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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 7 mai 1996

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[Traduction]

La présidente: La séance est ouverte.

Nous accueillons aujourd'hui, dans le cadre de notre étude de la Loi sur les jeunes contrevenants, Gary Bernfeld qui est psychologue à l'établissement de Bath.

Dites-moi, où avez-vous obtenu votre diplôme, monsieur Bernfeld?

M. Gary Bernfeld (psychologue, Bath Institution): À l'Université Queen's de Kingston.

La présidente: Eh bien, tant pis. Ça aurait pu être mieux. Vous auriez pu être allé à l'Université de Windsor.

Quand nous avons du temps à revendre, nous demandons au témoin de commencer par présenter son mémoire pour entendre ce qu'il a à dire. Ensuite, les députés aiment bien lui poser des questions.

Mme Torsney (Burlington): Pourquoi ne changez-vous pas de fauteuil? J'ai pensé qu'étant psychologue, vous ne deviez pas apprécier un fauteuil en dessous de la table. Êtes-vous mieux ainsi?

M. Bernfeld: Beaucoup mieux. Il fallait qu'il soit à gauche du centre. Je ne sais pas si c'est la position idéale.

La présidente: Ça ne préoccupe pas grand-monde ici. Pourtant, certains d'entre nous s'énervent un peu en découvrant que nous sommes d'accord sur pas mal de choses.

M. Bernfeld: Tout d'abord, laissez-moi vous dire à quel point je suis honoré d'être ici. J'ai travaillé 15 ans comme psychologue clinicien, cadre de premier niveau et évaluateur de programmes. Depuis 25 ans, je lis avec avidité tout ce que je trouve d'intéressant dans le domaine. C'est donc plutôt excitant d'être enfin ici.

La dernière fois que je suis venu sur la Colline, c'était il y a trente-cinq ans. Je représentais ma classe et, à la Chambre, j'avais serré la main du ministre de la justice de l'époque, celui qui est ensuite devenu premier ministre.

Mme Torsney: Génial!

M. Bernfeld: C'était excitant, mais je n'étais pas revenu depuis. Comme je suis un sentimental, c'est vraiment un grand honneur pour moi. Pour vous, c'est le quotidien, mais pour moi, c'est tellement excitant que je n'ai pas pu m'empêcher d'amener ma famille avec moi.

La présidente: Quelle bonne idée!

M. Bernfeld: Je précise que j'ai officiellement quitté le programme que j'ai lancé il y a huit ans, celui pour la préservation de la famille dont je vais vous parler. Si je fais appel à vous aujourd'hui, c'est pour vous demander de faire en sorte, étant donné vos attributions, que votre part de l'aide financière fédérale-provinciale soit versée afin que d'excellents services communautaires et familiaux continuent de croître en cette période de restrictions budgétaires. Pourquoi? Pour des raisons qui, je l'espère, vous sauteront aux yeux: parce que ces programmes sont efficaces, économiques pour les contribuables et parce qu'ils protègent mieux la société que les méthodes expéditives qu'on est toujours tenté d'adopter.

Je vais me permettre une citation qui complétera bien mon propos. J'aime bien les citations et les bandes dessinées que vous aurez l'occasion de voir puisque je vais les faire circuler.

Mencken a dit qu'il existe une solution facile pour chaque problème humain: élégante, simple et mauvaise.

Mon but aujourd'hui est de vous présenter les points saillants de mon mémoire en l'étoffant légèrement. Je vais me chronométrer moi-même pour m'en tenir absolument aux 15 minutes auxquelles j'ai droit.

Vous savez mieux que moi combien coûtent les jeunes contrevenants et le système de justice à leur intention. Le chiffre de un demi-milliard de dollars mentionné dans mon mémoire ne comprend pas les frais judiciaires ni le coût de l'aide juridique, des traitements et de la détention. Alors que nos ressources diminuent, il faut nous assurer que nos stratégies pour lutter contre le crime reposent sur certaines prémisses, qu'elles tiennent compte de la façon dont la délinquance juvénile se développe - dont d'autres témoins vous ont déjà entretenus brillamment, comme j'ai pu le constater en suivant vos travaux sur Internet - et qu'elles fassent appel aux meilleurs moyens connus pour lutter contre le crime et le prévenir.

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Nos stratégies doivent aussi: appuyer la famille dans l'éducation et la socialisation des enfants; être mises en oeuvre globalement dans tous les services aux enfants; être appliquées de façon efficiente dans le système de justice juvénile, être efficaces et économiques ou, pour employer le jargon à la mode, permettre «l'optimisation des ressources».

Dans l'ensemble, je recommande que votre comité s'assure que tout l'argent consacré aux services de justice pénale pour les jeunes et les familles est dépensé comme prévu. Je vais tenter de souligner brièvement la nécessité d'avoir un système de justice pour jeunes contrevenants qui soit efficace, économique et en étroite relation avec la cellule familiale.

Comme j'ai un peu le trac, je m'en excuse d'avance, mais je vais devoir me fier à l'interprétation si l'on me pose des questions en français. Je ne veux absolument pas faire de bourdes comme Jimmy Carter en Pologne.

Des voix: Oh, oh!

M. Bernfeld: Le sujet suivant porte sur le développement et le traitement de la délinquance juvénile.

J'ai pensé regrouper toute la recherche savante dans l'annexe à la fin du mémoire afin de concentrer ce que j'avais à dire en moins de sept pages - un exploit pour un psychologue - de sorte que mon exposé fasse moins de quinze minutes. Dans cette annexe, il y a un résumé des recherches expliquant comment se développe la délinquance et quels en sont les meilleurs prédicteurs. Les trois plus importants, qui sont définis dans une recension faite par Alan Leschied que vous allez entendre plus tard ce mois-ci, sont la famille, les pairs et les attitudes criminelles. Vous comprenez certainement la corrélation entre les trois.

La famille joue un rôle critique dans le développement de la délinquance en transmettant des valeurs et des attitudes asociales aux enfants. Nous travaillons avec des enfants dont les parents vendent eux-mêmes de la drogue ou font la grasse matinée parce qu'ils sont allés de l'autre côté de la frontière faire quelques achats, et je ne parle pas de magasinage chez Wal-Mart.

