[Enregistrement électronique]
Le jeudi 13 mars 1997
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.)): Je déclare la séance ouverte. Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-46, Loi modifiant le Code criminel en ce qui a trait à la communication de dossiers dans les cas d'infraction d'ordre sexuel.
Nous accueillons aujourd'hui Bruce Durno et Irwin Koziebrocki, de la Criminal Lawyers' Association, et Marvin Bloos, du Conseil canadien des avocats de la défense.
Marvin, je crois que vous prendrez la parole en premier.
M. Marvin R. Bloos (président, Conseil canadien des avocats de la défense): Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie beaucoup de nous donner l'occasion de comparaître.
En guise d'introduction, je voudrais passer en revue la conclusion du mémoire que j'ai envoyé lundi et qui, je l'espère, a déjà été distribué, au sujet du projet de loi C-46. Le Conseil canadien des avocats de la défense a de très sérieuses réserves au sujet de ce projet de loi. Nous craignons qu'il ne puisse résister à l'épreuve de la Charte et qu'il comporte de graves lacunes.
Il s'applique uniquement aux efforts déployés par l'accusé pour obtenir l'accès aux dossiers détenus par une tierce partie, mais pas aux efforts que doit déployer la Couronne pour faire la même chose. Il permet à la Couronne de recevoir et même d'obtenir par mandat les dossiers d'une tierce partie que l'accusé pourrait ne pas obtenir en vertu du projet de loi C-46. Il établit une norme de renonciation inappropriée pour les plaignants qui permet à ces derniers de communiquer leurs dossiers à la Couronne sans les remettre à l'accusé. Il établit des obstacles artificiels visant à déterminer la pertinence vraisemblable qui auront pour effet de priver l'accusé de renseignements pertinents, ce qui va à l'encontre de la norme établie dans O'Connor et plus récemment par une décision majoritaire de la Cour suprême dans l'affaire Carosella.
Il exige que les tribunaux tiennent compte de questions administratives concurrentes avant que les dossiers ne soient communiqués au juge, contrairement à la norme de pertinence logique choisie par la majorité des juges dans la décision O'Connor. Il change la norme pour la communication de dossiers qui ne s'avèrent pas pertinents: au lieu de présumer de la communication du dossier, on limite l'accès à des preuves potentiellement disculpatoires en ne présumant pas qu'il y aura communication du dossier.
Il exige que les tribunaux tiennent compte de considérations générales sur les effets d'une ordonnance de divulgation, et accorde à ces considérations la même importance qu'aux facteurs qui visent précisément les dossiers concernés, limitant du coup l'accès à des preuves potentiellement disculpatoires, ce qui va à l'encontre du droit à une défense pleine et entière.
Il exige que les tribunaux prennent en considération les répercussions de l'admission des preuves lorsqu'ils décident de les communiquer, confondant du coup les questions de communication des dossiers et d'admissibilité, et limitant l'accès à des renseignements essentiellement disculpatoires, ce qui va à l'encontre du droit à une défense pleine et entière.
Mes amis vont traiter de certaines parties de la mesure proposée. Pour ma part, je vais me limiter à certains aspects de la mesure proposée et j'en ai pour quelques minutes.
La définition de dossier pose problème. Le projet de loi C-46 élargit considérablement la gamme de documents pouvant constituer un dossier et faire l'objet d'une procédure de demande, par rapport à la décision rendue dans l'affaire O'Connor. La définition de dossier est très générale et il faudra déployer exactement le même effort, présenter exactement la même demande, dans le cadre de la même procédure, peu importe que l'accusé veuille simplement prendre connaissance d'un dossier d'emploi ou d'un dossier scolaire, par opposition à un dossier thérapeutique. Il n'y aura aucune différence. Cela s'applique à tous les témoins et non pas seulement au plaignant.
À titre d'exemple, prenons l'affaire Morin qui fait actuellement l'objet d'une enquête spéciale à Toronto. Si l'infraction avait été d'ordre sexuel, au lieu d'un meurtre, il y a de bonnes chances que l'accusé n'aurait pas obtenu de prendre connaissance des dossiers des informateurs qui étaient en prison, même s'il s'agissait de documents très importants qui auraient pu démontrer qu'ils n'étaient pas fiables. Aux termes de ce projet de loi, l'accusé n'aurait probablement pas réussi à obtenir ces dossiers, à moins de démontrer qu'ils correspondaient aux critères.
Au sujet de la communication des dossiers à l'accusé, en application du paragraphe 278.2(2) du projet de loi C-46, nous sommes d'avis que cette disposition invalide dans les faits la décision rendue dans l'affaire Stinchcombe. Le poursuivant ne peut communiquer à la défense les dossiers qu'il a en sa possession si le plaignant n'a pas expressément renoncé à son privilège. Les mêmes règles s'appliquent, peu importe que le poursuivant ait déjà ces dossiers en sa possession ou non. Telle est la procédure de demande.
Imaginons la situation suivante: le poursuivant décide que les dossiers en question peuvent avoir une certaine pertinence, les obtient avec la permission du plaignant, les examine, ou bien se procure d'autres dossiers auprès d'un médecin ou d'un conseiller ou d'un psychiatre et décide, après avoir examiné le tout, qu'au lieu d'être utiles au poursuivant, ces dossiers sont riches en renseignements qui peuvent nuire à la poursuite, qui peuvent être disculpatoires pour l'accusé.
Aux termes de la mesure proposée, le poursuivant ne pourrait, en supposant même qu'elle veuille le faire, aviser l'accusé que les dossiers renferment des éléments disculpatoires, si le plaignant n'a pas renoncé au privilège, et il est improbable qu'elle le fasse - je dis «elle» car la poursuite est souvent représentée par une femme. Ainsi, la poursuite est en possession d'éléments de preuve disculpatoires qu'elle serait tenue de divulguer, aux termes de la décision Stinchcombe. Mais dorénavant, en application du projet de loi C-46, elle ne peut pas le faire, même si elle le voulait, à moins que l'accusé présente une demande.
Par conséquent, si l'accusé ignore la teneur des dossiers, ou n'a pas la moindre idée des critères qui sont établis, nous soutenons qu'il est très improbable que l'accusé prenne connaissance des renseignements que la poursuite possède. Par contre, et c'est pourquoi nous soutenons que ce projet de loi favorise la poursuite, si les dossiers en question renferment des éléments qui peuvent être utiles à la poursuite, alors la poursuite peut utiliser ces renseignements pour tenter de démontrer la culpabilité de l'accusé. La balance penche donc indûment du côté de la poursuite.
L'article proposé 278.2 souscrit à la protection du privilège et des renseignements personnels, en dépit du fait que le plaignant est déjà disposé à renoncer à ce privilège, lorsque la poursuite a ales dossiers en sa possession. Le résultat est de protéger le privilège ou les renseignements personnels du plaignant dans une situation où ce dernier a déjà exprimé son intention de renoncer à ce privilège en remettant la documentation pertinente à la poursuite, ou même dans d'autres cas, lorsque d'autres parties intéressées à l'affaire ont déjà pris connaissance des documents.
Je voudrais aborder un troisième problème qui se pose à cet égard. Je veux parler de la difficulté, qui a d'ailleurs été évoquée à maintes reprises, pour un accusé de satisfaire aux critères afin d'obtenir les dossiers. On a laissé entendre que l'accusé pourrait convoquer divers témoins et les faire comparaître pour ainsi, après avoir établi le fondement, obtenir les dossiers. Mais qu'arrive-t-il si l'accusé convoque effectivement ces témoins et si ces derniers ont profité de la consultation des dossiers pour se rafraîchir la mémoire, ou bien si la plaignante a pu se rafraîchir la mémoire en consultant les dossiers? Aux termes de la loi actuelle, ordinairement, un accusé serait autorisé à examiner les dossiers que la plaignante ou un témoin ont utilisé pour se rafraîchir la mémoire. D'après mon interprétation du projet de loi C-46, cela ne serait plus possible. Il faudrait maintenant entamer toute une procédure de demande pour obtenir les dossiers.
Je voudrais attirer l'attention sur les difficultés qui se poseraient dans les affaires qui ont donné lieu à de graves anicroches. L'une des plus notoires est peut-être la poursuite de Martensville mettant en cause de jeunes enfants. On a surtout parlé de mémoire recouvrée et de crimes historiques, mais nos préoccupations ne se limitent pas à cela. Nous nous inquiétons aussi au sujet des enfants, qui sont très sensibles à la suggestion et les dossiers qui sont ainsi exclus peuvent aussi comprendre des documents - dossiers thérapeutiques et dossiers de counselling - qui pourraient aider à établir la nature du processus lorsque de jeunes enfants viennent témoigner en cour.
Un dernier point - j'en ai noté un bon nombre, mais je m'attends à ce qu'on me pose des questions. J'ai remarqué que lors des audiences antérieures, on a dit que l'enquête préliminaire permettrait d'obtenir les dossiers. Il ne faut pas oublier que bien souvent, l'affaire peut faire l'objet d'une procédure sommaire, lorsque la peine maximale est de 18 mois d'emprisonnement. Ainsi, dans toute affaire où la poursuite estime pouvoir procéder de façon sommaire, il n'y aura pas d'enquête préliminaire donnant l'occasion à une personne accusée de poser des questions pertinentes aux témoins qui sont convoqués, dans le but d'obtenir les renseignements nécessaires pour satisfaire aux critères.
Merci.
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Merci.
Monsieur Durno, êtes-vous le suivant?
M. Bruce Durno (président, Criminal Lawyers' Association): Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, au nom de notre association, je tiens à vous remercier de nous avoir donné l'occasion de faire part de nos commentaires sur ce projet de loi. Nous sommes toujours heureux de pouvoir contribuer à l'élaboration d'une nouvelle loi, surtout aujourd'hui, étant donné les graves réserves que nous avons relativement au projet de loi C-46.
