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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 11 mars 1997

.0939

[Traduction]

La présidente (Mme Shaughnessy Cohen (Windsor - Sainte-Claire, Lib.)): La séance est ouverte. Nous étudions aujourd'hui le projet de loi C-46.

Nous accueillons aujourd'hui des représentantes de l'Action ontarienne contre la violence faite aux femmes. Andrée Côté en est la conseillère juridique. Et de la Coalition des centres antiviol de l'Ontario, nous accueillons Anne Marie Aikins, qui en est la présidente. Du Metro Action Committee on Public Violence Against Women and Children, METRAC, nous accueillons Susan Bazilli, directrice juridique.

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Je pense que nous allons commencer par le témoin que j'ai nommé en premier, Mme Andrée Côté. Je crois comprendre que vous avez un mémoire. Avez-vous des préférences pour ce qui est de l'ordre que nous allons suivre pour les remarques liminaires?

[Français]

Mme Andrée Côté (conseillère juridique, Comité coordonnateur, Action ontarienne contre la violence faite aux femmes): Mme Aikins pourrait peut-être commencer et nous donner une mise en contexte intéressante.

[Traduction]

La présidente: Je vais donc vous laisser choisir. Je vous invite à présenter vos mémoires, et les membres du comité vous poseront leurs questions par la suite.

Madame Aikins, vous avez la parole.

Mme Anne Marie Aikins (présidente, Coalition des centres antiviol de l'Ontario): Merci beaucoup de nous avoir invités.

Je m'appelle Anne Marie Aikins. Je me présente devant vous à titre de porte-parole des30 centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle et de viol qui sont membres de la Coalition des centres antiviol de l'Ontario.

Je vous apporte mes 15 années d'expérience du mouvement antiviolence dans le contexte duquel j'ai agi à titre de conseillère, d'avocate des femmes et d'expert judiciaire sur l'incidence du viol et les conséquences de l'exploitation sexuelle des enfants. De même, je vous apporte mes expériences personnelles à titre de femme qui a survécu un viol. J'ai également participé à l'ensemble des consultations organisées par le ministère de la Justice sur le projet de loi C-47 et d'autres questions connexes.

Je voudrais tout d'abord vous raconter brièvement l'expérience qui m'a amenée à faire ce travail, car il me semble important que les membres du comité se rappellent que nous parlons en l'occurrence de vrais êtres humains.

En 1981, on m'a violée sous la menace du pistolet, violée pendant quelques heures, battue et enfin laissée inanimée dans un champ. Cette expérience a changé à tout jamais ma vie.

Mais le traitement que m'a réservé le système de justice criminelle était encore plus intolérable. On a jugé dès le départ que j'étais une femme qui méritait d'être violée. Mes antécédents personnels et les détails de ma vie privée ont été examinés, analysés et jugés. Le système judiciaire a déterminé que j'avais probablement menti ou consenti au viol. J'ai été forcée de subir l'humiliation d'un test de polygraphie; j'ai été congédiée de mon poste et finalement abandonnée par le système.

Ce qu'il me fallait le plus, c'était la possibilité de parler à des femmes qui comprenaient ce que je vivais, et qui pourraient me défendre, et m'aider à comprendre mes sentiments et à reprendre ma vie en main.

Je ne voulais pas parler des détails du viol dont j'avais été victime; j'en avais déjà suffisamment parlé avec mes interlocuteurs du système judiciaire. Je voulais surtout parler de mes sentiments de culpabilité, du fait que cette culpabilité détruisait mon mariage et tous les sentiments positifs que j'éprouvais vis-à-vis de ma sexualité, de toutes les pertes que j'étais en train de subir et des vieux souvenirs que tout cela me rappelait. J'avais besoin d'un endroit sûr où je pourrais en toute sécurité révéler mes plus profonds secrets sans être jugée. C'est le fait d'avoir pu parler à quelqu'un qui m'a sauvé la vie.

Je ne suis guère différente des milliers d'autres femmes qui s'adressent aux centres antiviol de l'Ontario chaque année pour recevoir de l'aide. Il est essentiel que les survivantes puissent compter sur la capacité de ces centres d'accueil de préserver la confidentialité des renseignements qu'elles leur fournissent, car sinon elles sont obligées de choisir entre le système judiciaire et l'aide qu'elles méritent de recevoir.

Au cours des dernières années, moins de femmes ont décidé de signaler ces incidents à la police étant donné que nous n'étions pas en mesure de garantir la protection des renseignements personnels. Moins de femmes que précédemment cherchent à obtenir des services de counseling personnels, et préfèrent rester anonymes en se contentant de contacts par téléphone.

Tout cela a pour effet de limiter l'aide qu'elles peuvent recevoir, et les centres antiviol ont dû par conséquent recourir à leurs ressources fort rares et précieuses pour mener ce combat. Nous voulons que nos clientes comprennent bien que nous sommes prêtes à faire l'impossible pour protéger leur vie privée. Telle est la promesse que nous leur avons faite.

La situation s'est progressivement aggravée depuis la décision du tribunal dans l'affaire O'Connor. Les centres antiviol continuent à recevoir des assignations régulièrement. Chaque semaine, je reçois des appels de personnes dans des refuges ou d'autres organismes et de conseillères d'un bout à l'autre du pays qui ont également reçu des assignations et ne savent pas quoi faire.

Les décisions et les pratiques judiciaires sont inconséquentes. D'après mon expérience, les juges décident le plus souvent de considérer toute information contenue dans nos dossiers comme des éléments de preuve pertinents.

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Récemment, pendant le procès d'un homme accusé d'avoir exploité sexuellement sa belle-fille qui est maintenant adulte, le juge a statué que les antécédents de la victime - alcoolisme et infidélité - étaient pertinents pour juger la question en litige. La rationalisation du juge a été la suivante: le fait qu'elle avait bu pendant de longues années avait peut-être nui à sa mémoire, et de même, le fait qu'elle avait été infidèle à son mari et qu'elle lui avait menti pendant un an constituait peut-être une preuve qu'elle n'était pas un témoin crédible. L'homme en question a donc été acquitté.

Dans le cadre du procès récent d'un homme accusé de viol, la défense voulait soulever devant le tribunal le fait que la victime lorsqu'elle était encore enfant, avait été exploitée sexuellement par son père 30 ans auparavant. Cette femme n'avait jamais confronté son père, et essayait de maintenir ses rapports avec sa mère. Elle devait être disposée à révéler ce secret si soigneusement gardé et à en parler ouvertement pour que le procès puisse se tenir.

La victime a fini par se rétracter et a ensuite été accusée de méfait public. L'accusé a été libéré. Dans ce cas-ci, la Couronne envisageait de présenter une demande de déclaration de délinquant dangereux, étant donné que cet homme avait un dossier pénal important en matière d'infractions sexuelles. La liste de ces infractions faisait environ deux pages.

Et je pourrais continuer encore longtemps.

Maintenant la police prétend qu'elle doit interpréter de façon littérale la décision dans l'affaire Carosella, c'est-à-dire qu'elle doit obtenir la permission de la victime pour accéder à nos dossiers, étant donné qu'il s'agit de preuves communicables. Avant d'accepter de faire enquête, beaucoup de services de police insistent pour que les victimes de viol signent une formule de désistement pour qu'ils puissent demander à examiner tous les dossiers tenus par les conseillères des centres.

Il est courant de juger les femmes en fonction de stéréotypes et de mythes entourant les femmes et les victimes de viol. Malheureusement, de ce côté-là, les attitudes n'ont pas beaucoup évolué au cours des 15 dernières années.

Mais ce comité a l'occasion de faire comprendre aux femmes et aux enfants du Canada qu'il entend défendre leurs droits. Je vous encourage vivement à appuyer le projet de loi C-46.

Prenons quelques instants pour examiner les statistiques. La recherche a permis de démontrer à maintes reprises qu'une fille sur trois et un garçon sur quatre seront victimes d'agression sexuelle avant d'atteindre l'âge de 18 ans; que 50 p. 100 des femmes disent avoir fait l'objet, au moins une fois, d'attouchements sexuels non sollicités, et qu'une femme sur 10 sera violée.

Nous parlons peut-être de vos enfants, femmes, amantes, soeurs ou mères. Ce sont de vraies personnes, de vraies victimes. Je vous exhorte à les protéger et à protéger le travail que font les centres antiviol.

La Coalition des centres antiviol de l'Ontario désire également vous faire savoir que nous appuyons la position énoncée par le FAEJ, l'ANFD et METRAC dans leurs mémoires. Je suis sûre de pouvoir être tout aussi solidaire d'Andrée, mais je n'ai pas encore vu son mémoire. Je voudrais d'ailleurs ajouter que je trouve le mémoire du FAEJ absolument brillant. Il m'a vraiment impressionnée.

Merci. Si vous avez des questions ou préoccupations, n'hésitez pas à m'en faire part.

La présidente: Merci.

Madame Côté.

[Français]

Mme Côté: C'est un honneur d'être ici aujourd'hui. Je représente l'Action ontarienne contre la violence faite aux femmes, un organisme qui regroupe des intervenants et différents organismes qui travaillent à la promotion d'une société égalitaire, équitable et sécuritaire.

Nous nous intéressons depuis quelques années à la question que soulève le projet de loi C-46. Plusieurs de nos groupes membres sont immédiatement concernés par cette pratique et ont fait l'expérience des perquisitions de dossiers que Mme Aikins vient de relater. À ce titre, nous appuyons pleinement ses commentaires quant à l'impact totalement catastrophique que cela peut avoir sur la vie des femmes.

Nous avons participé aux consultations organisées par le ministère de la Justice et nous avons rédigé un document de réflexion et d'analyse sur cette question en juin 1995. C'est un dossier qui nous tient beaucoup à coeur et nous sommes très heureux d'avoir l'occasion de vous présenter nos commentaires.

Je vous ai soumis un mémoire quelque peu volumineux. J'essaierai de le résumer le plus rapidement possible et peut-être de souligner certains aspects ou certaines pages où vous pourrez retrouver des aspects peut-être particulièrement importants pour vous.

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La première chose qu'il faut garder en tête, c'est l'urgence d'une réforme législative à l'heure actuelle. Je pense qu'on peut dire que certaines décisions de la Cour suprême du Canada sont rétrogrades. Ce sont des décisions qui nous ramènent considérablement en arrière et qui vont avoir un impact très grave sur les femmes. Tout particulièrement, à la suite de la décision Carosella, on peut croire qu'il y a de fortes chances que de nombreuses poursuites criminelles soient tout simplement abandonnées.

À la page 16 du mémoire, on souligne les raisons pour lesquelles la Cour suprême est actuellement prête à reconnaître la pertinence des dossiers thérapeutiques ou des dossiers personnels dans les causes d'agression sexuelle. Ces raisons nous indiquent que la cour sera grandement disposée à ouvrir facilement l'accès à ces dossiers pour obtenir des renseignements, pour déterminer si une personne aurait eu recours à une thérapie qui aurait peut-être déformé sa mémoire, pour tester la crédibilité d'un témoin, pour essayer de déceler des contradictions dans ses déclarations antérieures, pour essayer de découvrir ses motivations ou pour jeter les bases d'une défense de croyance honnête au consentement.

Cette approche nous indique que la majorité des juges qui siègent à la Cour suprême seront très enclins à donner accès à ces dossiers. Nous nous retrouverons dans une situation où on aura fait un cercle complet. On retournera 40 ans en arrière; les victimes d'agression sexuelle vont encore une fois se retrouver à être jugées comme des accusées, à être contre-interrogées sur des déclarations antérieures, comme si c'était elles qui avaient fait des aveux de culpabilité.

Cette situation aura un impact extrêmement défavorable sur les droits constitutionnels des femmes. Mme Aikins a parlé de son impact sur la vie d'une personne qui est agressée sexuellement. Ces impacts sur nos vies se traduisent par des violations de nos droits, en l'occurrence de nos droits consacrés dans la Charte canadienne des droits, aux articles 7, 8, 15 et 28.

Dans notre mémoire, on souligne ces différents droits. Je pense qu'il est assez clair que l'accès aux dossiers va porter atteinte au droit à la vie privée. Je vous rappellerai les propos deMme L'Heureux-Dubé qui figurent à la page 19 de notre mémoire:

C'est vraiment une question de protection de la dignité et de l'intégrité de l'individu qui est en jeu ici. Cette pratique d'accès aux dossiers confidentiels porte une atteinte potentielle au droit à la sécurité de la personne puisque de nombreuses femmes hésiteront sans doute à avoir recours à des services sociaux et à des services de santé qui sont nécessaires pour assurer leur rétablissement à la suite d'une agression sexuelle.

