[Enregistrement électronique]
Le lundi 17 mars 1997
[Traduction]
La présidente (Mme Shaughnessy Cohen (Windsor - Sainte-Claire, Lib.)): Notre témoin de cet après-midi est Mme Susan Chapman, qui est procureure de la Couronne. Elle est venue de Toronto spécialement pour nous.
Êtes-vous ici à titre de représentante du gouvernement de l'Ontario, de porte-parole officielle?
Mme Susan Chapman (procureure de la Couronne, Bureau du Procureur de la Couronne - Section criminelle, ministère du Procureur général de l'Ontario): Tout à fait. Je suis ici à titre de procureure de la Couronne et de porte-parole du Procureur général de l'Ontario.
La présidente: Très bien. Veuillez nous présenter votre témoignage.
Mme Chapman: D'abord, je tiens à vous remercier de m'avoir invitée à comparaître devant votre comité pour y exposer notre point de vue. Comme je l'ai mentionné, je le fais à titre de porte- parole du Procureur général de l'Ontario et de procureure de la Couronne.
Pour vous donner une idée de mon expérience, je vous signale que j'ai été associée à des centaines de poursuites pour agression sexuelle, depuis l'étape de l'enquête jusqu'à celle de l'audition de la cause, en première instance et en appel. Je suis également intervenue dans une foule de litiges ayant trait à la communication de dossiers, qui ont été portés devant les tribunaux. J'ai en outre participé dans une certaine mesure au processus de consultation.
Je tiens à vous signaler dès le départ que je me propose de ne pas trop répéter ce que d'autres témoins vous ont déjà dit. J'entends aller droit au coeur de vos préoccupations, mais d'abord, je ne saurais trop vous rappeler qu'on a assisté à une véritable prolifération, de la part des avocats de la défense, de demandes d'accès à toute la panoplie des dossiers personnels de plaignants dans les affaires d'agression sexuelle. C'est presque exclusivement dans le cas des poursuites pour agression sexuelle qu'on a pu observer un tel intérêt pour les dossiers. Cette pratique a vraiment pour effet d'intimider les victimes, de les dissuader de poursuivre leur agresseur ou de participer au processus judiciaire. Il y a donc là un très grave problème d'application de la loi.
Cette tendance a commencé à se manifester aux alentours de 1992, plus précisément, je pense, au moment où le Parlement a tenté de trancher le débat entourant le droit d'évoquer le passé sexuel des plaignants. La Cour suprême venait d'invalider ce qu'on appelait à l'époque les mesures législatives visant à protéger les victimes de viol, et le Parlement avait dû adopter de nouvelles dispositions visant le même objectif, dispositions qui, à ma connaissance, ont résisté jusqu'à maintenant à l'analyse de tous les tribunaux - et, croyez-moi, j'ai suivi l'affaire de près. En fait, ce qui s'est alors produit, c'est qu'en fermant une porte, on en a ouvert une autre toute grande.
Donc, bien que je sache que les autres témoins l'ont fait avant moi, je crois qu'il s'impose de rappeler ce contexte. Dans à peu près 80 p. 100 des causes, la défense demande l'accès à ces dossiers pour connaître, d'une façon ou d'une autre, le passé sexuel de la victime. Il importe de garder cela à l'esprit. Une telle tendance s'est d'abord manifestée surtout en Ontario et en Colombie-Britannique. Depuis que la Cour suprême a rendu son jugement, elle s'est toutefois étendue à l'ensemble du pays.
Quand l'affaire a débuté, en 1992, en Ontario, nous avons chargé des comités de consulter tous les groupes intéressés: les policiers, les intervenants de la Société d'aide à l'enfance, les thérapeutes, les avocats de la défense, les victimes, etc. Nous voulions en arriver à une position de principe que nous pourrions utiliser au tribunal et qui tiendrait compte des problèmes très complexes qui peuvent se poser dans les causes de ce genre.
Il nous a donc fallu déployer beaucoup d'efforts pour tenter de résoudre les problèmes majeurs qui se sont présentés, car cette question n'est pas aussi simple qu'elle peut le sembler. Naturellement, dans notre province comme dans bien d'autres, il existe de nombreuses lois provinciales qui contiennent des mesures visant à assurer la protection des dossiers personnels, psychiatriques et d'hôpital notamment. Mais, comme vous le savez fort bien, les lois provinciales ne peuvent régir la procédure judiciaire applicable aux causes criminelles, qui est de ressort fédéral. Donc, même si toutes les provinces tiennent résolument à garantir la confidentialité de certains dossiers et de certains faits, rien de tout cela ne vaut en matière criminelle.
Voilà pourquoi il est essentiel, à notre avis, que le Parlement fédéral adopte les mesures qui s'imposent pour que la volonté démocratique soit respectée. C'est dans cet esprit que nous appuyons le projet de loi C-46.
Je vous signale en passant que, lors de la récente rencontre des ministres de la Justice fédéral, provinciaux et territoriaux, tous les procureurs généraux ont souscrit à notre position et appuyé le projet de loi C-46.
Les autres témoins vous ont sans doute expliqué comment, dans le passé, les femmes et les enfants impliqués dans des poursuites pour agression sexuelle ont toujours dû faire face à des contraintes arbitraires particulièrement injustes, qui nuisent à l'exécution de la justice. On n'a qu'à songer à cet égard aux exigences exceptionnelles qui leur ont été imposées relativement à la corroboration des faits, à la prise en considération de plaintes récentes ou aux demandes d'examen de leur passé sexuel. Parmi ces contraintes, celle dont nous discutons ici, je vous le rappelle, éclipse toutes les autres parce qu'elle les englobe toutes et qu'elle porte bien davantage à conséquence. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'on réclame et obtient ces dossiers.
