[Enregistrement électronique]
Le jeudi 13 février 1997
[Traduction]
La présidente: Bienvenue à tous.
Nous étudions aujourd'hui le projet de loi C-55 ainsi que le projet de loi C-254, projet de loi d'initiative privée de Val Meredith.
Nous recevons le professeur Robert Hare de l'Université de la Colombie-Britannique et le professeur Stephen Hart de l'Université Simon Fraser.
Professeur Hare, est-ce vous que nous entendrons le premier?
M. Robert Hare (professeur, Faculté de psychologie, Université de la Colombie-Britannique): Oui, je crois.
La présidente: Nous entendrons ensuite le professeur Hart puis nous vous poserons des tas de questions.
Bienvenue à tous les deux.
M. Hare: Nous comparaissons devant votre comité non pas pour nous prononcer pour ou contre le projet de loi mais simplement pour vous donner des renseignements qui devraient vous être utiles dans vos délibérations. Les deux projets de loi sont tout à fait connexes aux genres de recherche que nos collègues et nous-mêmes faisons depuis pas mal d'années maintenant, dans mon cas, depuis quelque 25 ans.
Il s'agit de la capacité d'évaluer la dangerosité dans le contexte de la justice pénale. Par le passé, on a toujours dit que l'on ne pouvait pas évaluer la dangerosité. On ne pouvait pas déterminer qui risquait de commettre une infraction violente. Cette vieille sagesse conventionnelle a été remplacée depuis par des renseignements techniques qui nous permettent de faire des prédictions assez bonnes sur ceux qui risquent de commettre une infraction violente. Autrement dit, nous examinons les risques de violence. Nous essayons de mettre au point des méthodes pour déterminer le potentiel de violence.
Une bonne partie de cette recherche tourne autour des éléments cliniques de la psychopathie, de la personnalité psychopathique. Évidemment, il y a des gens qui n'aiment pas les étiquettes ou le fait que l'on essaie de classer les gens par catégorie. Je vais simplement signaler que nous définissons ce désordre particulier comme présentant une série de traits de personnalité ou de caractéristiques et de comportements. Nous avons une liste de caractéristiques et de comportements. Lorsque nous en trouvons suffisamment, nous disons que cette personne est psychopathe.
Certes, il n'est pas forcé d'utiliser cette terminologie. Quiconque s'intéresse à ce domaine pourrait utiliser l'instrument qui est devenu la mesure standard de ce désordre. Il s'agit de l'échelle de psychopathie ou PCL-R. Le «R» signifie «révisée». C'est une liste de 20 caractéristiques établie à partir d'informations détaillées, d'entrevues semi-structurées avec l'individu, etc.
On peut évidemment, plutôt que d'utiliser le terme «psychopathe», dire que nous parlons de quelqu'un qui a obtenu un score élevé en fonction de cette échelle et que nous savons que ce score présente des conséquences pour la justice pénale. C'est à cela que je voudrais maintenant en venir.
On a effectué beaucoup de recherches... surtout au Canada, d'ailleurs. C'est peut-être dû à la façon dont notre système est organisé qu'il est plus facile pour les Canadiens de faire ce genre de recherche que pour les Américains, ce qui les surprend toujours pas mal. Les constatations partout au Canada - en Ontario, au Québec, dans les Prairies et dans les régions du Pacifique - sont qu'il est possible d'utiliser des instruments de ce genre, plus d'autres outils d'évaluation du risque, pour prédire assez bien le résultat. Le résultat c'est, par exemple, une nouvelle infraction après avoir été libéré de prison.
Nos constatations sont très claires. Seulement avec ce barème de psychopathie mesure grâce à l'échelle PCL-R, il est possible d'estimer qu'un individu qui réalise un score très élevé risque beaucoup de récidiver dans les quatre ou cinq ans suivant sa libération de prison. La probabilité peut être aussi élevée que 75 ou 80 p. 100, comparativement à une probabilité bien moindre pour les autres délinquants - pour ceux qui obtiennent des scores plus bas. Pour eux, la probabilité se situe entre 25 et 30 p. 100.
Les recherches révèlent dans leur ensemble que les chances qu'un de ces individus que nous qualifions de psychopathe commettra une autre infraction après avoir été relâché de prison, notamment une infraction violente, sont quatre ou cinq fois supérieures à celles de ceux qui ne correspondent pas aux caractéristiques du psychopathe.
Cette façon d'étudier les troubles de la personnalité représente l'élément central de la plupart des nouvelles méthodes d'évaluation des risques qui ont été mises au point à cette fin précise.
Ces renseignements deviennent tout particulièrement importants quand on étudie les délinquants sexuels. Des travaux de recherche effectués en Ontario et en Colombie-Britannique révèlent un élément bien clair. Un psychopathe - quelqu'un qui obtient un score élevé sur l'échelle - qui est excité sexuellement par la violence est tout particulièrement dangereux. Ainsi les travaux de recherche effectués auprès d'adultes en Ontario révèlent que ceux qui obtiennent un score élevé sur l'échelle de psychopathie et qui sont stimulés sexuellement par des représentations d'événements violents, y compris le viol et des interactions violentes entre des hommes et des femmes - un mélange très dangereux - ont de fortes chances de commettre une autre infraction sexuelle. Quand je parle de fortes chances, j'entends par là que dans les quelques années suivant leur libération d'un établissement et à la suite d'un traitement relativement intensif, ces individus connaîtront un taux de récidive sexuelle d'environ 65 p. 100, 70 p. 100 ou 75 p. 100, et ce, peu de temps après leur libération.
Les données recueillies sur les délinquants sexuels adolescents par les services des tribunaux de la jeunesse de la Colombie-Britannique révèlent exactement la même chose. Nous pouvons identifier ces psychopathes facilement lorsqu'ils ont 13 ou 14 ans. Le diagnostic ou l'évaluation nous laisse en fait entrevoir ce qui se produira au cours des années suivantes.
Tout particulièrement, une étude effectuée sur les délinquants sexuels adolescents - il y en a maintenant plus de 200 - révèle que les adolescents psychopathes qui sont stimulés sexuellement par des actes de violence récidivent, et ce, à un taux élevé pendant la première année. En fait, on prévoit que dans les 30 mois suivant la première infraction, près de 90 p. 100 de ces individus - les psychopathes qui sont stimulés sexuellement par la violence - récidiveront et seront accusés ou déclarés coupables d'une autre infraction, et cela représente une évaluation modeste de la criminalité. Dans ce cas particulier, les infractions ne sont pas exclusivement de nature sexuelle; il peut s'agir de toutes sortes d'infractions.
Nous pourrions résumer en disant que l'adolescent psychopathe qui est stimulé sexuellement par la violence est habituellement dangereux; il commettra toute une gamme d'infractions criminelles. Par comparaison, les autres délinquants adolescents auront habituellement un taux de récidive de 20 p. 100, 25 p. 100 ou 30 p. 100. C'est donc dire que le taux de récidive chez les psychopathes est de trois à quatre fois plus élevé.
J'aimerais faire un autre commentaire. Même chez les adolescents dont les tribunaux ont exigé une évaluation, nous avons un suivi de dix ans; nous avons constaté que le taux de récidive est très élevé chez les psychopathes. Dans les dix ans suivant leur libération, 80 p. 100 à 85 p. 100 d'entre eux ont été à nouveau reconnus coupables ou accusés d'une autre infraction.
En fait, j'essaie simplement de dire que nous disposons maintenant d'instruments que des cliniciens peuvent utiliser de façon fiable; cela permet vraiment de déterminer ce qui se produira. On peut ainsi non seulement prédire la tendance à la récidive mais également la tendance à la récidive violente. L'élément dont nous parlons - la psychopathie - est l'indicateur le plus fiable de la récidive violente dont nous disposons.
Merci.
La présidente: Merci, professeur Hare.
Professeur Hart.
M. Stephen Hart (professeur, Faculté de psychologie, Université Simon Fraser): Bonjour. Je prendrai un peu moins de temps que M. Hare. Nombre des conclusions auxquelles je suis parvenu découlent de mes travaux avec lui.