Dans la même veine, on croit que la communication de dossiers confidentiels risque de porter atteinte à la sécurité en créant une détresse psychologique chez les victimes d'agression sexuelle. Cette situation oblige concrètement les femmes à choisir entre recevoir des soins nécessaires pour leur santé psychologique et porter plainte devant l'appareil de justice. C'est un choix que les hommes ne sont pas obligés de faire à l'heure actuelle.

Finalement, on considère que cette pratique de la Cour suprême entraîne une violation du droit à l'égalité. Dans 99 p. 100 des cas, les agressions sexuelles ou les crimes de violence sexuelle sont des crimes commis par des hommes et dans 90 p. 100 des cas, ils le sont contre des femmes ou des jeunes filles. Il y a donc réellement un rapport social qui est en jeu d'une part. La sanction effective de l'agression sexuelle revêt une dimension sociale qui est très importante ou même essentielle pour assurer l'égalité des femmes.

Les règles spéciales qu'a développées la Cour suprême dans les causes Osolin, O'Connor, Beharriell et Carosella s'appliquent uniquement dans les cas d'agression sexuelle. En l'occurrence, ces règles auront pour effet de porter atteinte à la vie privée et à la sécurité de qui? Non pas de n'importe qui dans la population, mais particulièrement des femmes qui appartiennent à des groupes particulièrement vulnérables de la société ou qui ont été historiquement victimes de discrimination.

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Les femmes de couleur, les femmes autochtones et les femmes handicapées sont non seulement plus susceptibles d'être victimes d'agression sexuelle - et on a plusieurs études qui indiquent que plus on est vulnérable dans notre société, plus on est vulnérable à l'abus sexuel - , mais aussi plus susceptibles d'être l'objet de dossiers thérapeutiques, médicaux ou psychosociaux, de rapports de tout ordre sur elles, et donc plus susceptibles de voir leur crédibilité ou la pertinence de leur poursuite testée par cette nouvelle pratique de la Cour suprême.

Nous nous retrouvons donc dans une situation où le plus haut tribunal du pays crée des règles spéciales qui s'appliquent essentiellement à un seul groupe dans la société, soit les femmes, et qui n'accroissent pas les droits des femmes dans la société, mais qui au contraire aggravent leur sort dans la société, ce qui correspond très bien à la définition d'une action discriminatoire. Une telle action discriminatoire de la part des tribunaux porte atteinte aux obligations qui sont établies à l'article 32 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui lie toutes les instances gouvernementales à respecter les droits qui sont énoncés.

À notre avis, une réforme législative s'impose. C'est une question urgente, d'autant plus que si on tient compte du contexte historique dans lequel la réforme législative a eu lieu au Canada, on constate que se dégage une constante: des réformes législatives sont effectuées à l'initiative de la Chambre des communes, tandis que des décisions des tribunaux visent à gruger ces réformes qui nous ramènent toujours en arrière. Ça fait maintenant 20 ans qu'on a au Canada une espèce de bras de fer entre le Parlement d'une part et les tribunaux de l'autre.

Dans la première section de notre mémoire, nous dressons l'historique des réformes qui ont été faites au milieu des années 1970 et annulées par les tribunaux, de celles apportées en 1983 qui ont connu le même sort et de celles de 1992 dont l'impact est encore annulé par les tribunaux.

Nous demandons encore une fois à la Chambre des communes de prendre position pour défendre les droits constitutionnels des femmes et ne pas céder devant cette position rétrograde de la magistrature canadienne.

Plus précisément, nous sommes très heureuses d'accueillir le projet de loi C-46. Ce projet de loi renferme énormément d'éléments qui vont assurer une protection efficace aux femmes victimes d'agression sexuelle. Nous sommes particulièrement heureuses de constater les principes qui sont énoncés dans le préambule du projet de loi, dont la reconnaissance des effets néfastes de l'agression sexuelle sur les chances d'égalité des femmes, la reconnaissance du fait que cette pratique met en péril les droits à la sécurité, à la vie privée, à une égale protection et au même bénéfice de la loi, et la reconnaissance que le Parlement entend promouvoir les droits des femmes et contribuer à leur protection. Ce sont des aspects fondamentaux de ce projet de loi.

Nous aimerions proposer certains éléments en vue de perfectionner le projet de loi. Au départ, je tiens à souligner que nous aurions préféré un projet de loi qui dise carrément que les dossiers confidentiels et thérapeutiques ne sont jamais et en aucun cas accessibles. L'Action ontarienne contre la violence faite aux femmes et différents groupes de femmes en ont beaucoup discuté et n'ont pas trouvé de circonstances où cela pourrait être pertinent.

On comprend que les tribunaux risquent d'éprouver des difficultés face à une telle position. On comprend finalement qu'il est sage de laisser à la magistrature l'ultime décision d'évaluer si, au cas par cas, il peut être pertinent d'admettre les dossiers. On croit que si la discrétion judiciaire est bien exercée, ce sera rarement ou jamais pertinent. Nous sommes prêtes à prendre ce risque, mais je tenais quand même à vous rappeler que notre position initiale était qu'on ne devrait jamais avoir accès aux dossiers confidentiels.

Nos recommandations figurent à partir de la page 28 de notre mémoire et portent sur sept différentes questions.

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Nous proposons des améliorations au préambule. Essentiellement, nous appuyons les positions mises de l'avant par le Fonds d'action et d'éducation juridique des femmes, le FAEJ, et par l'Association nationale de la femme et du droit, et recommandons que le préambule figure dans une déclaration qui ferait partie du Code criminel.

Si on le laisse tout simplement comme préambule à je ne sais quel chapitre des Lois du Canada de 1997, ce sera enterré. Lorsque les praticiens, les avocats de la défense et de la Couronne et les juges auront à interpréter les dispositions du Code criminel concernant la communication des dossiers, ils n'auront pas devant les yeux les principes énoncés dans le préambule. Nous jugeons important que ce préambule figure explicitement dans le Code criminel et suggérons qu'il soit mis en introduction à la partie VIII du Code criminel sur les infractions contre la personne, puisque c'est dans la majorité de ces cas qu'il va s'appliquer.

D'autre part, on ajouterait certaines considérations dans le préambule, notamment en ce qui concerne la reconnaissance du fait que les femmes de couleur, les femmes autochtones et les femmes handicapées sont plus susceptibles que les autres femmes d'être victimes de violence sexuelle, et donc plus susceptibles d'être victimes de cette pratique de perquisition de leur dossier.

Au chapitre des infractions qui sont visées par le projet de loi, nous avons beaucoup discuté du fait que seuls les crimes de violence sexuelle sont couverts, ce qui correspond à la réalité à l'heure actuelle. C'est dans les cas d'agression sexuelle qu'on retrouve cette pratique. C'est ce que constate l'Association nationale de la femme et du droit dans l'annexe A de son mémoire. Son étude l'établit très clairement. Mais nous avons quand même des inquiétudes par rapport à une évolution future du droit, où des avocats de la défense pourraient être tentés, dans des cas de violence conjugale, de crimes, d'accusations de voie de fait, de harcèlement criminel et même d'homicide, d'aller encore chercher les dossiers des victimes.

Nous proposons que le projet de loi renferme une disposition qui mandate le ministre de la Justice pour faire une étude visant à évaluer d'ici peut-être trois ans quelle est la pratique dans cette question. Est-ce qu'on constate effectivement que dans les cas de violence conjugale, les avocats de la défense vont chercher ces dossiers?

Nous appuyons entièrement les dispositions du projet de loi concernant la non-divulgation des dossiers au procureur de la Couronne. Surtout depuis l'arrêt Carosella, il devient évident que les tribunaux risquent de considérer que les dossiers dans les centres contre le viol ou n'importe quelle institution gouvernementale ou paragouvernementale pourraient être accessibles à des fins d'examen par la défense. Les tribunaux semblent indiquer que la Couronne aurait l'obligation d'aller chercher ces dossiers. Il est très important de maintenir les dispositions du projet de loi sur la non-divulgation des documents confidentiels qui sont détenus par la Couronne.

En ce qui concerne la requête pour l'accès aux dossiers confidentiels, nous appuyons la position mise de l'avant par l'Association nationale de la femme et du droit, selon laquelle la personne qui détient les dossiers ne devrait pas se présenter le jour de la présentation de la requête avec ces dossiers. Nous jugeons que ce n'est pas nécessaire à ce stade-ci, que c'est très dérangeant pour tous les intervenants impliqués et que ce serait peut-être trop tentant pour un juge de dire que le dossier qu'on présente a dix pouces d'épaisseur, de se demander ce qu'il renferme et de décider d'y jeter un coup d'oeil. La question devrait être réglée en droit. Ce n'est qu'une fois que la décision de produire les dossiers au juge aurait été prise qu'on devrait ordonner que la personne qui détient les dossiers se présente devant le tribunal avec lesdits dossiers.

En ce qui concerne les motifs qui ne justifient pas l'accès aux dossiers, c'est-à-dire les dispositions qui sont prévues au paragraphe 278.3(4) proposé, on a une énumération d'une douzaine d'affirmations qui sont généralement invoquées par les avocats de la défense pour avoir accès aux dossiers. À notre avis, cet article est vraiment la charnière, le coeur du projet de loi. Il est très important.

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On appuie l'esprit dans lequel il a été mis de l'avant. Toutefois, nous nous inquiétons de la formulation spécifique de cet article. Le texte prévoit que les affirmations le plus souvent invoquées par les avocats de la défense ne suffisent pas en elles-mêmes à démontrer que le dossier est vraisemblablement pertinent.

J'en suis aux pages 34 et 35 de mon mémoire pour ceux et celles qui veulent me suivre. Il est fort possible ou à peu près certain que la défense va essayer d'obtenir des éléments supplémentaires à la simple affirmation. Par exemple, si on contre-interroge la victime lors de l'enquête préliminaire ou qu'on essaie d'obtenir une information que détient la police, dès que la défense disposera de cet élément d'information supplémentaire, l'affirmation n'existera tout simplement plus en soi et l'avocat de la défense aura probablement dès lors une ouverture pour avoir accès au document confidentiel.

Il serait peut-être important de modifier et préciser les termes utilisés. Dans les marges du projet de loi, on peut lire l'expression insufficient grounds ou «insuffisance des motifs». Il est clair qu'au moment de la rédaction du projet de loi, on avait en tête de stipuler que ces motifs étaient insuffisants. Il faudrait énoncer clairement que les motifs énumérés ne suffisent pas seuls ou collectivement à démontrer que le dossier est vraisemblablement pertinent ou à justifier l'accès au dossier. Il serait assez facile d'apporter une clarification à ce niveau-là, qui serait très importante. Je suis à peu près certaine, et les spécialistes en interprétation des lois que j'ai consultés me l'ont confirmé, que ces dispositions deviendront une passoire si on les laisse ainsi.

Finalement, l'autre élément important se situe au niveau des critères d'évaluation de la demande d'accès. À l'heure actuelle, on dit que le juge devra évaluer si le dossier est vraisemblablement pertinent à une question en litige. Depuis l'arrêt Carosella, ce concept est devenu très précaire parce qu'on a démontré que n'importe quelle circonstance va faire en sorte que c'est vraisemblablement pertinent. Vous vous rappellerez que dans ce cas, une femme avait discuté avec une conseillère dans un centre contre le viol pendant une heure et demie et que la Cour suprême avait décidé qu'il serait pertinent d'aller voir le dossier parce que la conseillère l'avait peut-être convaincue pendant cette heure et demie qu'elle avait vécu une agression sexuelle qui n'avait jamais existé. Cela démontre à quel point on est prêt à ouvrir la porte dans des circonstances où il faut vraiment étirer beaucoup l'imagination pour concevoir un tel scénario.

