programme contre le vol à l'étalage appelé «stoplifting». La majorité des infractions dont nous nous occupons sont à 84,9 p. 100 des atteintes à la propriété, et, pour l'essentiel, des vols à l'étalage.
Toutes les infractions dont s'occupent la Youth Alternative Society sont considérées par nature comme étant des infractions mineures. La société est dirigée par un conseil d'administration de bénévoles, dont Mark Moffett fait partie.
Nous diffusons également de l'information sur les jeunes qui entrent en conflit avec la loi, sur les questions entourant la Loi sur les jeunes contrevenants et sur notre rôle auprès du public dans les universités, les écoles secondaires, etc. Par ailleurs, nous essayons de jouer le rôle d'un organisme de promotion et de défense dans ces domaines.
En ce qui concerne les sujets de préoccupation que nous voulons aborder aujourd'hui, j'aimerais beaucoup vous donner lecture de notre mémoire, car je sais que certains n'ont pas eu la chance d'en prendre connaissance avant la séance d'aujourd'hui.
Pour ce qui est des mesures de rechange prévues à l'article 4 de la Loi sur les jeunes contrevenants, la Youth Alternative Society a relevé un certain manque d'uniformité dans l'application de ces dispositions.
Aux termes de la loi, le procureur général de la province est chargé de définir les critères et l'application des mesures de rechange.
Le ministère de la Justice de la Nouvelle-Écosse, auquel a récemment été conférée la responsabilité de tous les jeunes contrevenants, a défini, en consultation avec les responsables des programmes communautaires destinés aux jeunes contrevenants, les critères et les lignes directrices de l'administration de ce programme. Par ailleurs, en tant qu'organisme communautaire, la Youth Alternative Society collabore avec les services de police, avec les procureurs de la Couronne - qui approuvent le renvoi devant un tribunal avant ou après l'acte d'accusation - et les juges.
Les interprétations varient considérablement parmi ces intervenants. La plupart d'entre eux approuvent le travail que nous faisons auprès des jeunes qui commettent des infractions mineures, mais le choix de ceux qui peuvent bénéficier du programme est laissé à leur discrétion. Cela ne sert pas toujours les intérêts du jeune concerné.
Par exemple, nous connaissons certains cas qui sont renvoyés devant un tribunal et qu'il aurait été plus facile de traiter dans un programme comme le nôtre, où le jeune prend conscience de l'infraction qu'il a commise, et peut indemniser la victime et la collectivité, ce qui n'est pas prévu dans le cas du tribunal; en outre, notre programme lui évite de traîner à l'avenir le fardeau d'un casier judiciaire.
L'opinion du personnel de sécurité représentant le point de vue des compagnies victimes d'infractions joue souvent un rôle déterminant dans la décision de renvoi d'un jeune à la Youth Alternative Society pour l'y faire bénéficier de mesures de rechange. La majorité - 84,9 p. 100 en 1995 - des infractions qui donnent lieu à des mesures de rechange sont des atteintes à la propriété, le plus souvent du vol à l'étalage, mais il semble que le personnel de sécurité joue un rôle déterminant dans le choix des dossiers qui peuvent donner lieu à des mesures de rechange. Bien souvent, l'infraction résulte d'un vol de moins de 5$.
En outre, la compagnie victime du vol peut intenter d'autres poursuites, même une fois que le jeune a assisté à une séance portant sur les mesures de rechange. Plusieurs organismes locaux ont récemment exprimé leurs préoccupations à ce sujet dans les médias.
Souvent, les magasins intentent des poursuites au civil contre les parents du jeune contrevenant et leur réclament des indemnités pouvant atteindre 325$. Une telle procédure, désormais courante pour des grands magasins comme La Baie, Zellers et K Mart, va à l'encontre du message véhiculé dans le programme de mesures de rechange, où le jeune s'engage à assumer ses responsabilités, à présenter des excuses aux victimes et à indemniser la collectivité par du travail communautaire.
La Loi sur les jeunes contrevenants vise à réadapter les jeunes et à prendre en compte les circonstances de la situation. Le coût des poursuites pénales est assumé par les contribuables, et des poursuites au civil qui viennent s'ajouter au travail déjà fait pour permettre au jeune d'indemniser la victime et la collectivité semblent à notre avis redondantes et contraires à l'esprit de la loi.
Il semble particulièrement opportun d'envisager des innovations au sein du système de justice pénale dans le cas des jeunes contrevenants. Le modèle des mesures de rechange a l'avantage de permettre aux jeunes d'assumer la responsabilité de son acte, de permettre à la victime d'exprimer ses préoccupations et de faire intervenir la collectivité dans l'administration de la justice.
La Youth Alternative Society s'efforce de concilier la responsabilité du jeune devant la loi et le fait qu'à titre individuel il a des comptes à rendre à la collectivité dans laquelle il réside. Nous avons réussi à réduire la criminalité chez les jeunes et à amorcer un débat sur la responsabilité de l'ensemble de la collectivité en matière de comportement criminel chez les jeunes.
Dans le cadre du programme des ordonnances de service communautaire, la Youth Alternative Society reçoit des jeunes de 12 à 17 ans et plus qui lui sont renvoyés par les tribunaux. Des surveillants bénévoles qui jouent le rôle d'agent de probation font travailler les jeunes au profit de la collectivité pendant le nombre d'heures prévues par le tribunal. Pour les jeunes, c'est souvent une façon conciliante de s'engager envers la collectivité lorsqu'ils ont causé un préjudice à l'un de ses membres.
Cependant, les tribunaux qui s'occupent des jeunes ont tendance à sur-utiliser ce genre de dispositif, faute d'autres solutions innovatrices; j'aimerais revenir plus tard sur ce sujet.
Parmi les possibilités non utilisées par les juges, on peut citer les programmes qui évaluent l'aptitude à l'emploi, les régimes de développement communautaire, les entreprises employant des jeunes, les programmes de création et de loisirs et l'enseignement appliqué. Nous estimons que les tribunaux qui s'occupent des jeunes contrevenants prennent des décisions par nature très semblables à celles qu'on impose aux adultes, et ils les appliquent parfois de façon plus sévère, notamment pour ce qui est de la durée du travail communautaire imposé aux jeunes.
La Youth Alternative Society travaille auprès de la collectivité et exécute ces programmes sans lien de dépendance avec les tribunaux ou la police. Cependant, nous sommes conscients du fait que nos efforts dépendent de la décision du renvoi qui est prise par la police ou par le tribunal; notre société ne travaille donc pas de façon isolée.
Grâce à ses bénévoles, notre société travaille au coeur de la collectivité auprès des jeunes, de leur famille et des victimes, selon un modèle faisant appel à des fonctions sociales, correctionnelles et éducatives. Les avantages qui en résultent pour toutes les parties en cause, que ce soit les jeunes, les bénévoles ou la police, sont exposés en détail dans une évaluation que nous pourrons vous faire parvenir, si ce document vous intéresse.
La présidente: Oui, s'il vous plaît.
Mme Hanson: Voilà pour notre mémoire.
La présidente: Avez-vous autre chose à ajouter, monsieur Moffett?
M. Mark Moffett (membre, conseil d'administration, Youth Alternative Society): Non, c'est parfait.
La présidente: Merci.
Nous allons commencer une ronde de questions et réponses de 10 minutes.
Madame Venne.
[Français]
Mme Venne (Saint-Hubert): Madame la présidente, vous n'aurez pas à me chronométrer puisque je n'ai qu'une question à poser. Je veux simplement constater que, d'après ce que je comprends, la loi vous convient, puisque nous sommes ici pour en faire l'analyse. C'est donc la question que je vous pose carrément.
D'après ce que je comprends également, c'est l'application qui, dans certains cas, serait discutable.
Vous avez fait une ou deux suggestions. À part celles-là, est-ce que vous en avez d'autres et, si oui, lesquelles?
[Traduction]
M. Moffett: J'ai relevé plusieurs éléments. Tout d'abord, j'ai entendu dire qu'il s'agissait là d'une bonne loi, et nous considérons que, dans une certaine mesure, c'est effectivement une bonne loi.
Ce qui nous préoccupe, c'est la façon dont la loi est censée traiter les jeunes contrevenants. Les infractions qu'ils commettent sont souvent par nature des infractions mineures. La loi semble vouloir les traiter davantage comme des adultes, c'est-à-dire à leur imposer des sanctions plus sévères et plus punitives. Nous ne pensons pas que cette orientation soit souhaitable, car, le plus souvent, les jeunes ne commettent pas d'infractions graves.
Il faudrait s'écarter de cette tendance et intégrer dans la loi des solutions créatives de nature communautaires misant sur l'éducation et la prise de conscience chez les jeunes; à notre sens, une telle tendance serait préférable à l'orientation fortement punitive que l'ensemble de la société semble vouloir donner à la Loi sur les jeunes contrevenants.
La plupart des cas dont les médias se font l'écho sont des meurtres ou des infractions du même ordre, qui ne représentent pourtant qu'une très faible proportion des infractions commises par les jeunes contrevenants, aussi bien au niveau national qu'ici même, en Nouvelle-Écosse. D'après notre expérience auprès des jeunes, cette tendance punitive de la loi, souhaitée par une partie de la société, ne nous semble pas pertinente.
Comme l'a dit Yvonne, notre société existe depuis 1982, et cela fait donc des années que nous nous occupons des jeunes.
Je ne sais pas si Yvonne souhaite ajouter quelque chose. J'espère que cela répond à votre question.
[Français]
Mme Venne: Nous avons au Québec une émission qui s'appelle C'est la faute aux médias. Cette expression veut dire que c'est toujours la faute de l'information que nous recevons si les gens perçoivent mal le crime chez les jeunes.
Je suis pour la liberté d'expression, mais il va peut-être falloir donner un code d'éthique aux médias pour faire en sorte qu'ils donnent l'information correctement et ne montent pas en épingle les cas isolés.
Je vais certainement mettre ce commentaire quelque part dans un rapport. Merci.
[Traduction]
Mme Hanson: Je suis tout à fait d'accord avec vous.
Lorsque je fais des exposés en public, j'ai très souvent à répondre à la question suivante: quelle est l'efficacité de vos programmes, et pensez-vous qu'ils aient véritablement pour effet de réduire la criminalité chez les jeunes? Dans ma réponse, je signale toujours que nous travaillons avec la collectivité pour améliorer nos programmes en fonction des besoins. À cet égard, nos programmes sont le reflet de ce que fait la collectivité pour s'occuper des jeunes et de leurs problèmes.
De ce point de vue, notre travail est très bénéfique. Les statistiques montrent le nombre de jeunes qui nous ont été confiés, auxquels on a appliqué les programmes de mesures de rechange, et la proportion de ceux qui ont récidivé après avoir suivi un tel programme. Notre travail est très efficace. Tout le monde, y compris la police et les tribunaux, vous dira que l'amélioration est due en partie à notre action.
La présidente: Merci.
Monsieur Ramsay, vous avez dix minutes pour poser vos questions et obtenir des réponses.
M. Ramsay: Merci, madame la présidente.
Je vous remercie de votre exposé et du travail que vous faites depuis 15 ans. J'ai trois ou quatre questions à vous poser, et je vous invite à les prendre en note.
Quel est le pourcentage de récidive parmi les jeunes contrevenants dont vous vous occupez? Combien d'entre eux ont un problème d'alcool ou de drogue qui contribue à leur comportement criminel? Combien d'entre eux ont un problème d'analphabétisme? Autrement dit, combien d'entre eux éprouvaient des difficultés scolaires, ont abandonné leurs études, obtenaient de mauvais résultats ou ont commencé à mal se comporter à l'école?
Finalement, que faut-il faire, à votre avis, des 5 p. 100 de jeunes contrevenants qui ne réagissent pas positivement aux programmes de réadaptation? Je vous rappelle qu'avant le projet de loi C-37 la peine prévue en cas de meurtre était environ trois ans d'emprisonnement. Pensez-vous que cette peine ait été suffisante? Elle a été portée à un maximum de dix ans. Pensez-vous qu'elle soit désormais plus appropriée, ou qu'on aurait plutôt dû la laisser telle qu'elle était?
Je vous invite à répondre à ces questions, et s'il me reste du temps j'aurai ensuite quelques commentaires à faire.
M. Moffett: Je vais répondre aux premières questions concernant les statistiques sur la récidive, l'alcoolisme et l'analphabétisme.
Tous ces problèmes sont liés. On constate que chez la plupart des jeunes qui commettent des crimes de ce type, ou, en fait, chez la plupart des jeunes contrevenants, les problèmes d'alcoolisme et d'analphabétisme sont secondaires. Le problème fondamental, c'est celui du sentiment d'appartenance à une collectivité, à un milieu familial, à un groupe, etc. C'est ce que recherchent la plupart des jeunes. S'ils ne trouvent pas ce sentiment d'appartenance chez eux, ils vont le chercher auprès d'un groupe qui a recours à la drogue, à l'alcool ou à autre chose.
Je ne veux pas dire que l'alcool, la drogue ou l'analphabétisme soient le résultat de ce besoin d'appartenance, mais je pense que ces jeunes cherchent quelque chose qu'ils ne trouvent nulle part et qu'en définitive ils l'obtiennent auprès d'un groupe de jeunes qui s'adonnent à l'alcoolisme ou à la toxicomanie. Ce genre de comportement mène finalement à l'analphabétisme et à toutes sortes d'autres problèmes, car il modifie l'échelle des valeurs. Voilà ce que je peux dire pour répondre à votre question.
Je laisse à Yvonne le soin de vous donner des chiffres précis. Mais je peux vous donner une vue d'ensemble. Ce que recherchent ces jeunes, ils ne peuvent pas le trouver dans un système de valeurs qui affirme, par exemple, que la surconsommation d'alcool ne résout aucun problème. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre, mais voilà ce que je voulais dire avant d'en venir aux statistiques.
Mme Hanson: Voici les chiffres. Parmi tous les jeunes qui ont participé l'an dernier à des programmes de mesures de rechange dans notre province, 19, soit 1,4 p. 100, avaient commis des infractions à la législation sur les stupéfiants.
