[Enregistrement électronique]
Le mardi 4 mars 1997
[Traduction]
La présidente: À l'ordre, je vous prie.
Si nous sommes mardi, c'est sans doute le projet de loi C-46 qui est à l'étude. Nous accueillons aujourd'hui M. Yvan Roy, avocat général principal, à la Section de la politique en matière de droit pénal du ministère de la Justice, et Mme Catherine Kane, conseillère juridique, également à la Section de la politique en matière de droit pénal.
Je vous souhaite la bienvenue.
Avez-vous une déclaration liminaire, ou voulez-vous simplement que nous vous posions des questions?
M. Yvan Roy (avocat général principal, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice): Je voudrais dire quelques mots.
[Français]
Madame la présidente, distingués membres du comité, je vous remercie de l'invitation qui nous a été lancée à nous, les représentants du ministère de la Justice, à venir présenter le projet de loi C-46 ce matin.
[Traduction]
Madame la présidente, nous avons pensé qu'il serait utile pour le comité, et aussi aux fins du compte rendu, de présenter une brève déclaration liminaire. C'est Mme Kane, l'architecte du projet de loi C-46, qui la fera. Elle résumera à votre intention l'objet du projet de loi, ainsi que les moyens qu'il préconise pour assurer l'équilibre nécessaire dans les cas d'agression sexuelle où des dossiers ont été constitués.
En guise d'introduction, je tiens à dire que nous avons abordé ce projet de loi sous l'angle de l'équité, et de l'équité uniquement, et ce à la fois pour l'accusé et pour le plaignant. Par l'entremise de cette mesure, le ministre s'efforce d'établir l'équilibre qui fera en sorte d'assurer cette équité pour les deux parties.
Il importe de noter que ce projet de loi est issu d'un long processus de consultation, et je suis sûr que certains participants à ces consultations comparaîtront devant vous. Dans notre perspective, l'équilibre qui a été réalisé est avantageux pour le plaignant comme pour l'accusé. Si, au bout du compte, l'accusé n'a pas accès aux dossiers dont il est question, il va de soi que cela créera un problème. Mais nous sommes convaincus que les dossiers qui devraient être communiqués seront accessibles, pourvu que l'on ait respecté les paramètres établis par le projet de loi C-46.
Je vais maintenant laisser Mme Kane énoncer les grandes lignes du projet de loi. Nous tenterons ensuite de répondre à toutes les questions que vous voudrez bien nous poser.
Mme Catherine Kane (conseillère juridique, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice): Avant de reprendre les grandes lignes énoncées dans le document qui vous a été remis, intitulé «Points saillants du projet de loi C-46», je voudrais préciser davantage le contexte des amendements.
Premièrement, ces amendements s'appliqueront uniquement à des infractions à caractère sexuel. Le projet de loi C-46 vise à modifier le Code criminel pour instaurer la loi et la procédure qui régiront toutes les demandes que présenteront des accusés pour avoir accès aux dossiers privés, personnels ou confidentiels de plaignants ou de témoins dans des cas de poursuite pour agression sexuelle.
Dans toutes les poursuites au criminel, c'est l'État, représenté par la Couronne, et l'accusé qui s'affrontent. Le plaignant, ou la victime, comme vous voudrez peut-être l'appeler, n'est pas partie à ces poursuites. Son rôle est uniquement celui de témoin. La Couronne, qui est chargée de la poursuite, doit prouver tous les éléments de l'infraction au-delà de tout doute raisonnable. Quant à l'accusé, il jouit de la présomption d'innocence. Rien dans le projet de loi C-46 ne modifie ces principes fondamentaux.
Comme Yvan l'a dit, le projet de loi C-46 a vu le jour après de longues consultations. Cette question a été soulevée il y a trois ans environ par des groupes de défense des femmes, qui avaient constaté que pour défendre leurs clients, les avocats de la défense avaient tendance à exiger une vaste gamme de dossiers au sujet du plaignant, et à les exiger le plus tôt possible. L'avocat de la défense est souvent à la recherche de dossiers comportant des renseignements sur le mode de vie, les habitudes et les troubles mentaux éventuels de la plaignante, y compris d'autres allégations d'agression sexuelle qu'elle aurait pu faire, en vue d'attaquer sa crédibilité. En fait, il cherche n'importe quoi qui pourrait être considéré comme des déclarations précédentes contradictoires. Essentiellement, il exige une multitude de dossiers en invoquant une multitude de raisons.
Comme Yvan l'a dit, vous entendrez sans doute des témoins qui vous décriront en détail le genre de dossiers qui sont demandés et l'incidence que cela a sur les plaignantes elles-mêmes ou sur les personnes qui traitent les victimes d'agression sexuelle.
Certains des dossiers en question ont été constitués des années avant l'incident qui fait l'objet de l'accusation. D'autres l'ont été tout de suite après et ont un lien direct avec l'agression sexuelle qui a été commise. Le résultat, c'est que les plaignantes ont perdu confiance dans le système de justice pénale, ainsi que dans les gens vers lesquels elles se sont tournées pour obtenir de l'aide, car ces derniers ont été forcés de violer le caractère confidentiel de leur relation.
Le projet de loi C-46 tente de régler le problème et offre une certaine protection aux plaignantes en exigeant que les tribunaux examinent avec soin les demandes de dossiers. Les amendements n'interdisent pas la production de dossiers, comme l'avait réclamé certaines militantes. D'ailleurs, cela a suscité une interprétation erronée du projet de loi, qui a été critiqué... La communication de dossiers n'est pas interdite, elle est simplement limitée. En outre, on ne tente pas ainsi de modifier le droit de la preuve. Tous les éléments de preuve pertinents seront recevables. Rien n'empêchera l'avocat de la défense de convoquer un témoin et de poser des questions pertinentes à quiconque est susceptible de fournir un témoignage important.
Le projet de loi C-46 ne limite en rien la possibilité de faire subir un contre-interrogatoire à la plaignante. On peut lui demander si elle a obtenu du counselling ou un traitement quelconque, et lui demander d'en préciser la nature, dans le respect des règles de pertinence habituelles.
Lorsque le ministère a amorcé le processus de consultation au début de 1995, le droit était assez fluide sur cette question. On doutait même sérieusement de la possibilité qu'un tribunal puisse forcer une tierce partie à communiquer des dossiers à un accusé, mais de diverses façons, souvent sur la base de simples demandes présentées par les avocats de la défense, de nombreux juges étaient appelés à ordonner la production de tels documents. Dans certains cas, à la suite d'assignations, des dossiers ont été remis avant même que le tribunal ait eu l'occasion de se prononcer sur le bien-fondé d'une telle action. Dans d'autres, on a demandé au juge d'instruction d'ordonner la production de dossiers. Depuis lors, la Cour suprême du Canada a examiné certaines des questions relatives à la production de documents, et le droit, ainsi que la procédure se sont quelque peu fixés.
Les propositions d'amendement ne visent pas à codifier ces jugements. Même si on y retrouve certaines similitudes, ils comportent aussi des différences importantes.
Les deux cas que je mentionnerai - et que les témoins mentionneront sans doute aussi - sont l'arrêt O'Connor et l'arrêt A.L.L. Beharriell, tous deux rendus par la Cour suprême du Canada en décembre 1995.
