[Enregistrement électronique]
Le jeudi 20 février 1997
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Torsney): La séance est ouverte.
Nous étudions les projets de loi C-55 et C-254 qui portent tous deux sur les délinquants présentant un risque élevé de récidive. Nous accueillons aujourd'hui le chef de la Police de la ville de London, Julian Fantino.
Bienvenue, monsieur Fantino. Nous écouterons avec plaisir votre exposé, après quoi nous vous poserons des questions.
M. Julian Fantino (chef, Police de London): Bien
Mesdames et messieurs du comité, je vous remercie d'abord de m'avoir permis de comparaître pour traiter avec vous des projets de loi C-55 et C-254.
Protéger la population contre les délinquants violents et dangereux doit être une de nos considérations prioritaires. Par conséquent, ces deux projets de loi sont un grand pas dans la bonne direction. Les délinquants présentant un risque élevé de récidive ne doivent pas être traités sur le même pied que le reste des détenus. La Police de la ville de London est donc d'accord avec ces projets de loi. Toutes nos suggestions ne visent qu'à les bonifier et à les renforcer.
Il faut féliciter le gouvernement d'avoir recommandé que la demande en vue de prononcer quelqu'un délinquant dangereux ne soit pas faite au moment du procès, mais que la Couronne ait six mois pour présenter sa demande après le procès. Toutefois, nous suggérons au gouvernement de prolonger ce délai jusqu'à 12 mois, et de plus, que la disposition exigeant que la Couronne avise le délinquant au moment de la condamnation soit modifiée pour lui permettre de présenter sa demande sans préavis, au cas où certains faits seraient portés ultérieurement, c'est-à-dire après le procès, à l'attention du procureur de la Couronne.
Pour ce qui est des délinquants présentant un risque élevé de récidive, nous estimons qu'il devrait être possible aux agents des services correctionnels de publier le nom de ces délinquants, lorsqu'ils sont relaxés et qu'ils retournent au sein de la collectivité. On a de tout temps demandé à la police d'assumer ce rôle, et nous n'avons jamais été en mesure de le faire de façon satisfaisante, sans risquer d'encourir des poursuites judiciaires et de susciter beaucoup de controverse.
Nous appuyons les efforts déployés par le gouvernement pour simplifier les démarches en vue de déterminer si un détenu doit être considéré ou non comme délinquant dangereux. Nous considérons comme un pas dans la bonne voie qu'on ait réduit de deux à un le nombre de psychiatres, devant témoigner lors d'un procès.
L'article 810.1 permet actuellement à quiconque a des motifs raisonnables de craindre que des personnes puissent être victimes de sévices graves à la personne, de faire des demandes en ce sens aux tribunaux. Le demandeur peut déposer une dénonciation devant un juge d'une cour provinciale qui peut à son tour exiger que l'intéressé contracte un engagement. Nous suggérons dans la même veine que le paragraphe 810.2 permette à n'importe qui, plutôt qu'uniquement au procureur général, de déposer une dénonciation s'il craint qu'une tierce personne puisse être victime de sévices graves à la personne. Rien ne justifie, du point de vue logique, que l'on fasse la distinction entre les paragraphes 810.1 et 810.2, pour ce qui est de celui qui peut déposer une dénonciation.
Madame la présidente, comprenons-nous bien: le paragraphe 810.1 joue un rôle très important car il permet de répondre aux préoccupations de la population en matière de sécurité. De plus, ce paragraphe constitue un mécanisme utile et son application permettra de répondre de façon préventive à notre besoin collectif de mieux protéger les collectivités. Nous nous promettons d'avoir recours aussi souvent que possible à cette disposition.
Nous savons que les libertaires s'inquiètent de la façon dont la disposition sur la surveillance électronique pourrait s'appliquer à l'alinéa 810.2(6). Nous affirmons pour notre part que la sécurité de la collectivité doit primer toute préoccupation de liberté personnelle, d'autant plus que nous savons que ces conditions ne seront pas imposées de façon arbitraire et qu'elles découleront d'un procès en bonne et due forme devant un juge.
Le seul problème d'ordre pratique pour nous, c'est de savoir qui sera chargé d'administrer le programme de surveillance, étant donné que les budgets de la plupart des corps policiers ne permettent plus aucune latitude. La plupart des corps policiers n'ont plus les ressources financières pour superviser une initiative comme celle-là. Néanmoins, nous nous en réjouissons.
De plus, nous souscrivons à ce que disait l'Association canadienne de la police eu égard au paragraphe 810.2, à savoir que les ordonnances devraient être limitées à ceux qui sont détenus au titre de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Les services correctionnels devraient envoyer à l'État tous les dossiers de façon opportune, c'est-à-dire avant que l'individu ne soit mis en liberté, pour qu'il soit possible de déterminer s'il y a lieu ou non de rendre une ordonnance. Le paragraphe 810.2 devrait prévoir des critères de résidence qui devraient s'appliquer pour une durée déterminée, trois ans par exemple, comme le suggérait l'Association canadienne de la police.
La police de London est ravie de voir que ce projet de loi crée une nouvelle catégorie, celle des délinquants à contrôler. La loi répond enfin aux préoccupations de la police face aux individus qui ne correspondent pas strictement aux critères d'un délinquant dangereux mais qui présentent un risque pour la collectivité. Cet amendement permettra de contrôler dans une certaine mesure ces individus. Toutefois, étant donné que ces ordonnances ne s'appliqueront qu'à ceux qui pourraient être contrôlés mais non pas guéris, nous ne voyons pas pourquoi, logiquement, on imposerait une limite de 10 ans aux ordonnances de surveillance dans la collectivité. Par conséquent, nous recommandons d'imposer la surveillance à vie, au lieu de 10 ans seulement.
De plus, le projet de loi sous sa forme actuelle ne prévoit pas de critère de résidence dans les ordonnances de surveillance communautaire. Le tribunal qui impose la sentence n'a pas le droit non plus d'imposer l'ordonnance au moment où il rend sa décision. Nous recommandons de donner au tribunal ce pouvoir.
Il y a une autre question sur laquelle le projet de loi reste muet, sans doute parce qu'elle relève de la compétence provinciale: il s'agit de la difficulté et du danger que pose pour la population le changement de nom d'un détenu, parfois même avant qu'il soit remis en liberté. Même si le changement de nom reste de compétence provinciale, il reviendrait au gouvernement fédéral d'adopter une loi exigeant que les détenus ou les individus qui font l'objet d'une ordonnance de délinquant à contrôler ne puissent pas demander légalement à changer de nom, sans qu'un avis soit transmis aux autorités de surveillance pour approbation.
Nous attendions ces amendements depuis longtemps, et ils constituent un grand pas dans la bonne voie en vue d'accroître la sécurité des gens.
Nos suggestions ne visent qu'à aider le gouvernement à peaufiner ces mesures législatives, et nous souscrivons sans réserves à l'esprit et à la lettre de ces projets de loi.