Mon travail des dernières années auprès des jeunes au sein de la YAS m'a permis de me rendre compte qu'il y a effectivement un lien, dans un petit pourcentage de cas, entre la consommation d'alcool et la perpétration de l'infraction. Comme Mark l'a cependant fait remarquer, ce lien est tributaire de plusieurs autres facteurs.
Parmi les facteurs les plus importants, notons le milieu familial, qui n'est pas toujours aussi stable qu'il le devrait. L'influence des parents est aussi déterminante. Le climat social actuel n'est pas vraiment propice à l'épanouissement des jeunes. Bon nombre d'entre eux se défendent comme ils le peuvent. Ceux qui sont bien guidés et qui jouissent d'une vie familiale stable s'en tirent mieux. Malheureusement, les autres expriment parfois leur frustration de façon tout à fait inappropriée.
Il est assez surprenant de voir comment certains jeunes avec lesquels nous travaillons se conforment aux normes et aux valeurs sociales reconnues malgré le fait qu'ils viennent de milieux familiaux où ils ont manqué de soutien. Ce sont des jeunes très courageux.
M. Ramsay: J'aimerais vous ramener aux questions que je vous posais.
Nous avons visité des établissements pour jeunes contrevenants. Nous avons appris qu'un pourcentage élevé d'entre eux n'auraient pas commis les crimes qu'on leur reproche sans l'influence de l'alcool et des drogues.
Moi, j'ai deux fils âgés de 18 ans. Ce sont de bons garçons. Or, s'ils cédaient aux pressions de certains de leurs amis qui voudraient les amener à consommer de l'alcool et des drogues, ils finiraient par avoir maille à partir avec la justice. Ils commettraient des crimes.
Il est donc probablement vrai que le problème de la délinquance juvénile est lié à un milieu familial défavorable. Dans certains cas, cependant, des jeunes sont amenés à commettre des crimes simplement parce qu'ils s'adonnent à la consommation de drogue et d'alcool.
Il m'importe beaucoup de savoir quel est le pourcentage des jeunes contrevenants auprès desquels vous travaillez qui ont commis des crimes sous l'influence de l'alcool et des drogues. Je conviens cependant avec vous que le milieu familial y est pour beaucoup.
J'aimerais aussi que vous nous parliez des contrevenants violents, qui représentent 5 p. 100 des jeunes contrevenants, dont on fait grand cas dans les médias. On a modifié récemment la Loi sur les jeunes contrevenants. La peine infligée à un jeune contrevenant ayant commis un meurtre est passée de trois à dix ans. Êtes-vous favorables à ce changement?
M. Moffett: Je crois que nous avons dit qu'il y a un lien entre la perpétration de l'infraction et la consommation de drogue et d'alcool dans 1,4 p. 100 des cas. Cela représente donc un très faible pourcentage des jeunes auprès desquels nous intervenons. Je crois que les statistiques portent seulement sur les cas où il y a un lien avec les drogues. On ne tient pas compte de l'influence de l'alcool. Quoi qu'il en soit, le pourcentage est très faible.
M. Ramsay: Oui, c'est très faible.
M. Moffett: Quant à la deuxième partie de votre question, je crois effectivement qu'il fallait imposer une peine plus sévère en cas de meurtre. Je songe ici aux victimes. Je ne suis cependant pas en mesure de dire si la peine aurait dû être fixée à cinq ans plutôt qu'à dix. Je ne peux donc pas me prononcer là-dessus.
Je répète cependant qu'à mon avis la Loi sur les jeunes contrevenants ne doit pas simplement mettre l'accent sur le châtiment. Ces jeunes doivent être réintégrés dans la société. Si on ne leur donne pas le soutien et les outils nécessaires pour le faire, ils vont évidemment récidiver.
Je crois que vous avez visité l'établissement de Waterville. Les jeunes qui quittent cet établissement nous disent souvent qu'une fois leur peine purgée ils prennent l'autobus et retournent ensuite dans leur milieu d'origine.
Je suis donc d'avis que la Loi sur les jeunes contrevenants doit tenir compte des besoins des victimes en prolongeant la durée d'incarcération, mais qu'elle doit aussi comporter des mesures en vue de favoriser la réinsertion des jeunes dans la société en les amenant à changer leur comportement. Voilà, à mon avis, quel devrait être le thème central de la Loi sur les jeunes contrevenants.
Je vous rappelle qu'il ne s'agit ici que de 5 p. 100 des jeunes contrevenants. Voilà pourquoi tout l'accent ne doit pas être mis sur le châtiment dans la Loi sur les jeunes contrevenants.
La présidente: Je vous remercie. Vous avez la parole, monsieur Gallaway.
M. Gallaway: Je vous remercie, et bonjour. Certains groupes mettent l'accent dans leurs interventions sur la protection du public. Pour certains, la protection du public exige que le jeune contrevenant soit durement châtié, quel que soit le crime commis, c'est-à-dire qu'il soit incarcéré.
À la première page de votre mémoire, vous soulignez qu'il faudrait éviter d'étiqueter les gens. Or, certains sont d'avis qu'on devrait faire paraître dans les journaux le nom des jeunes contrevenants comme on le fait pour les adultes. Pensez-vous que ce serait une bonne façon de protéger le public?
M. Moffett: Je ne peux que vous répondre non. Permettez-moi de vous expliquer pourquoi. Je ne pense pas que la protection du public suppose qu'il faille publier le nom du jeune contrevenant ayant perpétré une infraction. La protection du public suppose qu'on prenne les mesures voulues pour éviter que ces crimes ne soient commis. La façon de s'en assurer, c'est d'amener les jeunes à changer leur comportement. Je ne pense pas que la publication des noms des jeunes contrevenant y ferait quoi que ce soit.
Les recherches actuelles en criminologie montrent que c'est chez les 12 à 18 ou 19 ans que le taux de criminalité est le plus élevé. À partir de 20 ans, ce taux diminue. Or, une fois qu'on considère quelqu'un comme un criminel, celui-ci aura tendance à se comporter comme un criminel.
Je crois donc que la publication des noms des jeunes contrevenants peut peut-être avoir un effet à court terme, mais qu'à long terme cette mesure ne protégera en rien la société. À mon sens, il s'agit là d'une demi-mesure.
M. Gallaway: Pensez-vous cependant, monsieur Moffett, que cette mesure pourrait contribuer à protéger le public contre les jeunes de 15 ans, par exemple, qui commettent un meurtre?
M. Moffett: Oui, je crois qu'on pourrait envisager de publier le nom de ce genre de jeunes contrevenants, tout comme la loi permet qu'ils soient jugés par un tribunal pour adultes. Je crois cependant que ce devrait être une mesure d'exception. Je ne crois pas qu'il serait utile d'y recourir dans le cas de la majorité des jeunes contrevenants.
M. Gallaway: Vous avez aussi insisté sur l'importance de la famille, du système de valeurs et de la collectivité. Vous avez aussi fait remarquer combien il importe pour un jeune de bien s'intégrer à sa famille et à sa collectivité. Dans votre mémoire, vous dites qu'on doit amener le jeune à reconnaître qu'il a mal agi et à s'amender, ce qui pourrait signifier qu'il doit indemniser sa victime. Vous semblez cependant vous opposer à ce que de grandes sociétés comme La Baie et Zellers intentent des poursuites au civil. Comment conciliez-vous ces deux vues?
Mme Hanson: Permettez-moi de répondre à cette question, parce que j'ai eu beaucoup à faire avec des parents de jeunes ayant commis un vol à l'étalage. Ces parents étaient en colère parce qu'ils avaient demandé à pouvoir rembourser le commerce pour l'article volé ou endommagé. Ils proposaient donc d'indemniser le commerce. Or, ces commerces leur ont tout simplement dit qu'ils n'avaient pas à le faire.
Nous nous employons à amener les jeunes à reconnaître leur culpabilité et à proposer des façons de s'amender. Nous discutons avec eux des conséquences du vol à l'étalage pour les commerces, leur collectivité ainsi que leur famille. Voilà donc comment nous nous y prenons.
Le programme de mesures de rechange joue à cet égard un rôle utile pour le jeune contrevenant et pour sa famille. Nous invitons la victime à participer aux réunions. Toutes les parties visées se rencontrent donc et discutent de la situation.
Mais six mois, un an ou un an et demi après la perpétration de l'infraction, on a envoyé des lettres où on faisait comprendre à la famille que l'affaire qu'elle croyait réglée ne l'était pas vraiment.
On me dit aussi qu'un tribunal civil n'accorderait jamais une somme aussi élevée que celle qu'on réclame à la famille, soit 325$. Je ne sais pas si vous avez pu lire ces lettres, mais elles sont rédigées en termes très peu flatteurs pour le jeune contrevenant.
Je crois que sans qu'on s'en rende compte une autre structure judiciaire est en train de se constituer. À quoi nous sert-il d'essayer de faire prendre conscience aux jeunes et à leur famille de leurs responsabilités si l'on sape nos efforts en ce sens? Nous voulons amener les parents à comprendre qu'ils sont responsables du comportement de leurs enfants. À de nombreux égards, la Loi sur les jeunes contrevenants adopte le point de vue inverse, et on donne ainsi des messages contradictoires aux jeunes.
J'ai discuté avec des parents qui étaient très contrariés parce qu'ils devront maintenant régler le problème. Leur enfant devient très cynique et se demande à quoi bon s'amender. Pour eux, l'affaire était close, et on veut maintenant la rouvrir. Je sais qu'on vise un but de dissuasion, mais je pense qu'on aurait pu s'y prendre autrement.
La présidente: Nous avons encore quelques minutes à vous consacrer. Mme Clancy veut poser une question.
Mme Clancy: Je voulais poursuivre sur le même sujet, parce que lorsque l'annonce a été faite elle a suscité une vive réaction ici. Le Conseil consultatif sur la situation de la femme pense que des raisons tout autres que celles qu'on leur prête actuellement incitent les jeunes à commettre ce genre de délit. Voilà pourquoi il s'est opposé à ce genre de mesure.
Je viens et je vais. Avez-vous aussi fait connaître votre opposition à cette mesure?
Mme Hanson: Lorsque le Conseil sur la situation de la femme a annoncé qu'il allait boycotter ces magasins et préconiser un boycott national, nous participions à une émission de télévision. Un parent a téléphoné à Radio-Canada, et à l'émission du matin on m'a interviewée, ainsi que le directeur des réclamations de Toronto.
Mme Clancy: C'est bien.
Mme Hanson: Le directeur a fait valoir que le programme de mesures de rechange était un bon programme, mais que, comme il n'existe pas dans toutes les villes du Canada, c'est ce qui avait amené les magasins à adopter cette politique nationale.
Mme Clancy: C'est intéressant, car ils ont bien une politique de prix locale.
Je voudrais vous poser une question au sujet de la participation des adolescentes et des jeunes femmes à votre programme. Hier, à Waterville, ma collègue, Mme Venne, a fait remarquer que l'établissement n'accueillait que des jeunes hommes parce que ceux-ci ne pourraient pas cohabiter avec des femmes. On lui a fait remarquer que le pourcentage de jeunes femmes ayant des démêlés avec la justice était tellement peu élevé qu'il n'y aurait pas suffisamment de jeunes femmes à envoyer à Waterville.
Quel est le taux de participation des jeunes femmes à votre programme?
Mme Hanson: Je n'ai pas de chiffre exact à vous fournir, Mary, mais je pense que la participation des femmes est à peu près égale à celle des hommes.
Mme Clancy: Vraiment?
Mme Hanson: Oui. Leur participation au programme d'ordonnances de service communautaire est beaucoup moins importante. J'en déduis que le programme est plus bénéfique aux filles qu'aux garçons.
La présidente: Votre temps est écoulé, mais il y aura un autre tour.
Madame Venne.
[Français]
Mme Venne: J'aimerais tout d'abord vous parler de la responsabilité des parents. À Charlottetown, on nous a demandé que les parents soient davantage responsables des actes commis par leurs enfants. Au Québec, dans le Code civil, nous avons déjà un article à cet effet. Les parents sont responsables de leurs enfants et des actes qu'ils posent, mais si on veut rendre le parent responsable, il faut prouver qu'il y a eu négligence de sa part. Plus tôt, les recherchistes m'ont dit que c'était pareil en common law. Les parents sont également responsables sur le plan civil des actes de leurs enfants.
Donc, je me dis que ce qu'on nous demande, c'est probablement de les rendre responsables sur le plan criminel, et je trouve cela un peu difficile. J'aimerais connaître votre opinion là-dessus.
Vous avez dû également voir dans les journaux et à la télévision que dernièrement, aux États-Unis, on a décidé d'attacher des parents à leurs enfants physiquement, avec des menottes, pour leur faire comprendre leurs responsabilités. Je trouve que c'est aller très loin.
J'aimerais connaître votre opinion sur la responsabilité des parents.
[Traduction]
Mme Hanson: Je m'offusque vraiment du fait qu'on prenne ce genre de mesure. Ce que nous nous efforçons de faire, c'est d'amener les parents à participer à l'éducation de leurs enfants, à leur montrer qu'ils doivent établir des normes et donner l'exemple, mais nous voulons effectivement faire prendre conscience aux jeunes de leurs responsabilités à l'égard de la collectivité. Le fait d'insister sur les responsabilités individuelles du jeune et non pas seulement sur celles des parents, l'amène à agir de façon responsable.
Je crois qu'il ne convient pas de donner l'impression que les parents sont toujours responsables des actes de leurs enfants, car cela n'amène pas les jeunes à assumer leurs responsabilités. Évidemment, on a tendance à tenir les parents responsables de tout ce que font leurs enfants, mais cela ne contribue pas à donner aux jeunes le sens des responsabilités.
Nous pouvons donner des conseils aux parents sur la façon d'élever leurs enfants et sur la façon de susciter chez eux un sens du respect de soi. Et nous pouvons aussi favoriser leur intégration à leur collectivité, mais nous devons tenir compte du fait que les parents ne sont pas les seuls à exercer une influence sur leurs enfants.
[Français]
Mme Venne: On nous a aussi parlé des délais qui sont apparemment trop longs entre le moment de l'infraction et celui où l'enfant comparaît devant le tribunal. Est-ce également le cas ici? Je parle de délais qui durent des mois.
