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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 30 avril 1996

.1112

[Traduction]

La présidente: La séance est ouverte.

Je souhaite la bienvenue aux représentants de l'Association canadienne des policiers. J'annonce que je suis en situation de conflit, mais c'est à la blague, en souhaitant particulièrement la bienvenue à Neal Jessop, parce qu'il vient de Windsor. J'ai travaillé comme procureur avec lui, j'ai défendu des accusés contre lui, et j'ai été victime d'un crime sur lequel il a enquêté. Je ne pense donc pas que vous me laisserez lui poser des questions, même si je pourrais en poser de très intéressantes.

M. Neal Jessop (président, Association canadienne des policiers): Je pourrais vous donner des réponses très intéressantes.

La présidente: Quoi qu'il en soit, nous sommes très heureux que vous soyez ici. Vous connaissez notre façon de procéder. Nous avons jusque vers 12 h 30. Je sais qu'il y aura beaucoup de questions et j'ai entendu dire que vous brûliez de dire certaines choses.

M. Jessop: Hier, pendant que j'étais chez moi en train de lire notre mémoire sur cette question, on m'a prévenu que l'un de nos membres avait été assassiné à Montréal. Il m'est très difficile de parler de cette loi en ce moment précis. Comme vous le savez, nous venons de l'examiner et on ne connaît pas encore les ramifications des amendements qui ont déjà été apportés. C'est une loi importante.

Vous avez notre mémoire entre les mains et nous serons évidemment disposés à répondre à toutes vos questions au sujet de ce mémoire ou de notre expérience dans notre domaine d'expertise.

Comme vous le savez, M. Newark a 12 ans d'expérience comme procureur en Alberta. J'ai commencé à travailler dans la police en 1969 et je fais des enquêtes depuis 1979, et j'ai évidemment pendant tout ce temps été en contact avec des jeunes.

Toutefois, la question brûlante pour nous aujourd'hui - et je tiens à faire quelques commentaires à ce sujet - est le programme du gouvernement en matière de justice. C'est bien entendu important et nous sommes ici pour en discuter aujourd'hui, mais vous êtes déjà saisis de propositions relatives aux délinquants dangereux et vous n'y avez pas encore donné suite. Vous n'avez encore rien fait au sujet de l'article 745.

.1115

Hier, quand j'ai lu les comptes rendus de l'Association canadienne des policiers (ACP) et quand j'ai lu les articles de journaux et les commentaires de policiers d'expérience au sujet du meurtre survenu à Montréal, l'idée m'est venue que ces personnes d'expérience... Un certain nombre de procureurs et moi-même ainsi que même des avocats de la défense, dirions la même chose: peu importe qui a tué le policier à Montréal, lorsque nous trouverons le meurtrier - et nous le retrouverons - ce sera un criminel d'expérience. Il a même pris le bloc-note du policier et il a ensuite brûlé la voiture qu'il avait utilisée pour s'enfuir, et dont on avait déjà signalé le vol.

On continue de libérer des criminels dangereux, et même des meurtriers condamnés pour meurtre au premier degré et au deuxième degré, pour lesquels on avait recommandé une peine de plus de 15 ans d'emprisonnement. On continue d'accorder une libération conditionnelle à des criminels dangereux. Le système de libération conditionnelle continue de faire des erreurs.

J'ai entendu les commentaires de ma collègue Kim Pate, avant que nous venions témoigner. Kim est d'avis, je pense - et je ne veux pas lui prêter des paroles - et certains de ses collègues estiment également que nous devrions supprimer le système juridique. Je ne le pense pas et je ne pense pas non plus que plusieurs d'entre vous soient d'accord avec elle.

Nous devrions changer certaines choses pour les enfants, afin qu'ils puissent mieux éviter d'être aux prises avec la loi. Cependant, si certains d'entre vous pensent que les méchants vont disparaître... Comme vous avez probablement eu les mêmes expériences que moi, vous savez, je pense, que cela n'arrivera pas.

Je pense qu'on n'établit pas les bonnes priorités. Si j'ai bien compris, un certain nombre de députés ne sont pas ici aujourd'hui parce que vous étudiez une mesure législative concernant les droits des gais. Or nos membres, les gens que je représente, se font descendre dans la rue parce que les lois ne sont pas assez fermes pour les gens qui commettent des crimes de cette nature. À mon avis, c'est une erreur. L'ordre des priorités n'est pas le bon.

M. Scott Newark (directeur exécutif, Association canadienne des policiers): Je n'ai rien à ajouter à cela. Nous essaierons de répondre à vos questions.

La présidente: Merci.

Madame Ablonczy.

Mme Ablonczy (Calgary-Nord): J'avais préparé un certain nombre de questions à partir de votre mémoire, mais je me rends compte que lorsque les gens que vous représentez font face à une telle tragédie, il est très difficile de vous concentrer sur certaines de ces questions dont on a déjà discuté à maintes reprises.

J'ai certainement pris note de vos commentaires, selon lesquels nous devons revoir les priorités dans nos initiatives en matière de justice. Je suis certainement d'accord avec vous à cet égard.

Je voudrais discuter avec vous de certaines questions afin que nous puissions, si possible peut-être, empêcher des délinquants de devenir des criminels comme celui qui a tué le policier à Montréal - bien que je sois d'accord avec vous pour dire qu'il y a des gens pour qui choisir le mal semble être plus naturel qu'on le voudrait.

On a discuté ce matin, dans un autre exposé, de l'effet dissuasif des mesures de rechange. Dans votre mémoire, vous recommandez aussi qu'on s'occupe de façon officieuse et au niveau de la collectivité, des crimes commis par les jeunes, ce qui comprend notamment des mesures de rechange, comme le service communautaire, au lieu de la garde en milieu ouvert ou en milieu fermé.

.1120

Je vais vous poser la même question que j'ai posée au témoin précédent. Croyez-vous qu'il faut utiliser ces mesures de rechange tant pour les contrevenants violents que pour les contrevenants non violents, et avez-vous des distinctions à apporter quant à l'efficacité des mesures de rechange pour ces deux groupes de contrevenants?

M. Jessop: C'est une question sur laquelle j'ai tendance à être d'accord avec la présidente. De concert avec la présidente, étant donné son expérience et la mienne, j'aimerais vous décrire tout d'abord en quoi consistent les mesures de rechange, car bien des gens ignorent de quoi il s'agit.

Je suis désolé; je ne cherche à exclure personne, car il y a d'autres personnes ici, y comprisM. Newark, qui comprennent de quoi il s'agit.

Les mesures de rechange entrent en jeu lorsque la plainte, quelle qu'elle soit, est faite auprès de la police. Bon nombre d'entre nous savent - et à mon avis on le reconnaît trop peu - que les policiers, au moment de leur entrée en contact avec un jeune, font une vérification judiciaire. Nous vérifions d'abord si nous avons déjà eu des contacts avec cette personne, sans nous limiter à vérifier si elle a fait l'objet d'accusations. Il peut s'agir de n'importe quel type de contact que nous aurions pu avoir - que la personne ait été un témoin, ou encore qu'elle ait commis une infraction quelconque dans son adolescence ou son enfance. Nous cherchons donc d'abord à savoir si c'est la première fois que nous entrons en contact avec ce jeune, avec cet enfant. C'est sur ce premier indice que nous fondons notre réaction.

Ensuite, nous examinons la nature de l'infraction, c'est-à-dire s'il s'agit d'une infraction contre les biens, si elle a été commise par le jeune seul, sans qu'il ait réfléchi, et d'autres éléments de cette nature. Nous tenons compte de tous ces facteurs. Nous tenons compte du fait que l'infraction a été commise ou non avec d'autres enfants ou d'autres jeunes, ainsi que du fait que ces autres ont eu ou non des contacts avec nous.

Bien avant de songer même à porter des accusations contre un jeune, nous communiquons avec ses parents. Nous déterminons quelle est l'attitude des parents face à l'infraction, ou, dans certains cas, face à l'indiscrétion, quel que soit le cas.

Après, si nous avons obtenu l'opinion des parents, l'un des facteurs les plus pertinents pour nous - que ce soit à tort ou à raison - est parfois le fait que l'enfant ou le jeune vienne ou non d'une famille monoparentale. Presque dans tous les cas, nous constatons que les jeunes qui ont des ennuis avec la justice viennent d'une famille monoparentale, où, pour des raisons économiques ou autres, on ne peut pas accorder assez d'attention à l'enfant, ou encore parfois d'une famille où il y a eu une certaine forme de violence, et l'enfant cherche évidemment une porte de sortie, ou recherche un peu d'attention.