Récapitulons maintenant les recommandations que nous faisons au comité.
1. Prolonger de six à douze mois le délai pendant lequel il est possible à la Couronne de demander qu'un individu soit considéré délinquant dangereux, à la suite de son procès.
2. Permettre à la Couronne de demander qu'un individu soit considéré délinquant dangereux sans préavis, lorsque certains cas sont portés à la connaissance du procureur de la Couronne, à l'issue du procès.
3. Obliger par un mécanisme quelconque les agents des services correctionnels à publier le nom des délinquants présentant un risque élevé de récidive, avant que ceux-ci ne soient mis en liberté.
4. Modifier le paragraphe 810.2 pour permettre à toute personne qui a des raisons d'avoir des craintes de déposer une dénonciation devant un juge provincial.
5. Déterminer qui sera chargé du programme de surveillance électronique.
6. N'appliquer le paragraphe 810.2 qu'à ceux qui sont détenus au titre des dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.
7. Modifier les dispositions sur les délinquants à contrôler, afin d'ordonner que ceux-ci soient soumis à une surveillance au sein de la communauté à vie plutôt qu'à un maximum de 10 ans.
8. Appliquer un critère de résidence dans les dispositions du paragraphe 810.2 et dans les ordonnances concernant les délinquants à contrôler.
9. Donner au juge qui prononce la peine le pouvoir d'imposer une ordonnance de délinquant à contrôler, au moment de l'imposition de la peine.
10. Adopter une loi portant que tous les détenus dans des établissements fédéraux ou tous ceux qui font l'objet d'ordonnances de délinquant à contrôler, ne puissent changer légalement de nom sans qu'un avis n'ait été envoyé au préalable aux autorités de surveillance et avec leur consentement.
Mesdames et messieurs du comité, voilà ce que j'avais à dire au sujet des deux projets de loi.
La vice-présidente (Mme Torsney): Bravo. Nous passons à des tours de questions de dix minutes.
[Français]
Monsieur St-Laurent.
M. St-Laurent (Manicouagan): Vous parlez de publier les noms des délinquants dangereux. Selon vous, est-ce rentable pour la protection de la société et, si oui, sur quels éléments, données ou statistiques basez-vous votre opinion?
[Traduction]
M. Fantino: Je ne sais pas si c'est la meilleure façon de faire pour surveiller les délinquants présentant un risque élevé de récidive, une fois qu'ils sont remis en liberté dans la collectivité. J'essaie de comprendre le point de vue de la population, et je dois dire que les chefs de police sont souvent pris entre l'arbre et l'écorce, car ils doivent se demander s'il vaut mieux informer ou non la collectivité de la présence d'un ex- détenu dans ses rangs, tandis que la population estime pour sa part avoir droit de savoir qui est dans ses rangs.
Tout ce que nous disons, c'est qu'il faut une structure qui permette de suivre tous les individus qui ont été incarcérés pendant de longues durées dans les établissements fédéraux, tous ceux qui ont fait l'objet d'une surveillance et qui ont suivi des programmes dans ces mêmes établissements et qui, le jour où ils sont remis en liberté dans la collectivité, sont toujours considérés comme présentant un risque élevé de récidive pour la population... La population s'attend à être avisée de l'arrivée imminente d'un individu de ce genre en son sein. Elle s'attend à pouvoir surveiller de façon vigilante les allées et venues des individus qui comme dans le cas de pédophiles reconnus coupables - s'aventureraient près de ses écoles. La population veut savoir avec qui ses enfants peuvent entrer en contact et qui fréquente la piscine communautaire.
Je conviens avec vous que ce n'est pas la panacée, mais la difficulté vient du dilemme qui se pose à la police et à la collectivité. Le gouvernement doit apaiser les inquiétudes en réagissant par les voies administratives.
[Français]
M. St-Laurent: Si je comprends bien, on compte un peu sur la participation du public qui, s'il sait que de telles personnes demeurent aux alentours, sera plus aux aguets et effectuera une surveillance à long terme des individus. C'est un peu la réaction qui émane de votre position et qui m'amène à vous poser ma prochaine question. Vous dites qu'il n'y a plus d'argent pour la surveillance des individus après leur sortie, bien qu'il y ait toujours une période de surveillance. Il n'y a plus d'argent dans les fonds dont disposent les policiers, tant au palier municipal qu'au palier provincial, pour effectuer une surveillance supplémentaire.
En associant votre première réponse à la problématique à laquelle on fait face, on pourrait conclure qu'il serait pensable de voir émerger une espèce de groupe communautaire quelconque qui s'adonnerait, bien que peut-être pas systématiquement, à la surveillance des gens à risque élevé qui résident dans leur voisinage.
Est-ce que cela est une option?
[Traduction]
M. Fantino: Ce pourrait être une option. Nous avons actuellement des bénévoles qui travaillent dans la collectivité pour aider le personnel chargé de la surveillance des libérations conditionnelles un peu partout au Canada. Nous avons un programme de ce genre à London et c'est très utile.
Je crois que nous parlons de délinquants présentant un risque élevé de récidive qui sont mis en liberté dans certains cas sans que l'on ne sache plus rien de leurs allées et venues. Toutes ces initiatives, de même que certaines des dispositions proposées dans le projet de loi C-55 et C-254, sont un pas dans la bonne voie. Le paragraphe 810.1 du projet de loi C-55 est des plus utiles, tout comme pourrait l'être le paragraphe 810.2.
Si la situation est telle que la population a le droit de savoir, ce qu'il faut déterminer c'est à qui reviendra le rôle de l'informer. On pourrait évidemment débattre de la question. Mais il ne faudrait pas demander au chef de police de déterminer si la population doit être ou non avisée. Nous faisons d'ailleurs déjà l'objet de poursuites dans certaines localités, à cause de ce dilemme. Dans un cas, on prétend que la police a omis d'informer la population d'une situation dangereuse.
Nous affirmons pour notre part, que si la mise en liberté d'un individu constitue un risque pour la collectivité et que le seul moyen mis à notre disposition, c'est d'informer la population de sa présence, on ne devrait pas compter sur le chef de police pour informer la population de ce risque.
[Français]
M. St-Laurent: Vous avez parlé des délinquants à long terme, mais je ne crois pas qu'il s'agisse nécessairement de délinquants dangereux à long terme. J'aimerais que vous précisiez cette nuance. Quand ces délinquants à long terme seraient relâchés dans la société, faudrait-il aussi divulguer leur nom au public? Si on le faisait pour ces individus moins dangereux, on pourrait soumettre tout le monde à cette divulgation, que les gens aient commis un vol à l'étalage ou quoi que ce soit. Où votre requête de divulgation de noms s'arrête-t-elle?
[Traduction]
M. Fantino: C'est une excellente question. Les commentaires des chefs de police, et les miens surtout, portaient sur les délinquants présentant des risques élevés de récidive.