Plutôt que d'avoir un critère de pertinence vraisemblable, nous suggérons qu'on exige que la défense démontre que l'accès au dossier est probablement nécessaire pour assurer une défense pleine et entière, et qu'on ajoute comme critère que les effets bénéfiques de la communication du dossier doivent dépasser substantiellement ces effets préjudiciables. L'accusé devrait démontrer que c'est probablement nécessaire et que le bénéfice qui lui reviendrait dépasserait substantiellement les préjudices que subirait la victime de l'agression sexuelle, en l'occurrence en violation aux droits à la vie privée, à la sécurité et à l'égalité.

Notre avant-dernier point concerne la représentation des plaignantes en justice. Nous sommes très heureuses que le projet de loi reconnaisse aux victimes d'agression sexuelle le droit d'aller devant le tribunal et de présenter leurs arguments, de même que le droit des femmes d'aller devant les tribunaux et de présenter leurs arguments en étant à l'abri d'une condamnation de dépens pour avoir présenté des arguments pour protéger leurs propres droits.

Par contre, nous sommes un peu inquiètes du fait que bien des femmes n'auront tout simplement pas les moyens financiers de le faire.

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Comme vous le savez peut-être déjà, l'aide juridique n'est pas accessible ou rarement accessible dans de telles circonstances. Nous souhaitons que le comité formule une recommandation en vue de donner au ministre de la Justice le mandat de développer un programme de soutien aux victimes d'agression sexuelle qui doivent se défendre contre des demandes de la défense en vue d'avoir accès à leur dossier et d'entamer des négociations éventuelles avec les provinces si elles sont nécessaires. Nous pensons toutefois que le fédéral pourrait financer un tel programme à même ses propres budgets.

Nous avons décelé une lacune par rapport au droit d'appel de la victime. À l'heure actuelle, on ne prévoit pas de droit d'appel pour une plaignante advenant le cas où un juge décide d'avoir accès à son dossier ou d'en ordonner la production à l'avocat de la défense. On devrait prévoir un droit d'appel interlocutoire pour que la victime puisse contester une décision ordonnant une communication de ses dossiers. Il devrait s'agir d'un droit d'appel interlocutoire; c'est-à-dire qu'il aurait lieu avant la fin du procès puisque dès que la décision est prise de communiquer le dossier, c'est une décision qui est finale dans la perspective de la victime d'agression sexuelle. Une fois qu'un dossier est communiqué, son droit à la vie privée n'existe plus; il a été violé.

En terminant, nous sommes conscientes des enjeux de cette réforme. Certaines dispositions de ce projet de loi proposent des règles spéciales pour une infraction ou des types d'infractions spéciales, qui sont des crimes de violence sexuelle, dont la majorité des victimes sont des femmes. À toutes fins pratiques, on est en train de développer un régime spécial pour les femmes en matière d'agression sexuelle. On semble revenir à il y a 30 ans, alors qu'il y avait des règles spéciales pour les femmes en matière d'agression sexuelle. Il n'y a pas de problème à adopter des règles spéciales pour répondre à des situations spéciales, mais il y a un danger de glisser et de cautionner une vision discriminatoire qui existe dans la tête de bien des juges, qui pensent que quand ce sont des femmes, c'est différent et des règles spéciales doivent s'appliquer. Nous recommandons que figure au projet de loi une disposition prévoyant la tenue d'une étude qui établira comment ces cas ont été interprétés par les tribunaux.

Il y a un précédent de ce type de dispositions dans la Loi de 1991 sur les professions de la santé réglementées de l'Ontario. Le texte de loi énonce que moins de cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi, le Conseil consultatif de réglementation des professions de la santé doit évaluer l'efficacité des plaintes disciplinaires en matière d'abus sexuels. Dans la même veine, on pourrait s'inspirer de ce précédent pour suggérer que d'ici cinq ans, le ministre de la Justice fasse rapport à la Chambre des communes sur l'efficacité des protections qui ont été énoncées dans le projet de loi C-46 pour qu'on puisse évaluer si ces règles spéciales qu'on adopte vont atteindre les objectifs visés, qui sont de promouvoir également les droits constitutionnels des femmes et ceux des accusés.

Ce sont les grandes lignes de notre mémoire. Je vous remercie beaucoup de votre attention.

[Traduction]

La présidente: Merci.

Madame Bazilli, vous avez la parole.

Mme Susan Bazilli (directrice juridique, Metro Action Committee on Public Violence Against Women and Children): Je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui de présenter nos vues devant le comité. Je crois savoir que cette semaine, cela fera neuf ou 10 mois que le projet de loi C-46 a été déposé. Pour bon nombre d'entre nous qui nous présentons devant le comité pour nous prononcer sur la question, le travail que nous avons effectué dans le cadre du projet de loi C-46 représente notre principale activité depuis trois ans.

Je me présente devant vous en sachant que la réunion d'aujourd'hui constitue pour nous l'occasion de discuter avec vous de notre mémoire. De même, nous disposons d'un très court délai pour nous assurer que le projet de loi C-46 sera voté avant que le gouvernement ne déclenche des élections fédérales. Le contexte de mes remarques sera donc davantage historique que juridique, puisque j'aimerais essayer de vous expliquer les étapes qui nous ont permis d'en arriver là.

.1015

METRAC est un organisme qui s'intéresse vivement depuis 12 ans à la réforme du droit relativement à la violence faite aux femmes et aux enfants, et notamment la violence sexuelle - d'où notre travail en faveur de la réforme du droit pénal en particulier. Nous avons participé à toutes les consultations sur le projet de loi C-49 - c'est-à-dire la mesure législative sur le viol entérinant la notion selon laquelle «non veut bien dire non» - la Loi sur le harcèlement criminel, la Loi sur la défense de l'ivresse, etc.

En ce qui concerne la communication des dossiers et l'accès aux dossiers, la première cause qui a retenu notre attention a été celle de Bender en 1992. Cela concernait une plaignante d'Oshawa dont des renseignements personnels de tout ordre, intéressant tous les aspects de sa vie, avaient fait l'objet d'une assignation - depuis le disque dur de son ordinateur à l'ensemble de son réseau de soutien féminin, basé au centre antiviol d'Oshawa.

Dans ce cas, l'enquête préliminaire avait duré très longtemps et la plaignante avait finalement été obligée de retirer ses accusations parce qu'elle se voyait obligée de se rendre en voiture à Hamilton pour obtenir de l'aide. Il s'agit d'un cas qu'Anne Marie connaît bien, de même que toutes celles d'entre nous qui travaillons dans ce domaine.

Pendant que tout cela se produisait en Ontario, l'affaire O'Connor passait par les différentes étapes de la procédure judiciaire. C'est au début de 1994 que nous avons pu attirer l'attention du ministère de la Justice sur ce problème.

Je tiens d'ailleurs à remercier publiquement le ministre de la Justice, de même que le sous-ministre et le personnel du ministère de la Justice, qui à leur grand honneur, ont traité cette question avec sérieux, ont écouté nos doléances et ont lancé ce que bon nombre d'entre nous qualifieraient du processus de consultation le plus complet auquel nous ayons jamais participé.

METRAC a participé aux six consultations décrites dans le mémoire du FAEJ. J'ai d'ailleurs l'intention de me référer aux mémoires du FAEJ et de l'ANFD, que vous avez déjà reçus. Nul besoin de répéter les arguments qu'ont fait valoir ces deux groupes au moment de faire le tour de la question. Je constate que la page 17 du mémoire du FAEJ présente en détail l'historique des nombreuses consultations auxquelles nous avons toutes participé.

Je pense qu'il arrive rarement qu'un comité législatif comme le vôtre examine un projet de loi qui a déjà fait l'objet d'autant d'études et de consultations d'un bout à l'autre du pays, avec des participants représentant tant de segments différents de la population, depuis les avocats au criminel aux universitaires, en passant par les femmes qui travaillent dans les centres antiviol qui représentent le personnel de première ligne.

Je voudrais répéter le conseil des représentantes du FAEJ, qui ont encouragé les membres du comité à ne pas perdre de vue le fait que bon nombre des arguments - sinon tous - qu'on va peut-être avancer pour dénoncer ce projet de loi ou prétexter son inconstitutionnalité ont déjà été avancés mais n'ont pas été jugés juridiquement valables par le ministère de la Justice.

Comme je l'ai déjà dit, j'appuie les arguments d'ordre juridique qu'ont fait valoir l'ANFD, le FAEJ et l'Action ontarienne dans leurs mémoires. Pour qu'il n'y ait pas de confusion possible, je voudrais également préciser qu'en ce qui nous concerne, ce projet de loi ne va pas aussi loin que nous l'avions recommandé au moment de prendre position sur la question. Bon nombre d'entre nous estimaient qu'il s'agissait de respecter, dans ce contexte-ci également, le principe selon lequel «non veut bien dire non» - c'est-à-dire que les dossiers d'une plaignante - quels qu'ils soient - ne seraient jamais pertinents et qu'il n'aurait pas de raison de penser qu'ils pourraient l'être.

Telle a d'ailleurs été la position de la coalition formée avec l'appui de toutes les régions du pays dans le cadre des affaires de Beharriell et d'O'Connor qui sont passées devant la Cour suprême. Encore une fois, on vous explique l'historique de cette coalition à la page 19 du mémoire du FAEJ.

Nous appuyons vivement le projet de loi C-46, de même que les amendements proposés par le FAEJ, l'ANFD et l'Action ontarienne.

Pour moi, ce projet de loi soulève surtout une question de volonté politique, de choix politique et de leadership pour ce qui est de donner force de loi à cette mesure. Nous savons tous que depuis un certain nombre d'années, le Parlement s'est progressivement ouvert à l'idée que la société devrait encourager les victimes d'agression sexuelle à dénoncer les cas d'agression sexuelle aux autorités pénales, et qu'à titre de citoyens, nous devons reconnaître, par le biais du Parlement, que la violence à l'endroit des femmes et des enfants est un problème auquel nous voulons nous attaquer. Malheureusement, nous prenons ces initiatives à une époque où le climat est tel que le taux de déclaration des incidents d'agression sexuelle est encore de seulement 6 p. 100.

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On parle donc d'un taux de communication aux autorités pénales de seulement 6 p. 100. En Ontario, nous avons en fait observé une augmentation du nombre de dénonciations de cas d'agression sexuelle à des organismes comme les centres antiviol mais une diminution du taux de communication aux autorités pénales, c'est-à-dire les services de police surtout, qui contrôlent en quelque sorte l'accès au système.

Nous ne pouvons attribuer cela qu'au fait que depuis un certain nombre d'années, les gens sont de plus en plus conscients de l'accès des avocats de la défense, et donc de l'accusé, aux renseignements personnels et aux dossiers confidentiels des victimes. Il faut comprendre que nous assistons actuellement à une véritable crise de confiance dans notre système de justice pénale au Canada à cause de ce problème.

C'est d'ailleurs grâce au gouvernement et au ministère de la Justice que nous pouvons réaliser actuellement des progrès pour ce qui est de reconnaître que la violence sexuelle est une question de droits à l'égalité pour les femmes et que c'est avant tout de cela qu'il s'agit ici. Donc, nous parlons moins des droits des victimes que des droits à l'égalité garantis aux femmes aux termes de l'article 15 de la Constitution.

Je travaille et je voyage beaucoup à l'étranger, et je trouve toujours ironique qu'où que je sois, les gens me disent que la Loi canadienne sur l'agression sexuelle est la plus progressiste au monde. En théorie, elle l'est, bien entendu. Mais dans la pratique, nos lois n'offrent pas aux femmes canadiennes l'appui et la protection dont on parle ici.

Andrée a parlé un peu dans son exposé de l'historique de la Loi sur l'agression sexuelle. On constate très clairement, de par cette problématique, à quel point notre Loi sur l'agression sexuelle est instable. Souvent nous éprouvons une vive frustration en constatant, dans le cadre de notre travail, que nous devons constamment chercher à éliminer des échappatoires créées par le législateur à la suite de décisions de la Cour suprême et des juges en général.

Mais nous nous présentons une fois de plus devant vous - et nous devrons sans doute recommencer à l'avenir, devant un nouveau comité - pour essayer de régler un problème particulier, à savoir que nous, en tant que citoyennes, devons nous présenter devant le Parlement pour revendiquer des changements chaque fois qu'une décision de la Cour suprême crée de nouvelles échappatoires. Nous savons tous très bien ce qui est arrivé dans l'affaire Seaboyer, et les pressions que nous avons dû exercer pour obtenir le projet de loi C-49 - c'est-à-dire la nouvelle Loi sur l'agression sexuelle - et il en va de même pour le projet de loi relativement à la défense de l'ivresse. Nous voilà encore à un moment historique où l'instabilité de la Loi sur l'agression sexuelle nous oblige à revenir à la charge.