Je travaille dans un milieu quelque peu différent maintenant; en fait je fonde mes travaux sur les recherches qui ont été effectuées par des gens comme le professeur Hare et je travaille plus étroitement avec les services correctionnels et les organismes oeuvrant dans le domaine de la psychiatrie médico-légale pour appliquer ces recherches à la vie de tous les jours.
J'aimerais tout particulièrement insister sur certaines des conclusions issues de la recherche qui sont pertinentes au projet de loi. Je répète, à l'instar de M. Hare, que la chose la plus importante ici c'est qu'il est possible de prédire la récidive violente et la récidive caractérisée par la violence sexuelle. Les travaux scientifiques effectués au Canada et à l'étranger révèlent qu'il est maintenant possible d'identifier les contrevenants qui présentent des risques élevés de violence.
Les scientifiques ne peuvent pas vous dire comment utiliser ces connaissances, mais nous pouvons certainement vous dire qu'il est possible d'identifier, de façon précise et fiable, les délinquants qui présentent un risque élevé de violence.
Une deuxième conclusion importante est que les facteurs qui nous permettent de prédire le coefficient de violence de façon fiable et précise sont peu nombreux. Un petit nombre de facteurs de risque sont connus pour être importants. Pour cette raison, tout mécanisme d'évaluation des risques devrait au moins inclure ces facteurs. Ainsi, bien que les scientifiques puissent identifier les gens qui présentent des risques élevés de violence, il est parfois difficile de s'assurer que ceux qui oeuvrent dans le secteur évaluent en fait les variables ou les facteurs de risque pertinents.
Je ne suis pas convaincu que le Code criminel et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition soient les mécanismes appropriés pour essayer d'élaborer une série de procédures et de politiques portant sur l'évaluation du risque; cependant, je peux vous assurer qu'il importe que la Chambre des communes encourage le Service correctionnel du Canada ou la Commission nationale des libérations conditionnelles à élaborer des procédures particulières et détaillées pour l'évaluation du risque de violence, afin d'identifier les délinquants qui seraient visés par les projets de loi proposés - soit les délinquants dangereux et les délinquants à contrôler.
Je peux également parler de trois questions qui méritent d'être précisées. La première est qu'il faut essayer d'identifier les objectifs visés par les projets de loi, les objectifs de ces mesures législatives. Il est très difficile pour les chercheurs d'essayer d'évaluer l'efficacité d'un projet de loi ou d'une mesure législative sans qu'on sache clairement quels sont les objectifs visés.
Ainsi, par exemple, dans le préambule du projet de loi ou lors d'un énoncé public, il serait bon que l'on indique clairement que ce projet de loi vise à assurer et garantir la sécurité publique; il s'agit là de l'objectif fondamental et en fait du seul objectif. Si c'est le cas, nous devrions nous assurer que toute procédure utilisée pour identifier les délinquants vise en fait à identifier les délinquants qui présentent les plus grands risques de violence - pas simplement ceux qui présentent des risques élevés mais bien ceux qui présentent les risques les plus élevés de violence.
De plus, et j'en ai parlé plus tôt, il serait bon pour assurer la sécurité publique et garantir la qualité des évaluations, d'essayer d'établir les paramètres de certaines méthodes d'évaluation des risques. De plus, cela permettra plus facilement au gouvernement de défendre cette mesure législative face à des critiques, car il pourra rétorquer qu'il s'agit en fait d'une mesure non arbitraire, qu'on identifie simplement les personnes les plus dangereuses et qu'on réserve les peines les plus strictes à ces gens.
Troisièmement, nous pourrions facilement élaborer des méthodes d'évaluation des risques et nous pourrions découvrir des moyens d'identifier les délinquants qui présentent des risques élevés et de les garder en détention, mais il doit exister des méthodes supplémentaires de gestion des risques ou de gestion des délinquants; tout au moins, il faudrait essayer d'élaborer de nouvelles méthodes à cet égard.
Ces mesures législatives peuvent résister aux critiques juridiques si elles visent à s'assurer que les contrevenants ou les délinquants seront en meilleure santé mentale lorsqu'ils sortiront du système carcéral - il faudra que nous puissions prouver qu'ils ne sont plus aussi dangereux. Actuellement, nous réussissons à identifier les gens et à les incarcérer pour de longues périodes, mais nous n'accordons pas beaucoup d'attention aux ressources qui seraient nécessaires pour faciliter leur élargissement. Quand nous affectons des ressources, c'est pour les consacrer aux mêmes choses que nous faisons depuis déjà 15 ou 20 ans. Nous avons rarement essayé d'élaborer quelque chose de nouveau ou d'original, et je crois que nous devrions accorder la priorité à l'élaboration de méthodes de gestion.
Je n'ai plus rien à ajouter.
La présidente: Merci beaucoup.
Nous passerons au tour de questions de 10 minutes. Le représentant du Bloc, M. St-Laurent, dispose de 10 minutes.
[Français]
M. St-Laurent (Manicouagan): Vous avez des données qui sont à la fois intéressantes et inquiétantes. On va s'entendre, parce que vous répondez de façon assez remarquable à des questions sur des points intéressants pour nous, notamment sur le risque de récidive des adolescents délinquants sexuels entre autres.
M. Robert Hare a été la première personne à dire que nous pouvons déceler le risque dans 75 p. 100 des cas. Pourriez-vous nous dire de quelle manière on en arrive à une telle précision? Aujourd'hui, on en est tous là. À un moment donné, un individu passe aux libérations conditionnelles et c'est quand même assez ardu. C'est une première passoire assez rigide et on ne réussit pas toujours.
Même vos statistiques démontrent que dans plus de 30 p. 100 des cas, on échoue à ce niveau-là. Cependant, vous prétendez que dans 75 p. 100 des cas, vous pouvez déceler les individus qui présentent un risque de récidive élevé.
[Traduction]
M. Hare: Cela dépend dans une large mesure de ce que nous entendons par «personnalité psychopathique». Nous identifions des individus que la majorité d'entre vous connaîtraient; vous pourriez me donner des exemples de votre propre vie et de votre propre expérience de gens qui montrent ce genre de personnalité. Ce sont des gens dont la principale caractéristique est un étonnant manque d'intérêt pour autrui. Ce sont des gens qui n'ont pas ce qu'on appelle de l'empathie. Ils ne sont pas liés socialement au reste de la société. Ils ne croient pas que les autres disposent des mêmes droits qu'eux.
Il s'agit donc d'individus qui n'ont aucune empathie ou préoccupation pour le bien-être d'autrui. Il s'agit de gens qui sont habituellement impulsifs, qui ont un sens démesuré de leur propre importance. Il s'agit de gens qui sont égocentriques et qui peuvent être extrêmement irresponsables. Ils n'ont aucun objectif réaliste à long terme et ne sont pas disposés à accepter la responsabilité de leurs propres gestes.
En fait, dans le système de justice pénale, une des questions qu'on pose toujours, je suppose, lors des audiences de libération conditionnelle est: «Avez-vous des remords?» C'est une question standard. Ces individus n'ont pas de remords. Ils semblent incapables d'avoir des remords, contrairement à la majorité des gens face à leurs actions.
Lorsque vous tenez compte de toutes ces caractéristiques, comme syndrome, il ne faut pas s'étonner que ces individus continuent d'enfreindre les règlements élaborés par la société. Il s'agit de gens qui ne pensent pas que les règles et les règlements valent pour eux. Puisque nous pouvons identifier ces individus, il n'est pas du tout surprenant que ce soit eux qui continueront à enfreindre les conventions sociales ou les normes sociales, y compris le Code criminel.
Comme M. Hart l'a signalé, le problème c'est que bien que nous puissions identifier ces particuliers avec une grande précision, et que nous puissions le faire quand ils sont encore jeunes, parfois à 13 ou 14 ans - ce qui surprend beaucoup de gens, mais pas ceux qui oeuvrent dans le secteur de la justice pénale - nous ne savons trop que faire avec les résultats de cette identification.