Les parents peuvent aussi contribuer à la délinquance en ne réussissant pas à corriger les comportements asociaux. Certains n'emploient pas de bonnes méthodes pour enseigner la discipline aux enfants, tandis que d'autres, en ayant une discipline tout à fait relâchée ou en étant excessivement sévères et en punissant énormément, offrent un modèle de comportement agressif qui nous inquiète tant quand il se manifeste chez les jeunes d'aujourd'hui.

Certains parents peuvent aussi valoriser très peu les comportements sociaux acceptables ou la sociabilité. Nous travaillons avec des familles dont les parents ignorent comment régler des problèmes. Il faut donc le leur enseigner en même temps qu'aux jeunes. Nous avons dû montrer à une mère de la région de Belleville comment régler son réveille-matin parce qu'elle téléphonait au service de taxi de l'endroit le matin afin d'être certaine que ses enfants et elle arrivent à l'école à l'heure. Ce sont des notions élémentaires qui paraissent aller de soi quand on a une certaine éducation, mais auxquelles il faut penser quand nous avons affaire à ces familles qui ont plusieurs facteurs de stress dans leur vie.

Nous avons besoin de familles capables de réussir à décourager les mauvaises fréquentations. Quand elles n'y parviennent pas, on se retrouve dans des situations comme celle dépeinte dans l'annonce des Mormons que j'ai vue lors de mon passage à Calgary: il est 23 heures et on ne sait pas où sont ses enfants. C'est une triste réalité actuelle.

Enfin, les familles qui sapent le lien entre les enfants et leurs parents en les négligeant ou en les maltraitant font augmenter la délinquance.

Si vous avez le temps de jeter un coup d'oeil au diagramme de la page 10, vous y trouverez un rappel sommaire des principaux facteurs de la délinquance. Le diagramme est le fruit de la recherche de Gerry Patterson en Oregon. C'est le plus éminent spécialiste dans le domaine. Ça représente le vécu des adultes avec lesquels je travaille maintenant à Bath, depuis lundi.

Souvent, ça commence par des parents asociaux, des grands-parents incompétents, une famille minée par une foule de facteurs de stress et des parents qui ont des problèmes de toxicomanie; autrement dit, même si les parents ont les compétences nécessaires, ils ne surveillent pas ce qui se passe parce qu'ils ne sont pas tout à fait là, si je peux m'exprimer ainsi. Cela nous donne un enfant dont les enseignants à la maternelle nous disent qu'il est remarqué dès cet âge parce qu'il a une déficience de l'attention et qu'il exhibe déjà des comportements asociaux comme être cruel envers les animaux, mettre le feu, etc.

Au stade suivant, l'enfant est au primaire et l'on constate que ses pairs normaux le rejettent parce qu'il ne respecte pas les règles de la cour d'école. Ses parents commencent à le rejeter aussi parce qu'il leur cause des ennuis, puisque les policiers sont toujours rendus chez eux.

Nous avons travaillé avec une famille qui vivait dans un logement subventionné et qui causait tellement d'ennuis à tous les voisins qu'ils ont fait circuler une pétition pour la faire expulser de son logement appartenant à la province. Les policiers venaient régulièrement, les planches à roulettes des enfants disparaissaient, etc.

Or, dans cette famille, le père se mourait d'un cancer et venait d'être mis à pied, juste avant Noël. La mère était complètement dépassée par la situation; elle n'arrivait pas à élever ses cinq enfants et elle était assez déprimée. Les enfants avaient des troubles d'apprentissage et des déficiences mentales. Alors le moindre de leur souci, c'était leur jeune de 12 ans qui volait des bicyclettes. C'est celui dont on nous a chargés de nous occuper. Dans un tel cas, il faut travailler avec la famille au complet.

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Je serais incapable de travailler uniquement avec le jeune en faisant abstraction de sa famille. Pourtant, c'est souvent de cette façon que le système aborde les cas. On se focalise sur le jeune étiqueté jeune contrevenant alors qu'il faut en réalité considérer la situation comme un problème familial. Les parents doivent apprendre à maîtriser leurs propres enfants.

Donc, en lui apportant un appui, en s'occupant de lui faire donner quelque chose à manger à Noël par la banque d'alimentation et en y mettant des centaines d'heures de travail intensif, nous avons réussi à faire acquérir à cette famille bien des compétences en cours de route. J'ajouterais qu'un mois après la fin de notre intervention, ces parents ont même été capables de s'opposer à la société de logement de l'Ontario devant le tribunal et à gagner leur cause, tout seuls. Ils ont continué de vivre dans le même complexe résidentiel même si les voisins ne les trouvaient pas faciles.

Les méthodes qui visent toute la famille tendent à être les meilleures non seulement pour répondre aux besoins de traitement immédiats, mais aussi pour réussir la prévention à long terme. Quand on y pense, c'est la génération suivante que l'on traite par le fait même. Certaines des mères adolescentes avec lesquelles nous avons travaillé en sont un bon exemple. On intervient au tout début, avant que ne se referme le cercle vicieux des problèmes transmis d'une génération à l'autre.

Les programmes qui visent les familles entières - et je fais mieux d'accélérer parce que la moitié des quinze minutes dont je dispose sont déjà écoulées - ont pour principales caractéristiques d'être des programmes structurés qui enseignent aux parents comme aux enfants des comportements prosociaux: par exemple, montrer aux enfants comment suivre les consignes des enseignants et des parents, comment accepter un refus et comment résister à la pression des pairs; enseigner aux parents comment fixer des limites, comment gérer leur stress pour leur bien-être à eux; enfin, travailler avec toute la famille, pas seulement avec le jeune contrevenant, afin de pouvoir faire de la prévention auprès des frères et soeurs.

Le facteur dont vous entendrez sans doute le moins parler au comité, mais qui est, pourtant, l'un des plus importants à certains égards, c'est la qualité ou l'intégrité de la prestation des services.

Si vous entrez dans un McDonald sans savoir d'une fois à l'autre ce qu'on va vous servir ni si vous risquez ou non un empoisonnement alimentaire; s'il arrive qu'on vous remette certains jours la moitié d'un hamburger, parfois un hamburger carré et d'autres fois un hamburger rond, croyez-vous que vous iriez souvent dans ce restaurant? Pourtant, à mon humble avis, cela décrit assez bien l'état des services sociaux au Canada en ce moment. Nous avons vraiment besoin de concentrer notre aide sur ces services afin qu'ils soient constants et de la meilleure qualité possible.