Dans l'arrêt O'Connor, la Cour suprême a tranché par 5 contre 4 sur la question de la production de dossiers. Les juges se sont entendus de façon générale sur la procédure à suivre, mais ils ont divergé en ce qui a trait aux critères qui devaient s'appliquer et au moment fixé pour la communication de dossiers. La majorité a opté pour un processus décisionnel en deux temps exigeant d'abord de l'accusé qu'il établisse que les dossiers en question sont vraisemblablement pertinents quant à un point en litige ou à l'habileté d'un témoin à témoigner. Dans un deuxième temps, le juge de première instance examinerait les dossiers et pourrait ordonner la production de ceux qui sont considérés comme ayant une pertinence probable, mais uniquement après avoir considéré les effets salutaires et néfastes pour l'accusé et pour la plaignante, ainsi que cinq autres facteurs énoncés par le tribunal.
Dans leur jugement majoritaire, les juges donnent également plusieurs exemples de ce qui, à leur avis, constitue une pertinence probable au premier stade de l'examen. Cela implique que l'accusé devra respecter une norme de pertinence probable peu rigoureuse, qui pourrait se solder par la remise au juge sans que l'on ait pris en compte le respect du droit à la vie privée de la plaignante ou de toute autre personne pouvant être nommée dans les dossiers.
Selon l'opinion majoritaire, dans les cas où les dossiers de tierce partie sont détenus par la Couronne, les obligations habituelles de communication s'appliquent. Autrement dit, la Couronne doit sans délai remettre les dossiers aux avocats de la défense à moins qu'il soit évident qu'ils ne sont pas pertinents. Cependant, la Cour suprême a reconnu que cela supposait que la plaignante savait que les dossiers remis à la Couronne seraient communiqués.
D'après l'opinion majoritaire dans l'arrêt O'Connor, les critères devraient être beaucoup plus serrés et les cas où l'on se demande comment et pourquoi les dossiers pourraient être pertinents ne suffiraient pas pour autoriser leur production. Les juges minoritaires ont insisté sur le fait qu'il ne devrait pas y avoir présomption de pertinence. Ils ont plutôt laissé entendre que la plupart des dossiers ne seraient pas pertinents.
La minorité estimait en outre qu'avant d'examiner les dossiers, le juge du procès doit prendre en considération les droits garantis par la Charte et d'autres facteurs.
Dans l'arrêt A.L.L., la Cour suprême a dit qu'un tiers - autrement dit, le détenteur des dossiers ou le plaignant - pourrait faire appel d'une assignation à produire jusqu'en Cour suprême du Canada, avant la fin du procès. En outre, la cour rejette l'argument selon lequel les dossiers de traitement relativement à une agression sexuelle font l'objet d'un privilège.
La jurisprudence actuelle permet à l'accusé de demander toute sorte de dossiers, prétendant qu'ils sont ou pourraient être pertinents, en se fondant sur de simples assertions. Il faut alors que le juge examine les dossiers sans même prendre en considération l'atteinte à la vie privée du plaignant ou d'autres personnes nommées dans les dossiers, ni le droit à une protection égale de la loi.
La jurisprudence actuelle laisse en outre beaucoup de questions en suspens. Par exemple: quels types de dossiers sont couverts par ce régime; quels types de conditions peuvent être posées au sujet des dossiers produits en bout de ligne; si ces délibérations peuvent être rendues publiques; quelle information doit apparaître dans l'assignation; et ce qu'on fera des dossiers, en attendant les appels.
Le projet de loi C-46, en plus de préciser quelles seront les règles et quels critères régiront la production des dossiers, répond à toutes ces autres questions relatives à la procédure de communication des dossiers, de la demande initiale jusqu'au retour des dossiers à leurs détenteurs.
En examinant les détails du projet de loi, vous verrez qu'il contient un long préambule décrivant la raison d'être du projet de loi et les intentions du Parlement qui le présente. On y précise que le projet de loi ne s'applique qu'aux procédures relatives à des infractions de nature sexuelle, que ces infractions se soient produites récemment ou par le passé.
On y dit aussi clairement que le juge du procès doit décider de la communication des documents. Le juge présidant l'enquête préliminaire n'a pas le pouvoir de le faire.
Le projet de loi définit également ce qu'est un dossier. La définition est assez large pour inclure tout type de dossier pour lequel on s'attend à un certain degré de confidentialité. De plus, la définition des dossiers comprend une liste explicite, afin qu'on ne puisse mettre en doute qu'un dossier donné est visé par le projet de loi.
D'après le projet de loi, au départ, l'accusé doit établir que les dossiers existent, qu'ils sont entre les mains du détenteur nommé et qu'ils renferment des renseignements qui sont vraisemblablement pertinents quant à un point en litige ou à l'habileté d'un témoin à témoigner. L'accusé doit aussi préciser les motifs de sa demande, établissant ainsi la probabilité de la pertinence de l'information.
Il y a un aspect controversé du projet de loi qui semble avoir été mal compris par bien des gens: il s'agit de la disposition selon laquelle les allégations qui ne sont pas étayées par d'autres renseignements ne constituent pas des motifs suffisants pour établir la pertinence probable d'un dossier. En gros, ce qu'on veut, c'est que l'accusé ait à présenter les raisons pour lesquelles les dossiers sont à son avis vraisemblablement pertinent. Il ne peut pas dire qu'ils peuvent ou pourraient l'être. Il ne peut pas dire qu'il pense qu'ils sont pertinents.
Dans cette partie du projet de loi, on dit clairement que les assertions, les simples assertions non étayées par d'autres renseignements ou d'autres preuves ne suffisent pas. Vous ne pouvez formuler ce genre d'assertion dans votre demande de communication. On donne la liste des allégations non étayées, par exemple, la simple existence du dossier. L'accusé ne peut pas dire qu'il lui faut les dossiers du Dr Smith parce qu'il sait que le Dr Smith a des dossiers au sujet de Mme X. Ça ne suffit pas. Il ne lui suffit pas non plus de dire qu'il a besoin des dossiers parce qu'ils se rapportent à l'incident à l'origine des poursuites. C'est assez évident. Par exemple, un dossier d'un centre de counselling pour victimes d'agression sexuelle portera dans une bonne mesure sur ce qui s'est produit pour que la victime s'adresse au centre.
Mais tous ces motifs insuffisants ne sont pas pour autant interdits. C'est l'assertion non étayée qui est insuffisante pour justifier la communication des dossiers à la cour. Si l'accusé peut établir que sa demande est justifiée, qu'il a besoin des dossiers parce qu'ils se rapportent à la crédibilité du plaignant ou d'un témoin, d'une manière bien précise, et s'il peut décrire l'élément probant du dossier, cette liste du projet de loi ne l'empêchera pas de faire la demande. Ou s'il a besoin des dossiers d'un médecin particulier parce que celui-ci est reconnu pour un genre de thérapie douteuse, s'il peut préciser cela et montrer combien ce sera important pour le procès, et s'il a des motifs raisonnables de croire que ces renseignements l'aideront, on ne lui interdira pas l'accès aux dossiers. Il lui faudra toutefois montrer que sa demande est véritablement fondée.
Ce paragraphe est une disposition essentielle du projet de loi C-46 parce qu'il élimine les demandes de communication faites sur de simples conjectures. Si cette liste ne se trouvait pas là, l'accusé pourrait simplement prendre la liste et dire que c'est pour telle ou telle raison que les dossiers sont pertinents. Dans chaque cas, le juge aurait la discrétion d'examiner les dossiers.