Jusqu'à présent, les chercheurs ont simplement suivi ces individus après leur libération, mais nous n'avons pas, au Canada ou ailleurs dans le monde, de stratégies de gestion ou d'intervention adéquates conçues pour réduire le risque que posent ces délinquants à risque très élevé de récidive. Ils sont habituellement traités comme n'importe quel autre délinquant.
Quand je vous ai parlé des délinquants sexuels adolescents, j'aurais dû préciser que le délinquant sexuel adolescent psychopathe n'est pas simplement un délinquant sexuel; il enfreint pratiquement toutes les lois. Il commet toutes sortes d'autres infractions. Il a peut-être été arrêté pour infraction sexuelle, mais en fait il commet toutes sortes d'infractions. La même évaluation vaut pour les psychopathes adultes.
[Français]
M. St-Laurent: Monsieur Hart, vous avez une recette un peu secrète pour les services correctionnels. Je vois cela comme cela, dans mon petit langage à moi. Vous êtes capable d'évaluer le risque de récidive aussi, puisque selon vos propos, vous vous servez beaucoup des données de M. Hare et des gens de son équipe pour en arriver à évaluer assez précisément les risques de récidive d'un individu qui se trouve à l'intérieur d'un pénitencier.
À l'heure actuelle, de la façon dont cela fonctionne, avant une libération conditionnelle, l'individu doit passer par beaucoup d'étapes normales et nécessaires. Je ne les énumérerai pas toutes, parce que tout le monde ici les connaît, et vous aussi, j'en suis convaincu.
Au terme du processus, les commissaires aux libérations conditionnelles sont tenus de prendre des décisions, décisions qui ne sont pas toujours faciles, mais qui sont souvent erronées, puisque l'individu récidive parfois à sa sortie. Heureusement, ils sont en minorité, mais c'est toujours catastrophique.
Selon vous, nous possédons les moyens d'aller un peu plus loin pour analyser plus justement ces possibilités de récidive.
Ma question a deux volets. Premièrement, selon vous, quel pourcentage de précision serions-nous capables d'atteindre avec vos méthodes? Deuxièmement, expliquez-moi de façon schématique le cas type d'un individu qui se trouve à l'intérieur d'un pénitencier et qui passe à travers tout le criblage nécessaire. D'après votre méthode, quelle serait la différence dans la précision de l'évaluation, cela dans le respect de toutes les normes, naturellement?
[Traduction]
M. Hart: Je répondrai d'abord à votre deuxième question, et parlerai un peu des méthodes qu'on utilise actuellement et de la façon dont on pourrait les modifier pour améliorer la précision et la fiabilité des évaluations du risque.
Actuellement, la plupart des évaluations du risque sont effectuées par des employés du Service correctionnel. Les renseignements sont résumés ou recueillis puis transmis aux membres de la Commission des libérations conditionnelles qui étudieront ces documents, intervieweront le contrevenant et se prononceront.
Le principal problème avec cette façon de procéder, c'est qu'il est très difficile dans l'ensemble pour l'être humain de prendre une décision en fonction de renseignements complexes, tout particulièrement lorsqu'une bonne partie de ces renseignements ne sont peut-être même pas pertinents. Essayer de prédire le comportement d'un délinquant lorsqu'il sera en libération conditionnelle, c'est un peu comme essayer de prédire qu'il sera un bon employé. Les travaux de recherche en psychologie organisationnelle et industrielle nous ont poussés à tirer les mêmes conclusions que les travaux en psychologie judiciaire, soit qu'il vaut beaucoup mieux que les gens aient quelques renseignements fiables, qu'un tas de renseignements non pertinents. Plus les décisionnaires ont de renseignements, plus il leur est difficile de prendre une bonne décision. Donc, dans certains cas, nous disons que moins il y a de renseignements, meilleures sont les décisions. Ça c'est mon premier commentaire.
En fait, la majorité des travaux de recherche qui ont été effectués en Colombie-Britannique, en Ontario et au Québec démontrent que nous pouvons prédire de façon précise le récidivisme, même chez ceux qui sont jugés admissibles à une libération conditionnelle et à qui la Commission des libérations conditionnelles a accordé la libération conditionnelle. Nous pouvons prédire qui récidivera une fois qu'il sera libéré, même s'il a su convaincre la commission qu'il présentait des risques acceptables. C'est parce que nous nous concentrons sur un petit nombre de facteurs de risque très importants. Une bonne partie des travaux de recherche dont M. Hare vous a parlé, laissent en fait entendre que vous pouvez utiliser un facteur de risque et faire des prévisions fiables. On ne parle ici que d'un facteur.
Si nous ajoutons d'autres facteurs de risque, nous pourrons peut-être même aller plus loin, mais le risque dont nous parlons, la psychopathie, est une bien meilleure façon de résumer le risque que toutes nos autres variables, comme à savoir si une personne a un membre de sa famille dans la collectivité qui est prête à l'épauler lorsqu'il sera libéré.
Cela semble peut-être aller à l'encontre de la simple logique, mais il est vrai que certains facteurs de personnalité qui indiquent comment une personne fonctionnera à long terme sont beaucoup plus importants qu'un élément dans la collectivité, comme un emploi, un endroit où vivre, à savoir si cette personne abuse toujours des intoxicants. Pourtant, une commission des libérations conditionnelles pourrait tenir compte de ces autres facteurs et les juger tout aussi importants alors qu'ils ne le sont tout simplement pas.
Pour en revenir à votre première question - et je crois que nous parlions de la validité et de la précision des décisions - si je me souviens bien, vous nous demandez dans quelle mesure les décisions que nous prenons sont les bonnes.
M. Hare: Comment nous pourrions les améliorer.
M. St-Laurent: C'est ça.
M. Hart: Je crois que le Service correctionnel utilise bon nombre des méthodes adéquates, celles reconnues par le secteur de la recherche comme étant les plus importantes. En fait, le Service correctionnel du Canada est un des meilleurs services correctionnels au monde à cet égard. Actuellement, M. Hare collabore avec la Commission des libérations conditionnelles et les services correctionnels d'Australie et de Nouvelle-Zélande. Nous avons un visiteur qui vient de la Suède. Nous nous sommes rendus au Royaume-Uni et nous avons visité toutes les régions des États-Unis pour procéder à ces études en collaboration avec les gouvernements fédéraux et régionaux. Ils essaient d'adopter les méthodes qu'emploie actuellement le Service correctionnel du Canada.
L'ennui, c'est que lorsque les renseignements sont transmis à la Commission des libérations conditionnelles, ils sont souvent utilisés d'une façon non systématique ou structurée.
Permettez-moi de m'exprimer d'une autre façon. Actuellement, le Service correctionnel du Canada recueille tous les bons renseignements, mais ceux-ci ne sont peut-être pas communiqués à la Commission des libérations conditionnelles de la façon la plus efficace; ils ne sont donc peut-être pas utilisés par la commission de la façon la plus efficace. Les intervenants reçoivent les bons renseignements, mais ils n'en font pas le meilleur usage.
La présidente: Merci, monsieur St-Laurent. Madame Meredith.
Mme Meredith (Surrey - White Rock - South Langley): Merci, madame la présidente.
Bienvenue. Je vous remercie d'avoir accepté de rencontrer le comité en dépit de vos horaires très chargés.
J'aimerais parler un peu plus longuement du test de psychopathie. Si j'ai bien compris, professeur Hare, vous êtes responsable du test qu'utilise actuellement le Service correctionnel. A-t-il signé avec vous un contrat il y a plusieurs années vous demandant de préparer une formule qu'il pourrait utiliser pour l'évaluation des risques?
M. Hare: Oui et non. Cet instrument a été mis au point dans mon laboratoire dès 1978. M. Hart et deux ou trois de mes étudiants de deuxième cycle m'ont aidé à l'élaborer. Il était conçu à l'origine simplement pour faciliter les travaux de recherche, la publication d'articles dans des journaux scientifiques, par exemple. Nous travaillions dans des laboratoires en vase clos. Dans le cadre de nos travaux, d'autres gens dans d'autres régions du monde ont entendu parler de cet instrument particulier, car il donnait aux chercheurs et aux cliniciens des critères bien précis pour arriver à ce type de diagnostic. Après avoir consacré plusieurs années à la collecte de données, nous avons commencé à étudier les implications de cet instrument pour le système de justice pénale. Nous sommes sortis de la tour d'ivoire et sommes allés dans le vrai monde.