Après avoir réuni tous ces renseignements, les policiers examinent la nature du crime. Nous ne commençons pas à envisager de porter des accusations tant qu'on n'a pas trouvé d'alternative. Une fois l'accusation portée, s'il y a lieu, le processus de déjudiciarisation reprend avec le procureur, ou dans bien des cas, si l'on a retenu les services d'un avocat de la défense, avec ce dernier.

Je ne pense pas qu'on se rende compte des efforts faits dans ces situations avant même d'arriver au processus officiel de déjudiciarisation. C'est souvent bien avant que se fait la déjudiciarisation.

J'ai moi-même des enfants. J'ai eu aussi des contacts avec les enfants d'autres personnes. Dans le cas de mes propres enfants, j'ai vu agir un bon policier qui comprenait la différence entre une infraction et une indiscrétion, et il a pris la bonne décision pour ma famille et pour d'autres familles.

Quand j'entends les gens parler de déjudiciarisation, ils font généralement allusion à ce qui se passe dans le secteur judiciaire. C'est un tort, à mon avis, de penser que la déjudiciarisation ne se produit pas longtemps avant même qu'on porte des accusations. Je suis en contact avec des policiers de toutes les régions du pays. Quiconque a des enfants qui ont été en contact avec des policiers et ont connu des problèmes de cette nature, sait que cette procédure est assez uniformisée dans l'ensemble du pays.

.1125

Dans les cas où il y a de la violence, nous agissons un peu différemment, parce qu'il y a une victime, une victime que nous pouvons voir et qui a payé un prix, sur le plan physique ou mental, en raison de ce qui lui a été fait. D'un autre côté, il y a le contrevenant qui en est arrivé à un comportement violent envers une personne. Nous nous occupons de ces cas d'une manière bien différente. Je pense qu'il en va de même pour les procureurs, les avocats de la défense et les tribunaux.

M. Newark: Je suis d'accord avec Neal pour dire qu'il ne faut pas sous-estimer la présélection qui est faite au début, avant même qu'entre en jeu la démocratie officielle, qui offre maintenant des mesures de rechange reconnues et sanctionnées. Nous avons même de telles mesures pour les adultes maintenant, depuis l'adoption du projet de loi C-41. Il y a plusieurs étapes en cours de route. Cela me rappelle les arguments invoqués en rapport avec l'article 745. Il faut vraiment avoir fait énormément de choses, dans ce pays, avant d'être condamné pour meurtre au premier ou au deuxième degré sans possibilité de libération conditionnelle avant d'avoir purgé 15 ans d'emprisonnement. Le processus comporte donc une présélection qui est importante dans la détermination du résultat final.

De manière générale, je pense qu'il est juste de dire que si nous pouvons trouver des mesures de rechange raisonnablement satisfaisantes à la justice pénale - spécialement au tribunal de la jeunesse - nous devrions y consacrer assez de temps pour bien les examiner. Il suffit d'un regard sur les taux de récidivisme pour constater que le processus réactif des tribunaux de la jeunesse ne fonctionne pas très bien.

Deuxièmement, d'après les remarques de Neal et certainement d'après les miennes, il y a une différence lorsque l'intérêt public justifie le maintien d'un dossier. Je suis évidemment d'accord avec lui lorsqu'il dit que la déjudiciarisation ne convient absolument pas dans le cas des infractions à caractère violent. J'irais même peut-être plus loin que d'autres en ajoutant des infractions comme par exemple la conduite en état d'ivresse, qui risque d'avoir des conséquences précises dans l'avenir si la personne ne modifie pas son comportement, ou des infractions comme l'introduction par effraction, car il y a alors violation du domicile de quelqu'un.

Malheureusement ou peut-être heureusement, suivant le point de vue d'où on se place, l'un des aspects essentiels de notre système de justice pénale, en ce qui concerne les jeunes contrevenants aussi bien qu'en ce qui concerne les adultes, est que c'est très subjectif. Il faut choisir les bonnes personnes pour appliquer le processus. Mais en ce qui concerne le processus même, je ne pense pas qu'il y ait quelque chose de mal à trouver une mesure de rechange, si l'on veut être efficace, au lieu de faire passer le contrevenant par toutes les étapes du système de tribunaux de la jeunesse. C'est une bureaucratie énorme. L'une des objections que nous avons formulées publiquement, dans le cas du projet de loi C-41, portait sur la formalisation du processus pour les adultes. Je pense queM. Ramsay, de votre parti, avait bien raison de parler de l'industrie de la justice pénale, qui est certainement florissante dans notre pays.

Nous essayons de faire valoir que bien que les mesures de rechange aient leur place, il faut avant tout s'assurer d'avoir les bonnes personnes. Deuxièmement, on n'a pas besoin de tout le cérémonial d'une bureaucratie pour administrer de telles mesures.

Mme Torsney (Burlington): Malheureusement, j'essaie de lire ce document en écoutant vos réponses, qui sont formidables.

Il y a une chose que je trouve très intéressante dans votre proposition, aux pages 6 et 7, en ce qui concerne toute la question de la réforme sociale et de ce que nous pouvons faire pour empêcher les enfants de devenir de jeunes contrevenants. Je m'intéresse particulièrement - et vous en avez parlé également dans votre réponse - à la reconnaissance du fait que les enfants de familles monoparentales ont la vie plus difficile.

Il y a certainement beaucoup de policiers dans ma localité qui s'occupent de hockey mineur, des Grands Frères et des Grandes Soeurs, essayant de jouer ce rôle de soutien visant à empêcher le plus d'enfants possible de devenir de jeunes contrevenants. Pensez-vous que les gouvernements, de même que le reste de la collectivité, c'est-à-dire que même les gens sans enfant, par exemple, ont une responsabilité sociale et financière à l'égard des enfants, c'est-à-dire qu'ils doivent trouver des moyens de s'en occuper davantage afin qu'ils ne deviennent pas de jeunes contrevenants?

.1130

M. Jessop: Plusieurs d'entre vous savent que je suis membre du Conseil national de prévention du crime. L'un des accomplissements du Conseil national de prévention du crime, par l'entremise d'un chef de police d'Edmonton à la retraite et d'une femme qui dirige une soupe populaire à Moncton, au Nouveau-Brunswick, Claudette Bradshaw, a été d'effectuer une étude très complète, avec l'aide de Doug McNally, de l'incidence du comportement des parents et de la collectivité, sur les enfants avant leur naissance et jusqu'à l'âge de six ans, et de la criminalité qui pourrait résulter de ce mauvais comportement. Nous sommes tous d'accord pour dire que la petite enfance est une étape critique. Nous venons de voir qu'en Californie, un enfant de six ans a été accusé d'avoir battu un bébé d'un mois. C'est donc critique et c'est là, à mon avis, et je l'ai répété devant plusieurs groupes, que le gouvernement doit intervenir, c'est là qu'il faut consacrer des fonds. À mon avis, si le gouvernement peut aider à cet égard et si la collectivité peut aider également, nous pourrions voir des progrès.

Mme Torsney: Vous êtes donc en faveur d'un nombre accru de places en garderie, d'un nombre suffisant de places?

M. Jessop: Je suis en faveur de toute mesure qui aidera un enfant de cet âge. S'il s'agit de remplacer un parent qui pourrait s'occuper de son enfant et qui préfère seulement ne pas le faire... Nous connaissons tous des cas où la mère et le père doivent travailler pour subvenir aux besoins de la famille, mais je connais des cas, car je connais la musique, de parents qui n'ont pas envie d'élever leurs enfants et s'en débarrassent à la garderie.

Mme Torsney: Certains m'ont dit que dans le cas de certaines de ces familles, il ne s'agit peut-être pas d'une question de nature économique; que le fait que l'aide juridique soit automatiquement disponible pour un enfant empire la situation; que des parents qui ont peut-être les moyens de payer un avocat pour défendre leur enfant s'occuperaient peut-être davantage de l'élever s'ils devaient payer cet avocat, au lieu de s'en remettre à l'aide juridique. Seriez-vous d'accord pour qu'on n'accorde pas l'aide juridique à tous les enfants, ou qu'on facture les parents dont les enfants continuent d'avoir des ennuis?