[Traduction]
M. Moffett: Les jeunes contrevenants nous sont confiés soit avant qu'ils passent devant le tribunal, soit après cela. Un certain temps s'écoule entre le moment où les jeunes passent devant le tribunal et celui où ils nous sont confiés, lorsqu'on procède de cette façon. Je n'y vois pas un grand problème. Je pense que cela reflète simplement le fait que le nombre de cas dont sont saisis les tribunaux est élevé et qu'ils manquent de ressources. Je ne pense pas que ce soit un grand problème. De toute évidence, il serait bon de réduire cette période, mais il faut tenir compte de certaines procédures administratives.
Je ne pense pas que ce délai cause un problème, pourvu qu'il ne soit pas de plus d'un an. Autrement, le jeune a du mal à se rappeler clairement ce qui s'est produit et à faire le lien avec la perpétration de l'infraction. Ce serait ma seule préoccupation, mais je pense que dans un délai de six mois la plupart des jeunes sont en mesure de se souvenir de ce qui leur est arrivé.
Mme Hanson: J'ajouterais que les tribunaux s'occupent beaucoup plus rapidement des délits plus graves et accordent moins d'attention aux infractions moins graves qui pourraient faire l'objet d'un programme de médiation ou de déjudiciarisation. Je crois que le gros des efforts devrait être concentré sur le type d'infractions que commettent le plus souvent les jeunes contrevenants.
Bien sûr, la question de la gravité doit entrer en ligne de compte. Selon moi, à l'échelon fédéral, vous vous en êtes très bien occupés, vu que vous avez concentré votre temps et vos énergies sur les infractions graves. Du point de vue de la Youth Alternative Society, vous devriez maintenant vous pencher sérieusement sur la majorité des crimes et des délits commis par des adolescents pour essayer de mettre sur pied des programmes à leur intention dans la communauté.
Mme Venne: Merci.
La présidente: Merci, madame Venne.
Mme Clancy: Je voudrais revenir au taux de criminalité chez les adolescentes et les jeunes femmes, parce que votre chiffre de 50-50 me fascine.
Il y a bien des années, quand j'intentais des poursuites en vertu de la Loi sur les jeunes délinquants, le taux de criminalité chez les adolescentes était insignifiant. Je ne peux penser à un seul cas d'une adolescente qui ait été traduite devant le tribunal pendant les deux ou trois ans que j'ai travaillé dans ce domaine. C'était à la fin des années soixante-dix. Je crois savoir que le taux a augmenté. Pouvez-vous nous dire dans quelle mesure il a augmenté selon vous et quel genre d'infractions commettent les adolescentes?
Mme Hanson: L'infraction la plus courante pour les adolescentes est le vol à l'étalage. C'est parce que le vol à l'étalage et les crimes contre la propriété représentent 85 p. 100 de nos cas que...
Mme Clancy: C'est pour cela que vous avez une proportion de 50-50.
Mme Hanson: Exactement.
Le taux est beaucoup plus faible pour les agressions mineures, dont nous nous occupons aussi. Beaucoup plus d'adolescents que d'adolescentes commettent des infractions mineures. Pour les infractions reliées à l'alcool, à la conduite d'un véhicule ou à la loi sur les véhicules à moteur, ce sont plus souvent des adolescents. Si l'on revient au pourcentage de 85 p. 100, les deux sexes sont assez également représentés.
Mme Clancy: Avez-vous une idée de la raison pour laquelle plus d'adolescentes ne commettent pas d'autres genres d'infractions? Ou est-ce simplement parce que ce sont justement des adolescentes?
Mme Hanson: C'est en partie dû à la socialisation. Le système ne considère toujours pas les adolescentes comme étant violentes, et, dans bien des cas, elles ne le sont pas autant que les garçons. Il y a aussi les habitudes de la police et d'autres facteurs du même genre. Souvent, quand les policiers ou les enquêteurs se rendent sur les lieux du crime, si ce sont des garçons qui sont en cause, ils se font arrêter, mais si ce sont des filles, on leur dit simplement: «On va en discuter.»
Mme Clancy: Il y a donc davantage de latitude pour les adolescentes.
Mme Hanson: Oui.
Mme Clancy: C'est tout, madame la présidente.
La présidente: Monsieur Wells.
M. Wells: Je voudrais poser quelques brèves questions à propos des ententes que vous avez avec les jeunes contrevenants. Avez-vous vraiment des ententes écrites?
Mme Hanson: Oui.
M. Wells: Quelles seraient les dispositions typiques de ces ententes? Je suis certain qu'il y a une entente type que vous vous contentez de modifier pour chaque contrevenant.
Mme Hanson: Oui. La majorité de nos ententes, sans doute 85 p. 100, prévoient une excuse quelconque, soit écrite, soit verbale. Il arrive souvent que l'adolescent rédige quelques paragraphes pour expliquer ce qu'il a tiré de son expérience.
Nous avons aussi des ententes plus créatives, qui prévoient, par exemple, du service communautaire. Si l'adolescent participe à un programme, il pourra fabriquer quelque chose et le donner à un organisme de bienfaisance. Il pourra aussi travailler dans la communauté et donner l'argent qu'il recevra à un organisme de charité. C'est le genre de choses que nous essayons de faire. Nous voulons aussi travailler avec des artistes et des artisans de la communauté pour rendre notre ville plus attrayante, et nous voulons que les jeunes contrevenants y participent.
M. Moffett: Bon nombre d'ententes visent à instruire, et non pas simplement à punir. Il arrive donc souvent que les adolescents fassent des choses qui les intéressent, mais qu'ils les fassent d'une façon qui leur enseignera quelque chose à propos de leurs infractions et de leurs victimes.
M. Wells: Pourrions-nous avoir un exemplaire d'une entente type, sans les noms, bien sûr?
Mme Hanson: Volontiers. Je trouverai bien quelque chose.
La présidente: Ce serait excellent.
M. Wells: Vous avez parlé de rédactions. Nous avons entendu dire que ce genre de chose est tout à fait inefficace. Certains témoins nous ont dit que, d'après eux, c'est un... D'autres qui s'occupent de mesures de rechange... Nous avons entendu des critiques à ce sujet. D'après vous, est-ce vraiment efficace?
Mme Hanson: Cela dépend de ce sur quoi écrit l'adolescent. Ainsi, des jeunes ont interrogé une personne de leur collectivité - une personne âgée par exemple - sur les normes sociales en vigueur à son époque, et cela leur a appris beaucoup de choses, si l'on en juge par les textes.
S'il s'agit simplement d'une répétition de choses dont on a parlé pendant l'entrevue, cela peut avoir moins de portée parce que les adolescents ne font qu'écrire ce qu'ils ont déjà appris. S'ils doivent effectuer des recherches ou enquêter auprès d'autres personnes, je pense qu'ils en apprennent davantage.
M. Moffett: Les affiches et les rédactions que préparent les adolescents leur permettent de faire un examen de conscience et de réfléchir à ce qu'ils ont fait. Je pense que c'est utile et que c'est une partie importante du processus d'éducation que nous vous avons décrit. La plupart des adolescents écrivent sur ce qu'ils ont fait, disent pourquoi ils l'ont fait, qui en a souffert et quel en a été le résultat, et je pense que c'est certainement utile.
Lorsqu'ils passent devant le tribunal, la plupart d'entre eux n'ont rien à dire et, pour ce qui est de tirer une leçon de leur expérience... Mais s'ils doivent faire une rédaction, parler de choses personnelles et avouer par écrit avoir fait telle ou telle chose et être responsables de telle ou telle action, je pense que cela les touche profondément.
M. Wells: Je voudrais poser quelques autres questions très rapidement. Vos ententes prévoient-elles d'habitude le dédommagement? Deuxièmement, quels sont les délais habituels? Vous avez dit moins d'un an, mais s'agit-il du délai entre le moment où l'infraction est commise et celui où vous vous occupez du jeune contrevenant? Quels sont les délais normaux?
Mme Hanson: Cela dépend du temps qu'il faut à la police pour nous renvoyer un cas.
M. Wells: Cela veut dire quoi d'habitude?
Mme Hanson: À partir du moment où l'infraction est commise, la police doit faire approuver le renvoi d'un cas par un procureur de la Couronne, après quoi nous devons examiner les mesures de rechange à prendre et compléter le processus. Je pense que cela prend d'habitude environ six mois en tout.
M. Wells: Le dédommagement est-il d'habitude prévu dans vos ententes?
Mme Hanson: Cela dépend. Cela dépend de la nature de l'infraction et de la possibilité pour la victime de parler de dédommagement.
M. Wells: Très bien, merci.
La présidente: Je vous remercie d'être venus. Nous vous en sommes reconnaissants. Comme vous pouvez le voir, nous avons quatre groupes de témoins ce matin, ce qui veut dire que notre horaire est chargé. Si vous pouvez nous faire parvenir ces autres documents, nous vous en serons reconnaissants.
Mme Hanson: Relativement aux ententes, je pense que le moment est bien choisi pour examiner les options offertes au tribunal. Ce que me disent souvent les procureurs de la Couronne et les juges, c'est que le choix est vraiment restreint. Ils nous renvoient souvent des ordonnances de service communautaire parce qu'il n'existe pas d'autres possibilités.
La présidente: Dans la communauté?
Mme Hanson: Oui, mais je veux parler des tribunaux eux-mêmes. Nos ententes peuvent être le plus créatives possible, mais le mandat des tribunaux est beaucoup plus strict.
La présidente: Très bien. Merci beaucoup.
Nous allons faire une pause de deux ou trois minutes pour permettre au professeur Carrigan de s'installer.
La présidente: Nous sommes de retour. Bienvenue, professeur Carrigan. Nous nous sommes déjà rencontrés. Je suis très heureuse que vous ayez pris le temps de venir nous faire profiter de votre sagesse.
Vous avez vu comment nous procédons. Tous les témoins doivent s'en tenir à la période qui leur est réservée, après quoi je prends mon temps pendant la pause. Je m'en excuse. Vu que nous sommes à Halifax, j'essayais d'intervenir après Mme Clancy, ce qui n'est pas facile.
Nous voudrions connaître votre avis. Nous pourrons ensuite vous poser quelques questions, du moins je l'espère. Allez-y.
M. Owen Carrigan (professeur, département d'histoire, Université St. Mary's): Tout d'abord, je vous remercie de me permettre de vous faire un exposé.
Je suis historien social. J'enseigne l'histoire des problèmes sociaux et je m'intéresse tout particulièrement aux crimes et aux châtiments. En 1991, j'ai publié un livre sur l'histoire du crime et du châtiment au Canada et je viens de terminer l'ébauche d'un livre sur l'histoire de la délinquance juvénile et de son traitement au Canada. Le mémoire que vous avez sous les yeux, je pense, contient quelques passages de cet ouvrage. Je n'ai pas l'intention de passer tout le mémoire en revue aujourd'hui, mais je voudrais vous parler de ce qu'on y trouve à partir de la page 74 environ.
L'histoire montrera qu'après un siècle et demi de diverses tentatives liées aux lois, aux tribunaux, aux établissements et aux programmes, on n'a certes pas atteint les objectifs souhaités pour le traitement des jeunes délinquants. Autrement dit, la leçon que nous tirons de l'histoire, c'est que toutes ces mesures ont échoué pour ce qui est d'atteindre les objectifs souhaités.
Pendant toute cette période, et surtout depuis la Seconde Guerre mondiale, les crimes commis par les adolescents n'ont fait qu'augmenter. Ces dernières années, on a constaté une montée en flèche du nombre de crimes de violence, et les taux de récidive continuent d'être beaucoup trop élevés. Autrement dit, nous n'avons pas vraiment accompli grand-chose. Il est donc bien évident que la situation ne s'améliorera pas beaucoup si nous nous contentons de mesures du même genre. Je voudrais donc parler plutôt d'un changement de priorité. Je ne veux pas dire que nous devons abandonner le traitement, mais que nous devons insister avant tout sur la prévention.
Nous avons toujours consacré la plus grande partie de notre argent, de notre temps et de nos efforts au traitement plutôt qu'à la prévention. On a fait très peu dans le passé et on fait toujours très peu maintenant dans le domaine de la prévention. C'est de cela que je voudrais vous parler brièvement ce matin.
Je suis tout à fait prêt à discuter avec vous de la Loi sur les jeunes contrevenants et de n'importe quelle autre question. Je ne veux pas exclure tous ces sujets, mais je veux surtout vous parler de quelques idées qui sont ressorties de mes recherches sur la prévention.
La prévention n'est rien de nouveau. Je suis certain que bon nombre des témoins ce matin ont parlé de prévention. Malheureusement, le dialogue sur la prévention qui a commencé un peu partout dans le pays s'inscrit dans des paramètres théoriques qui se rapprochent beaucoup de ceux qui ont toujours guidé la politique relative au traitement.
On semble s'intéresser davantage aux solutions économiques, par exemple, et aux solutions environnementales. Si vous jetez un coup d'oeil sur les théories, programmes et politiques relatifs au traitement, au cours des années vous retrouverez exactement les mêmes paramètres.
Je voudrais donc examiner certaines choses qui sortent un peu de ce cadre. Ce ne sont pas de nouvelles idées. Dans certains cas, comme vous allez le voir, ce sont des approches plutôt simples, mais elles visent quand même à s'attaquer au problème fondamental.
Une chose que j'essaie de faire comprendre à mes étudiants au sujet des problèmes sociaux, c'est que si l'on ne comprend pas la nature du problème, les solutions qu'on peut trouver n'auront pas les résultats voulus. Il faut d'abord comprendre très bien le problème avant de songer aux solutions.
L'une des choses dont vous avez déjà entendu parler et dont je voudrais vous parler moi-même brièvement a trait aux soins donnés par les parents. De plus en plus d'études prouvent que le coeur du problème est relié aux soins fournis par les parents. Les problèmes sont au foyer; c'est de là qu'ils viennent. Les années les plus importantes sont la première jusqu'à la dixième, et les cinq premières années sont encore plus importantes que les autres. Il n'y a rien de nouveau à cela. Dans mon mémoire, vous trouverez des citations qui remontent à 1836 et qui disent que le problème fondamental vient du foyer.