Les résultats étaient constants, enregistrés à plusieurs reprises dans différents pays, diverses compétences. Nous savons maintenant que cet instrument est une méthode très fiable nous permettant d'identifier ces individus, une méthode qui nous permet de faire des choses importantes comme prédire les résultats. Elle nous permet de prédire la réaction au traitement offert dans le système carcéral. En fait, certains pays refusent de laisser ceux qui sont identifiés comme psychopathes participer à des programmes de traitement dispendieux.
Le Service correctionnel du Canada s'intéresse déjà depuis plusieurs années à cette méthode. Comme M. Hart l'a signalé, le SCC occupe le premier rang à l'échelle internationale pour ce qui est du travail innovateur, de la recherche... et tout cela est prévu dans son énoncé de mission, ce qui est tout à fait logique en théorie comme en pratique. Le service a essayé d'améliorer ses programmes.
Nous avons entre autres adopté cet instrument particulier parce que, comme quelqu'un l'a signalé dans un document, il est à la fine pointe. On s'en sert régulièrement maintenant. Je crois que tous les détenus qui sont en contact avec le Service correctionnel du Canada doivent passer ce test, c'est une question de routine.
J'aurais dû dire dès le départ qu'il s'agit d'un test qui a été publié, et je suis peut-être en conflit d'intérêts quand j'essaie de défendre ses mérites. Il est évident que je reçois des redevances des ventes et j'aimerais vous le dire tout de suite.
De toute façon, c'est efficace. C'est ce qui compte, je suppose.
Mme Meredith: Lors de conversations sur les psychopathes, on m'a signalé que ces derniers ne sont pas nécessairement des criminels ou des délinquants dangereux. Est-ce exact?
M. Hare: Oui, c'est parfaitement vrai. On m'a cité à plusieurs reprises disant que si je ne pouvais pas faire de recherche dans un contexte carcéral, où il y a beaucoup de psychopathes, je me tournerais probablement vers d'autres organisations. Pour que l'on ne m'accuse pas de diffamation, je ne dirai pas de quels organismes il s'agit. Mais c'est vrai, il existe également des psychopathes au sein de la population non carcérale. Il pourrait s'agir de votre voisin, de votre patron ou d'un membre de votre famille. Il s'agit de gens qui vivent pour eux-mêmes; à leurs yeux les autres n'existent pas vraiment, sauf pour leur offrir quelque chose. Penser à eux comme à des prédateurs sociaux qui ne se préoccupent pas du tout de vos droits. Ils ne finissent pas tous derrière les barreaux. Il se peut fort bien que certains d'entre eux, grâce à une formation quand ils étaient très jeunes, pour des raisons génétiques, la chance ou une expérience quelconque, disposent des aptitudes sociales pour se tirer d'affaire sans en fait commettre d'actes illégaux manifestes. Mais un psychopathe normalement essaiera de contourner les règlements.
Mme Meredith: Il serait donc juste de dire que dans votre méthode d'évaluation des risques des délinquants dangereux, vous ne faites pas que juger qu'ils sont des psychopathes; il y a d'autres facteurs qui font ressortir l'élément risque. Ce n'est pas comme si on arrêtait tous les psychopathes. Vous pouvez identifier ceux qui ont une nature violente.
M. Hare: Oui nous pouvons certainement identifier ceux qui, à notre avis, répondent aux critères établis pour les psychopathes. Par exemple, ils auraient une note élevée dans ce test. Il y a d'autres facteurs de risque, comme l'a signalé M. Hart, mais ils ne font qu'amplifier la prévisibilité de cet instrument.
Comme je l'ai déjà expliqué, si un individu est froid, sans coeur, égocentrique, impitoyable et prédateur, il ne faudra pas s'étonner s'il commet plusieurs infractions ou s'il fait d'autres choses inacceptables. Une étude effectuée aux États-Unis par le FBI a conclu que 44 p. 100 de ceux qui tuent des agents de la paix étaient des psychopathes, d'après les critères qui figurent sur notre liste. Ce n'est pas un concept théorique ou mystique dont nous parlons, c'est quelque chose qui peut être appliqué dans la vraie vie.
Mme Meredith: Merci.
Monsieur Hart, au cours d'une conversation que nous avons eue il y a environ deux ans, nous avons parlé de la tenue de dossiers des forces de l'ordre et de la façon dont on ne semblait pas vraiment tenir compte de ces questions lorsqu'un contrevenant était traduit devant les tribunaux. En d'autres termes, quelqu'un a commis un crime sexuel avec violence et peut se retrouver devant les tribunaux simplement accusé de voies de fait. Vous avez dit que lorsque vous obteniez plus de renseignements au cours de votre recherche, ça semblait toujours empirer les choses. Est-ce bien ce que nous avons conclu lors de notre conversation?
M. Hart: Je crois que oui. Il est maintenant très clair qu'un casier judiciaire ne présente que la pointe de l'iceberg quand on parle des activités criminelles, et c'est très souvent une représentation peu précise, une sous-évaluation de la nature et de l'importance ainsi que du caractère grave des antécédents criminels de l'individu.
Vous parlez de cas où, par exemple, quelqu'un avait au départ été accusé d'agression sexuelle, mais a été déclaré coupable d'introduction par effraction pour commettre un acte criminel. Il s'agit de détenus que l'on songeait d'abord à accuser d'un crime de violence et qui ont plus tard été déclarés coupables d'un crime sans violence. Cela nous inquiète encore.
Nous avons d'autres inquiétudes au sujet des casiers judiciaires. Par exemple, il arrive beaucoup plus souvent maintenant que des délinquants demandent leur réhabilitation et la suppression de leur casier judiciaire, et cela comprend certains des pires criminels que nous ayons vus au cours des années. D'anciens détenus qui ont réussi à ne pas récidiver pendant un certain nombre d'années peuvent demander que leur casier judiciaire soit retiré du système. Il arrive maintenant que la GRC nous prie de bien vouloir détruire un casier judiciaire que nous avions demandé pour nos recherches vu que le contrevenant a été gracié. À mon avis, c'est très dangereux que le système se concentre à ce point sur le casier judiciaire.
Par ailleurs, le Service correctionnel du Canada fait maintenant le nécessaire pour aller plus loin que le casier judiciaire des délinquants et, depuis cinq ou six ans, passe beaucoup plus de temps à essayer de savoir ce que les contrevenants ont fait dans le passé au lieu de se contenter de savoir pour quel délit ils ont été arrêtés ou de quel crime ils ont été déclarés coupables.
Le Service correctionnel du Canada est donc parfaitement au courant du problème et essaye de le surmonter, mais il est encore très difficile à cause du mauvais système de dossiers d'essayer de voir tout ce que les contrevenants ont pu faire au cours des années. Il faut parfois un an ou un an et demi avant qu'une déclaration de culpabilité soit versée au casier judiciaire d'un contrevenant, par exemple. Autrement dit, on peut avoir l'impression que le contrevenant évolue sans problème dans la communauté, alors qu'il a peut-être déjà commis un autre crime et est maintenant en prison. Nous devrons cependant attendre un an et demi avant de le savoir.
Mme Meredith: Certains autres témoins nous ont dit à propos des deux projets de loi à l'étude que nous essayons de nous servir de ces mesures pour prédire la violence et le comportement futur des contrevenants et que c'était tout simplement impossible. D'après votre témoignage, vous semblez très certains de pouvoir prédire avec une grande certitude si un délinquant commettra un autre crime de violence ou non. Est-ce exact?
M. Hare: Pas avec une grande exactitude, mais beaucoup mieux que si nous comptions uniquement sur la chance. Il est faux de prétendre que nous ne pouvons pas prédire raisonnablement bien quel délinquant récidivera de façon générale ou commettra un autre crime de violence. Ce n'est pas ce que je pense. Les textes empiriques le prouvent. Cela ne fait plus aucun doute. Bien entendu, il y a encore des erreurs.
