[Enregistrement électronique]
Le lundi 17 mars 1997
[Traduction]
La présidente (Mme Shaughnessy Cohen (Windsor - Sainte-Claire, Lib.)): Nous sommes le lundi 17 mars et nous célébrons cette date en recevant Christine Boyle, de la faculté de droit de l'Université de la Colombie-Britannique. Elle a été l'un de mes professeurs.
Christine, vous serez heureuse d'entendre que je suis toujours membre du barreau.
Nous recevons aussi Mme Marlene MacCrimmon, également professeure à la faculté de droit de l'Université de la Colombie- Britannique, et M. Lee Lakeman, de l'Association canadienne des centres contre le viol.
Bienvenue à toutes et à tous.
Christine, je crois savoir que vous devrez nous quitter pour aller enseigner, et je vais donc commencer par vous.
Nous aurons des questions à vous poser après les exposés.
Mme Christine Boyle (professeure, faculté de droit, Université de la Colombie-Britannique): Permettez-moi simplement de vous dire combien je suis ravie de votre réussite.
Mme MacCrimmon et moi-même ferons une présentation conjointe. Comme vous le savez, nous sommes toutes deux professeures de droit à l'Université de la Colombie-Britannique et nous nous intéressons depuis quelque temps à la problématique de l'égalité et de la détermination des faits.
Je m'intéresse en particulier à l'égalité en droit pénal, et plus spécialement à la nouvelle législation sur l'agression sexuelle adoptée par le Parlement il y a quelques années, sous la forme du projet de loi C-49, et à la réaction législative contre la défense invoquant l'ébriété extrême, sous la forme du projet de loi C-72.
Le projet de loi C-46, bien entendu, a des éléments en commun avec les deux précédents, puisque le Parlement cherche clairement à prendre en compte tous les facteurs constitutionnels et à réagir aux arrêts de la Cour suprême du Canada qui ont suscité une émotion dans le public.
Mme MacCrimmon s'est penchée sur les généralisations sur le comportement humain dictées par le sens commun qui sous-tendent les diverses règles de preuve, notamment celles relatives à la propension à commettre un crime et les antécédents des auteurs de plainte pour agression sexuelle, ainsi que la détermination de la pertinence.
La présidente: Je dois vous interrompre un instant. Nous avons quelques difficultés de transmission.
La présidente: Bien. Je vais vous demander de recommencer, Christine, mais de parler assez lentement, car le son ne parvient pas aux interprètes aussi clairement qu'il le faudrait. Si nous devons vous interrompre, nous le ferons. Allez-y, je vous en prie.
Mme Boyle: Je vais reprendre là où je m'étais arrêtée, si cela vous convient.
La présidente: Certainement.
Mme Boyle: Mme MacCrimmon et moi aimerions nous concentrer sur trois choses. Premièrement, je vais essayer de vous expliquer pourquoi nous pensons que le projet de loi C-46 est une mesure très positive. Deuxièmement, nous allons arguer qu'il y a effectivement une latitude dans la Constitution pour... [Difficultés techniques]...
Enfin, Mme MacCrimmon parlera de l'évaluation de la pertinence qui sous-tend les notions relatives à la pertinence vraisemblable des données, plus particulièrement à la lumière du projet de paragraphe 278.3(4).
Tout d'abord, le projet de loi C-46 est-il une bonne chose? Je suis sûre que le comité a entendu quantité d'arguments à cet égard, mais je cherchais une façon de vous expliquer pourquoi j'estime que c'est une mesure si positive et je le ferai en vous contant une anecdote.
Ce n'est pas une analogie parfaite. C'est une situation à laquelle nous sommes actuellement confrontés pour ce qui est des archives dans les affaires d'agression sexuelle. Néanmoins, l'analogie est valide. J'aimerais que les membres du comité visualisent mentalement la pratique à laquelle les avocats de la défense ont commencé à recourir il y a quelques années, consistant à fouiller dans les poubelles des plaignantes, c'est-à-dire les principaux témoins de l'accusation dans les affaires d'agression sexuelle.
La probabilité de trouver quelque chose d'intéressant était faible, mais plusieurs espéraient tomber par hasard sur une lettre, par exemple, qu'une plaignante aurait écrite à sa mère pour lui dire qu'elle avait été sexuellement agressée et qu'elle aurait ensuite déchirée, ou peut-être même un journal intime où elle confesserait avoir tout inventé. D'autres pensaient que le simple désagrément de voir des gens fouiller dans leurs poubelles dissuaderait certaines personnes d'aller plus loin.
Cela a suscité tout un débat public. Ce procédé n'avait pratiquement cours que dans les cas d'agression sexuelle, où les témoins sont principalement des femmes et des enfants. D'aucuns estimaient que le fait que ces pratiques soient tolérées, sachant que les principales cibles de l'agression sexuelle sont les femmes et les enfants, trahissait la piètre considération accordée aux femmes et aux enfants dans notre culture juridique.
Il y avait des préoccupations sur le plan de la protection de la vie privée, manifestement, et aussi de l'utilité sociale. Ce n'est pas plus une bonne chose que les gens soient contraints de garder leurs ordures dans leur maison que ce n'est une bonne chose que les gens soient contraints de cacher la souffrance et la détresse infligées par une agression sexuelle. Il y a la crainte que nul ne veuille plus saisir la justice s'il faut tolérer ce genre de comportement, et ces expéditions de chasse aux ordures, comme on a pris coutume de les appeler, orchestrées par les avocats de la défense ont donc donné lieu à des différends judiciaires.
Dans l'ensemble, les juges n'ont pas prêté attention aux arguments relatifs à l'état d'infériorité, mais pour des raisons de courtoisie et d'utilité sociale ont offert de trier les ordures eux-mêmes pour voir si elles contenaient quelque chose. On est maintenant arrivé à un stade, avec l'affaire Carosella - Carosella est l'affaire des ordures manquantes - où, si les ordures ont disparu, on ne peut plus juger du tout les accusés d'agression sexuelle.
Évidemment, il n'y a pas de parallèle entre ce que les gens disent à leurs psychothérapeutes, médecins, conseillers des centres d'aide aux victimes de viol etc. et les ordures, mais je pense que l'analogie est réelle avec les effets de l'agression sexuelle. Il va de soi que tout le réseau de soutien aux victimes est d'importance beaucoup plus grande que la collecte d'ordures. Néanmoins, je pense que cela vous donne une idée du phénomène que l'on a vu se développer si rapidement dans les années 1990.