Je voudrais préciser tout de suite que je veux parler du foyer et des soins parentaux plutôt que des conditions économiques à la maison. À cause de mes propres recherches et de mes propres études, je ne suis pas d'accord avec certaines analyses théoriques effectuées par les criminologues et les sociologues, qui, soit dit en passant, ont joué un très grand rôle pour ce qui est d'établir la politique sociale. Bon nombre de leurs théories ne sont pas vraiment basées sur les faits. Si vous voulez en discuter, je reviendrai volontiers là-dessus plus tard.
Les soins fournis par les parents, l'amour, la discipline, la stabilité, la morale et les valeurs. Ces choses sont absentes de bon nombre des foyers à problèmes. Les parents ne passent pas suffisamment de temps avec leurs enfants. Les parents ne montrent pas leur amour pour leurs enfants. Les parents n'imposent pas de discipline à leurs enfants.
Ce qu'il faudrait, c'est un programme positif pour montrer aux parents l'importance de ces choses et de leur rôle de parents et pour aider ceux qui ne savent pas comment faire à mieux se débrouiller.
Nous lançons des campagnes contre le tabagisme et la toxicomanie dans les écoles et les médias. On fait beaucoup pour cela. On se sert de toutes les technologies modernes. Cependant, une chose à laquelle on consacre très peu de temps, c'est comment devenir de bons parents. À mon avis, ce serait l'un des points de départ d'un programme de prévention.
Je parle très brièvement de chacun de ces points à cause du peu de temps dont nous disposons, mais nous pourrons revenir là-dessus si vous le voulez.
L'enseignement des valeurs: si vous lisez tous les textes sur la criminologie et la sociologie, vous ne trouverez sans doute aucune mention de l'enseignement de la morale et des valeurs comme moyens de prévention ou de réadaptation parce que ce sont des choses impossibles à quantifier. Les sociologues se concentrent sur le présent et sur les analyses quantifiées fondées sur les chiffres. C'est donc une chose qu'on a négligée jusqu'ici.
L'histoire de l'enseignement des valeurs est très intéressante. Auparavant, on enseignait les valeurs dans les écoles. Les manuels scolaires étaient remplis de choses qui enseignaient les valeurs. Les Églises exerçaient aussi beaucoup d'influence. Elles étaient au centre d'une bonne partie de la vie communautaire et d'un grand nombre d'activités pour les enfants. La communauté elle-même renforçait les valeurs, et le gouvernement aussi. Bon nombre de nos lois reflètent certaines valeurs.
Si l'on retourne en arrière, on constate que l'enseignement des valeurs était à peu près disparu des manuels scolaires dans les années quarante. La première génération à être touchée par la disparition de l'enseignement des valeurs dans les écoles a été celle à laquelle nous devons la révolution culturelle des années soixante et soixante-dix. Bien des faits montrent, et c'est aussi ce que disent bon nombre d'intervenants dans ce domaine, qu'une grande partie des adolescents qui commettent des infractions ou des crimes n'ont aucun sens de la morale ou des valeurs.
Si vous réfléchissez à votre propre expérience, vous verrez que c'est essentiellement pourquoi nous nous comportons comme nous le faisons. C'est une question de morale et de valeurs. Pourquoi cinq personnes vont-elles passer à côté d'une bicyclette sans rien faire alors que la sixième personne la volera? Les valeurs et la morale sont donc une partie intégrante de notre comportement et des raisons de notre comportement.
Selon moi, un pourcentage très élevé de délinquants juvéniles n'ont pas le sens des valeurs parce qu'ils sont les produits de la négligence. Ils viennent de foyers où l'on n'enseigne pas la morale ou le sens des valeurs, et c'est pour cela qu'ils deviennent antisociaux.
L'un des aspects très troublants des jeunes délinquants à notre époque, c'est qu'ils ne comprennent pas le tort qu'ils font. Dans bien des cas, ils ne manifestent aucun remords parce qu'ils ne comprennent pas qu'ils ont fait quelque chose de mal.
Il y a toutes sortes d'exemples d'adolescents qui commettent des crimes inimaginables et qui vont aller jouer au gymnase quelques minutes plus tard parce qu'ils n'ont pas le sentiment d'avoir fait quelque chose de mal. Même s'ils ont battu une vieille dame, ils n'ont pas le sentiment d'avoir fait quelque chose de mal.
Il serait très facile de rétablir l'enseignement des valeurs à l'école. Cela ne coûterait rien, et pourtant on ne le fait pas parce que c'est quelque chose qui suscite beaucoup d'opposition. L'argument qu'on invoque, c'est de savoir quelles valeurs il faut enseigner.
Il existe des valeurs universelles. Même si l'on n'a aucune conviction religieuse, il existe des valeurs universelles comme l'honnêteté, le respect, le compromis, l'appréciation de la valeur du travail, la discipline personnelle, la tolérance et la responsabilité. Ce sont là autant de valeurs qui n'ont rien à voir avec le fait d'aller à l'église le dimanche. Ce sont des valeurs communautaires universelles, et il serait très facile de les rétablir dans le système scolaire.
Il existe aux États-Unis, par exemple, des groupes qui ont beaucoup de succès à cet égard. Ils élaborent des trousses de matériel pédagogique pour l'enseignement des valeurs, et, dans les écoles où l'on s'en sert, les résultats sont très positifs.
L'établissement de pensionnats publics serait un autre moyen de contribuer énormément à la prévention et, dans le cas qui nous occupe, à la réforme. Un des gros problèmes auxquels se heurtent les jeunes en difficulté, c'est ce que j'appelle l'effet de yo-yo. C'est un phénomène qu'on remarque chez les très jeunes enfants qui sont retirés de leur foyer par l'Aide à l'enfance et qui y sont retournés pour en être retirés de nouveau, et ainsi de suite. Pensez-y. L'enfant est dans son foyer, puis il se retrouve en foyer d'accueil dans un autre quartier, il va à l'école de ce quartier pendant deux ou trois mois, puis il retourne chez lui, et il est de nouveau retiré de son foyer. Chaque année, c'est la même chose.
Au bout du compte, certains de ces enfants se retrouvent dans des centres de détention, et c'est exactement la même chose qui se produit. On les retire de leur quartier, on les met en détention pendant quelques semaines ou quelques mois. À l'heure actuelle, au Canada, les jeunes délinquants sont gardés en détention pendant moins de six mois en moyenne. Cela ne sert à rien du tout. On ne peut rien faire avec un jeune en un laps de temps aussi court; on ne fait que l'entreposer quelque part. Quand sa période de détention est terminée, que lui arrive-t-il? Il retourne d'où il est venu. Dans l'intervalle, selon le moment de l'année, il se peut qu'il ait été retiré de l'école du quartier pendant un certain temps ou qu'il ait été dans un centre de détention, ou il suivait peut-être un programme, mais pas forcément. Le cycle se poursuit indéfiniment.
J'ai lu une citation intéressante dans un article du magazine Time sur la délinquance juvénile... Il n'y a pas tellement longtemps de cela. Le jeune disait: «La maison est sale quand tu pars, et elle est sale quand tu reviens.» C'est ça le problème.
L'établissement de pensionnats permettrait de régler ces deux problèmes. Les riches ont toujours envoyé leurs enfants dans des pensionnats pour leur faire donner un bon enseignement axé sur la discipline et la stabilité. Voilà ce que l'on obtiendrait par l'établissement de pensionnats.
Les jeunes qui doivent être retirés de leur foyer pourraient être placés dans un établissement où il y aurait un programme d'études continu. Les liens familiaux ne seraient pas brisés. Le contact parent-enfant pourrait être maintenu. Le parent pourrait rendre visite à l'enfant. L'enfant pourrait rentrer chez lui pendant les congés scolaires. D'autres organismes sociaux pourraient alors prendre la relève pour l'aider à régler ses problèmes quand il se retrouverait dans son foyer.
Quand les problèmes seraient réglés, si tant est qu'ils puissent être réglés, l'enfant pourrait réintégrer son foyer, à condition qu'on ait l'impression que les problèmes ont été réglés de façon permanente. Sinon, l'enfant pourrait continuer à résider au pensionnat aussi longtemps qu'il le faudrait.
Ainsi, les jeunes ne seraient plus soumis à l'effet de yoyo. Ils obtiendraient un enseignement de première qualité. Ils auraient des possibilités d'avenir. S'ils ont des troubles de personnalité, des troubles psychologiques ou des difficultés d'apprentissage, il serait possible de s'y attaquer au pensionnat parce que l'enfant se retrouverait dans un milieu stable où il retournerait année après année. Il grandirait dans un milieu qui favoriserait son épanouissement - par la musique, l'art, la culture, et par un enseignement solide dans un milieu de première qualité - et il pourrait, au besoin, faire toutes ses études au pensionnat.
Le jeune qui est retiré de l'école et mis dans un centre de détention parce qu'il a commis quelque infraction pourrait être inscrit à une école privée au lieu d'être retourné dans son foyer. Encore là, les avantages seraient nombreux. Il n'en coûterait pas plus cher et il en coûterait même moins cher que de les confier, selon le cas, aux organismes d'aide sociale ou au système de justice pénale.
Il y a aussi un autre aspect qui présente des possibilités des plus intéressantes et qui n'est jamais abordé: l'utilisation des écoles pour les loisirs. Dans chaque quartier ou presque, il y a une école, et pourtant l'école ferme ses portes dès que les classes sont terminées.
L'école est là pour être utilisée. On pourrait y présenter des programmes après les heures de classe et la fin de semaine. On pourrait y offrir toute une gamme de programmes: programmes préparatoires, cours de musique, activités sportives, soutien pédagogique aux élèves ayant besoin d'une aide particulière, ateliers de bricolage et d'artisanat, et que sais-je encore. Tous ces jeunes qui, de nos jours, n'ont personne au foyer avant 5 heures ou 6 heures du soir auraient ainsi un endroit où ils pourraient aller s'amuser.
Les jeunes aiment bien flâner avec d'autres jeunes. Ils se retrouvent dans les centres commerciaux parce qu'ils n'ont pas d'autre endroit où ils peuvent se retrouver entre eux. Si les écoles étaient ouvertes et qu'on y offrait des programmes comme ceux dont j'ai parlé, les jeunes pourraient rester à l'école. Dans bien des cas, leur attitude s'en trouverait améliorée de beaucoup. Cela serait d'autant plus utile dans le cas des jeunes pour qui l'école buissonnière et les actes de délinquance présentent un attrait, car ils auraient ainsi une attitude bien plus favorable envers l'école. Beaucoup de leurs problèmes s'en trouveraient atténués. Ils pourraient se retrouver avec leurs amis dans un milieu sûr où ils ne risqueraient pas de se mettre dans le pétrin.
La fin de semaine, les parents et les jeunes pourraient participer à des activités sportives, théâtrales et musicales à l'école.
L'argument qu'on entend le plus souvent, c'est que cela coûterait trop cher, qu'on ne peut pas s'attendre à ce que les enseignants restent après les heures de classe pour s'occuper de ces programmes et que les écoles n'ont pas les moyens d'embaucher des surveillants. Alors, comment pourrait-on s'y prendre? La solution est simple. Dans chaque localité, il y a une population importante de retraités qui ont 55 ans et plus. Ces gens-là ont des antécédents et des compétences très variés. Certains s'y connaissent en musique, d'autres sont enseignants et d'autres encore s'adonnent à un passe-temps en particulier. Le plus souvent, ces gens-là constituent une ressource inexploitée. On les case tout simplement dans des foyers pour aînés et on les oublie là. Ils s'ennuient et n'ont rien à faire. Ils ne demanderaient pas mieux que de s'occuper à l'occasion d'activités destinées aux jeunes. Nous avons donc un bassin de personnes compétentes. En mettant ensemble dans les écoles des jeunes et des retraités, on pourrait avoir des programmes réussis.
Enfin, je veux vous parler des couvre-feux. À une autre époque, la plupart des villes ou villages avaient un couvre-feu. Un des gros problèmes qui se posent, quelle que soit la localité... Je suis sûr que, si vous êtes allés au restaurant hier soir à Halifax, vous auriez pu vous promener dans n'importe quelle rue ou presque et trouver des jeunes de 9, 10 ou 11 ans qui étaient encore dans la rue à 11 heures et à minuit, et même plus tard que cela. Manifestement, les parents ne font pas leur travail.
Si toutefois il y avait à tout le moins un couvre-feu dans chaque localité, qui pourrait varier en fonction de l'âge, les jeunes ne pourraient pas flâner dans la rue tard le soir. Même si les parents n'étaient pas à la maison ou négligeaient leurs enfants, on ne trouverait pas les enfants dans la rue en tout cas. Bien souvent, les problèmes qui se posent, surtout le trafic de drogue et la prostitution, sont attribuables au fait que les jeunes se trouvent dans la rue tard le soir.
Je voulais simplement aborder brièvement certaines de ces idées pour vous montrer qu'il serait possible de mettre sur pied des programmes très simples qui nous permettraient de nous attaquer aux véritables racines du problème. Ces programmes pourraient jouer un rôle à la fois de prévention et de rééducation. Comme je l'ai dit, il ne faut pas conclure pour autant qu'il faut éliminer les programmes de traitement, mais c'est simplement qu'il faut mettre l'accent ailleurs.
Je m'arrête là, et je serai heureux de discuter avec vous de certains de ces points.
La présidente: Merci, monsieur Carrigan.
Madame Venne, pour un tour de questions de 10 minutes.
[Français]
Mme Venne: Monsieur le professeur, vous suggérez de nouveaux moyens. Quant à moi, vous vous référez à des choses assez archaïques. Vous parlez du couvre-feu, ce qui n'est certainement pas nouveau. Vous parlez des pensionnats; cela non plus n'est pas nouveau. Vous parlez également d'un programme obligatoire de counselling auquel le jeune ne pourrait pas refuser de participer. Je sais que cela a été écrit avant l'adoption du projet de loi C-37, puisque maintenant, le jeune serait obligé de le suivre.
Vous dites également que ce sont des solutions simples, mais, quant à moi, elles sont très onéreuses. Vous dites, en ce qui a trait à l'application d'un couvre-feu, que cela va certainement demander du personnel supplémentaire. Si on veut mettre les jeunes dans des pensionnats publics, il y aura encore des coûts, etc.
Ce serait la société idéale, mais malheureusement, ce n'est pas réaliste. Je vous avoue honnêtement que c'est mon opinion. Sur un plan philosophique, je suis d'accord, mais dans la pratique, non.