Je suis donc maintenant assurée que vous êtes conscients de la nature et de l'importance de ce contexte, mais j'aimerais également faire ressortir un autre aspect important qui caractérise tout particulièrement cet intérêt pour les dossiers et dont les autres témoins n'ont peut-être pas parlé.
En droit criminel, les accusés n'ont normalement jamais droit, avant la tenue du procès, de prendre connaissance de renseignements que détient une tierce partie. Par exemple, si de retour à la maison je raconte à mon mari que je viens de me faire voler et que, par la suite, mon mari écrit à ma mère pour lui décrire mon désarroi, il est possible que plus tard l'avocat de la défense vienne demander à mon mari de lui rapporter ce que je lui ai dit. Mon mari sera toutefois libre d'opposer un refus catégorique à l'avocat de la défense s'il lui demande de lui remettre la lettre qu'il a écrite à ma mère. Si cet avocat veut obtenir son témoignage, il pourra demander que mon mari soit assigné à comparaître pour être interrogé. S'il veut que mon mari apporte la lettre, mon mari l'apportera, l'expliquera et la situera dans son contexte, mais c'est le seul moyen que peut prendre l'avocat de la défense pour obtenir le témoignage de mon mari. Tout citoyen canadien est tenu en loi de collaborer avec le système de justice pénale, mais cette obligation se limite à l'acceptation de comparaître devant le tribunal pour y être interrogé comme témoin.
Au début, je m'opposais à cette mesure législative, parce qu'elle autorise l'émission de mandats de perquisition, ce qui est exceptionnel. Mais, à la réflexion, je me suis dit qu'étant donné que la Cour suprême permet déjà de telles perquisitions, il s'agit maintenant plutôt d'établir quelles conditions doivent régir l'obtention du droit de perquisitionner un endroit cible, un centre de protection des victimes d'agression sexuelle, par exemple. Ce qu'on a fait, c'est qu'on a remplacé l'assignation par le mandat de perquisition. En réalité, l'obtention d'une assignation n'a toujours été qu'une simple formalité: on se présente au palais de justice local, on dresse la liste des personnes que l'on veut faire témoigner, le greffier estampille le tout, l'assignation est émise et les témoins comparaissent.
C'est vraiment ainsi que les choses se passent actuellement en vertu de la procédure établie par la Cour suprême du Canada. Le critère de la pertinence vraisemblable est extrêmement général. Tout ce qu'une personne a fait au cours de sa vie peut avoir une incidence sur sa crédibilité comme témoin. La défense a-t-elle déjà eu accès, avant un procès, à tout ce qu'un témoin a fait au cours de sa vie?
Les avocats de la défense prétendent, par exemple, que la simple pertinence devrait suffire. Si elle était suffisante pour justifier une perquisition équivalant à une intrusion, peut-être devrait-on trouver justifiable qu'ils demandent que des dispositifs d'écoute électronique soient installés sur les appareils téléphoniques de tous les témoins.
Pourquoi leur faudrait-il démontrer que les dossiers peuvent contenir des éléments importants pour la justice? Les documents qu'ils recherchent sont pertinents puisque la personne en cause le prétend. Voilà les motifs qu'on invoquera: exactement les mêmes que par le passé. Pour la défense, cela suffit. Il s'agit d'un témoin, et elle veut tout savoir à son sujet. Pour nous, cela est inadmissible.
Donc, quand certains prétendent que la défense est coincée, qu'elle n'a aucune latitude, il faut replacer la question dans son contexte. Nous sommes d'avis qu'au contraire, on lui a donné un pouvoir qu'elle n'a jamais eu auparavant, celui d'effectuer des perquisitions et des saisies. Or, elle voudrait que ce pouvoir ne soit assorti d'aucune condition, qu'il ne soit soumis à aucune limite, qu'il ne soit nullement défini.
Nous estimons qu'actuellement, depuis que la Cour suprême a rendu sa décision, la défense détient un pouvoir de perquisition et de saisie plus grand que celui que possèdent la police et la Couronne. On ne m'accorderait jamais un mandat de perquisition pour saisir le plus de documents possibles afin d'affaiblir la crédibilité d'un témoin. Je ne pourrais jamais obtenir un tel mandat, alors que la défense, elle, a maintenant cette possibilité. Tout ce que nous demandons, c'est que ce pouvoir soit délimité dans la loi. C'est déjà un écart considérable par rapport à la normalité en droit pénal. Ce que nous voulons, c'est qu'on rétablisse un peu l'équilibre, que le droit de perquisition et de saisie qu'on a accordé à la défense s'accompagne de responsabilités.
Il s'agit d'un droit, d'un pouvoir très considérable. Il a d'énormes conséquences sur la vie des gens, sur leur droit à la vie privée, sur leur droit à l'égalité, sur la marche de leurs affaires. Pour toutes ces raisons, il ne devrait pouvoir s'exercer qu'à certaines conditions fondamentales. Sur les centaines de causes qui ont été entendues en Ontario, il a presque invariablement suffi à la défense d'invoquer le critère de la simple pertinence pour qu'une ordonnance de communication de dossiers soit émise. Donc, je le répète, la simple pertinence est nettement insuffisante.
Les Canadiens comprennent très bien le problème. Pour avoir été victime d'un acte criminel, ou pour avoir été assigné à comparaître comme témoin dans une affaire criminelle - sans avoir commis de faute - , doit-on nécessairement et automatiquement renoncer à son droit à la protection de sa vie privée? Il faut qu'il y ait un certain équilibre. Ce n'est pas le cas à l'heure actuelle; les dés sont proprement pipés en faveur d'une des parties. Par conséquent, tout ce que nous demandons, c'est qu'on rétablisse un peu l'équilibre. C'est ce que vise ce projet de loi.