M. Hart: J'ai essayé d'expliquer la situation dans le passé en disant que, si nous voulons examiner l'exactitude des prédictions de violence, nous pouvons dire que nous prédisons la violence à peu près aussi exactement que nous pouvons prédire qu'un malade souffrira moins d'angine après un pontage. Je ne connais personne qui ait refusé de subir un pontage quand son médecin le lui avait recommandé, mais c'est une chose que nous pouvons prédire avec à peu près la même exactitude que les crimes de violence. Il est tout simplement faux de dire que nous ne pouvons pas prédire le taux de récidivisme ou de violence. Ceux qui le disent ne comprennent tout simplement pas les données scientifiques.
Ce qui est bien évident, c'est que nous ne pouvons pas prédire à la perfection les crimes de violence, comme tout le monde en conviendra, je pense, mais nous faisons certes beaucoup mieux que si nous comptions uniquement sur la chance. Nous pouvons prédire la violence à peu près aussi bien que toutes sortes d'autres résultats importants.
Mme Meredith: Merci.
La présidente: Monsieur Telegdi.
M. Telegdi (Waterloo): Merci, madame la présidente.
Cela m'a frappé de vous entendre dire que certaines choses comme les plans de libération ne donnaient pas d'aussi bonnes indications de succès que votre échelle de psychopathie. Il faut respecter certains critères. Sinon, un ancien détenu ne réussira pas à se réinsérer dans la communauté. Il doit avoir un logement, il doit avoir un revenu quelconque, de préférence d'un emploi, et il doit avoir du soutien dans la communauté.
Je voudrais essayer d'obtenir une réponse que je peux visualiser plus facilement. Prenons 100 détenus qui demandent leur libération conditionnelle. Dites-moi combien de ces 100 détenus d'après vous seraient identifiés comme étant des psychopathes qui risquent de commettre des actes de violence. Quelle serait la proportion? Quel serait le taux de succès de votre échelle? Prenons ces 100 cas.
M. Hart: Si je peux résumer, sur 100 détenus du Service correctionnel du Canada qui reçoivent leur libération conditionnelle, le taux de récidive après cinq ans serait d'environ 40 p. 100, c'est-à-dire qu'environ 40 p. 100 de ces anciens détenus seront incarcérés de nouveau pour avoir violé les conditions de leur libération conditionnelle ou pour d'autres infractions. Sur ces 100 personnes, environ 20 p. 100, ou plutôt de 15 à 20 p. 100, seraient considérées comme présentant un risque élevé si l'on utilisait un test à une variable comme l'échelle de psychopathie. Grâce à ce test, on aurait pu prédire avec 75 p. 100 ou 80 p. 100 d'exactitude si un ancien détenu commettrait des actes de violence ou non pendant cette période. C'est la façon la plus simple de l'expliquer. Le taux d'exactitude général serait de 75 à 80 p. 100.
M. Telegdi: Quand vous parlez de récidivistes dont la libération conditionnelle a été révoquée, quel pourcentage de ces 40 p. 100 ont commis un nouveau délit par opposition à ceux qui n'ont pas respecté certaines des conditions de leur libération conditionnelle?
M. Hart: Les réponses à ce genre de questions dépendraient beaucoup du groupe de contrevenants choisi. Cela dépend du genre d'établissement dont ils sont libérés, cela dépend du crime dont ils avaient été accusés et cela dépend du type de récidive. Nous pourrions essayer de vous donner une réponse beaucoup plus précise, mais vous devriez pour cela me poser une question plus précise.
M. Telegdi: Vous dites que, pour effectuer vos recherches, vous vous êtes essentiellement fondé sur des cas passés pour faire vos prédictions. Certains pourraient dire qu'il est très facile d'avoir un taux d'exactitude parfait avec un tel recul.
Pouvez-vous nous expliquer votre méthodologie? Comment avez-vous procédé?
M. Hare: Ce n'est pas de la sagesse rétrospective. L'un des problèmes de cet instrument de recherche du point de vue des criminologues et des sociologues, par exemple, c'est que la liste comprend plusieurs critères qui ont trait aux antécédents criminels des détenus. On pourrait dire que nous nous contentons de prédire ce qu'un délinquant fera plus tard d'après ce qu'il a fait déjà, mais l'on peut toujours retirer ces critères de la liste et faire une véritable étude de prédiction.
La première étude a été effectuée par M. Hart et Randy Kropp il y a quelques années. Ils ont pris le cas de 231 délinquants libérés de l'Institution Mission, dans la vallée de Mission, et surveillé ce qu'ils feraient. C'était une véritable étude de prédiction.
La Commission des libérations conditionnelles n'était pas au courant des évaluations qui avaient été effectuées pour déterminer les tendances psychopathiques et ceux qui faisaient les évaluations de psychopathie ne savaient pas ce qui arriverait plus tard. Les délinquants ont été suivis pour une période... je pense que c'était de quatre ans en moyenne.
Quand nous avons obtenu les résultats, nous avons constaté qu'ils étaient vraiment très bons. Nous les avons envoyés à l'une des meilleures revues de l'Amérique du Nord qui est publiée par l'Association des psychologues américains.
Le critique nous a demandé si nos résultats étaient meilleurs que ceux qu'on obtenait grâce aux autres instruments de prédiction, comme le nombre de crimes commis dans le passé et les antécédents criminels. Pour publier les résultats de nos recherches, nous avons dû prouver de façon statistique que, si l'on tient compte de toutes les autres variables, cet instrument ajoute quelque chose d'important.
Nous l'avons fait. Ceux qui effectuent les recherches grâce à cet instrument au Canada et dans d'autres parties du monde s'assurent régulièrement que les prédictions faites grâce à cet instrument-ci ne sont pas contaminées par les antécédents criminels passés. Est-ce bien cela?
M. Hart: Oui.
Pour répondre à l'une des questions que vous aviez posées tantôt, la psychopathie est un trouble qu'on ne peut identifier en examinant l'histoire personnelle. C'est un trouble de la personnalité. Cela détermine comment quelqu'un agit dans la plupart des situations au cours des années, et ainsi de suite. C'est une réflexion de la personnalité.
D'autres types de variables sur lesquelles on peut se fonder dépendent beaucoup de facteurs accidentels. Vous avez mentionné, par exemple, les plans de libération conditionnelle et le logement. L'un des problèmes si l'on se fie aux plans de logement ou aux plans de libération, et c'est une chose qui peut scandaliser les gens, c'est que les contrevenants mentent très souvent.
Une autre chose, c'est que les contrevenants ont un mode de vie très instable. On peut parfois prédire cette instabilité. Les plans de logement peuvent changer d'une semaine à l'autre alors que la personnalité, c'est-à-dire la façon dont quelqu'un se comporte sur 15 ou 20 ans, a de bonnes chances de très bien refléter la façon dont le délinquant se comporte d'habitude dans la communauté.
Pour utiliser une analogie météorologique, aujourd'hui, il pleut à Vancouver. Si je veux prédire le temps qu'il fera la semaine prochaine, je peux le faire de deux façons. Je peux me fonder sur le temps qu'il fait aujourd'hui ou bien je peux prédire le temps qu'il fera la semaine prochaine d'après le temps qu'il fait d'habitude à Vancouver en février. La prédiction basée sur le climat sera toujours plus exacte que la prédiction basée sur le temps qu'il fait aujourd'hui. Bien sûr, c'est facile à Vancouver parce qu'il pleuvra toujours. Je pense cependant que vous avez compris ce que j'essaie de dire.
M. Telegdi: Pas nécessairement, en fait. J'échangerais volontiers notre climat contre le vôtre.
Je reviens à ce que je disais tantôt. J'ai travaillé avec des gens qui avaient été libérés et placés sous surveillance. Dans bien des cas, ces gens n'avaient pas de résidence et, parfois, ils changeaient constamment de résidence, soit à cause de leur revenu, soit à cause d'un problème de drogue ou d'alcool.