Notre association compte plus de 800 membres. Ces derniers se présentent tous les jours devant les tribunaux, bien souvent pour des affaires qui seraient visées par le projet de loi C-46. J'espère que nous pourrons donner aujourd'hui un point de vue pratique sur ce qui se passe actuellement devant les tribunaux et sur ce qui se passera si jamais le projet de loi était adopté.
Nous avons participé dans le passé à des consultations au sujet des dossiers de tierces parties. Ces consultations ont commencé avant même l'arrêt O'Connor. Nos membres, comme beaucoup de parties intéressées à l'administration de la justice, attendaient impatiemment l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire O'Connor. Nous travaillons maintenant avec la décision O'Connor depuis une quinzaine de mois, ce qui n'est pas très long et il s'agit donc d'un élément qui est encore nouveau. Nous avons néanmoins accumulé de l'expérience pratique relativement aux précédents établis par la décision O'Connor.
Ce projet de loi nous préoccupe énormément. Nous soutenons qu'il crée un grave risque de déni de justice et, à notre avis, ce serait déplorable pour l'administration de la justice.
Nos juges entendent des requêtes de mise sur écoute à l'occasion desquelles on donne des renseignements très délicats sur les informateurs et les pratiques policières. Parfois, il s'agit de mandats de perquisition; à ces occasions, on présente des renseignements auxquels le public n'a pas accès - ordonnances de détention pour soins psychiatriques, poursuites au civil intentées contre des thérapeutes et praticiens de la santé - et qui sont alors présentés dans des dossiers confidentiels. Pourtant, parmi les aspects les plus troublants du projet de loi C-46, il y a le message implicite que l'on ne peut pas faire confiance à la magistrature en lui permettant d'examiner des dossiers provenant de tiers. On ne peut pas faire confiance aux juges quand il s'agit d'examiner des dossiers, après avoir montré leur pertinence vraisemblable et d'aboutir ensuite à une conclusion. Il est déplorable que l'on soit saisi d'un projet de loi qui transmet un tel message.
Il importe de signaler ce qui se passe actuellement dans les tribunaux depuis l'arrêt O'Connor. Comme je l'ai déjà dit, la décision a été rendue il y a une quinzaine de mois. Il n'y a pas d'abus généralisés. À notre avis, rien ne permet d'affirmer que la procédure actuelle décourage de signaler les agressions sexuelles. Vous pouvez vérifier les dossiers qui suivent actuellement leur cours à la Cour supérieure de l'Ontario, que l'on appelle la Division générale de la Cour de l'Ontario. Si l'on exclut les affaires de stupéfiants, un pourcentage très important des affaires qui donnent lieu à des procès sont des accusations d'agression sexuelle. Il suffit de lire les journaux pour voir le grand nombre d'accusations qui sont portées. Nous soutenons respectueusement que ceux qui soutiennent que la loi actuelle décourage de signaler les infractions d'ordre sexuel se trompent du tout au tout.
Comme M. Bloos l'a dit, le projet de loi traite de la communication, et non pas de l'admissibilité. Si l'on me permet, à titre d'avocat de la défense, de prendre connaissance des dossiers, je dois quand même franchir l'obstacle des règles d'admissibilité. Actuellement, les juges examinent les demandes en tenant compte des faits de l'espèce, car il est important que le juge sache si ce qui est en cause, c'est le consentement, l'identité de l'agresseur ou bien si l'agression supposée a même eu lieu.
À la suite de l'arrêt O'Connor, les juges ont maintenant l'occasion d'examiner les faits relatifs à l'affaire, et à juste titre. Un élément d'information qui peut être pertinent dans une affaire concernant le consentement peut n'avoir aucun rapport et être totalement non pertinent dans une affaire où c'est l'identité qui est en cause. Il n'est pas facile de franchir le premier obstacle établi dans O'Connor. Sur le plan pratique, ce n'est pas une mince tâche que d'établir devant un tribunal que les dossiers sont sans doute pertinents. Il faut avoir des motifs valables de le faire.
M. Bloos a parlé de la procédure sommaire. Dans bon nombre des cas de procédure sommaire, il est peu probable que la défense pose à l'étape du procès des questions susceptibles de constituer la base d'une demande devant le juge du procès. On répondra qu'il est possible d'obtenir les documents à l'enquête préliminaire.
D'ailleurs, il y a un débat important au sujet de l'avenir et de la portée des enquêtes préliminaires. Quels sont les éléments présentés dans ces demandes? Quelle est la teneur de ce qu'on peut trouver dans les dossiers? Je vous demande de vous mettre dans la peau d'un juré assigné à une affaire. En l'occurrence, vous jugeriez important de savoir que le témoin a antérieurement fait une déclaration comportant des contradictions avec ce qu'il dit maintenant. Je pense que si vous étiez juré, cela vous intéresserait de le savoir.
Ne voudriez-vous pas savoir également si une thérapie a pu influencer ou altérer la mémoire d'un témoin et comment le témoin en est venu à déposer une plainte à la police? D'aucuns sont d'avis qu'il s'agit d'un domaine nouveau car on n'entendait pas parler de cela il y a 15 ou 20 ans. À l'époque, il n'y avait pas beaucoup de thérapeutes. Je ne me souviens pas exactement quand ils sont entrés en scène, mais lorsque j'ai commencé à pratiquer le droit il y a plus de 20 ans, je ne me souviens pas qu'il existait des centres d'aide aux victimes de viol. Ce n'est pas une invention de la défense. Il s'agit de nouveaux phénomènes.
À titre de juge des faits, ne vous serait-il pas utile de savoir que des experts ont diagnostiqué que le témoin est un menteur pathologique? Je pense que oui. Serait-il également utile de vérifier la cohérence des déclarations? Lorsque des renseignements comme ceux-là sont disponibles, ils peuvent contribuer au règlement de certaines affaires.
À supposer que l'on puisse obtenir ces documents, d'habitude à la suite d'une enquête préliminaire - il n'en demeure pas moins rare de franchir le premier obstacle simplement à la suite de la divulgation - c'est le juge qui en fait l'examen. Nous n'obtenons pas les dossiers après la première étape. Le juge, à qui l'on confère la responsabilité de prendre certaines des décisions les plus importantes dans notre société, se penche sur les divers aspects de l'affaire, examine ce que renferme le dossier et le lit attentivement armé d'un marqueur noir. Une bonne partie des renseignements ne sont pas divulgués. Parfois, il y a divulgation si le juge de première instance juge certains éléments pertinents à l'affaire.
Bien sûr, l'un des critères est de savoir si cette divulgation est nécessaire pour assurer une défense pleine et entière. À notre avis, si un élément essentiel pour assurer une défense pleine et entière n'est pas divulgué, il pourrait s'ensuivre un sursis d'instance car si le procès allait de l'avant, ce ne serait pas un procès juste.
Une fois les documents fournis à la défense, comme je l'ai dit tout à l'heure, il reste à établir la recevabilité de ces éléments de preuve et déterminer s'ils peuvent être utiles à la Couronne ou à la défense. C'est à l'avocat de décider si une partie ou l'autre souhaite soulever la question du contenu des dossiers devant le juge des faits. Même si les dossiers sont communiqués, le jury ou le juge des faits peut ne jamais en entendre parler.
À notre avis, l'arrêt O'Connor n'autorise pas une demande à l'aveuglette. Il y a en place aujourd'hui des sauvegardes efficaces. La défense peut obtenir des bribes d'information qui sont utiles, mais si vous regardez le genre d'information qu'on peut obtenir, comme je l'ai dit plus tôt, elles doivent être vraiment essentielles pour que le juge des faits estime pouvoir les communiquer et ne s'enferme pas dans un processus, comme le veut le projet de loi C-46, qui va l'empêcher de prendre connaissance de ces informations, parce que cela complique tout, et n'empêche pratiquement de franchir le premier obstacle.
Voilà ce que j'avais à dire.
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Monsieur Koziebrocki.
M. Irwin Koziebrocki (trésorier, Criminal Lawyers' Association): Merci, madame la présidente.
Tout d'abord, je suis d'accord avec ce qu'à dit mon président au sujet de ce projet de loi. Je suis le trésorier de la Criminal Lawyers' Association ainsi que le coprésident de son comité législatif. Nous avons le privilège de recevoir régulièrement les lois que vous proposez. Et nous les examinons dans l'espoir de pouvoir faire connaître notre point de vue au comité, au ministère de la Justice ainsi qu'au Sénat.
Pour votre information, sachez que j'exerce le droit à titre d'avocat de la défense depuis 15 ans à Toronto. Avant cela, pendant presque 10 ans, j'ai été procureur de la Couronne au ministère du Procureur général. Mon expérience se nourrit donc de ces deux perspectives.
De même, je tiens à vous dire aussi qu'en marge de ma pratique, je suis le président d'un organisme qui est connu sous le nom de Toronto Art Therapy Institute, qui s'occupe de questions de nature thérapeutique lorsqu'il s'agit de situations faisant intervenir des dossiers personnels. Cet institut n'enseigne pas seulement la thérapie artistique à ceux qui veulent obtenir un diplôme, il voit aussi des clients.
Nous avons par exemple reçu des subventions de la ville de Toronto pour nous occuper de femmes et d'enfants qui avaient été victimes de violence et d'agressions sexuelles. Nous avons réalisé certaines études pour le compte de la ville et d'autres organismes gouvernementaux. Nous sommes présents dans un certain nombre d'hôpitaux et collaborons à la thérapie qui est offerte aux gens dans ce milieu - par exemple, à l'Hôpital Bloorview et à d'autres.
Nous avons donc été confrontés à ce genre de problèmes dans ce contexte. Chose certaine, c'est devenu un problème pour nous dans la mesure où nous conseillons ceux qui offrent ce genre de thérapie sur ce qu'ils doivent faire, sur la façon dont ils doivent traiter leurs clients, ce qu'ils doivent leur dire.