Et tout cela se produit à un moment où le programme législatif du gouvernement est fort complet, comme nous le savons tous. Il est très possible que des élections fédérales soient déclenchées sous peu. Celles d'entre nous qui travaillent si fort et depuis si longtemps sur la question sont d'autant plus conscientes du très court délai dont nous disposons pour faire voter cette mesure. Et il est d'autant plus nécessaire d'agir rapidement que les autorités gouvernementales ont eu le courage de réagir aux décisions judiciaires en nous accordant la réparation qui nous est si essentielle lorsqu'une loi comme la Loi sur le viol est jugée invalide par les tribunaux.

J'aimerais vous référer à la page 13 du mémoire présenté par le FAEJ concernant l'analyse des membres de notre société qui ont eu jusqu'à présent le pouvoir de commettre impunément des actes de violence sexuelle contre les femmes et les enfants. Il convient également de vous faire remarquer qu'au moment même où vous êtes appelés à prendre une décision au sujet de ce projet de loi, l'histoire de la violence sexuelle à l'endroit des jeunes garçons fait l'objet d'une attention médiatique sans précédent, notamment sous forme de reportages sur le hockey et les sévices sexuels perpétrés dans ce contexte. Nous trouvons ironique que quand il s'agit de garçons et de hockey, le problème est traité avec beaucoup plus de sérieux que lorsqu'il s'agit de viol dont sont victimes les femmes et les jeunes filles.

Nous n'avons pas non plus oublié qu'il a fallu cinq ans pour traîner l'évêque O'Connor devant un tribunal et le condamner alors que lui-même était sans doute convaincu que les agressions sexuelles qu'il avait commises il y a une trentaine d'années contre ces jeunes filles autochtones de la Colombie-Britannique ne déboucheraient jamais sur une condamnation.

C'est grâce au courage des femmes qui se sont présentées devant vous, et c'est grâce au courage des femmes que vous ne voyez jamais - comme celles de la Colombie-Britannique - que ces problèmes sont constamment inscrits au programme législatif. C'est justement pour cela que je prétends que la manière de procéder à une réforme législative de la Loi sur l'agression sexuelle au Canada est d'abord et avant tout une question de volonté politique et de choix politique.

.1025

Il faut absolument que nous reconnaissions que le projet de loi C-46 confirme les principes d'égalité entérinés dans la Charte. Si le projet de loi C-46 n'est pas voté par le Parlement, le déni et la violation des droits à l'égalité des femmes dont nous sommes témoins d'un bout à l'autre du pays continueront avec la même intensité.

Je note dans le mémoire de l'ANFD que celle-ci a analysé 140 cas jusqu'à présent - tous des cas d'infraction sexuelle où il avait été question d'accès aux dossiers. Nous savons tous fort bien que cela n'a été possible qu'à la suite de l'adoption du projet de loi C-49 - c'est-à-dire la Loi sur l'agression sexuelle, qui portait que la défense ne pourrait plus invoquer les antécédents sexuels d'une victime devant un tribunal.

J'exhorte les membres du comité à se familiariser avec l'analyse à la fois claire et puissante de l'iniquité inhérente des lois sur la divulgation qu'on retrouve dans les mémoires dont vous avez déjà été saisis.

En résumé, la liste des iniquités dont fait état le mémoire du FAEJ englobe les éléments suivants: la tenue des dossiers proprement dite; la façon dont on utilise les dossiers dans les procédures judiciaires; les motifs invoqués en vue d'accéder à ces dossiers; la divulgation des dossiers; le concept de la pertinence; et les pratiques adoptées en matière d'arbitrage constitutionnel.

À chaque étape de ce processus, nous devons constamment nous rappeler ce qu'a dit Anne Marie, à savoir qu'on parle des vies de vraies femmes. À chaque étape d'une procédure judiciaire, ces iniquités s'aggravent.

Je pense que vous tous serez d'accord avec moi pour dire que des mythes en ce qui concerne le viol et d'autres préjugés sont très présents au sein du système de justice pénale. Nous avons tous vu et entendu beaucoup trop de choses pour pouvoir soutenir l'inverse. C'est précisément à cause des préjugés qui ont sous- tendu les arguments que nous devons absolument faire en sorte que cette pratique juridique - c'est-à-dire le fait d'essayer d'accéder à des dossiers confidentiels - soit conforme à la Charte qui constitue, comme nous le savons tous, la loi fondamentale de notre pays. Il nous arrive souvent d'avoir à instituer des réformes législatives pour que nos pratiques soient conformes à la charte.

Quant aux amendements présentés, nous appuyons ceux proposés par l'ANFD, le FAEJ et l'Action ontarienne. Permettez-moi de vous donner les faits saillants d'un certain nombre d'entre eux. Je vous fais remarquer les raisons évoquées par Andrée pour justifier l'incorporation du préambule dans le Code. Ceci pourrait se faire par l'un ou l'autre des deux mécanismes - c'est-à-dire la déclaration de principe que propose l'ANFD, ou l'incorporation par voie de renvoi, comme le propose le FAEJ. Nous appuyons en outre l'amendement suggéré par le FAEJ concernant le remplacement du mot «peut» par «doit» dans le corps du texte.

Nous appuyons également les changements qu'il recommande d'apporter aux projets d'articles 278.5 et 278.7, pour ce qui est de l'inclusion du terme «nécessaire» dans les critères devant être satisfaits pour justifier la communication des dossiers.

Nous appuyons les amendements que propose le FAEJ relativement au projet d'article 278.3, qui précise ce qui est permis.

Nous appuyons les changements structurels que recommande le FAEJ et l'ANFD au projet d'article 278.5 relativement à l'assignation.

Nous appuyons vivement la disposition en matière de financement et de consultation que présente le mémoire de l'ANFD. Autrement, il s'agira d'une égalité purement formelle. Je ne me rappelle plus du chiffre exact, mais je pense que les frais juridiques de seulement les centres antiviol dépassent 400 000$. D'autres organisations féministes au Canada ont dû dépenser des sommes importantes pour défendre notre droit de protéger ces dossiers devant les tribunaux. Tout droit qu'accorde la loi est sans valeur à moins qu'on ne puisse vraiment l'exercer.

Je voudrais par ailleurs préciser que nous appuyons la recommandation de l'Action ontarienne en ce qui concerne l'étude à entreprendre.

Nous savons tous que le projet de loi C-46, une fois qu'il aura force de loi, sera contesté devant les tribunaux. En même temps, nous sommes tout à fait convaincus que ce projet de loi est constitutionnel et qu'il résistera à toute attaque axée sur la constitutionnalité. Il s'agit d'une mesure législative à la fois solide et valable, et le processus de consultation auquel nous participons depuis si longtemps est une garantie qu'elle restera efficace.

.1030

Je voudrais également vous dire qu'en plus d'être le porte- parole de METRAC, je considère que je représente également des centaines de citoyens ordinaires et d'organismes qui sont préoccupés par la question. METRAC agit à titre de centre de documentation sur la question depuis trois ans. Comme j'ai reçu une copie de la grande majorité des lettres écrites au ministre et aux membres du comité, je suis bien au courant des préoccupations des gens dans ce domaine.

Je suis fermement convaincue qu'un grand nombre de Canadiens sont en faveur de l'adoption de ce projet de loi. C'est étonnant les conversations qu'on a avec les gens dans les avions et les autobus quand on commence à parler de son travail. Les gens sont sensibilisés à la question, parce que nous avons tous une idée de l'incidence que pourrait avoir sur notre vie la divulgation devant un tribunal de renseignements personnels ou de dossiers confidentiels détenus par différents organismes gouvernementaux, surtout dans le contexte d'une agression sexuelle. Je pense qu'il vous incombe de renvoyer rapidement cette mesure législative au Parlement, afin qu'on puisse faire adopter le projet de loi C-46 aussi tôt que possible.

Nous voulons absolument qu'on y voie une question de droit à l'égalité pour les femmes, et non pas une question de répression. Je répète que nous n'avons nullement l'intention de diminuer les droits des accusés. En ce qui nous concerne, les droits constitutionnels de l'accusé sont des droits fondamentaux.

Dans ce cas-ci, nous voulons simplement diminuer la prépondérance des mythes entourant le viol, des préjugés et de mesures législatives qui sont fondamentalement sexistes, comme nous essayons de le faire depuis le départ dans toutes nos tentatives de réforme de la Loi sur l'agression sexuelle. Je pense que si nous nous rappelons du contexte, c'est-à-dire 20 ans de jurisprudence traitant de l'agression sexuelle et 20 ans de militantisme en vue de faire réformer les lois traitant de questions d'agression sexuelle, nous aurons une bien meilleure idée des décisions qui s'imposent par rapport à ce projet de loi.

J'ai amené une copie d'un rapport rédigé pour le ministère de la Justice sur cette même question à la suite d'un sondage mené d'un bout à l'autre du pays - par METRAC et l'Association canadienne des centres contre le viol - de même qu'environ 150 articles de journaux dont nous avons fait la collecte dans toutes les régions du pays. Je vais en remettre une copie à la présidente du comité.

Merci.

La présidente: Merci.

[Français]

Vous avez des questions, monsieur Marchand?

M. Jean-Paul Marchand (Québec-Est, BQ): Thank you very much, Ms Aikins andMs Bazilli. Vos présentations ont été plutôt troublantes pour moi qui ne siège pas habituellement à ce comité. Je ne suis pas avocat, mais je trouve tout à fait révoltant de voir que ce projet de loi n'a pas été adopté il y a longtemps. Il y a un appel terrible pour ce genre de lois et il est évident pour une personne normale et ordinaire comme moi, qui n'est pas avocat, que ces jugements qui ont été portés par la Cour suprême du Canada sont biaisés et discriminatoires envers les femmes, et ce de façon évidente.

Je ne saurais nommer les jugements, mais je juge inacceptable qu'on permette à la cour ou à un avocat d'aller piger dans le dossier privé d'une femme qui aurait été violée et qui se serait rendue dans un refuge pour se faire consoler. C'est épouvantable à un point tel que je dirais que le système judiciaire du Canada est pourri à l'os. Ça traduit la mentalité d'une société dominée par les mâles, à un point tel que le système judiciaire protège les agresseurs et les violeurs. Ça voudrait peut-être même dire que les avocats et les juges, comme ceux qui défendent et entendent le cas de Dutroux en Belgique, sont là pour protéger l'agresseur. C'est évident. Quand la Cour suprême rend des jugements qui donnent à l'agresseur le droit d'aller piger dans les révélations personnelles d'une femme qui aurait subi un viol et qui aurait été violentée, c'est révoltant.

.1035

C'est tout à fait révoltant et je trouve que le Parti libéral au pouvoir aurait dû agir beaucoup plus rapidement sur le projet de loi, qui risque de rester en plan au Feuilleton puisque les élections s'en viennent. Le gouvernement se traîne les pieds. C'est passablement révoltant. Je reprendrai les propos de propos de Mme Bazilli et dirai que ceci est une cause flagrante du manque de confiance dans le système judiciaire.

Madame Côté, vous n'allez pas assez loin. Je n'ai pas lu le projet de loi, mais vous mentionnez qu'il devrait y avoir des exceptions. Il ne devrait jamais y avoir d'exceptions. Si une personne vient consulter son avocat, les dossiers de ce dernier ne sont pas produits en cour contre l'accusé. Le client a certainement le droit que les propos qu'il divulgue à son avocat, à un prêtre ou à un conseiller dans les crises de viol restent privés. Il est tout à fait normal que la loi n'aille ni piéger les personnes violentées ni piger dans leur vie privée. C'est tout à fait inacceptable. La ligne est claire et c'est évident.

Non seulement il y a quelque chose de très discriminatoire, mais on ne respecte même pas la question humaine. Lorsqu'une personne traverse une situation très difficile, il faut avant tout faire preuve de respect. La loi ne devrait pas accorder le pouvoir ou le droit d'aller dans ce domaine tout à fait privé. Ça me semble évident. Il ne devrait pas y avoir de cas où la cour ou un avocat puisse aller piger dans le dossier personnel d'une femme qui a été violentée. Il ne devrait y avoir aucune exception.