Je considère le projet de loi C-46 comme une tentative courageuse du Parlement de minimiser ces expéditions des avocats de la défense. La Constitution donne latitude au Parlement de faire cela par le biais de la notion de droits constitutionnels coexistants et aussi par le biais des droits à l'égalité négligés par la majorité des juges dans les causes O'Connor et Carosella. Un procès peut être équitable même si l'accusé n'a pas le droit de fouiller dans les poubelles du plaignant. On peut formuler cela autrement: les procès seront tout aussi équitables qu'ils l'étaient avant que cette pratique ait vu le jour et tout aussi équitables que dans les affaires autres que d'agression sexuelle.
Le deuxième aspect que j'aborderai est la question de savoir s'il y a latitude constitutionnelle d'aller plus loin que ne le fait ce projet de loi. Je pense que le meilleur étalon de ce que peut faire le Parlement sans enfreindre la Constitution se trouve dans l'arrêt Leipert, la cause mettant en jeu Échec au crime, rendu par la Cour suprême du Canada le même jour que l'arrêt Carosella. C'est une excellente référence, car elle est très récente et n'est pas une affaire d'agression sexuelle.
Le programme Échec au crime, tout comme les centres d'aide aux victimes de viol, est un programme controversé. Certains le voient comme une protection indispensable offerte aux témoins disposés à aider la police; d'autres y voient un encouragement à ce que l'on pourrait qualifier de délation.
N'importe qui peut appeler Échec au crime et donner anonymement un indice. M. Leipert a été accusé d'un certain nombre d'infractions en matière de drogue suite à une dénonciation et son avocat voulait prendre connaissance de la dénonciation. La poursuite faisait valoir qu'il n'y avait aucun moyen de déterminer si la teneur de la dénonciation était susceptible de révéler à l'accusé l'identité de l'informateur, et la question de savoir si l'accusé devait avoir accès à la dénonciation a été portée devant la Cour suprême du Canada. Celle-ci avait donc à trancher, d'une part, entre l'intérêt de la lutte contre la criminalité et la sécurité de la personne et, d'autre part, l'intérêt de la défense. La Cour suprême du Canada a jugé à l'unanimité que la défense ne peut voir la dénonciation que lorsque l'innocence est en jeu, c'est-à-dire lorsqu'il y a possibilité de conclure, au vu des faits, que la divulgation est nécessaire pour démontrer l'innocence de l'accusé.
Donc, lorsqu'un accusé veut voir la dénonciation, par opposition aux dossiers personnels, il ne lui suffit pas d'invoquer un scénario hypothétique; il doit avoir un fondement factuel. En outre, il doit justifier la divulgation sans voir la dénonciation elle-même. Apparemment, ce que d'aucuns qualifient de cercle vicieux est tolérable dans le contexte d'Échec au crime. Il faut remplir une condition rigoureuse, celle de la nécessité.
En conclusion, permettez-moi de comparer le projet de loi C-46 avec la cause Échec au crime. S'il représente, certes, une amélioration évidente par rapport à la loi actuelle, en ce sens qu'il cherche à prendre en compte tous les droits constitutionnels, il adopte comme critère la pertinence vraisemblable plutôt que la nécessité. De fait, si vous considérez tous les facteurs que le juge doit prendre en compte pour décider d'examiner les dossiers ou de les divulguer à la défense, il est clair qu'un juge peut ordonner la communication même lorsque celle-ci n'est pas nécessaire à la défense pleine et entière de l'accusé. La disposition sur l'insuffisance des motifs, c'est-à-dire les restrictions relatives à la divulgation du projet de paragraphe 278.3(4), protège le criminel.
Je vous remercie.
La présidente: Je vous remercie. Mme MacCrimmon.
Mme Marlene MacCrimmon (professeure, faculté de droit, Université de la Colombie-Britannique): Je me propose aujourd'hui de passer en revue les raisonnements qui sous-tendent l'évaluation de la pertinence, c'est-à-dire d'examiner plus particulièrement les motifs proscrits du projet de paragraphe 278.3(4) du projet de loi C-46.
Tant le projet de loi que la jurisprudence repose sur le postulat que l'on peut déterminer dans quelle mesure les dossiers sur les plaignants d'agression sexuelle sont susceptibles d'être pertinents. Les évaluations de pertinence font appel à des raisonnements de sens commun que nous employons tous dans notre vie quotidienne.
La pertinence dépend de généralisations sur le comportement humain et ces généralisations elles-mêmes dépendent de l'expérience et des croyances du sujet. Il n'y a aucune raison de penser que les avocats et les juges soient particulièrement compétents pour effectuer ce genre de raisonnement. De fait, l'expérience montre que les avocats ont du mal à exposer le raisonnement qui sous-tend leur affirmation que des dossiers personnels sont vraisemblablement pertinents.
En revanche, le Parlement est particulièrement bien placé pour disséquer les raisonnements axés sur le sens commun puisque le Parlement est saisi des points de vue d'un vaste éventail de groupes touchés par la divulgation. Le Parlement peut édicter une norme qui prend clairement en compte tous les droits constitutionnels. C'est ce qu'il fait avec le projet de paragraphe 278.3(4).
Que la détermination de la pertinence dépende nécessairement de généralisations sur le comportement humain reposant sur notre expérience et notre conception du fonctionnement du monde est un fait admis, qui n'est pas un sujet de controverse. Ce qui est controversé, c'est la légitimité de certaines généralisations.
La détermination de la pertinence de dossiers confidentiels est problématique, en toute probabilité. Il y a deux sources d'erreurs possibles qui se recoupent. Premièrement, il peut y avoir des erreurs lorsqu'il s'agit d'estimer la vraisemblance qu'il y ait quelque chose d'utile dans les dossiers et, deuxièmement, il peut y avoir des erreurs causées par des généralisations discriminatoires.
Les erreurs relatives à la présence de renseignements utiles dans le dossier mettent en jeu le lien de cause à effet entre le renseignement et les faits considérés. Est-ce que le seul fait que le dossier puisse contenir ce renseignement nous aide à distinguer entre le caractère vrai et le caractère mensonger ou erroné d'une plainte? Il faut se demander si la probabilité de trouver le renseignement est la même selon que le plaignant dit la vérité ou non.
La deuxième possibilité d'erreurs nous a amenées à nous demander si les généralisations qui sous-tendent les évaluations de pertinence ont un effet discriminatoire. Comme nous le verrons, les deux erreurs tendent à se recouper.
Gardant à l'esprit ces deux erreurs, je vais passer en revue les alinéas du projet de paragraphe 278.3(4). Je vais les prendre dans l'ordre et analyser chacun, quoique cela va exiger quelques répétitions de raisonnement.