M. Newark: Pour en revenir tout d'abord à votre dernier argument, l'un des domaines dont le gouvernement fédéral pourrait s'occuper... Je crois savoir, par exemple, que M. Szabo a proposé un projet de loi d'initiative parlementaire ou une motion visant à modifier la Loi de l'impôt sur le revenu afin de permettre à ceux qui choisissent de rester à la maison, littéralement, pour élever leurs enfants, de garder une plus grande partie de leur revenu. C'est un secteur où le gouvernement fédéral pourrait intervenir directement. Il y a des solutions de rechange aux garderies.

Vous pourriez vouloir aussi, par exemple, inviter M. Mark Genuis, de la National Foundation for Family Research and Education, à témoigner devant le comité pour parler de l'incidence des liens affectifs, si ce genre de questions vous intéressent.

En ce qui concerne l'aide juridique, l'une des différences entre la Loi sur les jeunes contrevenants et l'ancienne Loi sur les délinquants juvéniles réside dans le fait que le système est maintenant très axé sur les droits. La Loi sur les délinquants juvéniles était probablement plus paternaliste - «Nous ferons ce que nous pensons être dans le meilleur intérêt de la personne qui arrive là» - tandis que la Loi sur les jeunes contrevenants délimite des droits. Le processus est maintenant régi dans une très grande mesure, d'après mon opinion semi-objective, je suppose, dès le départ par des préoccupations légales.

C'est évidemment très difficile, parce que certains jeunes qui sont accusés d'infractions assez graves doivent évidemment avoir droit aux services d'un avocat dès le début. Je pense cependant que l'une des meilleures façons de procéder à cet égard est de ne plus laisser les intéressés choisir leur avocat, comme on le fait actuellement souvent dans le secteur de l'aide juridique, et de choisir plutôt le système des avocats désignés par l'aide juridique. Vous voudrez peut-être aussi vous informer de cette expérience faite en Alberta. Je crois qu'il y a des projets pilotes en cours actuellement à Edmonton et à Calgary. Cela ajoute à la situation un caractère plus réel que lorsqu'on laisse les intéressés choisir leur avocat.

Mme Torsney: Je voulais dire plus précisément que des parents fortunés font fi de leurs responsabilités et peut-être que si on les faisait payer... C'est ce qu'on m'a suggéré: qu'ils font fi de leurs responsabilités et qu'on devrait par conséquent leur faire payer les frais d'avocat de la défense, qu'il s'agisse d'un avocat désigné ou payé par l'aide juridique. Seriez-vous d'accord?

.1135

M. Newark: Certainement.

Si l'on pouvait avoir des chiffres détaillés, ce qui représenterait une étude très intéressante, je pense que l'on constaterait que dans la majorité des cas de jeunes contrevenants, bien qu'il y en ait comme ceux dont vous parlez, ce ne sont probablement pas des enfants de riches qui commettent des crimes et dont les parents ne se préoccupent pas vraiment.

Nous avons tout de même recommandé qu'on analyse la loi en vue d'autoriser un tribunal à faire payer les frais d'avocat par les parents dans les cas où l'on estimait que le manque de supervision était un facteur qui avait contribué aux dommages causés à d'autres.

Il en était question dans des documents préparés par le procureur général du Manitoba,Mme Vodrey. On a suggéré que ce serait une façon d'encourager les parents à assumer essentiellement leurs responsabilités envers leurs enfants. Bien qu'il y ait une part de vérité dans cette idée, je soupçonne que si l'on examinait un volume assez important de cas, on constaterait qu'on essaie d'imposer des ordonnances de cette sorte, pour essayer d'obliger des parents à s'occuper de leurs enfants, alors que dans bien des cas ces gens n'étaient pas très capables de s'occuper d'eux-mêmes.

Je pense que l'idée a une certaine valeur - et il faudrait qu'elle fasse l'objet d'un pouvoir discrétionnaire - mais vous constaterez, je pense, que la cause première d'un comportement anti-social chez des jeunes est beaucoup plus profonde que cela.

Mme Torsney: L'une des questions soulevées par Mme Pate portait sur le fait que particulièrement en Ontario à l'heure actuelle, pour une famille identifiée comme ayant un problème, en ce sens qu'elle a un enfant faisant preuve d'un comportement anti-social, il n'y aura de l'aide que si cet enfant est accusé d'un crime. Il ne reste plus de ressources disponibles dans les écoles, ou il n'y en aura plus très bientôt. On semble chercher vivement à éliminer des conseils scolaires toute personne qui n'est pas un professionnel de l'enseignement. Les travailleurs sociaux qui peuvent gagner jusqu'à 50 000 $ et aident des centaines d'enfants à ne pas devenir de jeunes contrevenants sont éliminés des conseils scolaires, peut-être parce qu'on n'établit pas le lien de cause à effet ou parce qu'on voit les grands pouvoirs des syndicats d'enseignants, et qu'on estime que ce n'est pas la tâche d'un enseignant.

À titre de membre du Conseil de prévention du crime, diriez-vous que c'est exactement là qu'on devrait affecter nos ressources et que nous devrions trouver un moyen de conseiller les familles qui ont besoin d'aide pour s'occuper de leurs enfants? Comme vous le disiez, les parents n'ont peut-être pas la compétence voulue. Ces enfants risquent fort probablement de devenir vos prochains clients et pourtant personne ne semble vouloir investir dans la prévention. Qu'avez-vous à répondre à ces commentaires, à titre de membre du Conseil de prévention du crime?

M. Jessop: Mes opinions sur la question sont relativement démodées. Lorsque je fréquentais l'école secondaire et l'école publique, l'aide nous venait par des méthodes disons plus sévères que ce qu'on tolère aujourd'hui. On nous encourageait à participer à des activités sportives organisées. C'était à l'époque où il n'y avait pas encore de syndicat. Les enseignants, qui gagnaient un salaire de misère, s'occupaient de nous probablement de 7 h 30 jusqu'après 18 heures.

Je pense que le blâme peut être réparti un peu partout. Les parents n'accordent pas assez d'attention à leurs enfants. Ils se déchargent de leur responsabilité de conseillers sur des conseillers professionnels qui, à en juger par certains des résultats que j'ai vus, n'ont pas nécessairement dans bien des cas la compétence voulue pour conseiller. Les enseignants ont décidé d'abandonner ce que je considère être leur responsabilité en dehors de la classe. Je peux donc répartir le blâme partout.

Si vous me demandez quelle est la solution, je dirai qu'il faut ramener les gens dans la vraie vie, y compris les parents, les enseignants et les enfants, c'est-à-dire les amener tous à accepter leur responsabilité. Ne me demandez pas comment il faut faire, car je l'ignore.

Mme Torsney: Doit-on réduire les fonds consacrés aux travailleurs sociaux dans les écoles secondaires et les écoles primaires?

M. Jessop: Dans certains cas, si ce n'est pas rentable, on doit le faire, mais dans d'autres cas on ne le doit pas.

Mme Torsney: Comment fait-on cette analyse coûts-avantages?

M. Jessop: Je ne sais pas.

M. Newark: J'aimerais offrir une suggestion. Elle porte directement sur le gouvernement fédéral.

Comme vous le savez certainement, les derniers chiffres montrent que les dépenses publiques au seul titre de la justice pénale sont de l'ordre de 11 milliards de dollars. Je pense qu'il faut réexaminer certaines des priorités établies.

.1140

Nous sommes d'accord pour dire - c'est en fait le thème central de notre mémoire - qu'en réalité, lorsqu'il s'agit de la criminalité chez les jeunes, le principe qui s'applique est «investissez maintenant ou payez plus tard», mais je n'accepte pas... Je ne pense pas que la plupart des gens, en analysant les dépenses faites à tous les paliers de gouvernement, en viendraient à conclure qu'il n'y a rien à faire à cet égard.

Votre gouvernement, par exemple, fait des choix lorsqu'il décide de continuer de consacrer des fonds au système de justice pénale pour la tenue d'audiences au sujet de l'article 745. Votre gouvernement fait des choix dans ses dépenses, lorsqu'il décide de ne pas présenter de mesures législatives concernant les contrevenants à risque élevé et en permettant des audiences répétées de la Commission des libérations conditionnelles pour des détenus ayant de longs casiers judiciaires, parce qu'il ne fait pas de distinction quant à l'admissibilité à de telles audiences. Il y a des coûts chaque fois que quelqu'un doit passer par l'une de ces audiences et il y a des coûts énormes qui sont associés à la vérité fondamentale du système pénal, selon laquelle un nombre anormalement élevé de crimes sont commis par un nombre anormalement bas de contrevenants. Tout cela coûte beaucoup d'argent et si les fonds ne sont pas disponibles pour la prévention, c'est à cause des choix que nous faisons partout ailleurs dans le système de justice pénale.