Pour vous donner un exemple en quelques secondes, le modèle «teaching-family» qui vise l'ensemble de la famille nous inspire depuis des années. C'est un système qui a été conçu il y a vingt-cinq ans à Lawrence, dans le Kansas, et mis au point par la suite à Boys Town. Certains d'entre vous connaissent l'histoire de Boys Town. Le gouvernement américain a dépensé plus de 30 millions de dollars US pour produire des manuels sur la façon d'embaucher et de former le personnel. C'est le programme de foyers de groupe le plus soigneusement évalué dans tout le continent.

Il y a eu plus de soixante-dix rapports publiés sur le sujet - je pourrais vous donner d'autres détails - , mais le concept de base c'est qu'ils savent concevoir, conditionner et reproduire systématiquement un service social n'importe où au pays.

Pendant des années, cinq des six dernières en fait, nous avons tout fait en fonction de l'agrément de la Teaching-Family Association. Malheureusement, c'est tombé à l'eau l'été dernier lorsque plusieurs fondations privées, qui envisageaient de continuer à nous financer jusqu'à la dernière année de l'agrément, ont décidé de cesser de le faire. Elles ont pris cette décision parce qu'elles n'avaient pas l'intention - selon leurs propres paroles - de s'enfoncer dans de mauvaises affaires en investissant dans le système ontarien des services sociaux où la survie de tous les programmes qui ne sont pas obligatoires en vertu de la loi, comme le mien, est incertaine.

Ce fut l'un des facteurs déterminants. C'était peut-être le temps de partir. Il nous a fallu consacrer des milliers d'heures de travail et de loisirs pour offrir un service vraiment bon, mais nous n'avons pas reçu l'aide structurelle dont nous aurions eu besoin pour atteindre le fil d'arrivée.

Je suis certains que vous avez déjà entendu des experts comme Tony Doob, la Société John Howard et d'autres, vous dire qu'aucune recherche ne démontre l'utilité des sanctions judiciaires comme la garde et les risques de manquement aux conditions de la probation, ou des mesures répressives comme les camps de style militaire, ou encore l'aide psychosociale individualisée habituelle, mais c'est à ça que sert presque tout l'argent qui est dépensé.

Vous savez mieux que moi que plus de 75 p. 100, voire jusqu'à 80 p. 100 des fonds fédéraux sont dépensés pour l'incarcération de peut-être 20 p. 100 des jeunes contrevenants. Toutes sortes de services communautaires, y compris les services spécialisés comme ceux dont je parle, se disputent la somme qui reste, ce qui est bien peu. Il faut donc se demander pourquoi on ne consacre pas son argent, quel que soit le montant dont on dispose, à ce qui est efficace au lieu de ce qui est pratique ou à la mode.

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Par exemple, selon M. Leschied, le taux de récidive est d'environ 66 p. 100 en Ontario chez ceux qui ont été incarcérés. Autrement dit, 66 p. 100 des jeunes contrevenants remis en liberté après avoir été placé sous garde vont commettre une nouvelle infraction dans les six mois. Pourtant, le gros des 40 millions de dollars investis chaque année, en Ontario, dans le système de justice pour les jeunes contrevenants sert à régler les frais de détention.

Il n'existe pas de panacée. Par exemple, notre modeste programme communautaire a un taux de récidive d'environ 55 p. 100 en quinze mois. Il ne règle donc pas définitivement les problèmes et ne saurait être considéré comme une solution à court terme. L'autre facteur, évidemment, c'est qu'il coûte beaucoup moins cher. Comme vous avez pu le lire dans l'annexe, pour chaque dollar investi dans notre programme communautaire, le système judiciaire pour jeunes contrevenants de la région de Kingston a économisé 1,48$, c'est-à-dire une économie annuelle d'à peu près 250 000 $ au cours des cinq dernières années durant lesquelles nous avons passé nos heures de loisirs à rassembler des données.

Il n'y a donc pas de panacée, pas d'endroit idéal, mais on dirait que la moindre différence ou amélioration du taux de récidive importe.

Par exemple, une étude de la Corporation Rand, réalisée il y a un peu plus de vingt ans aux États-Unis, a constaté qu'une diminution de 10 p. 100 seulement du taux de récidive permettait au système d'économiser 250 000$ par jeune pendant toute sa carrière de criminel qui dure en moyenne 13 ans. Autrement dit, si quelques jeunes contrevenants sont réchappés, on peut permettre au système d'économiser beaucoup. Bien entendu, c'est difficile à prouver, mais ça ne signifie pas que c'est voué à l'échec.

Dans le mémoire, j'explique ce qu'est la préservation de la famille. C'est un type de service communautaire très particulier qui a essentiellement pour but de sevrer les gens du système, d'atténuer leur dépendance à son égard. Je pense que c'est l'objectif commun de tous, que l'on soit assis à gauche ou à droite du centre de la table: aider la famille à maîtriser elles-mêmes ses enfants, à les socialiser et à les responsabiliser en leur faisant subir des conséquences pour les actes qu'ils commettent. C'est d'autant plus important que, dans le système actuel, il peut s'écouler de six à neuf mois avant que les tribunaux, engorgés par les multiples affaires d'infractions mineures, entendent la cause d'un jeune qui en est à ses premiers démêlés avec la justice. Bref, quand un jeune casse une vitre, il devrait être privé du droit de sortir; c'est ainsi que les choses pourront s'arranger au sein de la famille, au lieu de renvoyer l'affaire devant les tribunaux et de cultiver chez le jeune ce cynisme qui est rapporté dans les journaux.

Notre autre but, c'est évidemment de protéger la société. Je soutiendrais que nous y parvenons doublement, à la fois grâce à notre taux de réussite et aux économies qui peuvent être réalisées.

Il y a environ six ans, nous avons eu l'occasion d'aller observer un programme offert àNew York, qui s'appelait Family Ties - les liens familiaux. Nous y sommes allés avec des représentants du service de probation de la ville et des collègues des diverses composantes du système. Le programme a un tel taux de succès dernièrement que, quoique modeste, il a permis de faire économiser à la ville de New York, en une seule année, 2,2 millions de dollars en frais de détention. Comme les budgets s'amenuisent de plus en plus, la ville de New York a ainsi une bonne longueur d'avance sur le Canada.

En dépit du maire actuel, les responsables ont réussi à faire tripler le budget de leur programme parce qu'ils prévoient entraîner des économies de 11 millions de dollars.