Cette mesure législative est très complexe, mais ayant personnellement été amenée à me pencher sur cette question depuis des années, je ne m'étonne pas qu'elle le soit. Des intérêts fort divers sont en jeu, qu'il faut concilier. C'est pourquoi nous devons aborder la question sous cet angle, mais en tenant compte du contexte dont je vous ai parlé.
J'aurai deux ou trois amendements à proposer, et je veux vous en parler, mais uniquement pour faire ressortir encore davantage qu'il y a dans le système de justice pénale d'autres intérêts en jeu que ceux des accusés. Nous nous devons de protéger les droits des accusés et de respecter le principe de la présomption d'innocence, mais pourquoi une catégorie particulière de victimes se verrait-elle toujours imposer de nouvelles exigences arbitraires? C'est proprement injuste. Quand on autorise de telles expéditions de pêche, il y a tellement de surpêche qu'on finit par épuiser le bassin de témoins.
À vrai dire, en agissant de la sorte, on dissuade les femmes d'intenter des poursuites ou de suivre une thérapie, ou on les force à choisir entre l'un et l'autre. Il est vraiment intolérable que le processus les amène à être ainsi doublement victimes. L'administration de la justice s'en trouve carrément discréditée.
Pour revenir sur la question du critère de la pertinence vraisemblable, reportons-nous à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Carosella. Si la Cour a établi dans cette cause que les dossiers étaient utiles à l'accusé, il n'existe pas d'arguments valables pour justifier un refus. En effet, la plaignante a accepté que les dossiers soient communiqués. Au début de l'entrevue avec le juge et devant le tribunal, elle a affirmé que les propos qu'elle avait tenus en entrevue au centre d'aide aux victimes d'agression sexuelle étaient essentiellement les mêmes que ceux qu'elle a tenus au tribunal. Elle s'est adressée à ce centre parce qu'elle n'était qu'une humble femme d'un petit village et qu'elle ne savait pas où aller pour signaler une agression. Elle et son mari se sont dit que la meilleure chose à faire était de se rendre au centre d'aide local au cas où ce leur serait utile: suffit-il de se présenter au comptoir du 55 Division, ou quoi?
L'entrevue a duré une bonne heure. Étant donné que la plaignante avait consenti à ce que les dossiers soient communiqués sans savoir qu'ils avaient déjà été détruits, on peut présumer qu'elle croyait qu'ils lui seraient utiles. Pourtant, les juges de la Cour suprême ont clairement déclaré que ces dossiers auraient aidé la Cour suprême et qu'il fallait donc suspendre l'instance.
À la lumière de ces arrêts, force nous est de conclure qu'il faudrait établir certains cadres pour circonscrire le pouvoir d'accès aux dossiers. La Cour suprême sera très réticente à ériger des quasi-privilèges. C'est au Parlement qu'il revient de reconnaître concrètement ces valeurs.
Les tribunaux sont très soucieux de protéger les droits des accusés, à juste titre dans une large mesure. Ils ne vont pas se mettre à créer des privilèges. Si l'on veut respecter l'opinion de la majorité, il faut tenir compte du fait qu'il y a d'importants intérêts en jeu autres que ceux des accusés. Voilà pourquoi il est essentiel que le Parlement adopte ce projet de loi.
Je me dois d'ajouter que les dossiers thérapeutiques ont une utilité minime dans les procès au criminel. Si l'on se réfère aux décisions de la Cour suprême, mentionnons que dans l'arrêt O'Connor, qui a donné lieu à des audiences très longues et à l'audition d'une foule de victimes, seulement une ou deux des questions posées aux témoins avaient trait aux dossiers. Dans la décision complémentaire Beharriell, il n'a jamais été fait référence à ces dossiers. On est donc en présence d'une pratique qui dissuade les victimes de poursuivre leur agresseur ou de suivre une thérapie, alors que ces dossiers sont pourtant peu utiles, voire tout à fait inutiles, à la défense.
En ce qui concerne les amendements qu'on pourrait apporter au projet de loi, j'en ai trois à vous proposer. Le premier est probablement celui qui présente le plus de difficultés, mais c'est aussi le seul que d'autres témoins ont également proposé dans leur mémoire. Vous en avez donc déjà été saisis.
Je vous le répète, le critère de la pertinence vraisemblable n'est pas suffisant. En réalité, dans l'esprit du projet de loi, le dossier auquel on demande l'accès doit satisfaire au critère de la «pertinence vraisemblable» et à celui de la «nécessit; d'assurer à l'accusé «une défense pleine et entière», comme on peut le constater à la lecture des paragraphes 278.5(1) et (2). La loi devrait être plus explicite à cet égard.
Comme je l'ai indiqué en parlant du critère de la pertinence vraisemblable, tout ce qu'une personne a fait dans sa vie pourrait en principe être réputé vraisemblablement pertinent. Le problème, c'est qu'en se référant à des dossiers qui remontent à un passé très lointain, on risque d'affaiblir injustement la crédibilité du témoin, d'autant plus que, pour y accéder, il faut s'ingérer indûment dans sa vie privée. Or, la loi devrait préciser les limites dans lesquelles une telle inquisition doit être permise, ce qui n'est pas le cas actuellement. Si la pertinence s'étend même aux faits lointains, les intérêts des deux parties ne sont pas conciliés.
Par conséquent, j'ai bien peur que ce que le critère de la pertinence vraisemblable enverra comme message aux tribunaux de première instance, c'est qu'il n'y a rien de changé. Il est donc nécessaire de préciser que c'est de la défense pleine et entière qu'il s'agit ici. Il faut appeler les choses par leur nom. C'est là que devrait se situer le seuil.
Ce seuil, je le reconnais, est établi par le nouveau paragraphe 278.5(2) ainsi que par la liste des motifs insuffisants. Il s'agit d'un petit amendement, mais quand on fournit une liste de facteurs qui en eux-mêmes...