Si vous voulez sérieusement essayer de consacrer certaines de ces ressources à la prévention - ce que nous approuvons - vous n'avez pas besoin de chercher une nouvelle corne d'abondance, il vous suffira de faire des choix quant à vos priorités en matière de justice pénale.

La présidente: Merci.

Nous passons maintenant à un tour de questions de cinq minutes; madame Ablonczy.

Mme Ablonczy: Merci, madame la présidente.

La présidente: Je suis désolée, mais la parole n'est pas à vous. Je donnerai plutôt dix minutes à M. de Savoye.

Mme Ablonczy: Bien. Il est plus beau que moi, de toute façon.

[Français]

M. de Savoye (Portneuf): Je vous prie d'excuser mon retard. Mme Venne aurait normalement dû être ici pour vous accueillir, mais elle a aussi été retardée. On m'a demandé de la remplacer au pied levé. Je le regrette d'autant plus que le Bloc québécois attache énormément d'importance à la révision de la Loi sur les jeunes contrevenants et une importance toute particulière à votre témoignage. Je réitère ses excuses et passe maintenant à certaines observations.

Votre mémoire établit un très bon équilibre entre les préoccupations de prévention et celles de protection du public et de réhabilitation. À certains égards, j'apprécie la sagesse des propos que je vous entendais tenir auprès de ma collègue de Windsor.

Dans votre exposé, vous parliez, à juste titre, des jeunes contrevenants âgés de 15 à 17 ans. Je vais vous citer un extrait du rapport en anglais puisque c'est cette version que j'ai devant moi:

[Traduction]

[Français]

Ce que vous dites est plein de bon sens. À chaque fois qu'on investit un dollar pour s'assurer qu'un jeune revienne dans le droit chemin, on économise probablement des centaines, voire des milliers de dollars en nous assurant qu'il ne deviendra pas un adulte qui a malheureusement mal tourné.

Par ailleurs, dans votre recommandation numéro 4, au point b), vous dites:

[Traduction]

[Français]

On parle donc ici d'une troisième offense d'importance. Et au point b) vous dites:

[Traduction]

[Français]

Puisque vous proposez de diriger des ressources pour modifier le comportement de jeunes de 15 à 17 ans et puisque pendant les auditions que nous tenions l'an dernier lors de l'étude d'un amendement à la Loi sur les jeunes contrevenants, des témoins et experts, dont Mme la juge Ruffo, affirmaient que pour changer le comportement d'un jeune qui est vraiment avancé dans la mauvaise voie, il fallait songer à un minimum de six mois et même généralement jusqu'à trois ans, ne croyez-vous pas que votre recommandation 4b) n'est pas assez serrée?

.1145

M. Newark: Peut-être.

[Traduction]

Laissez-moi tenter de vous brosser un tableau d'ensemble.

À notre avis, tout renvoi devant les tribunaux est une démarche répressive, puisque le comportement anti-social est déjà manifeste. Depuis 20 ans, notre système a pour principe dominant la réadaptation des contrevenants. On peut ne pas toujours être d'accord sur l'importance à accorder à la réadaptation - en fait, nous avons des opinions très divergentes là-dessus - il reste vrai néanmoins qu'une agence sociale a la capacité - cela vaut la peine d'essayer - de tenter de changer le comportement du contrevenant pendant qu'il est sous la tutelle de l'État.

Voilà pourquoi nous parlons, dans la première partie, du groupe cible. Je sais que de nombreuses études affirment que le comportement anti-social se cristallise en bas âge, et pas à 16 ou à 17 ans. Mais si vous voulez dire à ces jeunes qu'il y a une meilleure façon de faire les choses, nous préférons que ce soit au groupe que nous avons ciblé, car c'est beaucoup plus rentable que d'obliger ces jeunes qui ont des casiers judiciaires longs comme le bras à assister à des audiences de libération conditionnelle. Il vaut mieux investir de la façon que nous avons proposé, car c'est une meilleure façon de les sortir du milieu qui, au départ, a causé leur comportement.

Ainsi, si vous vous trouvez devant un jeune que vous pensez sincèrement et sérieusement pouvoir réadapter et remotiver, le pire endroit pour le faire, ce serait dans une prison à sécurité maximale. Ce serait parfaitement illogique, d'après moi.

Ce que nous essayions d'expliquer par rapport à certaines de ces recommandations - qui ressemblent à celles que nous avions faites à l'époque du projet de loi C-37 - c'est que les principes de dissuasion et de réprobation, qui ne figurent plus dans la Loi sur les jeunes contrevenants, sont pourtant des fonctions de détermination de la peine valables. Ce n'était là qu'un exemple. Ce n'était pas censé être indicatif des temps idéaux d'emprisonnement; mais nous voulions plutôt montrer que nous connaissons les déclencheurs, objectivement définis qui nous permettent de dire que nous faisons fausse route avec la probation et que la surveillance ne suffit pas à remotiver le jeune dans son comportement. Il faut donc tirer la sonnette d'alarme pour le secouer.

Je m'en remets à l'expérience de ceux qui prônent une période plus longue. Ce qui nous importait, c'était le principe selon lequel à un moment X du parcours du jeune dans le système judiciaire, on reconnaisse que les nouveaux incidents jugés objectivement confirment que le temps est venu de se réorienter et de changer de message pour que le jeune comprenne enfin.

Cela ne contredit donc pas ce que vous avez dit.

M. Jessop: Je vais vous expliquer le point de vue de la police. Je vous ai déjà expliqué que, lorsque nous sommes à la veille de déposer des accusations et que nous nous demandons lesquels déposer, nous rassemblons toute l'information et sortons le casier judiciaire de l'intéressé, grâce à notre système d'information.

Nous avons découvert un phénomène chez les récidivistes habitués des tribunaux: ils en sont à juger la peine selon qu'elle est acceptable ou pas. En effet, si la peine est acceptable pour eux, ils enregistreront un plaidoyer de culpabilité, alors que la peine est parfois à peine acceptable pour la poursuite et pour la défense. Autrement dit, les jeunes contrevenants qui ont l'expérience des tribunaux savent à l'avance quel genre de sentence on leur donnera, avant même qu'ils soient traduits devant les tribunaux. C'est pourquoi, à vrai dire, nous savons que la sentence peut n'avoir aucune valeur prohibitive pour le jeune qui est à la veille de commettre une autre infraction. En effet, les jeunes récidivistes savent depuis longtemps quel type d'infraction leur vaudra telle ou telle sentence. S'ils savent que l'infraction leur vaudra la garde en milieu ouvert, ils peuvent considérer que c'est une sentence acceptable pour eux, et ils commettront l'infraction.

Comme vous le savez, les enfants sont beaucoup plus brillants qu'on veut bien le croire. Il arrive souvent que les jeunes récidivistes sachent exactement jusqu'où ils peuvent aller avant même de commettre l'infraction, contrairement à ceux qui passent entre les mains du système judiciaire pour la première fois.

Laissez-moi vous donner un exemple qui ne s'applique pas nécessairement à ce cas-ci: si, en regardant le casier judiciaire, je constate que le jeune a été condamné sept ou six fois en 24 mois pour avoir manqué aux conditions de sa libération sous cautionnement, alors que la sentence était de trois, cinq ou sept jours, je peux conclure que le jeune sait tout autant que moi quels sont les risques qu'il court en refusant de se conformer aux ordonnances du juge. J'ai toujours cru, et je continue à croire, que refuser d'obtempérer à l'ordonnance d'un juge, c'était une affaire sérieuse. Or, les jeunes ont vu les mêmes chiffres que nous et savent exactement, et longtemps d'avance, ce qui leur arrivera.

.1150

[Français]

M. de Savoye: J'apprécie ces précisions et je dois vous dire que je partage les préoccupations dont vous faites état.

Il existe pour les jeunes contrevenants un genre de grille de sentences préétablies, comme vous le mentionnez, des niveaux de sentences qui font qu'on sait à quoi s'attendre.

