[Enregistrement électronique]
Le mardi 30 avril 1996
[Traduction]
La présidente: La séance est ouverte.
Nous accueillons ce matin Kim Pate, de l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry.
Kim, nous avons jusqu'à 11 heures. Je vous demanderais de faire votre déclaration liminaire dès que vous serez prête, après quoi il y aura une période de questions.
J'aimerais d'abord signaler la présence d'un nouveau membre du comité, Paul DeVillers, secrétaire parlementaire du ministre des Affaires intergouvernementales.
Mme Kim Pate (adjointe administrative, Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry): Merci beaucoup.
Je tenterai d'être brève afin de pouvoir répondre à un plus grand nombre de questions possible. Je vous remercie beaucoup de nous avoir invités et je tiens à transmettre les excuses des administrateurs de l'association, qui n'ont pu se joindre à moi. Nous devions venir témoigner il y a deux semaines environ, mais, pour plusieurs raisons, nous avons dû remettre notre comparution; je vous présente donc les excuses des administrateurs, pour qui il a été impossible de venir aujourd'hui.
Afin de vous donner une idée de ce qu'est l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, je vous donnerai quelques renseignements généraux sur notre organisation, puis j'aborderai les préoccupations, les questions et les vues de notre association concernant la loi que vous examinez.
L'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry est, comme son nom l'indique, un regroupement de 21 organisations d'un peu partout au pays qui dispensent des services directement aux collectivités et qui relèvent de conseils d'administration communautaires. Ces sociétés sont toutes autonomes, mais sont unies à l'association nationale par leurs croyances et leurs positions fondamentales sur des questions comme celle-ci.
Les sociétés sont dirigées par la collectivité, par la base. Elles sont constituées surtout de bénévoles de tout le pays, des gens qui travaillent avec notre organisation et d'autres qui la dirigent en siégeant aux conseils d'administration. Je relève moi-même d'un conseil d'administration constitué de représentants des sociétés individuelles. Deux employés travaillent au bureau national et s'occupent de tout le travail au niveau national.
Dans ce contexte notre mandat national est surtout axé sur les femmes qui ont des démêlés avec la justice, autant adultes qu'adolescentes, mais surtout les femmes adultes prises en charge par le système fédéral. Nous nous préoccupons aussi beaucoup de femmes qui risquent d'avoir des démêlés avec la justice. À cet égard, nous oeuvrons dans des séances comme celle-ci, où nous parlons du travail de prévention nécessaire pour aider ces jeunes femmes, ainsi qu'en communiquant notre perspective dans des réponses aux propositions législatives des différents ministères.
C'est ainsi que nous fonctionnons, et, comme vous le savez sans doute, nous participons directement aux diverses initiatives préventives visant les femmes ayant des démêlés avec la justice. Ainsi, depuis environ cinq ans, nous examinons la question de la défense de la femme battue et de la légitime défense, en collaboration avec le juge Ratushny. Cette année, nous mettons l'accent sur la santé mentale des femmes au sein du système judiciaire. C'est le sujet qui fera l'objet de nos efforts.
C'est à regret que nous avons dû reléguer au bas de notre liste de priorités la question des jeunes femmes et de la Loi sur les jeunes contrevenants; nous ne l'avons fait qu'en raison du manque de ressources de notre organisation nationale. C'est là l'unique raison, parce que cette question nous semble des plus importante.
Les sociétés locales dispensent des services aux jeunes femmes. Toutefois dans tout le pays, nous avons assisté à des compressions, surtout dans les programmes sociaux, éducatifs et communautaires les plus novateurs; ce sont les jeunes, particulièrement les jeunes femmes, et surtout celles qui sont le plus à risque, parce qu'elles font partie d'une minorité culturelle ou visible ou de Premières nations ou de groupes marginalisés économiquement, qui en souffrent le plus. Ces services ont été littéralement éviscérés.
Au niveau national, nous n'avons pas les ressources nécessaires pour répondre aux besoins de votre comité dans son examen de la Loi sur les jeunes contrevenants. Cet examen, nous le jugeons néanmoins très important, et nous avons été heureux de recevoir plusieurs appels de membres particuliers et de fonctionnaires nous demandant de consacrer un peu de temps à la phase deux de l'examen de la LJC.
Je tiens à répéter et à souligner que ce n'est pas par manque d'intérêt, mais par manque de ressources, que nous avons eu tant de mal à préparer notre mémoire. Je vous remercie donc de nous avoir invités et d'avoir tenu compte de notre horaire; nous avons été très occupés, car nous avons dû traiter de l'enquête Arbour et de diverses autres crises mettant en cause les femmes et le système carcéral dans différentes régions du pays.
Historiquement, la Société Elizabeth Fry travaille auprès des jeunes depuis longtemps déjà, et bien avant l'adoption de la Loi sur les jeunes contrevenants, et même avant l'adoption de la Loi sur les jeunes délinquants. Son travail auprès de jeunes qui relèvent du système d'aide à l'enfance et d'autres services sociaux remonte aussi à bien des années.
Depuis plusieurs années déjà, et certainement depuis l'entrée en vigueur de la Loi sur les jeunes contrevenants, nous assistons avec inquiétude à la criminalisation de comportements qui, bien qu'ils ne doivent pas être encouragés, relevaient autrefois d'une mauvaise gestion, de problèmes du système scolaire, etc. Ces comportements qui sont maintenant criminalisés sont traités d'une façon... En conséquence, le nombre d'adolescentes condamnées à la détention pour des infractions mineures, et même, à mon avis, pour des infractions de nature administrative, augmente.
Lorsqu'elles sont détenues, la majorité des adolescentes sont placées dans des établissements où la sécurité est inutilement élevée. Souvent, ces jeunes femmes ne sont pas considérées comme étant à risque. Toutefois, parce qu'elles sont peu nombreuses, elles font face à la même situation que dans le système pour adultes et les tribunaux ordinaires. Bon nombre de jeunes femmes se retrouvent en détention en milieu fermé, et même parfois avec des adolescents. Il arrive aussi que des jeunes qui devraient être gardés en milieu ouvert sont gardés en milieu fermé et finissent par adopter le comportement de ce milieu, de sorte qu'ils ne parviennent plus à en sortir. Il leur devient très difficile de réintégrer la collectivité. Nous avons relevé toutes sortes de tendances de ce genre.
En ce qui concerne la Loi sur les jeunes contrevenants, nous estimons que les changements qui ont été apportés progressivement à la loi l'ont vidée de son objectif initial. Au départ, d'après nous et d'après les législateurs et décideurs qui ont fait adopter cette loi, l'intention était de repenser clairement les comportements criminels qui devaient relever du système de justice juvénile. La loi prévoyait aussi que le jeune contrevenant devait réintégrer la collectivité le plus tôt possible; la détention ne devant être qu'une mesure de dernier recours.
Or, c'est le contraire qui se produit. Votre comité pourrait faire des recommandations très justifiées, qui permettraient de corriger la situation actuelle, s'il proposait au ministre de la Justice de se pencher sur les ententes de partage des coûts et sur les effets qu'a l'affectation de ressources aux établissements de détention. On constaterait, à mon avis, qu'en retirant à une collectivité les maigres ressources dont elle disposait pour les accorder aux établissements de détention, on a provoqué une augmentation du nombre des jeunes détenus.
J'ai travaillé directement avec des jeunes en Nouvelle-Écosse, en Alberta et en Colombie-Britannique. Avec l'évolution de la loi, j'ai constaté qu'on construisait des établissements et qu'on ouvrait des centres de détention avec les ressources qu'on avait retirées des collectivités. Souvent, le plus facile, c'est de comprimer les ressources communautaires. Il est beaucoup plus difficile de fermer un établissement, du moins du point de vue des bureaucrates. On a donc assisté à une éviscération des programmes communautaires.
Nous ne sommes pas étonnés que, avec la disparition progressive de ces programmes et des options qui s'offraient aux juges, de plus en plus d'adolescents se retrouvent sous garde. En outre, la population a commencé à croire que c'était la seule option, que le manque de liste faisait partie du problème, qu'on ne recourait pas suffisamment à ce genre d'interventions. Nous estimons que nous nous sommes alors engagés sur une pente dangereuse menant à l'incarcération d'un nombre toujours croissant d'adolescents.
Je sais que vous avez entendu d'autres témoins qui vous ont parlé de cet état de choses. Vous savez que le Canada occupe le premier rang - position peu enviable - à l'échelle internationale pour le nombre d'adolescents incarcérés. Nous en avons déjà vu les effets dans le système correctionnel pour adultes.
En prévision pour notre comparution devant votre comité au sujet de la Loi sur les jeunes contrevenants, nous avons tenté de déterminer auprès de diverses provinces combien d'adolescents avaient été renvoyés devant un tribunal pour adultes depuis l'adoption des plus récentes modifications à la loi en 1995.
La plupart des provinces n'ont pu nous répondre avec précision. Toutefois, nous avons appris que, au Manitoba, six adolescentes ont déjà été renvoyées devant un tribunal pour adultes.