Donc, accroître le financement des services communautaires de qualité, mais pas n'importe lesquels, permet d'économiser proportionnellement.

Depuis 1989, à la St. Lawrence Youth Association, nous avons organisé des services de soutien communautaire. Nous essayons d'incorporer les meilleures pratiques, que j'ai décrites tout à l'heure, dans un modèle intensif de préservation de la famille. Disons que nous tentons foncièrement d'investir en amont du système, mais après la prévention qui se situe encore plus haut. Selon le concept de la préservation de la famille, il faut que le système pour jeunes contrevenants dépense plus pour ceux qui en sont à leur première infraction et qui sont à risque à cause de la violence dans leur milieu et des problèmes de leur quartier. Cependant, il faut les aider chez eux dès la première infraction au lieu d'attendre qu'ils aient été incarcérés trois ou quatre fois et endurcis par le système.

Malheureusement, il arrive qu'à ce stade, le lien entre la famille et l'enfant soit rompu. C'est comme un divorce affectif. La famille n'en peut plus de cet enfant et demande au système de s'en occuper.

En incarcérant le jeune à répétition, en brisant les liens qui l'unissent à sa famille, on enlève aux parents une épine du pied. Le jeune appartient alors au système. Dans une étude effectuée au Maryland, on a suivi les jeunes qui ont été placés ailleurs que dans leur famille pendant au moins six mois pour constater que le système les prenait en charge pendant quatre ans. C'est l'aide sociale pour enfants aux États-Unis. Donc, en utilisant le placement en établissement, on peut être assuré que cela coûtera plus cher aux contribuables, sans pourtant être aussi efficace.

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En passant, cela ne signifie pas que les placements sous garde sont tout à fait inutiles. Je veux seulement dire qu'il faut prévoir une gamme de solutions et qu'il faut investir davantage du côté de la prévention alors qu'en ce moment, on dépense surtout pour la détention. Comme nous avons de moins en moins d'argent, il faut choisir judicieusement nos dépenses.

À propos des services de soutien communautaire, lorsque Leschied a fait son enquête sur les programmes offerts en Ontario, il nous a classés parmi les dix meilleurs pour la qualité du service que nous offrons. Je vous ai déjà mentionné les taux de récidive et les économies réalisées.

Nous avons intégré au départ l'évaluation au programme. Il n'y avait pas de ressources humaines ou financières supplémentaires pour la faire. Nous nous sommes amusés à faire le suivi nous-mêmes et à construire des bases de données. Nous avons des assistants de génie qui ont appris la programmation d'une base de données dans leurs temps libres. Ils ont créé 47 bases solidarisées et produit un manuel de 500 pages. En fait, quelques subventions fédérales nous ont permis d'engager, pendant l'été, des étudiants qui nous ont aidés à peu de frais.

Nous avons examiné les données sur la clientèle en demandant aux jeunes eux-mêmes, aux agents de probation et aux parents ce qu'ils pensaient de notre programme. Nous nous sommes penchés sur les troubles de comportement chez les enfants, sur le fonctionnement de la famille et sur la sociabilité pour découvrir des différences statistiquement significatives ou fiables dans les domaines espérées. Au cours de l'année qui vient, toutefois, il faudra défendre cette solution économique pour remplacer les placements sous garde, puisque son financement sera remis en question par la région et par la province.

Personnellement, je suis depuis six ans évaluateur pour les familles d'accueil et les services de préservation de la famille au ministère des Services sociaux et communautaires de l'Ontario. J'ai examiné et rassemblé sur une grande échelle des données sur les résultats, mais je connais certains des grands défis qui doivent être relevés.

L'un des principaux consiste à justifier ce que l'on qualifie de «superflu» - et qu'on essaie de rebaptiser «services d'investissement» - alors qu'il y a à peine assez d'argent pour financer ce qui doit être fait en vertu de la loi. Je suis certain que vous avez tous lu les journaux, mais c'est très décourageant, surtout quand on sait que certains de ces services superflus d'une grande valeur, ces services de prévention communautaires, permettent réellement de réduire les coûts que nous aurons à assumer plus tard. Vous avez tous vu la publicité de Speedy Muffler: si vous ne payez pas tout de suite, vous payerez plus tard.

Je pense que j'ai laissé la St. Lawrence Youth Association à cause de toute l'incertitude cette année. En fait, cela a commencé il y a des années sous d'autres gouvernements, mais le principal, c'est que le programme se poursuive. En fait, après mon départ, le financement s'est stabilisé. Nous avons réussi à garder non pas six employés comme prévu, mais au moins quatre. Nous espérons que le programme continuera d'être subventionné.

Il faut néanmoins se demander ce qui arrivera après le dernier budget de l'Ontario. Le programme a-t-il un avenir? Je l'espère, mais pour le moment, je ne suis pas prêt à mettre en jeu ma sécurité d'emploi, pour le bien de ma famille.

Je travaille maintenant avec des contrevenants adultes. Le plus ironique de l'affaire, c'est que lundi dernier, mon premier jour de travail, le tout premier client dont je me suis occupé était passé par l'école de réforme d'Alfred. Quand il était enfant, il a été battu et agressé sexuellement à l'école et aussi par ses parents. Il n'a pas reçu les services de soutien dont il avait besoin et il a fait par la suite des choses horribles pour le système.

En un sens, c'est comme un aperçu de l'avenir. Ça me montre combien le système va sans doute coûter aux contribuables dans quelques années. Vous connaissez certainement les chiffres se rapportant aux plus de 50 000 $ que coûte un détenu dans un pénitencier fédéral.

Le gouvernement fédéral se doit d'appuyer le mémoire du Conseil national de la prévention du crime et des autres qui préconisent une intervention bien plus étendue. Tout ne doit pas reposer sur le système judiciaire; il faut une solution qui mette à contribution les services d'aide sociale aux enfants et de santé mentale.

Je suggère aussi au gouvernement fédéral d'examiner attentivement ce que le gouvernement fédéral américain a fait, surtout étant donné la conjoncture là-bas et les soucis financiers. En 1993, il a adopté une loi sur les services de soutien et de préservation de la famille qui a autorisé que 1 milliard de dollars soit dépensé en cinq ans. La loi a fait l'unanimité parce qu'elle va garantir un appui aux familles en finançant de meilleurs services de prévention et moins de placement en établissements.