Vous dites également que les jeunes ne peuvent tirer profit des programmes de réadaptation parce qu'ils ne sont pas incarcérés assez longtemps. On sait très bien que ce n'est pas la longueur du temps d'incarcération qui compte, mais beaucoup plus ce qu'il y a à l'extérieur, ce qui les attend quand ils retournent à la maison. Vous le dites vous-même, mais il y a une certaine dichotomie dans votre pensée à cet égard.
Voilà mes commentaires. Je tenais à vous en faire part. Si vous voulez commenter, cela me fera plaisir de vous écouter.
[Traduction]
M. Carrigan: Oui, j'aurais quelques observations à faire. Comme je l'ai indiqué dans mon exposé préliminaire et dans mon mémoire, ces idées ne sont effectivement pas nouvelles. La différence, c'est qu'on reprendrait ces notions très anciennes, mais on le ferait de manière à régler les problèmes qui se sont posés quand elles ont été mises en oeuvre à l'origine.
Tout d'abord, le pensionnat ce n'est pas du tout la même chose que les anciennes écoles industrielles, qui étaient les seules écoles du genre autrefois. Il n'y a jamais eu de pensionnat. Ce que nous avions, c'était des écoles industrielles, qui étaient ni plus ni moins que des centres de détention. La formule du pensionnat n'a jamais été mise à l'essai chez les délinquants juvéniles.
C'est une formule qui marcherait puisqu'elle marche dans le cas des enfants des riches. Je sais que, dans ma localité, certains enfants étaient envoyés au pensionnat parce qu'ils avaient des problèmes. Leurs parents avaient les moyens de les envoyer au pensionnat. Le pensionnat, quand il est doté d'un personnel compétent, peut en fait être une expérience très profitable. Je suis sûr qu'il vaut beaucoup mieux mettre l'enfant au pensionnat que de le mettre en foyer d'accueil, de le retourner chez lui dans un milieu familial inacceptable, de le remettre en foyer d'accueil et ainsi de suite comme s'il s'agissait d'un yo-yo. Le pensionnat serait certainement une bonne expérience.
Qu'y a-t-il de mal à imposer un couvre-feu? Oui, nous avions des couvre-feux autrefois. Ils étaient efficaces, et ils le sont toujours. Aux États-Unis, on fait l'essai de couvre-feu et de programmes visant à attirer l'assiduité à l'école, et les résultats sont bons. Ces programmes ont considérablement réduit la délinquance juvénile dans les localités où ils sont à l'essai - les preuves sont là - parce que les jeunes ne sont plus dans la rue et ne se mettent pas dans le pétrin.
Quand j'ai dit que l'incarcération ne profite pas aux jeunes, c'est que les preuves sont des plus convaincantes. Le problème ne tient pas tellement au fait que les jeunes soient incarcérés; c'est plutôt que, quand le jeune a atteint l'âge de 14, 15 ou 16 ans et qu'il commet une infraction assez grave pour qu'il soit mis en détention, les données statistiques indiquent qu'il y a déjà longtemps qu'il a des accrochages avec les autorités. On ne peut donc pas s'attendre à ce que l'enfant, une fois qu'il a atteint l'âge à partir duquel il peut être incarcéré et qu'il a depuis déjà longtemps des démêlés avec les autorités, puisse, tout d'un coup, en l'espace de deux ou trois mois, modifier complètement son comportement.
Pendant plus de 100 ans, les réformistes ont soutenu que l'incarcération devrait être remplacée par l'obligation de participer à un programme, au lieu que le jeune soit obligé de passer un certain temps en détention. Il faudrait qu'il suive un programme qui réponde à ses besoins tels qu'ils ont été définis. Il faut essayer de corriger leur comportement. On ne peut pas savoir combien de temps cela prendra. On ne sait même pas s'il est possible de corriger leur comportement. Dans certains cas, le simple fait d'être mis dans un établissement permettra de corriger les comportements. L'enfant sortira de là et ne commettra jamais plus d'infraction. Dans d'autres, il est possible qu'on n'arrive jamais... Je crois que nous sommes tous assez réalistes pour comprendre qu'on ne pourra pas ainsi éliminer la criminalité chez les jeunes. On ne pourra pas éliminer les problèmes sociaux.
Je m'inscris donc faux contre l'évaluation que vous faites. Si j'avais plus de temps, je crois que je pourrais vous présenter des preuves historiques des plus convaincantes qui infirmeraient vos conclusions.
Mme Venne: Vous avez dit qu'il n'y avait pas de pensionnat pour les jeunes contrevenants autrefois. Je dois vous dire qu'il y en avait au Québec. C'est ce que nous appelions les écoles de réforme. Je ne sais pas comment cela se dit en anglais, mais...
Une voix: Reform schools.
Mme Venne: Le terme est le même. Nous avions donc de ces écoles qui correspondent exactement à celles dont vous parliez. C'est le même type d'école. Il y en avait une à Boscoville, au Québec. Peut-être qu'il n'y avait pas de ces écoles ailleurs.
[Français]
Pour le couvre-feu, vous dites ce qui ne va pas dans cela. Ce qui ne va pas, c'est l'application. Comment va-t-on appliquer cela? À moins que vous ayez ici des ressources vraiment extraordinaires que je ne connais pas, je ne vois pas comment on pourrait l'appliquer. Cela demande énormément de monde. Voilà pourquoi je ne suis pas en faveur du couvre-feu.
[Traduction]
M. Carrigan: Je connais l'établissement de Boscoville et les centres de détention du Québec.
Le pensionnat - n'oubliez pas que je parle ici du concept - est un établissement de prévention destiné aux enfants de foyers dysfonctionnels, où ils sont maltraités et où ils ont des problèmes. Il s'agit, non pas de traitement, mais de prévention.
Boscoville était une expérience de réadaptation visant la délinquance juvénile. Ce n'était pas un établissement de prévention. C'était un établissement de détention et de correction. Vous n'avez qu'à lire les documents historiques pour vous en rendre compte.
Les autres établissements étaient aussi du même type. Les écoles industrielles qui existaient au Québec et qui étaient par exemple dirigées par des ordres religieux ne différaient pas, ni par leurs programmes ni par leurs objectifs fondamentaux, des écoles industrielles qui existaient en Ontario ou dans les autres provinces. Ces écoles accueillaient principalement, et dans certains cas uniquement, des délinquants juvéniles.
L'objectif premier de ces pensionnats serait d'accueillir, non pas les délinquants juvéniles, mais les enfants qui auraient besoin de se retrouver temporairement dans un milieu meilleur que leur milieu familial; il pourrait s'agir également de délinquants juvéniles qui sortiraient de centres de détention.
Pour ce qui est du couvre-feu, nous revenons de plus en plus à la formule de la police sociopréventive. De nos jours, les policiers patrouillent dans les rues. Nous avons aussi ce qu'on appelait autrefois des agents de discipline. Les ressources existent. Dans la plupart des localités, ce ne serait pas très difficile pour les policiers, puisqu'ils patrouillent les rues de toute façon, de repérer les groupes de jeunes qui se trouveraient dans la rue le soir. Même si les policiers font leur patrouille en voiture, ce ne sera pas un problème pour eux.
Vous soulignez - vous y revenez souvent et vous avez raison de le soulever - la pénurie de ressources. La question finalement est de savoir à quoi doivent servir les ressources que nous avons: voulons-nous nous en servir pour intervenir après coup - c'est ce que nous faisons depuis un siècle et demi dans le cas des programmes de traitement - ou voulons-nous plutôt nous en servir pour la prévention? Je peux vous donner l'assurance que la prévention coûte beaucoup moins cher et qu'elle est bien plus profitable à bien des égards que le traitement.
[Français]
Mme Venne: Je suis d'accord sur la prévention, mais peut-être pas de la façon dont vous la voyez.
[Traduction]
La présidente: Monsieur Ramsay, dix minutes.
M. Ramsay: Je souscris à beaucoup des propos que vous avez tenus ce matin. Ils sont très justes à mon avis. Je crois que, tant que nous ne commencerons pas à nous attaquer aux véritables causes du problème... Vous parlez de réinstituer les valeurs et le sens moral, non pas seulement au foyer, mais dans les écoles, les églises, dans les clubs de scouts ou de louveteaux, de manière à renforcer ce qui se fait au foyer.
J'ai connu des enfants qui, bien qu'ils n'aient pas eu ce genre d'éducation au foyer, ont acquis un certain sens moral à l'école, à l'église ou dans un groupe ou une association quelconque, comme les scouts ou les guides. Ainsi, même s'il n'y a pas d'éducation morale au foyer, l'enfant peut être initié aux valeurs humaines et sociales. Les lacunes du foyer peuvent toujours être comblées par le policier du quartier, par un enseignant ou par un ministre du culte.
J'ai été policier pendant 14 ans. Dans certaines des localités où j'ai travaillé, il y avait un couvre-feu. Le couvre-feu est le symbole d'une société qui veut aider les parents à jouer leur rôle auprès de leurs enfants et à les élever dans un milieu où il y a un certain sens de la discipline et où les valeurs et le sens moral ont leur importance.
Ainsi, il ne fait aucun doute que nous devons commencer à affecter beaucoup plus de nos ressources à la prévention que nous ne le faisons à l'heure actuelle. La question est de savoir comment nous pouvons nous y prendre. Vous proposez la formule du pensionnat.
Nous avons deux filles et deux fils. Nos deux filles sont allées à l'université. L'une d'elles a choisi la formule du pensionnat. Elle est allée vivre sur le campus où il y a des règles à respecter. Les règles sont rigoureusement appliquées. L'expérience a été entièrement positive. Elle a d'elle-même accepté de se conformer aux règles et aux règlements. Il y a maintenant deux ans qu'elle est là et elle a l'intention de continuer à vivre sur le campus l'an prochain.
Il faut donc examiner la formule du pensionnat comme un concept global. Quand vous parlez de pensionnat, certains pourraient trouver cela inquiétant, mais le concept, tel que vous nous l'avez expliqué, se défend très bien.
Je veux lire le texte que vous nous avez présenté. J'espère que ce que vous nous avez dit se trouve dans votre mémoire, car il me semble que c'est très important.
Le directeur de l'établissement de Sydney Mines nous a dit - je crois que c'était lundi ou mardi - que ce qui permet de modifier complètement le comportement des jeunes - ce sont surtout des décrocheurs, puisque les jeunes contrevenants ne sont pas tellement nombreux - , c'est l'attention et l'affection qu'on leur prodigue. Ils veulent revenir. Le centre a une liste d'attente de jeunes qui demandent à être sur la liste.
Il y en a un, semble-t-il, qui a téléphoné 116 fois pour pouvoir être admis dans ce centre où on donne aux jeunes une éducation morale qu'ils ne reçoivent pas au foyer. Les jeunes nous ont dit que, quand ils se réveillent le matin, ils sont impatients de se rendre au centre.
J'aurais sans doute des questions, mais étant donné que j'ai 10 minutes seulement, je ne pourrais pas en formuler qui puissent mettre en doute ce que vous dites. Je tiens à vous assurer que vous avez mon appui et celui des membres de mon groupe parlementaire pour les grandes lignes de ce que vous nous avez exposé ce matin. Je tiens à vous en remercier.
M. Carrigan: J'ai une courte observation à ajouter au sujet du pensionnat. Vous avez parfaitement raison de dire que quand on parle de pensionnat, les gens pensent aussitôt au modèle du pensionnat traditionnel. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit ici.
M. Ramsay: Vous pourriez peut-être le désigner par un terme différent.
M. Carrigan: Collège Perspectives.
Des voix: Ah, Ah.
M. Carrigan: Il s'agit donc d'un tout autre modèle, et la clientèle n'est pas la même. Un des problèmes qui se posent, et je suis sûr que vous vous en rendez compte partout où vous allez, c'est que le système de justice pénale est, depuis toujours ou presque, très politisé. Parmi ceux qui ont été nommés au fil des ans, beaucoup l'ont été pour des raisons autres que leurs compétences.
M. Ramsay: J'ai effectivement une question à vous poser. C'est une question que j'ai posée au directeur et au personnel de Sydney Mines juste avant de monter dans l'autobus.
Notre système de justice pénale représente des dépenses de 10 milliards de dollars. Les sommes affectées aux diverses composantes du système sont énormes. Je crains qu'au fur et à mesure que les programmes comme ceux de Sydney Mines, qui comportent certains aspects du modèle que vous proposez, prennent leur vitesse de croisière et que nous réussissons à détourner de plus en plus de jeunes du système de justice pénale, nous nous heurterons à la résistance de ceux qui ont intérêt à ce que le système soit maintenu. Quand je leur ai parlé, les gens de Sydney Mines m'ont d'ailleurs dit qu'ils commençaient déjà à se heurter à ce genre de résistance.
J'aimerais que vous nous disiez ce que vous en pensez. D'où viendra la résistance à ce modèle fondé sur le bon sens que vous proposez et qui a donné des résultats par le passé?
Ce que vous proposez a déjà été efficace. Vous nous dites que nous devrions revenir à ce qui marchait par le passé. Je crois que c'est un bon conseil plein de bon sens.
Néanmoins, ce que vous dites au sujet du couvre-feu et des valeurs auxquelles il faudrait revenir dans les manuels scolaires se heurtera à une certaine résistance. Je comprends ce que vous dites pour en avoir fait moi-même l'expérience. Je me souviens de l'époque où, dans nos manuels scolaires, il était question de valeur et de sens moral. Pensez-vous qu'il y ait une certaine résistance à cette possibilité et, dans l'affirmative, d'où vient cette résistance?
M. Carrigan: La résistance est incontournable étant donné que le système actuel est entièrement conçu en fonction d'une analyse et de principes fondamentalement différents.
Je propose notamment qu'on remplace les criminologues et les sociologues par des historiens quand il s'agit de nommer des gens à des commissions et à des groupes de décision. Voilà d'où vient en partie le problème quand il s'agit de décider de nos grandes orientations.
Vous avez entendu le témoin de ce matin parler d'étiquetage. Les criminologues expliquent la criminalité par l'existence du capitalisme, de l'étiquetage, de l'anomie et des conflits de classes. Ce sont autant d'éléments qui, sur le plan strictement historique, n'ont absolument rien à voir avec le problème, mais les politiques gouvernementales sont établies en fonction de la perception selon laquelle il y aurait un effet.