Chose certaine, ce que je sais, c'est que nous avons mis au point un régime qui permet aux clients de savoir ce qui pourrait être révélé au tribunal. Ils le savent dès le début lorsqu'ils commencent à suivre une thérapie, quelle qu'elle soit.
Nous avons mis au point un programme où nous engageons le thérapeute à garder ses notes. Le thérapeute les met sous clé. Il se rend à toute ordonnance du tribunal; et il permet ensuite au juge de décider ce qu'il adviendra de ces dossiers s'il en est saisi.
Ce qui nous ramène à ce projet de loi-ci, et à la perspective d'une personne qui défend des gens accusés d'actes criminels. Nous avons toujours pensé qu'il existe un système judiciaire où l'une des fonctions du juge de première instance consiste à arbitrer les questions d'accès à la preuve et de déterminer aussi l'admissibilité de cette preuve.
Le problème avec ce genre de projet de loi, comme l'a dit mon président, c'est que l'on dépouille dans une large mesure le juge de première instance de cette fonction, et que l'on change la façon dont on détermine l'accès et l'admissibilité dans ce type de cas particuliers uniquement, car il semble qu'on établit ici un régime particulier pour un seul type d'infraction du Code criminel. Quiconque a exercé le droit criminel pendant un certain temps sait que les dossiers de tierces parties constituent parfois un instrument très important pour l'avocat de la défense, et pas nécessairement pour les cas d'infraction sexuelle mais dans tous les cas.
J'irais même jusqu'à dire, sur la foi de mon expérience et de celle de plusieurs de mes collègues, que ces dossiers de tierces parties sont souvent plus importants dans les autres affaires criminelles, et que nous y avons eu accès par le passé. Nous y avons eu accès également dans les cas d'agression sexuelle, et ils nous ont permis d'assurer non seulement une défense pleine et entière mais aussi de parvenir à la vérité dans des procès. Ce genre de loi, sauf tout le respect que nous vous devons, semble nous mener dans une voie différente.
Il y a quelques facteurs dont j'aimerais parler brièvement. Votre projet de loi comporte un préambule. À mon avis, c'est assez inhabituel. Vous en voyez plus que nous, mais j'ose dire qu'il y a très peu de projets de loi qui comportent un préambule comme celui- là. Ce préambule me préoccupe. Il semble dépasser la portée de ce projet de loi et va même, dirait-on, jusqu'à définir des droits issus de la Charte.
J'ai relu la Charte canadienne des droits et libertés. La Charte canadienne des droits et libertés comporte un préambule. Il y est dit: «Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit», et de là on passe à l'article 1, qui garantit les droits et libertés dans des limites raisonnables dont la justification peut se démontrer dans une société libre et démocratique. C'est le préambule qui détermine les droits de la Charte.
En effet, si l'on examine ce préambule-ci - et je crois savoir que d'autres témoins vous ont dit qu'il devrait être incorporé directement dans le projet de loi - littéralement, ce qu'on fait ici, c'est qu'on a un préambule qui est censé interpréter la Charte des droits et qui dit que certains droits issus de la Charte sont applicables et devraient être traités d'une certaine manière, et qu'ils devraient être mis sur le même pied que d'autres droits issus de la Charte.
Sauf tout le respect que je vous dois, j'aurais pensé ici qu'on s'en serait tenu à la Charte elle-même et à ceux qui interprètent la Charte, mais ce qu'on a ici, c'est une loi sur la preuve qui nous dit comment interpréter la Charte.
En effet, cette partie du projet de loi semble être un texte issu de la Charte sans le caractère solennel qu'on y trouve d'habitude. D'après ce que j'en sais, il existe un processus permettant d'adopter une loi issue de la Charte, et ce n'est pas le cas ici.
Dans votre examen du préambule, je vous conseille donc de réfléchir à ce qu'on vous demande de faire ici. Sachez aussi qu'on vous demande de déclarer dans ce préambule des choses qui ne sont peut-être pas valides. On vous demande de dire que les gens ne signaleront pas d'infractions sexuelles si ces dossiers sont communiqués.
Mais qu'en savons-nous? J'ose dire, comme mon président l'a dit avant moi, qu'il n'y a qu'à regarder du côté des tribunaux de Toronto pour s'apercevoir que la vaste majorité des procès qui sont en cours en ce moment sont des affaires d'agression sexuelle. Vous n'avez qu'à lire le Toronto Star pour savoir qu'au cours des deux dernières semaines, 65 personnes se sont plaintes d'avoir été agressées sexuellement dans un édifice historique de Toronto, et pour savoir que les gens ne craignent pas de porter plainte. Ces gens ne se privent pas de porter plainte parce qu'ils craignent que leur dossier pourrait être communiqué à l'avocat de la défense et aux autres parties à ces procédures. Ces gens portent plainte parce qu'ils se croient autorisés à le faire dans les circonstances.
Dans votre examen de ce projet de loi, vous devez aussi vous interroger sur ce qu'on vous demande de faire concernant les dossiers qu'on vous demande de protéger.
Ce projet de loi, pour ce qui est de définir un mot aussi simple que «dossier», dépasse de très loin tout ce qui s'est fait par le passé. Par exemple, à l'article 278.1, où on trouve la définition de «dossier», vous incluez des choses comme les journaux intimes.
Tout d'abord, si l'on parle du journal intime du plaignant, en l'occurrence dans une affaire d'agression sexuelle, il ne s'agit pas d'un dossier d'une tierce partie. Ce ne l'a jamais été. C'est un dossier que le plaignant établit pour ses propres besoins, qui peut être considéré comme étant de nature personnelle parce qu'il s'agit d'un journal intime, et le plaignant ne veut pas que le monde entier en prenne connaissance. Mais chose certaine, par le passé, quiconque a été mêlé à des procédures judiciaires sait qu'un journal intime contient des informations importantes quant à la validité de certaines allégations. Et les deux parties y ont toujours accès. Lorsque l'accusé note une chose dans son journal, le journal peut devenir une preuve contre l'accusé s'il est saisi au moyen d'un mandat établi en bonne et due forme ou d'autres procédures de saisie admises.
Un journal rédigé par un plaignant où il est indiqué que quelqu'un d'autre que l'accusé était responsable a toujours été porté à la connaissance des deux parties et a servi à déterminer la vérité dans les allégations. On vous demande ici d'exclure tout document qui est de nature personnelle et qu'on veut garder pour soi mais qui peut servir à établir la vérité et à déterminer si l'accusé est jugé justement.
Vous devez également vous pencher sur le paragraphe 278.3(4). C'est là où l'essentiel de la bataille se jouera, pour ainsi dire, dans ce projet de loi-ci parce que vous avez créé là un obstacle à la circulation de l'information qui cause beaucoup de difficultés. C'était peut-être l'intention de ce projet de loi, mais il faut être prudent ici. Nous sommes tous d'accord avec cela, mais ce n'est pas seulement parce qu'on demande quelque chose qu'on l'obtient, ou qu'on doit l'obtenir.
Dire à quelqu'un que pour y avoir accès, le dossier doit porter sur l'événement qui fait l'objet du litige revient dans les faits à refuser l'accès à la documentation qui résulterait de la visite que la personne ferait à l'hôpital pour être examinée dans les cas d'agression sexuelle. Dire à quelqu'un qu'on ne peut pas avoir ce dossier parce que cela pourrait prouver qu'il y a eu incompatibilité dans les déclarations antérieures est tout simplement contraire à la loi, contraire à tout précepte qu'on applique dans les procès criminels.
La nature même des procédures, comme mon président l'a dit, est telle qu'on veut savoir si le plaignant a déjà fait des déclarations incompatibles, pour être en mesure de voir comment la personne va réagir à cela et pour que le juge des faits puisse déterminer la validité de la plainte au vu des déclarations antérieures incompatibles. Je pense que nous tous, si jamais on nous reprochait un crime grave, voudrions savoir si le plaignant a déjà fait des déclarations contradictoires.
Dire que vous ne pouvez pas obtenir ce dossier parce qu'il y a absence de plainte spontanée est complètement contraire à la loi telle que nous la comprenons et telle qu'elle a évolué. La nature même de ce genre de procédure est telle que l'un des éléments qu'on fait intervenir, qu'il s'agisse de l'accusé ou du plaignant, c'est le fait qu'on a déjà fait ou non des déclarations compatibles, ou le fait qu'il y ait eu une plainte récente.
La loi dit aujourd'hui qu'une plainte spontanée ne saurait peser dans la balance au cours du procès. Mais la jurisprudence dit que la Couronne peut avancer en preuve le fait qu'une plainte spontanée a été faite pour confirmer le témoignage du plaignant. La jurisprudence fait état d'une série de cas et de situations où l'on montre que cela peut être fait.
Dire maintenant qu'il y a certaines preuves qu'on ne peut plus faire valoir, que le plaignant ne s'est pas plaint en temps opportun, cause non seulement une injustice, mais cela prive aussi l'avocat chargé de la défense d'invoquer l'un de ses principaux arguments - de dire, par exemple, «Vous dites que cet incident s'est produit il y a 15 ans, vous ne vous êtes pas plaint pendant 15 ans, expliquez-vous». On ne saura cela que si on a accès aux dossiers, et si les dossiers montrent qu'aucune plainte n'a été portée.
Dans une situation comme celle-là, vous ouvrez une porte, pour ainsi dire, une porte arrière. C'est-à-dire que vous seriez aux prises avec une allégation sans savoir si la personne s'est plainte récemment ou non. Vous pourriez dire au plaignant qu'il ne s'est jamais plaint et vous retrouver dans une situation où le procureur de la Couronne va invoquer en réponse une preuve qu'il a en sa possession mais que vous n'avez pas, et il va dire qu'on a porté plainte 13 fois par le passé. Ce qui donne un procès injuste, à mon avis, si vous n'avez pas eu accès à ces informations qui vous permettraient de déterminer comment procéder.