N'oubliez pas que ce n'est pas le chef de police qui détermine que tel ou tel délinquant présente un risque élevé de récidive, et ce n'est pas la collectivité non plus qui le fait. Ce sont les autorités fédérales, notamment un psychiatre, un psychologue et le personnel des services correctionnels. Ce sont en effet des gens qui ont eu des contacts prolongés avec les individus en question. À la veille de la mise en liberté de l'individu, ce sont ces gens qui, à titre de spécialistes, décident que l'individu pose un risque élevé et est dangereux, puisqu'il risque de récidiver. Ce sont eux aussi qui renvoient la balle au chef de police en l'informant tout simplement de l'arrivée imminente de cet individu sur son territoire.
C'est cela le problème. Nous ne parlons pas ici de délinquants qui ne présentent pas de risques de récidive. Nous parlons de délinquants qui sont considérés comme des récidivistes en puissance par les autorités carcérales et par les spécialistes, et non pas par le chef de police.
[Français]
M. St-Laurent: D'accord. C'est tout.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci beaucoup.
Madame Meredith, 10 minutes.
[Traduction]
Mme Meredith (Surrey - White Rock - South Langley): Merci, madame la présidente.
Pensez-vous qu'il soit juste envers la population de mettre en liberté ces délinquants alors qu'ils ont été déclarés par les autorités fédérales comme présentant des risques élevés de récidive? Pensez-vous vraiment que l'État honore l'obligation morale qu'il a de protéger la société lorsqu'il renvoie à London des individus tels que ceux dont on vient de parler et qu'il s'en lave les mains?
M. Fantino: Si je pouvais faire comme je l'entends. Dans les cas de risque pour la sécurité de la population, je vous répondrais volontiers que ce n'est effectivement pas une bonne idée d'agir comme cela. Si un individu est à ce point dangereux et qu'il risque à ce point de récidiver, je crois que le gouvernement devrait imposer certains contrôles et certaines conditions, qu'il devrait le surveiller, de façon que les collectivités aient la garantie absolue que cet individu ne présentera plus de risque pour qui que ce soit. Ce serait évidemment la situation idéale.
Mme Meredith: Merci.
Vous estimez que le paragraphe 810.1 et le paragraphe 810.2 qui est proposé vous seront d'une grande utilité et vous permettront, en tant que chef de police, de mieux suivre ceux qui sont considérés comme posant des risques à la collectivité. L'autre jour, nous avons entendu des spécialistes nous dire qu'au contraire, ces articles ne seraient pas d'une grande utilité. Ils estimaient, d'après leur expérience, que seuls les individus présentant le moins de risques allaient s'y conformer; autrement dit, les gens les moins dangereux. Je comprends que l'on puisse croire que bon nombre des délinquants présentant des risques élevés de récidive et ceux qui risquent d'exercer des sévices graves à autrui ne sont pas particulièrement du genre à respecter la loi. Ces témoins estimaient que ces dispositions pourraient faussement rassurer la population et lui donner de faux espoirs, alors que la loi ne pourrait rien faire contre ceux qui présentent des risques élevés. Pourquoi estimez-vous que ces dispositions seront utiles?
M. Fantino: Ce sont des atouts de plus que nous aurons désormais dans notre jeu, alors que nous ne les avions pas auparavant lorsque des problèmes graves se posaient. Bien sûr, rien n'est garanti à 100 p. 100; mais pour répondre à votre autre question, il est évident que la seule garantie, ce serait de ne jamais mettre en liberté ces individus, peu importe les conditions, pour qu'ils ne présentent plus jamais aucun risque pour la population. Cependant, cela ne serait pas très pratique, et ce que nous permet désormais l'article 810.1 nous est très utile. Ce n'est évidemment pas la panacée, mais c'est un atout de plus dans notre jeu qui a déjà démontré sa grande efficacité dans certains cas.
Mais vous avez raison de dire que c'est tout comme celui qui achète des systèmes d'alarme et des cadenas. Cela n'intimide que l'honnête citoyen, et certainement pas le délinquant dangereux. Il n'existe aucune garantie absolue, sauf - comme je viens de le dire - on décidait de ne jamais remettre en liberté les délinquants à contrôler.
Mme Meredith: Le comité se demandait dans quelles circonstances ces articles seraient les plus utiles, et nous sommes convenus que le paragraphe 810.2 pourrait être sans doute utile dans les cas de violence familiale. Mais les spécialistes nous ont dit encore une fois que cela permettait seulement au corps policier de savoir que tel individu ne se trouvait pas à l'endroit où il était censé être à un moment donné. En effet, cela ne vous dit pas où se trouvent les individus, mais vous permet uniquement d'établir après le fait, advenant un crime, que ces individus n'étaient pas chez eux et qu'ils n'ont donc pas d'alibi.
M. Fantino: Vous avez raison, à un détail près. Nous pourrions dans ce cas agir en vertu d'une ordonnance du tribunal qui, par exemple, aurait obligé l'individu à obéir à certaines conditions. Jusqu'à maintenant, une fois relaxé, l'ex-détenu avait les coudées franches et pouvait agir comme bon lui semblait puisqu'il avait purgé sa peine. Nous n'avions rien pour le contrôler. Autrement dit, nous ne pouvions agir tant qu'il n'avait pas récidivé. Or, aujourd'hui, nous avons au moins une loi qui nous permet de surveiller les activités de cet individu et d'intenter des démarches judiciaires dès que l'individu enfreint l'une ou l'autre des conditions qui lui ont été imposées au titre du paragraphe 810.1. C'est un atout de plus dans notre jeu.
Mme Meredith: Jusqu'où peut vous servir cet atout s'il y a infraction? Prenez le cas d'un individu auquel s'applique ce paragraphe: quelle marge de manoeuvre avez-vous pour le faire réincarcérer? Que devez-vous faire? Supposons un individu qui aux yeux de la loi, a payé sa dette à la société. Supposons qu'il enfreigne l'une ou l'autre des conditions qui s'appliquent à lui au titre du paragraphe 810.1. Pouvez-vous le jeter en prison? Pouvez- vous intenter des poursuites contre lui et le réincarcérer pendant une durée indéterminée, ou bien...?
M. Fantino: Nous nous demanderions d'abord à quel titre les ordonnances ou les conditions ont été établies en vertu du paragraphe 810.1. Si l'individu a violé ces conditions, nous pourrions légalement intenter des poursuites contre cette personne pour que le tribunal décide comment punir cette infraction.
Mme Meredith: Ce n'est peut-être pas très juste pour vous, mais je connais un certain nombre de personnes qui sont protégées par des engagements de respect de l'ordre, par des ordonnances de séparation, appelez-les comme vous voudrez et qui viennent me voir parce que cela ne change rien à leur situation. Elles continuent à être harcelées. Elles signalent la présence sous leurs fenêtres de ces individus visés par ces décisions, par ces ordonnances de séparation leur interdisant de se trouver dans un certain rayon autour de leur lieu de résidence mais cela ne change rien. On dirait que ces engagements ou ces ordonnances ne servent strictement à rien. Pourquoi?