Si vous regardez l'alinéa a) du paragraphe 278.3(4), «le dossier existe», le seul fait qu'un dossier existe ne suffit pas à le rendre vraisemblablement pertinent. Le renseignement en soi ne nous aide pas à distinguer entre une plainte véridique et une plainte mensongère ou erronée car la probabilité de sa présence est la même dans les deux cas.
À l'alinéa b), «le dossier se rapporte à un traitement médical ou psychiatrique ou une thérapie...» etc., le même raisonnement qu'à l'alinéa a) s'applique. On spécifie simplement que la seule existence d'un dossier se rapportant à un traitement médical ou psychiatrique ou autre ne suffit pas en soi pour conclure qu'il y a quelque chose d'utile à l'accusé dans le dossier. Il n'est pas légitime de fonder cette détermination sur une généralisation voulant que la crédibilité des plaignants qui suivent une thérapie est plus suspecte que celle de plaignants qui n'en suivent pas.
En ce qui concerne le motif suivant, l'alinéa c) du projet de paragraphe 278.3(4), «le dossier porte sur l'événement qui fait l'objet du litige» j'aimerais l'aborder conjointement avec le motif suivant, l'alinéa d), «le dossier est susceptible de contenir une déclaration antérieure incompatible...». L'alinéa d) est un cas où la commission des deux erreurs est particulièrement probable.
L'affirmation que le dossier peut contenir une déclaration incompatible suppose tout d'abord que le dossier contienne une déclaration qui va s'avérer, dans le courant du procès, incompatible. La seule existence d'une déclaration est peu susceptible d'être utile, car le seul fait que le dossier contienne une déclaration n'aide pas à distinguer entre une plainte véridique et une plainte mensongère ou erronée. La déclaration doit être incompatible. La supposition que le dossier contienne une déclaration incompatible repose sur des généralisations relatives à la nature des dossiers thérapeutiques, dont certains peuvent renfermer des déclarations du témoin. Ces déclarations doivent être des énoncés de faits. Ces énoncés de faits doivent être incompatibles avec l'objet du litige.
Des généralisations doivent être établies concernant la personne qui a établi le dossier, la nature de la relation thérapeutique et le client. Ces généralisations se prêtent particulièrement à l'erreur. La supposition que le dossier contienne une déclaration incompatible est axée sur la généralisation traditionnelle voulant que les plaignants d'agression sexuelle sont intrinsèquement suspects.
L'analyse de l'alinéa d) s'applique également à l'alinéa c) «le dossier porte sur l'événement», car l'idée que le dossier puisse apporter des renseignements utiles repose sur le même type de postulat concernant les plaignants d'agression sexuelle et sur des croyances erronées intéressant le processus par lequel ces dossiers sont créés. L'existence de dossiers portant sur l'événement est tout aussi probable que le plaignant dise la vérité ou non.
Pour ce qui est du projet d'alinéa 278.3(4) e), «le dossier pourrait se rapporter à la crédibilité» etc., ce motif repose sur un raisonnement similaire à celui des motifs a) et b). Sans ces alinéas, des dossiers pourraient être divulgués simplement parce qu'un témoin suit une thérapie.
L'alinéa e) est également relié aux alinéas c) et d), car il est sous-tendu par une allégation implicite que le dossier contient une déclaration ou un autre renseignement et que ce renseignement est susceptible d'être utile.
Pour passer au projet d'alinéa 278.3(4) f), «le dossier pourrait se rapporter à la véracité du témoignage du plaignant... étant donné que celui-ci... a eu recours à des services de consultation», il repose sur les mêmes raisonnements que les alinéas a), b) et e) car l'assertion repose sur une généralisation voulant que les gens qui ont recours à des services de consultation soient des témoins suspects. Or, ce recours en soi est peu susceptible d'apporter un renseignement utile.
L'alinéa g), relatif aux allégations d'abus sexuel, illustre les rouages des deux erreurs. Le fait qu'une personne ait été victime de façon répétée n'apporte rien, sauf sur la base de généralisations non fondées et discriminatoires voulant que les personnes qui disent avoir été victimes d'abus sexuels par le passé soient susceptibles de porter de fausses accusations.
Une telle généralisation exigerait, à tout le moins, que la preuve soit faite que l'allégation antérieure était mensongère. Les alinéas suivants, 278.3(4) h), sur l'activité sexuelle, et j), sur la réputation sexuelle peuvent être classés dans le même groupe.
Tant le Parlement que les tribunaux ont admis que ces renseignements ne nous aident pas à distinguer entre plaintes véridiques et mensongères. Une telle donnée est peu susceptible d'être pertinente, car la probabilité de son existence est la même que le plaignant dise la vérité ou mente ou se trompe.
Enfin, en ce qui concerne le projet d'alinéa 278.3(4) i), «une plainte spontanée», le même raisonnement que pour l'activité sexuelle et la réputation sexuelle s'applique. L'existence d'une plainte spontanée ne nous apprend rien sur la véracité d'une allégation d'agression sexuelle. Les femmes sont tout aussi susceptibles, voire davantage, d'attendre d'être en face d'une personne qui a leur confiance que de faire une allégation à la première occasion raisonnable.
En conclusion, à notre sens, la liste des motifs insuffisants du projet de loi C-46 clarifie le critère de la pertinence vraisemblable et dresse la liste des renseignements qui, par eux- mêmes ou combinés entre eux, sont peu susceptibles d'être pertinents.
La présidente: Je vous remercie.
Sachant que la Mme Boyle doit partir, nous allons poser les questions sur vos exposés, et nous entendrons celui de Mme Lakeman ensuite.
Monsieur Hanger, avez-vous des questions à poser à ces témoins?
M. Art Hanger (Calgary-Nord-Ouest, Réf.): Pas tout de suite. Je vous prie d'excuser mon retard. J'ai malheureusement été retenu à la Chambre.
La présidente: Monsieur DeVillers.
M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.): Nous avons entendu la semaine dernière les avocats de la défense et ils ont exprimé quelques réserves sur le projet de loi. L'une porte sur sa conformité à la Charte, en ce sens qu'il établit une norme de pertinence différente pour les cas d'agression sexuelle et les autres cas. Une autre réserve est qu'ils perçoivent ce texte comme une insulte à l'intégrité des magistrats. Ces règles plus strictes, selon eux, reviennent à dire que l'on ne peut faire confiance aux magistrats. Je leur ai demandé, mais sans parvenir à le leur faire admettre, si les plaignants dans les cas d'agression sexuelle ne voient pas leur crédibilité contestée plus rudement que, mettons, dans les cas d'agression physique.