Messieurs du Parti libéral, vous êtes à blâmer parce que cette loi n'a pas été adoptée il y a longtemps. Si je comprends bien Mmes Aikins et Bazilli, ça fait longtemps qu'on en parle. C'est très évident d'ailleurs qu'il y a eu des jugements. C'est à cause d'un manque de volonté politique du gouvernement que cette loi n'a pas été adoptée. C'est un cas d'injustice flagrant contre toute la société canadienne.

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.)): Quel commentaire!

[Traduction]

Quelqu'un voudrait-il répondre?

[Français]

Mme Côté: Je suis très heureuse que le député du Bloc québécois appuie les protections qui doivent être établies pour protéger les droits constitutionnels des femmes. J'espère que nous pourrons compter sur le soutien de son parti et sa collaboration avec le Parti libéral afin que ce projet de loi soit adopté rapidement. On espère ardemment, comme le disait Mme Bazilli, que ce projet de loi ne restera pas en plan au Feuilleton. Ce serait réellement une tragédie. Vous savez que la décision de la Cour suprême dans l'affaire Carosella date d'il y a quelques semaines seulement, soit du début du mois de février, et qu'elle est catastrophique. Elle ouvre tout grand la porte à un accès systématique aux dossiers.

Mme Aikins nous a parlé du fait que les policiers estiment maintenant qu'il faut dorénavant aller chercher ces dossiers automatiquement. Au Québec, ce n'est pas encore souvent le cas en raison de la mentalité québécoise et de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec qui prévoit la protection du secret professionnel. Mais cette situation ne va pas tenir longtemps au Québec parce que la décision de la Cour suprême dans la cause Carosella va s'appliquer.

M. Jean-Paul Marchand: Mais le Québec va devenir souverain, et on va renforcer la loi, madame Côté.

Mme Côté: Ce sont vos aspirations, monsieur Marchand, mais ce n'est pas encore un fait accompli. À l'heure actuelle, les Québécoises sont aussi menacées par cette disposition. Je suis heureuse de constater que le Bloc québécois accordera son appui à ce projet de loi et j'espère qu'on pourra l'adopter rapidement. S'il devait rester en plan au Feuilleton à cause des prochaines élections, cela aurait des conséquences réellement tragiques pour les femmes. On ne peut sous-estimer les répercussions de cela. On ne peut jamais en parler assez.

.1040

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): À titre d'éclaircissement, je crois que la décision dans l'affaire O'Connor a été rendue le 14 décembre 1995, et que dans l'affaire Carosella, c'était le 6 février 1997. Je crois savoir que vous avez eu des consultations avec le ministère de la Justice depuis la première décision.

Mme Bazilli: Depuis bien plus longtemps que cela - depuis 1994.

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Très bien.

Mme Aikins: Je voudrais préciser que la position des centres antiviol a toujours été qu'il ne devrait y avoir aucun accès, à aucun moment. Comme bon nombre d'autres groupes féminins, nous avons même envisagé de ne pas participer à l'élaboration d'un projet de loi qui ne fermerait pas complètement la porte. Nous nous sommes rendu compte que ce serait les priver de notre expertise, et malgré notre réticence, nous en sommes arrivés à la conclusion que la Cour suprême n'appuierait jamais une mesure législative qui éliminerait toute possibilité d'accès. Nous avons donc adopté la même position.

[Français]

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Oui, monsieur Marchand.

M. Jean-Paul Marchand: L'absurdité de ce problème est évidente non seulement quand on souligne qu'on viole la vie privé d'une femme qui a été violée, mais aussi quand on constate qu'il y a discrimination à outrance parce qu'on décourage toutes les femmes de faire appel à des centres et d'aller chercher de l'aide dans une situation qui est pour ainsi dire pire que la guerre.

Dans le fond, une personne qui est allée au Vietnam n'a pas vécu une situation pire que celle de certaines femmes violées. On décourage en plus toutes les femmes d'avoir recours au système judiciaire. C'est totalement ridicule.

Mme Côté: Cela aura des conséquences non seulement sur la femme qui a été agressée et qui ne veut pas aller devant les tribunaux, craignant de se faire violer une deuxième fois, mais aussi des conséquences collectives parce que, de façon générale, cela va diminuer la sécurité de toutes les femmes. Il y aura moins de recours contre les hommes violents parce que les femmes ne voudront plus porter plainte et donc un sentiment accru d'impunité chez les agresseurs et probablement un effet d'entraînement. Il y aura davantage de violence contre les femmes parce que les agresseurs sauront qu'elles n'oseront jamais aller devant les tribunaux, sachant qu'elle se feraient massacrer si elles allaient en cour. Cela aura donc des effets non seulement sur la victime individuelle, mais aussi sur toutes les femmes. On portera atteinte au droit à l'égalité des femmes dans la mesure où on augmentera le désavantage social, économique et juridique des femmes.

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Merci beaucoup. Madame Ablonczy.

[Traduction]

Mme Diane Ablonczy (Calgary-Nord, Réf.): Merci, madame la présidente.

Je voudrais tout d'abord remercier nos trois témoins pour leurs excellents exposés. Je dois vous dire, Anne Marie, que je vous suis très reconnaissante du courage dont vous avez fait preuve en partageant avec nous vos expériences personnelles. C'est extrêmement utile. Comme le disait Susan, nous avons tendance à oublier que ces lois touchent de vraies personnes et il convient donc de nous le rappeler régulièrement.

Je pense qu'en général - comme vous l'avez vous-même dit, et je suis tout à fait d'accord avec vous à ce sujet - les Canadiens sont en faveur de mesures comme celles-ci qui permettent de mieux protéger la vie privée des femmes et leur capacité d'obtenir justice et réparation car elles favorisent ainsi la sécurité du public en garantissant que les auteurs de ces actes répréhensibles en répondent devant les tribunaux.

Je pense que le travail du comité consiste, comme l'a mentionné Susan, à s'assurer que ce projet de loi établit un bon équilibre entre la nécessité de protéger les droits constitutionnels de tout citoyen - c'est-à-dire la présomption d'innocence jusqu'à preuve du contraire et un procès juste et équitable - et celle d'exercer la justice de façon ouverte et responsable.

Il incombe donc aux membres du comité de parler à des témoins experts, comme vous, et de déterminer si l'équilibre qu'établit ce projet de loi est vraiment approprié. Mme Kane, qui a déjà beaucoup travaillé sur ce projet de loi et qui a pu bien répondre à certaines des préoccupations exprimées, est présente aujourd'hui.

J'ai quelques questions à vous poser à ce sujet et je vous inviterais à répondre à un certain de préoccupations exprimées au sujet du projet de loi, afin que nous soyons certaines que les mécanismes que prévoit ce dernier sont dans l'ensemble adéquat.

.1045

L'une des préoccupations concerne, évidemment, la question de l'égalité et de l'équité dans notre société. À cet égard, certains estiment que ce projet de loi va simplement remplacer un préjugé par un autre: dans un cas, on estimait ou on estime encore que si quelqu'un dit avoir été violé, cette personne l'a probablement cherché ou devait s'y attendre, etc.; dans l'autre - et voilà en quoi consiste la préoccupation exprimée par certains - on partira du principe que toute personne accusée de ce type d'agression sexuelle est coupable, que la prétendue victime est vraiment une victime, et qu'il n'y a pas de raison de permettre à l'accusé d'attaquer gravement la crédibilité de la personne qui l'accuse. Je pense que cette préoccupation est peut-être fondée, et j'aimerais bien savoir comment vous y réagissez.

Mme Bazilli: Je comprends très qu'on ait soulevé cette préoccupation. D'abord, quiconque a une idée de ce que c'est que de traiter avec le système de justice pénale quand on est une femme qui a été sexuellement agressée sait très bien que ce n'est pas quelque chose qu'on fait à la légère. Il y a déjà un certain nombre de personnes qui ne veulent pas passer par le système, parce qu'elles savent à quel point il est difficile d'y survivre. Je ne connais personne qui travaille dans ce domaine - et je connais des gens qui font ce travail depuis plus de 20 ans - qui ait jamais connu des cas de femmes qui auraient lancé de fausses accusations de viol, mais je reconnais que c'est un problème qu'il faut toujours envisager.

Mais si je peux essayer d'y répondre, notre appareil de justice pénale était justement doté d'un système de freins et de contrepoids jusqu'au moment de l'adoption du projet de loi C-49, c'est-à-dire la nouvelle Loi sur l'agression sexuelle. La question de l'accès aux dossiers pour assurer l'impartialité du procès est tout à fait nouvelle; ce n'est pas comme si nous avions toujours permis l'accès aux dossiers confidentiels des femmes pour garantir l'impartialité du procès pénal. C'était une tentative pour obtenir de façon déguisée ce qu'on ne pouvait obtenir de façon directe. Le projet de loi C-49 a mis un terme à la pratique qui consistait à évoquer les antécédents sexuels d'une victime dans le cadre d'un procès concernant une agression sexuelle, parce qu'on a reconnu que c'était injuste. Je pense que quand on voit la chose dans ce contexte-là, on voit tout de suite la réponse - à savoir que cela n'a jamais eu rien à voir avec le droit de l'accusé à un procès équitable, alors pourquoi le présenter comme tel maintenant?

Mme Diane Ablonczy: Le projet de loi C-49 a été voté en 19...?

Mme Bazilli: En 1992.

Mme Diane Ablonczy: Je vois que vous y faites référence dans votre mémoire à la page 4.

La plus importante inquiétude concerne ce qu'on appelle le syndrome de la mémoire refoulée. On a déjà débattu de la question à la Chambre, et ce, en rapport avec les questions soulevées par certains députés qui avaient essayé d'agir au nom d'électeurs qui avaient justement été accusés d'agression ou d'inconduite sexuelle par des personnes qui avaient refoulé leurs souvenirs des actes en question. Les gens étaient très inquiets face à la possibilité qu'on ne puisse pas se défendre contre de telles accusations si l'on ne pouvait accéder aux récents dossiers de consultations... dans les cas où une personne aurait redécouvert ces souvenirs refoulés et aurait voulu agir en conséquence. Je sais que vous devez avoir une certaine expérience de la chose et vos observations en réponse à cette préoccupation seraient certainement pertinentes, et je vous invite donc à nous en faire part.

Mme Aikins: Je voudrais commencer par répondre à votre première question. Entre 6 et10 p. 100 seulement des agressions sexuelles sont signalées à la police; donc, la grande majorité des victimes n'en parlent jamais à personne. De ce nombre, c'est-à-dire les victimes qui ont le courage de s'adresser à la police, cette dernière trouve encore que 30 p. 100 des accusations sont injustifiées. Dans encore 30 p. 100 des cas, l'accusation est d'un autre type, c'est-à-dire qu'au lieu d'accuser quelqu'un d'agression sexuelle, on l'accuse de voies de fait ou de quelque chose du même genre. Donc, étant donné le temps qu'il faut pour passer dans le système - si on parle de quelqu'un qui veut mentir au sujet d'une agression sexuelle, par exemple - le seuil est tellement élevé, qu'on aura déjà réussi à éliminer toute personne qui passerait dans le système après avoir fait croire aux autorités qu'elle avait fait l'objet d'une agression sexuelle.

.1050

Il convient également de vous faire remarquer qu'à mon sens, ce projet de loi ne part pas du principe qu'une telle personne dit la vérité et qu'elle est forcément une victime. On peut espérer que le seul effet de ce projet de loi sera de lui assurer une certaine protection, afin qu'on ne puisse pas attaquer sa crédibilité en s'appuyant sur des mythes et des préjugés au sujet des femmes. Donc, on ne part absolument pas du principe qu'elle dit la vérité. Sa crédibilité va tout de même être attaquée. Elle va devoir subir les mêmes formalités que tout autre témoin accusé d'un autre crime.

Et pour répondre à votre deuxième question, si les avocats de la défense essaient d'accéder à nos dossiers - c'est du moins ce qu'ils disent devant les tribunaux - c'est surtout à cause du syndrome de la mémoire fictive.

D'abord, le nom lui-même induit en erreur, puisqu'il ne s'agit pas du tout d'un syndrome. Il n'existe absolument pas de preuve ni d'étude qui permettrait de conclure qu'un tel syndrome existe. En réalité, ce terme a été créé par une fondation dont l'objectif unique est de jeter le discrédit sur les personnes qui ont survécu à une agression sexuelle. La plupart des membres de l'organisation en question étaient des accusés. Nous sommes obligés d'en parler constamment. Je suis même appelée à témoigner à l'occasion à titre de témoin expert sur la question.