Lors des délibérations de ce comité l'an dernier, certains témoins nous indiquaient que l'objectif d'une sentence était d'une part, bien sûr, la dissuasion et d'autre part, une réhabilitation possible pour les jeunes.

Lorsque vous parlez d'une sentence de cinq jours, je n'y vois ni la dissuasion ni la garantie de réhabilitation. C'est-à-dire qu'on manque notre coup sur les deux tableaux.

Certains experts suggéraient que la sentence soit reliée à la réhabilitation de manière indéfinie, c'est-à-dire que la sentence ne se termine que lorsque la réhabilitation est accomplie. Cette approche peut évidemment prendre beaucoup de temps, mais peut être très motivante.

Comment réagissez-vous à une telle approche?

[Traduction]

M. Newark: Je dirais d'abord que la réhabilitation ne signifie pas la même chose pour tout le monde.

On imposait naguère des sentences indéfinies. On continue même à les imposer en vertu de la partie XXIV, sous la rubrique criminels dangereux. À supposer que cette disposition soit jamais proposée, on me dit que le gouvernement prévoit de l'appliquer aux détenus incarcérés pour une longue période. C'est subjectif comme évaluation. Il faut comprendre que l'État prend sous sa tutelle celui qui a un comportement anti-social et lui impose une surveillance en détention ou en milieu ouvert, là où il peut agir.

Ce qui me chiffonne - et je crois que Neal Jessop a dit à peu près la même chose - c'est que lorsqu'il est établi, à la suite d'une longue démarche légaliste, que quelqu'un a enfreint une de ces ordonnances qui l'obligeait à telle ou telle chose, nous ratons le coche à deux points de vue: non seulement nous n'arrivons pas à le convaincre que nous prenons ce manquement très au sérieux, mais cette façon de faire est elle aussi nuisible. Le message que nous lui transmettons fait qu'il nous importe peu qu'il ne se présente pas devant le tribunal ou qu'il enfreigne l'ordonnance de probation ou l'ordonnance d'engagement. Chaque fois que la Couronne dit à un contrevenant qu'on retirera trois chefs d'accusation s'il plaide coupable à deux autres, et chaque fois que les tribunaux disent à un autre qu'on ne lui imposera qu'une seule sentence générale, nous envoyons le mauvais message aux mauvaises gens.

Comprenez bien qui sont ceux de qui je parle: je vous parle ici du tout petit nombre de jeunes contrevenants qui récidivent à tour de bras et qui commettent un nombre disproportionné d'infractions. Quant aux autres, je suis d'avis qu'il faut rester tolérant et se garder une certaine marge de manoeuvre à l'égard des jeunes dont vous avez une bonne chance de modifier le comportement, que ce soit par le truchement du tribunal de la jeunesse ou par le truchement d'un autre système.

Mais il faut aussi être assez alerte pour reconnaître quels sont les jeunes qui refusent de comprendre. Il me vient un exemple à l'esprit. Je pratiquais naguère dans un tribunal qui voyait passer beaucoup de cas d'infractions pour conduite en état d'ébriété. La première fois que le contrevenant était traduit devant les tribunaux, j'avais l'impression qu'il ne faisait que refléter la tolérance généralisée de notre société à l'égard de la conduite en état d'ébriété. La deuxième fois, je me disais que le contrevenant n'avait toujours pas compris. Mais rendu à la troisième, la quatrième, la cinquième, la sixième et la septième comparution, j'étais bien obligé de me convaincre que c'était nous, du système, qui n'avions pas réussi à nous faire bien comprendre.

Je crois que c'est là la plus grande pierre d'achoppement de la Loi actuelle sur les jeunes contrevenants, et c'est même un problème philosophique pour moi. Nous en avions d'ailleurs déjà discuté au sujet du projet de loi C-37. La «réprobation» et la «dissuasion», qui font maintenant partie de notre système de justice pénale, ne sont pas manifestes dans la Loi sur les jeunes contrevenants, alors qu'elles le devraient. Il ne s'agit pas d'appliquer ces principes à n'importe qui, à celui qui ne fait que vaporiser de la peinture sur un mur, par exemple, mais ces principes devraient s'appliquer aux jeunes récidivistes dont je viens de parler. Or, ces principes sont absents de la loi actuelle.

.1155

M. de Savoye: Si je vous ai bien compris, il faut imposer la bonne sentence dès la première fois, n'est-ce pas?

M. Newark: Oui.

M. de Savoye: Merci.

La présidente: Je ne suis plus trop l'ordre maintenant, mais je peux peut-être céder la parole à M. Maloney pendant cinq minutes.

M. Maloney (Erie): Puis-je aborder la question de la responsabilité parentale à laquelle vous avez fait allusion dans votre rapport? Vous avez parlé d'indemnisation. S'agit-il strictement d'indemnisation monétaire ou pourrait-on songer à un autre type d'indemnisation? Dans l'affirmative, laquelle?

Vous dites que cela peut donner des résultats, mais je ne crois pas que cela soit valable chez les familles dysfonctionnelles, et cela peut représenter un problème encore plus imposant qui pourrait avoir de nombreuses ramifications sociales, notamment. Abstraction faite de l'ampleur du problème, j'aimerais savoir ce qu'il faudrait faire dans le cas des familles dysfonctionnelles qui sont incapables d'assumer leur rôle parental ou qui ne le souhaitent pas.

M. Newark: Je ne crois pas que nous soyons des experts dans ce domaine, et ce n'est pas une mince affaire que vous nous demandez là.

Toutefois, j'espère que votre comité comprendra que nous avons tous collectivement intérêt à ce que les enfants soient élevés convenablement. La question est énorme et d'ordre social: Que faisons-nous en tant que société lorsque nous découvrons que les conditions de vie dans lesquelles sont élevés les enfants sont nuisibles socialement? J'imagine que nous hésiterions tous à laisser des hordes de travailleurs sociaux pénétrer dans les maisons pour appréhender les enfants.

Dans le même ordre d'idées, il faut également être franc avec nous-mêmes: nous recommandons dans notre mémoire que le Comité de la justice recommande à son tour une pratique autrefois utilisée, soit l'établissement de dossiers de cas. Cela permettrait de trouver un fil conducteur, c'est-à-dire un manquement dans la façon dont ces enfants sont élevés, et toutes sortes de signaux d'avertissement lancés dans la société bien avant que les jeunes ne se retrouvent devant le tribunal de la jeunesse.

J'ai donné des exemples spécifiques. Je connais certains cas en détail, et j'espère que vous en tiendrez compte. Vous constaterez que la société a des torts, non seulement dans les premières années, mais aussi dès que le jeune se trouve dans l'engrenage judiciaire: la société n'est pas non plus sans défaut, pour les raisons que M. de Savoye et moi-même soulignons.

Même si je crois être en mesure de mettre le doigt sur la question, je crains de ne pas être en mesure de vous donner une réponse ni de vous dire ce qui devrait être fait.

En ce qui concerne l'indemnisation, nous avions fait une recommandation concernant le projet de loi C-41 qui n'a pas été entérinée; nous avions recommandé d'élargir les pouvoirs des tribunaux pour qu'ils puissent imposer des frais principalement aux récidivistes. Je ne parle pas nécessairement des infractions graves, mais je parle de ce que nous appelons les infractions de type «nuisance», très souvent liées à l'alcool, et qui engorgent nos tribunaux. Pourquoi ne pas dire à celui qui s'est saoulé à nouveau et qui a encore troublé la paix, ou qui a encore commis un délit mineur, qu'il lui sera imposé non seulement une amende de 250 $ mais aussi des frais supplémentaires de 250 $ pour avoir occupé le tribunal.

Le problème, ce sera de déterminer comment appliquer cette disposition et à qui l'appliquer. Mais cela vaut peut-être la peine d'essayer, d'après moi, peu importe la situation financière des parents, pour démontrer à ces derniers qu'ils ont manqué à leur devoir de parents, ou plutôt devrais-je dire, qu'ils n'ont pas convenablement surveillé leurs enfants, peu importe qu'ils soient obligés de vous payer à même leur salaire ou même leur chèque d'aide sociale.

M. Maloney: Me reste-t-il une minute?

La présidente: Il vous reste une minute et demie.