J'aimerais connaître la réaction de nos témoins à ces trois aspects.
Mme Boyle: Je peux essayer. Tout d'abord, l'analogie que j'ai établie avec l'affaire Échec au crime visait justement à écarter l'objection relative à la constitutionnalité du projet de loi.
La jurisprudence dans les affaires d'agression non sexuelle montre assez clairement qu'une fois qu'il est établi qu'un intérêt public suffisant est en jeu, les tribunaux se limitent au critère de la nécessité, à savoir qu'il faut démontrer la nécessité de l'accès à un renseignement, telle qu'une dénonciation à Échec au crime.
C'est sur cette norme que je me fonde pour dire que le projet de loi est conforme à la Constitution. Mais c'est une argumentation complexe, principalement parce que la Cour suprême du Canada n'a pas pris en compte les droits à l'égalité pour rendre son jugement sur l'accès aux dossiers, ce que le Parlement cherche clairement à faire.
Je pourrais peut-être établir un lien entre cet aspect et votre deuxième question, l'insulte faite aux magistrats. Je ne vois rien d'insultant là-dedans. Je pense que le Parlement, de par son rang institutionnel supérieur, peut considérer tous les intérêts en cause ici. Il peut réfléchir aux généralisations axées sur le bon sens tout aussi bien que les avocats ou les juges et orienter ses raisonnements d'une manière qui soit plus respectueuse des droits constitutionnels de tout le monde.
Il s'agit donc davantage, à mes yeux, d'une question de confiance en la capacité du Parlement de trouver un juste équilibre ici plutôt que de manque de confiance envers les magistrats. Cependant, je peux voir pourquoi les avocats de la défense souhaitent une plus grande latitude judiciaire ici, car malheureusement, selon moi, l'expérience passée montre que les magistrats n'ont guère pris en compte l'égalité dans ces affaires jusqu'à présent.
Pour ce qui est de votre troisième question, la crédibilité des plaignants d'agression sexuelle est-elle davantage attaquée, je pense que l'on peut certainement le dire. On ne voit guère ce genre de demande d'accès aux dossiers présentée dans d'autres contextes. Il vaudrait probablement mieux poser la question à des victimes d'agression sexuelle et aux avocats qui les défendent, tels que Lee Lakeman. Ils savent de première main pourquoi la crédibilité des plaignants d'agression sexuelle est davantage suspectée que celle des plaignants dans d'autres contextes ou dans d'autres cas d'agression.
M. Paul DeVillers: Si la crédibilité des plaignants dans les cas d'agression sexuelle est davantage contestée, cela ne pourrait- il pas être invoqué pour répondre à la première objection, l'existence d'une norme différente. C'est justifié parce que l'expérience montre que ces plaignants voient leur crédibilité davantage contestée que celle des autres?
Mme Boyle: C'est une norme différente, et elle est moins rigoureuse dans les cas d'agression sexuelle et non pas plus. On peut donc certainement établir ce lien. Je pense que c'est parce qu'il y a davantage de contestations dans les cas d'agression sexuelle qu'on a un critère de pertinence vraisemblable dans l'arrêt O'Connor et un critère de nécessité dans l'arrêt Leipert.
M. Paul DeVillers: Je vous remercie. C'étaient là mes questions.
La présidente: Je vous remercie. Madame Torsney.
Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.): Je vous remercie. J'arrive juste de l'aéroport, mais je me dois de vous poser une question.
Nous avons beaucoup entendu parler de cas d'agression sexuelle récents, et clairement le public se demande dans quelle mesure il ne s'agit pas là de souvenirs recouvrés ou des souvenirs fictifs, peu importe le terme employé. Le public se demande dans quelle mesure il est possible à l'accusé de se défendre s'il ne peut avoir accès à ces dossiers.
Bien que le projet de loi ne supprime pas entièrement l'accès, pensez-vous qu'il sera possible à ces personnes qui se disent injustement accusées d'obtenir accès aux dossiers thérapeutiques?
Mme Boyle: Mme MacCrimmon voudra peut-être répondre à cela, car cela met en jeu des généralisations sur le comportement humain. Je pense qu'il y a une difficulté, car la Cour suprême a de façon inattendue reconnu soudain le phénomène du souvenir fictif dans la cause O'Connor, alors que rien ne prouve l'existence de ce syndrome qui fait l'objet d'une grande controverse. Le problème pour moi est donc de savoir quoi faire dans une situation où il y a réellement des vues fortement polarisées sur l'existence même de ce phénomène. Personnellement, je trouve parfaitement farfelue l'idée que des thérapeutes peu scrupuleux peuvent susciter des souvenirs fictifs chez des plaignants d'agression sexuelle, et que les avocats de la défense auront bien du mal à trouver des preuves à l'appui de cela.
Je devrais peut-être préciser que je ne serais pas ici pour appuyer ce projet de loi si je pensais qu'il y a le moindre risque que le fait de minimiser l'accès aux dossiers puisse entraîner des erreurs judiciaires. Je pense que l'impartialité dans les procès est une valeur absolument essentielle et je n'userais certainement pas de mon autorité universitaire pour légitimer toute compromission avec l'impartialité.
Je pense que ce projet de loi permet d'avoir des procès équitables et ceux qui croient à l'existence d'un phénomène tel que le souvenir fictif seront dans la même situation qu'ils l'ont toujours été. Ils devront en faire la preuve, et rien que l'évocation de cette possibilité prête à controverse en soi.
Je ne sais pas si vous voulez ajouter quelque chose à cela.
Mme MacCrimmon: Non.
Mme Paddy Torsney: Vous pensez donc que s'ils croient à l'existence de ce phénomène et qu'ils présentent des preuves à cet effet, la possibilité subsistera pour eux d'obtenir accès à des dossiers thérapeutiques susceptibles de montrer que les techniques censément capables d'engendrer une mémoire fictive ont été utilisées.
Mme Boyle: Le projet de loi laisse la porte ouverte à la communication des dossiers. À mon sens, il la laisse un peu trop ouverte. Mais mon argument principal est que la notion même que des souvenirs puissent être implantés repose sur une conception du comportement humain qui n'est pas justifiable.
Mme Paddy Torsney: J'ai soigneusement évité de prendre parti dans cette controverse. Mais elle existe et mes mandants en parlent.
Je vous remercie.
La présidente: Merci beaucoup. Madame Gagnon.