Mais de récentes études menées à l'Université d'Ottawa démontrent l'existence de données médicales et génétiques selon lesquelles les souvenirs récupérés sont réels. Je ne me rappelle plus du nom du médecin, mais une récente étude appuie une telle conclusion. Par contre, comme je viens de vous le mentionner, aucune recherche n'a permis de démontrer l'existence de ce qu'on appelle le syndrome de la mémoire fictive.

Et quand on y pense, vu le nom qu'on se donne - centres antiviol et centres d'accueil des victimes d'agression sexuelle - qui est susceptible de solliciter nos services? Évidemment, ce sont des personnes, et notamment des femmes, qui savent déjà qu'elles ont survécu à une agression sexuelle. D'après mon expérience - et je travaille dans ce domaine depuis 15 ans - il n'arrive pratiquement jamais qu'une femme s'adresse à un centre antiviol pour demander des services de consultation générale. D'ailleurs, la plupart des femmes ne nous appellent même pas.

Si vous êtes une ancienne victime d'inceste, parfois vous n'allez pas vouloir vous adresser à un centre d'aide aux victimes de viol. Vous allez penser que ce n'est pas ce qu'il vous faut en raison du nom.

Mais depuis 15 ans que je fais ce travail, il arrive souvent que les femmes qui viennent nous voir aient de très vagues souvenirs. Elles savent qu'elles ont été agressées sexuellement. Leur mémoire consciente a refoulé bon nombre des détails. Grâce au travail de groupe et à la thérapie, elles arrivent à redécouvrir elles-mêmes ces détails.

Je dois également vous dire que les notes des conseillères ne sont pas particulièrement révélatrices. Imaginez qu'une conseillère qui prétend avoir suggéré à quelqu'un que son père l'a violée et qui décide ensuite de le noter quelque part: «... elle était d'accord, alors je lui ai dit que l'incident avait probablement eu lieu dans la chambre, et elle était d'accord...».

Je suppose qu'on peut toujours trouver quelqu'un qui est prêt à faire n'importe quoi. Je suis convaincue qu'il existe des conseillères qui seraient assez immorales pour essayer d'influencer quelqu'un qui essaie de récupérer ses souvenirs. Je pense que ce genre de personne existe. Je n'en ai jamais connu de même que je n'ai jamais assisté à un procès où le thérapeute avait fait une telle chose, mais je peux vous assurer que ce genre de personne ne serait pas susceptible de mettre toutes ces choses-là par écrit.

L'autre chose qui intéresse les avocats de la défense qui veulent accéder à nos dossiers, c'est le récit de la victime concernant le viol. Il pense que tout cela se retrouve dans nos notes. Elle, elle prétend avoir été violée dans la voiture, alors que mes notes indiquent qu'il l'aurait violé au salon, d'après ce qu'elle m'a raconté.

Or, je peux vous dire, en m'appuyant sur mon expérience personnelle, que les femmes ne s'adressent pas en général aux centres antiviol pour raconter en long et en large les détails du viol. Ce n'est pas de ça qu'on parle lors de consultations; on parle plutôt de tous les autres aspects de sa vie.

Mais même si vous décidiez de vous asseoir avec moi et de me raconter dans le moindre détail les circonstances du viol, il faudrait que vous me fassiez confiance en vous disant que je vais me souvenir de tous vos propos, car en réalité, je ne ferais pas preuve d'une sensibilité en tant que conseillère si je passais tout mon temps à noter en détail tout ce que vous me dites. Donc, on ne peut pas s'attendre à ce que mes notes soient parfaitement exactes.

Et il y a un autre élément. Voilà à quel point la loi est injuste. Si mes notes indiquent qu'elle a bien dit exactement ce qu'elle prétend avoir dit, cette information n'est même pas admissible en preuve. Autrement dit, cela ne marche pas dans l'autre sens: je ne peux pas me servir de mes notes pour renforcer sa crédibilité en faisant valoir devant un tribunal qu'elle m'a dit exactement la même chose. Cette information ne serait pas admissible en preuve devant un tribunal. Elle ne serait admissible que si mes notes contredisaient son récit. La plupart des gens ne s'en rendent pas compte, étant donné que les avocats nous demandent sans arrêt de leur donner nos dossiers. Ils pensent que cela va avoir pour effet de renforcer leur crédibilité, alors que c'est parfaitement faux.

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Ce que nous gardons souvent dans nos dossiers, ce sont des informations de base, telles que l'adresse et le numéro de téléphone. Vous vous dites peut-être que ce ne sont pas des renseignements bien importants, mais le fait est qu'ils seront transmis à l'homme qui l'a violée. Cela fait très peur à celles qui ont survécu à une agression sexuelle.

Si je prends des notes qui font part de ces sentiments de culpabilité ou si je rédige une déclaration faisant état des répercussions du crime sur la victime, qui donne le détail des sentiments qu'éprouvent les femmes après avoir été violées, on va s'en servir contre elles.

Il s'agit d'ailleurs d'une étape normale du syndrome consécutif au traumatisme provoqué par le viol, qui est un syndrome documenté et parfaitement crédible dont on parle même dans le DSM-III, c'est-à-dire la revue psychiatrique. Il est normal que les personnes atteintes de ce syndrome se sentent coupables car c'est un moyen pour elles d'essayer de reprendre le contrôle. Si, dans sa tête, elle peut se convaincre que c'est elle qui maîtrisait la situation, elle ne va pas se sentir si impuissante.

Mais si je mets tout cela par écrit, les avocats de la défense vont s'en servir et dire en cour qu'elle se sentait coupable et qu'elle le cherchait. Ils vont dire qu'en réalité, c'est elle qui en est responsable, puisqu'elle y a consenti.

Considérons également les autres aspects de la vie. Je parlais tout à l'heure du mariage et de la sexualité et de l'incidence sur ces aspects-là. On va nécessairement s'en servir contre elle. En se fondant sur leur expérience, les juges qui voient des notes de ce genre vont tout de suite décider qu'elles sont pertinentes. Voilà, c'est tout.

Mme Diane Ablonczy: Pourriez-vous simplement nous expliquer la raison pour laquelle on peut se servir de ces notes pour attaquer la crédibilité d'une victime, mais non pour la renforcer?

Mme Aikins: Il serait peut-être préférable que je demande à l'une des avocates de vous l'expliquer, n'est-ce pas?

D'après ce que j'ai pu comprendre, l'ouï-dire, c'est quand je raconte ce que quelqu'un d'autre m'a dit. Normalement, les preuves pour ouï-dire ne sont pas admissibles en cour. Elles ne sont admissibles que lorsqu'elles contredisent une prétendue déclaration.

Mme Diane Ablonczy: Bon. Je comprends.

Mme Bazilli: Il y a un autre aspect important en ce qui concerne le syndrome de la mémoire fictive, car la Cour suprême en a fait une sorte de faux syndrome de la mémoire fictive. Dans l'affaire Beharriell, cette dernière y a fait référence dans son jugement, alors que l'intéressée n'avait jamais oublié ce qui lui était arrivé. À divers moments de sa vie, elle avait justement raconté son histoire à différentes personnes.

Puis tout d'un coup, un juge de la Cour suprême décide de parler du syndrome de la mémoire fictive dans une affaire où la victime n'avait aucunement récupéré des souvenirs refoulés. Si ce n'est pas une preuve de l'idéologie qui sous-tend le syndrome de la mémoire fictive et de la façon dont on peut l'utiliser... pour moi, c'est très clair.

Mme Diane Ablonczy: Mais vous n'êtes pas en train de nous dire qu'il ne s'est jamais produit que des gens se rappellent des incidents qui n'ont jamais eu lieu?

Mme Bazilli: Que des gens se rappellent des incidents qui n'ont jamais eu lieu?

Mme Diane Ablonczy: Oui. Autrement dit, ils avaient redécouvert leurs souvenirs, mais ces souvenirs n'étaient pas réels.

Mme Bazilli: Vous parlez des cas de mémoire implantée. Encore une fois, je suis d'accord avec Anne Marie pour dire que ce genre de choses est possible. Cependant, nous allons toutes vous dire que nous n'en avons jamais connu nous-mêmes. En tout cas, c'est certainement vrai pour les femmes que je connais qui travaillent dans ce domaine.

Mais je ne suis pas assise dans une salle avec une thérapeute immorale qui implante soi-disant ces souvenirs fictifs.

Par contre, je vois bien les effets d'un syndrome créé en Amérique par des accusés qui devaient bien trouver une raison de se soustraire à la justice.

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Merci.

[Français]

Je vous invite à commenter.

Mme Côté: Le syndrome de la fausse mémoire est une théorie à l'heure actuelle. Son existence n'a pas été prouvée. Cette théorie fait l'objet de grands débats dans la communauté scientifique. Tant qu'il n'y aura pas de conclusions définitives sur cette question, il ne sera pas sage d'élaborer des règles de loi accommodant cette théorie qui n'est pas encore prouvée. Il est particulièrement inquiétant que la Cour suprême ait pris connaissance d'office du syndrome de la fausse mémoire, qui n'existe pas scientifiquement actuellement. Son existence n'a pas été considérée dans la question en litige; on a tenu pour acquis que ce syndrome existait. La cour a tenu pour acquis qu'il fallait protéger les accusés contre cela, cela sans qu'on lui présente quelque preuve scientifique que ce soit.

Le fait que la Cour suprême ait agi ainsi démontre bien qu'elle entretient des préjugés contre les femmes. Il lui est facile de dire que les femmes ne sont pas très stables psychologiquement et qu'on peut les influencer très facilement.

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Il ne faut pas oublier que lorsque les juges qui siègent à la Cour suprême sont allés à l'école de droit et ont étudié le droit, ils ont étudié les principes d'un M. Wigmore qu'on utilise encore dans les facultés de droit pour enseigner le droit de la preuve.

En 1940, M. Wigmore écrivait que les femmes ont bien des problèmes psychologiques et qu'avant de permettre une poursuite pour viol contre un homme, il est important de leur faire passer un test psychologique pour s'assurer qu'elles sont assez équilibrées pour être des témoins. C'est ce que nos juges ont appris à l'école.

À mon avis, ce sont ces connaissances et ces études qui influencent maintenant leur interprétation de ce fameux syndrome de la fausse mémoire. Ils conservent ces connaissances et ces visions parce qu'ils n'ont pas reçu une éducation pour les faire changer d'avis et leur faire comprendre la complexité de retrouver des mémoires lentement après un abus.

Je voulais aussi commenter votre question sur la présomption d'innocence parce que c'est une question très importante. Nous sommes ici tous très engagés à défendre le droit des accusés. Nous considérons tous que c'est très important. Pour sa part, l'Action ontarienne contre la violence faite aux femmes est très inquiète de la tendance qu'a la société à l'heure actuelle à régler les problèmes par l'incarcération plutôt que par des programmes sociaux ou par l'éducation. Notre objectif n'est pas de mettre plus de gens en prison et de restreindre leurs droits fondamentaux.

Il faut être conscient que le projet de loi C-46 ne diminue d'aucune façon la présomption d'innocence et ne porte atteinte d'aucune façon aux droits fondamentaux des accusés. Tout ce que le projet de loi fait, c'est apporter des règles spéciales pour pallier à une procédure spéciale que la Cour suprême a développée spécialement pour les cas d'agressions sexuelles.

Si on appliquait les règles ordinaires qui ont été utilisées depuis deux siècles pour déterminer la crédibilité d'un témoin et la véracité de son témoignage, il n'y aurait pas de problème. Mais imaginez-vous ce qui arriverait si tout à coup les avocats de la défense présumaient que chaque fois qu'une personne accuse autrui d'avoir commis un vol, il faut aller chercher les dossiers psychiatriques de cette personne pour voir si elle n'est pas paranoïaque.

Pour vous montrer à quel point c'est absurde, supposons qu'un gérant de banque accuse un employé d'avoir volé de l'argent dans sa caisse. On ne fait pas ce calcul et on ne présume pas qu'un gérant de banque est paranoïaque, qu'il souffre de problèmes psychologiques et que son administrateur lui a dit qu'il a eu une mémoire induite quant au vol de son employé. On ne fait jamais cela. On ne va jamais fouiller dans tous ses dossiers psychiatriques, disciplinaires, sociaux et ses procédures de divorce pour voir s'il n'aurait pas faussement accusé sa femme de l'avoir volé. On ne le fera pas. On ne présume pas cela d'un gérant de banque.