Si nous pouvions surmonter ces obstacles, l'expérience du détenu libéré était dans la plupart des cas satisfaisante. Je suis bien d'accord que la situation du logement peut être instable et que les délinquants peuvent mentir, surtout si la seule autre possibilité est l'incarcération.
Dans la mesure où l'on peut stabiliser ces facteurs critiques, et je considère pour ma part qu'ils sont extrêmement critiques, parce que si vous n'avez pas de logement ou d'argent, vous allez voler et commettre d'autres crimes et il y a aussi de bonnes chances que vous quittiez la région, mais vos chances de succès sont beaucoup plus élevées que si l'on ne réussit pas à les stabiliser.
M. Hart: Est-ce vrai? À notre avis, c'est surtout vrai pour ceux qui ne sont pas psychopathes. L'un des problèmes des contrevenants psychopathes, c'est qu'ils sont des menteurs invétérés. À première vue, ils semblent bien adaptés, mais si vous examinez leurs antécédents, vous vous rendez compte qu'on ne peut pas se fier aux apparences.
Ce qui nous inquiète, ce sont les gens qui semblent avoir une résidence stable et un bon emploi. Tout semble bien aller. Ce sont cependant eux qui risquent de récidiver et de commettre des actes de violence dans la communauté. Ce sont eux qui nous inquiètent le plus.
M. Hare: Les facteurs que vous avez mentionnés sont très importants pour la majorité des contrevenants. Personne ne peut le nier. Ils revêtent cependant moins d'importance pour le contrevenant psychopathe parce que, pour eux, les actes prémédités ne veulent pas dire grand-chose. Si vous les placez dans un foyer de transition, ce sont eux qui violeront les règles du foyer, qui causeront des ennuis aux autres pensionnaires, et ainsi de suite.
Nous ne prétendons pas pouvoir identifier les délinquants présentant un risque élevé de récidive avec une certitude absolue. Personne ne peut le prétendre. D'autre part, nous pouvons identifier un sous-groupe qui présente des risques relativement élevés. Nous pouvons aussi identifier des groupes qui présentent peu de risques. C'est une chose importante que l'on oublie parfois.
Le niveau de risque va de très faible à très élevé. C'est facile d'identifier les délinquants qui présentent un risque élevé et ceux qui présentent un faible risque. Pour ceux qui présentent un risque moyen, c'est beaucoup plus difficile à évaluer pour tout le monde, y compris la Commission nationale des libérations conditionnelles.
M. Telegdi: Merci.
La présidente: Merci, monsieur Telegdi. Revenons à M. St-Laurent.
[Français]
M. St-Laurent: Vous parliez plus tôt de prédictions. Dites-nous quand auront lieu les prochaines élections. Cela nous aiderait de ce côté-ci.
Plus sérieusement, on va parler de statistiques. Vous avez décrit votre rôle, monsieur Hare. Plus tôt, vous avez dit à Mme Meredith que vous étiez un peu en conflit d'intérêts. Je n'ai pas compris tout à fait ce bout-là. De quelle façon le seriez-vous?
D'un côté, j'imagine que vous conseillez le Service correctionnel sur certaines données concernant notamment la façon d'étudier les libérations conditionnelles. Vous dites que vous pouvez prédire 75 p. 100 des cas de récidive, alors que la récidive, et M. Hart l'a dit plus tôt, est de 40 p. 100 à l'heure actuelle. Donc, comment pouvez-vous, comme témoin, alors que vous conseillez le gouvernement, dire qu'on peut réduire le risque de récidive? Est-ce parce que votre méthode ne fonctionne pas? Expliquez-moi cela. J'ai mal compris.
[Traduction]
M. Hare: Nous visons tous la perfection, mais peu y arrivent.
Les méthodes que nous avons élaborées étaient destinées surtout à la recherche. Elles ont été adoptées par diverses instances judiciaires tout simplement parce qu'elles sont raisonnablement efficaces.
Je ne fournis pas de conseils au système judiciaire. Je fais de la recherche au sein du système.
Un de nos projets en cours consiste à étudier des personnes dont nous avons les dossiers depuis 1978 et pour lesquelles nous avons des renseignements sur leurs comportements criminels ultérieurs. Nous essayons de mettre au point une série de facteurs de risque qui permettront de prédire le risque de récidive et de violence pour divers types de délinquants. C'est en cours. Je travaille pour cela avec le Service correctionnel et un peu en consultation avec la Commission nationale des libérations conditionnelles, parce que ces deux organismes s'intéressent à ce genre de renseignements.
Rappelez-vous que ce n'est qu'expérimental. Nous en faisons l'essai, nous voyons si ça fonctionne, et si ça ne fonctionne pas, on le modifie. Jusqu'ici, ça fonctionne assez bien, mais c'est encore loin d'être parfait.
Vous demandez si nous pouvons réduire ce taux de récidive de 40 p. 100. Je présume que nous pourrions avoir une légère incidence là-dessus. Je pense qu'avec ces méthodes et du gros bon sens, nous pourrions réduire le risque de récidive avec violence, soit le genre de récidive vraiment grave. Nous pourrions ne pas avoir beaucoup d'incidence sur les récidives moins graves.
D'ailleurs, imaginons qu'on libère les délinquants à faible risque. Que veut-on dire par faible risque? Est-ce un faible risque de violence? Si c'est un faible risque de violence, ces personnes risquent tout de même fort de commettre des introductions par effraction, des vols et d'autres crimes où il n'y a pas nécessairement de victime.
Il nous faut donc arriver à un intéressant équilibre. Nous pourrions laisser sortir des tas de délinquants qui vont commettre des infractions très ennuyeuses pour beaucoup de gens, sans qu'il y ait nécessairement violence.
J'ai soulevé la question du conflit parce que j'ai donné des conférences à diverses organisations professionnelles. J'ai notamment prononcé une allocution devant les membres d'une grande organisation de psychiatrie, il y a quelques années. Chaque conférencier devait signer une déclaration, où l'on précisait si l'une ou l'autre des choses dont on allait parler avait un intérêt personnel pour lui-même, par exemple s'il y a un conflit d'intérêts au sujet d'un instrument particulier.
Je l'ai signée. Quand je me suis levé pour prononcer ma conférence, j'ai dit que j'avais mis au point l'échelle de psychopathie. J'ai dit que c'était publié commercialement au Canada, et que je recevais des redevances pour cela. Par conséquent, ai-je déclaré, vous pouvez m'écouter attentivement ou rejeter mes propos, parce qu'on pourrait me considérer comme quelqu'un qui a un intérêt commercial.
En disant cela, j'en ai fait rire beaucoup, puisque de nombreux autres conférenciers avaient mis au point des instruments utilisés par d'autres, sans pour autant déclarer leur intérêt.
D'une certaine façon, il y a bien un conflit d'intérêts. Je veux le dire d'emblée. Si cet instrument est utilisé... il est utilisé. Je n'en fais pas la promotion, en passant. Il a été adopté par toutes sortes de gens parce qu'il est utile. Mais je dois bien dire que je reçois des redevances pour la vente de cet outil. C'est tout à fait vrai.
La présidente: Merci, monsieur St-Laurent. Monsieur Discepola, vous avez cinq minutes.
M. Discepola (Vaudreuil): Merci, madame la présidente.
Monsieur Hare ou monsieur Hart, j'ai deux questions à vous poser. Vous semblez dire au comité que c'est un exploit scientifique que de prédire le comportement de quelqu'un. Vous pouvez vraiment prédire, dites-vous, si quelqu'un va récidiver ou non.
Voici quelles sont mes préoccupations. Vous avez également déclaré que la Commission nationale des libérations conditionnelles semble faire un travail passable dans certains domaines dont elle a la compétence. On entend trop souvent parler des cas exceptionnels, des 20 p. 100 de cas où l'on n'a pas si bien réussi.
Le système a-t-il un point faible? Vous parlez du manque d'interprétation des renseignements. Vos statistiques et les données que vous avez recueillies sur la vie d'un détenu pendant sa période d'incarcération semblent être de très bons facteurs de prédiction de son comportement futur. Toutefois, vous avez affirmé que la Commission nationale des libérations conditionnelles, tout d'abord, pouvait ne pas être suffisamment compétente pour les interpréter et, ensuite, pourrait ne pas avoir la formation nécessaire.