La présidente: Pourriez-vous parler juste un peu plus lentement, s'il vous plaît?
Mme Chapman: Bien sûr.
Pour ce qui est des amendements que je propose, le premier, je le redis, porterait essentiellement sur le critère d'acceptabilité. En définitive, je suis d'avis qu'on devrait remplacer l'expression «vraisemblablement pertinent» par «nécessaire pour assurer une défense pleine et entière».
Il suffirait également d'apporter un petit changement au nouveau paragraphe 278.3(4) et de préciser, en parlant de l'insuffisance des motifs, qu'«aucune affirmation en soi», ou que «l'effet cumulatif» ou qu'«un facteur combiné aux autres facteurs»..., qu'en fait, rien de tout cela n'est suffisant. On établirait, par exemple, à propos de l'effet cumulatif, qu'il ne suffit pas d'affirmer à la fois que le dossier existe et que la personne à laquelle il se rapporte a subi une thérapie.
Une faiblesse de cette disposition, qui porte encore plus à conséquence, c'est qu'on y parle d'affirmations, de simples affirmations, alors qu'en réalité, pour démontrer qu'un dossier est vraisemblablement pertinent, il faut être en mesure d'établir qu'il contient ou pourrait contenir des éléments essentiels à la défense. On n'aurait tout de même pas idée d'adresser au tribunal une telle demande en ne l'appuyant que sur de simples affirmations; je crois que tous en conviendront.
Ainsi, même si la défense, j'en suis consciente, a exprimé des réserves à propos de cette disposition, elle aurait pu difficilement faire le contraire, car en y souscrivant, elle aurait admis en quelque sorte que les simples affirmations suffisent, que, pour avoir accès au dossier d'un plaignant, on n'a qu'à affirmer tout bonnement, sans fondement probatoire, qu'il a suivi une thérapie, par exemple. Ce libellé doit donc être clarifié, car c'est tout l'esprit de cette disposition qui est en cause ici.
Comme on retrouve un peu partout dans cette mesure législative l'expression «vraisemblablement pertinent», il faudrait la remplacer partout où cela s'impose, comme dans le nouveau paragraphe 278.5(1), par exemple.
Ma deuxième proposition d'amendement concerne le nouveau paragraphe 278.6(2), qui traite de la possibilité que le juge ordonne la tenue d'une audience à huis clos pour décider si le dossier devrait ou non être communiqué à la défense. Il faudrait y préciser qui devrait pouvoir participer à cette audience. Ni la Couronne ni la défense ne devraient y être parties, car ni l'une ni l'autre n'ont un droit d'accès à cette information à cette étape de la procédure. Ce sont plutôt le plaignant ou le témoin, ainsi que le détenteur et l'auteur du dossier qui devraient être autorisées à y participer. Ces personnes pourraient aider le juge à se prononcer sur la nature et l'utilité du dossier auquel on demande accès. Il s'agit là d'un point très important.
Ma troisième et dernière proposition d'amendement concerne le nouveau paragraphe 278.7(4), qui dit que lorsqu'un dossier est communiqué à la défense, il ne peut être communiqué à la Couronne que si sa communication sert l'intérêt de la justice. Je ne puis imaginer une situation où il ne serait pas dans l'intérêt de la justice de communiquer à la Couronne un dossier qu'on juge bon de communiquer à la défense. Je vous rappelle que le dossier vient d'un tiers. Nous évoluons dans un système où les parties s'affrontent: la défense surveille la Couronne et vice versa. Si l'autre partie se sert du dossier, nous voulons être en mesure de juger si elle en cite des extraits hors contexte, etc. Il est donc essentiel, s'il y a ordonnance de communication, que le dossier soit accessible aux deux parties.
Ce sont là mes trois propositions d'amendement. Je me ferai maintenant un plaisir de répondre à toutes vos questions.
La présidente: Merci.
[Français]
Madame Gagnon.
Mme Christiane Gagnon (Québec, BQ): Je n'ai pas de questions. Je vais vérifier ces commentaires.
[Traduction]
La présidente: Monsieur Hanger.
M. Art Hanger (Calgary-Nord-Est, Réf.): Je vous remercie de votre exposé. J'y ai trouvé réponse à certaines de mes interrogations.
J'ai quand même encore des choses à vous demander. J'aimerais que vous m'éclairiez davantage sur toute cette question de la divulgation d'information. Même si certains dossiers sont remis à la Couronne, je présume que, si le témoin fait référence à un dossier dont les enquêteurs ont pu prendre connaissance et qui est susceptible de contenir certains renseignements pertinents à la cause, la Couronne va tenter d'obtenir par mandat l'accès au dossier en question. Est-ce bien le cas?
Mme Chapman: Cela dépend. La Couronne ne consulte que très rarement ce genre de dossier.
M. Art Hanger: C'est donc qu'elle n'en a pas besoin et qu'elle s'en tient strictement au témoignage du plaignant.
Mme Chapman: C'est exact. Je crois qu'il importe de bien clarifier ce point. C'est la thèse de la défense qui est généralement retenue en cette matière. Pour la résumer en un mot, tout ce qui, dans un tel dossier, peut servir à la Couronne est inadmissible, et tout ce qui peut s'y trouver d'utile à la défense est admissible, et ce, en vertu des Règles de la preuve. Ce que je veux dire, c'est qu'une déclaration antérieure compatible - et j'utilise le mot «déclaration» dans un sens très large - n'est pas admissible, car on estime que le serment du témoin en fait déjà foi. Par contre, s'il s'agit d'une déclaration antérieure incompatible, la défense peut l'utiliser. C'est ce que prévoient les Règles de la preuve.