Pourquoi est-ce qu'on présume qu'une femme victime d'agression sexuelle est à toutes fins pratiques une malade mentale? C'est là que s'exerce de la discrimination dans notre système, à cause de ces présomptions qui donnent de la crédibilité ou qui rendent vraisemblables les hypothèses mises de l'avant par les avocats de la défense. C'est ce que ce projet de loi essaie de dire. On exerce de la discrimination quand on pose ces hypothèses voulant que le dossier psychologique soit pertinent parce que le témoin avait peut-être un mobile pour mentir contre l'accusé, était peut-être une féministe enragée qui détestait les hommes ou était une malade mentale paranoïaque. Si on respectait ce témoin, cette personne comme tout le monde, on n'aurait pas ces hypothèses en tête. Je ne sais pas si j'ai su répondre à vos questions.

[Traduction]

Mme Diane Ablonczy: Je vous remercie de cette information. C'est bien utile.

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Je vous ai accordé pas mal de temps.

Je voudrais d'ailleurs remercier nos collègues de leur compréhension, car cette information me semble bien utile.

Moi-même, j'ai plusieurs questions à vous poser. Si j'étais assise là-bas, je serais autorisée à vous les poser, alors je vais prendre le risque et le faire tout de suite.

D'abord, nous ne parlons pas uniquement de dossiers de consultations ou de ceux que pourrait tenir un centre d'aide aux victimes de viol. J'ai constaté avec beaucoup d'intérêt que la liste qui figure à la page 3 du projet de loi est assez longue. Je me demande si vous pourriez me dire de quoi vous avez discuté au juste pendant les consultations et si ce genre d'information est bel et bien demandé.

On fait mention dans la liste des dossiers d'établissements éducatifs - et je présume qu'il pourrait s'agir d'un relevé de notes de son école secondaire ou de quelque chose du genre - de dossiers relatifs aux antécédents professionnels - il va sans dire que le premier emploi qu'on décroche est d'une importance capitale - et du journal intime. Est-ce que quelqu'un pourrait vraiment m'obliger à remettre aux autorités le journal intime que je tenais quand j'avais six ans?

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Mme Aikins: L'un des éléments qui fait le plus souvent l'objet d'une assignation est justement le journal intime. Si vous avez déjà tenu un journal intime, imaginez un peu ce que vous avez pu écrire là-dedans, et comment vous vous sentiriez si vous deviez le céder aux autorités, ou même le donner à quelqu'un d'autre.

D'après ce que j'ai pu comprendre, les éléments qui figurent dans la liste que nous avons dressée reposent sur des exemples concrets d'articles qui ont déjà fait l'objet ou font fréquemment l'objet d'une assignation. Si moi, je reçois une assignation, je peux supposer que beaucoup d'autres personnes en ont reçu. Si un avocat de la défense décide d'employer une telle tactique, il va normalement donner une assignation à toutes sortes de personnes - ses amis et les membres de sa famille, c'est-à-dire tout ce qu'on trouve sur cette liste. À ce moment-là, tout son système de soutien s'effondre, parce que dès qu'elle va voir un conseiller juridique, ce dernier va devoir dire aux autres qu'ils ne peuvent plus lui parler, étant donné que tout ce qu'ils disent pourrait faire l'objet d'une assignation. Elle ne peut donc pas demander de l'appui, ni parler à ses amis, ni faire tout ce dont on parle dans cette liste.

Mme Bazilli: Je ne peux pas m'empêcher de dire que pour un avocat de la défense et un accusé, le fait d'examiner en détail votre journal intime serait du voyeurisme pur et simple.

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): À certains égards, si l'on songe aux dossiers d'un centre antiviol dans le cadre de ces arguments, on doit bien se dire que vous êtes des professionnels. Les gens ont l'impression que c'est un peu comme des dossiers médicaux - c'est-à-dire le genre de preuves que pourrait présenter un médecin qui vous voit dans une salle d'urgence, alors que c'est différent d'un journal intime que tout le monde s'accorde pour reconnaître comme un document extrêmement personnel.

C'est peut-être une preuve de votre efficacité qu'on vous ait fait passer à un niveau supérieur - tout le monde en parle, d'ailleurs - pour ce qui est des dossiers des centres antiviol, alors que vos dossiers comprennent toutes sortes d'autres informations personnelles.

Mme Aikins: C'est peut-être parce que nous avons contesté les assignations qu'on s'attarde là-dessus...

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Vous pouvez le faire.

Mme Aikins: ... alors qu'il arrive souvent que les médecins n'opposent aucune résistance face à ce genre d'assignations. Ils tranchent tout de suite les dossiers demandés. De même, les proches de la victime ne s'opposent pas aux assignations et communiquent tout de suite les dossiers recherchés.

Je vous fais remarquer à titre d'information, que si une femme va à l'hôpital et qu'on lui fait les prélèvements usuels à la suite d'un viol, ou si elle se fait examiner, les dossiers en question peuvent être et ont déjà été communiqués aux avocats de la défense. Donc, personne ne semble prétendre que ces dossiers-là ne devraient pas être communicables.

Mme Bazilli: L'un des points importants que nous avons pu faire ressortir dans le cadre des consultations sur la liste des documents, c'est qu'il y a une relation inverse très nette entre le nombre de dossiers établis pour une femme, et non seulement son statut socio-économique mais sa vulnérabilité face à l'agression sexuelle. Autrement dit, les femmes qui sont les plus susceptibles de faire l'objet d'une agression sexuelle sont des femmes handicapées, qui auraient nécessairement le plus de dossiers médicaux, ou encore des femmes qui sont passées par l'appareil de justice pénale à titre d'accusées, ou par d'autres systèmes où les femmes sont présentes en plus grand nombre.

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Par exemple, les services d'aide à l'enfance.

Mme Bazilli: Oui.

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Nous avons la liste de l'ANFD. Mais pour citer l'exemple de gens comme Sheldon Kennedy ou Martin Kruze, ou d'autres encore dont on a récemment parlé dans les journaux, arrive-t-il couramment que les dossiers d'hommes fassent également l'objet d'une assignation? Est-ce fréquent?

Mme Bazilli: Vous parlez d'hommes qui sont victimes d'agression sexuelle?

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Oui - ou d'hommes qui ont accusé d'autres personnes de les avoir agressés sexuellement.

Mme Bazilli: Leur crédibilité ne semble jamais poser problème, et on peut donc supposer qu'il n'y aura pas de raison de demander leurs dossiers. D'après la façon dont c'est présenté dans les médias, leurs récits sont tout de suite jugés crédibles, suscitant ainsi de vives manifestations de sympathie, alors que dans le cas de cette femme de Windsor qui prétend avoir été sexuellement agressée par un joueur de hockey, l'avocat de la défense a tenu une conférence de presse pendant laquelle il a donné son nom, son numéro de téléphone et son adresse aux médias. Ensuite, on l'a poursuivie en justice pour accusations injustifiées, parce qu'elle avait interrompu son contrat pour...

Je ne sais pas pourquoi ils jouent au hockey en Floride. Je n'ai jamais compris ça. Mais pour une raison qui m'échappe, ils vont toujours en Floride - c'est en rapport avec les contrats de hockey ou quelque chose du genre.

Quoi qu'il en soit, il n'a pas pu le faire parce qu'il a dû rester pour le procès. Alors ils l'ont poursuivie en justice.

Je ne veux pas vous donner l'impression de traiter tout cela à la légère. Le fait est que je ne suis pas vraiment au courant de la situation de Sheldon Kennedy, et je ne peux donc pas savoir si ses dossiers pourraient faire l'objet d'une assignation ou non. Je ne fais que réagir. Mais je pense que non. Je ne verrais pas la nécessité de le faire.

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Très bien.

Et d'après votre expérience, ces individus-là peuvent-ils recevoir l'aide juridique ou non?

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Mme Aikins: Non, dans aucun cas.

Mme Bazilli: En fait, l'Ontario a un énoncé de principe selon lequel l'aide juridique ne doit pas être accordée pour ce genre de causes.

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Merci.

Madame Cohen.

Mme Shaughnessy Cohen (Windsor - Sainte-Claire, Lib.): Je voudrais simplement vous dire, étant donné que j'ai beaucoup d'expérience de ce genre de cas, que même si les médias leur réservent un traitement différent, il n'est pas inhabituel - en fait c'est très courant - que le même type de dossiers fasse l'objet d'une assignation par l'avocat de la défense lorsque l'accusation vient d'un homme. D'après mon expérience, moins d'accusations sont faites par des hommes. J'imagine - et là je me fonde uniquement sur ma propre expérience - que moins d'hommes que de femmes font ce genre de plaintes. Les chiffres sont assez catastrophiques dans le cas des femmes, et encore plus dans le cas de jeunes hommes qui ne veulent pas porter plainte, mais dans chaque procès auquel j'ai participé où le plaignant était un homme, les dossiers, lorsque ces dossiers existaient, ont fait l'objet d'une assignation.

Le problème réside peut-être en partie dans le fait qu'il existe moins de dossiers pour les jeunes hommes ou les plaignants de sexe masculin, étant donné qu'ils ne sont pas nécessairement aussi vulnérables. De plus, les conditions dans lesquelles ils font l'objet d'agression sexuelle ne sont pas les mêmes que pour les femmes. Le nombre d'agressions par des étrangers ou d'incidents de ce genre est bien moindre pour les jeunes hommes que pour les jeunes femmes. Là je me fonde uniquement sur mon expérience à titre d'avocate criminelle, plutôt que sur une analyse des statistiques, mais voilà ma supposition.

Cela dit, on n'a pas besoin d'être Einstein pour comprendre que les médias traitent Sheldon Kennedy comme un héros, alors qu'ils ne réserveraient peut-être pas le même traitement à une jeune femme dans des circonstances semblables.

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Monsieur Telegdi, vous avez la parole.

M. Andrew Telegdi (Waterloo, Lib.): Merci, madame la présidente.

En ce qui me concerne, les changements qu'amène cette mesure législative se font attendre depuis longtemps.

Mais j'ai besoin de votre aide. En ce qui concerne le projet d'article 278.7, si c'était un cas de souvenirs récupérés ou retrouvés - je ne vais pas parler du syndrome de la mémoire fictive - il me semble qu'on pourrait accéder aux dossiers puisqu'ils tomberaient dans l'une des catégories dont il est question dans cet article; c'est-à-dire qu'on pourrait y accéder s'il était décidé que l'accusé avait le droit d'en prendre connaissance.

Mme Aikins: Est-ce que vous songez à l'exemple d'une femme qui aurait témoigné qu'elle ne se souvenait pas d'une agression sexuelle jusqu'au moment de bénéficier d'une thérapie, et que c'était grâce à son thérapeute qu'elle avait pu s'en souvenir?

M. Andrew Telegdi: Oui, en effet.

Mme Aikins: Je pense que la loi permettrait l'accès dans ces conditions-là.

M. Andrew Telegdi: Il s'agit là d'un aspect important, à mon avis. Je me rappelle de l'époque où je travaillais avec les gens qui allaient devant les tribunaux, avec des jeunes qui avaient eu des démêlés avec la justice. Il arrive parfois que les gens qui viennent vous voir soient vraiment en état de crise. À ce moment- là, votre rôle est non pas de déterminer la véracité des faits qu'ils vous exposent, mais plutôt de les aider à retrouver leur état normal, de s'adapter et de continuer leur vie.

Je constate que les expériences d'un thérapeute sont très semblables. Le rôle du thérapeute consiste essentiellement à essayer de stabiliser l'individu afin qu'il puisse s'en sortir et retourner vivre dans la collectivité.

Existe-t-il des thérapeutes sans scrupules? Bien sûr que oui. Il suffit de lire les journaux pour le savoir. Il y en a un qui est actuellement poursuivi en justice par un certain nombre d'ex- patients ou qui doit passer devant un conseil de discipline. On n'a pas besoin de chercher loin pour découvrir des thérapeutes sans scrupules.