M. Fantino: Au point de faire fi de n'importe quelle mesure. Il faut être proactif. Il faut évaluer les risques.
Quand ces gens sont relâchés et que nous recevons ces dossiers nous alertant du danger potentiel qu'ils représentent, à London - et nous ne sommes pas une communauté parfaite - nous prenons ces dossiers et leur gestion très au sérieux, y compris le dilemme courant: doit-on avertir ou non la population. Nous procédons à une évaluation de la menace. Nous nous mettons ensuite d'accord sur un plan de gestion pour assurer une sécurité publique maximum sachant parfaitement qu'il nous faut gérer une situation qui échappe à notre contrôle. En pareils cas, bien entendu, nous déclencherions l'article 810.1 et prendrions un certain nombre de mesures.
Je ne veux critiquer personne car nous ne vivons pas dans un monde parfait mais je trouve difficile d'accepter que dans une situation de risque important, la police ne puisse faire valoir la nécessité d'être proactif.
Mme Meredith: Vous avez indiqué précédemment ne pas avoir les ressources financières pour appliquer cette mesure. Des témoins précédents, des représentants des services correctionnels, nous ont dit ne pas avoir les ressources financières nécessaires pour appliquer cette loi. C'est un véritable dilemme. À quoi peut servir cette loi si elle ne peut être appliquée par les diverses personnes qui en auront la responsabilité?
M. Fantino: On ne peut pas échapper à ses responsabilités. Il faut qu'il y ait des responsables et qu'ils rendent compte de leurs actes. Je vous dis simplement que, compte tenu de nos difficultés et de la structure des lois de notre pays, on ne devrait pas s'en décharger sur la police. Nous ne pouvons pas être les hommes à tout faire de la société. Nous ne pouvons être tenus responsables de toutes les déficiences ou les lacunes de la loi, de la société ou du manque de ressources.
Nous assumons notre responsabilité et nous faisons de notre mieux mais nous avons l'impression d'être le wagon de queue d'un très long train. N'oubliez pas que ces gens sont littéralement lâchés sur ces collectivités, pratiquement comme des grenades dégoupillées et que c'est à nous de nous débrouiller. Notre seul recours c'est de faire de notre mieux. Si nous croyons vraiment à la sécurité publique, à la sécurité communautaire, à la sécurité des citoyens et si nous croyons vraiment à la nécessité de faire la part de toutes ces choses, il nous faut être proactif et mettre notre argent là où il est nécessaire et ne pas compter sur quelqu'un d'autre pour faire notre travail ou se dire que c'est le problème de quelqu'un d'autre.
C'est un problème qui se pose à nous tous et pas exclusivement à la police ni au service correctionnel. Nous faisons peut-être l'erreur de nous attaquer aux symptômes plutôt qu'aux problèmes. Je reviens à votre question précédente. Si ces gens sont si dangereux et que nous n'avons pas l'infrastructure nécessaire pour assurer la protection de la collectivité, alors nous ne devrions pas les laisser sortir.
Mme Meredith: Exactement ce que je pense, monsieur. Merci.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Rideout, dix minutes.
M. Rideout (Moncton): Merci, madame la présidente. J'ai quelques questions à poser plus à des fins de précision qu'autre chose.
Vos deux premières recommandations, la première, le passage de six mois à douze mois... Je déduis de votre deuxième recommandation qu'en cas de tout nouveau fait on peut faire une demande à n'importe quel moment, ce qui veut dire que c'est permanent. Cette demande de déclaration de délinquant dangereux peut être faite en permanence quel que soit le temps passé. N'est-ce pas?
M. Fantino: Pour nous c'est un critère de la plus haute importance, il faut que ces cas soient suivis en permanence. On ne peut pas simplement présenter un petit danger ou peut-être un danger seulement pendant six mois ou un an. Lorsqu'un délinquant à risque élevé présente un danger grave pour la collectivité au-delà des délais fixés par la loi, il faut que nous ayons le moyen d'intervenir n'importe quand et en permanence.
M. Rideout: Je suppose qu'il faut un incident pour le justifier. Personne ne devrait être assujetti en permanence à cette possibilité de déclaration de délinquant dangereux quand rien ne le justifie. Simplement parce qu'un procureur n'a pas fait son travail et n'avait pas tous les renseignements nécessaires, par exemple, deux ou trois ans plus tard vous pouvez faire une demande?
M. Fantino: Nous devrions pouvoir faire une demande de déclaration de délinquant dangereux n'importe quand.
M. Rideout: Et vous pensez que la charte vous le permettrait?
M. Fantino: Je ne suis pas là pour parler de la charte, je suis là pour parler de sécurité publique.
M. Rideout: D'accord. Je veux bien mais...
Mme Meredith: Est-ce que c'est vraiment important?
M. Rideout: Si une disposition de cette loi permet d'assujettir cette personne à une demande de déclaration de délinquant dangereux n'importe quand pendant toute sa vie, il est évident que cela ne tiendra pas devant la Charte et qu'il faudra tout reprendre à zéro.
M. Fantino: Cela fait des années que nous étudions la question. L'idéal serait qu'à la porte de la prison, au moment de la sortie, s'il est déterminé à ce moment-là que ces gens sont toujours dangereux et représentent un risque élevé pour la collectivité, il faudrait immédiatement requérir une déclaration de délinquant dangereux et refermer sur eux la porte. Absolument.
M. Rideout: Vous proposez également de modifier la proposition d'article 810.2 pour permettre à toute personne qui a des craintes raisonnables de déposer une dénonciation. Qu'entendez-vous exactement?
M. Fantino: L'article 810.1 permet à toute personne qui a des craintes raisonnables de déposer une dénonciation. Nous considérons que la proposition d'article 810.2 est une mesure parallèle dont l'objectif est similaire et qu'en toute logique toute personne qui a des craintes raisonnables et non pas seulement le procureur général, devrait pouvoir déposer une dénonciation.
M. Rideout: Tout citoyen, toute personne qui a des craintes raisonnables?
M. Fantino: Oui. C'est ainsi pour toutes les dispositions du droit pénal et il n'y a pas lieu de faire de distinction.
M. Rideout: C'est toutes les questions que j'avais à poser.
La vice-présidente (Mme Torsney): Il reste encore un peu de temps, monsieur Maloney, si vous voulez.
M. Maloney (Erie): Comment fonctionne cet article 810.1?
M. Fantino: Lorsque nous avons des raisons de croire que cette personne qui se trouve dans la communauté représente un danger, nous faisons une évaluation de menaces, etc., et ensuite nous lançons la procédure pour que cette personne comparaisse devant le tribunal et que des conditions particulières de mouvement, de couvre-feu, etc., lui soient imposées par un juge. C'est la réponse aux craintes, aux inquiétudes et aux dangers potentiels.