[Français]
Mme Christiane Gagnon (Québec, BQ): Je n'ai pas bien saisi la réponse. J'avais aussi une question en ce sens. Croyez-vous que les dossiers sociopsychologiques et les souvenirs évoqués lors d'une rencontre thérapeutique devraient être déclarés comme des motifs insuffisants pour avoir accès aux dossiers? Je pense que c'est cette question qu'on posait. Si ce n'est pas le cas, j'aimerais qu'on y réponde quand même.
[Traduction]
[Difficultés techniques]
La présidente: Désolée, madame Gagnon, pouvez-vous répéter?
[Français]
Mme Christiane Gagnon: Est-ce que les dossiers sociopsychologiques et les souvenirs évoqués lors d'une consultation thérapeutique devraient être des motifs insuffisants pour avoir accès au dossier? Vous avez peut-être répondu à la question, mais je n'ai pas compris votre réponse. Est-ce qu'on pourrait les ajouter au paragraphe 278.3(4) à titre de motifs insuffisants pour avoir accès aux dossiers?
[Traduction]
Mme Boyle: Si vous demandez si cela pourrait être englobé dans les motifs insuffisants, je pense que c'est certainement une possibilité. Si le but de cet article est d'isoler les raisonnements relatifs à la pertinence qui sont assis sur des généralisations discriminatoires, alors je pense qu'il serait approprié de l'ajouter.
Cela répond-il à votre question?
[Français]
Mme Christiane Gagnon: Oui, ça répond à ma question. C'est une recommandation qui a été faite par les différents groupes de femmes qui sont favorables à l'ensemble du projet de loi, mais qui aimeraient qu'on y apporte certaines modifications. Ces femmes veulent entre autres qu'on limite l'accès et que les motifs soient plus explicites dans le projet de loi. Je me demandais si vous étiez d'accord sur cette tentative de réduire l'étendue de l'accès et je me réjouis que ce soit le cas puisque nous devrons apporter des modifications au projet de loi.
[Traduction]
Mme MacCrimmon: Comme je l'ai dit, il convient de se demander en quoi le renseignement pourrait être utile.
Le seul fait d'affirmer que le dossier se rapporte à un souvenir fictif n'est pas suffisant. Qu'est-ce que cela signifie réellement? Cela signifie que quelqu'un s'est souvenu de quelque chose qui s'est produit dans le passé. En soi, cela ne suffit pas à indiquer que le dossier va être pertinent ou utile ou l'est vraisemblablement, à moins de poser un postulat sur le syndrome du souvenir fictif. Comme Mme Boyle l'a dit, il y a toute une controverse sur l'existence de ce syndrome et la mesure dans laquelle des plaignants inventent des histoires sous l'effet de questions suggestives.
[Français]
Mme Christiane Gagnon: On sait que lorsqu'on convoque différents témoins, on doit payer leurs frais de déplacement. De nombreuses associations de femmes qui reçoivent certains témoignages de femmes et à qui on demande d'aller témoigner réclament un fonds d'aide juridique. Est-ce à votre avis souhaitable?
On pose comme objection que l'aide juridique relève des provinces. Le gouvernement fédéral ne se sent pas obligé de fournir cette aide aux témoins qui sont cités. Les groupes de femmes réclament aussi qu'on leur permette de payer une certaine défense ou une consultation. Êtes-vous d'accord sur cette crainte qu'éprouvent les groupes?
[Traduction]
Mme Boyle: La nécessité d'une aide financière pour les tierces parties appelées à témoigner dans les procès criminels est absolument indispensable, à mon avis, si c'est bien là votre question.
Les procès criminels par le passé ne mettaient en jeu que l'accusation et la défense. Depuis qu'a surgi ce phénomène de la quête de dossiers aux mains de tierces parties, l'éventail des personnes impliquées dans les procès s'est beaucoup élargi et beaucoup plus de gens ont un intérêt et un enjeu dans le résultat, dans un résultat juste. Si ces personnes ne peuvent venir plaider pour des raisons matérielles, il y a réellement lieu de craindre pour l'impartialité générale du procès. Je suis donc on ne peut plus en faveur d'une aide juridique ou d'une aide financière pour les tierces parties impliquées dans des procès criminels.
[Français]
Mme Christiane Gagnon: On a entendu des opinions divergentes selon les groupes et les différents intérêts que représentaient nos témoins. Le Conseil canadien des avocats de la défense nous disait que le nombre de témoignages que les victimes faisaient auprès des différentes associations n'était pas à la baisse et les plaignantes allèguent porter autant de plaintes.
Par contre, les groupes de femmes qui sont concernées par la violence faite aux femmes et qui accueillent les femmes qui ont subi des agressions sexuelles nous disent que les femmes craignent quelque peu la façon dont leur témoignage pourrait être retenu contre elles. Nous entendons donc deux versions différentes de la réalité. Est-ce que vous constatez aussi ces perceptions opposées?
[Traduction]
Mme Boyle: Pour ma part, je fais aussi office d'avocat de la défense et ce n'est donc pas comme si les féministes et les avocats de la défense étaient forcément des catégories distinctes. Il y a certainement des points de vue divergents, mais c'est précisément pour cela que le Parlement a un rôle réellement crucial dans ce contexte. C'est le Parlement qui peut écouter les divers points de vue et tenter de trouver un juste milieu dans un projet de loi comme celui-ci.
Encore une fois, et pour revenir à une question antérieure, c'est en partie pour cela que le Parlement est le mieux placé pour décider dans ce genre de contexte.
[Français]
Mme Christiane Gagnon: Croyez vous que le projet de loi va dans le bon sens et qu'il réussira à limiter l'accès aux dossiers des femmes tous azimuts pour des motifs plus frivoles? Les femmes craignent qu'on ne demande l'accès aux dossiers pour des motifs moins pertinents ou peu valables. Ce projet de loi viendrait resserrer l'accès, ce que vous appuyez. Les avocats semblaient dire qu'il fallait donner une très grande ouverture et un grand accès aux dossiers sans imposer trop de limites. De quel côté penchez-vous? Du côté des femmes ou du côté du Conseil canadien des avocats de la défense, qui réclame une très large portée quant à l'accès aux dossiers?
[Traduction]
Mme Boyle: Il n'y a pas un plus grand besoin d'accès aux dossiers dans les cas d'agression sexuelle que dans tous les autres. On peut avoir des procès équitables sans aller fouiller dans les dossiers privés de tierces parties. Je suis pleinement en faveur de ce projet de loi. Il va dans le bon sens.