Quand un thérapeute vous aide, il va sans dire que sa motivation est totalement différente de celle d'une personne qui pense se trouver en cour un jour. Il cherche peut-être simplement à aider l'individu à s'adapter à s'en sortir. Évidemment, le rôle des tribunaux est tout à fait différent.

Mais il y a une question qui suscite dans mon esprit non seulement une question mais une inquiétude. Les centres d'aide aux victimes de viol n'ont pas énormément d'argent. Par rapport à votre fonds de ressources juridiques, je me demande quelle proportion de vos crédits vous consacrez à la défense de causes de ce genre? Ou arrivez-vous à trouver des avocats qui sont prêts à le faire bénévolement pour vous aider?

.1115

Mme Aikins: Toutes ces choses font partie de nos activités. Nous avons réussi à trouver des avocats qui travaillent bénévolement. Nous avons dépensé... surtout en 1992 et 1993, notre seul centre a dépensé environ 40 000$. Il est très difficile de budgétiser des fonds pour cela, parce qu'une fois qu'on se trouve en situation de conflit, cela peut continuer longtemps. Les budgets de la plupart des centres antiviol ont été coupés, comme ceux de tout le monde, et par conséquent, on n'a aucune marge de manoeuvre pour des postes budgétaires de ce genre.

C'est justement la raison pour laquelle nous recourons à METRAC pour réunir des ressources. Nous nous entraidons également. Dans la plupart des cas, nous encourageons le procureur de la Couronne à s'opposer à la communication des dossiers, nous n'engageons pas notre propre conseiller juridique, mais à ce moment-là, nos intérêts ne vont pas être directement pris en compte. La majorité des victimes n'ont pas les moyens d'engager leur propre conseiller juridique, et elles doivent donc espérer, comme nous, que le procureur de la Couronne va agir dans leur intérêt. Voilà donc la situation actuelle; nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre d'engager des avocats, et c'est pour cela que la loi nous est si importante.

M. Andrew Telegdi: Et est-ce que votre situation a évolué depuis que Mike Harris est au pouvoir?

Mme Aikins: Eh bien, un rapport récemment publié en Ontario recommande que les centres antiviol soient complètement fermés et que l'utilisation des refuges soit limitée à un ou deux jours.

Mme Shaughnessy Cohen: Cela va vous empêcher de faire du bruit, n'est-ce pas?

Mme Aikins: Voilà.

À l'heure actuelle, nous nous battons tout simplement pour essayer de survivre. Mais en même temps, nous avons certainement du mérite. Si ces questions ont pu susciter un débat au cours des 20 dernières années, c'est grâce au travail effectué par les centres d'aide aux victimes de viol et des femmes comme moi-même qui ne sont pas avocates mais qui travaillent avec les femmes de la base. Bon nombre d'entre nous avons décidé de nous y consacrer après avoir vécu certaines expériences personnelles et nous sommes devenues expertes en cours de route, ce qui nous a permis d'attirer l'attention de la société sur cette problématique.

Quand vous parliez tout à l'heure de thérapeutes sans scrupules, vous m'avez fait penser à quelque chose. Une femme est venue me voir il y a quelques semaines en me disant qu'elle se faisait soigner par une conseillère en exercice privée, et elle me racontait que sa thérapeute lui avait dit qu'elle avait été violée et qu'elle retenait ses souvenirs dans sa vessie. Je lui ai dit: «Ah bon?», et nous sommes parties de là. Je ne sais pas ce que la thérapeute lui a dit au juste, mais vous pouvez imaginer un peu l'accueil que la police lui aurait donné si elle avait été leur raconter tout cela. Il est évident qu'aucune accusation n'aurait été portée.

L'exemple que vous avez cité concernant une patiente qui avait poursuivi en justice son psychiatre vient des États-Unis, encore une fois, et dans ces cas-là, il n'y a pas eu d'accusation au criminel. Quand une victime veut porter plainte au criminel, le seuil est tellement élevé que c'est impossible dans la plupart des cas. Donc, tout cas de ce genre va nécessairement être éliminé. Les conditions imposées par la police sont tout simplement trop rigoureuses pour qu'elle soit en mesure de les respecter.

Mme Bazilli: Puisqu'on parle de thérapeutes sans scrupules, et cela me ramène à la liste des dossiers, l'un des enseignements que nous avons tirés de l'affaire de l'évêque O'Connor est la façon dont l'auteur de ces dossiers peut justement s'en servir contre les plaignants. De plus en plus, des hommes qui occupaient des postes privilégiés dans la société se font accuser d'agression sexuelle - des psychiatres, des médecins, des évêques et des prêtres catholiques, des entraîneurs d'équipes de hockey, des avocats, etc. - et à notre avis, c'est l'une des raisons qui expliquent cette réaction négative.

Il pourrait arriver qu'un thérapeute sans scrupules qui agresse sexuellement sa patiente soit l'auteur des mêmes dossiers auxquels on demande l'accès pour les utiliser contre l'intéressée. C'est fou quand on se rend compte comment fonctionne le système. Dans le cas de l'évêque O'Connor, il a réussi à éviter les poursuites judiciaires pendant tout ce temps, c'est parce qu'il prétendait que les dossiers dont il était l'auteur, qui n'existaient plus en réalité - c'est-à-dire qu'il n'allait pas obtenir un procès impartial tant et aussi longtemps que ce qu'il avait dit au sujet de ces filles 30 ans auparavant ne puisse être présenté devant un tribunal et utilisé contre lui.

La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Très bien.

Mes collègues remarqueront que nous avons un peu dépassé le temps imparti, mais c'est parce que si je ne m'abuse, nous avons parmi nous maintenant un des témoins qui était prévu pour la séance suivante; par conséquent, on a décidé que cela ne poserait pas de problème. Je crois que Mme Gagnon a une question à poser, et ensuite nous allons...

.1120

[Français]

Mme Christiane Gagnon (Québec, BQ): Je pense qu'on a répondu à plusieurs questions. Je m'excuse de mon retard ce matin, mais je viens tout juste d'arriver de Québec. Ce n'est pas par manque d'intérêt que j'ai manqué votre mémoire. Je vais le lire. Nous avons déjà exprimé les réserves que vous avez soulevées ce matin sur la transmission des dossiers. Dans certains cas, leur divulgation peut mettre certaines victimes en mauvaise posture.

J'aimerais savoir si, lorsqu'elles vont vous voir, les victimes savent que ces dossiers peuvent être transmis à la cour sur demande. Est-ce qu'elles le savent et sont bien conscientes du type de rapport qu'elles peuvent entretenir? Ce rapport n'est pas le même quand on sait que ce qu'on dit pourrait être repris devant la cour. Est-ce que vous mettez ces victimes au courant?

[Traduction]

Mme Aikins: Est-ce que vous parlez spécifiquement des centres antiviol - vous voulez savoir si nous les mettons au courant?

[Français]

Mme Christiane Gagnon: Oui.

[Traduction]

Mme Aikins: Avant la première assignation en 1992, nous avons toujours garanti aux victimes que tout ce qu'elles nous disaient était strictement confidentiel, sans exception, parce que certains centres antiviol existaient déjà depuis une quinzaine d'années à ce moment-là et n'avaient jamais reçu d'assignation de la part d'un avocat de la défense.

C'est seulement en 1992 que nous avons reçu la première assignation, et ce qui est intéressant, c'est qu'elle est arrivée aussitôt après que la disposition de la loi visant la protection des victimes de viol ait été déclarée inconstitutionnelle. Après les assignations ont commencé à arriver... La plupart des centres antiviol vont dire aux femmes que ce qu'elles leur disent est confidentiel, mais en bien précisant que les avocats de la défense peuvent essayer d'accéder à nos dossiers, même si nous allons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour les empêcher de les avoir.

On présente aux femmes un certain nombre de possibilités, et je ne peux pas vous révéler toutes les possibilités que nous proposons aux femmes pour protéger leurs dossiers, car c'est un secret que nous ne révélons à personne. Si vous en parlez aux avocats de la défense, ils pourront se renseigner sur ces procédures.

Nous devons recourir à toutes sortes de procédures pour protéger les femmes. Quant à la décision dans l'affaire Carosella, les femmes arrivaient au centre de Windsor en disant: «Vous ne pouvez pas leur donner mes dossiers. J'ai entendu dire qu'ils vont vous envoyer une assignation.» Par conséquent, le centre a donc opté pour une mesure extrême, qui consistait à détruire tous ses documents pour protéger les femmes qu'ils cherchaient à aider. Ensuite, ils ont reçu une assignation, qui a débouché sur l'arrêt Carosella.

À mon avis, la plupart d'entre nous ne détruisons pas les documents maintenant, mais nous recourons à tous les moyens possibles pour les protéger.

Mme Bazilli: En ce qui nous concerne, il est clair que la diminution du nombre de cas qui sont dénoncés à la police, du moins en Ontario, au cours des deux ou trois dernières années dans beaucoup de centres est liée, d'une part, au fait que les femmes sont au courant de ce problème, et d'autre part, à l'augmentation du nombre de cas qui sont signalés aux centres antiviol eux-mêmes. Pendant quelque temps, on en parlait beaucoup dans les médias, et au fur et à mesure que plus de gens, et notamment les femmes, étaient au courant de la situation, elles étaient davantage sensibles au risque. Je sais que tout cela a eu une incidence sur les relations thérapeutiques entre bon nombre de femmes et leurs conseillères et thérapeutes, parce que la situation était très instable et préoccupante, et tout le monde s'inquiétait de l'effet de cette mesure et des données qu'ils devaient ou non inclure dans leurs dossiers.

J'ai une amie qui travaille à l'Hôpital général de Kingston. C'est une psychologue dont la spécialité est la santé de la famille. Il y a deux ans, ils organisaient des entretiens à l'hôpital, et les gens commençaient à écrire «prétendu» devant ce que leur disaient leurs clients, juste au cas où leurs dossiers feraient l'objet d'une assignation, une vraie paranoïa.

Je dois dire, d'un autre côté, que pour quelqu'un d'aussi cynique que moi, qui fais ce travail, au sujet du système, je suis toujours surprise de recevoir des appels téléphoniques de femmes prises dans l'engrenage du système judiciaire. C'est comme si elles ne pouvaient plus en sortir - je veux dire, elles ont été happées par la machinerie. Elle ne font que répéter «mais je pensais qu'on me ferait justice».

Je suis si cynique que j'ai du mal à croire qu'elles s'imaginaient que le système leur rendrait justice. Elles ne savaient ce qui les attendait. Voilà l'autre aspect du problème - les femmes ne savent pas.

Mme Aikins: En plus, un grand nombre des femmes qui viennent aux centres antiviol y viennent d'abord pour du counseling. Elles finissent par participer à des groupes de victimes et, à cause de l'aide qu'elles reçoivent, elles estiment que l'étape suivante de leur action est de porter plainte auprès de la police. Donc, la première consultation et l'entretien avec une conseillère ne les inquiétaient pas, parce qu'elles n'avaient pas encore eu recours au système judiciaire; cela venait beaucoup plus tard.

Il y a même un avocat de la défense qui maintenait que quand une femme déclarait devant un juge... Il revenait, bien entendu, sur le fait qu'elle n'avait pas porté plainte immédiatement, et elle disait: «Je faisais partie de ce groupe au centre antiviol, et les femmes qui le composaient croyaient en moi et m'appuyaient et m'ont donné le courage de parler.» Il a essayé d'obtenir, par voie d'assignation, tous les noms, adresses et numéros de téléphone de chacun des membres du groupe qui étaient au courant de son cas. Il a essayé de les assigner à témoigner pour qu'elles puissent lui dire ce qu'elle leur avait confié, pour voir s'il pouvait dénicher des contradictions. Mais nous l'avons empêché de le faire.

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La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Merci infiniment pour vos témoignages.

Vos remarques au sujet du seuil étaient très intéressantes. Les appels et les lettres que je reçois à mon bureau m'ont permis de constater que les gens qui sont les plus préoccupés par la question sont ceux qui n'ont pas fait l'objet d'une accusation, ou dont les accusations ont été retirées pour cause d'incohérences. Donc, même si l'inquiétude est grande, les gens qui ne sont pas très sûrs de leur souvenir des faits sont éliminés. Vos commentaires au sujet des critères à respecter pour accéder au système m'ont beaucoup intéressée.

Merci infiniment pour vos témoignages. J'espère que vous allez mieux maintenant.

La séance est levée.

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