Voilà la nature de ce genre de projet de loi. Aucun avocat de la défense ne va se plaindre du fait que le juge doit avoir un moyen quelconque de déterminer si de tels documents doivent être communiqués à la défense.
Nous en avons cependant contre le fait qu'avec ce projet de loi-ci, il sera presque impossible au juge de prendre une telle décision. Avec cette loi-ci, il nous sera presque impossible d'aller au fond des choses pour organiser notre défense.
Ce qu'il faut faire, à mon avis - je parle ici en mon nom personnel mais je pense que mes collègues seraient d'accord - c'est que si ce genre de situation se produit, les documents devraient être soumis au juge du procès. Nous sommes disposés à accepter que le juge du procès décide s'il y a des éléments pertinents dans ces documents. Si c'est la protection de la vie privée qui vous préoccupe, sachez que la seule personne qui verra ces documents sera le juge du procès.
Dans ce projet de loi-ci, vous avez une série de mécanismes qui protègent le droit à la vie privée pour ce qui est de la non- divulgation, de la non-publication, des mécanismes qui ne vous permettent pas de communiquer des documents à une personne autre que l'avocat de la défense qui prépare son procès. Vous avez là un régime qui protège ce droit à la vie privée.
En fait, ce que nous vous demandons, c'est de permettre au juge de faire son travail équitablement.
C'est tout ce que j'ai à dire. Merci.
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Merci.
[Français]
Vous pouvez maintenant poser vos questions, madame Gagnon. Vous avez 10 minutes.
Mme Christiane Gagnon (Québec, BQ): Nous avons entendu de tout autres arguments au cours des derniers jours de la part des intervenantes représentant des groupes de femmes. La plupart du temps, ce sont des femmes qui sont agressées sexuellement, de même que les enfants.
Les indications que vous avez données diffèrent totalement de celles que contenaient les témoignages que nous avons entendus. Entre autres, ces intervenantes nous ont dit que les femmes étaient découragées, qu'elles n'allaient pas consulter de façon aussi libre qu'elles le faisaient et que les plaintes étaient en diminution.
Vous dites, par contre, que les demandes abusives de dossiers n'ont pas augmenté. Vous dites, à l'inverse aussi, que cela ne décourage pas les plaignantes de porter plainte. C'est donc tout à fait une autre façon de voir les choses, parce qu'on n'est pas du tout du même avis selon les intérêts que l'on défend.
Ce qu'on nous a dit aussi, c'est que les informations sur le contenu de rencontres ou de thérapies ne pouvaient servir à appuyer un dossier d'agression sexuelle, car elles sont sujettes à interprétation. Ce ne sont pas des notes écrites de façon... Souvent les notes ne rapportent pas les propos textuellement. Elles sont le résultat d'interprétations. En conséquence, la plupart des intervenantes auraient aimé qu'aucun dossier ne puisse être transmis.
Cependant, indépendamment de cette position, elles se sont montrées contentes de l'esprit du projet de loi C-46. Elles ont apporté quelques recommandations, comme vous le faites ce matin. Je ne sais pas comment on arrivera à concilier les deux points de vue car votre argumentation, ce matin, diffère totalement de la leur.
Selon vous, surtout vous, monsieur Durno, les plaignantes ne seraient pas découragées. Au contraire, les plaintes... Est-ce que vous avez des chiffres à l'appui de ce que vous avancez? Sur quoi vous basez-vous pour nous donner une telle interprétation de la situation?
[Traduction]
M. Durno: Très franchement, c'est basé sur le fait que je plaide en cour criminelle du lundi au vendredi pratiquement 50 semaines par année, et sur le fait que je vois les rôles. Je peux vous dire que dans le cadre d'un travail que je faisais avec mes confrères du Régime d'aide juridique de l'Ontario, nous avons essayé d'obtenir ces chiffres.
Dans certains districts, il y a un procureur de la Couronne qui est en quelque sorte le coordonnateur des rôles de la Cour supérieure. C'est en discutant avec des gens à Toronto, et des gens de l'extérieur de Toronto aussi, que j'en suis arrivé au nombre de causes qui font l'objet d'un procès.
Vous n'avez qu'à entrer au palais de justice de Toronto et examiner les rôles pour voir quelles accusations on porte. D'ailleurs, vous n'avez même pas à aller au tribunal. Il y a un kiosque d'information à l'entrée. Voyez le nombre d'accusations pour agression sexuelle. Je me fonde sur ce que je vois dans les tribunaux. Si quelqu'un d'autre dit qu'il a entendu autre chose ailleurs... Je n'arrive pas à croire comment on pourrait dire que le nombre de poursuites pour agression sexuelle et autres poursuites connexes n'a pas augmenté substantiellement au cours des quelques dernières années.
J'ai demandé à l'un des coordonnateurs de me donner un chiffre exact, et j'ai obtenu un chiffre approximatif. Chose certaine, pour la majorité des cas où il y a procès, je ne crois pas que cela fasse le moindre doute. Si vous faites exception des affaires de drogue, qui comptent pour à peu près40 p. 100 du rôle à Toronto, je crois, les cas où il y a procès sont les cas d'agression sexuelle.
Je peux recontacter ces gens et leur demander la permission de vous donner un chiffre. Mais je pense qu'on peut parvenir au même résultat rien qu'en comptant le nombre d'inculpations en suspens à Toronto.
M. Koziebrocki: Je voudrais ajouter un mot, de mon point de vue. Ces temps-ci, je m'occupe surtout de dossiers d'appel. Il y a 20 ans que je fais ce genre de travail et je peux vous dire que dernièrement, le nombre d'affaires d'agression sexuelle portées en appel a augmenté en flèche.
Je dirais que les affaires d'agression sexuelle représentent entre le tiers et la moitié des appels dont je m'occupe maintenant. À titre indicatif, il y a 10 ou 15 ans, seulement 10 p. 100 des cas étaient dans cette catégorie. Il y a eu une augmentation énorme.
Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que c'est en partie à cause du climat, pour ainsi dire, qui permet maintenant de signaler les agressions de ce genre, parce qu'il n'est plus honteux de déclarer avoir été victime d'une telle agression, en comparaison de ce que c'était dans le passé.
Il suffit de jeter un coup d'oeil à la liste des affaires pour savoir qu'il y a eu une augmentation spectaculaire de ce genre d'affaires devant les tribunaux.
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Monsieur Bloos.
M. Bloos: Je suis d'accord avec ce que Bruce et Irwin ont dit, mais à ceux qui disent qu'on décourage les plaignants, je pose la question: qu'en savons-nous? S'ils ne déclarent pas l'agression, comment savons-nous qu'on les décourage? Qui plus est, en supposant que quelques-uns soient dissuadés de déclarer leur cas, savons-nous pourquoi ils ne l'ont pas fait? Est-ce parce qu'ils craignent la divulgation de leur dossier? Est-ce parce qu'ils craignent que toute l'affaire soit rendue publique? Est-ce parce qu'ils craignent le contre-interrogatoire? Il peut y avoir bien des raisons.
Par conséquent, c'est peut-être une erreur que de fonder ce projet de loi, qui modifie en profondeur le système de justice que nous avons en place au Canada et qui a été édifié au fil des deux derniers siècles, sur la foi de chiffres dont nous ne savons rien et que nous ne pouvons pas quantifier de façon empirique. Tant que nous ne saurons pas de façon certaine qu'il y a effectivement un grand nombre de plaignants qui ne déclarent pas leur cas pour telle ou telle raison, je trouve qu'il est dangereux de légiférer sur cette base.
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Madame Gagnon.
[Français]
Mme Christiane Gagnon: Vous avez aussi soulevé un autre point. Je ne sais pas si le terme est bien choisi, mais vous semblez un peu froissé de ce que le projet de loi C-46 ne ferait pas suffisamment confiance à la magistrature
Les intervenantes qui sont venues témoigner ici nous ont dit de leur côté que le jugement qu'on porte sur la qualité de leur témoignage fait que les femmes ne sont pas prises au sérieux. Selon les intervenantes, il faudrait avoir accès à des dossiers personnels.
Tout comme vous, elles sentent un manque de confiance envers les femmes. Le syndrome du faux mensonge vient aussi s'ajouter à cela. Les juges seraient plutôt d'une école sans grande ouverture d'esprit envers la situation des femmes. Les juges auraient certains préjugés négatifs qui influenceraient leur perception des femmes. Elles ressentent une atteinte à leur intégrité.
Vous ressentez un peu la même chose, mais dans un autre sens et pour d'autres raisons.
[Traduction]
M. Durno: Certains diront que les juges ne sont tout simplement pas sensibles à ces questions. Les juges suivent une formation. Les juges voient leurs décisions et leurs observations scrutées à la loupe par la Cour d'appel ou la Cour suprême du Canada. S'ils ne sont pas sensibles aux questions pertinentes, leur décision peut être portée en appel. On tient compte de ces questions et, à mon avis, il est indéfendable de dire qu'on ne peut pas faire confiance à un juge en lui demandant d'examiner le dossier et de rendre une décision en conséquence, comme on l'indique dans la décision R. c. O'Connor... Compte tenu de l'état de la magistrature au Canada, il est déplorable de voir que tel est le motif invoqué pour légiférer en la matière.
M. Koziebrocki: Je voudrais revenir brièvement aux appels. Si l'on ne peut pas faire confiance aux juges, pourquoi dois-je m'occuper d'un aussi grand nombre d'appels dans des affaires coupables d'agression sexuelle? Dans ces affaires, des gens ont été reconnus d'actes criminels, habituellement par un juge de première instance. On est manifestement quelque peu sensible aux plaignants, peu importe qu'ils soient des enfants, des hommes ou des femmes. Je ne pense vraiment pas qu'il y ait un problème pour les tribunaux actuellement.