Certains d'entre vous savent que, dans notre mémoire sur le projet de loi C-37, nous avons parlé des inquiétudes qu'ont soulevées de nombreuses femmes adultes détenues; certaines d'entre elles, surtout celles qui purgent une peine à perpétuité, se sont dites très préoccupées par le nombre croissant d'adolescentes se retrouvant dans des prisons pour adultes. Bon nombre de ces femmes sont tout de même dans la trentaine et la quarantaine et ont eu leurs premiers démêlés avec la justice tandis qu'elles étaient adolescentes, avant l'entrée en vigueur de la Loi sur les jeunes contrevenants. Elles étaient d'avis qu'on devrait accorder la priorité aux mesures permettant d'éviter aux jeunes de se retrouver dans le système pour adultes. Je crois d'ailleurs qu'elles ont écrit une lettre à votre comité à ce sujet.
En fait, si votre comité peut mettre l'accent sur certains des principes de la Loi sur les jeunes contrevenants, en dépit du fait que, comme je l'ai déjà indiqué, les aspects les plus progressifs de cette loi... La loi énonce clairement l'importance de la prévention du crime. Elle met aussi manifestement l'accent sur les solutions communautaires. Nous devons donc tenter actuellement de freiner la tendance et, si possible, trouver des ressources pour les programmes communautaires plutôt que pour des centres de détention pour les jeunes.
En outre, nous devons investir dans nos jeunes beaucoup plus tôt.
Ainsi, les jeunes femmes ont toujours été sur-représentées au sein du système d'aide à l'enfance. Nous assistons actuellement à des compressions radicales dans les services d'aide à l'enfance, et il n'est donc pas étonnant que de plus en plus d'adolescentes aient des démêlés avec la justice.
Il faut que les jeunes assument la responsabilité de leurs actes. Nous sommes entièrement d'accord avec ce principe. Toutefois, ce n'est pas en incarcérant ces jeunes alors que les ressources se font de plus en plus rares...
En Alberta, dans le cadre d'un projet du Conseil national de prévention du crime, nous avons rencontré des adolescents et des travailleurs sociaux et parlé avec des jeunes qui crèvent de faim dans les prisons. Les ressources se font de plus en plus rares, à un point tel qu'on parviendra peut-être à ne pas consacrer plus d'argent à un jeune en détention qu'à un jeune dans la collectivité. C'est ce que certains fonctionnaires du gouvernement de l'Alberta m'ont dit. Ils m'ont dit que, maintenant, il n'est pas plus coûteux de garder un adolescent en détention qu'au sein de la collectivité.
C'est une terrible condamnation pour le Canada si les jeunes détenus dans nos prisons ont faim parce qu'on veut limiter les coûts et répondre aux besoins bien réels des victimes, des collectivités et des adolescents.
Je termine ici pour répondre à vos questions.
La présidente: Nous commençons une période de 10 minutes par le Bloc québécois.
[Français]
M. Langlois (Bellechasse): J'ai noté plusieurs choses dans votre mémoire et je vous en remercie. Vous avez dit qu'une plus grande attention devait être apportée aux besoins des femmes. Est-ce lié à des caractéristiques spécifiques comme, par exemple, la sous-scolarisation et la dépendance économique qui peuvent engendrer une dépendance affective et une dévalorisation de beaucoup de femmes dans certains milieux?
Il ne faut pas se faire de cachettes. Ce n'est pas facile d'être une femme au Canada. Il leur faut performer dix fois mieux qu'un homme pour recevoir la moitié du crédit. Les mentalités changent, mais très lentement. On s'en rend compte à tous les niveaux.
Il n'est pas rare de voir des femmes occuper deux, trois ou même quatre emplois et ne pas s'en voir attribuer le mérite; de plus, elles ont parfois des difficultés matrimoniales attribuables au fait qu'au moins un des deux conjoints doit s'occuper à plusieurs emplois. Voyez-vous, à moyen terme, des palliatifs autres qu'une éducation constante de la population pour permettre aux femmes d'atteindre un statut qui soit à tout le moins comparable à celui de l'autre sexe au Canada?
Mme Pate: Je suis désolée, mais mon français est très mauvais. Je peux répondre en anglais? Merci.
[Traduction]
Vous avez mis le doigt sur un des aspects de l'expérience que font les femmes de notre système. Comme dans la vie en général au Canada, on constate que les jeunes femmes, à certains égards, sont touchées de façon disproportionnée. Il s'agit peut-être de la façon dont elles composent avec la violence qu'elles connaissent. Il s'agit peut-être aussi de la façon dont on traite leur toxicomanie. Il y a toutes sortes de variations. Lorsqu'on parle de comportements criminels, de méfaits, ou d'infractions jugées criminelles parce qu'elles sont définies comme telles par le Code criminel, on constate que, lorsque ce sont des jeunes femmes qui sont en cause, on a tendance à les juger folles ou mauvaises.
On tente encore d'obliger bon nombre de ces adolescentes à suivre des traitements psychologiques ou psychiatriques, qui, plus souvent qu'autrement, sont infructueux. Notre organisation a décidé de centrer sa prochaine campagne de prévention sur la santé mentale, notamment parce que, à mesure qu'on réduit les budgets du système de santé mentale et des hôpitaux psychiatriques, un nombre croissant de femmes adultes et adolescentes sont larguées dans le système de justice pénale.
Par exemple, je suis allée à Terre-Neuve l'an dernier. Nous connaissons tous la situation économique qui y prévaut. On avait commencé à fermer les ailes psychiatriques des hôpitaux, et le directeur de la prison que j'ai visitée m'a dit qu'on aurait très bien pu mettre dans un camion toutes les femmes qui s'y trouvaient et les amener à la prison, parce que c'est là que la plupart d'entres elles se retrouvent. D'ailleurs, à la prison pour femmes adultes, 10 p. 100 des détenues proviennent des provinces de l'Atlantique, et bon nombre ont des problèmes de santé mentale. On assiste donc à l'arrivée d'une nouvelle population carcérale. Cela aussi fait partie de la problématique.
Par ailleurs, on a encore souvent tendance à stéréotyper les jeunes contrevenants, surtout les adolescentes. Je pourrais vous donner de nombreux exemples de jeunes femmes qui ont subi des sévices horribles lorsqu'elles étaient enfants et qui continuent à en subir. Il est vrai que presque autant d'enfants de sexe masculin et de sexe féminin sont victimes de violence. Toutefois, les garçons ne réagissent pas nécessairement comme les filles.
Lorsqu'on ne les paie pas, bien des jeunes femmes qui dépendent de la prostitution doivent jouer du couteau pour obtenir l'argent qu'elles estiment qui leur est dû. On porte alors des accusations contre elles et, de plus en plus, on les considère comme des contrevenantes violentes.
Encore une fois, je ne veux pas appuyer ou encourager ce comportement ou laisser entendre que c'est ce que les jeunes femmes doivent faire pour travailler ou survivre. Mais on les reconnaît coupables d'une infraction que la loi considère comme un vol avec violence. N'oublions pas qu'elles vivent dans la rue; de leur point de vue et du point de vue de n'importe qui d'autre, elles ne font ainsi que veiller à l'exécution d'un contrat, même si c'est d'une façon qui serait jugée inacceptable dans tout autre milieu. Ces genres de stéréotypes existent encore.
Il m'apparaît évident qu'il faut sensibiliser le public à bon nombre de ces questions. Il faut aussi apporter des changements systémiques. Mais il faut aussi réaffecter aux programmes communautaires les ressources qu'on leur a retirées si on veut aider les jeunes. Il nous faut davantage de programmes préventifs dans les écoles, dans les soins de santé, dans ces domaines-là. Pour en avoir parlé à des médecins et à des enseignants, nous savons que ce sont souvent eux qui sont en mesure de déceler les premiers signes de difficultés chez les adolescents.
Ai-je répondu à votre question?
[Français]
M. Langlois: En partie, madame. Je vais continuer dans la même veine en élargissant un peu le sujet. Un des problèmes qui me touchent est celui, non pas de l'éducation bien que je pense que l'éducation ait toujours sa place pour améliorer le comportement sociétal des personnes, mais du sentencing. Je trouve que nos tribunaux sont particulièrement généreux face aux maris qui battent leur femme et aux pères qui abusent de leur fille et qui se retrouvent avec des sentences ridicules pour des comportements qui se sont parfois échelonnés sur 10 ou 12 ans et qui affectent plusieurs membres de la famille.
Il existe une espèce de conspiration du silence, l'omerta traditionnelle. Les gens n'osent pas parler. La conjointe est souvent mêlée à cela. Elle a peur de faire éclater la cellule si elle part. Elle essaie toujours d'empêcher les choses d'éclater. Ce sont des situations qu'on doit corriger pour assurer l'équilibre mental et physique des personnes. J'aimerais vous entendre là-dessus.
Vous mettez l'accent sur la garde ouverte plutôt que sur l'internement pour les jeunes personnes, mais vous nous dites que, dans certaines provinces, les ressources palliatives sont à peu près inexistantes ou en voie d'être fermées. La solution à cela est-elle de débourser de nouvelles sommes d'argent ou de réaffecter des budgets qui existent déjà, mais qui sont mal utilisés à l'heure actuelle?
[Traduction]
Mme Pate: Je vais vous répondre dans l'ordre de vos questions.