Donc, nous n'avons normalement pas accès à de tels dossiers. D'ailleurs, nous tenons à laisser à nos témoins une certaine dignité et à éviter de les priver de réseaux de soutien qui leur sont précieux au moment du procès. Ils ont besoin qu'on respecte leur intimité et ils doivent pouvoir se confier à leur conjoint ou à leur thérapeute. Il est donc très rare que la Couronne prenne connaissance de ces dossiers.
M. Art Hanger: Permettez-moi de revenir sur certains de vos propos. Le témoin ou celui qui a constitué ce dossier serait celui qui viendrait témoigner.
Mme Chapman: Voulez-vous dire dans l'hypothèse où la Couronne se servirait d'un tel dossier? Comme je l'ai expliqué, ce n'est que rarement que nous cherchons à prendre connaissance de ce genre de dossier. Nous ne le faisons qu'exceptionnellement et, le cas échéant, surtout dans des causes où ce sont des résidents d'un établissement qui ont été victimes de mauvais traitements.
Donc, lorsqu'il s'agit d'une affaire qui remonte à loin et où il y a de nombreux accusés et de nombreux plaignants, nous nous présentons devant un officier de justice, nous lui expliquons nos motifs de croire que le dossier contient des éléments de preuve pertinents, naturellement avec preuves à l'appui, puis nous obtenons un mandat de perquisition pour aller chercher au bureau d'archives provinciales toute l'information voulue.
M. Art Hanger: Vous avez parlé de trois ou quatre amendements que vous voudriez qu'on adopte. L'un d'eux porte sur la pertinence vraisemblable. Vous dites qu'on retrouve cette expression un peu partout dans le projet de loi. Si ces changements ne sont pas apportés, qu'allez-vous penser du projet de loi?
Mme Chapman: Dès le lendemain, je me mettrai à faire valoir devant les tribunaux l'esprit du projet de loi. À la lecture des paragraphes 278.5(1) et (2) proposés, on est à même de constater qu'on doit satisfaire à la fois au critère de la pertinence vraisemblable et à celui de la nécessité d'assurer une défense pleine et entière à l'accusé. Mais mon collègue de la défense, lui, voudra s'en tenir au premier critère. Donc, attendons-nous à une foule de litiges. Il serait préférable que ces choses soient clairement libellées, et c'est ce que je tente d'obtenir.
M. Art Hanger: Mais même si on libellait le projet de loi comme vous le proposez, le problème ne serait pas nécessairement réglé. Est-ce bien là ce que vous dites?
Mme Chapman: Je crois que cette formulation contribuerait très largement à régler le problème. J'aimerais simplement qu'on soit clair, pour s'éviter des litiges inutiles.
M. Art Hanger: D'accord.
Ce sera tout pour moi. Merci.
Le président: Merci. Monsieur DeVillers.
M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.): J'aimerais avoir des précisions sur le dernier amendement que vous proposez, celui qui modifierait le nouveau paragraphe 278.7(4). Essentiellement, vous suggérez qu'on enlève au juge son pouvoir discrétionnaire. Vous dites que, dans tous les cas, une copie du dossier devrait être remise à la Couronne.
Mme Chapman: Exactement.
M. Paul DeVillers: L'association des avocats de la défense, qui est venue témoigner la semaine dernière, nous a fait part de son inquiétude à propos du paragraphe 278.2(2), en ce qui a trait à la nécessité pour la défense d'obtenir une renonciation du plaignant quand la Couronne est en possession d'une information que la défense n'a pas et qu'elle juge essentielle d'obtenir. Les avocats de la défense estiment que cette disposition est injuste ou inéquitable. Qu'en pensez-vous?
Mme Chapman: Signalons d'abord que cette règle s'applique depuis qu'elle a été établie par la Cour suprême dans l'arrêt O'Connor. La Cour suprême a alors statué que, même dans l'hypothèse où nous serions inopinément entrés en possession du dossier d'une plaignante - par exemple, si c'était un copain de la plaignante qui, dans un geste vindicatif, nous l'avait remis - , la plaignante n'en conserverait pas moins le droit résiduel au respect de sa vie privée.
La Cour suprême, dans une cause où je suis intervenue - qui portait sur une simple demande d'autorisation que les neuf juges ont d'ailleurs rejetée - , a statué que la demande devait être soumise au deuxième stade de son approbation. Autrement dit, si la Couronne a saisi un dossier par mandat de perquisition, on peut en déduire que la pertinence du dossier en question a été établie et passer à l'étape de sa révision. La Cour suprême a donc déjà pris position en ce sens.
Cela revient à dire que si nous sommes entrés en possession d'un dossier, la défense a de meilleures chances d'y avoir accès elle aussi. Dans le cas de la perquisition aux archives, nous saisissons les documents parce que nous en avons besoin pour confirmer, par exemple, que Johnny fréquentait bel et bien l'école en question en 1962. Mais en exécutant un mandat de perquisition pour obtenir des renseignements sur un établissement public, on se retrouve presque inévitablement avec une quantité excessive de documents.
Est-ce à dire que, du seul fait que nous recourons à ce moyen pour tenter de mener à bien notre enquête, les personnes concernées renoncent automatiquement à leur droit à la protection de leur vie privée? Ce n'est pas mon avis. Selon moi, la défense doit quand même avoir d'autres moyens d'obtenir cette information.
Cela dit, il demeure que la défense pourra alors avoir accès beaucoup plus facilement à des dossiers de ce genre, parce que pour obtenir un mandat, il suffit de remplir un formulaire de demande d'information, formulaire sur lequel les officiers de justice se fondent pour établir la pertinence ou non de communiquer les documents. Si j'étais avocat de la défense, je remplirais tout simplement un tel formulaire. La défense a sûrement accès à cette information.