Dans beaucoup de ces affaires, la question qui se pose en fin de compte, est de savoir si les témoins sont crédibles dans certaines circonstances, compte tenu de la preuve qui est présentée. De dire qu'il faut adopter une mesure législative comme celle-ci parce que l'on n'a pas confiance aux mesures judiciaires, c'est vraiment une gifle pour tous les intervenants dans le système judiciaire. Au Canada, nous sommes fiers de notre système judiciaire auquel nous faisons une confiance absolue. C'est un élément fondamental de notre démocratie, et quand on vient dire que l'on ne peut plus faire confiance à ce système et qu'il faut légiférer en se fondant sur un pareil principe, c'est vraiment inquiétant.
M. Bloos: Au sujet du syndrome de la mémoire fictive, je sais que le comité est déjà saisi de deux lettres émanant d'experts en la matière. Dans sa lettre du 10 janvier 1997, le dr Perry Campbell décrit les dangers des faux souvenirs et traite des affaires sur lesquelles il a travaillé et dans lesquelles des thérapeutes ont réussi à modifier les souvenirs de la plaignante.
Il y a une autre lettre du dr Merskey, professeur à l'Université Western Ontario, datée du10 septembre 1996. Il signale que des études aux États-Unis ont établi que beaucoup de plaintes d'agression sexuelle étaient fausses, dans une proportion pouvant atteindre 40 p. 100. Ce fait a été établi à la suite de confessions faites par les plaignantes elles-mêmes qui ont avoué que leurs plaintes étaient non fondées ou grâce à des enquêtes policières ayant permis d'établir l'innocence de l'accusé.
Pour ce qui est des juges, je suis de l'Alberta; c'est dans cette province que je travaille. L'Alberta n'est guère réputée pour sa sensibilité politique. Pourtant, les avocats de la défense de cette province s'entendent généralement pour demander un procès devant jury dans les cas d'agression sexuelle, estimant que l'on obtient alors une audition plus équilibrée de la preuve. On a le sentiment que les juges sont maintenant devenus tellement sensibles à toutes les nuances de la rectitude politique qu'ils ont plutôt tendance à pencher en faveur de la plaignante, quitte à se tromper. On a parfois l'impression que l'accusé ne bénéficie plus de la présomption d'innocence et qu'il doit prouver plutôt qu'il n'est pas coupable.
Par conséquent, l'argument selon lequel on ne peut faire confiance aux juges pour traiter comme il convient des renseignements très délicats ne me semble nullement convaincant. D'après mon expérience d'avocat de la défense, j'ai plutôt l'impression que les juges penchent le plus souvent en faveur de la plaignante dans les affaires délicates de ce genre.
Je concède qu'il y a certains juges dont on ne saurait en dire autant, mais dans l'ensemble, les juges sont très sensibles à ces questions. Je ne crains absolument pas qu'ils ne puissent s'occuper de ces cas avec toute la prudence et la sensibilité requises.
[Français]
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Merci beaucoup. Madame Ablonczy, vous avez dix minutes.
[Traduction]
Mme Diane Ablonczy (Calgary-Nord, Réf.): Merci, madame la présidente.
Je regrette de n'avoir pu assister à votre exposé, mais nous avons entendu antérieurement un certain nombre de témoins et je crois que les questions ont été présentées assez clairement au comité.
Ma première question - je m'excuse à l'avance si l'on a déjà posé des questions semblables. Peut-être la présidente me le laissera-t-elle savoir si ma question est répétitive.
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Très bien.
Mme Diane Ablonczy: Je crois comprendre que c'est un nouveau phénomène que l'on puisse demander de consulter les dossiers personnels dans les affaires d'agression sexuelle. Vous dites qu'il faut pouvoir consulter ces dossiers pour présenter une défense pleine et entière. Je suppose qu'auparavant, avant qu'il devienne possible d'exiger de prendre connaissance de ces dossiers, il était possible d'offrir une défense solide dans ces affaires. Je voudrais votre opinion là-dessus.
M. Koziebrocki: Je crois qu'il a toujours été possible de prendre connaissance des dossiers de ce genre.
Pour ce qui est du passé, nous avons dit tout à l'heure que les dossiers de ce genre n'existaient pas vraiment auparavant, avant la création des centres d'accueil des victimes de viol, des lignes téléphoniques, etc. Avant, il n'y avait pas ce genre de soutien systématique qui existe maintenant et qui permet de constituer cette documentation.
Dans le passé, les dossiers que nous recevions étaient des dossiers d'hôpitaux, à l'occasion. Cela a toujours existé. Nous avons toujours pu consulter ces dossiers. En fait, c'est surtout dans les cas d'homicides que je pouvais les consulter le plus souvent et ces dossiers étaient très précieux pour présenter une plaidoirie. Il était possible, dans le passé, de consulter les journaux intimes tenus par une personne, que ce soit la plaignante ou quelqu'un d'autre.
Le nouveau phénomène, pour ainsi dire, n'a rien à voir avec le fait que nous n'y avions pas accès auparavant; c'est plutôt que la plus grande partie de ces dossiers n'existaient pas avant. Par conséquent, ce n'est pas un élément qui était inacceptable il y a 20 ans et qui devient acceptable aujourd'hui; c'est plutôt un élément qui existe aujourd'hui et qui n'existait pas sous cette forme il y a 20 ans.
M. Durno: La comparaison à l'époque où nous avons commencé à pratiquer, le nombre de thérapeutes et de pseudo-thérapeutes a considérablement augmenté. Prétendre que nous pouvions assurer une défense pleine et entière en 1975... s'il n'y avait ni thérapeutes ni centres d'accueil des victimes d'agression sexuelle, l'argument n'a pas de poids. Si cela n'existait pas, il n'y avait pas de dossiers.
M. Bloos: Je reviens à la lettre du dr Campbell où il parle du livre The Courage to Heal publié en 1988. Les premières difficultés et les premières conséquences de ce genre de littérature sur les souvenirs qui refont surface ont commencé à paraître aux États-Unis après 1988.
Au Canada, la Criminal Lawyers' Association a donné l'exemple en ce qui concerne la présentation d'informations scientifiques. C'était en 1993 et en 1994 à Toronto, à l'occasion de la première conférence sur ce sujet tenue au Canada. Des spécialistes du monde entier y ont assisté - des psychiatres, des psychologues - des spécialistes des souvenirs, de la perception des enfants, etc. Pour la première fois, le débat et l'information portaient précisément sur les risques éventuels d'une thérapie mal orientée ou mal organisée, etc., dispensée par des personnes n'ayant pas la formation voulue.
Nous n'avons tout simplement pas disposé de l'information nécessaire pendant longtemps. Évidemment, quelque chose qui a commencé aux États-Unis, peut-être au cours des années 80, a pris un peu de temps à parvenir au Canada. Nous apprenons maintenant les mêmes choses que ce que l'on a constaté aux États-Unis où il y a beaucoup de scepticisme et où les tribunaux rejettent maintenant, d'emblée, les dossiers des thérapeutes sur la mémoire retrouvée, et ce genre d'allégations.
Il y a donc l'aspect des nouvelles preuves et données scientifiques qui nous parviennent des milieux scientifiques. Voilà pourquoi c'est assez récent. Je partage l'avis de mes amis, il y a toujours eu certains dossiers de disponibles, dossiers que l'on pouvait se procurer.
Mme Diane Ablonczy: Évidemment, comme vous le savez, dans tout ce domaine, on se préoccupe surtout du bien-être et des intérêts de la plaignante qui est une victime réelle d'agression sexuelle et du traumatisme et du stress émotif presque incroyable que provoque l'agression sexuelle.
Dans de nombreux témoignages, on nous a dit que les femmes - et ce sont en général des femmes, mais pas uniquement - ont désespérément besoin d'aide, d'encouragement, d'appui, de compréhension, et de pouvoir partager très ouvertement et très honnêtement afin de faire face à la situation et d'en ressortir entières. Savoir que tout ce qu'elles disent peut et sera utilisé contre elles est une expérience personnelle trop négative dans notre société pour celles qui ont déjà beaucoup souffert, d'être encore la proie de chasse aux renseignements si on peut dire.
Je pense que vous avez dû réfléchir à l'intérêt public et à l'intérêt personnel des victimes du crime. Pouvez-vous nous proposer une formule qui permette d'atteindre un équilibre si tout et n'importe quoi peut faire l'objet d'un examen et être utilisé comme le font les avocats brillants afin de tenter d'exonérer l'accusé.
M. Durno: Il est faux de penser que c'est ouvrir la chasse aux renseignements. Ce n'est pas le cas. Il faut d'abord franchir un premier obstacle et ensuite soumettre le dossier au juge. Je ne vois pas de dossier. Mon client ne le voit pas. Je n'examine pas chaque mot qui s'y trouve. Si le juge détermine qu'il y a des éléments dans le dossier qui peuvent servir pour assurer une défense pleine et entière, après les avoir soumis au test de pertinence, nous pouvons voir le dossier.
Ce n'est pas ouvrir la chasse aux dossiers. On doit démontrer la pertinence dans le contexte de l'affaire et s'il y a examen du dossier, c'est le juge qui s'en charge, le juge qui n'est pas le défenseur de l'accusé.
Du point de vue des avocats, les affaires de ce genre sont difficiles à défendre et si l'avocat veut, devant le juge ou le jury, adopter une attitude abusive à cause de ce qu'il y a dans les dossiers, s'il va trop loin, il ne fera que nuire à son client. En effet, ce n'est pas du tout dans l'intérêt de l'accusé.
Craindre qu'une fois que vous vous adressez à la police, une fois que vous portez officiellement plainte, votre vie devient un livre ouvert, est à mon humble avis une attitude qu'on ne devrait pas avoir à l'heure actuelle au Canada, si je me fonde sur l'arrêt O'Connor. Dans ma pratique et dans celle de nos membres devant les tribunaux criminels, ça ne se passe pas comme on le prétend.
Mme Diane Ablonczy: J'ai encore une autre question si j'en ai le temps.
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Vous avez 30 secondes.