Si le juge reçoit la demande, il devra déterminer si elle a été présentée en bonne et due forme, si les motifs de la demande de communication du dossier sont bien établis. Ensuite, il devra considérer les effets de la communication pour l'accusé, en tenant compte de la capacité de celui-ci de se défendre par des réponses complètes, ainsi que les droits du plaignant à l'égalité et à la vie privée. En plus, le projet de loi prévoit certains facteurs qui doivent être pris en compte par le juge. Mais je rappelle que le juge peut exercer sa discrétion, à cette étape comme à la suivante, pour ordonner ou non la communication d'un dossier, d'abord à lui-même, et à l'accusé. Il doit tenir compte de certains facteurs.
À la deuxième étape, si le juge a ordonné la communication de la totalité ou d'une partie des dossiers demandés, il les examine à huis clos et décide s'il y a lieu de communiquer ces renseignements à l'accusé. En fait, le juge doit procéder au même questionnement. Après avoir examiné les dossiers, après la première audience, il examine les dossiers de nouveau, prend de nouveau en considération les droits conférés par la charte à l'accusé et au plaignant, ainsi que les facteurs précisés dans la loi et décide si tous les dossiers qu'il a examinés, ou une partie d'entre eux, doivent être communiqués à l'accusé.
Il doit également déterminer si certaines conditions doivent s'appliquer à la communication des dossiers à l'accusé. Par exemple, il pourrait supprimer le nom de certaines personnes nommées dans les documents. Il pourrait ordonner que les dossiers ne soient examinés que dans les bureaux de la cour, sans qu'ils la quittent, et qu'aucune copie ne soit faite, ou que des adresses ou d'autres informations nominatives soient supprimées. Le juge a toute la discrétion nécessaire pour déterminer les conditions appropriées.
En plus des dispositions de fond, le projet de loi précise la procédure à suivre. La demande doit être faite par écrit. Elle doit être assortie d'une assignation à comparaître pour remettre des dossiers sur la nouvelle formule 16.1. Normalement, toutes les assignations se rapportant à des infractions d'ordre sexuel se feront sur la nouvelle formule 16.1. Cette formule est identique aux autres assignations à produire comparaître à des témoins, sauf que dans ce cas, à la fin de la formule, on expliquera les obligations du témoin qui reçoit l'assignation, c'est-à-dire uniquement d'apporter les dossiers à la cour. S'il s'agit de dossiers selon la définition du projet de loi, ils doivent être accompagnés par la demande de communication et il revient à la cour de déterminer s'il y aura communication. Ainsi, les détenteurs de dossiers à qui on demande d'apporter des documents en cour ne croiront pas qu'ils doivent immédiatement les remettre à quiconque.
Le préavis relatif à la demande de communication de dossiers devrait être de sept jours si possible, mais il existe une disposition qui permet d'abréger le préavis. Le juge décide à huis clos de l'opportunité d'ordonner la communication de dossiers. Le plaignant, la personne qui a le dossier en sa possession, le poursuivant et l'accusé peuvent tous présenter des arguments à l'audience à laquelle le juge doit décider si le dossier devrait être communiqué.
Il est interdit de publier dans un journal ou de diffuser le contenu de la demande ou l'information fournie à l'audience. Les dossiers qui sont communiqués, le cas échéant, ne peuvent être utilisés pour aucune autre procédure. Les dossiers qui, par exemple, sont remis au juge, mais qui ne sont pas ensuite remis à l'accusé, sont conservés par le tribunal jusqu'à l'épuisement de toutes les possibilités d'appel, et sont ensuite remis à la personne qui a la charge des dossiers. Enfin, toutes les assignations à comparaître pour remettre des dossiers dans le cadre de procédures relatives à des infractions sexuelles sont émises, non pas par un juge de la paix, mais par un juge.
Ces modifications s'appliquent aux dossiers détenus par des tiers ainsi qu'aux dossiers de tiers qui sont détenus par le poursuivant. Le projet de loi prévoit expressément que ces dispositions s'appliquent à moins que le plaignant n'ait renoncé à la protection que lui accorde le projet de loi.
Voilà, en gros, en quoi consiste le projet de loi. Nous nous ferons un plaisir de répondre aux questions que vous voudrez poser.
La présidente: Merci.
Madame Gagnon.
[Français]
Mme Gagnon (Québec): C'est un projet de loi très délicat. Il me porte à m'interroger sur l'équilibre entre le droit de l'accusé d'avoir en sa possession des preuves et les droits de la victime. Je me demande si cela ne fera pas en sorte que la victime aura peur d'aller chercher de l'aide et de parler de façon libre. Cela met le thérapeute ou l'aidant dans une position assez inconfortable par rapport à la victime.
D'ailleurs, beaucoup de plaintes sont faites auprès des organismes d'aide aux victimes en ce qui a trait à la divulgation de ces preuves. Je m'interroge sur l'impact que pourrait avoir un tel projet de loi.
Je sais que vous voulez l'encadrer, mais transmettre des informations qui ont été données dans un cadre très spécifique ne mettrait-il pas en péril la volonté de la victime d'aller chercher de l'aide? Une victime peut aller chercher de l'aide rapidement après une tentative d'agression sexuelle, mais il y a peut-être certaines choses qui se disent et se précisent par la suite, lors d'une thérapie. En tout cas, il y a divulgation de confidences secrètes. C'est comme lorsqu'on allait voir le curé pour s'accuser de nos péchés. Le curé était tenu de garder secret ce que l'on disait. J'ai un peu de réticences face à ce pouvoir discrétionnaire de la cour, du juge pour permettre à l'accusé de se défendre.
M. Roy: Madame Gagnon, dans un premier temps, je peux dire que le projet de loi, comme le ministre qui l'a présenté, reconnaît cette difficulté. Dans les paragraphes d'introduction, une reconnaissance spécifique est faite. C'est au centre des préoccupations de ceux qui ont travaillé là-dessus.
Comme je le disais dans mes petits commentaires d'introduction, le ministre fait preuve d'un désir d'atteindre un équilibre et d'une recherche d'équité, non seulement pour l'accusé, mais aussi pour les victimes d'agressions sexuelles. En termes plus juridiques, c'est essentiellement une recherche entre deux intérêts qui ne sont pas directement opposés, mais quasiment.
D'une part, il y a le droit de la victime d'agression sexuelle à sa vie privée et, de façon plus générale encore, le droit global à l'égalité et à la protection de la loi, mais ce droit global à l'égalité et à la protection de la loi s'applique aussi à l'accusé, qui a un droit fondamental reconnu par les tribunaux, soit le droit à une défense pleine et entière.
Il fait peu de doute que les dossiers dont nous parlons actuellement peuvent être utiles pour la défense d'un individu qui, reconnaissons-le dès le départ, est présumé innocent. On ne sait pas si l'individu qui est au banc des accusés est effectivement la personne qui a commis cette agression sexuelle. Cela reste à être déterminé par le juge et le jury le cas échéant.
Or, dans le projet de loi, on essaie de dire qu'on va permettre l'accès à ces dossiers, mais uniquement dans les cas qui le méritent. C'est le cadre dans lequel on entre lorsqu'on regarde le projet de loi C-46. C'est une tentative, de la part du législateur, d'élaborer un cadre législatif qui va permettre l'accès à ces documents, mais uniquement dans les cas qui le méritent. Pour ce faire, le cadre prévoit certaines choses qui doivent être établies pour éventuellement permettre cet accès.
Si on allait jusqu'au privilège absolu et qu'on disait que ces dossiers ne doivent jamais être accessibles à qui que ce soit, je pense que ce serait contraire à ce que les neuf juges de la Cour suprême ont dit. Le jugement O'Connor, dont on parle, a été rendu par 5 voix contre 4, mais même la minorité a reconnu qu'il devait y avoir un accès. Donc, ce serait probablement inconstitutionnel. Je vous dirai que, pour ma part, je suis convaincu que ce serait inconstitutionnel.