Vous nous demandez, si j'ai bien compris, quelle est notre opinion sur la durée des peines dans le cas de violence familiale, en particulier de violence contre les femmes et les enfants. Notre organisation - fait qui intéressera sans doute le comité - à l'instar de toutes les organisations de femmes de notre pays, avec peut-être une exception, est fortement en faveur d'interventions pour protéger les femmes et les enfants, en particulier dans les situations de violence, mais n'est pas nécessairement en faveur d'un allongement des peines.
C'est une question qui intéresse au plus haut chef les femmes ainsi que le comité de défense des jeunes - le Réseau national des jeunes pris en charge est en effet un groupe avec lequel je travaille depuis presque 10 ans, et qui depuis longtemps plaide en faveur non de peines plus longues, mais d'interventions rapides et appropriées, et de la sécurité pour les jeunes et les femmes.
La réalité, malheureusement, c'est que c'est là qu'est le plus grand risque pour notre collectivité. Ce sont le plus souvent nos femmes et nos enfants qui sont en danger, qui sont victimes de comportements criminels, mais ce n'est généralement pas le pourcentage le plus élevé de ce genre de délits qui fait l'objet de poursuites ou de plaintes, de condamnations ou de peines à purger, de la part de notre système de justice pénale.
C'est pourquoi, pour la plupart des groupes de jeunes et de femmes, l'important n'est pas de faire infliger des peines plus longues aux auteurs d'actes violents, parce que ce ne serait, à nos yeux, que chercher à donner satisfaction à des groupes d'intérêts qui font beaucoup de bruit, mais sans pour autant répondre aux besoins des victimes les plus durement touchées de notre collectivité.
Cela ne signifie pas pour autant qu'il ne faille pas se pencher sur les besoins des victimes, car nous sommes persuadés de cette nécessité, mais le problème, c'est, en partie, qu'essayer constamment de remanier un système pour répondre aux besoins tantôt de l'un tantôt de l'autre, ne débouche que sur des peines plus oppressives ou plus répressives, en termes de régime correctionnel. Nous avons pris connaissance du rapport Arbour, où il est dit officiellement ce que nombre d'entre nous savent depuis longtemps, à savoir que la prison représente, pour beaucoup, une expérience brutalisante.
Ce que nous voudrions donc, c'est que les collectivités disposent davantage de ces ressources. C'est ainsi que dans nos recommandations à la Commission Arbour, ainsi qu'au ministre de la Justice et au solliciteur général, nous avons demandé que l'on impose un plafond au nombre de jours-lits en détention auxquels un juge pourrait condamner; que l'on plafonne également le volume de ressources qui seraient autorisées pour les peines en détention; que l'on envisage de sortir de prison les jeunes - et d'ailleurs aussi les adultes - qui sont incarcérés sans justification suffisante. Tous ceux qui ont affaire à eux reconnaissent - souvent même la police et ceux-là mêmes qui semblent des opposants acharnés de cette idée - que ces ressources devraient être utilisées pour réinsérer ces gens dans la collectivité. C'est ainsi qu'il en coûte de 20 000 $ à 200 000 $ pour garder un jeune en prison.
C'est une question d'importance que celle des ressources, et nous nous efforçons d'évaluer avec précision ce qu'il en coûte de garder quelqu'un en prison, mais à l'heure actuelle nous ne sommes pas en mesure de vous donner un barème de chiffres. Je vous encourage vivement à poser également ces questions à qui de droit, à savoir combien exactement on dépense, chaque année, pour garder les jeunes en prison et quelle est l'échelle de ces coûts, en fonction des services assurés.
Tant de jeunes se trouvent en prison parce qu'ils n'ont pas d'autre place où aller, sont livrés à la rue et arrêtés pour des délits mineurs. Il y a également le cas de ces jeunes femmes dont je parlais tout à l'heure, arrêtées pour délits violents, mais dans des circonstances qui sont souvent nettement d'ordre économique, social et culturel - c'est le cas de beaucoup de jeunes femmes des Premières nations - circonstances qui les forcent dans cette voie. Je ne crois pas qu'il y ait d'autres options, mais il se peut qu'il y en ait quelques-unes que je ne connais pas.
En examinant ces situations on se rend compte qu'il vaudrait beaucoup mieux canaliser ces ressources vers la collectivité plutôt que d'imposer à ces jeunes, à leurs familles, à leurs victimes et à leurs collectivités d'origine ce lourd fardeau de coûts financiers et humains.
En résumé, nous vous proposons d'examiner sérieusement la possibilité d'imposer une limite au nombre de jours de détention auxquels peut condamner un juge ou un tribunal. Limitez les ressources des établissements pénitentiaires conformément à ces plafonds et examinez également la possibilité de transférer ces fonds à la collectivité et au développement des ressources.
Puisque vous avez parmi vous des gens chargés des questions intergouvernementales je voudrais leur faire remarquer qu'il existe également d'autres domaines dans lesquels on pourrait envisager des dispositions de partage des coûts. Car il n'est rien, depuis les services d'assistance sociale et d'aide à l'enfance et à l'enseignement, en passant par le financement de la santé et de la santé mentale, qui n'ait des répercussions directes sur les jeunes en danger d'être criminalisés.
C'est un fait bien connu dans le monde entier que le nombre de personnes en détention, dans un pays, reflète davantage les politiques sociales et économiques de ce pays que le taux réel des crimes. C'est également le résultat des recherches effectuées par le Conseil national de prévention du crime, dont nous avons pu prendre connaissance.
Je crois avoir répondu à vos questions.
M. Langlois: Merci.
La présidente: Je vous remercie. Madame Ablonczy, vous avez la parole.
Mme Ablonczy (Calgary-Nord): À la page 3 de votre mémoire - qui nous fait faire un tour d'horizon fort utile - vous dites:
- ...nous pourrions mieux répondre aux besoins des Canadiens, et particulièrement des jeunes, en
faisant en sorte que la mise en application des éléments préventifs de la loi devienne une priorité
du gouvernement. Cette stratégie cadrerait certainement avec l'engagement du gouvernement
quant à la prévention de la criminalité.
- Je plaide coupable. Je n'ai pas financé les mesures de prévention du crime... Cela me paraît une
erreur, car prévenir vaut mieux que guérir, et plus vous dépensez en prévention, plus vous
économiserez plus tard sur les coûts sociaux du crime.
Mme Pate: Je crois déjà avoir traité de ce sujet, dans une certaine mesure, dans mes réponses précédentes, mais je pense toutefois qu'il serait possible d'envisager des façons plus directes de canaliser des fonds vers la prévention du crime.
Ce qui a souvent été proposé porte sur les ententes de partage des coûts entre les provinces, qui sont en cours de renégociation pour le système de justice pour les jeunes délinquants. On pourrait insister bien davantage pour que cet argent aille aux services communautaires.
Certains d'entre vous se rappellent sans doute la période de 1982 à 1984, où nous attendions la promulgation de la Loi sur les jeunes contrevenants: il y avait à l'époque toutes sortes de négociations et de tiraillements entre les provinces et le gouvernement fédéral, ce dernier ayant choisi de consacrer des fonds à des options communautaires. Les provinces ont toutefois insisté pour que ces fonds soient utilisés pour les établissements de détention, parce qu'on s'attendait à ce qu'un nombre plus grand de jeunes soient incarcérés. Cela était dû, dans une grande mesure, à la limite d'âge, l'âge uniforme, qui était imposée, et aux différences de catégories d'âge qui existaient avant la promulgation de la Loi sur les jeunes contrevenants.
C'est alors que nous nous sommes engagés, je crois, dans la voie des dépenses de plus en plus considérables pour la détention. Je crois que le moment est venu d'opérer un virage.
Il me semble évident qu'il y a actuellement des ressources utilisées pour la détention qui pourraient être... Si nous fermions certains de ces établissements et utilisions ces ressources pour réinsérer les jeunes dans la collectivité, nous en verrions probablement certains avantages.
À l'heure actuelle nous consacrons des ressources considérables à l'option la plus radicale, en particulier au niveau fédéral, pour les détenus qui purgent deux ans de prison ou plus.
À l'heure actuelle on réclame une réforme du droit qui prendrait la forme d'une annulation de l'article 745 et qui aurait pour conséquence, à notre avis, d'augmenter d'une somme allant jusqu'à un million de dollars par détenue le coût d'incarcération des femmes, à supposer que cette annulation se fasse.
L'argent peut être utilisé de bien des façons. Nous savons depuis longtemps qu'on a surtout dépensé pour faire entrer les gens dans le système plutôt que pour assurer la sécurité des collectivités.
Voilà quelles seraient certaines de nos propositions.
Certaines des options communautaires qui ont eu de très bons résultats ont été considérées comme trop coûteuses. Je vais vous donner quelques exemples tirés de l'Alberta; ce sont les cas que je connais le mieux et qui ont disparu.
Il y avait un programme de plein air appelé Enviros, basé sur le projet DARE, qui avait été mis en place ici, en Ontario. Plusieurs de ceux qui avaient travaillé pour le projet DARE lui ont apporté des améliorations et l'ont adapté au milieu urbain; autrement dit, c'était un programme conçu pour le plein air et la nature, mais comportant un volet urbain.