Mme Diane Ablonczy: Que répondez-vous à ceux qui prétendent qu'il faut s'assurer que tous les Canadiens soient égaux devant la loi, vu les différences relevées dans la façon dont les femmes surtout sont traitées dans de tels cas?
L'un des principes sous-jacents de ce projet de loi, c'est toute cette question d'égalité et je suis persuadée que vous y avez réfléchi. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Koziebrocki: À mon avis, le droit criminel n'est pas un concours. Ce n'est pas un concours entre un plaignant et un accusé. On présente une allégation d'acte criminel. Comme société civilisée, nous avons mis au point des règles sur la façon de traiter ce genre d'allégations d'acte criminel. L'accusé jouit d'une certaine protection comme tous les autres membres de cette collectivité - hommes, femmes, enfants - accusés d'un acte criminel.
Nous sommes d'accord avec vous de tout coeur lorsque vous dites que les victimes d'agression sexuelle ont besoin de tous les soins possibles pour recommencer à mener une vie normale. Personne n'en doute. Toutefois, au cours d'un procès criminel, certaines questions sont présentées qui n'ont rien à voir avec l'égalité, au sens où nous l'entendons, vous et moi, lorsque nous disons que nous sommes égaux devant la loi. Il s'agit plutôt de déterminer comment nous présentons l'affaire du point de vue du plaignant et du point de vue de l'accusé.
Dans ce contexte, si quelqu'un a préparé un document où il est dit que c'est Sam qui l'a fait, mais que c'est Harry qui en est accusé, si vous étiez Harry, vous voudriez certainement connaître l'existence de ce document où l'on allègue que c'est Sam le responsable parce que cela vous permettrait de vous défendre beaucoup plus adéquatement au cours de cette procédure criminelle.
Les questions d'égalité présentées ici ne sont pas nécessairement les questions d'égalité dont on doive tenir compte dans le contexte de la recevabilité ou de la disponibilité des éléments de preuve.
M. Bloos: En outre, la Cour suprême a tranché cette question - du moins la majorité de ses membres - dans l'affaire O'Connor. Elle a reconnu qu'il n'y avait aucune hiérarchie de droits. Un accusé ne peut pas dire: «J'ai droit aux termes de l'article 7 à une défense pleine et entière et celle-ci l'emporte sur votre droit à la vie privée». Le tribunal a reconnu que nous devons parvenir à un équilibre, ce que les juges ont fait.
L'un des principes fondamentaux du droit canadien, sur lequel repose la Charte, et même la Chambre des communes, c'est la défense du droit de la personne de ne pas être punie ou emprisonnée arbitrairement. À mon avis, si la Chambre et la Charte des droits ne sont pas là pour protéger la liberté, alors, ils n'ont aucun but important. D'autre part, il y a le droit à la vie privée.
Le tribunal a statué qu'afin de s'assurer que les coupables ne sont pas punis et emprisonnés d'une part, alors que l'on piétine les droits à la vie privée d'autre part, il allait établir un seuil pour l'accusé. Ce dernier doit démontrer qu'il y a pertinence vraisemblable. Il doit aller plus loin que le simple fait que la personne a consulté un thérapeute. Il doit pouvoir identifier un critère quelconque.
Dans ce projet de loi et dans les huit facteurs qui s'y trouvent, le problème vient du fait que quatre ou cinq de ces derniers éliminent tous les critères pertinents, tels que la crédibilité ou l'incompatibilité, etc. Nous y favorisons le droit à la vie privée, un droit à la vie privée généralisé qui, à mon avis, l'emporte sur le droit de l'accusé à un procès équitable aux termes de l'article 7, malgré le fait que les spécialistes prétendent que jusqu'à 40 p. 100 des allégations de ce genre sont peut-être sans fondement.
Nous ne parlons pas d'un rare cas de déni de justice. Nous parlons en fait d'un nombre très élevé d'éventuelles fausses allégations. Voilà pourquoi il faut maintenir l'équilibre qu'on a en fait atteint dans l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire O'Connor et c'est pourquoi, ce projet de loi, à mon avis, va trop loin.
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Merci. Je vous ai accordé 15 secondes extrêmement généreuses.
Mme Diane Ablonczy: Je vous en suis reconnaissante, madame la présidente.
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): C'était un tour double.
Monsieur Bloos, je veux vérifier quelque chose. Vous venez de mentionner que 40 p. 100 des accusations ou affaires devant les tribunaux sont fausses.
M. Bloos: C'est dans la lettre du dr Campbell du 10 septembre 1996.
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): J'imagine que vous allez nous fournir l'étude d'où sont tirés ces chiffres. Je pense qu'il s'agit d'ailleurs d'une étude américaine et non pas d'une étude canadienne.
M. Bloos: Oui. J'espère l'avoir dit clairement.
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Pas dans vos dernières remarques.
M. Bloos: Je m'excuse. Oui, il se fonde sur des études de cas américaines...
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Il s'agit d'accusations et non pas d'affaires devant les tribunaux...
M. Bloos: En effet.
[Français]
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Monsieur DeVillers, s'il vous plaît. Vous avez 10 minutes.
[Traduction]
M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.): Merci, madame la présidente.
Au sujet des normes qui sont différentes, si je vous disais que j'étais allé raconter à la police que je m'étais rendu dans un bar, que j'y avais rencontré quelques types, que nous avions regardé la partie de hockey, que nous étions sortis du bar et qu'ils m'avaient agressé pour prendre mon porte-monnaie, est-ce qu'au cours du procès, on vérifierait ma crédibilité comme témoin autant que s'il s'agissait d'une affaire d'agression sexuelle? Si j'étais une femme et que je dise que je me suis rendu dans un bar, que j'ai pris quelques bières, que j'ai été agressée sexuellement, est-ce que ma crédibilité ne ferait pas l'objet d'un examen plus attentif que dans le cas de mon premier exemple?
M. Durno: Certainement. Si la crédibilité est au centre de l'affaire, c'est la question qui retiendra l'attention. Si nous avons des preuves montrant que la personne qui est sortie du bar est un menteur pathologique reconnu, ce serait injuste et un déni de justice de ne pas faire ressortir ce point.
Donc, si c'est une question de crédibilité, il en sera question. On se procure l'information disponible qui permet d'évaluer la crédibilité d'un témoin clé si la crédibilité est au coeur de l'affaire.
M. Paul DeVillers: D'après votre expérience, est-ce que la crédibilité est importante aussi souvent dans une affaire de voies de fait que dans une affaire d'agression sexuelle?
M. Durno: Tout dépend des instructions que vous donne votre client. S'il vous dit qu'il n'est pas coupable, qu'il n'était même pas là, si c'est une question d'identité, la crédibilité est certainement un facteur important, mais les divers aspects de l'identification le sont aussi. Si votre client prétend qu'il était là, que la personne s'en est prise à lui, cela devient une question pure et simple de crédibilité, certainement.
M. Paul DeVillers: Oui, mais il faut que la crédibilité soit en jeu avant qu'elle ne fasse l'objet du même examen. C'est ce que vous me dites?
M. Durno: Ce serait mon...
M. Koziebrocki: Les dossiers d'agression sexuelle suivent différentes voies. S'il s'agit d'une affaire où la plaignante a été transportée à l'hôpital et où il y a de nombreuses preuves physiques d'agression sexuelle, vous n'allez pas dire: «Je ne crois pas que vous avez été agressé sexuellement». L'affaire pourrait par contre porter sur l'identification, si la victime peut identifier son agresseur.
Incontestablement, il y avait un agresseur, mais c'est comme les autres affaires - un vol, une agression - où il s'agit finalement d'identifier l'agresseur en particulier. Dans de tels cas, le profil psychiatrique de la personne ne serait sans doute pas en cause à moins que ce ne soit quelque chose qui pourrait fausser l'identification.
M. Durno: Si comme plaignant, vous vous étiez rendu chez votre médecin pour lui raconter que vous aviez sorti un couteau avant les coups de poing mais que vous n'en faites pas mention dans votre déclaration à la police, ce serait très curieux si cela n'était pas admis comme élément de preuve.
M. Paul DeVillers: Monsieur Durno, je pense que vous avez mentionné que ce projet de loi était, en fait une insulte à la magistrature. Vous avez dit qu'il révèle qu'on n'a aucune confiance dans la magistrature, que l'on pense les juges incapables de prendre les décisions qu'ils prennent actuellement en se fondant sur les précédents.
D'après mon interprétation du projet de loi, la discrétion des juges demeure, bien que je reconnaisse que la norme est plus élevée et que les critères sont plus exigeants pour obtenir que les dossiers soient présentés.
M. Durno: Je pense que c'est la même différence qu'entre la colline du Parlement et le mont Everest.
Des voix: Oh, oh!
M. Paul DeVillers: La discrétion des juges pour parvenir à la décision existe toujours, n'est-ce-pas?
M. Durno: L'obligation de répondre aux critères dont parlait M. Koziebrocki avant que le juge ne puisse même voir les dossiers constitue, à mon avis, un obstacle insurmontable. On ne parviendra jamais à ce point. Vous demandez au juge de prendre une décision sur la pertinence d'un dossier alors que le juge ne sait pas qu'il existe.
Est-ce qu'il demeure une certaine discrétion? Oui, mais du point de vue d'assurer des procès équitables, d'éviter les dénis de justice et les éventuels dénis de justice, je maintiens ce que j'ai dit. Il ne s'agit pas ici d'une légère modification à la décision O'Connor.
M. Paul DeVillers: Ma dernière question s'adresse à M. Bloos.
Dans le résumé de votre mémoire, aux points deux et trois sur les problèmes, vous dites que ce projet de loi permet à la Couronne de recevoir et même d'obtenir un mandat visant les dossiers d'une tierce partie alors que l'accusé n'a pas ce même droit et vous précisez: «Il établit une norme de renonciation inappropriée pour les plaignants qui permet à ces derniers de communiquer leurs dossiers à la Couronne sans les remettre à l'accusé». Toutefois, la Couronne n'a-t-elle pas l'obligation comme représentant du tribunal de dévoiler tout élément de preuve en sa possession.