Ce qu'il faut rechercher, c'est un équilibre pour éviter la spéculation, pour éviter la fameuse partie de pêche. Il ne faut le permettre que dans les cas qui le méritent. On espère avoir atteint cela dans le projet de loi qui vous est soumis. On pourra élaborer plus tard, lors de questions subséquentes, sur l'équilibre tel qu'il a été présenté. Je ne voudrais pas faire un monologue là-dessus.
Mme Gagnon: Les organismes dont il est question sont souvent subventionnés et ont de la difficulté à survivre. Quand ils seront cités à témoigner, vont-ils devoir payer tous les frais de cour? C'est là qu'il y a un problème. Ne seront-ils pas tentés de détruire des preuves ou de ne plus jamais en garder au cas où on leur demanderait de se présenter devant la cour? Ce sera aussi un problème pour un thérapeute ou un psychiatre. Allez-vous prévoir dans un projet de loi des appuis financiers au cas où cela se produirait?
[Traduction]
Mme Kane: C'est un problème pour les détenteurs de dossiers qui sont cités à comparaître parce qu'ils doivent se conformer à la l'assignation à comparaître. Ils doivent ainsi s'absenter de leur travail de sorte qu'ils ont moins de temps à consacrer à ceux qu'ils essaient d'aider. Bien souvent, ils en sont paniqués, parce qu'ils ne sont pas des spécialistes de la procédure juridique. Ils sont bien souvent pris au dépourvu par la citation à comparaître. Beaucoup d'entre eux engagent des frais juridiques considérables pour se défendre contre ces demandes de communication de dossiers.
Tout au long du processus de consultation, il était entendu que le projet de loi prévoirait une forme de protection quelconque. Le nombre de demandes de communication de dossiers pourrait se trouver réduit de ce fait, et les détenteurs des dossiers auraient davantage confiance que les tribunaux appliqueraient les mêmes directives dans tous les cas et qu'ils n'auraient vraisemblablement pas à lutter autant qu'ils le font à l'heure actuelle pour protéger les dossiers en question.
Je suis sûre qu'il sera question dans les témoignages qu'entendra le comité de la nécessité de prévoir une aide financière. C'est une question que nous n'avons pas pu régler dans le projet de loi parce que l'aide juridique relève généralement de la compétence provinciale, et qu'au niveau provincial, on s'interroge sur l'opportunité d'accorder une aide juridique aux détenteurs des dossiers. Bien souvent, les organismes en cause n'ont droit à aucune aide parce qu'il ne s'agit pas de particuliers et que les organismes ne sont accusés d'aucune infraction. Le projet de loi ne fait que préciser qu'aucune ordonnance de dépens ne peut être rendue contre les plaignants et les détenteurs de dossiers à l'égard de leur participation à l'audition de ces demandes de communication de dossiers. Le problème s'est posé pour un certain nombre de détenteurs de dossiers, principalement des centres de traitement des victimes d'agression sexuelle, qui ont lutté vigoureusement pour protéger les dossiers, ce sont présentés à l'audience, y ont présenté leurs arguments et ont vu leurs arguments rejetés par le juge qui a décidé que les dossiers seraient remis à l'accusé. Le juge a rendu une ordonnance de dépens contre les détenteurs de dossiers, alors que ces organismes n'avaient pas les moyens de payer ces dépens.
C'est un problème que nous avons voulu régler de façon expresse grâce au nouvel article 278.4, mais nous n'avons pas pu faire plus que cela dans le projet de loi pour répondre au besoin d'aide financière.
La présidente: Madame Ablonczy, dix minutes.
Mme Ablonczy (Calgary-Nord): Merci.
Je tiens à féliciter ceux qui ont travaillé tellement fort à ce projet de loi. Madame Kane, je sais vous répondez à une préoccupation vraiment fondamentale que l'on retrouve parmi une bonne part de la population. Je crois que vous avez bien su équilibrer les intérêts en cause. Je suppose que notre comité aura pour tâche de s'assurer d'avoir le meilleur équilibre possible entre le droit du plaignant à la vie privée et à l'égalité et le droit de l'accusé à une défense pleine et entière. C'est la recherche de cet équilibre qui est au coeur de mes soucis, et je suis sûre que vous y avez réfléchi beaucoup plus que nous.
L'opinion minoritaire dans l'affaire O'Connor reposait sur le principe que les dossiers personnels des plaignants ne devraient être que très rarement considérés comme pertinents. Je me demande si vous êtes d'accord pour dire que, sur le plan philosophique ou pratique, ce serait là l'équilibre qu'il faudrait rechercher dans un projet de loi comme celui-ci.
Mme Kane: Nous sommes partis du principe dans ce projet de loi qu'il ne devrait y avoir aucune présomption de pertinence ou de non-pertinence et que, dans chaque cas, il devrait incomber à l'accusé de répondre au critère selon lequel il doit faire la preuve de la pertinence des dossiers relativement à une des questions en litige. Nous essayons donc d'éviter...
Mme Ablonczy: Je comprends cela. Le critère est-il axé sur la conviction que ces dossiers ne devraient que très rarement avoir à être communiqués?
Mme Kane: Pas vraiment. Je crois qu'il nous faut partir d'une position neutre. Il se peut que les dossiers soient pertinents et il se peut qu'ils ne soient pas du tout pertinents. Dans chaque cas, la décision doit être prise à partir des faits qui entrent en ligne de compte. Dans certains cas, on peut supposer que certains dossiers seront plus pertinents que d'autres, mais je crois que la position de départ en vue de déterminer s'il y a lieu d'ordonner la communication des dossiers devrait être neutre. Il faut tenir compte des droits de l'accusé tout compte des droits du plaignant, et il incombe à l'accusé de faire la preuve qu'il est nécessaire de porter atteinte à la vie privée et à l'égalité du plaignant.
M. Roy: Si vous le permettez, je trouve qu'il serait dangereux de partir du principe que vous évoquez, car l'opinion majoritaire était exactement l'inverse, à savoir que ce n'est pas seulement dans des cas très rares que les dossiers devraient être communiqués. Nous ne sommes pas partis d'une hypothèse quelconque. Nous sommes simplement partis du principe que nous recherchons l'équité.
Mme Ablonczy: D'accord. Pour faire suite à ce que vous venez de dire, on trouve dans le projet de loi une liste d'environ huit facteurs qui ne suffiraient à eux seuls pour faire la preuve de la pertinence d'un dossier. On trouve aussi dans le projet de loi environ cinq conditions... Excusez-moi, je vais un peu vite. Je crois qu'il y a sept facteurs que le juge serait tenu de prendre en considération avant d'ordonner la communication d'un dossier, et il y a ensuite environ cinq conditions qu'il pourrait imposer à l'égard des documents communiqués. Il semble qu'il y ait beaucoup de limites quant à la possibilité de communiquer des dossiers. Je voudrais que vous nous disiez quel serait l'équilibre qui serait réalisé grâce à ces limites.
Mme Kane: Vous avez raison de parler de «limites». J'hésiterais toutefois pour ma part d'utiliser ce terme et je dirais plutôt que nous voulons que les demandes de communication de dossiers fassent l'objet d'un examen minutieux et que tout ce qui se trouve dans le projet de loi est destiné à guider le juge dans cet examen minutieux.