M. Maloney: Est-ce fréquent?
M. Fantino: Ce n'est pas très fréquent. Nous y avons recouru quelques fois. Il y a d'autres mesures que nous prenons avant même d'en arriver là. Mais nous nous en servons. Nous nous en sommes servis à plusieurs reprises. La police de l'agglomération torontoise s'en est servi très efficacement à plusieurs reprises. Cette procédure existe, elle est importante, c'est une option. C'est quelque chose que nous n'avions pas auparavant et nous l'apprécions.
M. Maloney: Vous proposez qu'à l'article 810.2 la procédure menant à un engagement de ne pas troubler l'ordre public puisse être lancée par n'importe quel citoyen ou citoyenne même s'il n'y a pas eu inculpation conséquente.
M. Fantino: C'est exact, monsieur. C'est encore une question de sécurité publique. C'est une mesure proactive, c'est une question de prévention pour ne pas avoir à attendre que quelque chose arrive. Il pourrait y avoir des circonstances, un risque majeur, des craintes fondées qui nous incitent à agir par anticipation.
M. Maloney: Vous approuvez également le nouvel article 752 qui confie l'évaluation à un seul expert. Déclarer qu'un délinquant est dangereux n'est pas une mince décision. Pensez-vous qu'une seule personne, qu'un seul expert, devrait avoir cette responsabilité ou devrait-il y avoir une deuxième opinion?
M. Fantino: Invariablement, l'intéressé par le biais de son représentant, propose une contre-expertise.
M. Maloney: C'est ce que prévoit actuellement la loi, n'est-ce pas?
M. Fantino: Oui. Avant que la procédure ne soit déclenchée, tout un dossier de pièces pertinentes sur les antécédents de l'intéressé est constitué. Ce n'est pas une simple comparution en présence d'un psychiatre. Il y a tout un dossier. C'est généralement le cas quand il s'agit de détenus incarcérés depuis un assez long temps. Toutes sortes de pièces pertinentes sont versées à son dossier.
M. Maloney: La loi parle d'«expert». Suggérez-vous que cette évaluation devrait être faite par un psychiatre? Ou par un psychologue, un criminologue? Quelle est votre position? Dans votre mémoire vous parlez de psychiatre.
M. Fantino: Invariablement, lorsqu'il s'agit d'évaluer l'état mental ou le comportement, traditionnellement les tribunaux s'en remettent à des expertises de psychiatres et de psychologues et plus souvent d'ailleurs de psychiatres. Ce sont ces spécialistes que les tribunaux jugent compétents et qualifiés pour faire ce genre d'évaluation. Selon mon expérience, ce sont les psychiatres qui conviennent le mieux.
M. Maloney: Est-ce que votre mémoire est personnel ou représentatif de la position de la police de London? Qu'en est-il exactement?
M. Fantino: Je suis aussi membre du Comité de modifications aux lois de l'Association canadienne des chefs de police. Je suis également vice-président de l'Association ontarienne des chefs de police. Je peux donc vous confirmer que ma position est appuyée par ces deux associations.
M. Maloney: Vous parlez donc au nom de ces deux associations?
M. Fantino: En tant que membre, oui, mais mon mémoire vous est présenté en ma qualité de chef de la police de London en Ontario.
M. Maloney: Merci, chef.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci.
[Français]
Monsieur St-Laurent, 10 minutes.
M. St-Laurent: Non, ça va. J'ai terminé. Je vous remercie.
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Torsney): Madame Meredith.
Mme Meredith: Merci.
Je voudrais revenir à votre mémoire. Je tiens à remercier mon collègue d'avoir signalé un petit détail. Je n'avais pas relevé que pour commencer vous aviez proposé la prolongation de six mois à12 mois, mais qu'ensuite vous aviez parlé d'une période indéterminée avant la sortie. Pourquoi pensez-vous que même passer de six mois à 12 mois c'est une bonne idée? Quel est votre raisonnement?
M. Fantino: Toute prolongation nous permettrait de faire une évaluation plus complète et mieux informée. L'idéal serait au moment de la sortie ou avant la sortie, absolument. Je n'ignore pas les arguments à propos de la charte - ce n'est pas la première fois que nous y sommes confrontés - mais 12 mois c'est sûrement mieux que six. Ce qui serait encore mieux et plus idéal, ce serait n'importe quand avant la sortie.
Mme Meredith: Parallèlement à cette prolongation à 12 mois, si je comprends bien la loi, il faut informer le délinquant ou son représentant au moment de la condamnation qu'il est encore susceptible de faire l'objet d'une demande de déclaration de délinquant dangereux. Ne craignez-vous pas, dans la pratique, que chaque fois qu'il s'agira de délit grave de coups et blessures cet avertissement sera automatiquement servi au délinquant et à son représentant par simple mesure de protection.
M. Fantino: C'est le genre de risque inhérent de cette mesure législative particulière. C'est une question délicate. C'est essentiellement un exercice de clairvoyance car il faut faire entrer en ligne de compte dans la décision, l'éventualité de ce qui se passera ou ne se passera pas d'ici six mois ou un an. Je peux très bien comprendre que des jeunes, par précaution et par conscience professionnelle en avertissent les intéressés avec ou sans conséquence. À mon avis, il faut s'y attendre. Je m'attends à ce que les juges pêchent par accès de prudence et avertissent automatiquement... De toute manière je les y encourage.
Mme Meredith: Pensez-vous que sous sa forme actuelle la déclaration de délinquants dangereux soit tellement utilisée qu'elle justifie la crainte d'abus?
M. Fantino: Comme vous le savez, il y a polémique quant à la fréquence de son utilisation dans certaines régions du pays par rapport à d'autres. Cela nous ramène à l'objet de la loi et au mandat qu'elle nous confère d'assurer un maximum de sécurité publique. Certains délinquants ne sont tout simplement pas récupérables, sont tellement dangereux et imprévisibles qu'il nous faut prendre les mesures nécessaires. Il nous faut envers et contre tout, ce que, d'après moi, la Charte nous permet, assurer pleinement la sécurité publique. Il faut donc, selon moi, utiliser ces déclarations de délinquants dangereux.
J'anticipe une utilisation encore plus accrue. Il suffira de quelques horreurs de plus. La population est de plus en plus exaspérée.
Mme Meredith: La différence principale entre les projets de loi C-55 et C-254 est que je crois au bienfait d'un maintien en détention à la fin de la peine. J'ai toujours estimé et je continue à estimer qu'il est beaucoup plus juste d'offrir aux délinquants la possibilité de se rééduquer en prison et les outils pour modifier leurs habitudes et leur comportement. Les déclarer dangereux dans la sentence ne prend pas en considération la possibilité de rééducation, de réadaptation offerte par les programmes des Services correctionnels. Il est beaucoup plus juste d'offrir ces possibilités de traitement, de réadaptation, de réinsertion et de ne prendre cette décision qu'après en avoir jugé les effets à la fin de leur peine.