Je me demande donc tout simplement si on pourrait libérer moins de criminels en améliorant soit les compétences des membres des commissions de libérations conditionnelles ou en leur donnant la formation nécessaire, évidemment associée à vos recherches, dont les résultats semblent être efficaces d'après vous.
M. Hart: Je pense que les membres des commissions de libérations n'ont pas été choisis en tant que scientifiques, mais pour représenter la communauté. D'une certaine façon, c'est donc délibérément qu'on choisit des gens n'ayant pas ce genre de compétence. C'est la vie.
Je présume que notre travail, au sein du système judiciaire, est destiné à fournir à ces gens, qui représentent la communauté, des renseignements qu'ils peuvent utiliser et comprendre facilement. Je pense qu'actuellement, on fournit aux commissions trop de renseignements, trop complexes, si vous voyez ce que je veux dire.
Je ne m'attends pas à ce que la Commission nationale des libérations conditionnelles devienne un centre d'excellence en la matière. Si c'était le cas, il y aurait un organisme de trop. On pourrait tout aussi bien confier ces décisions au Service correctionnel du Canada.
Si l'on veut conserver la Commission nationale des libérations conditionnelles pour refléter les valeurs et les courants d'opinion de la collectivité, il incombe alors à mon avis au Service correctionnel et à la Commission nationale des libérations conditionnelles de mettre au point des directives de transmission d'information sur le risque de violence ou d'autres formes de criminalité.
M. Discepola: On arrive à mon autre question. Toute cette recherche, c'est bien beau. Vos prédictions semblent très scientifiques. Vous avez toutefois parlé d'une «légère amélioration» au sujet de la «réduction du taux de récidive». Que vaut toute cette recherche si on ne peut la mettre en pratique pour vraiment réduire le taux de récidive?
Si on peut le prédire, est-ce que la faute revient aux collectivités? Est-ce le système qui nous laisse tomber? Est-ce que les structures de soutien disparaissent dès qu'un détenu sort de prison?
Très souvent, pendant l'incarcération, les détenus reçoivent toutes sortes de programmes de traitement pour corriger leurs comportements. Je présume qu'on a critiqué le Service correctionnel parce que dès que les détenus nous quittent, ils doivent se débrouiller par eux-mêmes. Et c'est là qu'ils ont des rechutes. Ils n'ont pas les structures de soutien nécessaires pour - se sevrer lentement.
Devrions-nous en faire davantage dans les collectivités? L'un de mes collègues a parlé de logements sociaux, par exemple. Devrions-nous en faire plus ou pouvons-nous en faire plus pour prévenir les problèmes et réduire le taux de criminalité en le faisant passer à 20 ou 30 p. 100, plutôt qu'à 40 p. 100?
M. Hart: Je vais dire une chose rapidement, avant de céder la parole à M. Hare.
Pour commencer, il ne faut pas considérer le taux de récidive comme une mesure de notre réussite. Certains veulent voir baisser les taux de récidive. Je suis parfois enchanté de les voir augmenter; cela ne veut pas nécessairement dire qu'il y a plus de criminels, mais plutôt, qu'on leur met la main au collet. Je pense que c'est ce qui importe.
Les taux de récidive pourraient être très bas si l'on demandait à tous les policiers de prendre des vacances. Le taux de récidive baisserait alors de beaucoup, mais il se commettrait tout autant de crimes. Dans certaines occasions, une hausse du taux de récidive, c'est une bonne chose, puisqu'on arrête davantage de délinquants avant qu'ils passent aux choses sérieuses.
C'est l'une des choses sur lesquelles nous voulons nous pencher. Le taux global de récidive peut ne pas changer, mais nous espérons qu'on attrape davantage de délinquants graves avant qu'ils commettent des crimes violents et qu'on s'inquiète moins de mettre la main au collet des délinquants à faible risque qui ne respectent pas certaines des conditions qui leur ont été imposées, comme lorsqu'ils boivent alors que ça leur a été interdit. Nous voulons plutôt arrêter ceux qui veulent traîner dans les cours d'école, dans l'intention de faire du mal aux enfants.
Est-ce que vous me comprenez bien? Le taux de récidive n'est pas la seule mesure de notre réussite; il faut l'interpréter dans un contexte assez complexe.
Je cède maintenant la parole à mon collègue.
M. Hare: Si je comprends bien le projet de loi C-55, ce dont on se préoccupe vraiment, c'est des récidives sous forme de crimes sexuels ou violents. Je dirais qu'il serait possible, qu'il est certainement possible, de réduire le taux de récidive pour ce type de crime, avec des méthodes de ce genre.
Pour ce qui est de réduire le taux de récidive pour des crimes de moindre gravité, c'est une autre question, et ce n'est pas ce genre de délinquant qui est visé par nos travaux.
Vous avez soulevé une question intéressante au sujet de ce qui se produit au Service correctionnel du Canada. En vertu de cette proposition sur les délinquants à contrôler, il est possible que des délinquants soient détenus pour de très longues périodes, mais ils vont certainement sortir à un moment donné, à moins que soit invoquée l'autre disposition, relative aux délinquants dangereux.
Le problème, c'est que nous n'avons pas dans le système les outils nécessaires pour vraiment traiter ou plutôt gérer les interventions nécessaires pour le genre de délinquant dont on parle.
Le Service correctionnel du Canada est probablement un leader mondial en matière de programmes de traitement normalisé pour les délinquants moyens. Ces programmes fonctionnent raisonnablement bien, comme d'autres témoins vous l'ont probablement déjà dit.
Ils ne fonctionnent pas très bien, toutefois, pour le genre de délinquants que nous vous décrivons. Assez souvent, ceux-là vont présenter une assez bonne image en rencontre individuelle. Ils peuvent impressionner tout le monde en décrivant leur nouvelle compréhension des choses. Ils prétendent vraiment comprendre l'incidence qu'a eue leur comportement sur leurs victimes. Très souvent, pour eux, ce ne sont que des mots, mais cette apparente révélation leur obtiendra de bonnes notes. Dans leur dossier, quelqu'un écrira qu'ils ont vraiment changé, qu'ils ne sont plus la même personne et qu'il y a peu de risques de récidive. En fait, ils se sont joués du système. Le programme destiné à développer chez eux une empathie ou une conscientisation ne fonctionnera pas pour eux.
Le Service correctionnel comprend ce problème. On m'a informé qu'on prévoyait de mettre sur pied des programmes destinés particulièrement à ces détenus. On ne peut pas les garder en dedans pour toujours, sans vraiment essayer de mettre au point des programmes innovateurs qui vont plus probablement réduire le risque de violence, au sein de l'établissement et à l'extérieur.
M. Discepola: Avez-vous fait des études pour mesurer le taux de réussite de ces programmes?
M. Hare: Certains l'ont fait, oui. Le Service correctionnel du Canada a mené quelques études, sous la direction de M. Stephen Wong, au Regional Psychiatric Centre de Saskatoon, où l'on a étudié l'efficacité de ces programmes pour les délinquants moyens et pour les délinquants psychopathes. Ils ne sont pas très efficaces pour ces derniers, non seulement du point de vue de ceux qui dirigent le programme, mais aussi d'après ce qui se produit une fois qu'ils sont libérés. Ces délinquants ont tous participé à un programme de traitement par thérapie, très coûteux. En faisant un suivi, on a constaté que le taux de récidive pour les psychopathes qui ont participé au programme était bien plus élevé que pour les autres délinquants.
Des recherches semblables sont menées en Ontario, à Penetanguishene, d'après lesquelles des programmes de traitement traditionnel sont non seulement inefficaces pour les psychopathes mais produisent l'effet contraire à celui qui est souhaité. Ils apprennent de nouvelles façons de manipuler d'autres personnes. À leur sortie, ils sont pires qu'à leur arrivée.