En réalité, la défense aura d'autant plus facilement accès à ce dossier si nous l'avons déjà nous-mêmes, mais le plaignant garde quand même son mot à dire. Il est une personne, une entité distincte de la Couronne. Il pourrait fort bien nous arriver de reconnaître que la défense a besoin d'un dossier, mais que le plaignant ne partage pas notre avis. Par contre, si les circonstances l'exigeaient, nous pourrions l'obliger à témoigner même contre son gré. Nous ne sommes pas toujours d'accord avec les plaignants. Il faut donc leur permettre de défendre leurs intérêts.
M. Paul DeVillers: Une dernière question. D'après votre expérience comme procureure de la Couronne, diriez-vous qu'on consacre plus d'efforts à sonder la crédibilité d'une plaignante dans une poursuite pour agression sexuelle que celle d'un témoin dans une affaire de voies de fait?
Mme Chapman: Sans l'ombre d'un doute. Rien de plus vrai. J'imagine mal que quelqu'un qui est le moindrement au courant de ce qui se passe dans nos cours criminelles puisse affirmer le contraire.
M. Paul DeVillers: J'ai tenté de faire admettre cela au porte- parole des avocats de la défense, mais je n'y suis pas parvenu.
Mme Chapman: Il suffit de jeter un coup d'oeil aux statistiques sur les poursuites. Qu'en est-il exactement? Comme vous le savez, pour devenir procureur de la Couronne, nous devons d'abord passer quelques années au sein de l'équipe chargée des causes d'agression sexuelle au centre-ville ou ailleurs - nous avons une équipe de spécialistes en la matière - , et le taux d'épuisement professionnel y est effarant. Nos victimes sont traumatisées et intimidées. C'est un dur boulot.
N'en doutez pas, les plaignantes sont soumises à un interrogatoire serré et on exige davantage d'elles que des autres témoins.
M. Paul DeVillers: Merci.
La présidente: Madame Torsney.
Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.): Je vous signale tout d'abord - et je suis sûre que la plupart de mes collègues seront d'accord avec moi sur ce point - que nous sommes très heureux de vous avoir ici, car les avocats de la défense qui ont comparu devant nous l'autre jour nous ont incontestablement brossé un tout autre tableau de la situation.
En fait, vous avez visé juste en prenant l'exemple des tables d'écoute, car c'est précisément l'exemple qu'ils ont utilisé pour nous montrer à quel point on pouvait faire confiance aux juges en matière de protection de ce type d'information. C'est que, voyez- vous, les juges ont l'habitude d'entendre des causes où ils ont à statuer sur des questions fort délicates d'écoute électronique, qui, au fond, s'apparentent de très près à celles qui nous préoccupent.
L'autre chose qui m'a fait sursauter dans le témoignage des avocats de la défense, c'est qu'ils ont prétendu que les groupes qui se déclarent favorables au projet de loi et qui font état d'une diminution du nombre de cas signalés ou d'accusations portées - votre signe de tête me laisse présumer que vous jugez ces propos plutôt pertinents - sont dans l'erreur. À preuve, les tribunaux sont débordés de telles causes.
Mme Chapman: Malheureusement, il se commet un grand nombre d'agressions sexuelles. Il me semble y avoir une foule de gens très bien intentionnés qui se plaisent à croire qu'il n'en est rien, mais malheureusement, c'est bel et bien le cas. Nous n'apercevons que la pointe de l'iceberg. La Cour suprême du Canada l'a explicitement reconnu en rendant sa décision dans l'affaire du Canadian, par exemple, où elle disait envisager d'interdire la publication dans la presse des noms des plaignantes dans les poursuites pour agression sexuelle. Il ne fait aucun doute qu'on sous-estime énormément le nombre d'agressions sexuelles. Il y a de nombreuses poursuites et, dans la plupart des cas, les accusés se défendent âprement. Les plaidoyers de culpabilité sont rares dans les affaires d'agression sexuelle.
Mme Paddy Torsney: Vous avez raison. J'ai trouvé votre développement fort intéressant.
À votre avis, qu'avait-on à l'esprit en ajoutant ce dernier bout de phrase à la toute fin du nouveau paragraphe 278.7(4)?
Mme Chapman: Je ne saurais le dire, j'ai bien peur.
Mme Paddy Torsney: Nous devrons peut-être poser la question à nos rédacteurs législatifs.
Je vous félicite de l'amendement que vous proposez d'apporter au nouveau paragraphe 278.6(2). C'est une idée fantastique que de préciser quelles parties devraient être invitées à l'audience. Je ne veux pas dire que vos autres propositions ne sont pas formidables elles aussi, mais je tenais à souligner le fait que vous êtes la seule, sauf erreur, à avoir fait une telle proposition.
Enfin, pourriez-vous me dire si les poursuites civiles sont différentes des poursuites criminelles? Je sais bien qu'elles le sont, mais y a-t-il quelque chose qui les différencie sur le plan des critères qu'on applique, ou sur quelque autre aspect? Si je vous pose cette question, c'est que dans les poursuites pour des actes qui auraient été commis il y a fort longtemps, où on accuse un parent, un frère ou une soeur, par exemple, et où il est parfois question de souvenirs fictifs, ou plutôt de souvenirs reconstitués - mon Dieu qu'il est difficile de respecter les règles de la rectitude politique! - , certains plaignants ont eu gain de cause, je pense, au civil. Il me semble exister certaines différences entre le civil et le criminel à cet égard.
Pourriez-vous nous préciser ce qu'il en est, car on s'y perd un peu.
Mme Chapman: Je ne suis pas experte en droit civil. En fait, le jour même où la Cour suprême a fait connaître sa décision dans l'affaire Carosella, elle a également rendu public un jugement type au civil dans lequel elle statuait sur la question de la communication de dossiers et où, si je ne m'abuse, elle a appliqué au contexte du droit civil les mêmes principes que ceux établis dans l'arrêt O'Connor.