L'article sur lequel Mme MacCrimmon s'est concentrée est particulièrement important à cet égard, car il est très difficile de structurer les évaluations de la pertinence. Ces évaluations sont amorphes, intuitives. Tout le débat sur cette question se ramène aux intuitions différentes que peuvent avoir les gens sur ce qui est équitable dans une situation donnée.
Il est très difficile d'aller au-delà de la simple impression qu'il est possible d'avoir des procès équitables sans toute cette énorme intrusion, mais c'est ce que je pense. Il était possible d'avoir des procès équitables auparavant, et cela reste possible. La dernière chose qu'il faut promouvoir au Canada, c'est le risque de condamner un innocent, mais il n'est pas nécessaire de fouiller dans les archives privées des gens pour prouver l'innocence.
La présidente: Je vous remercie, madame Gagnon.
Monsieur Hanger, avez-vous des questions?
M. Art Hanger: Non.
La présidente: Merci.
Y a-t-il d'autres questions du côté gouvernemental?
Monsieur DeVillers.
M. Paul DeVillers: Je vous remercie. Juste une dernière.
Les avocats de la défense ont indiqué également que l'une de leurs objections au projet de loi est que le poursuivant recevra des renseignements et aura connaissance de dossier qui ne seront ensuite pas communiqués à la défense. Ce sera un avantage pour la poursuite.
J'ai demandé si l'obligation de divulgation du poursuivant en tant que mandataire du tribunal n'interviendrait pas, et ils m'ont répondu que le projet de loi avait préséance sur cette obligation. Avez-vous une opinion à ce sujet?
Mme Boyle: Oui. Cela figure au projet de paragraphe 278.2(2). L'accusation peut être en possession de documents qui ne peuvent être transmis à quiconque sauf si la personne à laquelle se rapporte le dossier le permet. Je conviens donc que le projet de loi se répercute sur les obligations de divulgation des procureurs. Ce n'est pas contraire à la Constitution.
Bien entendu, si le poursuivant va utiliser un dossier dans son argumentation, si le dossier devient un élément à charge, alors la défense aura le droit de le voir. Mais je ne puis imaginer pourquoi la poursuite aurait en main ces dossiers en premier lieu. Ils ne regardent pas plus la poursuite que la défense. Mais je conviens qu'il est possible que des dossiers soient aux mains de la poursuite et ne soient pas communiqués à la défense.
Je devrais peut-être ajouter un mot à cela. Le principal précédent en matière de divulgation par la poursuite est l'arrêt Stinchcombe, bien entendu, qui dit que le poursuivant n'a pas à communiquer à la défense de documents non pertinents. Si l'on considère qu'il y aura réellement très peu de choses, et même rien du tout, qui soit pertinent dans les dossiers, alors cette disposition ne paraît pas contraire à l'arrêt Stinchcombe.
M. Paul DeVillers: Vous ne pensez donc pas que cette disposition rende le projet de loi inéquitable pour la défense? Est-ce là ce que vous nous dites?
Mme Boyle: Oui. Je ne pense pas que ce soit inéquitable, sauf dans le contexte que j'ai indiqué.
Ce paragraphe signifie que l'accusation ne pourra utiliser ces dossiers dans son réquisitoire. Tant qu'il en est ainsi, ce n'est pas inéquitable et je ne puis pas imaginer pourquoi l'accusation voudrait fonder son réquisitoire sur des dossiers. Le poursuivant doit construire son accusation de la manière habituelle, en convoquant des témoins et en laissant le juge en évaluer la crédibilité de la façon normale.
M. Paul DeVillers: Je vous remercie.
La présidente: Merci.
Monsieur Maloney.
M. John Maloney (Erie, Lib.): J'ai une petite question pour Mme Boyle, suite aux propos de mon collègue sur le syndrome du souvenir fictif.
Vous avez dit que l'idée que des thérapeutes peu scrupuleux implanteraient de faux souvenirs repose sur une théorie qui n'est pas justifiable, mais il y a eu le cas récent à Martensville, en Saskatchewan, où cela est censé être arrivé, intentionnellement ou par inadvertance. Comment conciliez-vous votre position avec l'affaire de Martensville?
Mme Boyle: Mme MacCrimmon voudrait répondre à cela.
Mme MacCrimmon: Nous ne disons pas que c'est totalement impossible. L'article du projet de loi qui énonce les motifs insuffisants dit simplement qu'une affirmation à l'effet que ce dossier pourrait se rapporter au syndrome de souvenir fictif n'est pas suffisante. Autrement dit, il doit exister un autre élément montrant que ce dossier pourrait établir l'existence de ce syndrome de souvenir fictif, le cas échéant.
L'article dit simplement qu'il ne suffit pas d'affirmer qu'un dossier contient certains renseignements, sans quelque chose de plus. Il ne suffit pas de dire, par exemple... [Difficulté technique - Éditeur]. On peut tout aussi bien arguer qu'il ne suffit pas en soi de dire qu'il pourrait contenir quelque chose sur le syndrome de souvenirs fictifs.
Cela ne veut pas dire qu'en aucun cas la défense ne pourrait établir un fondement indiquant que le dossier est vraisemblablement pertinent.
M. John Maloney: Je vous remercie.
La présidente: Je vous remercie. Madame Torsney.
Mme Paddy Torsney: Pour ajouter un mot sur ce dernier point, l'affaire de Martensville a été soulevée et m'a moi aussi troublée un peu, mais ce cas est intéressant en ce sens que ce sont les policiers qui ont peut-être suscité le souvenir fictif.
En outre, ce cas est différent de beaucoup d'autres affaires de mémoire fictive, en ce sens que les enfants étaient toujours des enfants au moment du procès. Dans les cas de souvenirs fictifs ou retrouvés, les gens se plaignent de quelque chose qui est censé s'être passé il y a 30 ans ou plus. C'est donc un peu différent, mais cela suscite toujours le spectre de l'erreur judiciaire, ou peut-être pas.
La présidente: Je tiens à vous remercier toutes deux de votre contribution.
Christine, nous allons vous laisser partir pour que vous soyez à l'heure à votre cours.
Mme Boyle: Je vous remercie, madame la présidente.
La présidente: Merci. C'était un plaisir de vous revoir.
Nous allons maintenant passer à Lee Lakeman.
Lee, vous avez déjà comparu par le passé. Veuillez faire votre exposé et nous poserons ensuite nos questions.
Mme Lee Lakeman (représentante, Association canadienne des centres contre le viol): Je ferai en sorte que mon exposé soit bref, vu les difficultés techniques, et aussi parce que vous avez entendu les excellents avis de groupes de femmes de tout le pays, et en particulier des groupements nationaux, notamment CALACS.