Les jeunes qui participaient à ce programme avaient un double statut: ils relevaient de l'aide sociale à l'enfance et étaient des jeunes délinquants, ou avaient passé devant le tribunal de la jeunesse. On s'efforçait alors de développer chez ces jeunes l'estime de soi, d'améliorer leur instruction, de les former à un métier, de leur trouver un emploi, de leur donner de l'aide psychologique, et toutes sortes d'autres formes d'aide.
Ce travail se faisait aussi bien dans la nature qu'en milieu urbain. Ces jeunes avaient leur propre école, leur propre internat; chaque matin ils se rendaient dans la collectivité, et revenaient dans l'internat pour travailler. Si les jeunes étaient considérés comme pouvant constituer un danger plus grand pour eux-mêmes que pour les autres ils restaient dans l'internat, où ils suivaient des cours et des programmes.
On a jugé que les coûts de ce programme étaient excessivement élevés; ils s'établissaient entre 200 000 $ et 500 000 $ par an. Il fallait employer entre 30 et 50 jeunes gens chaque année, ceux qui vivaient dans l'internat même ou à l'extérieur, ou ceux qui étaient des externes.
Certes, c'était considéré comme étant un programme fort coûteux, mais s'il avait fallu mettre en établissement tous ces jeunes le coût aurait été beaucoup plus élevé.
J'ai également participé à un programme qui était censé réunir les victimes et les délinquants, et à un programme de mesures de rechange. Après consultation avec les agents de police et les agents des services correctionnels de la collectivité, en fonction des besoins que nous avions déterminés, nous nous sommes concentrés sur les jeunes que le système considérait comme récidivistes graves. Une dizaine de jeunes participaient chaque année à ce programme, et c'est une vingtaine en tout qui à tout moment en faisaient partie.
On organisait des rencontres avec ceux qui avaient été leurs victimes, ou, en l'absence de celles-ci ou si les victimes se dérobaient à cette rencontre, on leur faisait rencontrer des victimes d'autres délinquants.
Il y avait participation intense à un programme communautaire de traitement et de counselling, ainsi qu'à un service de placement et à plusieurs services d'aide pédagogique. Le coût de ce programme, qui admettait chaque année dix nouveaux venus, s'élevait à 50 000 $, ce qui était considéré comme un coût élevé.
C'est là le genre de programmes éphémères que nous avons connus, éphémères surtout en raison des coupures budgétaires. Ces programmes mériteraient cependant que l'on y consacre davantage de ressources en raison de leurs incidences positives sur les jeunes, qu'ils maintiennent dans la collectivité.
Ce sont là des jeunes qui ont déjà été pris dans l'engrenage de la justice. Mais si nous les prenons à un stade plus précoce... d'après ce que nous savons des travaux de recherche préscolaire de Perry et d'autres exemples de programmes Bon départ, nous savons quels avantages il y a à prendre ces jeunes à un âge encore moins avancé. C'était là certaines des propositions.
J'encourage les membres du comité à lire les ouvrages de Jerome Miller, qui était à la tête d'un mouvement pour sortir les jeunes gens des prisons du Massachusetts. Après cette expérience il a dit que l'une des faiblesses de ce plan, c'est qu'on n'avait pas veillé à ce que les fonds alloués aux jeunes quand ils se trouvaient en prison leur soient également consacrés dans la collectivité, et c'est pourquoi cette approche, bien qu'ayant obtenu un certain succès, aurait pu mieux réussir si ces jeunes gens avaient trouvé un soutien dans la collectivité.
Le public serait beaucoup plus disposé à faire travailler ces jeunes s'il y avait plus de gens que ce n'est le cas à l'heure actuelle pour les aider et les surveiller dans la collectivité. En effet, les moyens de surveillance de ces jeunes se multiplient avec les dispositifs de télésurveillance, les caméras, les cellules de prison, les barrières ou autres.
Mme Ablonczy: La collectivité, dites-vous, pourrait aider à résoudre le problème de la délinquance des jeunes, en particulier si on cherchait davantage à appliquer des mesures de réinsertion communautaire plutôt que d'incarcération. Ces mesures seraient-elles également adaptables pour les jeunes contrevenants non violents, par opposition à ceux qui se sont rendus coupables de violence?
Mme Pate: Vous savez peut-être que j'ai écrit des articles sur ce sujet, et que j'étais en fait l'une des premières, au Canada, à organiser des programmes de rencontre entre délinquants et victimes, et à préconiser les mesures de rechange.
L'une des raisons pour lesquelles nous avons modifié notre programme pour nous attacher aux jeunes considérés comme délinquants graves, récidivistes et souvent violents, c'est que nous avons constaté, dans nos programmes de mesures de rechange, une tendance à se détourner de ces jeunes, tant avant l'adoption de la Loi sur les jeunes contrevenants que maintenant, en l'absence de ces programmes, et malheureusement c'est une tendance qui persiste à ce jour.
Ces jeunes gagnent souvent à ce qu'il y ait intervention. Nous avons commencé à mettre en place, dans les écoles locales, des programmes de résolution de conflits, de médiation par les condisciples et autres, parce que nous avons vu le système envahi par des jeunes qui autrefois n'auraient jamais eu maille à partir avec le système et qui, selon toute probabilité, n'auront plus de démêlés avec la justice. Nous avons mis fin, en 1987, à ces programmes qui comportaient uniquement des mesures de rechange et avons examiné les données statistiques de ceux qui en faisaient partie. Le groupe le plus important - environ 33 p. 100 - était constitué de jeunes filles de 14 ans, de race blanche, appartenant à la classe moyenne, arrêtées pour la première fois pour vol à l'étalage.
Des analyses nous ont appris que 90 à 99 p. 100 des jeunes reconnaissent avoir participé à des activités qui, s'ils avaient été pris sur le fait, condamnés et jugés, leur auraient valu un casier judiciaire au tribunal pour jeunes. Nous savons donc qu'à l'un ou l'autre moment la majorité des jeunes ont un comportement répréhensible - c'est ce qu'ils avouent eux-mêmes - mais cela ne correspond nullement au nombre de jeunes qui se font arrêter.
On constate, en comparaison, que 33 p. 100 des détenus sont des jeunes des Premières nations, et moins de 3 p. 100 de ceux qui sont autorisés à participer à un programme de mesures de rechange sont des jeunes de cette ethnie. De toute évidence on ne nous envoyait pas tous les jeunes délinquants qui avaient commis leur premier délit, et les jeunes de certains groupes étaient sous-représentés.
Nous avons également constaté que les dispositifs de protection qui n'existent pas pour les mesures de rechange... Non que je sois en faveur d'amplifier à ce niveau le processus, en particulier le processus accusatoire, mais ce que nous avons pu constater... À l'époque j'étais la seule, dans ce programme, à être diplômée en droit. Nous avons constaté qu'un grand nombre de ces jeunes n'auraient pas été condamnés s'ils avaient été jugés par un tribunal. C'est là un autre exemple de statistiques faussées, à mon avis.
Beaucoup de ces jeunes avaient en effet été arrêtés en tant que complices. Vous aviez donc le cas classique d'une jeune femme arrêtée dans un magasin avec cinq de ses amis qui savaient peut-être, ou ne savaient pas, qu'elle allait commettre un vol, mais tous allaient se trouver pris dans un programme de mesures de rechange alors que si nous avions pu consulter des procureurs de la Couronne nous n'aurions pas consenti à prendre ces jeunes; ils auraient été déboutés et n'auraient pas eu à faire l'objet de mesures de rechange ou à passer devant un tribunal.
Là encore, je ne pense pas que ces jeunes en aient tiré une leçon utile sur notre système. Ils ont pu voir que les détaillants déployaient tous leurs efforts pour empêcher les vols, tout en sachant que 10 p. 100 seulement de ces vols étaient dus au vol à l'étalage, et qu'un très faible pourcentage de ceux-ci étaient commis par des jeunes. Pourtant, c'était contre ces derniers qu'était dirigée la majorité de leurs mesures de protection. Très peu d'entre eux examinent ce qu'ils pourraient faire pour se protéger des vols et destructions sur les lieux, par les leurs, tout en sachant que c'est ceux-ci qui leur causent le plus de pertes. Là encore les statistiques sont faussées.
Mais je m'égare un peu, et je voudrais revenir à la violence chez les jeunes.
Quand il a été question des expériences des jeunes qui se trouvent depuis longtemps, six à huit ans, dans le système... Évidemment, s'ils y sont depuis huit ans ils ne peuvent avoir été criminalisés si tôt, mais il s'agit de jeunes à problèmes qui avaient eu affaire au système d'aide à l'enfance, par exemple en aidant à allumer des incendies. Ce sont des gens du système correctionnel qui nous ont signalé ces cas et qui nous ont demandé de concevoir un programme à leur intention.
Après deux ou trois ans ces jeunes suivaient ce que la police appelle la «courbe du crime» et passaient des menus larcins à des délits graves contre la propriété, du vol à l'étalage à des cambriolages avec effraction, allant jusqu'à des actes de violence contre des personnes. Un nombre de plus en plus grand de ces jeunes semblent suivre cette filière, comme l'a décrit la police.