Mais, dans le cadre des procédures civiles, il y a vraiment, à mon sens, une foule d'autres arguments qu'on peut invoquer pour établir la pertinence d'un dossier dont on demande la communication. Il y est principalement question de dommages- intérêts et de préjudice causé à une victime. Par exemple, on demandera à la victime si la thérapie qu'elle suit a quelque chose à voir avec l'agression qu'elle a subie, ce à quoi elle répondra probablement oui.
Ce que nous essayons d'établir dans une affaire criminelle ne nous justifierait pas - il ne me serait pas permis de le faire, vraiment pas - d'utiliser des affirmations du genre «Je suppose que le choc a dû être très bouleversant et terrible, que c'est ce qui vous a amenée à ne plus avoir de rapports sexuels normaux avec votre mari», etc. De tels propos sont porteurs de jugement. Les procédures civiles se prêtent beaucoup mieux à ce genre de plaidoirie.
Mme Paddy Torsney: Je vois. C'est d'ailleurs ce qui inquiète également bon nombre de ceux qui croient à l'existence du syndrome de mémoire fictive.
On nous a dit que si les procureurs de la Couronne ont ces dossiers en leur possession, c'est en partie parce que les victimes signent des renonciations ou leur remettent elles-mêmes les dossiers, soit spontanément, soit par sentiment d'obligation. Il s'agit là d'une pratique vraiment déplorable, de la part de la police comme des procureurs de la Couronne. Nous avons besoin de ce projet de loi pour que les victimes qui ne sont pas conscientes de leurs droits ne se sentent plus obligées de remettre ces dossiers à la police ou aux procureurs.
Mme Chapman: C'est un gros problème. En réalité, si nous portons atteinte au droit d'une personne à la protection de sa vie privée, nous nous exposons à une poursuite au civil. Si, à l'inverse, nous omettons de divulguer certains renseignements pertinents, nous risquons de nous voir imposer des mesures disciplinaires par le barreau pour avoir gravement dérogé à notre code de déontologie. Le problème, c'est qu'avec la loi actuelle, on ne sait trop sur quel pied danser. C'est une raison de plus pour exiger que la loi soit plus claire. On doit savoir à quoi s'en tenir. Les agents de police ont en main des formulaires dans lesquels on demande: «Acceptez-vous de me remettre ces documents?» Certains corps de police ont convenu de ne pas faire signer de telles autorisations.
À vrai dire, on ne renseigne pas toujours convenablement la victime. Ainsi, on ne lui dit pas que ce qui est contenu dans les documents pourrait hypothétiquement lui nuire, ni que le présumé agresseur risque d'être le premier à en prendre connaissance. Très souvent, on ne lui donne pas tous les éléments d'information voulus pour lui permettre de décider en pleine connaissance de cause si elle devrait ou non remettre ces documents.
C'est donc un problème de taille, mais je ne crois pas que la police soit vraiment à blâmer. Les policiers essaient simplement de bien faire leur travail. Ils s'efforcent de se conformer aux directives de la Cour suprême. Ce dont nous avons tous besoin, c'est de plus de clarté dans la loi, et ce, à tous égards.
Mme Paddy Torsney: J'aurais une toute dernière question, madame la présidente, si vous me le permettez.
Si nous amendions le paragraphe 278.6(2), s'imposerait-il autant de donner suite à votre proposition? Ne devrions-nous pas nous en tenir au plaignant, au détenteur du dossier et à son auteur? Serait-il aussi nécessaire de faire bénéficier la victime des services d'aide juridique?
Mme Chapman: Peut-être que non. À propos, c'est la règle de conduite qu'a adoptée la Cour suprême des États-Unis. Dans ce pays, seuls le détenteur du dossier et le plaignant peuvent participer à l'audience à huis clos pour expliquer au juge de première instance la nature des éléments contenus dans le dossier. C'est d'ailleurs de là que nous est venue l'idée. En vérité, ce type de participation contribuerait largement à résoudre une partie des problèmes qui se posent, à commencer par celui de la représentation.
Mme Paddy Torsney: Merci.
La présidente: Merci. Monsieur Maloney.
M. John Maloney (Erie, Lib.): Sur le même sujet, de nombreux témoins nous ont mentionné qu'on devrait accorder une aide financière aux victimes de tels actes, par l'intermédiaire des services d'aide juridique ou autrement. Que pensez-vous de cette idée, et qu'en pense votre patron?
Mme Chapman: Vous voulez parler du Procureur général de l'Ontario?
M. John Maloney: Précisément.
Mme Chapman: Je vous avouerai franchement que je n'ai pas réfléchi longuement à cette question, parce qu'elle n'est pas mentionnée dans le projet de loi. On ne m'a pas non plus donné d'instructions précises à cet égard.
Je peux vous dire ce qui se fait en Ontario sur ce chapitre. Les Ontariens n'obtiennent pas d'aide juridique pour se faire représenter par un avocat aux audiences relatives à des demandes de dossier. On s'est demandé en comité s'il n'y aurait pas lieu de modifier notre régime d'aide juridique, s'il ne faudrait pas donner des directives à cet égard aux comités chargés de décider qui a droit aux certificats. Je ne pense pas qu'on ait pris de décision définitive sur cette question.
M. John Maloney: Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez personnellement?
Mme Chapman: Il vaudrait mieux pas, car je suis ici seulement à titre de porte-parole officielle, bien que mes idées personnelles et celles que je suis chargée de vous transmettre concordent presque parfaitement.
La présidente: Merci.
Avez-vous d'autres questions, monsieur Hanger?
M. Art Hanger: Oui, j'en ai une. Elle concerne la police.
Je me rends compte que, dans notre pays, il y a toute une différence dans la façon dont les divers services de police traitent les plaintes. D'ailleurs, certains d'entre eux ne les traitent pas très convenablement.