M. Bloos: Je pense que ces dispositions supplantent cette obligation. Je pense que la Couronne serait probablement en conflit, mais quoi qu'il en soit, le projet de loi est clair: sans renonciation du plaignant, la Couronne ne peut rien dire au sujet des dossiers. Tout ce que peut faire le procureur, c'est dire qu'il a des dossiers, mais sans dire ce qu'ils contiennent, et il ne les communiquera pas à l'avocat de la défense. À moins que l'accusé ne puisse présenter une demande qui sera agréée aux termes de ce projet de loi - ce qui est fort peu probable à mon avis - , il ne verra pas les dossiers.
Lorsque j'ai lu les questions que ce comité avait fait parvenir à Mme Kane, j'ai conclu que cela revient à la façon dont l'accusé obtiendrait les documents s'il ne savait pas ce qui s'y trouve mais qu'ils sont fort probablement pertinents - c'est-à- dire, si les documents portent sur l'agression même, s'ils ont été rédigés au moment même de l'événement ou s'il s'agit des tout premiers documents préparés.
On a dit que l'on pourrait convoquer d'autres témoins. Mais quels autres témoins? Comment savoir ce qu'ils savent?
Est-ce que l'on va à la pêche - c'est un problème qui a été soulevé - non seulement pour que le juge se prononce sur les dossiers, mais également pour prolonger les procédures devant les tribunaux, afin de pouvoir convoquer tous ces témoins dans le but de déterminer si l'accusé peut maintenant démontrer une raison d'obtenir les dossiers?
M. Paul DeVillers: Donc ces préoccupations reposent sur votre position que la renonciation supplante l'obligation de la Couronne.
M. Bloos: Oui.
M. Paul DeVillers: C'était toutes mes questions, madame la présidente.
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Merci.
Il y a encore M. Maloney et M. Bryden, donc nous allons faire un autre tour.
M. John Maloney (Erie, Lib.): Je voudrais poser une brève question. À propos de ce que disait Mme Gagnon, d'après les témoignages que nous avons déjà entendus, seulement 6 p. 100 des victimes portent plainte. La police rejette 30 p. 100 de ces plaintes, ce qui laisse environ les deux tiers. Autrement dit, 4 p. 100 des cas se rendent devant les tribunaux.
Même si le rôle des causes est très chargé, est-il possible que ces chiffres soient exacts? Y a-t-il un si grand nombre de cas d'agression sexuelle que... ou bien y a-t-il contradiction entre ces deux affirmations?
M. Durno: Je répète que nous voudrions bien voir l'étude américaine. Je voudrais aussi voir l'étude canadienne montrant que seulement 6 p. 100 des victimes portent plainte. Sur quoi se fondent ces chiffres? Comment peut-on les calculer? Vous dites que la police rejette 30 p. 100 des allégations d'agression sexuelle? Ce n'est pas ce que j'ai constaté moi-même.
Ces chiffres portent-ils sur 1996 et 1997 ou bien sur les années 80?
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Si je ne m'abuse, ces chiffres viennent de Statistique Canada et portent sur 1993.
M. Koziebrocki: A-t-on calculé le pourcentage d'après le nombre de plaintes ou d'appels faits aux centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle, par exemple?
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): J'imagine que nous pourrons obtenir l'étude de Statistique Canada pour le comité.
M. Koziebrocki: Je n'ai pas l'impression que quelqu'un parmi mes collègues pourra répondre à la question, mais j'imagine que les centres d'aide aux victimes reçoivent énormément d'appels et que bon nombre restent sans suite. Si c'est ce que reflète le pourcentage, je pense que vous devriez vous en assurer. Nous ne pouvons pas le faire nous-mêmes.
Pour ce qui est du pourcentage de 30 p. 100 que rejetterait la police, nous ne pouvons nous fier qu'à notre propre expérience, par exemple avec les services policiers de Toronto. Tous ceux qui font affaire avec la Police de Toronto sauront que, lorsque quelqu'un allègue avoir été victime d'une agression sexuelle, la Police de Toronto dresse un rapport et cela donne presque toujours lieu à des poursuites.
La Police de Toronto juge que, si quelqu'un fait une telle allégation, à moins qu'on puisse établir qu'elle est fausse, c'est aux tribunaux à décider.
M. John Maloney: J'ai une dernière question qui est peut-être de nature personnelle. Si votre fille ou votre femme était victime d'une agression sexuelle, vu qu'un procès peut être éprouvant pour la victime à cause du contre-interrogatoire, de la communication des dossiers, et ainsi de suite, lui conseilleriez-vous d'aller jusqu'au procès dans l'état actuel des choses.
M. Koziebrocki: Je devrai poser la question à ma femme parce qu'elle est l'avocate de la Couronne.
Des voix: Oh, oh!
M. John Maloney: Que lui conseilleriez-vous si vous étiez son avocat?
M. Durno: Je lui dirais oui.
M. Koziebrocki: Tout à fait.
M. Durno: Ces chiffres montrant que 94 p. 100... Comme l'a dit Marvin tantôt, nous ne pouvons pas dire pourquoi ces cas n'aboutissent pas à un procès. Quant à dire que c'est à cause de l'affaire O'Connor... S'il s'agit d'une étude de 1993, elle a de sérieuses lacunes puisque la décision sur l'affaire O'Connor a été rendue seulement en 1995. Je pense que ce serait une grave erreur d'attribuer ce chiffre de 94 p. 100 à l'affaire O'Connor. Pour ce qui est de l'autre chose, je lui conseillerais certainement d'aller de l'avant.
M. Koziebrocki: C'est ce que je ferais certainement vu que j'ai trois filles.
M. Durno: Et j'en ai une.
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): D'après moi, si certains pensent que le nombre de cas rapportés a diminué c'est que, depuis l'adoption de la Loi sur la protection des victimes de viol, il semble qu'il arrive plus souvent qu'auparavant depuis 1992 qu'il y ait automatiquement une assignation à produire tous les dossiers disponibles, peu importe que cela se soit fait ou non dans le passé. Je pense que c'est cela que voulaient dire les témoins.
M. Durno: Une assignation automatique à produire tous les dossiers dans tous les cas?
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): On nous a remis une analyse de 140 cas qui étaient pour la plupart des cas d'agression sexuelle. Il y avait eu assignation à produire les dossiers dans tous les cas. Nous pouvons vous obtenir cette étude qui venait de l'ANFD.
M. Durno: Vous devriez comparer ces chiffres avec le nombre total de cas d'agression sexuelle pour déterminer dans quel pourcentage des cas on présente une assignation à produire. Le fait de produire 140 cas est...
M. John Bryden (Hamilton - Wentworth, Lib.): Je voudrais poser une question, si vous me le permettez, madame le président. On nous appelle pour le vote et j'ai deux brèves questions à poser.
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): J'allais vous donner la parole, monsieur Bryden. Je ne suis pas une madame le président. Le timbre se fera entendre pendant une demi-heure et nous allons continuer à siéger jusqu'à 11 h 15.
M. John Bryden: Excellent. Merci, madame le président. Je m'excuse.
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Merci.
Monsieur Durno, aviez-vous terminé?
M. Durno: Oui.
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Monsieur Bryden, vouliez-vous poser une question?
M. John Bryden: J'ai quelques questions à poser.
Je voudrais que vous m'aidiez vu que je ne suis pas avocat. Ma question la plus simple est celle-ci: si j'appuie le projet de loi sous sa forme actuelle, est-ce que cela augmentera considérablement les chances qu'on envoie des innocents en prison?
M. Durno: Oui.
M. Bloos: Oui.
M. John Bryden: Vous êtes tous d'accord.
Deuxièmement, j'ai assisté à une séance d'information du ministère de la Justice, au sujet de ce projet de loi. Cela m'a bien intéressé de vous entendre dire qu'il faut faire confiance au juge, parce que quand j'ai demandé pourquoi il fallait adopter les dispositions contenues aux paragraphes 278.3(4) et 278.5(2), on m'a dit que c'était justement parce qu'on ne pouvait pas faire confiance aux juges et qu'il s'agissait de directives pour s'assurer que les juges fondent leurs décisions sur ces directives.
Vu ce que vous avez dit jusqu'ici, est-ce que cela ne porte pas atteinte à la crédibilité même de tout notre système judiciaire?
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Il me semble que votre question se fonde sur des ouï-dire au sujet de propos de fonctionnaires du ministère de la Justice.
M. John Bryden: Non, j'avais pris des notes, madame le président, et le comité pourra les obtenir s'il les demande.
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Madame la présidente.
M. Durno: Oui, c'est une critique. La Cour suprême du Canada établit des lignes directrices à l'intention des juges qui entendent ces demandes. C'est ce que la Cour suprême a fait dans sa décision sur l'affaire O'Connor. Les juges ont déjà des lignes directrices à propos de l'affaire O'Connor. Si l'on dit maintenant que les juges ne vont pas les respecter... Si un juge commet une erreur, on peut interjeter appel. Ce que dit le projet de loi, c'est que nous ne faisons pas confiance aux juges à cause de l'affaire O'Connor.
M. John Bryden: C'est ce que je ne pouvais pas comprendre. Je ne suis pas avocat, mais je suis Canadien et j'ai grandi ici. Je ne pouvais pas comprendre pourquoi nous pouvions songer à adopter une loi qui disait essentiellement...
Comme je vous l'ai expliqué, un représentant du ministère de la Justice m'a dit que c'était nécessaire parce que les juges ne rendent pas nécessairement leurs décisions de la façon que nous voudrions qu'ils le fassent et que nous ne pouvons pas nous attendre à ce qu'ils le fassent sans leur donner des directives précises.
Ce n'est donc pas une chose sur laquelle vous êtes d'accord.