Le Canada peut suivre cet exemple. Il a même déjà commencé. Nous avons mis sur pied, il y a huit ans, le premier programme, certainement en Ontario et sans doute même au Canada, de préservation de la famille. Et d'autres existent maintenant - en dépit des restrictions budgétaires. Ces programmes sont lancés grâce à des sources de financement privées.

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Ensuite, il y a toute la question - et vous en savez bien plus long que moi là-dessus - de la redéfinition du partage des coûts avec les provinces. Quels sont les enjeux? Vous êtes les seuls à le savoir. Il s'agit de réduire la proportion de jeunes placés dans des établissements, qui est actuellement de 80-20, pour tendre vers une répartition moitié-moitié dans l'espoir d'arriver finalement à l'objectif du ministre Rock qui vise avec optimisme 20-80, soit l'inverse de la proportion actuelle. J'appuie tout à fait cette démarche, mais je vous encouragerais à fixer au moins des objectifs intermédiaires et à exiger des provinces qu'elles rendent compte de l'argent qu'elles dépensent; après tout, c'est notre argent.

Je crois que ça permettra d'économiser tout en étant plus efficace, mais à une condition - et c'est là que les choses se corsent, d'ailleurs, je suis là-dedans jusqu'au cou - : il faut que l'évaluation de l'efficacité ou de la rentabilité soit intégrée aux programmes. Sinon, on revient au scénario du McDonald dont la qualité des aliments varierait selon le restaurant.

En tant qu'évaluateur et gestionnaire de programmes, je ne vois pas pourquoi l'on ne pourrait pas renforcer la responsabilisation actuelle dans la mesure où l'on a une vision des politiques à modifier et des résultats escomptés pour protéger la sécurité publique. J'imagine que c'est votre tâche à vous de définir cette vision pour le pays. Va-t-on vraiment accorder à la sécurité publique toute l'attention qu'elle mérite en optant pour des programmes efficaces?

Je sais à quel point il est difficile d'évaluer des programmes. Je ne veux pas dire qu'un seul modèle universel suffirait et que ce sera simple et facile, mais comme jamais on n'oserait seulement penser à donner de l'argent à un organisme sans exiger des comptes en retour, comment peut-on omettre de vérifier le contenu des programmes pour savoir ce qu'on obtient vraiment et quels résultats on peut espérer? Des tas de gens - moi comme d'autres aussi - excellent à raconter des histoires, mais à quoi ressemble concrètement le service offert aux familles? Quels sont ses effets sur la sécurité publique? Si nous ne posons pas ces questions, peut-être que nous nous leurrons.

En résumé, je demeure optimiste malgré tout. Je crois qu'il est possible d'améliorer la sécurité publique si nous sommes disposés à établir des lignes directrices. Nous avons besoin de cet appui structurel et c'est ce que vous, vous pouvez faire pour les gens comme moi qui travaillent sur le terrain. Vous devez apporter le soutien nécessaire à la réorganisation du système pour jeunes contrevenants et garantir que seules les interventions éprouvées sont utilisées. Les modes se sont succédé, mais elles coûtent cher à long terme. Assurez-vous que le système appuie les familles entières, de concert avec les autres systèmes tels que l'aide sociale à l'enfance et les services de santé mentale. Offrez des services intensifs de préservation de la famille, par exemple, au lieu du placement sous garde. Dans l'intervalle, essayez de répartir le financement moitié-moitié entre les établissements de détention et les services communautaires. Et veillez à ce que tout ce qui est subventionné soit évalué.

L'autre jour, j'ai entendu le vérificateur général parler de la nécessité d'évaluer les 150 millions de dollars dépensés annuellement pour le traitement des détenus dans les pénitenciers fédéraux. Même si je viens à peine de commencer mon nouvel emploi - c'est ma deuxième journée aujourd'hui - , à mon avis et nous serons tous d'accord là-dessus, il est important de reconnaître que notre travail a besoin d'être évalué, sinon comment être certain d'avoir l'effet escompté sur la sécurité publique si nous ne vérifions pas les résultats obtenus grâce à l'argent dépensé. Il faut que nous fassions cet effort supplémentaire et que les gens soient responsabilisés efficacement; ainsi, nous contribuerons à mieux protéger notre société.

Donc, mon optimisme repose fondamentalement sur le fait que nous avons la technologie à notre disposition et que nous savons quoi faire. Nous avons les connaissances; nous connaissons les services qui marchent. Vous, les députés, vous devez actionner les leviers que sont les mesures législatives et les mécanismes de financement. Évidemment, je suis certain que la réalité est plus compliquée que ne le pensent les naïfs de mon espèce, mais je crois néanmoins qu'au bout du compte, c'est une question de détermination ou de volonté. Sommes-nous prêts à utiliser tous les moyens à notre disposition pour transformer le système de justice pour jeunes contrevenants, et rétrécir l'écart entre ce que nous souhaitons et ce qui se passe effectivement sur le terrain?

Je vous remercie beaucoup. Je n'ai pris que dix minutes de plus que prévu.

La présidente: Vous êtes le seul à vous soucier de l'heure.

Nous allons commencer par un tour de dix minutes. Monsieur Langlois.

[Français]

M. Langlois (Bellechasse): Madame Bernfeld, j'aimerais que vous me brossiez un tableau des termes qui sont généralement utilisés par les psychologues dans leur profession pour parler de ce qu'on appelle en droit criminel les jeunes contrevenants. Le système se réfère à eux en parlant de jeunes contrevenants. Pourriez-vous dresser une brève liste des termes que vous utilisez pour décrire les situations où vous traitez des jeunes qui ont des problèmes de comportement?

J'aimerais avoir un aperçu de la vision de gens qui sont de l'autre côté de la frontière, si vous me permettez cette expression.

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[Traduction]

M. Bernfeld: Eh bien, je suppose que chaque sous-spécialité a un terme favori. Ceux qui ont une formation en médecine vont parler de «troubles du comportement» ou de «psychopathes».

En fait, dans les diagnostics cliniques, vous me croirez si vous voulez, il n'existe pas un type unique de jeune contrevenant. C'est l'étiquette utilisée en droit et vous savez qu'elle est apposée aux jeunes pour toutes sortes de raisons.

Il existe quatre grands types de délinquants ou de jeunes contrevenants qui reviennent constamment dans les ouvrages spécialisés. Le quart d'entre eux sont du type dont on entend parler quotidiennement aux informations. On présume que tous les jeunes contrevenants sont des psychopathes ou des mésadaptés sociaux dotés d'une personnalité psychopathique, mais ils ne représentent en fait qu'une minorité de la population.