D'après mon expérience, les procureurs de la Couronne ont toujours cherché à s'entendre avec les services de police pour établir de bonnes procédures, éprouvées et appliquées. Là où ce genre d'entente est respectée, l'audition des causes devant le tribunal se déroule fort bien. D'autres services de police semblent très réticents à entrer dans le rang et à former certains de leurs membres pour en faire des experts en la matière.
De manière générale, que pourrait faire votre ministère, non pas tellement en relation directe avec l'application de ce projet de loi, mais en en tenant vraiment compte, pour contribuer à la formation des policiers et à l'établissement d'une certaine uniformité dans ce domaine?
Mme Chapman: Quand je donne des cours aux aspirants policiers à l'institut de police en Ontario, j'essaie de leur expliquer qu'ils auraient avantage à conseiller à la plaignante de faire appel à un conseiller juridique indépendant au lieu de l'inviter à signer un formulaire d'autorisation d'accès à son dossier.
Je les préviens qu'encore là, ils sont placés dans une situation très embarrassante et très délicate, vous en conviendrez. La victime se présente au policier. Elle lui dit qu'elle a été agressée. Il lui demande de prendre un avocat. C'est pour le moins paradoxal. Ne vaudrait-il pas mieux lui signaler qu'elle a le droit de solliciter l'aide d'un avocat? Elle a peut-être des intérêts à défendre qu'elle veut garder pour elle seule. J'explique à mes élèves que les procureurs de la Couronne ne sont pas les avocats des plaignants.
Il me faut toujours être bien claire là-dessus: nous ne sommes pas les avocats des victimes. Il se peut même qu'en dernière analyse, la Couronne soit amenée à prendre position directement à l'encontre d'un plaignant. Il faut faire comprendre au plaignant que s'il choisit de nous remettre des documents, ces documents se retrouveront entre les mains de l'accusé. D'ailleurs, la Cour suprême nous a donné instruction d'au moins prévenir les plaignants de l'existence de cette règle. Néanmoins, j'ai bien peur qu'il y ait très peu d'uniformité dans la façon d'aborder cette question, car la loi est très vague à cet égard.
M. Art Hanger: À mon avis, on devrait s'employer résolument à résoudre ce problème.
Par ailleurs, je ne crois pas que ce projet loi, ou quelque autre du même genre, puisse jamais remédier à l'anomalie dont nous allons être témoins après la condamnation. Je prédis une augmentation du nombre de causes portées en appel. Pour divers motifs, les victimes seront de nouveau entraînées dans l'engrenage judiciaire, et ce, à répétition. C'est déjà ce que j'observe à l'heure actuelle. La défense va maintenant avoir de nouvelles raisons de contester les jugements, et elle le fera avec plus d'opiniâtreté que jamais.
Mme Chapman: Il y a déjà énormément de litiges sur cette question. Ici en Ontario, on en entend parler sans cesse dans nos palais de justice. Je ne pense pas que ce projet de loi va contribuer à accroître le nombre de litiges. Il se peut toutefois qu'il occasionne des litiges sur des points plus précis. Il est toujours souhaitable que la loi soit le plus claire possible. C'est très important. Actuellement, elle manque drôlement de clarté.
M. Art Hanger: Mais ce que je comprends - et vous en êtes probablement déjà arrivée à la même conclusion - , c'est que cette mesure ne va pas changer grand-chose.
Mme Chapman: Oh! je n'ai pas...
M. Art Hanger: Je ne veux pas dire...
Laissez-moi terminer; ne paniquez pas, madame Torsney.
La présidente: Si vous voulez vous adresser à un autre membre du comité, monsieur Hanger, vous devez le faire par l'entremise de la présidence.
M. Art Hanger: Ce projet de loi, j'en conviens, protégera les victimes et leur facilitera les choses, mais si l'on songe à ce qui va se passer après, il n'y aura rien de changé.
Mme Chapman: J'ai du mal à comprendre ce que vous entendez par «ce qui va se passer après».
M. Art Hanger: Je songe aux appels, aux contestations qui demeureront à l'avant-scène du paysage judiciaire, que ce soit en raison de la teneur de ce projet de loi ou d'autre chose, mais notamment à cause du manque de clarté du libellé de cette mesure législative, comme vous l'avez bien fait ressortir. Il y aura encore des contestations et des appels, et Dieu sait jusqu'à quand.
Mme Chapman: J'imagine, en effet, que l'accusé conservera toujours son droit d'interjeter appel. À mon avis, quand le Parlement intervient et se donne la peine de rédiger une mesure législative pour régir le droit procédural et le droit positif, pour faciliter le travail des juges de première instance, des avocats et des tribunaux, il devrait s'ensuivre non pas une augmentation, mais bien une diminution du nombre de litiges. Cela vaut pour le projet de loi C-46.
M. Art Hanger: J'espère que vos prédictions vont s'avérer, en particulier en ce qui concerne ce projet de loi.
La présidente: Monsieur Kirby.
M. Gordon Kirby (Prince Albert - Churchill River, Lib.): Le témoin a déjà répondu à ma question.
La présidente: Madame Chapman, nous vous sommes obligés de votre très utile prestation. Il ne nous est pas souvent donné d'entendre le témoignage d'un procureur de la Couronne. Je trouve qu'il y a là un réel problème. À l'occasion de l'étude d'autres projets de loi, il nous est arrivé à plusieurs reprises d'inviter des procureurs généraux à nous déléguer de vrais procureurs de la Couronne, en chair et en os, mais on a chaque fois décliné notre invitation.
Nous vous sommes donc d'autant plus reconnaissants d'avoir accepté de venir nous rencontrer. Merci. Votre contribution a été très utile.
Mme Chapman: Tout l'honneur est pour moi. Merci.
La présidente: La séance est levée. Nous reprendrons nos travaux demain matin, à 9 h 30.