M. Maloney: Vous avez parlé d'un âge minimal dans votre mémoire, mais sans aborder vraiment la question. Suggérez-vous d'abaisser l'âge minimal? Dans l'affirmative, à quel âge? Suggérez-vous de l'abaisser pour certaines infractions, ou est-ce que cela devrait être laissé à la discrétion du juge du tribunal de la jeunesse? Que suggérez-vous exactement?

M. Newark: Je crois que la suggestion dans notre mémoire remonte à un projet de loi qu'avait déposé naguère M. Nunziata, dans lequel il suggérait d'abaisser l'âge à 10 ans. Ce que j'essayais de faire comprendre, c'est que cet amendement découlait sans doute de la perception que l'on pouvait avoir que la société était incapable de traiter le comportement anti-social autrement que par le truchement de la Loi sur les jeunes contrevenants.

.1200

Or, c'est faux. Il existe plusieurs lois provinciales qui prévoient l'assistance aux enfants, mais on n'y a pas souvent recours - et je pourrais vous donner mon point de vue là-dessus. J'avais répondu à l'époque à M. Nunziata que je comprenais bien pourquoi il voulait que la disposition s'applique à partir de 10 ans, mais en précisant qu'à moins de s'attaquer aux autres facteurs, il lui faudrait dès l'année suivante présenter un autre amendement pour abaisser l'âge encore plus, à neuf ans par exemple.

Autrement dit, il faut revenir à ce que je vous disais tantôt. Nous avons tous intérêt à ce que les jeunes soient bien élevés. Que ce soit en intervenant par le truchement de la Loi fédérale sur les jeunes contrevenants, ou que ce soit par le truchement des lois provinciales sur l'assistance aux enfants, nous sommes tous concernés lorsque les choses tournent mal, et pourtant, nous fermons les yeux sur ce qui se passe.

Voilà pourquoi je vous recommande de regarder les exemples que je vous ai donnés dans le mémoire. Vous reconnaîtrez certains noms et je pourrais vous en fournir toute une autre liste. Vous verrez qu'il est possible de suivre le cheminement de chacun de ces jeunes, à partir du réseau d'assistance sociale jusqu'au tribunal de la jeunesse, et vous constaterez que notre dossier n'est pas très reluisant. Nous avons fermé les yeux sur le problème, et l'avons laissé s'accentuer jusqu'à ce qu'il devienne démesuré.

M. Jessop: Je ne me demande pas pour ma part si nous devons ou non abaisser l'âge auquel s'appliquerait la loi: je me demande simplement quand nous serons forcés de le faire. Le vieux policier pessimiste en moi me dit que cela se fera tôt ou tard.

Il faut donc se demander comment la justice pénale s'appliquera à un enfant de 10 ans. Or, la Loi sur les jeunes contrevenants a refusé de se poser la question et a refusé de voir les deux côtés de la médaille. Il faut comprendre que tout cela coûtera cher, mais il faut aussi comprendre que lorsqu'un enfant de 10 ans commet un crime grave et violent, c'est qu'il y a de graves manquements dans le rôle des parents, dans la mainmise qu'ils ont sur leurs enfants et dans l'appui qu'ils pourraient trouver autour d'eux, et qu'il devient peut-être nécessaire de retirer l'enfant de son milieu familial pour l'intégrer dans un autre milieu qui le prendra mieux en main.

M. Newark: J'essayais de vous faire comprendre que dans le cas du contrevenant de 10 ans, il est probable que vous retrouveriez des indices dans son comportement dès l'âge de quatre, cinq, six ou huit ans, c'est-à-dire avant qu'il ne tombe entre les mains de la justice.

La présidente: Cela vous intéressera peut-être de savoir que vous reprenez là... Nous revenons tout juste des Maritimes où nous avons visité plusieurs établissements et rencontré beaucoup de gens. Vous venez de répéter ce que nous avons entendu à plus d'une reprise.

Cela vous intéressera peut-être aussi de savoir que nous nous penchons sur des cas individuels. Dans la même veine que ce que vous avez dit, nous avons eu une conversation des plus intéressantes avec trois mères de l'Île-du-Prince-Édouard. Elles nous ont dit que, lorsque leur enfant commettait un manquement, leur plus grande difficulté, c'était la police. Ne croyez pas que je veuille vous critiquer, car je comprends très bien la situation délicate dans laquelle vous êtes. Vous savez que la seule chose à faire, lorsqu'il y a un manquement aux conditions de la probation ou aux mesures de rechange, c'est de faire intervenir la police ou l'agent de probation. C'est la seule façon de faire. Or, lorsque leurs enfants ne respectaient pas le couvre-feu ou manquaient à un autre de leur engagement, ces mères ont expliqué qu'elles ne parvenaient pas à faire réagir la police, ni même l'agent de probation.

Il s'agissait de parents qui étaient prêts à dire que leur enfant n'était pas à la maison à 21 heures, comme il devait l'être. On ne pouvait certainement pas faire intervenir le système.

Vous dites donc les mêmes choses que nous disent les particuliers. Et nous entendons le témoignage des parents et des victimes, et nous nous penchons sur les cas précis.

Mme Ablonczy: Il y a un aspect de la délinquance chez les jeunes, tout particulièrement la prévention, qui m'intéresse et dont j'aimerais parler. La question est de savoir quels moyens de discipline ou de contrôle concernant les enfants et les jeunes sont jugés raisonnables pour prévenir les comportements criminels graves.

Bien sûr, il en est question à l'article 43 du Code criminel où l'on expose ce qui constitue l'emploi de la force raisonnable pour punir les enfants et qui peut les punir. Selon les recherches que nous avons faites, les personnes en position d'autorité - qu'il s'agisse d'enseignants, de directeurs d'écoles ou même d'agents de police - se détournent de plus en plus de ce genre de mesures disciplinaires et l'on préfère porter une accusation et mettre les enfants dans l'engrenage du système de justice pénale.

.1205

J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'emploi de la force raisonnable, disons qu'il s'agit d'un enseignant qui prend un élève par le bras afin de mettre un terme à une bataille dans la cour d'école. De plus en plus à cause des contestations en vertu de la charte, les enseignants hésitent à faire ce genre de choses, et les agents de police donnent de sévères avertissements et ramènent les enfants aux parents, qui préfèrent régler ce genre de choses ainsi au lieu de porter des accusations.

Je me demande ce que vous pensez de tout cela et de l'emploi de mesures disciplinaires raisonnables dans le cadre du système de justice pénale.

M. Jessop: C'est un problème très difficile pour nous, mais je peux vous dire ce que nous faisons en substance.

Nous avons des jeunes gens qui ont cet âge magique, soit de 15 à 17 ans, et leurs parents prennent des moyens physiques pour les empêcher de faire certaines choses. Par exemple, prendre la voiture de la famille pour aller se promener sans permis de conduire. Ces enfants appellent la police et se plaignent qu'ils ont été agressés par leurs parents. C'est un problème difficile pour nous.

Nous tâchons de régler cela en partant du mot «intention.» La plupart d'entre nous qui ont des notions de droit savent qu'on ne peut pas commettre d'infraction à moins d'avoir l'intention de faire du mal. Donc nous partons de ce principe-là.

J'étais chez mes beaux-parents hier, et Linda et moi y avons vu un enfant - qui était haut comme trois pommes, qui a un an et demi, qui est très intelligent - nous avons remarqué qu'il se conduisait très bien, parce que lorsque son père disait non, l'enfant savait ce qu'il voulait dire, et il s'en allait tout de suite et faisait ce qu'il avait à faire au lieu de faire le contraire. Linda m'a dit: «Ils ont une chaise de réflexion.» Je ne connaissais pas le terme. Je lui ai demandé ce que c'était qu'une chaise de réflexion.

Une chaise de réflexion, c'est la chaise où le père ou la mère met l'enfant lorsqu'il agit mal, et l'enfant reste assis sur la chaise de réflexion jusqu'à ce qu'il comprenne qu'il a mal agi.

Dans certains cas, nous, les agents de police, voyons des parents qui ont tellement peur de leurs enfants qu'ils se laissent littéralement marcher sur la tête parce qu'ils s'imaginent qu'il y a un problème de discipline.

Disons-le clairement: Sans être accusé d'agression, il y a moyen de punir les enfants et il y a moyen d'empêcher physiquement les enfants de faire quelque chose qui pourrait leur nuire. Nous tâchons d'appliquer cela aux gens, mais ils entendent constamment parler de pères et de mères qui sont traduits devant les tribunaux, accusés d'avoir agressé leurs enfants.