Un deuxième type - les quatre groupes sont à peu près équivalents en nombre - est celui des délinquants sous-culturels. Ce sont les jeunes qui sont des moutons. Ils apparaissent tardivement dans le système, pendant leur adolescence, parce qu'ils ont suivi de mauvais exemples à l'école et qu'ils se sont mis à consommer de la drogue, ce qui les mène au crime. Habituellement, ils commettent beaucoup de crimes contre les biens, rarement des crimes avec violence, alors que les délinquants du premier type ont tendance à être les plus agressifs.

Le troisième groupe - celui qui ne correspond pas du tout au stéréotype - , c'est celui des jeunes qui ont des ennuis avec la justice parce qu'ils sont déprimés. Les jeunes autant que les adultes ont tendance à rechercher des substances pour se soigner tout seuls; ça peut être de l'alcool, de la drogue, etc. Les gens ont besoin de pratiquer l'automédication.

Souvent, c'est parce qu'ils ont subi des sévices ou des agressions sexuelles. Avant l'adoption de la Loi sur les jeunes contrevenants, il y avait la Loi sur les jeunes délinquants qui qualifiait les jeunes filles ni plus ni moins de courailleuses et qui les enfermaient indéfiniment dans des écoles de réforme à cause de leur mode de vie. En réalité, elles cherchaient souvent à fuir leur milieu où elles étaient maltraitées. Nous le savons maintenant et c'est ce que confirment les données du tribunal de la famille de London que M. Leschied a réunies.

Le quatrième type est celui des jeunes atteints d'un trouble déficitaire de l'attention. Ce sont simplement des jeunes hyperactifs qui agissent d'abord et réfléchissent ensuite. Ça arrive aussi à certains d'entre nous, même adultes, mais c'est une tout autre affaire.

Il n'existe donc pas un type unique de jeunes contrevenants et c'est pourquoi il n'y a pas de solution universelle.

Il y a des années, alors que j'étais à Kingston, j'ai eu l'occasion d'assister au déroulement d'un programme à Milhaven, appelé Save the Youth Now, qui avait pour but d'effrayer les jeunes. Au bout du compte, les données ont révélé que de tels programmes n'étaient pas efficaces. Pour certains jeunes, c'était devenu un gage de courage: ils pouvaient aller passer 24 heures à Milhaven, être enfermés dans une cellule pendant une heure, s'asseoir à côté d'un condamné à perpétuité et en ressortir imperturbables. Nous savons donc maintenant que ce n'est pas une solution qui marche à tout coup.

Pour certains types de jeunes, il faut d'autres techniques, les sociabiliser, une thérapie cognitive du comportement, aider les jeunes à trouver d'autres voies...

Il faut rejoindre les jeunes là où ils se trouvent, dans la rue. Dans les programmes comme le mien, les intervenants ne restent pas enfermés dans des bureaux comme les vôtres. Les jeunes ne voient jamais l'intérieur du bureau d'un psychologue. Ils ne me rencontreront jamais. Ce sont des travailleurs sur le terrain qui s'occupent d'eux dans leur propre milieu. Mon programme s'occupe des jeunes des six comtés autour de Kingston. Un jour, nous sommes dans un parc de maisons mobiles à Elgin, le lendemain, dans un complexe de logements subventionnés au nord de Kingston. Le service est personnalisé et enveloppe soigneusement l'ensemble de la famille. Notre but est de créer un milieu de garde à la maison.

L'idée maîtresse, c'est la nécessité de personnaliser l'intervention au lieu d'appliquer une formule générale, afin de tenir compte de tous ces sous-types différents.

J'espère avoir répondu en partie à votre question.

[Français]

M. Langlois: Vous avez probablement suivi les événements survenus la fin de semaine dernière à Québec. Un groupe de jeunes qui avaient établi leur territoire dans la ville se sont sentis agressés par les policiers et ont réagi de façon assez violente. Dans quelle catégorie les classeriez-vous et quels moyens suggéreriez-vous à la communauté canadienne de prendre afin de prévenir ou de gérer ces états de crise, qui n'étaient manifestement pas appréhendés?

Les policiers, et tout particulièrement ceux de l'escouade anti-émeutes, ont été pris, dirait-on au Québec, «les culottes à terre» et ont mis quatre heures à arriver sur les lieux parce, disait-on, il devaient prendre leur douche avant d'intervenir. Ces réactions sont quand même assez spéciales.

Je reformulerai ma question. De tels phénomènes sont-ils prévisibles? Quels moyens d'action suggéreriez-vous à la communauté, y compris les forces policières, pour y mettre fin?

.1610

[Traduction]

M. Bernfeld: Franchement, comme je ne suis pas au courant de la séquence des événements qui ont provoqué l'émeute, je ne peux pas faire de commentaires sur cette situation en particulier, mais elle me paraît très semblable à celle dont on a parlé aux nouvelles, en Ontario, l'autre soir. La police a expulsé d'un immeuble condamné de Toronto des jeunes squatters qui ont tenté de manifester devant l'hôtel de ville afin d'attirer l'attention du maire.

Ce qui me frappe dans ces deux incidents, c'est qu'ils dénotent une société qui a peur de ses jeunes. On voit des jeunes qui portent une casquette à l'envers, des pantalons noirs ou trop grands, qui se tiennent près des dépanneurs, qui se trouvent là où ils ne sont pas censés être et qui écoutent de la musique à tue-tête.

En un sens, ça n'a rien d'exceptionnel. Je me rappelle une citation d'Aristote dont je me sers dans mon cours sur le développement de l'enfant. La formulation exacte m'échappe, mais il y est question de la jeunesse d'aujourd'hui qui est désagréable, qui fait peur, qui parle fort, qui est étrange, qui ne comprend pas et ne nous écoute pas. Autrement dit, ce fossé entre les générations n'a pas tellement changé avec le temps. Il a toujours existé.

Il faut se demander, entre autres, ce que nous offrons outre les solutions policières. Il est toujours bon de savoir, en médecine, que l'urgence existe. Mais pour les jeunes contrevenants, c'est comme s'il n'y avait que l'urgence mais aucun médecin de famille à qui s'adresser pour les petits bobos de tous les jours. On est toujours prêt à construire un hôpital au pied de la falaise, là où s'écrasent les voitures qui ont raté la courbe, mais on ne remet jamais en question le tracé de la route.