Nous avons vu des jeunes admettre qu'un cambriolage avec effraction ne consiste pas simplement à voler des objets dans un logement, mais que c'est un acte qui se répercute sur des gens. Pour cela il leur a fallu rencontrer les victimes de leurs cambriolages avec effraction. Ces jeunes, très souvent, avaient déjà participé à des vols et agressions de rue. Ils étaient au point où ils risquaient de se faire arrêter pour délit, mais c'était encore, à ce stade, un cambriolage de magasin, autrement dit un délit moins grave et moins agressif au plan personnel. C'était donc, en quelque sorte, une diminution de la gravité des faits.
Nous ne sommes pas parvenus à complètement mettre fin aux activités de ces jeunes, ce qui était certainement notre objectif, mais nous ne l'avons pas atteint dans la plupart des cas. Mais même maintenant, certains d'entre eux n'ont plus jamais eu maille à partir avec la justice, tout en étant passés par le traitement accéléré et ayant été considérés comme candidats pour le système fédéral, où ils ne sont cependant pas entrés. Mais c'est un travail de longue haleine. Trop souvent nous espérons, tant dans le système de justice pénale qu'ailleurs, entre autres dans nos collectivités, trouver des solutions faciles et rapides à des problèmes complexes et de longue durée. La réalité, c'est que ces solutions n'existent pas.
Je dirais donc, en résumé, que si nous avons vu les effets bénéfiques de ce régime de mesures de rechange, nous avons également constaté qu'en comparaison d'autres programmes communautaires il faut que ces programmes comportent un grand nombre de facettes pour répondre à des besoins complexes, allant des besoins pédagogiques et psychologiques aux besoins d'empathie, de comprendre ce que ressent la victime, etc. Ce sont des programmes de longue haleine, et non des expédients et des panacées. Il me paraît également nécessaire d'investir dans ce genre de programmes.
La présidente: Madame Torsney.
Mme Torsney (Burlington): Je vous remercie. Je vais devoir vous quitter sous peu pour présenter des pétitions, et je m'en excuse, mais malheureusement c'est parfois nécessaire.
J'ai lu avec intérêt, à la page 4, vos remarques sur les abus physiques et sexuels subis par ces jeunes, sur les expériences de la petite enfance, et sur la nécessité d'assurer une bonne formation professionnelle à ceux qui entrent en contact avec ces jeunes, à savoir les enseignants et ceux qui sont amenés à les voir le plus fréquemment.
Est-ce que vous vous êtes déjà adressés, par exemple, au ministre de l'Éducation de l'Ontario, qui a décidé d'imposer des coupures budgétaires à tous les conseils scolaires? D'après les journaux il semblerait que ceux qui vont être mis à pied sont les psychologues, les orthophonistes, bref, ceux qui n'enseignent pas à proprement parler, parce qu'ils sont considérés comme superflus.
Mme Pate: J'ai présenté la plupart de mes exposés en tant que mère d'un écolier ontarien, mais notre organisation provinciale, le Conseil des sociétés Elizabeth Fry de l'Ontario, a certainement présenté des mémoires. L'an dernier nous avons aidé à coordonner une coalition de groupes s'intéressant au système de justice pénale, de justice sociale et de justice économique, et avons donné une conférence de presse et publié un communiqué sur ce sujet même. La question a donc été officiellement abordée par nous.
Étant également formée en tant qu'enseignante j'ai présenté des mémoires, chaque fois que l'occasion le permettait, à toutes sortes de groupes pédagogiques, entre autres la Fédération canadienne des enseignantes et enseignants. J'accueillerais bien volontiers toute occasion de m'adresser de nouveau à eux et de discuter davantage avec eux, mais je n'ai toutefois pas présenté de mémoire spécifique au ministre de l'Éducation de l'Ontario, ou d'ailleurs de tout autre ministère.
Les enseignants constituent un groupe, les médecins un autre. Autrefois, quand j'organisais dans les collectivités des programmes pour jeunes contrevenants, je participais aussi souvent à la formation de jeunes médecins et d'internes en psychiatrie. Très souvent c'est un médecin de famille qui nous envoie un jeune délinquant en nous demandant notre aide, et il arrive aussi que les médecins nous signalent les jeunes mères qui ont besoin de soins prénataux et postnataux, ce qui constitue une prévention au stade le plus précoce. C'est donc un domaine qui ne nous est pas inconnu.
Mme Torsney: Mais il faudrait avoir une manière de procéder plus coordonnée. Voyez l'Ontario, par exemple: les conseils scolaires vont se débarrasser d'une travailleuse sociale à50 000 $, qui pourrait peut-être éviter à une centaine de jeunes de devenir des délinquants à 100 000 $ par an. Nul ne semble se rendre compte que ces psychologues, et autres professions, sont notre barrière de défense contre le crime; c'est vraiment regrettable.
Dans certains des mémoires on a soulevé la question des longs délais. Cela vous inquiète-t-il? Est-ce là particulièrement un problème pour les jeunes femmes ainsi que pour les jeunes gens dans le système de jeunes contrevenants?
Mme Pate: C'est certainement un problème. À vrai dire c'est tout le processus accusatoire qui devrait être remis en cause. Un grand nombre de gens - dont certainement ceux qui sont pris dans le système, qu'il s'agisse de victimes ou de délinquants - ont beaucoup de peine à le comprendre, à comprendre ces délais. Ils se trouvent souvent pris dans un engrenage de problèmes pratiques et fondamentalement émotifs, et ce, dans un système qui n'est pas conçu pour tenir compte de ces émotions ou de ces besoins humains très réels. C'est un système basé sur des notions abstraites.
Lorsque je donne des séances d'information publiques sur ces questions, je constate que les gens croient toujours que le système est là pour répondre aux besoins des individus. Nous savons qu'il n'en est rien. Je pense que nous pouvons changer le système. Il y a une chose que le comité voudrait peut-être proposer - et nous l'appuierions certainement - soit un examen des nombreuses caractéristiques fondamentales du système qui déboucherait sur une nouvelle orientation favorable aux jeunes, sur des approches multifacettes de préférence à des approches unidimensionnelles.
Il faut comprendre que le système judiciaire et la législation sont fondés sur des normes sociales qui reposent sur cette notion vieille de plusieurs siècles que la loi est une norme de vie. Toute violation de cette norme implique que l'on doive rendre des comptes à l'État, mais nul n'est tenu d'en rendre à la personne qui a subi un préjudice. Comme nous le savons, la loi ne reconnaît aucun rôle à la victime, sauf celui de témoin, pour faire la preuve que la norme de l'État a été violée.
C'est un élément fondamental du système, et c'est pourquoi il y a des délais, délais qui sont causés par la nécessité de garantir une protection à l'individu qui est susceptible de subir les sanctions de l'État. Et cela va plus loin que les simples délais. À mon sens, c'est la signification même des fondements du système qui est en cause. Un grand nombre de personnes qui ont affaire au système, que ce soit des criminels, des victimes ou de simples citoyens intéressés, ne comprennent pas ces éléments fondamentaux et la façon dont ils entraînent des retards, des difficultés et des malentendus, sans compter la conviction qu'une injustice absolue a été commise. Je pense que du point de vue de la satisfaction des besoins humains ils ont absolument raison.
Mme Torsney: Les profanes s'attendent souvent à ce que le système judiciaire répare les torts causés, et ce n'est pas du tout pour cela qu'il a été conçu. Dans le cas des jeunes contrevenants, nous pouvons peut-être espérer changer le système et en faire un outil social plutôt qu'uniquement un outil juridique.
Il y a deux autres questions au sujet desquelles j'aimerais obtenir votre avis. Tout d'abord, le rôle des bandes par rapport aux femmes, tant les bandes de femmes que les femmes membres de bandes masculines. Deuxièmement, je me demande quel est le rôle des adultes qui incitent les jeunes femmes au crime ou qui les victimisent davantage. Que pensez-vous de cela?
Mme Pate: Tout d'abord, je pense que ces deux phénomènes ont essentiellement été créés par ceux d'entre nous qui sont étrangers à l'expérience des jeunes et qui essaient de compartimenter le comportement des jeunes pour que nous puissions le comprendre. Je me dois de préfacer ainsi mes remarques.
J'ai commencé à m'intéresser au domaine des bandes à Calgary. Il s'agissait de bandes de jeunes Asiatiques et de jeunes Vietnamiens. Nous avons constaté que nous étions en présence des groupes habituels que constituent les jeunes, et d'ailleurs les adultes aussi. Chose certaine, l'appartenance à un groupe de pairs est une facette importante du développement des adolescents. Il s'agissait donc de groupes de pairs habituels, avec une dose de racisme, de problèmes économiques, de problèmes sociaux et de problèmes d'intégration. De là, on s'est attaché à ces jeunes d'une façon systématique qui m'apparaît fondamentalement raciste et faussée.
Nous savons qu'il arrive à tous les jeunes de mal se conduire. Nous le savons. C'est un fait. Pourtant, lorsqu'on met l'accent sur certains jeunes seulement et qu'on les identifie selon leur culture, leur race, leur classe ou leur sexe, on peut souvent découvrir à leur sujet des choses qui permettent de les identifier comme sujets à problèmes.