Cela vous paraît honnête?
M. Fantino: Tout à fait. Les informations disponibles seraient beaucoup plus pertinentes, le temps et l'expérience permettraient de savoir si l'intéressé a ou non participé au programme de réadaptation et de juger de l'évolution de son comportement pendant la période d'incarcération. Je crois que tout cela aiderait à prendre une décision en bien meilleure connaissance de cause. Je suis d'accord avec vous.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Kirkby.
M. Kirkby (Prince-Albert - Churchill River): Ma question a été posée.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Maloney.
M. Maloney: Merci.
Vous proposez une ordonnance de délinquants à contrôler à perpétuité par opposition au terme de dix ans proposé dans la loi. Pourriez-vous nous expliquer un peu plus pourquoi?
M. Fantino: Des experts seraient mieux placés pour vous donner ce genre d'explication mais il est clair qu'il y a des gens qui sont tout simplement irrécupérables, désespérément incontrôlables. C'est de cela qu'il faut se soucier et dont il faut s'occuper.
M. Maloney: Mais n'est-ce pas ceux-là qui devraient être déclarés dangereux? Comment faites-vous la distinction alors?
M. Fantino: Je suppose que cela dépend des circonstances. Je ne pense pas qu'il y ait de recette.
Je ne crois pas à ces durées dans le temps. Selon moi, ce sont les activités, le caractère dangereux de la personne et tous les autres facteurs pertinents qui devraient déterminer les mesures à prendre.
J'estime que les délais ne font que compliquer les choses. À un moment donné la société devrait avoir le droit de se servir des outils et des lois dont elle dispose pour contrôler une situation, sans être limitée par des délais. Il ne s'agit pas de porter toutes sortes d'accusations sans motifs valables; il s'agit plutôt de faire respecter les lois du pays afin de mieux protéger la population.
M. Maloney: Si quelqu'un ne commet pas d'infractions pendant 10 ans, croyez-vous qu'il risque de poser un problème après cette période de 10 ans?
M. Fantino: Je n'ai pas de preuves d'expert à vous présenter. Tout ce que je peux vous dire est qu'il y a eu des cas au Canada où les autorités n'ont réagi qu'après que la tragédie se soit produite. Je dis simplement qu'en tant que société nous devons avoir les lois et les ressources nécessaires pour régler les problèmes par anticipation. Nous ne devons pas nous imposer des délais qui limitent notre capacité à agir. Nous devons nous concentrer sur les dangers éventuels plutôt que sur les délais.
M. Maloney: Merci.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Rideout.
M. Rideout: Une question très courte. Votre dernière recommandation, qui porte sur le changement du nom, ne relève pas vraiment du gouvernement fédéral. Avez-vous présenté cette recommandation à un des gouvernements provinciaux? Dans l'affirmative, quelle a été la réponse?
M. Fantino: C'est une excellente question. Merci de l'avoir posée. J'espérais que quelqu'un la soulèverait.
Le gouvernement de l'Ontario s'est penché sur cette question, mais je pense qu'il faut la voir dans le contexte national. Il faut mettre un mécanisme en place pour dissiper toute confusion entourant les différentes compétences provinciales.
Pour prendre de bonnes décisions il faut que les autorités compétentes disposent de bonnes informations. Nous n'y avons pas accès à l'heure actuelle. À cause d'un changement de nom, on ne prendrait peut-être pas des précautions qui auraient dû être prises.
Le Canada a des banques de données nationales sur la criminalité, tel le CIPC. Ces informations devraient être disponibles dans tout le Canada. Le système actuel est très désordonné. Le personnel du service correctionnel n'est pas obligé de nous informer lorsqu'un détenu condamné à perpétuité change de nom. Je vous signalerai qu'il y a eu des cas de ce genre.
Je vous ferai remarquer aussi que personne n'est obligé d'utiliser le système informatisé d'empreintes digitales pour signaler un changement d'identité. On fait parfois par courtoisie mais nous devons nous inquiéter des cas où on ne le fait pas, où on omet de l'indiquer et par la suite une tragédie se produit.
M. Rideout: Votre recommandation semble porter plutôt sur le droit des détenus de demander à changer de nom, quelque chose qui relève vraiment de la compétence provinciale. S'il s'agissait de transmettre de l'information, la question relèverait plutôt du gouvernement fédéral.
M. Fantino: Si j'ai fait la recommandation c'est parce que je connais personnellement un cas où on a permis à quelqu'un, condamné à vie pour avoir tué un agent de police, non seulement de changer de nom mais aussi d'obtenir un passeport canadien. Je dois me demander pourquoi.
M. Rideout: C'est une très bonne question, mais je ne sais pas si votre recommandation réglerait le problème.
M. Fantino: Dans le cas que je vous ai cité la personne concernée est maintenant en liberté. Nous ne savons pas où elle est.
C'est un problème très grave. Je voudrais juste ajouter que c'est encore un mécanisme dont certains de ces gens se servent pour éviter d'assumer leurs responsabilités ou de mettre en place les contrôles que nous préconisons pour mieux protéger la population.
La vice-présidente (Mme Torsney): Madame Meredith.
Mme Meredith: Dans le même ordre d'idée, nous pourrions prendre le cas de quelqu'un qui est condamné à perpétuité mais en vertu du système actuel les autorités ne peuvent lui faire purger toute sa peine, car il a changé de nom. Un détenu en liberté conditionnelle purge toujours sa peine. Mais nous ne savons pas où il est.
M. Fantino: Nous essayons vigoureusement de le retrouver.
Mme Meredith: Je comprends pourquoi vous avez soulevé la question.
M. Fantino: C'est un problème grave.
Mme Meredith: C'est effectivement un problème grave. Sauf le respect pour mes collègues d'en face, le gouvernement fédéral doit commencer à se demander sérieusement si les détenus ont peut-être trop de droits et dans quelle mesure ils devraient avoir le droit de mener une vie normale pendant qu'ils purgent leur peine en prison.
La vice-présidente (Mme Torsney): Pourrais-je poser une question? De toute évidence, vous ne pourrez pas savoir où se trouve une personne si elle change de nom et obtient un passeport après sa sortie de l'établissement fédéral. Est-ce exact?
M. Fantino: La personne concernée a pu obtenir tout cela pendant qu'elle était en prison.
La vice-présidente (Mme Torsney): Y compris le passeport?
M. Fantino: Oui. Elle en a fait la demande en prison.
La vice-présidente (Mme Torsney): La loi provinciale du gouvernement de l'Ontario lui a permis de le faire?
M. Fantino: Non, la personne concernée était dans un établissement fédéral.
La vice-présidente (Mme Torsney): Le changement de nom relève de la compétence provinciale. Comment peut-on nous accuser d'abdiquer nos responsabilités alors que la Loi sur le droit de changer de nom ne relève pas de notre compétence? Il s'est servi d'une loi provinciale pour changer de nom, n'est-ce pas?