Selon M. Dan Offord qui s'est penché sur le problème de la santé mentale des enfants en Ontario et qui a produit une grande étude marquante pour le gouvernement de la province, l'un des meilleurs moyens préventifs, c'est la création de loisirs plus constructifs. Nous n'avons pas nécessairement besoin d'un plus grand nombre de psychologues, de travailleurs sociaux ou de prisons. Ce qu'il nous faut, ce sont des endroits où les jeunes peuvent se tenir et s'amuser sainement.

Si je me fie à certaines initiatives du gouvernement fédéral et d'autres dont j'ai entendu parler, il semblerait que le monde commence à comprendre et à agir en conséquence. On n'en parle pas beaucoup et ça n'a peut-être pas l'air très sophistiqué, mais c'est en suscitant, au sein de la société même, un appui communautaire pour les jeunes et leur mode de vie et en essayant de les comprendre qu'on évite des situations comme celle que vous décrivez et les interventions policières.

Ça met les policiers dans une situation délicate. C'est pourquoi j'applaudis aussi les initiatives de police communautaire et le programme VIP à Kingston où les policiers se déplacent pour aller parler du système aux jeunes. Les jeunes font ainsi connaissance avec les policiers en dehors d'une situation de crise où c'est alors une mauvaise utilisation de leurs talents et de leurs ressources. De surcroît, ça les place dans une position insoutenable.

[Français]

M. Langlois: À la page 6 de la version française de votre mémoire, vous dites qu'il faut appuyer les familles, offrir des services intensifs de préservation de la famille. Je vous demanderais de préciser votre pensée, de nous dire si vous jugez que les ressources pécuniaires sont actuellement suffisantes mais mal dirigées ou si elles sont carrément insuffisantes. Sinon, veuillez nous indiquer en quel sens ou dans quel secteur on aurait besoin de davantage de ressources.

Est-ce que des événements semblables à ceux que nous avons connu dernièrement et à ceux que vous évoquiez et que vous connaissez mieux auraient pu se produire à l'époque où la famille dite traditionnelle - un père, une mère et des enfants - prédominait au Canada et où les familles éclatées étaient très peu nombreuses et les familles reconstituées encore plus rares? Des événements semblables à ceux d'aujourd'hui étaient-ils moins susceptibles de se produire à l'époque des bonnes années, des années 1950 ou 1960?

Je pose plusieurs questions, mais vous comprendrez l'esprit dans lequel je les pose.

[Traduction]

M. Bernfeld: La solution facile consiste à réclamer encore et toujours une augmentation du financement, mais je n'aurais aucune crédibilité en ce moment si je présentais une telle demande. En fait, il s'agit d'utiliser l'argent plus efficacement.

Par exemple, j'ai lu le rapport Jasmin, qui a étudié le système des jeunes contrevenants au Québec, ainsi qu'un discours prononcé par le sous-ministre Thompson il y a quelque temps, dans lequel il parlait des divergences entre les provinces qui dépensent différemment l'argent qu'elles reçoivent et de la manière dont on détourne les adolescents du système des jeunes contrevenants. Au Québec, où plus de 40 p. 100 des jeunes ont droit à la déjudiciarisation avant le procès au criminel, on économise sur les frais judiciaires et, au bout du compte, sur les dépenses des établissements de garde en optant pour des solutions qui ne sont pas traditionnelles.

Alors pourquoi l'Ontario n'en fait-il pas autant? En réalité, il n'y a pas si longtemps encore, il n'y avait même pas de programme de mesures de rechange dans la province. Le premier à avoir été mis sur pied a été créé par un juge de notre région, George Thompson, il y a vingt-cinq ans, avec l'aide de gens comme Merice Boswell - qui est venu me rejoindre de Kingston et qui est notre ancien directeur exécutif - , pour trouver des moyens économiques et communautaires de s'occuper des jeunes à problèmes.

.1615

Il existe par conséquent de meilleures façons d'utiliser nos ressources limitées que d'avoir recours aux tribunaux, à la police et aux prisons. Réservons ceux-ci aux durs, au faible pourcentage de jeunes qui commettent des actes de violence qui préoccupent nos gens. Ne dépensons pas notre argent à envoyer des jeunes devant les tribunaux parce qu'ils ont roulé à vélo sur un trottoir sans porter de casque, parce qu'ils ont poussé des gens dans des bancs de neige - et ce sont des cas réels que je cite - ou parce qu'ils ont volé une boîte de «pop tarts». Un de mes jeunes a été condamné à huit mois de garde en milieu ouvert, ce qui a coûté 24 000 $ aux contribuables canadiens. S'il avait été adulte, il aurait été condamné à une amende de 50 $. Pourquoi faire deux poids deux mesures?

On essaie de montrer aux gens que l'on devient plus sévère, mais l'ironie de la chose, c'est que nous consacrons des ressources limitées à des gens qui n'en ont pas besoin. Le système devrait être axé sur les jeunes qui ont besoin de services intensifs comme ceux dont je parle, au lieu d'attendre qu'ils aient commis toute une série d'infractions et qu'ils aient coûté 50 ou 60 000 $ aux contribuables pour essayer de faire quelque chose.

Il n'est pas facile de répondre à la question concernant les familles éclatées et les changements. En voyant le film Retour vers le futur, je me suis demandé en quelque sorte s'il y avait moyen de revenir en arrière. Je suis certain que les experts qui sont venus témoigner, qu'il s'agisse de Sandra Scarth, de la Child Welfare League, ou d'autres témoins que vous avez entendus à un moment ou à un autre, vous ont expliqué combien la famille a évolué.

Je ne sais vraiment que dire à ce sujet. Ce genre de service n'était certainement pas nécessaire autrefois. D'autre part, le système n'était pas soumis à des pressions si fortes que cela. Il y a 25 ans, les travailleurs sociaux faisaient une visite à domicile, ils allaient passer quelque temps avec la mère pour lui montrer comment gérer les tâches ménagères quotidiennes sans se laisser submerger, ou comment gérer un budget, par exemple. Il y avait déjà des mères célibataires à cette époque. Seulement, on n'en parlait pas beaucoup à l'émission Leave It to Beaver, mais il y en avait; je le sais parce que c'était le cas de ma mère. Par conséquent, ce genre de système fonctionnait déjà de façon moins officielle; ce qui s'est passé, c'est que le nombre de cas a littéralement explosé.