La première question que vous avez soulevée est celle des motifs insuffisants. Comme je l'ai dit tout à l'heure, cette disposition du projet de loi porte un peu à confusion. S'il y a des moyens d'améliorer le libellé, nous serions tout à fait prêts à accepter les propositions d'amélioration. L'idée, c'est qu'on ne peut pas simplement dire qu'on a besoin des dossiers parce qu'ils pourraient comprendre telle information ou qu'ils pourraient être pertinents. Nous avons dressé la liste des différentes affirmations qui sont généralement faites sans aucune preuve à l'appui et qui, par le passé, ont permis d'obtenir certains dossiers. Il s'agit essentiellement de conjectures.
Si l'accusé peut dire «non, c'est différent dans mon cas, je ne fais pas de conjecture, j'ai quelque chose pour étayer ma conviction que les dossiers seront pertinents pour telle et telle question», l'existence de la liste n'empêchera pas le juge d'examiner la demande de communication de dossiers et de passer à l'étape suivante. Il s'agit simplement de facteurs dont le juge devrait tenir compte quand il examine initialement l'opportunité d'ordonner la communication des dossiers. Nous ne lui demandons donc pas de dire: «si vous décidez telle chose, vous devez alors examiner les dossiers et si vous décidez telle autre chose, vous ne devez pas les examiner.» Nous lui demandons simplement de tenir compte, au moment de prendre sa décision - et qu'il décide d'ordonner la communication des dossiers ou pas - , il devrait tenir compte de l'incidence de sa décision sur le droit de l'accusé à une défense pleine et entière et sur le droit du plaignant à la vie privée et à l'égalité. Puis, nous énumérons un certain nombre de facteurs qui sont là essentiellement pour guider le juge dans l'examen qu'il fera de la demande au regard de la charte.
Mme Ablonczy: Il s'agit donc de lignes directrices plutôt que de cadres d'action stricts et précis.
Mme Kane: C'est exact. Il s'agit de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire et nous essayons de suggérer des choses dont il faut tenir compte pour exercer ce pouvoir discrétionnaire d'une manière plus éclairée.
Mme Ablonczy: L'une des critiques que j'ai entendues au sujet de ce projet de loi, dans mes discussions avec des intervenants et des personnes qui s'en serviront, est qu'à cause des critères, on n'aurait presque jamais à produire les dossiers demandés. Que répondriez-vous à cette préoccupation?
Mme Kane: Je ne crois pas du tout que ce soit vrai, car si l'avocat de la défense a raison de croire que certains dossiers seront pertinents, il devrait pouvoir expliquer la pertinence de ces dossiers et en donner les raisons, au lieu de dire seulement qu'il a besoin des dossiers du Dr Smith, parce qu'ils pourraient avoir un rapport avec la crédibilité de la plaignante. Eh bien, quel est le rapport entre ces dossiers et sa crédibilité? En quoi les sujets abordés par le Dr Smith avec cette personne peuvent-ils avoir un rapport avec la crédibilité du témoin? Il faut donc donner un peu plus d'information pour étayer la demande portant sur ces dossiers.
Il est donc possible de présenter les motifs justifiant la demande. Par exemple, vous pouvez contre-interroger la plaignante au cours de l'enquête préliminaire. L'accusé peut convoquer des témoins à l'enquête préliminaire. Rien ne l'empêchera de poser des questions au témoin et d'obtenir des réponses qui aideront dans la recherche de dossiers, si l'on croit que certains dossiers pourraient éventuellement aider.
Je tiens à signaler également que même si le projet de loi stipule qu'on doit présenter la demande au procès, on peut la présenter à n'importe quel moment du procès et on peut même renouveler la demande. Si l'on présente une demande de dossier et que le juge estime que la demande n'est pas bien motivée, au cours du procès, lorsque d'autres informations ressortent, on peut renouveler la demande ou présenter une nouvelle demande.
Mme Ablonczy: J'aimerais en parler davantage dans un instant, mais je tenais à m'assurer qu'on examinerait une certaine question ou qu'on en discuterait. Comme vous le savez probablement, au cours du débat sur ce projet de loi, on a notamment soulevé la question des allégations formulées en raison du prétendu syndrome de la mémoire fictive. L'un des députés craignait vraiment qu'il ne semble pas être possible, pour protéger les victimes d'allégations formulées en raison du syndrome de la mémoire fictive, de faire produire les dossiers de thérapie de la personne en question. Nous savons que ces situations présentent un problème important dans certains cas.
Je me demande ce que vous diriez à quelqu'un qui est accusé en raison du syndrome de la mémoire refoulée, ou quel que soit le nom qu'on lui donne, et qu'il ne peut pas dire que la personne se rappelle des souvenirs fictifs et qu'il faut donc les dossiers relatifs à la thérapie. À cause des restrictions imposées pour protéger les dossiers, il semblerait qu'une telle allégation ne suffirait pas pour obtenir la production de ces dossiers.
Mme Kane: Premièrement, rien dans cette liste n'interdit à quelqu'un d'obtenir des dossiers d'un médecin ou d'un thérapeute qui a utilisé des techniques pour faire recouvrer la mémoire. Cependant, un accusé ne peut pas simplement dire qu'il a besoin des dossiers parce qu'ils pourraient montrer qu'il s'agit de souvenirs recouvrés. Il doit donner les raisons qui l'amènent à croire que les dossiers concernent une thérapie par la suggestion. À l'enquête préliminaire, il sera possible de convoquer un médecin qui pourrait avoir traité le plaignant ou de demander au plaignant: «étant donné que l'incident s'est produit il y a trente ans, lorsque vous étiez enfant, pourquoi le signalez-vous seulement maintenant? Avez-vous subi une thérapie dans le passé? Le souvenir de l'incident vient-il seulement de vous revenir?» Il est donc possible d'explorer cette question.
En outre, lorsque le procureur de la Couronne poursuit quelqu'un pour ces infractions, dans chaque cas dont j'ai pris connaissance et qui était fondé sur la mémoire recouvrée, le procureur lui-même a amené la preuve concernant la mémoire recouvrée. C'est lui qui appelait des experts à témoigner. On ne gardait pas secret le fait que cette personne avait subi une thérapie et que l'allégation a été formulée à la suite de cette thérapie.
Ce projet de loi ne concerne pas le syndrome de la mémoire recouvrée. Nous savons que c'est une question très controversée. L'Association des psychiatres du Canada a émis un communiqué prévenant tous ses membres d'éviter certaines techniques agissant sur la mémoire, et d'éviter les confrontations pouvant résulter des accusations de certaines personnes, en rapport avec la mémoire recouvrée. Mais nous ne pouvons pas nous occuper de ce problème controversé dans ce projet de loi.
La règle demeure la même: il faut spécifier les motifs sur lesquels on se fonde pour montrer la pertinence des dossiers. Par conséquent, si vous voulez obtenir un dossier concernant un cas de mémoire recouvrée et si vous savez qu'un certain médecin a vu la personne en question, vous pouvez appeler le médecin à témoigner, vous pouvez lui poser des questions pertinentes, vous pouvez lui demander s'il a traité la personne et s'il a tenu un dossier. Et une fois ces informations obtenues, vous n'aurez probablement pas de difficulté à satisfaire aux critères pour la production de ces dossiers, en raison de leur pertinence probable.
Mme Ablonczy: À votre avis en tant que spécialiste, cela ne laisserait pas sans défense les victimes du syndrome de la mémoire recouvrée?
Mme Kane: Absolument pas.
Mme Ablonczy: Bien. J'ai encore quelques brèves questions à poser.