Je n'ai pas d'information récente, mais je peux vous dire qu'à la fin de ses travaux sur le problème des bandes asiatiques, comme on l'avait circonscrit, le groupe de travail a constaté qu'il était en fait en présence d'un problème d'intégration. Nous avions affaire à des jeunes qui n'avaient pas accès au système d'éducation et qui étaient littéralement mis à la porte des écoles. Ces jeunes n'avaient pas de lieu où se réunir, de sorte qu'ils traînaient au dépanneur, au McDonald ou ailleurs. Ils ont donc commencé à se rassembler et à s'employer à être à la hauteur de la mauvaise réputation qu'on leur avait faite.
Nous avons tout à coup créé un problème de bande dans des circonstances où, je l'avoue, après avoir regardé autour de moi et vu ce qui se passait... J'aurais pu identifier ces mêmes groupes lorsque j'étais à l'école secondaire. Sauf qu'on ne parlait pas de bandes à cette époque.
Chose certaine, il y a davantage de jeunes qui sont arrêtés pour des délits et publiquement identifiés comme complices d'adultes. Encore une fois, l'information et les statistiques disponibles - et si quelqu'un a des données différentes, j'aimerais bien les voir - montrent que les choses ne sont pas tellement différentes d'il y a même 20 ans, sauf qu'il y a plus de publicité à ce sujet maintenant.
Il convient de rappeler que c'est uniquement depuis l'adoption de la Loi sur les jeunes contrevenants qu'on publie quoi que ce soit concernant les affaires impliquant des jeunes, car avant cela les journalistes n'étaient même pas autorisés dans les salles d'audience. Les audiences se tenaient entièrement à huis clos. Et voilà que soudainement la Loi sur les jeunes contrevenants a créé, si l'on peut dire, la criminalité juvénile et moussé l'intérêt du public.
Je n'ai pas besoin de vous rappeler ce qui s'est passé lorsque la chaîne Thomson a perdu sa cause devant la Cour suprême du Canada. Immédiatement, tous les journaux du pays ont commencé à préfacer leurs articles d'une mise en garde selon laquelle ils ne pouvaient publier le nom du jeune en cause parce que la Loi sur les jeunes contrevenants l'interdisait. Cela a créé de la peur. Cela a créé, d'après notre expérience, un problème qui n'existait pas auparavant. À l'époque où je travaillais avec des jeunes assujettis à la Loi sur les jeunes délinquants, on ne faisait pas tout un plat de la publication des noms. Cela a créé un problème.
Nous avons des inquiétudes croissantes parce que nous voyons de plus en plus de jeunes qui sont des boucs émissaires et que l'on repousse en marge de tout groupe social. Cela pourrait se traduire par un comportement de plus en plus dangereux, mais je pense que nous avons créé en majeure partie le problème, compte tenu de la façon dont nous avons étiqueté et identifié ces jeunes. Je pense qu'ils sont contents de dire qu'ils font partie d'une bande s'ils sont acceptés en tant que tels.
Mme Torsney: Vous avez mentionné des groupes qui existaient à l'époque où vous étiez adolescente et qui maintenant seraient considérés comme des bandes. Vous avez fait allusion au vol à l'étalage, et c'est intéressant, car j'ai été étonnée de constater, à la suite de mes sondages auprès de membres éminents de notre collectivité, qu'un grand nombre d'entre eux ont commis des vols à l'étalage dans leur jeunesse. En vertu du système actuel, ils auraient peut-être fait l'objet d'une accusation criminelle. Il est intéressant de savoir à quel point ce petit secret est courant.
La présidente: Merci.
Madame Ablonczy.
Mme Ablonczy: Merci, madame la présidente. Nous parlons de nouveau de prévention, et à ce sujet j'aimerais poser deux brèves questions.
Le fait de rendre les parents juridiquement et financièrement responsables des actes criminels de leurs enfants, si l'on peut faire la preuve que leur négligence ou leurs mauvais traitements ont amené l'enfant à commettre un délit, aurait-il un effet de dissuasion?
Deuxièmement, certaines municipalités ont tenté d'imposer des couvre-feux pour que les jeunes ne traînent plus dans la rue et ne risquent pas de commettre des méfaits. Vos études ou vos observations ont-elles montré que l'une ou l'autre des mesures sert la prévention?
Mme Pate: L'attribution de la responsabilité aux parents fait partie du modèle qui existait avant l'adoption de la Loi sur les jeunes contrevenants. Ce qui nous préoccupe en l'occurrence, ce n'est pas que les parents n'ont pas un rôle à jouer, mais qu'il s'agit de criminalisation du comportement. Je crains que la tendance ne soit à criminaliser de plus en plus de parents, en particulier ceux qui sont le moins en mesure de répondre à leurs propres besoins, et encore moins à ceux de leurs enfants, particulièrement dans le contexte des compressions croissantes dans les programmes économiques et sociaux dont ils dépendent.
Ce sont les mères seules qui le plus souvent se retrouveraient devant les tribunaux. Et cela ne serait pas sans rapport avec l'absence totale de soutien personnel et communautaire dans leur collectivité, de même qu'avec l'absence de soutien financier et d'autres ressources de toutes sortes.
Je crois qu'on ferait fausse route en tombant dans le piège bien connu qui consiste à blâmer la victime, particulièrement dans le contexte de la violence familiale. Votre collègue a dit que l'on avait de plus en plus tendance à marginaliser ceux qui vivent en marge de nos collectivités, et je pense que cette tendance s'accentuerait, même si j'espère me tromper. Ce que nous voyons à l'heure actuelle est conforme aux tendances récentes.
Pour ce qui est de la dissuasion, on sait depuis longtemps que la capacité de penser abstraitement, de raisonner et de déterminer les conséquences futures d'actions présentes n'est pas innée. Certaines personnes n'acquièrent jamais cette capacité cognitive, cette capacité de penser abstraitement. D'autres ne l'acquièrent pas avant la vingtaine, tandis que certains l'acquièrent au début de l'adolescence. Mais la plupart des personnes qui travaillent dans le contexte de la justice pénale ne sont pas surprises de constater que la théorie de la dissuasion ne s'applique guère, en général ou en particulier.
Un très petit nombre des jeunes hommes et des jeunes femmes appréhendés par le système de justice pénale que j'ai rencontrés dans mon travail croyaient qu'ils seraient arrêtés et mis en accusation à la suite de leurs actions. Il n'est pas surprenant que la plupart croient qu'ils ne seront pas pris. Comme nous le savons, les statistiques montrent que la plupart s'en tirent.
À mon avis, ces initiatives entrent dans la catégorie des expédients qui sont susceptibles de plaire au public et à ceux d'entre nous qui veulent que les choses changent rapidement, mais, au bout du compte, il est peu probable qu'on réussisse à atteindre ainsi les résultats que l'on souhaite. Les couvre-feux entrent dans cette catégorie. Cela dit, nous savons que plus on est actif dans sa collectivité, plus on participe à des activités intéressantes, moins on aura tendance à s'en prendre à ce milieu.
Je pense que nous aurons davantage de succès si nous offrons aux jeunes des lieux de rencontre constructifs, des endroits où ils peuvent se réunir en toute sécurité, dans un milieu qui les encourage à adopter un comportement positif. Ils ont besoin d'évoluer dans un milieu qui les incite à se prendre en charge. Il ne faut pas se contenter de leur donner des ordres ou de leur dire en tout temps ce qu'ils doivent faire, mais de leur présenter des défis.
Certains jeunes nous ont proposé des exemples. Je ne peux vous citer d'endroits pour l'instant, mais pendant mon adolescence certains centres d'accueil ont sans doute évité à bien des jeunes des démêlés avec la justice.
Des jeunes nous ont dit qu'ils souhaiteraient avoir un endroit à eux qui soit sûr et où ils puissent participer à des programmes à l'intention d'autres jeunes, un endroit où on pourrait répondre, ne serait-ce que minimalement, à leurs besoins médicaux, à leurs besoins juridiques - je ne parle pas de problèmes relevant de la justice pénale - , à leurs besoins familiaux, à leurs besoins en matière de services sociaux, de santé mentale dans certains cas... Ce genre de services seraient très appréciés.
Au fil des années, on a mis sur pied de bons services pour les jeunes qui vivent dans la rue. Je ne sais pas combien pourront survivre encore longtemps. Dans la plupart des cas, leurs ressources sont tellement minimes qu'ils ne sont pas en mesure de continuer, que ce soit à Vancouver, à Toronto ou à Calgary, et ce sont là certains de ceux que je connais le mieux.
Je pense qu'il serait préférable d'investir dans certaines initiatives et expériences pour les jeunes comme celles parrainées par Cherry Kingsley, qui a comparu ici l'année dernière au sujet du projet de loi C-37. Elle a souligné combien il était nécessaire d'investir dans certains groupes mis sur pied par les jeunes eux-mêmes. Ces derniers sont tout à fait disposés à faire l'éducation d'autres jeunes, et ils auraient de bien meilleurs résultats que nous en tant qu'adultes, puisqu'ils sont plus près d'eux.
Mme Ablonczy: Merci.
La présidente: Monsieur DeVillers.