Si vous lisez les documents qui vous seront remis au cours de vos déplacements dans les différentes régions du pays, vous constaterez que la plupart proviennent de ce milieu-là, du milieu des sociologues et des criminologues. Il existe une certaine façon de voir les choses, une idéologie, qui est reflétée dans les analyses qui vous sont présentées.
On pourrait aussi mettre les choses en branle en proposant des projets pilotes. Mais c'est une formule que vous connaissez bien, j'en suis sûr. Si la chose était bien présentée, sous forme de projet pilote, le gouvernement serait prêt à accorder son aide financière. On pourrait ainsi imposer un couvre-feu dans certaines localités à titre d'essai. Dans certains endroits, les anciens sifflets fonctionnent toujours. Il serait intéressant de lancer quelques projets pilotes. Il y en a déjà aux États-Unis, et on en connaît les résultats, mais je ne sais pas s'il y en a au Canada.
Il serait intéressant d'établir un pensionnat à titre expérimental. Dans la seule ville de Halifax, au cours de la dernière année, deux établissements importants ont été fermés et on aurait pu en faire de magnifiques pensionnats. On aurait pu ainsi offrir un milieu de première qualité à des enfants venant de milieux familiaux inacceptables ou de foyers dysfonctionnels, c'est-à-dire aux enfants de la rue.
Il n'en coûterait pas grand-chose. En règle générale, les projets pilotes ne suscitent pas beaucoup d'opposition, parce qu'il est difficile de trouver des raisons légitimes de s'y opposer. Mais vous avez parfaitement raison de dire que, si nous essayions de changer complètement l'orientation du système, nous nous heurterions fortement à une vive opposition étant donné le nombre de ceux qui voudraient protéger leur intérêt. C'est ce qui se produit dans le cas des systèmes scolaires. On a complètement aseptisé l'enseignement moral parce que tout le monde s'est mis à se quereller sur le choix des valeurs à enseigner. À cela, nous pouvons maintenant répondre qu'il existe des valeurs universelles, des valeurs étatiques.
La présidente: Merci. Monsieur Wells, dix minutes.
M. Wells: Merci pour votre exposé, monsieur Carrigan. Comme l'a indiqué M. Ramsay, nous l'avons effectivement reçu à l'avance. Je l'ai lu en partie, mais j'avoue ne pas l'avoir lu en entier.
Je veux vous poser une question en ce qui concerne la Loi sur les jeunes contrevenants en tant que telle. La plupart des programmes et des mesures que vous proposez dépassent le cadre de Loi sur les jeunes contrevenants. Il s'agit soit de programmes d'intervention précoce, dont nous avons beaucoup entendu parler, soit d'une réaffectation de fonds, soit d'autre chose encore.
Qu'en est-il de la Loi sur les jeunes contrevenants en tant que telle? Y a-t-il des modifications qui, à votre avis, pourraient être apportées à cette loi et qui irait dans le sens des propositions que vous faites?
M. Carrigan: Le problème, quand il s'agit de lois, c'est qu'elles n'ont d'effet que dans la mesure où elles sont bien appliquées. Il n'y a pas vraiment beaucoup de différence entre la Loi sur les délinquants juvéniles et la Loi sur les jeunes contrevenants, et il n'y a pas tellement de différence non plus dans les résultats.
Les seules améliorations qui pourraient être apportées à mon avis viseraient l'inclusion dans la loi en tant que telle de mesures visant à en assurer l'application, car trop souvent aucune mesure d'application n'est prévue. Ainsi, la loi ne fixe même pas les paramètres des programmes offerts dans les centres de détention.
Il est intéressant de s'entretenir avec les personnes qui travaillent dans des établissements comme celui de Waterville. Ma fille et mon gendre travaillent tous deux à Shelbburne, par exemple. Je crois que vous connaissez l'établissement de Shelburne. Il est très intéressant de connaître le point de vue de ceux qui travaillent dans ces établissements quand il s'agit de savoir pourquoi on n'obtient pas les résultats escomptés, pourquoi on ne réussit pas à corriger de façon appréciable le comportement des jeunes et ce qui se passe dans certains de ces établissements.
Il est très intéressant de parler à quelqu'un comme cet ami à moi dont la fille travaille à Waterville; on comprend beaucoup mieux. Je crois que la plupart des employés, par opposition aux jeunes contrevenants d'un côté et aux membres de la direction de l'autre, vous diront que les programmes ne sont pas bien organisés, qu'ils ne sont pas efficaces, qu'ils ne sont pas complets et que les lacunes sont systématiques. Si vous y pensez bien, la loi n'a guère d'effet si elle ne prévoit pas de mesures visant à en assurer l'application. D'après les recherches que j'ai faites, le problème se résume au fait que la loi en tant que telle n'a sans doute aucun effet appréciable ni dans un sens ni dans l'autre.
Je crois que la Loi sur les jeunes contrevenants est surtout critiquée pour son indulgence excessive, en ce sens qu'elle donne à penser que les infractions graves ne sont pas tellement différentes des infractions mineures et que, par conséquent, les sanctions sont à toutes fins utiles les mêmes. C'est sans doute une critique fondée.
Le message qui est transmis aux jeunes en ce qui concerne les sanctions... Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, ils sont généralement en détention moins de six mois en moyenne. On ne peut rien faire en un laps de temps aussi court. D'après bon nombre des études qui ont été faites sur les effets de l'incarcération, il semble que les résultats seraient les mêmes si les jeunes contrevenants n'avaient pas été incarcérés. Les résultats en bout de ligne, les taux de récidivisme, etc., ne seraient pas tellement différents.
Il est donc extrêmement difficile d'offrir des solutions surtout dans le contexte exclusif de la législation. Il est évident par contre que le véhicule des sanctions, c'est la législation. Il ne fait aucun doute, et encore une fois c'est une question de valeurs et de morale, que pour d'aucuns les sanctions sont un instrument de dissuasion. Cela ne fait aucun doute. Suggérer que les sanctions ne sont pas un instrument de dissuasion serait nier une certaine évidence. Par contre, savoir quel est leur poids véritable, c'est une autre affaire. Je ne pense pas que nous ayons encore suffisamment de données pour pouvoir le déterminer. Je crains que cela ne vous aide pas beaucoup.
M. Wells: Si, beaucoup. Cela renforce nombre de propos que nous avons entendus aujourd'hui, à savoir que les problèmes se situent plus au niveau de l'application que de la loi elle-même, bien qu'elle nécessite quelques petites améliorations. L'intention est probablement la bonne mais elle ne suffit pas à elle seule à régler nos problèmes concernant les jeunes contrevenants. Ces problèmes dépassent largement le cadre de la loi elle-même. J'ai l'impression que c'est peut-être ce que vous dites et je suis d'accord avec vous.
M. Gallaway: Professeur Carrigan, je suis Ontarien et quand vous parlez d'approche fondée sur le bon sens, j'ai quelques sueurs froides car comme vous ne l'ignorez peut-être pas, en Ontario nous vivons actuellement une révolution dite de bon sens.
M. Carrigan: En Nouvelle-Écosse aussi.
M. Gallaway: Vous avez commencé par faire la distinction générale entre la prévention et le traitement. Mais pour le grand public, il semble logique - donc dicté par le bon sens - que c'est le traitement qui est préventif. En d'autres termes, traitons les jeunes contrevenants d'une manière particulière, ça se saura et cela deviendra préventif.
A-t-on la preuve que traiter plus durement les jeunes délinquants - je ne parle pas de châtiments corporels ni d'incarcération pendant des périodes indéfinies - par exemple, en prononçant des sentences plus importantes et en publiant leurs noms, n'a aucun effet?
M. Carrigan: Pas vraiment. Il n'y a pas grand-chose qui prouve qu'un traitement plus dur donne de meilleurs résultats ou d'un autre côté qu'un traitement plus indulgent en donne non plus. Je crois qu'en l'occurrence c'est pratiquement une question de jugement personnel. Je reviens à ce que je disais à Derek au sujet du concept de dissuasion. La dissuasion est une réalité et elle marche.
Par contre, dans quelle mesure marche-t-elle, nous ne le savons pas. C'est comme à la maison. Quand votre père vous interdit de faire une certaine chose ou c'est la fessée, vous pouvez toujours courir le risque et si la fessée n'arrive pas cela veut dire une chose. Par contre si la fessée arrive vous ne voudrez peut-être pas courir ce risque une deuxième fois. Il y a donc un effet dissuasif.
Mais pour en revenir au public, cependant, encore une fois je crois que nous nous fondons sur une analyse assez générale. Quand vous questionnez le public, vous n'avez une réponse qu'à la question que vous lui posez. Il est intéressant de noter que si vous lui demandez ce qu'il faudrait faire au sujet de la Loi sur les jeunes contrevenants et si les jeunes contrevenants devraient être punis plus sévèrement, si vous allez au-delà de certaines des questions dont j'ai parlé, le soutien est assez général.
Les sondages montrent par exemple que le public est favorable au retour de l'éducation morale à l'école. Je ne parle pas d'éducation religieuse. Je parle d'éducation morale, de l'enseignement de valeurs universelles. Le public est favorable à l'éducation des parents. Je suis sûr par exemple qu'il serait favorable à l'ouverture de l'école à d'autres activités. En fait, je pense qu'il y serait très favorable car les parents qui travaillent et les parents célibataires vous diront qu'un de leur plus gros problème est cette période de la journée où leurs enfants sont pratiquement livrés à eux-mêmes.
Les bibliothèques sont pleines après l'école et non pas nécessairement des élèves qui y vont pour faire leurs devoirs et leurs recherches, mais ceux qui s'y sentent en sécurité jusqu'à ce que leurs parents rentrent à la maison. Malheureusement, les centres commerciaux sont également envahis après l'école pour pratiquement les mêmes raisons.
Je crois donc que si vous sondiez l'opinion publique et que vous lui demandiez si elle est d'accord pour qu'on consacre plus d'argent à la prévention, l'approbation serait assez massive.
M. Gallaway: J'ai encore une toute petite question à vous poser. En Nouvelle-Écosse... Je suppose que c'est le milieu que vous connaissez le mieux.
M. Carrigan: Oui.
M. Gallaway: Qu'est-ce qui empêcherait une municipalité d'adopter un arrêté fixant à 21 heures le couvre-feu pour tous les moins de 16 ans?
M. Carrigan: Rien. En fait ce genre d'arrêté doit probablement encore figurer dans les règlements de nombre de communautés mais plus personne ne l'applique.
M. Gallaway: Selon vous, une municipalité pourrait remettre un de ces arrêtés au goût du jour et dire qu'après 21 heures toute personne de moins de 16 ans...
M. Carrigan: C'est une notion contestée.
M. Gallaway: Je comprends.
M. Carrigan: Certains estiment que c'est une atteinte aux droits des jeunes. Je ne sais pas. Un enfant de huit ans a-t-il le droit d'être dans la rue à 1 heure du matin? C'est le genre de question que cela soulève.
La présidente: Professeur Carrigan, merci beaucoup. Vous nous avez donné beaucoup matière à réflexion. Encore une fois nous vous remercions de nous avoir accordé votre temps.
M. Carrigan: Et réciproquement.
Mme Clancy: Avant que le professeur Carrigan ne s'en aille, madame la présidente, puis-je faire une suggestion? Hier nous avons entendu M. Lutes, le procureur de la Couronne qui est membre du groupe de travail du ministre de la Justice dans ce domaine. Ce ne serait peut-être pas une mauvaise idée de communiquer le mémoire du professeur Carrigan, que nous étudierons, à M. Lutes pour qu'il l'étudie lui aussi en sa capacité de membre de ce groupe.
La présidente: Certainement. Merci beaucoup, professeur Carrigan.
Nous ferons une pause d'une ou deux minutes jusqu'à l'arrivée de notre prochain témoin.
La présidente: Nous recommençons. Nous recevons Joyce McCardle de la Prince Edward Island Teachers Federation. Bonjour, Joyce. Nous sommes un peu étourdis... enfin, certains d'entre nous ne sont jamais étourdis mais pour d'autres cela leur arrive une fois de temps en temps.
Mme Joyce McCardle (présidente, Prince Edward Island Teachers Federation): Tout d'abord, j'aimerais vous remercier de m'avoir permis d'être présente en Nouvelle-Écosse en février et cette fois-ci. J'étais à Ottawa quand vous avez entendu les témoins de l'Île-du-Prince-Édouard et je vous suis reconnaissante de m'avoir autorisée à vous présenter mon mémoire avec les témoins de Nouvelle-Écosse.
N'ayez pas d'inquiétudes, mon intention est de suivre mot à mot le texte du mémoire qui vous a été communiqué. Je ne m'écarte jamais de la norme.
La Prince Edward Island Teachers Federation représente approximativement 1 600 enseignants qui oeuvrent au sein du réseau scolaire public de l'Île-du-Prince-Édouard. Ces enseignants se soucient beaucoup des enfants qui connaissent des difficultés dans leur vie, et les jeunes qui sont soumis à l'application des dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants nous inquiètent particulièrement.
Au nom des enseignants de l'île, je tiens à exprimer ma reconnaissance pour cette occasion qui nous est offerte de vous parler brièvement aujourd'hui et de vous faire part de nos inquiétudes.
Lorsqu'on traite de la question des jeunes qui éprouvent des difficultés de comportement dans notre société, on doit tenir compte du fait que leur comportement reflète d'une manière importante le contexte dans lequel ils ont grandi. Une diversité de facteurs ont influé sur leur comportement. On ne peut les blâmer ou les tenir responsables des gestes qui ont mené à leur entrée dans le système judiciaire du pays. Avec un peu plus de vraie justice dans leur vie, ils ne seraient peut-être jamais devenus des statistiques du système judiciaire.
On doit aussi reconnaître que les jeunes ne peuvent parvenir seuls à modifier un comportement inacceptable. Il est essentiel que les ressources communautaires s'unissent afin de créer un nouvel environnement de soutien, de manière à ce que les jeunes puissent apprendre à changer les comportements qui sont inacceptables.