Je voudrais traiter particulièrement du faux problème du souvenir fictif et des avanies subies par les centres d'aide aux victimes de viol du fait de l'absence des dispositions contenues dans ce projet de loi. Mais je commencerai par dire qu'il me semble qu'il y a un degré de coopération au sein de ce comité tel que l'injustice actuellement faite aux femmes pourra être rectifiée, et j'en suis très heureuse. Je me montre peut-être présomptueuse, mais il m'apparaît que les députés réformistes coopèrent, que le Bloc coopère et que les libéraux font preuve d'un véritable leadership, ce dont nous avons désespérément besoin.
Je réclamais ce projet de loi au ministre de la Justice il y a presque trois ans. Nous étions dans une situation terrible où les femmes des centres d'aide aux victimes de viol, tant les bénévoles que le personnel rémunéré, étaient contraintes à la désobéissance civile pour protéger les femmes qui les appelaient à l'aide, et ce ne sont pas là des femmes qui sautent normalement sur l'occasion d'enfreindre la loi. Elles se sentaient obligées de le faire pour protéger les droits civils et les droits à l'égalité des femmes qui étaient venues leur demander secours.
Je suis très heureuse de la possibilité de m'exprimer ici. Ce projet de loi commence à faire ce qui est nécessaire. Dans mon esprit, ce qui est nécessaire, c'est de protéger tous les dossiers, tout le temps, des femmes qui ont osé s'élever contre les hommes qui les ont sexuellement agressées. Qu'il en résulte ou non une condamnation pénale, les femmes ont le droit d'exprimer leur propre version de la vérité et elles ont le droit de le faire publiquement, et c'est tout ce qu'elles font dans ces affaires. Il appartient ensuite aux tribunaux de décider s'il y a assez de preuves pour condamner un homme. Mais les femmes n'ont certainement pas à rester silencieuses, comme elles l'ont longtemps été, et n'ont pas à être dénoncées pour oser dire ce qui leur est arrivé.
Je peux vous dire que cela a été pour nous une longue lutte. Lorsque Kim Campbell était ministre de la Justice et que nous traitions avec un gouvernement conservateur, nous avons lutté pour obtenir une loi de protection des victimes de viol et nous voyons ceci comme le prolongement de cette lutte. Les centres d'aide aux victimes de viol ont subi un contrecoup terrible, sous la forme de ces expéditions de pêche. C'est une terrible injustice faite aux femmes qui ont été agressées sexuellement et qui ont osé nommer leur agresseur, mais c'est aussi une attaque contre les femmes qui ont inventé et édifié ces centres d'aide afin que les victimes n'aient pas à subir seules l'injustice du système.
C'est là un élément clé. À peu près tout le monde reconnaît que le système judiciaire est toujours hostile aux femmes et qu'il faut prendre des mesures très fortes pour l'ouvrir. Les centres d'aide aux victimes de viol sont l'un des moyens adoptés par la population. C'est une excellente chose que les Canadiennes aient été parmi les pionnières ayant inventé les centres d'aide aux victimes de viol et les maisons de transition.
Ce projet de loi est nécessaire pour protéger l'existence même de ces centres, car si le Canada continue à dire qu'il est légalement acceptable qu'aucune femme n'ait droit à l'intimité et aux appuis politiques d'un centre d'aide aux victimes de viol et d'une maison de transition, alors nous n'avons pas de raison d'être. Je suis donc heureuse que vous tous le reconnaissiez et cherchiez une façon de protéger les dossiers des femmes.
Bien que nous ayons été la cible principale - et je dirais que les avocats de la défense demandent nos dossiers par principe - ils sont loin de s'en tenir là. Ils réclament aussi les dossiers des pensionnats, les dossiers d'emploi, les dossiers scolaires, les dossiers d'immigration etc. Rien du domaine privé et personnel des femmes n'est laissé intact.
La position de mon organisation, l'Association canadienne des centres contre le viol, est qu'à aucun moment ces dossiers ne sont nécessaires pour tenir un procès équitable. Nous n'avons pas obtenu cette exclusion complète dans le projet de loi. Nous le déplorons et le regrettons. Cependant, nous avons eu un grand niveau de soutien de la part des avocats féministes du pays et du ministère de la Justice, et nous donnons donc notre appui au projet de loi.
Nous pensons qu'il ne va pas assez loin. Nous vous exhortons à apporter les amendements proposés, en particulier par le Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes et l'Association nationale de la femme et du droit, mais aussi à apporter des amendements plus fondamentaux, relevant les seuils. Il faut que la communication soit nécessaire. La conviction doit exister que c'est nécessaire. Vous devez dire aux avocats de la défense qu'ils ne peuvent avoir accès à ces dossiers que si c'est nécessaire. Je pense qu'il faut resserrer le projet de loi de cette façon.
D'aucuns diront que c'est déjà l'intention du projet de loi, mais techniquement il ne le fait pas assez bien. Je vous en prie, faites tout votre possible pour relever le seuil toujours plus haut, car ce devrait être «pas de dossiers, jamais». Ils ne sont tout simplement pas nécessaires.
Un autre aspect dont je voudrais vous parler, c'est l'argent. Il nous a fallu nous adresser aux syndicats. En particulier, deux des plus grands syndicats nous ont donné l'argent nécessaire pour que nous puissions effectuer les recherches pour seulement commencer à protéger les centres d'aide aux victimes de viol et les dossiers personnels qui étaient en jeu. Nulle part dans le pays une femme violée ou battue ne peut-elle obtenir une aide juridique pour défendre ses dossiers. Nulle part dans le pays un centre d'aide aux victimes de viol ou une maison de transition ne peut-il obtenir d'aide juridique pour protéger ses intérêts dans ces dossiers. C'est abominable.
Nous nous rangeons derrière l'ANFD pour demander que cet amendement soit inclus dans le projet de loi. Je ne pense pas que cela suffise - je pense que c'est hautement insuffisant - mais ce sera une prise de position ferme du Parlement. Nous pourrons peut- être à partir de là obtenir mieux. Je vous exhorte donc à adopter cela.
Pour ce qui est de la mémoire fictive, je vais faire une déclaration très audacieuse. Je ne suis pas née d'hier et je serai encore là demain, et si vous pouvez l'attaquer, allez-y.
Je pense que la situation est que 90 p. 100 des femmes n'oublient jamais rien. Voilà la première chose. Il n'y a pas de problème de souvenir. Il n'est pas question de souvenirs refoulés ou retrouvés. La plupart d'entre nous n'oublient jamais rien. Voilà la première chose à noter.