M. Bloos: J'ajoute que nous faisons bien confiance aux juges pour délivrer des mandats pour l'utilisation de tables d'écoute qui constituent l'une des plus grandes atteintes à la vie privée qu'on puisse imaginer. La police peut installer des dispositifs d'écoute et espionner nos conversations téléphoniques et faire toutes sortes d'autres choses du genre. Nous n'avons aucun problème à faire confiance aux juges pour décider s'il faut autoriser l'utilisation de dispositifs d'écoute. Je ne vois pas quelle est la différence. Ce sont les juges qui prennent la décision et ils entendent des affaires de ce genre tous les jours.
Je répète que, en Alberta, j'ai trouvé que les juges étaient très sensibles à la situation. Je ne pense pas qu'ils feront autre chose que ce qui est prévu dans la décision sur l'affaire O'Connor. Si le ministère craint que les avocats vont demander des assignations à produire à tort et à travers, je peux vous dire que les juges ne seront pas d'accord. Si l'on veut s'assurer que l'on fournit toutes les preuves nécessaires à un jury... Après tout, si nous faisons confiance au jury pour déterminer si l'accusé est coupable ou innocent, pourquoi ne voudrions-nous pas lui fournir tous les renseignements sur une affaire?
Deuxièmement, le plaignant sera interrogé et contre-interrogé sur tous les détails de l'affaire et de l'agression sexuelle. Si cela va se faire dans une salle de procès, que le public en soit exclu ou non, ce sera certainement en présence de personnes qui risquent d'entendre ces détails pour la deuxième fois, parce qu'il y aura eu une enquête préliminaire. Si tous ces renseignements vont être donnés de toute façon, pourquoi s'opposerait-on à ce que le juge de première instance examine le même genre de renseignements s'ils portent sur les allégations du plaignant à un tiers? Il en sera question de toute façon.
Il y a un autre aspect de la question et je ne sais pas si les législateurs et le ministère en ont tenu compte. Quand la communication de dossiers est devenue habituelle au Canada après l'affaire Stinchcombe, cela a inquiété bien des gens. Cependant, les avocats de la défense et ceux de la Couronne ont constaté que cela aidait souvent à résoudre plus de cas. C'est la même chose que les enquêtes préliminaires.
Une fois qu'il y a eu communication des dossiers une fois que vous avez tous les faits en main, une fois que vous savez que la Couronne ne peut rien cacher ou retenir, vous pouvez aller dire à votre client: le cas de la Couronne est solide et vous n'avez pas d'espoir de vous en sortir; si vous allez jusqu'au procès et que vous obligiez le plaignant à témoigner et si tous les dossiers sont produits et si la victime doit subir cette autre épreuve, le juge imposera une peine deux fois plus sévère, car la peine est réduite de beaucoup, du moins en Alberta, si l'accusé plaide coupable au début d'une affaire.
À cause du fait qu'on puisse obtenir les dossiers d'avance sans se plier à toutes les exigences que l'on envisage dans le projet de loi, il y a de bonnes chances que les choses n'aillent pas plus loin. Tant que certains dossiers ne sont pas divulgués, l'avocat de la défense a toujours l'impression qu'il pourrait y trouver quelque chose pour aider l'accusé.
Que fait l'avocat de la défense lorsqu'un accusé vient à son bureau pour lui dire: je suis innocent. Je n'ai rien à faire avec cette histoire. J'ignore ce qui se passe. Je ne comprends pas pourquoi elle a fait de telles allégations. Vous devez m'aider.
Il ne peut pas vraiment donner de détails, mais l'avocat de la défense doit, bien sûr, examiner toutes les possibilités. Si cela veut dire qu'il doit assigner toutes sortes de témoins à comparaître et les interroger en long et en large pour essayer de voir les dossiers qui avaient été retenus au départ, et si, une fois qu'il les aura obtenus, il se rend compte qu'il n'y a rien dans ces dossiers pour l'aider et que les arguments de la Couronne sont tout à fait solides, l'avocat peut très bien dire à son client qu'il fait mieux de plaider coupable et qu'il a fait tout ce qu'il peut pour lui.
Cela pourrait sauver bien du temps si nous avions ces dossiers dès le départ. Je suppose, bien sûr, que l'avocat de la défense pourra présenter des arguments convaincants pour obtenir ces dossiers parce qu'il y a des doutes au sujet de la crédibilité ou d'un des aspects visés par le nouveau paragraphe 278.3(4).
J'ajoute que le projet de loi parle des affirmations qui, «individuellement ou collectivement» ne suffisent pas comme preuve. Cela veut dire qu'un accusé pourrait dire que trois de ces critères s'appliquent, mais que le juge pourrait malgré tout dire que cela ne suffit pas selon cette mesure. Nous pourrions donc avoir de sérieuses difficultés à obtenir les dossiers pertinents pour l'accusé.
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Merci.
M. John Bryden: Je voudrais poser une dernière...
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Je m'excuse, mais cela fait maintenant presque sept minutes et tout le monde devait avoir cinq minutes.
M. John Bryden: On m'avait dit que nous aurions 10 minutes, madame le président.
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Monsieur Bryden, je ne suis pas «madame le président».
Nous n'avions pas prévu 10 minutes pour chacun. Si vous étiez membre du comité, vous sauriez que les premiers à poser des questions ont 10 minutes chacun, et que c'est ensuite 5 minutes pour les autres.
M. John Bryden: Merci, madame le président.
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Monsieur Koziebrocki, vous avez parlé de ce qui se passe à Toronto. Je voudrais profiter des quelques minutes qui nous restent pour vous demander si vous saviez que, d'après certains articles du Toronto Star, dans les cas où les femmes se rétractent ou changent d'avis, l'affaire n'aboutit pas à un procès uniquement à cause du rapport de la police, des photographies, des appels d'urgence ou de toutes autres preuves.
M. Koziebrocki: Les affaires n'aboutissent pas à un procès?
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Non.
M. Koziebrocki: D'après ce que j'ai constaté, lorsque la victime se rétracte, c'est parce que les avocats de la Couronne ont essayé de voir s'il était possible de régler la question sans avoir un procès. Cela peut vouloir dire qu'ils expliquent la situation au plaignant en disant: «non, nous ne portons pas l'affaire devant le tribunal.» Mais cela se fait après avoir consulté le plaignant.
Cela étant dit, à l'heure actuelle, les avocats de la Couronne hésiteront à le faire si le plaignant insiste pour aller de l'avant. Il s'agit d'une réaction naturelle au...
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Malgré tous les témoignages, tous les appels d'urgence, toutes les photographies, la Couronne refuse d'aller de l'avant?
M. Koziebrocki: Il s'agit d'une réaction naturelle dans un cas où les avocats de la Couronne ont l'impression que s'ils ne portent pas l'affaire devant les tribunaux, quelqu'un va porter plainte et cela risque d'attirer l'attention sur eux.
Il y a toujours des cas qui sont portés devant les tribunaux malgré l'absence de preuves, mais je peux vous dire que dans un tel cas, les avocats de la Couronne préfèrent ne pas aller de l'avant. Je l'ai moi-même constaté.
M. Durno: Il me semble cependant que ces articles portaient sur des cas d'agression par le conjoint. Le projet de loi ne porte pas sur ce genre de cas. Il ne changerait absolument rien aux cas de violence familiale.
Qui plus est, c'est un ancien article. Il y a maintenant un tribunal spécial dans l'ancien hôtel de ville de Toronto qui s'occupe des cas de violence familiale. Tous les cas de ce genre sont renvoyés à ce tribunal auquel sont affectés les procureurs de la Couronne spéciaux.
Il y a aussi un tribunal spécial pour les cas d'agression sexuelle et de mauvais traitements infligés à des enfants, et des procureurs de la Couronne sont désignés spécialement pour s'occuper de ce genre de cas.
Je pense que l'article du Star...
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Il est daté de mars 1996. Vous avez raison; deux cas portaient sur l'article 266 du Code, un sur le 264 et un autre sur le 239. Les cas de ce genre ne sont pas visés par le projet de loi à l'étude.
M. Durno: Je peux vous dire que l'on fait maintenant des efforts particuliers pour aller jusqu'au procès dans les cas de ce genre. Je l'ai moi-même constaté.
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Très bien.
Nous devons malheureusement partir pour aller voter. Je pense que c'est excellent d'avoir pu...
M. John Bryden: Avons-nous le temps de faire encore un tour de la table pendant que ces témoins sont ici? Ils sont vraiment excellents. J'ai une ou deux questions à leur poser.
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Je m'excuse, mais nous avons d'autres témoins...
M. John Bryden: Mais je pense qu'il nous reste encore 15 minutes.
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Monsieur Bryden, vous m'interrompez...
M. John Bryden: Excusez-moi, madame le président. Veuillez me pardonner.
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Pour la quinzième fois, monsieur Bryden, je ne suis pas «madame le président». C'est malheureux que vous n'arriviez pas à le comprendre.
M. John Bryden: Je m'excuse, madame qui présidez. Je fais partie de l'ancienne école, madame le président.
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Nous sommes en 1997.
Je voulais simplement vous dire une dernière chose, monsieur Durno. Il est vraiment très malheureux, quand nous parlions de la possibilité pour les juges de peser tous ces facteurs et de la rectitude politique, ou peu importe comment vous voulez l'appeler, monsieur Bloos, c'est intéressant de voir que cette question a été soulevée à ce moment-ci... L'un des juges de la Cour suprême a dit au sujet de la possibilité que l'on sensibilise les juges à certaines choses, surtout aux questions qui touchent les femmes, qu'une telle chose nuirait à l'indépendance de la magistrature. Je trouve inquiétant qu'un juge de la Cour suprême dise une telle chose.
M. Durno: Cela fait partie des cours.
La vice-présidente (Mme Paddy Torsney): Je remercie beaucoup nos témoins d'être venus de Toronto et de l'Alberta ce matin. Ce fut très intéressant.
La séance est suspendue jusque vers 11 h 45.