On a suggéré, et je suis persuadée que vous y avez pensé, que le juge qui examine les documents ou la demande de production de documents ne devrait pas être le même que celui qui préside le procès. Je me demande pourquoi vous avez décidé que le même juge qui préside le procès devrait examiner la question des documents ou prendre une décision quant à leur production.
Mme Kane: C'est une question dont on a discuté beaucoup au cours du processus de consultation et qu'on a vérifiée dans de très nombreux cas de jurisprudence. Même la Cour suprême du Canada convient que ce doit être le juge présidant le procès, pour une variété de raisons. C'est le juge présidant le procès qui devra décider de toutes les autres questions en jeu au cours du procès, et il semble logique que ce soit le juge présidant le procès qui décide de la communication de dossiers, en particulier parce que la demande peut être renouvelée plus tard au cours du procès. Le juge présidant le procès est le mieux placé pour examiner ce qui peut être pertinent à une question en litige; c'est ce juge qui sait quels points seront soulevés au cours du procès.
Mme Ablonczy: À votre avis, il n'y a pas vraiment lieu de se préoccuper de la possibilité que soit entaché un jugement quant à la crédibilité d'un témoignage?
Mme Kane: Non. Les juges sont appelés à prendre une variété d'autres décisions qui pourraient entacher leur jugement final, d'après certains points, nous avons pleinement confiance dans leur capacité de dissocier une question quelconque de leur jugement final, et cela n'est pas une exception.
M. Roy: En effet, ce sont les juges qui président les procès qui décident de toute la question de l'admissibilité de la preuve. La présidente est au courant de tous ces cas où le procureur de la Couronne a lu une déclaration faite par l'accusé. Il y a un voir-dire, un procès à l'intérieur d'un procès, où l'on décide de la question et le juge peut décider que la déclaration est inadmissible. Le juge aura lu la déclaration, mais cela n'entachera d'aucune façon le jugement qui sera rendu à la fin du procès.
C'est quelque chose que font quotidiennement nos juges au Canada et je ne pense franchement pas que le fait de confier cette sorte de pouvoir discrétionnaire au juge présidant le procès présente des difficultés.
La présidente: J'ajouterai seulement que du point de vue de l'avocat de la défense, ce serait un cauchemar si plus d'un juge s'occupait d'un dossier, et je pense qu'il en serait de même pour le procureur de la Couronne.
Est-ce qu'il y a des questions du côté ministériel? Vous êtes un groupe plein d'enthousiasme ce matin.
M. Maloney (Erié): J'ai quelques questions à poser, madame la présidente.
Quand les choses se seront tassées, pouvez-vous nous dire carrément si cette mesure législative pourra résister à une contestation en vertu de la Charte?
Mme Kane: Nous croyons certainement qu'elle résistera à une contestation en vertu de la Charte. Nous prévoyons qu'il y aura en effet des contestations de cette loi en vertu de la Charte; il y en a toujours. Nous sommes absolument convaincus que le projet de loi représente un juste équilibre entre les droits des accusés de se défendre pleinement et les droits des plaignants.
La Cour suprême a statué à plusieurs reprises qu'il n'y a pas de préséance entre les droits conférés par la Charte et qu'il faut les concilier dans toute la mesure du possible. C'est précisément le résultat atteint par le projet de loi C-46.
M. Maloney: Lorsque le procureur détient des dossiers confidentiels et que ceux-ci sont traités de la même façon que ceux d'une tierce partie, c'est tout le concept de la communication intégrale de la preuve par le ministère public qui devient caduque.
Mme Kane: J'ai certaines choses à dire, à propos de ce point du projet de loi.
D'abord, le ministère public n'entre pas normalement en possession de dossiers en provenance de tierces parties. Certains diront que le plaignant remet les dossiers au ministère public. Or, le plaignant ne possède même pas son propre dossier. C'est donc dire que s'il arrive par extraordinaire qu'un dossier provenant d'une tierce partie soit en la possession du ministère public, c'est par inadvertance.
Dans le projet de loi, on a choisi de ne pas les traiter différemment du seul fait que c'est le ministère public qui les a en sa possession. À tout le moins, le plaignant et celui qui détenait le dossier à l'origine devraient pouvoir exposer leurs vues sur l'effet qu'aura la communication du dossier sur leur vie privée.
Le texte précise donc que, dans le cas où le ministère public détient des dossiers en provenance d'une tierce partie, celui-ci devra faire savoir à la défense qu'il les a en sa possession. C'est la première exigence. Étant averti, l'accusé présentera sa demande conformément à la filière exposée ici, et cherchera à démontrer qu'ils sont vraisemblablement pertinents. Si le ministère public l'admet, il pourra faire valoir un avis sur les effets que la communication aura sur la vie privée, tout comme le plaignant et le détenteur du dossier. Le juge aura alors le loisir de caviarder le dossier ou d'imposer des conditions.
L'accusé ne se verra pas refuser de dossiers pertinents du seul fait qu'ils sont à la disposition du ministère public. La façon de procéder sera légèrement différente des critères de l'affaire Stinchcombe, qui stipule que le ministère public doit tout communiquer à la première occasion à moins qu'il s'agisse de quelque chose de non pertinent. Mais il est essentiel que le dossier soit traité de la même façon, selon qu'il est ou non en la possession du ministère public.
Le texte prévoit aussi expressément que dans le cas où le plaignant fournit le dossier au ministère public et renonce à l'application de ces dispositions, le ministère peut communiquer le dossier. Faute de renonciation, le ministère public doit tout faire pour veiller au respect de cette marche à suivre.
M. Maloney: Pensez-vous que l'avocat de la défense aura du mal à démontrer la pertinence vraisemblable puisqu'il n'aura pas la moindre idée de ce que le dossier contient?
Mme Kane: En général, lorsqu'il s'agit de dossiers appartenant à une tierce partie?
M. Maloney: Oui.
Mme Kane: S'il a du mal à démontrer la pertinence vraisemblable, a-t-il besoin du dossier? C'est cela la question. Pourquoi en aurait-il besoin s'il ne peut pas montrer qu'il existe quelque chose de pertinent pour la défense? Elle devrait bien avoir une stratégie en tête et être au courant des faits en l'espèce. La demande de communication devra porter sur le fond du litige et montrer que le dossier aidera la défense à se préparer.
La présidente: Madame Torsney.
Mme Torsney (Burlington): Désolée, mon avion était en retard et j'ai dû manquer la première partie de votre témoignage.
Beaucoup d'accusés m'ont dit s'inquiéter du fait qu'ils n'auront pas accès aux dossiers, des dossiers qui montreraient clairement qu'il s'agit d'un cas de mémoire retrouvée.
Vous avez donné les raisons pour lesquelles à l'enquête préliminaire l'accusé pourra avoir des soupçons légitimes de croire qu'il existe des dossiers. Mais est-ce que cela sera aussi simple, pour ceux qui ne vont pas devant le tribunal et qui voudraient obtenir le dossier au motif que la description des faits donnés par la personne...? Sera-t-il possible d'obtenir le dossier parce que l'on soupçonne qu'il s'agit d'un cas de mémoire retrouvée, parce que cela est conforme à un certain modèle, le modèle de ceux qui disent avoir recouvré la mémoire, par opposition au souvenir de faits réels?
C'est assez alambiqué pour vous?
Mme Kane: Le modèle dont vous parlez, je crois, est celui des symptômes que certaines victimes relatent à leur thérapeute. Le thérapeute dira alors que cela est conforme au cas de la mémoire retrouvée et que la personne a donc été victime de sévices sexuels. Je ne suis pas convaincue que le dossier sera plus utile que les témoignages de ceux qui seront appelés à comparaître.