M. DeVillers (Simcoe-Nord): Madame Pate, à la page 13 de votre mémoire, sous la rubrique «Accroissement des peines imposées par les tribunaux pour adolescents», vous dites que votre association continue de s'opposer à toute augmentation des peines maximales imposées aux jeunes par les tribunaux.
Voilà qui m'amène à la question des peines plus longues comme moyen de dissuasion, ou prétendu moyen de dissuasion. Au cours du week-end, ma circonscription a accueilli un colloque sur le droit et l'ordre réunissant des professionnels de divers domaines. Il y avait un juge, un avocat, des psychologues, un travailleur social spécialiste des jeunes, un représentant des personnes âgées, un représentant des médias, un représentant de CAVEAT, l'organisation des victimes, un jeune contrevenant et un diplômé de nos services correctionnels.
Au sujet de la dissuasion, tous ont convenu que l'augmentation des peines constitue un moyen de dissuasion pour les gens qui n'ont pas besoin d'être dissuadés, soit le public en général. Ces gens-là ne veulent pas aller en prison et ne veulent pas d'une peine plus longue. Une telle peine servirait à nous dissuader, mais pour ce qui est de la clientèle visée, des personnes qui risquent de commettre un délit, ce n'est pas nécessairement le cas.
Avez-vous une opinion à ce sujet? Qu'en pense votre association?
Mme Pate: Ce n'est pas parce que nous craignons de longues peines d'emprisonnement que bon nombre d'entre nous ne commettent pas de délits. Si on y réfléchit bien, nous avons sans doute connu un certain nombre d'autres expériences. Un grand nombre d'entre nous ont investi dans leurs collectivités d'une façon différente des jeunes ou des adultes qui se retrouvent dans le système, et je pense que c'est fondamental.
Par conséquent, pour ce qui est de dire que l'augmentation des peines en dissuade certains, mais pas d'autres, je pense que les peines plus longues ne dissuadent vraiment personne. Certains d'entre nous ne se retrouveront vraisemblablement jamais dans le système, mais il y en a d'autres dont on peut prédire assez tôt qu'ils s'y retrouveront à cause de leurs conditions de vie et de la façon dont ils y réagiront.
Nous ne sommes donc pas en faveur de peines plus longues. Même si notre organisation n'est pas d'accord et que je ne suis personnellement pas d'accord avec cette approche, j'assume une part de responsabilité à titre de citoyenne du pays et de témoin du processus qui nous a amenés à faire ces changements progressifs. Nous nous dirigeons graduellement dans une direction que nous savons être inefficace.
À mon avis, bien peu vous diront que le fait de jeter davantage de contrevenants en prison va diminuer la criminalité. On me rétorquera peut-être que c'est là la réponse que nous souhaitons, mais la plupart des gens reconnaissent... Nous voyons ce qu'on fait aux États-Unis et nous savons que le taux de criminalité est en hausse dans ce pays. Nous savons que la violence augmente. Et pourtant, nous savons aussi que les Américains incarcèrent un million de leurs citoyens par an. Le système carcéral est une industrie en pleine expansion.
Il nous faut couper court à ce processus chez nous. Grâce à l'examen de votre comité, je pense que nous avons une occasion en or de freiner cette tendance très rapidement, de la renverser et d'exiger que les ressources disponibles soient injectées dans nos collectivités. À mon avis, nos commettants, mes voisins, mes amis et ma famille, ce cercle communautaire qui constitue notre entourage, mais dont sont privés un grand nombre de contrevenants, seraient alors bien placés pour offrir davantage de soutien.
En faisant un bouc émissaire d'un certain segment de notre population, les jeunes, il devient plus facile de les considérer comme un groupe sans visage que nous pouvons écarter et punir pour toujours. Il devient facile de se convaincre que cela répond à nos besoins et à ceux de la collectivité, que c'est un moyen de lutter contre le crime et qu'ainsi nous ne risquons pas de devenir des victimes. Nous devons accepter notre responsabilité à cet égard et faire en sorte que cela cesse.
Il a été très instructif pour moi-même, pour ma famille et ma collectivité de rencontrer certaines personnes impliquées dans le système. Je sais que le comité des détenues de la prison pour femmes, les condamnées à perpétuité, souhaite vivement rencontrer les membres du comité. Évidemment, elles ne pourront venir ici, mais elles vous ont invités à leur rendre visite.
Tous ceux que j'ai rencontrés, particulièrement ceux qui n'ont jamais mis le pied dans une prison auparavant - qu'il s'agisse d'un bénévole qui s'y rend pour la première fois au Cap-Breton pour organiser un bingo, ou un champion des droits de la personne, ou encore un député qui y va en visite pour constater les conditions régnant dans la prison ou pour répondre à un problème soulevé par un commettant - ont invariablement la même réaction depuis 12 ans que je travaille dans ce domaine. On me dit: c'est incroyable, cette personne est tout à fait comme mon père, mon frère, ma soeur, ma mère ou ma grand-mère. Je pense qu'il nous faut mettre un visage sur les personnes qui, oui, commettent des délits, et, oui, doivent rendre des comptes à la société, mais il nous faut exiger ces comptes d'une façon qui sera positive pour leurs victimes, pour le reste de la collectivité et pour l'ensemble de la population.
Je suis convaincue que nous pouvons redresser la barre. Pour y arriver, il faudra faire des investissements et opter pour des solutions à long terme. Certaines des solutions rapides et certains des expédients que l'on propose ne permettront pas d'atteindre ces objectifs. Ils permettront uniquement de poursuivre sur la voie actuelle.
La vice-présidente (Mme Torsney): Madame Ablonczy, avez-vous d'autres questions?
Mme Ablonczy: Oui. Avant l'entrée en vigueur de la Loi sur les jeunes contrevenants, les enseignants, les directeurs d'écoles et les policiers avaient une certaine marge de manoeuvre dans leurs rapports avec les jeunes. Par exemple, il pouvait leur arriver de s'entretenir avec leurs parents ou de leur servir un avertissement sérieux, sans porter d'accusation officielle. Mais d'après nos recherches, la police porte davantage d'accusations formelles. D'aucuns disent que c'est en raison de la tolérance zéro à l'égard de la criminalité juvénile, alors que d'autres avancent que les policiers craignent d'exercer leur jugement dans leurs rapports avec les jeunes parce qu'ils pourraient être accusés d'avoir recours à des sanctions excessives.
À votre avis, quel rôle devraient jouer les autorités, particulièrement les enseignants et les agents de police? Devraient-ils pouvoir user de moyens discrétionnaires pour prévenir le crime, réagir aux infractions mineures ou essayer de décourager les jeunes de perpétrer des délits plus graves?
Mme Pate: Au moment où la Loi sur les jeunes contrevenants est entrée en vigueur, je participais à des sessions avec les conseils scolaires, et particulièrement avec les conseillers, qui sont souvent les membres du personnel que les jeunes victimisés par d'autres consultent en premier. Les enseignants peuvent eux aussi consulter ces conseillers.
Ce qu'ils avaient cru comprendre, entre autres, c'est qu'ils devaient renvoyer les jeunes à des tiers. Ils ont supposé au départ qu'ils devaient de plus en plus renvoyer les jeunes fauteurs de troubles à la police. Ils pensaient que c'était désormais la loi et qu'ils n'avaient plus le pouvoir discrétionnaire de régler eux-mêmes ces cas.
Nous avons passé beaucoup de temps à essayer de les encourager à formuler des solutions de rechange dans leurs écoles. J'ai mentionné la méthode de règlement des conflits, les programmes de médiation par les pairs, etc.
Nous avons aussi encouragé les enseignants à essayer de faire participer davantage à la vie de l'école les parents et la collectivité en général. Certains des meilleurs exemples existants sont les écoles communautaires dirigées par des conseils d'administration composés de parents et d'autres membres de la collectivité.
Chose certaine, la graine avait été semée. Elle avait germé et s'était développée au point que la réaction a été de couper. Je pense que cela est en grande partie dû aux compressions croissantes dans les programmes d'éducation.
Comme Mme Torsney l'a signalé, pendant très longtemps de nombreux services de soutien étaient disponibles dans les écoles, dans les garderies, etc. On constate que de plus en plus on met l'accent sur une approche comme la tolérance zéro comme moyen de répondre aux besoins.
À mon sens, cela traduit le désespoir de nos collectivités quand les écoles et, au bout du compte, les collectivités elles-mêmes ne peuvent trouver d'autres façons de traiter avec quelqu'un que de le bannir hors de leur présence. Nous savons que c'est ce qui se produit lorsque nous choisissons ce genre d'approche. En fait, on reconnaît ainsi que nous n'avons ni les ressources ni la créativité voulues pour régler ce genre de problèmes.
Je ne veux pas faire le procès du système scolaire ou des enseignants, mais je pense que ces derniers sont de plus en plus débordés. Je voudrais revenir sur ce que j'ai dit tout à l'heure quant à la nécessité d'investir davantage dans ce genre de services et de mesures de prévention au lieu d'encourager cette notion de tolérance zéro.
Mme Ablonczy: Et cela vaut pour le pouvoir discrétionnaire de la police?