Mme Meredith: Mais, madame la présidente, le gouvernement fédéral peut adopter des mesures législatives pour empêcher les détenus dans les établissements fédéraux de faire ce genre de choses.
La vice-présidente (Mme Torsney): D'accord.
Monsieur Fantino, Mme Meredith et un autre collègue vous ont déjà posé des questions à ce sujet. Dans le cas d'une personne qui craint que son ancien époux ou partenaire, ne lui veuille du mal, dans quelle mesure peut-elle avoir recours à des ordonnances de non-communication ou à l'article 810.2 proposé?
D'après votre réponse sur les personnes libérées des institutions fédérales ou provinciales, j'ai l'impression qu'on n'utilise pas souvent l'article 810.1 en calculant la prévisibilité du risque et de danger que représente l'ancien détenu. Je ne sais pas si vous parliez ici de la violence familiale. Pourriez-vous nous expliquer ce qu'on fait à London dans le cas de la violence familiale?
M. Fantino: Si les autorités décident de porter des accusations à la suite d'un incident de violence familiale, on demande une ordonnance de tribunal comme condition de libération de l'accusé. Il va sans dire que de telles ordonnances font l'objet de contrôle, mais c'est tout. Essentiellement, c'est tout ce dont nous disposons tant que l'accusé n'aura pas été trouvé coupable.
Si les autorités décident de ne pas porter d'accusation, on peut demander un engagement de ne pas troubler l'ordre public. Mais s'il y a des poursuites criminelles, on exige toujours un contrôle judiciaire sur les activités de l'accusé, par exemple, une ordonnance de non-communication ou toute autre mesure qui semble appropriée.
La vice-présidente (Mme Torsney): Mais si on n'a pas porté d'accusation? Si, par exemple, je dis à la police que je crains que mon ancien conjoint veuille me tuer. Je vis dans la peur et je veux qu'il fasse l'objet d'un programme de surveillance électronique. En vertu de l'article 810.2 proposé, on demanderait au procureur général de le soumettre à un programme de surveillance électronique.
C'est une façon de s'assurer que l'article 810.2 donne les résultats voulus. Quelles sont les autres mesures qu'on utilise en vertu de ce même article, par exemple, les engagements de ne pas troubler l'ordre public?
M. Fantino: Tout ce que je peux vous dire c'est que dans la plupart des cas de violence familiale, nous intenterions des poursuites criminelles. Nous avons adopté une politique très proactive à cet égard. Elle semble donner de bons résultats. Il et certain que nous écoutons et tenons compte des souhaits de la victime dans beaucoup de ces situations. Mais nous agissons de façon indépendante aussi, selon notre évaluation du problème. Nous pouvons demander des engagements de ne pas troubler l'ordre public ainsi que d'autres ordonnances des tribunaux, mais je peux vous dire qu'à London dans 99 cas sur 100, la police agirait de façon proactive.
La vice-présidente (Mme Torsney): Donc à London, on se sert souvent des engagements de ne pas troubler l'ordre public.
M. Fantino: Je ne peux pas vous dire la fréquence. Plus souvent, nous amenons la personne devant les tribunaux. Si la peur à laquelle vous faisiez allusion existe et nous pouvons établir des motifs raisonnables et probables, nous amènerions le suspect ou le contrevenant importe devant les tribunaux. Cette approche proactive s'est avérée très efficace.
La vice-présidente (Mme Torsney): Nous savons tous qu'il y a des cas partout au pays, comme celui à Vancouver où toute la famille a été tuée... D'après les nouvelles des médias, aucune accusation ne semble avoir été portée. Autrement dit, c'était une situation où une peur raisonnable existait, mais personne n'a pu faire quoi que ce soit. Un engagement de ne pas troubler l'ordre public, pris à l'initiative du corps policier, aurait peut-être pu être utile dans ce cas-là, ou la surveillance électronique, si la situation s'était aggravée d'une façon ou d'une autre, ou s'il y avait eu une crainte raisonnable. Auriez-vous procédé de cette façon à London?
M. Fantino: C'est très difficile à dire. Je peux vous dire qu'en principe nous adoptons une approche proactive dans les cas de violence familiale. Ceci étant dit, une fois qu'on aurait conclu qu'il y avait lieu d'être préoccupés, nous aurions probablement utilisé tous les moyens à notre disposition.
La surveillance électronique nécessiterait quand même un processus judiciaire. Mais immanquablement, encore une fois, ce qui est très efficace selon nous - et évidement des motifs doivent exister - c'est d'amener ces gens devant les tribunaux en demandant une décision judiciaire au sujet de l'activité criminelle prétendue.
La vice-présidente (Mme Torsney): Ma dernière question sur l'idée de vouloir... Je pense qu'il y avait deux choses. Je n'étais pas sûre s'il y avait un message caché ou non.
Vous vouliez que les personnes assujetties à la surveillance électronique en vertu du paragraphe 810.2 proposé soient surveillées par des fonctionnaires des services correctionnels, ou quelqu'un d'autre, mais pas par la police, parce que vous n'avez pas les ressources. Je me demandais si en élargissant le cadre d'application du système en vertu du paragraphe 810.1, vous n'espériez pas envoyer des gens dans l'autre système, qui seraient payés par quelqu'un d'autre. Est-ce que cet aspect-là faisait partie de votre raisonnement?
M. Fantino: Quant à savoir qui paie, c'est le contribuable qui paie de toute façon. Ce qu'il faut, à mon avis, c'est définir les fonctions de base, bien préciser les responsabilités claires, et tenir les gens responsables des résultats.
Dans le contexte actuel, nous ne pouvons pas assumer plus de responsabilités pour la surveillance électronique, par exemple, car nous n'avons ni l'équipement ni les ressources voulues. Une nouvelle gamme d'équipements est nécessaire. J'ai vu des démonstrations. Nous ne pouvons tout simplement pas nous en charger.
La vice-présidente (Mme Torsney): Mais pourriez-vous voir une situation évoluer, où, disons, la surveillance électronique est en place et que c'est payé à partir d'un autre budget... Oui, évidemment c'est le contribuable qui paie, mais si les critères étaient moins élevés, et on ne faisait pas appel au procureur général comme le propose dans le paragraphe 810.2, bien des gens se trouveraient à relever du système énoncé dans le paragraphe 810.1 à celui du 810.2? De cette façon, vous pourriez assainir votre budget pour assurer des services de police communautaire ou quelque chose du genre.
M. Fantino: On devrait faire ce qu'on pourrait pour assurer le meilleur résultat, qui n'est pas le budget, mais plutôt une sécurité publique optimale. C'est ainsi que j'envisagerais toutes décisions quant aux moyens d'obtenir des résultats.