S'il s'agit de mémoire retrouvée, d'abord, il ne s'agira que de faits survenus il y a très longtemps, dans la petite enfance, et qui ne sont apparus que récemment à la suite d'une thérapie quelconque. Dans tous les cas dont j'ai eu connaissance, qui ont fait l'objet de poursuites, le ministère public a déclaré sans ambages que c'est de cela qu'il s'agissait. Souvent, il a cherché à obtenir des preuves corroborantes pour étayer ce que de nombreux tribunaux ont appelé des éléments de preuve douteux - la mémoire retrouvée est encore quelque chose de controversé - pour déterminer s'il s'agit de souvenirs authentiques ou suggérés.
La preuve pourrait être obtenue du thérapeute ou de la plaignante elle-même. Cela suffira à justifier la communication du dossier relié au traitement. Mais il est possible de convoquer le médecin en question ou d'en faire comparaître un autre qui jettera la doute sur la thérapie adoptée par l'autre médecin.
Mme Torsney: Je crois que dans un cas les parents avaient dû payer la note du thérapeute. Cela leur donne-t-il le droit de voir le dossier?
Mme Kane: Non, mais je crois que la question du privilège entourant le dossier pourra faire surface ailleurs que dans le cadre de poursuites pénales.
M. Roy: Me permettez-vous de répondre brièvement à votre question? Moi-même, je me la suis posée sérieusement.
Je me reporte au texte lui-même. J'ai sous les yeux, à la page 4, le paragraphe 278.3(4), Insuffisance des motifs. Je passe en revue les motifs qui ne peuvent pas être invoqués, en soit, pour démontrer que le dossier est vraisemblablement pertinent. Je ne vois rien qui, de quelque façon que ce soit, empêcherait quiconque d'affirmer que le syndrome en question est la cause de la plainte.
Examinons-les un à la fois parce que je crois que l'on réagit de façon excessive à ce que l'on entend par cette disposition.
Les alinéas qui semblent créer le plus de difficulté sont d), e) et peut-être f). Pour les besoins de la discussion, examinons d): «le dossier est susceptible de contenir une déclaration antérieure incompatible». Certains ont dit, voilà! Même si je fais une allégation et si je connais quelque chose qui montre qu'il y a eu une déclaration incompatible, vous me dites que je ne peux pas consulter le dossier.
Honnêtement, madame Torsney, ce n'est pas du tout le sens de cette disposition. Pas du tout. Ce qu'on dit ici, c'est que si vous affirmez que dans le dossier que vous voulez consulter il y a une déclaration antérieure incompatible, vous devriez avoir droit au dossier. À mon avis, ce n'est rien d'autre qu'un coup de filet. C'est de la spéculation. Un coup de filet jeté à l'aveuglette.
Considérez l'alinéa e): «Le dossier pourrait se rapporter à la crédibilité du plaignant ou du témoin». Cela ne signifie pas que la crédibilité ne peut pas être contestée. Ça signifie seulement que si la personne veut obtenir le dossier parce que cela pourrait compromettre la crédibilité du plaignant, alors ce n'est pas suffisant. C'est de cela qu'il s'agit. Vous pouvez consulter le reste de la liste. Se contenter d'affirmer que c'est le cas, ce n'est pas suffisant. Il faut apporter un autre élément de preuve.
Dans le cas du syndrome en question, si vous avez un élément de preuve, alors je suis convaincu qu'aucun des motifs dont il est question au paragraphe 4 ne vous empêchera de la faire. Loin de là. Affirmer que le projet de loi mettra fin à ce genre de demande, c'est une exagération.
Mme Torsney: Je veux bien. On a soigneusement essayé de doser les choses pour protéger la confidentialité des entretiens. J'ai entendu des avis de part et d'autre. Cela me met dans une situation difficile. Je vais lire votre témoignage de ce matin et peut-être que les autres témoins m'inspireront d'autres questions.
Ce projet de loi ne nous fait pas la partie facile.
La présidente: Merci.
Madame Gagnon, avez-vous d'autres questions?
[Français]
Mme Gagnon: Un journal intime pourrait-il être une preuve? Vous parlez de toute preuve, de tout matériel, mais serait-il possible de demander la divulgation d'un journal intime?
M. Roy: Je vous invite, madame Gagnon, à jeter un coup d'oeil à l'article 278.1 proposé à la page 3. On y traite du journal intime. Il est reconnu comme étant l'un des dossiers qui font l'objet de protection en vertu de ce projet de loi. C'est l'un des dossiers dont on parle. Aux lignes 6 à 9, page 3, il est dit:
- ...le journal intime et le document contenant des renseignements personnels et protégé par une
loi fédérale ou une autre loi provinciale.
- Donc, le journal intime est protégé.
M. Roy: Soyez assurée qu'on va...
Mme Gagnon: Les intentions sont bonnes.
M. Roy: J'allais dire que vous pouvez être assurée que nous aussi, nous suivrons de près les discussions et voudrons entendre ce que les témoins auront à vous dire.
[Traduction]
La présidente: Merci.
Je signale à mes collègues qu'il s'agit d'une sonnerie de 30 minutes.
Madame Ablonczy, avez-vous d'autres questions?
Mme Ablonczy: Oui, j'en ai une. Combien de temps nous reste-t-il?
La présidente: Cinq minutes.
Mme Ablonczy: Très bien.
À l'article 278.9, il est interdit de publier la demande ou la décision ou la teneur de ce qui est prévu dans ces dispositions. Mais pour le citoyen, il faut se souvenir que non seulement justice doit être rendue mais il faut encore en montrer les signes évidents.
Je me demandais quelles considérations vous ont amenés à proposer ces dispositions.
Mme Kane: Cela ne servirait à rien de prévoir une demande de communication qui n'aboutit pas à la communication de quoi que ce soit. Cela signifie donc que la vie privée de quelqu'un subit une atteinte du seul fait qu'une demande de dossier est faite. Si cela était publié, chacun saurait ou croirait qu'il existe sur vous des dossiers qui contiennent certains renseignements même si le tribunal jusque-là n'a rendu aucune décision sur la question de savoir si ces dossiers sont pertinents.
Il y a donc une ordonnance de non-publication sur le contenu de la demande. Il y en a également une sur tout ce qui a été dit ou présenté en preuve à huis clos. Ce n'est pas inhabituel. Il y a d'autres cas dans le Code criminel où il y a une ordonnance de non-publication sur la procédure menée en voir-dire, ou à huis clos. Le code permet, à l'alinéa 278.9(1)c), la publication de la décision à moins que le juge décide que cela ne servirait pas la justice.
Lorsque la décision et les motifs portent sur la question de communiquer ou de ne pas communiquer, ce point ne peut être publié à moins que le juge dise que cela ne servirait pas la justice. Il dispose du pouvoir d'appréciation. Dans d'autres cas de non-publication où le juge dispose du pouvoir d'appréciation, il n'y a pas d'atteinte à la Charte si ce pouvoir est exercé en conformité de la loi.
Mme Ablonczy: D'accord.
J'aimerais répéter ce que d'autres collègues ont dit à propos de la liste des motifs insuffisants pour démontrer la pertinence. Si l'on ajoute à cela les considérations dont le juge doit tenir compte, je crois que l'on est fondé à croire que ces motifs entraveront considérablement la communication des dossiers. C'est une liste vraiment très complète.