Pour terminer là-dessus, il y a quelques années, le Service correctionnel du Canada m'a demandé de mettre sur pied un programme pour les délinquants à risque élevé de violence, notamment des psychopathes. C'est ce que j'ai fait. Le directeur de la recherche et des statistiques était alors M. Frank Porporino. Je pense que le commissaire était à l'époque Ole Ingstrup.
Ce programme a été présenté au gouvernement il y a quelques années, mais rien n'a été fait, pour des raisons que j'ignore. Il y avait un programme destiné à réduire le risque que ces délinquants représentaient pour la société, mais il n'a jamais été mis en oeuvre.
La présidente: Merci, monsieur Discepola.
J'ai deux autres noms sur la liste. Mme Meredith aura le dernier mot, puisqu'elle nous a déniché ces témoins.
Monsieur Regan, vous pouvez poser une brève question.
M. Regan (Halifax-Ouest): Monsieur Hart, vous avez déclaré que le casier judiciaire n'est souvent que la pointe de l'iceberg pour ce qui est des activités criminelles d'une personne. Je suis enclin à vous croire, bien que n'ayant aucune expérience personnelle en la matière; j'aimerais savoir quelle est votre expérience à ce sujet. Il me semble que normalement, ce qu'on a pour prouver la conduite criminelle passée d'une personne, c'est la condamnation dont elle a fait l'objet. Sur quoi appuyez-vous donc vos conclusions?
M. Hare: Vous pouvez poser la question aux détenus, en fait. On dit que les délinquants mentent, mais c'est en présumant que dans la plupart des cas, ils mentent pour sous-estimer leurs activités criminelles.
Dans diverses études où on a donné aux délinquants la possibilité de parler anonymement de leurs crimes, dans le cadre d'une entrevue, ou lorsqu'on vérifiait la véracité de leurs dires au moyen d'un polygraphe ou détecteur de mensonge, dans tous les cas, on a constaté que les condamnations ne représentaient environ qu'un dixième de toute l'activité criminelle des délinquants.
C'est en fait assez terrifiant. Cela signifie qu'on les arrête environ une fois sur dix. Dans certains cas, pour les délinquants sexuels, nous estimons que c'est une fois pour 75 infractions. En général, une condamnation peut donner une bonne idée de la gravité de la criminalité d'un délinquant. C'est-à-dire qu'ils ont commis suffisamment de crimes assez graves pour se faire prendre. Les condamnations officielles ne donnent qu'une vague idée du véritable niveau de criminalité; ce n'est pas un indicateur absolu.
Dans une des premières études sur les libérations auxquelles a participé M. Hart, on s'est adressé aux agents de liberté conditionnelle pour savoir dans quelle mesure les détenus libérés observaient bien leur plan de libération conditionnelle. Habitaient-ils vraiment là où ils étaient censés le faire? Faisaient-ils ce qu'ils étaient censés faire?
Il était très clair d'après les données recueillies que les délinquants psychopathes ne se conformaient pas à leur programme prélibératoire. Ils ne suivaient pas les règles du programme et les enfreignaient constamment.
La présidente: Madame Meredith, vous avez le dernier mot.
Mme Meredith: Merci, madame la présidente. J'aimerais revenir à la question soulevée par M. Regan.
Si j'ai bien compris, vous avez également compulsé les rapports de police. Vous avez constaté que lorsqu'on y indiquait ce qui s'était produit, une fois devant le tribunal, on minimisait les choses dans bien des cas, que ce soit dans le cadre d'une négociation de plaidoyer ou simplement parce qu'on portait les accusations grâce auxquelles on estimait pouvoir obtenir une condamnation dans le cadre du système judiciaire. L'événement réel était très souvent minimisé, quand on en arrivait enfin à porter des accusations ou à condamner le délinquant. Est-ce que j'ai bien compris?
M. Hart: Oui, c'est exact. Nous nous occupons très peu, en fait, d'un article du Code criminel en vertu duquel des accusations ont été portées ou une condamnation obtenue.
Le gros de notre recherche consiste en fait à lire les rapports de police pour voir exactement de quel genre de violence s'est rendu coupable le délinquant. Ce faisant, nous constatons que les psychopathes sont non seulement beaucoup plus violents, mais qu'en outre, le genre de violence commise par eux est également bien différente. Nous en sommes venus à les décrire comme ayant un comportement instrumental impulsif. Cela signifie que les psychopathes ont tendance à décider assez rapidement de commettre des actes violents, si ça leur est utile pour des raisons financières ou autres. Cela ne résulte pas d'une vive excitation ou de quelque chose comme ça.
Si l'on observe le comportement réel des psychopathes dans la description qu'en font les délinquants eux-mêmes, leurs victimes, les témoins et les policiers, on constate qu'ils sont beaucoup plus violents, et que leur violence s'exprime différemment.
M. Hare: Leur violence est celle d'un prédateur, elle est planifiée, préméditée, et elle se manifeste dans le calme et de sang-froid, si on la compare à la grande intensité émotionnelle qui mène à un acte violent chez les autres délinquants.
M. Hart: Vous ne trouverez jamais ce type de renseignement dans quelque chose qui dit «voies de fait» sur la feuille PF d'un particulier; on dit simplement «voies de fait». Cela ne vous dit pas qui est la victime, quelles étaient les circonstances ou la nature de l'acte violent.
Mme Meredith: Merci.
J'aimerais terminer en vous posant une question sur les jeunes contrevenants. Vous dites que les résultats sont les mêmes lorsque vous faites passer les mêmes tests aux jeunes. Si vous les identifiez lorsqu'ils sont plus jeunes, lorsqu'ils ont 13 ou 14 ans, croyez-vous qu'il pourrait y avoir un traitement offert aux délinquants violents psychopathes? Pensez-vous que l'on pourrait intervenir lorsqu'ils sont plus jeunes?
M. Hare: Oui. Cela devrait être possible.
Ceux qui ont étudié le développement du comportement antisocial en termes généraux dans toutes les régions du monde, vous diront tous que lorsqu'un adolescent de 14 ou 15 ans se livre à des activités criminelles, il est très difficile de modifier son comportement. Évidemment, ça sera beaucoup plus difficile de changer le mode de vie d'un adolescent psychopathe. Mais à moins que nous ne le fassions, nous passerons le reste de nos vies à composer avec des délinquants adultes qui ont passé plusieurs années dans le système et qui ont appris toutes sortes d'autres façons de s'exprimer, des façons qui ne sont pas très bonnes pour la société.
Je crois qu'à moins que nous n'essayions de créer des programmes innovateurs qui ciblent ces individus, le problème ne disparaîtra jamais. La seule façon de s'y attaquer c'est de commencer avec les jeunes. Je crois qu'un jour ou l'autre nous devrons essayer de nous attaquer au problème chez des gens de plus en plus jeunes.
M. Hart: Je crois qu'il est également très important de signaler que si nous parlons de l'identification de 15 p. 100 à 20 p. 100 des délinquants qui sont psychopathes, qui présentent des risques de violence élevés, et qui ne répondent pas aux programmes de traitement correctionnel habituels, cela veut dire que nous pouvons également identifier de façon très précise environ 80 p. 100 des délinquants qui en fait répondent de façon fort positive aux programmes de traitement correctionnel traditionnels, qui présentent de faibles risques, et pour lesquels nous gaspillons en fait nos ressources.
Nous consacrons beaucoup trop d'efforts pour imposer des mesures de contrôle et de sanctions sociales à ces contrevenants, mais pas assez à ceux qui ont davantage besoin d'aide. Nous ne devons pas nécessairement dépenser beaucoup plus d'argent dans le système de justice pénale, mais nous pouvons certainement réorganiser les services pour desservir ceux qui en ont le plus besoin.
Mme Meredith: Merci beaucoup. Je vous remercie d'être venus.
La présidente: Merci, madame Meredith.
Messieurs, je tiens à vous remercier de votre aide. Votre présence nous a été fort utile. Nous avons été très heureux de discuter de la question avec vous.
J'aimerais vous rappeler que la prochaine réunion aura lieu à 9 heures dans cette salle le mardi 18 février.
La séance est levée.