La deuxième est que le syndrome du souvenir fictif est l'invention d'un groupe de personnes aux États-Unis. Il n'a pas de fondement scientifique ou de réalité politique au Canada. Rien de tel ne se passe ici.
Je n'ai pu trouver aucun cas dans l'histoire canadienne où un homme ait été injustement condamné pour agression sexuelle ou violence contre une femme, hormis les deux ou trois affaires notoires où la police a intentionnellement accusé quelqu'un faussement. La police n'a pas utilisé les femmes pour cela; elle a principalement inventé les preuves elle-même, particulièrement avec des témoignages de détenus.
Je dis carrément que ce n'est pas un problème. C'est un débat politique fictif.
Je m'en tiendrai là pour répondre à vos questions.
La présidente: Je vous remercie, Lee. Comme d'habitude, vous parlez sans détour.
[Français]
Madame Gagnon.
Mme Christiane Gagnon: Vous semblez être d'accord sur les différents témoignages des associations de femmes qui sont venues témoigner et qui estimaient que le projet de loi allait dans la bonne direction, mais souhaitaient qu'on resserre les critères ou motifs qui justifient l'accès aux dossiers des victimes. Vous allez dans le même sens. Pourriez-vous préciser quels éléments devraient être davantage resserrés? S'agit-il de certains types de dossiers qui relèvent de thérapeutes ou de sociopsychologues? Certains groupes ont demandé qu'on apporte un amendement afin que les motifs soient resserrés et que certains soient déclarés insuffisants pour justifier un accès aux dossiers.
[Traduction]
Mme Lakeman: Je vais essayer de m'exprimer aussi simplement que possible, car je pense qu'il est très important que nous nous comprenions.
La première chose que je demande est que l'on choisisse avec grand soin l'emplacement du mot «nécessité». Il ne devrait pas être possible d'obtenir l'accès à des dossiers à moins qu'il soit prouvé qu'ils sont nécessaires pour un procès équitable. Ce ne doit pas être une question de possibilité de pertinence, mais de nécessité.
La deuxième chose que je veux dire, c'est que les centres d'aide aux victimes de viol et les groupes de femmes ne demandent pas l'exemption professionnelle. Nous ne demandons pas que vous nous déclariez hors limite, pour des raisons de secret professionnel. Nous disons que tous les dossiers des femmes doivent être protégés.
[Français]
Mme Christiane Gagnon: D'accord. Êtes-vous en faveur d'un fonds d'aide pour rembourser les personnes à qui la défense demande de venir témoigner ou les personnes ressources dont on a besoin, puisque certains frais sont liés à cela? Cette aide devrait-elle relever du gouvernement fédéral? On nous dit qu'elle relève des provinces et que le gouvernement fédéral n'a pas l'intention de créer un fonds d'aide, réitérant que l'aide juridique relève des provinces. Je sais bien qu'elle relève des provinces, mais il faut quand même être assez réalistes quant à l'appui qu'on pourrait donner aux différents groupes et aux personnes qui seraient citées à comparaître comme témoins.
[Traduction]
Mme Lakeman: J'ai trois réponses à cela.
Premièrement, c'est une affaire fédérale, car c'est une affaire d'égalité des femmes, ce qui la rend sujette à la Charte. Il y a donc la possibilité de créer un fonds fédéral.
Deuxièmement, je pense que l'ANFD, l'Association nationale de la femme et du droit, a proposé un mécanisme par lequel le juge pourrait ordonner à la province d'accorder une certaine aide juridique. Cela me semble un amendement utile. Les centres d'aide aux victimes de viol ou autres détenteurs d'archives ont désespérément besoin de pouvoir engager des avocats pour défendre leurs intérêts de tierce partie. Mais la victime elle-même a besoin de fonds pour engager un avocat et protéger ses intérêts de partie directe.
[Français]
Mme Christiane Gagnon: Je vous remercie beaucoup de vos réponses.
[Traduction]
La présidente: Monsieur Hanger.
M. Art Hanger: Madame Lakeman, j'ai besoin que vous précisiez un peu quels dossiers vous jugez très importants à protéger, particulièrement dans un centre d'aide aux victimes de viol. Si un appel téléphonique vous parvenait divulguant certains renseignements, dites-vous que ces renseignements ne devraient pas être communiqués aux enquêteurs?
Mme Lakeman: De quoi parlez-vous? Voulez-vous dire, si un violeur appelle et dit que c'était lui?
M. Art Hanger: Non, la victime.
Mme Lakeman: Que pourrait bien dire la victime?
M. Art Hanger: Elle appellerait pour divulguer ce qui lui est arrivé. Dites-vous que l'enquêteur ne devrait pas avoir accès à ce renseignement?
Mme Lakeman: Tout d'abord, parlez-vous là des renseignements que la femme nous a donnés?
M. Art Hanger: Oui. Nous parlons ici de la question de savoir quels dossiers doivent être accessibles et lesquels ne doivent pas l'être, et ce qu'il faut remettre à la police et ce qu'il ne faut pas remettre. Parlez-vous de témoignages particuliers sur ce qui a pu se passer lors d'un incident?
Mme Lakeman: Commençons au tout début. Je pense que la défense n'a pas même le besoin de savoir si la victime a appelé un centre d'aide aux victimes de viol ou non. C'est une donnée qui n'a absolument rien à voir avec la question de savoir si cet homme a attaqué cette femme à ce moment-là.
M. Art Hanger: Mais je crois savoir que dans les enquêtes policières, particulièrement dans les cas d'agression sexuelle, le témoignage de la première personne qui est entrée en contact avec la victime est très important. Est-ce que cela ne reviendrait pas à ignorer des éléments de preuve très importants qui devraient être portés à la connaissance du tribunal?
Mme Lakeman: C'est une conception très désuète de ce qui se passe dans les procès pour agression sexuelle. Ce n'est presque plus jamais un enjeu dans les procès.
M. Art Hanger: Bon.
La présidente: Est-ce tout?
M. Art Hanger: C'est tout.
La présidente: Plus d'autres questions? D'accord.
Eh bien, Lee, apparemment votre absence de détours vous permet de vous en tirer rapidement aujourd'hui. Nous apprécions votre contribution et vous remercions infiniment d'avoir pris le temps de vous joindre à nous. Vous étiez déjà là à Ottawa, il y a quelques jours, et c'était un plaisir de vous revoir. Merci beaucoup.
La séance est levée.