Je sais ce que vous êtes en train de dire, qu'un seul d'entre eux pris isolément ne serait pas suffisant, mais collectivement ils peuvent l'être. Il semble y avoir une multitude de raisons pour empêcher la communication et bien peu pour l'autoriser. C'est l'impression que donne le texte proposé.
Mme Kane: Mais il ne faut pas oublier que le problème vient peut-être du paragraphe initial à propos de ce que l'on entend par insuffisant. Ce n'est pas parce qu'une chose est affirmée qu'elle est prouvée. Vous ne pouvez pas vous contenter d'affirmer avoir besoin du dossier pour l'un ou l'autre ou tous ces motifs. Si c'était le cas, vous n'auriez qu'à les énumérer tous. Vous ne vous contenteriez pas d'un seul, vous les invoqueriez tous. De cette façon, vous obtiendriez les dossiers.
Vous pouvez choisir n'importe lequel dans la mesure où c'est pertinent pour votre affaire et que c'est précisément la raison pour laquelle il vous faut le dossier, mais il est essentiel que vous puissiez étayer votre affirmation. En effet, vous pouvez invoquer que le dossier est nécessaire car on constatera qu'il s'y trouve une déclaration contradictoire concernant un aspect particulier de l'affaire. Ensuite, rien ne vous interdit de vous fonder là-dessus comme motif pour établir que le dossier contient des renseignements qui peuvent être pertinents. Une seule chose, vous ne pouvez pas vous contenter de dire que c'est la raison pour laquelle il vous faut le dossier. Il faut d'abord établir les motifs.
Si cette liste n'existait pas - à mon avis cependant, cette liste est absolument essentielle - , la règle serait la même. Il vous faudrait établir les motifs qui vous poussent à croire que ces dossiers en particulier sont pertinents pour un point en litige, et ce pourrait être concernant la crédibilité de la plaignante, ou pour établir qu'ils avaient discuté de l'incident qui fait précisément l'objet de la poursuite.
Mais ce sont là des conjectures, ce ne sont pas des motifs. On veut jeter un filet pour voir ce qu'on pourrait y trouver. Voilà pourquoi nous disons «individuellement ou collectivement». Il n'est pas question ici de tomber sur quelque chose. Il faut véritablement expliquer pourquoi on a besoin de ces dossiers, et dans ces explications, il se peut que vous ayez à révéler plus d'indications que vous ne souhaiteriez vraiment.
Mme Ablonczy: Mais tant qu'on n'a pas vu les dossiers, comment est-il possible d'affirmer de façon crédible que ces dossiers contiennent les faits que l'on prétend pouvoir y retrouver.
Mme Kane: En contrepartie, pourquoi devriez-vous présumer que certains dossiers vont vous aider si vous ne les avez pas vus? Qu'est-ce qui vous porterait à croire qu'ils sont pertinents?
Mme Ablonczy: C'est exactement ce que je dis. Puisqu'on ne peut de toute façon pas affirmer quoique ce soit sans avoir vu un dossier, il sera dès lors impossible de le consulter.
Mme Kane: Si ce critère n'existait pas, dans chaque affaire, tous les dossiers jamais constitués sur quelqu'un seraient susceptibles d'être présentés au tribunal pour qu'un juge les examine, pour qu'il détermine s'ils sont pertinents ou pas.
Mme Ablonczy: Je comprends bien que ce genre d'abus est possible, mais comment faire dans le cas contraire?
Mme Kane: L'avocat de la défense sait très bien quel genre de plaidoyer il va présenter. Il sait quels sont les points en litige et il se doute que certains dossiers existent. Nous ne pouvons pas permettre à l'avocat de la défense d'exiger par assignation les dossiers de tous les centres d'accueil après une agression sexuelle ou de tous les cabinets de médecin dans l'espoir qu'il va y retrouver quelque chose. Il faut choisir certains dossiers.
L'enquête préliminaire permet d'établir le genre de traitement et de thérapie que le plaignant a subis, de sorte que cela donne une base pour établir que certains dossiers existent. Ensuite, il s'agit de déterminer si ces dossiers sont nécessaires et pourquoi, et c'est cela qu'il faut expliquer.
Comme je l'ai dit, rien n'empêche que l'on fasse venir des témoins. Si la défense ne peut pas obtenir les dossiers mais qu'elle sait que le plaignant voit d'un conseiller ou un professeur ou un autre professionnel, et si ces gens apportent des faits utiles, ils peuvent être appelés à la barre des témoins et on leur posera les questions pertinentes.
Mme Ablonczy: Merci, madame la présidente.
La présidente: Monsieur Rideout.
M. Rideout (Moncton): Dès lors, pourquoi ne pas mettre tous les renseignements disponibles de quelque source que ce soit entre les mains d'un juge puisque l'on peut compter sur sa protection pour les examiner et déterminer s'ils peuvent être introduits en preuve ou utilisés lors du procès? Je sais bien que c'est ratisser large, mais ces renseignements sont protégés dans la mesure où rien ne sera rendu public tant qu'un juge n'aura pas pris une décision. On peut très bien ratisser mais c'est le tribunal qui a la haute main sur ces renseignements-là.
Mme Kane: Si l'on procédait ainsi, on oublierait que le fait même de communiquer des documents à un juge est une violation du droit à la vie privée et du droit à l'égalité. Ainsi, il y aurait toute une gamme de renseignements qui seraient fournis à un juge sans que vous puissiez contester leur pertinence ou l'incidence sur votre vie privée. Le juge serait inondé de tonnes de renseignements qui n'ont rien à voir avec l'affaire ou qui peut-être ont un petit peu à voir et il devrait les examiner, sans que quelqu'un n'établisse les bornes de ce qui est pertinent. L'incidence serait énorme sur les gens qui détiennent ces dossiers et sur quiconque est nommé dans ces dossiers.
M. Rideout: Là encore, vous cherchez le juste milieu dans la communication des dossiers pour que l'accusé puisse préparer efficacement sa défense. Je suis peut-être trop candide mais je pensais que c'était le juge qui précisément pouvait offrir la protection et l'équilibre nécessaire.
Mme Kane: Dans le cas des dossiers, il ne faut pas oublier qu'il s'agit de documents préparés par des tierces parties qui ne sont pas vraiment tenus d'offrir spontanément des renseignements pour se porter à la défense de l'accusé. Ces dossiers vont contenir des renseignements sur toute une gamme de gens qui n'ont sans doute rien à voir avec l'affaire. Il faut donc un processus de filtrage, une sorte de seuil avant même l'examen par le juge pour protéger les droits de tous ceux qui sont impliqués.
M. Rideout: Je comprends bien ce que vous me dites. J'ai du mal à l'accepter car à l'inverse, on exige de la défense quelque chose en plus. La seule façon pour l'avocat de la défense de compter sur un atout supplémentaire est de savoir ce que contiennent les dossiers.
Mme Kane: Rien n'empêche l'avocat de la défense d'appeler des témoins pour obtenir des renseignements. La raison pour laquelle les avocats de la défense préfèrent les dossiers, c'est qu'il leur est loisible de les examiner, d'en extraire les bribes qui peuvent être utiles et d'écarter ce qui ne l'est pas. Quand on pose une question à un témoin, on obtient une réponse, et elle peut ne pas convenir. Voilà pourquoi, les avocats de la défense hésitent à poser certaines questions et préfèrent compter sur les dossiers.
M. Rideout: C'est la règle cardinale: ne jamais poser une question sans en connaître la réponse.
La présidente: Merci beaucoup d'être venus. Nous vous remercions de votre aide.
La séance est levée.