Si cela peut vous rassurer, la situation n'est pas aussi mauvaise qu'on le dit. Mais dans plusieurs cas, la logique et la raison ont été complètement évacuées.

M. Newark: On dit que la police ne fait rien ici, et je suis sûr que vous avez entendu dire cela vous aussi. J'ai été témoin de circonstances semblables. Dans une large mesure, souvent les responsables du système n'interviennent pas non pas parce qu'ils sont malveillants, paresseux ou quoi que ce soit du genre, mais plutôt parce qu'ils connaissent le résultat d'avance. Ils savent que s'ils intentent des poursuites pour manquement au devoir, le système ne fera rien. Il n'y aura pas de conséquence.

J'essaie de me rappeler les détails exacts. Je me souviens, juste avant que je quitte mon poste de procureur en Alberta, il y avait eu une controverse au sein du ministère du Solliciteur général parce que des instructions précises nous interdisaient de porter des accusations dans des cas de manquements aux conditions de probation. C'est l'une des choses que j'ai trouvé les plus fascinantes dans notre système de corrections et de libérations conditionnelles s'adressant aux adultes. À mon avis, on décourage activement les manquements, parce qu'on aime pouvoir dire que nos systèmes fonctionnent.

Quant on voit des phénomènes de ce genre, à un niveau, on se dit oui, il y a des gens qui ne font rien. Mais il faudrait aller plus loin et se demander pourquoi les gens dans le système ne font rien.

.1210

Pour ce qui est de l'emploi de la force dans les punitions, j'imagine que c'est une des raisons pour lesquelles on voit si souvent le mot ``raisonnable'' dans le Code criminel, et c'est une affirmation subjective, parce que vous le savez aussi bien que moi, il y a des cas où l'on ne peut plus dire à son fils de 12 ans qu'il doit aller s'asseoir sur la chaise de réflexion. Il y a aussi des circonstances où des gens ont recours à la force physique pour corriger leurs enfants, et c'est excessif et c'est mauvais.

Nous avons mis au point un système subjectif, où l'on dit que d'un côté on essaie de déterminer ce qui constitue un crime, et de l'autre côté, nous reconnaissons qu'il y a eu une évolution sociale au cours des derniers siècles et que nous ne punissons plus les enfants comme avant... nous reconnaissons qu'ils ne viennent pas au monde avec toute la sagesse adulte. Nous ne savons pas comment définir ça, et je vous conseille de vous méfier des gens qui vous disent qu'il n'y a qu'une seule solution dans ce domaine. C'est beaucoup difficile qu'on pense, parce qu'il s'agit d'êtres humains.

La présidente: Du parti ministériel, monsieur Wells.

M. Wells (South Shore): J'ai quelques brèves questions que j'aimerais d'abord poser àM. Jessop.

Vous avez dit plus tôt que les jeunes connaissent la sentence qui les attend avant de commettre une infraction, ou quelque chose de ce genre. S'agit-il d'une affirmation fondée, ou parlez-vous seulement à partir de votre connaissance de la loi et de la jeunesse?

M. Jessop: Les deux. L'une des choses que je fais dans mon autre emploi, c'est que le soir et la fin de semaine je dépose des dénonciations devant le juge. Autrefois, c'était une formalité. Ce n'est plus le cas, parce qu'il nous faut réunir toutes les informations dont un juge a besoin pour accepter la dénonciation et imposer les conditions de la caution.

Ça fait déjà une vingtaine d'années que je fais ça... et j'imagine qu'en rentrant chez moi ce soir, je pourrais songer à une vingtaine de situations où vous pourriez sortir le dossier et voir exactement ce qui s'est fait dans le cas d'une personne en particulier. Si vous veniez nous voir, nous pourrions vous montrer les dossiers de certaines personnes qui se sont retrouvées dans ce genre de situation. Dans plusieurs cas, vous allez voir qu'elles ont atteint un niveau où elles commettent des infractions en sachant à peu près la sentence qui les attend.

M. Wells: Ce n'est pas une généralisation alors. Vous parlez ici des récidivistes, de ceux qui ont comparu devant les tribunaux plusieurs fois, et non de ceux qui en sont à leur première infraction.

M. Jessop: Il y a des cas où l'on peut presque mettre dans le même panier le récidiviste et l'auteur d'une première infraction.

M. Wells: Simplement à titre de curiosité, lorsque nous sommes allés dans l'Est la semaine dernière, nous avons entendu une preuve qui allait exactement dans le sens contraire, au sujet de jeunes qui connaissent le système aussi bien que vous dites. Il nous arrive d'entendre des gens qui ne sont pas d'accord, mais je tiens à dire que nous avons entendu une preuve qui allait exactement dans le sens contraire. Je tenais seulement à le signaler.

M. Jessop: J'aimerais savoir qui vous a dit ça.

M. Wells: Je ne me rappelle pas qui c'était, mais je sais que ça a été dit. Nous avons entendu plusieurs témoins.

Dans vos recommandations, la sixième, vous dites qu'il faut abaisser de 18 à 16 ans l'âge maximal pour les tribunaux de la jeunesse. Est-ce que vous voulez dire qu'il faut baisser de 18 à 16 ans, ainsi on ne rejoindrait que les 12, 13, 14 et 15 ans?

M. Newark: Oui.

M. Jessop: Nous parlons des 16 et 17 ans.

M. Wells: Autrement dit, de 17 à 15 ans, c'est ce que vous voulez dire. On ne rejoint pas maintenant ceux qui ont 18 ans, n'est-ce pas?

M. Newark: C'est exact. C'est le plafond, oui.

M. Wells: Ça s'applique au moins de 18 ans. Donc c'est moins de 18 ans jusqu'à moins de 16 ans. Vous dites donc que ça ne devrait s'appliquer qu'aux 12, 13, 14 et 15 ans.

M. Newark: C'est exact.

M. Wells: Je voulais seulement clarifier cela. Je pensais que c'était bien ce que vous disiez, mais ce n'est pas ce que dit votre mémoire.

M. Jessop: Vous savez, j'en suis sûr, que les 16 et 17 ans sont désignés dans le système comme des «jeunes contrevenants presque adultes», alors que les autres sont désignés comme...

M. Wells: Je comprends. Je voulais seulement clarifier cela.

M. Newark: Nous avons pensé que vous connaissiez les paramètres de la loi.

.1215

Permettez-moi de vous poser une question, si cela peut se faire. J'adorerais en savoir davantage au sujet de cette personne qui connaît le système de justice pénale et qui dit - si je vous comprends bien - qu'il n'y a pas moyen de déterminer même à peu près le genre de sentence qui attend un jeune contrevenant récidiviste. C'est bien ce que vous avez dit?

La présidente: Je crois que ce qu'on a dit, c'est qu'il n'y a pas d'uniformité. S'il n'y a pas d'uniformité dans le système, alors on ne peut rien prédire.

M. Newark: D'accord. Je ne suis pas d'accord avec ça, mais...

La présidente: Sauf votre respect, à moins que vous ayez des tas de statistiques que je ne connais pas, je ne pense pas qu'on puisse se prononcer sur ce qui se passe dans toutes les régions. Nous nous trouvions dans des localités particulières et nous tâchions d'avoir une idée exacte de la situation. C'est ce que je tâchais de vous dire plus tôt. D'après ce que nous avons entendu, l'uniformité des sentences pose un problème très grave.

Pour ce qui est des traitements, il est difficile pour les établissements de recevoir quelqu'un qui a été condamné à deux ans pour une infraction sans violence et une personne condamnée à trois ans pour une infraction avec violence, qui a presque le même niveau de gravité, comme s'il s'agissait d'une infraction au Code criminel. Il est très difficile pour ces établissements de traiter ces personnes ou de garder ces mêmes personnes dans l'établissement.

M. Newark: Je ne crois pas que c'est ce que M. Jessop et moi-même disions.

En réponse à votre première question, monsieur Wells, je reconnais que notre témoignage est anecdotique en ce sens - même si, chose curieuse, je suis de l'Alberta et Neal de l'Ontario, et pourtant, nos perspectives sont identiques.