Ce regroupement essentiel des ressources communautaires n'aura lieu que lorsque la communauté reconnaîtra sa responsabilité de réadapter les jeunes. Ce n'est que par la connaissance d'une telle responsabilité que le partage nécessaire de renseignements et de ressources aura lieu afin de permettre aux jeunes en détresse d'obtenir le soutien dont ils ont besoin. L'acceptation d'une responsabilité collective ouvre la voie à une vaste gamme de moyens de soutenir les jeunes, et pourrait bien réduire le nombre de ces derniers qui se font incarcérer ou qui récidivent.
Les enseignants de l'Île-du-Prince-Édouard ont toujours été prêts à accepter leur part de responsabilité, et le sont encore. Je crois que c'est essentiellement une question de prévention. Je sais que vous discutez de la Loi sur les jeunes contrevenants, mais je ne pense pas qu'on puisse en parler isolément sans parler un peu de prévention.
La prévention de la criminalité chez les jeunes est une question des plus complexes: il n'y a pas de solution facile. Par le passé, on a mis l'accent sur le traitement et la réadaptation des jeunes contrevenants après leur incarcération. On doit se concentrer beaucoup plus sur les causes premières de la criminalité chez les jeunes. Des efforts doivent être déployés afin de réduire l'influence et les répercussions de ces facteurs qui mènent les jeunes à la délinquance.
On ne doit plus laisser d'enfants et de jeunes vivre dans la pauvreté, victimes de violence et laissés à eux-mêmes, et s'attendre à ce que la question de la criminalité chez les jeunes soit réglée efficacement. Nous ne pouvons plus simplement déclarer que nos enfants sont notre plus précieuse ressource, nous devons agir en conséquence.
Il ne sera pas suffisant que les systèmes judiciaires scolaire et social partagent les ressources afin de mieux venir en aide aux enfants et aux jeunes en difficulté. Des efforts réels doivent être déployés afin de mettre fin à la pauvreté chez l'enfant et à la violence dans notre société. Pour cela, nous devons concevoir des stratégies visant à créer des emplois gratifiants pour les citoyens de notre pays, et songer sérieusement à la façon dont on y répartit les richesses.
L'orientation des politiques économiques et sociales de tous les ordres de gouvernement au Canada contribuera bien plus à accroître le taux de criminalité chez les jeunes qu'à l'éliminer. Si l'on veut faire que la prévention du crime chez les jeunes devienne une des priorités de notre pays, on ne pourra pas se contenter de simplement réagencer les blocs. En réalité, il n'y a pas suffisamment de blocs pour répondre aux besoins d'un programme complet de prévention. Cela ne veut pas dire qu'on ne peut utiliser les blocs dont nous disposons de manière plus efficace: nous croyons qu'il est possible de le faire.
Des améliorations peuvent être apportées aux chapitres de l'échange de renseignements et de la répartition des ressources, mais cela ne réglera pas le problème. De tels changements ne permettront pas de répondre aux besoins croissants de consultation pour les familles et les jeunes.
Je m'excuse mais il y a une phrase qui n'en finit pas dans cette page et cela ne me plaît pas du tout. Elle n'en finit pas. Ayant enseigné la rhétorique, cela me gêne au maximum. N'hésitez pas à la corriger.
La présidente: Voudriez-vous me passer mon stylo rouge, s'il vous plaît?
Mme McCardle: Exactement.
Ils ne procureront pas le soutien dont les enfants et les familles auront besoin lorsque leur environnement familial est difficile. Ils ne procureront pas la supervision d'adultes aux enfants et aux jeunes sans abri ou issus de foyers où il n'y a pas de supervision. Ils ne fourniront pas un nouvel environnement propice à l'apprentissage aux enfants et aux jeunes qui sont incapables de participer d'une manière positive dans un environnement scolaire. Enfin, ils ne soulageront pas les enfants qui vivent dans le dénuement absolu et voient le crime comme étant le seul moyen qui s'offre à eux d'obtenir les choses que possèdent les enfants plus aisés. Un programme de prévention du crime qui se fonde sur la rhétorique aura peu d'effets à long terme.
Lorsqu'il est question de jeunes contrevenants, les enseignants se soucient de deux éléments, soit l'aide et le soutien aux jeunes contrevenants et la sécurité et l'intégrité de l'environnement scolaire.
Pour que les enseignants contribuent activement à la prévention du crime chez les enfants et les jeunes, et à la réadaptation des jeunes contrevenants, le réseau scolaire doit avoir accès, au besoin, aux dossiers d'enfants et de jeunes qui ont besoin d'aide.
De plus, les écoles doivent avoir accès aux dossiers d'enfants et de jeunes qui pourraient compromettre la sécurité des enfants, des jeunes, des enseignants et d'autres personnes dans l'école. Il est impossible pour le réseau scolaire de répondre efficacement aux besoins d'enfants en difficulté et d'autres personnes dans l'environnement scolaire sans qu'un partage des renseignements, effectué d'une manière professionnelle, ne soit établi. Nous sommes donc fortement en faveur des modifications de la loi accordant aux personnes appropriées du réseau scolaire l'accès aux dossiers.
Le dossier scolaire d'un étudiant est un élément important qui permet de déterminer comment un jeune se débrouille au sein de la collectivité. Trop souvent, on ne communique que peu ou pas du tout avec les écoles au sujet de rapports prédécisionnels. Nous estimons que des renseignements très significatifs sur un jeune échappent au système judiciaire lorsqu'on ne demande pas un rapport au réseau scolaire. Nous conseillons vivement que de tels rapports deviennent obligatoires à l'étape prédécisionnelle.
Nous ne cessons de le constater. Parfois l'école est la dernière à être consultée alors que nous avons toutes sortes de renseignements que nous pourrions partager. C'est parfois l'enseignant qui est le premier à remarquer un changement de comportement chez un élève. Cet enseignant peut savoir qu'il y a quelque chose qui ne va pas, que l'élève a été ramassé dans la rue parce qu'il y avait un problème dans sa famille ou parce qu'il vient de vivre une expérience très traumatisante. Nous pensons détenir des renseignements très importants.
Un élément dans la détermination de la peine des jeunes contrevenants a été source de confusion, de mécontentement, d'incompréhension et de négativisme: la fréquentation scolaire obligatoire pour les jeunes en probation, ou, comme on l'appelle souvent, la «condamnation à l'école». Cette expression a donné lieu à de nombreuses réactions négatives du genre: «Les écoles ne sont pas des prisons, et ces gens ne devraient pas être ici». Ce ne sont pas des propos d'enseignants, mais de parents d'élèves de la même classe.
D'autres croient qu'ils doivent tolérer des comportements très déplacés parce que les tribunaux ont condamné la personne à l'école, et que l'école n'a d'autre choix que de la supporter. Peu importe que nous répétions à nos gens que les tribunaux vont les appuyer, ils continuent à estimer que cet enfant leur est imposé et devient alors une charge.
Dans d'autres cas, des enseignants deviennent furieux lorsqu'ils apprennent après coup qu'un étudiant ayant été trouvé coupable d'un crime violent est dans leur classe et qu'ils n'en ont même pas été avisés. Les enseignants estiment que, bien souvent, cette condition n'est pas appliquée. Ils signalent l'absentéisme, mais les agents de probation ne font presque rien à cet égard. Si l'on veut établir un partenariat, la communication et l'engagement devront avoir leur place.
Je sais que ces agents sont surchargés de travail. Cependant, si l'enfant est censé être à l'école et s'il existe une liste des choses qu'ils devraient faire, pour le moins elles devraient être communiquées.
Les personnes compétentes d'une école doivent être avisées de la fréquentation scolaire obligatoire d'un jeune contrevenant. Qui plus est, on doit expliquer clairement à l'enseignant la visée de cette partie de l'ordre du tribunal, afin qu'il soit en mesure de déterminer quand le jeune contrevenant ne respecte pas les conditions.
De tels renseignements permettraient aussi au réseau scolaire de déterminer quel type d'environnement scolaire conviendrait le mieux au jeune contrevenant, et quels services de soutien devraient lui être offerts pour l'aider. Si un étudiant qui est un jeune contrevenant constitue une menace à la sécurité d'autres étudiants ou du personnel de l'école, le personnel doit être avisé de la menace afin qu'il puisse prendre des mesures raisonnables pour assurer la sécurité des étudiants et du personnel. Il ne devrait pas y avoir de compromis sur la question de la sécurité.
Tous les efforts voulus doivent être déployés par toutes les personnes en contact avec le jeune contrevenant pour faire en sorte qu'il reçoive le soutien approprié. Il n'est pas suffisant de renvoyer le jeune chez lui et de lui dire d'aller à l'école. Il est très important d'apporter toute notre attention à la détermination du meilleur environnement d'apprentissage pour l'étudiant et de tout service de soutien spécial dont il aurait besoin.
Il se peut qu'une école ordinaire ne soit pas idéale. À l'Île-du-Prince-Édouard, comme dans beaucoup d'autres provinces, je suppose, nous avons des écoles parallèles destinées aux étudiants qui ont été retirés des écoles ordinaires dans l'espoir qu'après un an ou deux ils pourront revenir dans le circuit ordinaire. Il se peut qu'une école parallèle soit plus appropriée. Pour une souplesse accrue dans la prise de décision, les conseils scolaires doivent disposer des ressources nécessaires à l'établissement d'environnements d'apprentissage parallèles et de services de soutien. Elles doivent aussi faire partie intégrante du processus de prise de décision.
L'inquiétude, la crainte, l'incertitude, les mauvaises perceptions et le négativisme que peut entraîner la présence d'un jeune contrevenant dans le réseau scolaire peuvent être, dans une large mesure, éliminés par un échange approprié de renseignements.
Pour que les enseignants puissent contribuer efficacement à la prévention, au traitement et à la réadaptation des jeunes contrevenants, ils doivent être mis au courant de la situation. Nous ne pouvons contribuer à la prévention si nous ne savons pas qu'un enfant ou un jeune présente un risque. Nous ne pouvons contribuer au traitement si nous ne sommes pas au courant du problème. Nous ne pouvons contribuer à la réadaptation si l'on ne nous avise pas des besoins qui doivent être abordés dans le processus de réadaptation.
En conclusion, nonobstant tout ce que je viens de dire, je désire souligner que notre fédération est en faveur des modifications permettant qu'un jeune comparaisse devant un tribunal pour adultes pour certains crimes.
Au nom des enseignants de l'Île-du-Prince-Édouard, je tiens à vous remercier de l'occasion qui m'a été offerte de m'adresser à vous. Nous nous soucions grandement des enfants et des jeunes avec lesquels nous travaillons quotidiennement, et nous recommandons que tous les efforts soient déployés afin de les aider à réussir en toute sécurité au sein de notre société.
La présidente: Merci beaucoup.
Des tours de 10 minutes. Madame Venne.
[Français]
Mme Venne: Madame, dans votre présentation, vous dites que les enseignants deviennent quelquefois furieux lorsqu'ils apprennent après coup qu'un étudiant de leur classe a été trouvé coupable d'un crime violent et qu'ils n'en ont pas été avisés.
J'aimerais qu'une recherchiste nous donne le nouvel article de la Loi sur les jeunes contrevenants à cet effet. Comme vous le savez, le projet de loi C-37 a légèrement modifié les renseignements que l'on peut donner aux écoles. Il serait intéressant de savoir si ce qui est en vigueur depuis le 1er décembre dernier est satisfaisant. Serait-il possible de demander cela aux recherchistes?
[Traduction]
M. Philip Rosen (attaché de recherche): Merci, madame la présidente, de me donner la parole.
Plutôt que de lire l'article, parce qu'il est trop complexe permettez-moi de vous l'expliquer brièvement.
Le projet de loi C-37 a modifié l'article 38 de la loi en ajoutant certaines dispositions qui, semble-t-il, permettraient de signaler la présence d'un jeune contrevenant aux conseils scolaires ou aux représentants scolaires dans un certain nombre de circonstances, notamment lorsqu'un jeune contrevenant faisant l'objet d'une ordonnance de surveillance est libéré temporairement pour aller à l'école ou lorsqu'il peut présenter des dangers de sécurité pour le personnel de l'école. Il autorise clairement la notification des conseils scolaires et des représentants scolaires. Je ne sais pas s'il y a une limite mais cette modification est en vigueur depuis maintenant le 1er décembre - en gros depuis quatre ou cinq mois.
[Français]
Mme Venne: J'aimerais une explication de plus, monsieur Rosen. Cela peut-il vouloir dire que l'enseignant ne serait toujours pas mis au courant, même avec ces changements à la loi?
[Traduction]
M. Rosen: Je suppose que c'est au conseil scolaire ou à l'administration de l'école de décider avec qui il souhaite communiquer ces renseignements. Au mieux on pourrait donc dire que ce n'est pas tout à fait clair. Il reste que le conseil scolaire et les représentants scolaires sont avisés.
[Français]
Mme Venne: Madame, ce nouvel article sur les renseignements de la Loi sur les jeunes contrevenants est-il satisfaisant pour vous ou aimeriez-vous qu'on aille encore plus loin et qu'on dise spécifiquement que les enseignants doivent être informés du dossier? Les changements qui ont été faits sont-ils suffisants?
[Traduction]
Mme McCardle: Dans les circonstances, c'est satisfaisant. La loi elle-même ne peut décider à qui ces renseignements doivent être communiqués. Il reviendra, je suppose aux conseils ou aux administrateurs concernés de décider à qui les communiquer. Du point de vue strictement juridique, la loi autorise cette communication. Je peux comprendre qu'on ne veuille pas le communiquer d'une manière générale à l'ensemble du personnel mais souvent l'élève concerné a plusieurs enseignants et ils devraient être tous informés.
[Français]
Mme Venne: C'est tout pour l'instant. Merci.
[Traduction]
La présidente: Monsieur Ramsay.
M. Ramsay: Joyce, je vous remercie de cet exposé.
Nous avons entendu ce matin le professeur Carrigan préconiser l'enseignement du civisme et de la morale dans nos écoles. Dans quelle mesure une telle éducation morale est-elle dispensée dans vos écoles et si elle ne l'est pas, y êtes-vous favorable?