Mme Pate: Certainement. En 1987, je suis allée en Australie. Certains des programmes qui existaient à l'époque ont maintenant été supprimés, soit dit en passant, mais ils avaient une multitude de programmes d'avertissement, comme ils les appelaient là-bas.
J'ai rapporté de la documentation à ce sujet pour les autorités policières. À l'époque, je travaillais avec un certain nombre de service de la police de Calgary. J'étais régulièrement en contact avec les cadres supérieurs, ainsi que les membres de la commission de police.
Nous aurions espéré voir ce genre de régime prendre forme au Canada. Malheureusement, la tendance inverse a eu le dessus, comme en Australie d'ailleurs. Il y avait là-bas un important système de soutien des jeunes contrevenants, outre ce régime d'avertissement policier qui évitait à de nombreux jeunes de se retrouver dans le système judiciaire. En fait, pour tout l'État de la Nouvelle-Galles du Sud, sur 3,5 millions on en comptait moins en prison qu'il n'y en avait alors dans toute l'Alberta.
Il a été très instructif pour moi de voir comment les Australiens investissaient très tôt dans le processus. Ils consacraient pratiquement toutes leurs ressources à des services d'arrestation, de détention et de détection, notamment en faisant appel à des agents de probation ou à des travailleurs sociaux spécialistes de la protection de la jeunesse. Ils assuraient une intervention immédiate. Dans les 24 heures suivant l'arrestation d'un jeune par la police, on devait avoir un plan pour ce jeune. Et il s'agissait souvent de délits graves. De façon générale, des délits pour lesquels les contrevenants sont gardés à vue. Les ressources étaient investies sans délai.
L'objectif premier était d'intégrer le jeune contrevenant dans la collectivité d'une façon qui ne porte atteinte ni à sa sécurité ni évidemment à celle de la collectivité.
Leur taux de succès était phénoménal. Je pense que nous pourrions tirer des leçons de cette expérience. J'ai encore en main une partie de cette vielle documentation. J'espère voir ce qu'ils font maintenant. J'espère qu'ils n'ont pas trop avancé sur la même voie que nous. Je compte obtenir directement plus tard cette année davantage d'informations à ce sujet, et je serais heureuse de vous la communiquer.
Mme Ablonczy: Ce sera intéressant.
La présidente: Merci, madame Ablonczy. Mme Bethel est la suivante.
Mme Bethel (Edmonton-Est): Vous avez dit qu'on devrait encourager les autorités provinciales à mettre sur pied des programmes et des services adaptés à la culture et aussi à une clientèle masculine ou féminine. On devrait exiger d'elles une meilleure reddition de comptes. En outre, elles devraient être tenues d'assurer un niveau de services adéquat.
À mon avis, le problème est le suivant: que peut faire le gouvernement fédéral pour s'assurer que cela se fasse?
Mme Pate: Je crois que le gouvernement fédéral pourrait introduire des normes et des critères dans les accords de partage des coûts actuels. J'ai déjà parlé des limites aux dépenses liées à la garde, au nombre de lits dans les établissements. Vous pourriez peut-être aussi promouvoir un meilleur ciblage des ressources à la fois pour les hommes et pour les femmes et pour les minorités culturelles.
Permettez-moi de vous donner un exemple concernant le manque de ressources. Je pense qu'il ne reste plus au pays qu'un seul établissement de garde en milieu ouvert pour les jeunes femmes. Il s'agit d'une maison située à Brampton. C'est la seule qui reste, et elle est dirigée par la Société Elizabeth Fry de Peel.
À cette exception près, nous avons des jeunes éparpillés dans les services d'aide à l'enfance. Ils se retrouvent aussi dans des logements mixtes. Nous savons que ce qui se passe depuis toujours - et cela vaut pour le système adulte également - c'est qu'étant donné le faible pourcentage de jeunes femmes on néglige leurs besoins. Elles sont intégrées dans les mêmes programmes que ceux qui existent pour les jeunes hommes.
Par exemple, il y a un nombre croissant de mères adolescentes. Encore une fois, nous aimerions que la situation soit différente, mais elle ne l'est pas. Et cependant il n'y a pas plus de ressources pour ces jeunes femmes. Alors il y a de plus en plus de jeunes femmes qui sont intégrées dans le système d'aide sociale pour jeunes, et à qui on enlève leurs enfants.
Un autre problème plus sérieux, c'est que les jeunes ne sont pas inclus dans le système et ne sont pas pourvus du soutien des services sociaux. Les jeunes entrent dans le système d'aide sociale pour jeunes et passent ensuite au système de justice pénale ou au système de justice pour les jeunes.
Mme Bethel: Ma deuxième question est la suivante: pourquoi l'Alberta, et certainement d'autres provinces, est-elle si réticente, au pire, et si lente, au mieux, à établir des comités communautaires de justice pour la jeunesse? Que pouvons-nous et devons-nous faire pour encourager l'usage de l'article 69?
Mme Pate: Encouragez-en l'usage et liez le peut-être à une partie du partage des frais. Selon la réalité actuelle, bon nombre de provinces, ainsi que le gouvernement fédéral, se concentrent sur l'économie. Vu que c'est la réalité dans laquelle on se trouve, peut-être qu'on pourrait encourager le processus en se concentrant sur certaines normes et manières de dépenser dans ce domaine.
Je pense qu'il est antithétique par rapport à l'approche de discuter de cette façon-là. Mais il est clair que si nous pouvions lier cela au partage des frais, je pense que ce serait utile.
Un mot de prudence que j'ai pour les comités de justice pour la jeunesse, et c'est une de mes craintes, c'est que s'ils sont mis sur pied par des provinces où on n'investit pas dans l'examen de certains cas difficiles - c'est-à-dire des cas qui défient nos communautés et nous en tant qu'individus, ainsi que le système, de répondre aux besoins de ces jeunes - alors nous allons refaire l'expérience que nous avons faite avec les mesures de rechange, à savoir que beaucoup de personnes qui se présentent devant ces comités n'ont pas vraiment besoin des ressources. Elles ont peut-être besoin d'énormément de soutien communautaire, mais elles sont criminalisées pour obtenir ce soutien.
Je suis certaine que vous avez tous entendu des histoires - vous les avez entendues devant ce comité - de parents qui font appel au système et à qui on dit qu'il n'y a pas de ressources pour eux tant que leur enfant n'est pas en difficulté avec la loi et accusé.
Il y a même de plus en plus de problèmes dans le système de justice pour les jeunes. Je pense que le fait que la réalité pour bon nombre de nos jeunes et leurs familles soit que seul le système de justice pénale a des ressources, est un incroyable déshonneur pour notre pays. Je pense qu'il faut inverser cette situation.
Mme Bethel: Existe-t-il de bonnes recherches qui démontrent clairement l'efficacité des mesures de rechange? On dit que les provinces sont en train d'effectuer des compressions, mais en même temps on dit que les mesures de rechange sont plus rentables. Existe-t-il de bonnes recherches là-dessus?
Mme Pate: Malheureusement, comme je l'ai dit auparavant, beaucoup des programmes les plus intenses et, je dirais, les plus réussis sur le plan de la récidive, de l'épanouissement des jeunes, de leur sortie progressive du système et de leur indépendance par rapport au soutien des services sociaux ont été éliminés.
Certainement, il y a de la recherche. Par exemple, il y a le programme auquel j'ai travaillé. Je serais heureuse de vous communiquer une partie des documents que nous avons produits. Mais la réalité est telle que lorsque nous suivons ce chemin nous arrivons en face de la quantité de programmes qui ont été éliminés. Tout d'un coup la recherche est considérée suspecte ou trop courte.
Ces conclusions sont toutes justes, car le soutien accordé à ces programmes est assez récent dans notre pays - et ailleurs, je suppose - malgré qu'il existe quelques études longitudinales. C'est pourquoi nous revenons continuellement aux programmes comme le projet préscolaire Perry, une des rares études longitudinales à être financées, contrôlées et évaluées.
Ce que je propose, et ce que nous, au Conseil national de prévention du crime, avons examiné, c'est qu'on essaie d'inverser cet argument un peu en proposant d'évaluer l'efficacité actuelle du système de justice pénale. Est-ce que c'est utile de mettre les jeunes en prison? Non, nous n'avons vu aucun changement sensible... Sous cet angle-là, on peut se demander: vaut-il la peine de courir le risque d'investir dans nos communautés autant d'argent que nous en investissons actuellement dans l'emprisonnement des jeunes? Je pense qu'à ce moment-là nous verrons des changements très différents.
Je pense aussi qu'il faut investir de façon à l'encourager à exister pendant la période au moins où un gouvernement est au pouvoir, pour qu'on puisse voir l'évaluation. Je comprends certaines des réalités politiques et économiques auxquelles nous faisons face. Je pense qu'il faut se concentrer beaucoup plus sur le public ainsi que sur nos propres membres, que ce soit vos commettants ou mes voisins, pour les défier de réfléchir à cela, de trouver où est l'efficacité.
La présidente: Merci, madame Pate. Il ne nous reste plus de temps. Nous vous remercions énormément pour votre exposé. C'était très utile.
Mme Pate: Merci beaucoup.
La présidente: Nous allons suspendre la séance et prendre quelques minutes pour nous étirer les jambes et nous préparer pendant que les témoins suivants s'installent.