Écoutez, actuellement nous dépensons énormément d'argent afin de surveiller les activités des délinquants susceptibles de récidiver qui ont atterri dans nos collectivités, car personne d'autre ne le fait. S'il n'y a pas d'autres initiatives précises, nous le faisons, car ce qui arriverait autrement nous préoccupe. Oui, nous sommes préoccupés par le budget, mais nous devons nos rappeler que le niveau de sécurité publique n'est pas tant déterminé par la police que par notre capacité de l'assurer, compte tenu de notre mandat de base, des ressources disponibles et de la qualité des services auxquels les gens s'attendent et pour lesquels ils sont prêts à payer.
On n'utiliserait jamais une loi pour atteindre rapidement un objectif si ce n'est le résultat souhaité, soit la sécurité publique maximale.
La vice-présidente (Mme Torsney): Madame Meredith, vous aviez une autre question.
Mme Meredith: Oui, merci.
Comme vous êtes ici en tant que chef de police, et comme nous parlons de législation et de procédure, j'aimerais vous poser la question suivante: À quoi sert tout cela si les tribunaux ne font pas leur part? Ne trouvez-vous pas que les tribunaux parfois n'apportent pas le soutien nécessaire à l'application de la loi?
M. Fantino: Je ne veux pas blâmer les tribunaux. Les tribunaux font partie du processus de la justice, et du système. Mais le système est imparfait à bien des égards. Les tribunaux ont assurément bien des difficultés notamment en matière de ressources, de rapidité des résultats et de toutes sortes d'autres questions qui les affectent. D'ailleurs, vous savez, les ressources des tribunaux aussi sont limitées.
Mme Meredith: Je soulève la question parce qu'on m'a dit - et cela change peut-être dans des juridictions différentes - que vos procureurs de la Couronne ont tant de travail qu'ils commencent par se débarrasser d'un tiers des dossiers qui atterrissent sur leur bureau. Ils sont physiquement incapables de s'occuper de tous.
Je suppose donc que les cas qui figurent au bas de liste sont des cas de violence familiale, des questions qui suscitent plus de difficultés aux tribunaux - des cas où la victime pourrait refuser de témoigner contre l'époux qui paraît-il la maltraite par exemple. Une grande partie du problème c'est que les tribunaux ne sont pas en mesure de traiter tous les cas qu'on leur soumet, ni d'identifier les priorités.
M. Fantino: Il ne fait aucun doute que les tribunaux sont surchargés de travail et que tous ceux qui travaillent dans le système judiciaire, comme les procureurs de la Couronne, le sont aussi. Mais de nos jours, la violence au foyer est devenue une priorité, certainement dans mon expérience avec la police, les procureurs de la Couronne, et le système judiciaire en général. Mais je reconnais que les tribunaux sont surchargés. Il y a toutes sortes de questions qui affectent leur capacité de faire un travail efficace.
Je vais donner un exemple: à l'échelle nationale, lorsqu'un agent de police est convoqué au tribunal pendant un procès criminel, 82 fois sur 100, il n'est pas appelé à témoigner. Quatre- vingt-deux fois sur 100 - voilà un gaspillage de ressources extraordinaire.
Les services de police assument déjà une telle charge de travail que les agents de police devraient être au travail, à accomplir leurs tâches multiples, au lieu d'aller perdre leur temps au tribunal. Mais c'est ça la réalité, il faut que le problème soit réglé. Nos agents de police ne peuvent pas perdre ainsi leur temps - 82 p. 100 du temps passé au tribunal au Canada - à attendre sans aucun résultat parce qu'on ne les appelle jamais.
Mme Meredith: Voulez-vous dire qu'on ne les appelle pas 82 p. 100 des fois qu'ils vont au tribunal, ou voulez-vous dire que 82 p. 100 des heures de travail d'un agent de police sont passées au tribunal?
M. Fantino: Non, je veux dire que 82 p. 100 des fois qu'on nous demande de comparaître comme témoin potentiel, nos agents de police ne sont pas appelés à témoigner.
Mme Meredith: Merci.
La vice-présidente (Mme Torsney): Et pendant qu'ils attendent au tribunal, vous leur payez des heures supplémentaires, n'est-ce pas?
M. Fantino: Oui.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Regan.
M. Regan (Halifax-Ouest): Est-ce que la situation suivante survient souvent: ils sont au tribunal, prêts à témoigner, et la personne plaide coupable - donc ils n'ont pas besoin de témoigner?
M. Fantino: Cela arrive très souvent. On appelle cette situation le poker des témoins. C'est comme ça que le système fonctionne, je suppose. Si on n'avait pas cela, les procès dureraient encore plus longtemps. Si tous les témoins sont présents, on appelle cela le poker des témoins. Le seul résultat c'est la résolution rapide, et on s'en va. Ça arrive toujours. Si j'étais avocat, j'aurais probablement la même attitude. Mais je ne suis pas avocat.
M. Regan: Mais bien sûr, si le procureur de la Couronne arrivait sans le témoin, l'avocat de la défense demanderait probablement un verdict de non-culpabilité, puisqu'il n'y aurait personne pour témoigner.
M. Fantino: C'est pour ça qu'on appelle cette situation le poker des témoins.
M. Regan: Merci.
La vice-présidente (Mme Torsney): Puisque vous savez que dans 82 p. 100 des cas où ils comparaissent au tribunal, ils n'ont pas à témoigner, vous devez aussi avoir les chiffres en corollaire dont parlait M. Regan - , combien de fois étiez-vous satisfait du résultat, soit que la personne était en fait déclarée coupable?
M. Fantino: Il y a bien sûr le revers de la médaille. Ce qui compte pour moi, c'est ceci: si le plaidoyer de culpabilité était acceptable et indiqué à la dernière minute, mon agent de police aurait dû vaquer à ses occupations - quand le système fonctionne bien. Le critère n'est pas l'absence ou la présence de témoins; c'est la justice qui détermine la culpabilité ou l'innocence de la personne.
M. Regan: Mais jusqu'au moment où l'avocat ou l'accusé plaide non coupable au tribunal, vous ne savez pas.
La vice-présidente (Mme Torsney): Tout ce que j'aimerais dire, c'est qu'en 1996, j'aurais bien aimé que l'agent de police qui m'avait donné une contravention de stationnement se soit abstenu de venir.
Des voix: Oh, oh.
La vice-présidente (Mme Torsney): C'était à Toronto. Vous étiez probablement là.
M. Fantino: C'est pour ça que je riais. Je savais qu'on vous poursuivait.
La vice-présidente (Mme Torsney): J'aimerais remercier le témoin d'être venu de London. J'espère que vous parviendrez à quitter la ville, avant la tempête de glace cet après-midi.
M. Fantino: Merci beaucoup de m'avoir donné l'occasion de comparaître.
La vice-présidente (Mme Torsney): Chers collègues, la séance est levée jusqu'à 11 h 15; nous devons revenir pour une réunion courte mais importante concernant les règlements sur les armes à feu et un rapport du comité directeur. Alors, amusez-vous bien, mais n'allez pas trop loin.
La séance est levée.