Nous ne parlons pas des raisons pour lesquelles une personne qui a commis telle infraction reçoit telle ou telle sentence, alors qu'une personne reconnue coupable d'une autre infraction reçoit une sentence différente. Nous parlons ici de l'expert cambrioleur récidiviste qui en est à sa neuvième, dixième ou onzième entrée par effraction, et qui sait quelle sentence il a eue la dernière fois. Il y a des détenus qui, pour passer le temps, font des paris et essaient de prédire qui aura quoi pour combien de temps.

Il ne s'agit pas de savoir qui aura quoi pour quelle infraction, il s'agit plutôt de la prévisibilité des sentences.

La présidente: Nous avons compris, mais je crois que ce que M. Wells veut dire, c'est que dans certaines localités, il n'est pas possible de faire des prédictions parce qu'il n'y a pas d'uniformité. C'est tout.

M. Wells: Nous avons entendu des jeunes eux-mêmes dire ces choses. Nous avons interviewé certains de ces jeunes qui sont détenus, et ils nous disaient que d'autres personnes dans le même établissement étaient traitées très différemment. Ils voyaient des personnes arriver, qui étaient condamnées pour des infractions très mineures, et ils croyaient que leur sentence était beaucoup trop longue. Dans certains cas, il y a des jeunes à qui j'ai parlé personnellement et qui m'ont dit: «Ma sentence était équitable. Je pense que j'ai eu ce que je méritais, mais je ne crois pas que celui-là a mérité ce qu'il a eu.» Chose certaine, les criminels eux-mêmes reconnaissaient qu'il n'y avait pas du tout d'uniformité dans l'application de la loi.

Dans un des mémoires que j'ai lus aujourd'hui, on parlait d'éduquer les juges et les autres personnes chargées de mettre en oeuvre la loi, et c'est l'une des meilleures suggestions que j'ai vues. Je ne sais pas si c'était dans votre mémoire à vous, mais c'était dans un des mémoires que j'ai lus aujourd'hui.

M. Jessop: J'ignore si les personnes d'expérience seront d'accord avec moi ou non, mais vous allez constater qu'en général, là où vous avez des tribunaux surchargés et où l'on a beaucoup de mal à désengorger le système, les peines sont réduites. Ce n'est pas la faute des tribunaux; c'est la faute du système, parce que les tribunaux doivent accepter des sentences réduites afin de désengorger le système.

Cela vous semblera très étrange, mais vous allez voir également qu'il y a des gens qui se retrouvent dans des situations où ils ont le choix entre trois ans de pénitencier et deux ans dans un système provincial - ce qu'on appelle les deux ans moins un jour - et ils préfèrent les trois ans, parce qu'ils en sont probablement à leur première infraction et parce qu'ils ne sont pas connus dans le système fédéral. Ils vont donc purger un sixième de leur peine de trois ans, à savoir six mois, après quoi ils seront admissibles à une forme quelconque de libération conditionnelle, tandis que s'ils entrent dans le système provincial avec deux ans moins un jour, et qu'ils sont connus dans ce système des responsables de la libération conditionnelle, des tribunaux et de la police, on les oblige généralement à purger deux tiers de leur peine, à savoir à peu près 18 mois.

Il y a toutes sortes d'incohérences épouvantables dans le système, et celles-là en font partie.

.1220

La présidente: Merci. Monsieur de Savoye, cinq minutes.

M. de Savoye: Si je comprends bien, l'incohérence signifie

[Français]

que la sentence ne correspond pas au crime. Mais on peut prédire que les sentences seront incohérentes.

[Traduction]

L'incohérence est prévisible pour ce qui est de la sentence et du crime lui-même. Je ne crois donc pas qu'il y ait divergence entre ce que vous avez dit auparavant et ce que nous venons d'entendre. Le problème, c'est que certaines personnes ne reçoivent pas la sentence qu'elles auraient dû recevoir. C'est ça, l'absence d'uniformité. Elles savent ce qui va se passer, et ça, c'est prévisible.

M. Newark: Je crois que c'est vrai, et je crois que c'est vrai aussi dans le système adulte. Certains États américains sont passés tout droit à un tarif des sentences, comme ils disent, où l'on établit littéralement une grille d'infractions. Si vous avez commis, disons, une infraction qui est dans la grille, voici la sentence que vous allez recevoir.

Même si ce système présente l'avantage de la certitude, pour ma part, je ne crois pas que notre système devrait fonctionner comme ça. Je crois qu'une partie du génie de notre système de justice pénale tient au fait qu'on examine les circonstances de chaque infraction et la situation de son auteur. Le désavantage, cependant, c'est qu'il n'y a pas d'uniformité dans les sentences. Je ne crois pas qu'on puisse en arriver à ce genre de certitude mécanique, franchement, sans produire malgré soi des résultats très draconiens.

Quand j'étais procureur, j'ai toujours pensé qu'il existait une cour d'appel à laquelle je pouvais m'adresser si j'avais la patience voulue pour convaincre mon ministère de porter appel. J'avais la possibilité au tribunal de faire valoir mes arguments et de dire quelle serait la sentence appropriée. Ce que je trouve troublant entre autres choses dans la Loi sur les jeunes contrevenants, c'est que cela manque, c'est que l'on évacue à mon avis une bonne partie des principes qui s'appliquent partout ailleurs, à savoir la dissuasion et la réprobation, lorsqu'il s'agit de récidivistes. Je pense que c'est ce qui ne va pas au niveau des sentences.

Malheureusement, notre système s'oriente vers les sentences obligatoires en raison des difficultés que pose l'absence apparente d'uniformité, ou l'apparence d'indulgence - on pense entre autres aux récidivistes de l'ivresse au volant - mais je pense que nous sacrifions quelque chose dans l'humanité même de notre processus. Je n'ai jamais été accusé d'être mou envers les criminels, mais je dis que notre système au complet doit être humain.

M. de Savoye: Merci.

La présidente: Notre temps est à peu près écoulé. Avec la permission de mes collègues, je vais poser une question.

Vous avez parlé entre autres choses de mettre le jeune dans l'engrenage du système judiciaire - vous avez employé cette expression dans votre mémoire ou dans vos propos plus tard. D'après ce que j'ai compris, il ne convient pas du tout dans certains cas de faire intervenir le système judiciaire, et dans d'autres cas, cela se produit au moment où nous aurions pu prédire, trois ou quatre ans auparavant, que ce jeune éprouverait des ennuis un jour avec la justice, et cela fait problème.

Je songe à la situation où quelqu'un entre en contact avec le système judiciaire pour la première fois, et je sais que ce n'est pas le cas de tous les jeunes, est-ce qu'il n'y a pas un problème - et j'appellerai ça un problème; c'était toujours un problème pour moi lorsque j'étais procureur - d'informations privées, où l'on a des magasins qui portent des accusations contre des jeunes enfants qui ont fait un peu de vol à l'étalage alors qu'on pourrait s'occuper d'eux autrement? Est-ce que cela engorge votre système, ou est-ce que cela pose un problème?

M. Jessop: Mon expérience ici est limitée, mais de manière générale, dans ces cas, notre politique prime la politique du marchand, pour ainsi dire. Et les marchands comprennent ce que nous tâchons de faire. Comme vous le savez, dans la plupart des cas de vol à l'étalage, je dirais 90 p. 100 d'entre eux, cela se termine par un appel aux parents, et on ne revoie plus jamais ces jeunes.

Ensuite il y a les cas où le jeune fait une déclaration, ou les cas de ceux où l'on voit qu'ils ont déjà commis des vols à l'étalage ou qu'ils comptent récidiver, des choses de cette nature. Dans ces cas-là, nous ne porterons toujours pas d'accusations, mais nous avons une longue conversation avec les parents.

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Le vrai problème pour nous, bien sûr, c'est que parfois nous retrouvons ces jeunes au même magasin une semaine plus tard, toujours en train de voler. Ils sont pris de nouveau, et là nous sommes obligés de procéder et nous essuyons la colère des commerçants.

La présidente: Je tiens à vous remercier de votre exposé. La journée a été rude pour vous, je sais. Nous avons pris note de vos autres observations et nous les transmettrons.

Neal, vous avez mentionné plus tôt une étude - je ne me rappelle plus le contexte - une étude à laquelle vous aviez accès, sur les soins prénataux ou postnataux. Si vous en avez une copie ou si vous aviez une référence, nous aimerions l'avoir.

M. Jessop: Je verrai à ce qu'on vous l'envoie.

La présidente: Merci.

La séance est levée.

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