Mme McCardle: La règle d'or est toujours à la mode, mais dans de nombreux cas il nous faut être très prudents car mes valeurs civiques ne sont pas forcément les vôtres. Les enseignants ne peuvent être soupçonnés d'imposer leurs propres valeurs. C'est pour cette même raison que ces valeurs ne peuvent être inscrites dans nos programmes. Mener une vie saine, ce genre de précepte, enseigner ce qui est moralement acceptable dans notre société, tout cela est enseigné et discuté dans nos cours de vie familiale, nos cours d'économie et d'histoire. Cela revient dans toutes les disciplines et surtout dans nos cours d'anglais où tous ces genres de sujets sont abordés. Il y a de très nombreuses manières d'aborder ces questions de valeurs.
M. Ramsay: Avez-vous entendu le professeur Carrigan? Que pensez-vous de ses arguments à ce sujet?
Mme McCardle: Il a présenté de très bons arguments. Nous avons parfois tendance à enjoliver le passé. Certaines valeurs du passé étaient bonnes, d'autres ont été améliorées et c'est une bonne chose.
Parler de ces questions est certainement une bonne chose. Cependant, de nos jours en parler en classe n'est pas aussi simple que certains parents semblent le croire. À l'Île-du-Prince-Édouard, nous ne commençons plus la journée par la prière car ce n'est pas celle de tout le monde. Nous sommes très prudents lorsque nous organisons nos concerts de Noël, par exemple.
M. Ramsay: Oui, d'accord. Je suppose que j'aurais dû poser ma question différemment. Pensez-vous que c'est le système lui-même qui a décidé lui-même de ne plus enseigner ce civisme et cette morale? Vous semblez avoir indiqué par vos réponses que c'était peut-être le cas; vous ne pouvez plus... Il n'y a plus de prière. C'est la même chose pour les fêtes de Noël. Pensez-vous qu'au cours de votre carrière il y a eu une certaine tendance à l'abandon de cet enseignement?
Mme McCardle: Je ne parlerais pas d'abandon. Cela procède plutôt d'une reconnaissance des cultures différentes au sein de notre société, cultures dont les valeurs ne sont pas forcément les mêmes que les nôtres. Cela ne veut pas dire pour autant qu'elles sont fausses. Il y a des différences culturelles...
M. Ramsay: Non, là n'est pas la question. Cette élimination des prières, ce recul par rapport aux fêtes de Noël ont une incidence sur les valeurs auxquelles faisait allusion le professeur. Vos réponses semblent indiquer, tout du moins m'indiquer, une certaine réticence vis-à-vis des prières et des messages de Noël en milieu scolaire.
Votre réponse sur ce point me satisfait. Avant que mon temps ne soit terminé, j'aimerais vous interroger sur une autre question.
Je n'ai pas avec moi le Code criminel, mais je crois que l'article 42 ou l'article 43 autorise les enseignants et les parents à recourir à une force raisonnable pour maintenir l'ordre. D'aucuns voudraient que de tels pouvoirs disparaissent du Code. En tant qu'enseignante, qu'en pensez-vous dans le contexte des problèmes auxquels doivent parfois faire face les enseignants? Qu'en penseriez-vous si l'on retranchait du Code criminel l'autorisation pour l'enseignant d'intervenir physiquement dans des circonstances qui le justifient dans sa classe? Quel est votre sentiment?
Mme McCardle: Je ne vois pas comment on pourrait l'enlever. À mon avis, cet article ne pourrait être invoqué que s'il y a une querelle, ou une bagarre si vous voulez, dans les cas où il faut maîtriser physiquement l'enfant pour le retirer de là ou l'empêcher de faire mal à l'autre enfant.
M. Ramsay: On pourrait aisément le retrancher du Code criminel.
Mme McCardle: Ah, criminel.
M. Ramsay: Tout ce qu'on a à faire, c'est modifier le Code criminel et c'est fini. Et alors le Code criminel cesse de vous protéger. Je crois même qu'il existe une résolution des Nations-unies sur ce sujet. Donc, si je vous comprends bien, vous n'êtes pas favorable à cela.
Mme McCardle: Non. C'est un élément nécessaire, et je ne crois pas qu'on en abuserait. Si c'était le cas, on ferait quelque chose. Il faudrait l'interpréter.
M. Ramsay: Mais c'est là maintenant, vous avez là autorité pour agir, la protection voulue. N'est-ce pas?
Mme Clancy: Le Code criminel est différent.
M. Ramsay: C'est dans le Code criminel.
Mme Clancy: Oui, il y a de cela dans le Code criminel, mais on invoquerait cet article si elle demandait à l'un des étudiants...
La présidente: Un instant, madame Clancy, permettez-moi d'intervenir.
Les diverses lois sur l'éducation autorisent les enseignants à employer une force raisonnable. Ce n'est pas le cas du Code criminel. On peut invoquer le Code criminel pour défendre un enseignant qui...
M. Ramsay: Est-ce qu'on a un Code criminel ici?
La présidente: Nous en avons un. Mais moi je vous dis que j'ai été enseignante pendant très longtemps.
M. Ramsay: Je préférerais voir le Code criminel moi-même, madame la présidente. Il s'agit de l'article 42, n'est-ce pas?
La présidente: De l'article 43. Monsieur Ramsay, permettez-moi une clarification. La loi fédérale n'autorise pas les enseignants à lever la main sur leurs étudiants.
Votre temps de parole tire à sa fin.
M. Ramsay: Ai-je le temps de poser ma question?
La présidente: Oui, il vous reste deux minutes et demie.
M. Ramsay: Voici le texte de l'article 43:
- Tout instituteur, père ou mère, ou toute personne qui remplace le père ou la mère, est fondé à
employer la force pour corriger un élève ou un enfant, selon le cas, confié à ses soins, pourvu
que la force ne dépasse pas la mesure raisonnable dans les circonstances.
La présidente: Il ne s'agit pas d'une autorisation; ce n'est pas une déclaration positive; c'est une défense. C'est tout ce que je dis.
Vous devriez peut-être poser votre question maintenant, parce qu'il ne vous reste que deux minutes.
M. Ramsay: Oui, et j'emploierai ce temps comme je voudrai, madame la présidente.
La présidente: Allons-y.
M. Ramsay: On parle de retrancher cet article. Qu'en pensez-vous? À votre avis, devrait-on le retrancher?
Mme McCardle: Qu'est-ce qu'on dit, corriger? Relisez cette ligne. Je vois les mots écrits tout petits qui suivent: «à employer la force pour corriger un élève ou un enfant». Corriger, ce n'est pas... Pour moi, ce n'est pas corriger, si je dis que je vais vous donner la fessée ou quelque chose du genre parce que vous avez fait ceci ou cela. On n'invoquerait pas cet article.
M. Ramsay: Disons qu'il s'agit d'une querelle.
Mme McCardle: Une querelle. Cela veut dire que je serais capable de séparer les enfants pour les empêcher de se battre, si vous voulez.
M. Ramsay: Ça va. Merci. Je crois que mon temps est écoulé.
La présidente: Oui, c'est bien cela. Madame Clancy.
Mme Clancy: Madame McCardle, vous serez heureuse d'apprendre que, contrairement à ce que pensent certaines personnes, ce ne sont pas toutes les personnes qui savent lire qui peuvent exercer le droit.
J'aimerais revenir à cette question des valeurs par rapport à la religion dans la salle de classe. Encore là, j'ai une certaine expérience personnelle, je suis allée à l'école publique, à l'école privée, et même au pensionnat, tout comme notre présidente. Certaines de ces institutions étaient des écoles confessionnelles. Ce que j'ai appris, moi, c'est que les enseignants donnent l'exemple. Que l'on enseigne les mathématiques, la grammaire, l'histoire, les sciences sociales ou quoi que ce soit, l'on communique des valeurs, et je ne connais pas de religion qui n'adhère pas à ce que l'on pourrait appeler la règle d'or: que voler c'est mal, que frapper son prochain c'est mal. Il s'agit là de valeurs essentielles auxquelles on adhère, que l'on soit musulman, catholique, juif, protestant ou rastafari.
On a donc tort à mon avis de dire qu'on a perdu le sens des valeurs dans la salle de classe. Je crois que la salle de classe ne peut pas se substituer au foyer. L'école peut aider et renforcer des valeurs, mais elle n'est pas faite pour remplacer le foyer. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Mme McCardle: Je crois que vous avez parfaitement raison, parce que lorsque je dis que la règle d'or s'applique toujours, cela rejoint à peu près tous les principes: tu ne voleras pas; tu ne seras pas violent; tu n'assassineras personne; tu ne porteras pas atteinte aux droits d'autrui. En ce qui me concerne, la règle d'or s'applique à tout cela, et c'est encore ce que l'on enseigne, par l'exemple, par la matière qui se trouve dans les livres, tout ce que vous voulez. Maintenant si vous dites que les «valeurs» désignent les croyances religieuses, je dis non.
Mme Clancy: Je pense que vous avez raison. Si j'envoyais mon enfant à l'école publique ici à Halifax, à l'Île-du-Prince-Édouard, ou ailleurs, je ne tiendrais pas nécessairement à ce que mon enfant reçoive une instruction religieuse précise.
Prenons un symbole de la culture de l'Atlantique, si vous voulez. Chose certaine, si vous enseignez à lire ou la littérature à l'Île-du-Prince-Édouard, et que vous avez au programme le roman Anne aux pignons verts, ou Anne casse son ardoise sur le crâne de Gilbert, l'enseignant va donner à entendre s'il ne le dit pas à voix haute, qu'elle n'a pas le droit de faire ça. Ce sont les subtilités qu'on voit ici. Il ne s'agit pas de savoir si l'on enseigne les 10 commandements selon la version de Douay ou la version du roi James. N'est-ce pas?
Mme McCardle: Je suis d'accord. De même, lorsque nous discutons de religions différentes et de modes de vie différents, nous enseignons aux enfants à respecter les autres religions et cultures.
Mme Clancy: Donc je ne peux pas vous dire, Joyce McCardle, que si tout à coup vous vous mettiez à enseigner le Coran, cela réglerait le problème de la délinquance juvénile?
Mme McCardle: Non, ce ne serait certainement pas la solution.
Mme Clancy: Merci, Madame la présidente.
La présidente: Monsieur Gallaway.
M. Gallaway: Madame McCardle, vous venez de soulever une question très intéressante. Nous savons tous que les enseignants sont des personnes très influentes et puissantes. J'en sais quelque chose, ma femme est enseignante.
Avec toute cette question de la connaissance à l'école, de l'identification par les enseignants d'enfants qui sont à risque ou qui sont sur le point d'éprouver des difficultés - et il ne fait aucun doute dans mon esprit que les enseignants peuvent identifier ces enfants, je crois que tout le monde l'admet, en tout cas moi - quel genre d'autorisation donneriez-vous aux enseignants? Pour aller plus loin, si l'on identifie un enfant qui est à risque ou qui éprouve peut-être déjà des difficultés, qu'autoriseriez-vous les enseignants à faire pour alerter les autorités? Quel processus mettriez-vous en place pour que l'on puisse prendre l'enfant en charge avant qu'il n'entre en conflit avec la loi, lorsqu'on pense que cet enfant est sur le point d'enfreindre la loi?
Mme McCardle: Vous voulez savoir comment on le signalerait aux tribunaux.
M. Gallaway: Comment on alerterait les autorités.
Mme McCardle: Habituellement, ils sont déjà identifiés...
M. Gallaway: Pardon, excusez-moi. On ne peut alerter les tribunaux s'ils n'ont commis aucun crime.
Mme McCardle: Non. Pour ce qui est des étudiants à risque, nous les connaissons. On sait s'ils sont absents de l'école, s'ils font l'école buissonnière, s'ils se comportent mal en classe, ou s'ils prennent de la drogue. Ce sont toutes ces choses qui nous permettent de dire que nos étudiants sont à risque.
Avant qu'ils n'aboutissent devant les tribunaux, l'enseignant leur a habituellement parlé, le directeur est intervenu, l'orienteur est intervenu, on a tâché de trouver de l'aide pour qu'ils puissent se rattraper. On a fait une foule de chose. Si la famille est bénéficiaire de l'assistance sociale et que nous le savons, nous pouvons même parler au travailleur social qui est responsable de cette famille. Nous faisons toutes ces choses.
Nous voyons parfois qu'il y manque de coordination. Nous avons nos renseignements, les services sociaux ont les leurs et nous les partageons d'une certaine façon. Mais ensuite, c'est le juge qui rend une décision.
M. Gallaway: Je pourrais peut-être être un peu plus précis. Si vous pouviez donner des instructions à la première ministre de l'Île-du-Prince-Édouard, dans le sens où vous voulez que l'on crée une structure pour que vous puissiez, en tant qu'enseignante, identifier un enfant à risque et l'orienter vers un certain système, quelles seraient les caractéristiques de ce système?
Mme McCardle: Il y a un nouveau protocole pour les victimes d'agression sexuelle; nous sommes en train de le préparer.
Je commencerai par dire que si un enfant a des démêlés avec la justice, même la première fois, avant de parler d'incarcération, il faut aller en parler à son enseignant. Souvent, nous arrivons à l'école le lundi et nous apprenons que Johny a été arrêté, qu'il a passé la fin de semaine dans un établissement pour les jeunes contrevenants et qu'il doit comparaître devant les tribunaux. Avant de comparaître, il devrait parler à son enseignant, à l'orienter, à de telles personnes, qui établissent un bon profil de la personne.
M. Gallaway: J'ai une dernière question. À la première page de votre mémoire, vous dites: «On ne peut pas les «blâmer» ou les tenir «responsables» des gestes qui ont mené à leur entrée dans le système juridique du pays.» Qui d'autre peut-on blâmer et comment peut-on les punir?
Mme McCardle: Eh bien, je ne sais pas comment on pourrait les punir. Comment peut-on punir la pauvreté?
M. Gallaway: D'accord. Merci.
La présidente: Madame Venne, avez-vous d'autres questions?
Mme Venne: Non, merci.
La présidente: Y a-t-il autre chose de la part des membres du gouvernement?
Eh bien, merci beaucoup.
Mme McCardle: Il y a des avantages à présenter son mémoire juste avant midi.
Des voix: Oh, oh!
La présidente: Il y a des avantages à avoir un bon sens de l'humour. Vous êtes formidable. Merci.
La séance est levée.