Il y a six ans, lorsque nous avons commencé, nous avons fait une petite enquête. Il existait280 jeunes contrevenants dans les six comtés entourant Kingston. Depuis quatre ans, le nombre oscille régulièrement autour de 500, soit près du double. Le nombre de jeunes durs est toujours le même, mais on y a ajouté toutes sortes d'autres cas. Un juge local qui faisait partie avec moi d'un comité de la Société John Howard a dit que beaucoup de jeunes sont traduits devant les tribunaux pour des délits vraiment mineurs. Le niveau de tolérance a changé. Autrefois, on n'envoyait pas les jeunes devant les tribunaux pour certains délits pour lesquels on le fait maintenant. Cette situation provoque un engorgement du système et entraîne un gaspillage d'argent et de ressources pourtant précieux. Nous dispersons nos efforts alors que nous sommes obligés en même temps de réduire nos dépenses.

Même si nous avions autant d'argent qu'auparavant, nous offririons des services de moins bonne qualité parce que nous n'en avons vraiment pas assez pour tout. Les agents de probation doivent s'occuper de deux fois plus de cas qu'il y a trois ans. Comment peuvent-ils bien s'occuper d'une cinquantaine ou d'une soixantaine de jeunes alors qu'il y a quelques années, ils n'en avaient qu'une vingtaine ou une trentaine sous leur responsabilité? À cette époque, ils pouvaient se rendre sur place pour assister à des rencontres avec la famille - c'est ce qu'ils faisaient avec nous, le soir, pendant leurs loisirs, pour nous aider - mais maintenant ils ne peuvent pas en faire autant qu'ils le voudraient et ils en sont réduits à faire des tâches administratives. Il s'agit donc davantage d'un problème de qualité que de quantité. Il ne s'agit pas de dépenser plus d'argent; c'est la façon dont on utilise l'argent disponible qui importe.

La présidente: Merci.

Monsieur Ramsay, vous avez dix minutes.

M. Ramsay (Crowfoot): Merci, madame la présidente.

Je tiens à vous remercier pour votre exposé. Vous avez à mon avis énoncé une foule d'excellents principes dans votre mémoire.

Vous avez parlé de renforcement du système. Pour ma part, ce que j'ai toujours trouvé le plus dur, c'est d'être confronté à la nécessité de changer de comportement. C'est toutefois ce que l'on veut faire avec les jeunes contrevenants ou avec ceux dont le comportement est devenu tel qu'il est signalé aux autorités, que ce soit à l'école ou même à la maternelle. Vous parlez évidemment beaucoup de la famille et de sa préservation, ce que j'apprécie, mais je ne vois pas ce que le système judiciaire peut faire pour la préserver.

.1620

Je considère le système judiciaire comme la solution de dernier recours du gouvernement pour protéger la société contre les jeunes ou les adultes auxquels on n'a pas suffisamment fait comprendre, par le biais de l'éducation, la nécessité d'observer les règles et les règlements et les avantages qui pouvaient en résulter pour eux, et qui deviennent une menace pour la société. Pour ma part, c'est à ce stade-là que le système judiciaire intervient.

La préservation de la famille est à mon avis une activité qui ne fait pas partie du mandat du système judiciaire. Vous parlez de programmes de prévention, et plus particulièrement de prévention précoce. En fait, je crois que c'est le professeur Carrigan, de Halifax, qui nous a dit que les signes annonciateurs des problèmes qu'ont les enfants se manifestent entre l'âge de 18 et 36 mois. C'est très tôt. Le système judiciaire n'a pas à intervenir du tout à ce niveau, mais bien d'autres programmes gouvernementaux.

Voilà les faits et nous constatons que nous consacrons chaque année de 10 à 12 milliards de dollars au système judiciaire, pour les jeunes et les adultes, et qu'il existe, non seulement au Québec mais aussi dans d'autres régions, des programmes préventifs qui sont efficaces. Nous avons d'ailleurs examiné certains programmes qui le sont. Cela veut dire à mon avis qu'il faut consacrer à la prévention une plus grande partie des ressources affectées à la répression, sinon ce que j'appelle l'industrie de la justice pénale continuera à prendre de l'expansion.

Par ailleurs, on nous dit que les jeunes qui se trouvent en difficulté ne représentent qu'un très faible pourcentage de la jeunesse et que parmi eux, ceux qui représentent vraiment une menace pour la société, c'est-à-dire les jeunes contrevenants violents, constituent une minorité encore plus faible.

Votre tâche consiste, à ce que je peux voir, à faire au ministre de la Justice des recommandations tenant compte de la nécessité de réduire le nombre de jeunes pris en charge par le système de justice pénale en affectant davantage de ressources à ce genre de programmes préventifs. En fait, ce n'est pas le rôle de la justice mais celui de la société, celui de chacun des trois paliers de gouvernement. Par ailleurs, il faut essayer de savoir comment il convient de traiter les jeunes contrevenants violents, c'est-à-dire la minorité de jeunes contrevenants qui ont des démêlés avec la justice.

Pensez-vous que ce soit le bon endroit pour faire votre exposé? Ne pensez-vous pas qu'il faudrait le faire au palier provincial ou peut-être au palier fédéral, mais pas devant le Comité de la justice? Je dis cela sans aucune malice, parce que si ces programmes échouent, c'est le système judiciaire qui devra prendre la relève. Il existe un lien et on a vraiment intérêt à réduire le nombre de cas.

Je voudrais que les mesures de rechange finissent par disparaître, les tribunaux et les prisons aussi. Le seul moyen d'y arriver consiste à appliquer certains des principes que vous avez énoncés et que nous avions déjà entendus.

Je voudrais savoir ce que vous en pensez. Nous pourrons faire certaines recommandations au ministre de la Justice dans le rapport que nous lui présenterons mais ne faudrait-il pas s'adresser dans certains cas aux autres programmes gouvernementaux qui sont prévus? S'il n'en existe pas, ne conviendrait-il pas d'envisager de créer des programmes destinés à éviter que les jeunes aient affaire au système judiciaire?

M. Bernfeld: Quand je faisais mon baccalauréat en psychologie, j'ai toujours appris que lorsque dans une question à choix multiples, il y avait une réponse d) englobant toutes les réponses précédentes, c'était le plus souvent une bonne idée de choisir cette réponse. Par conséquent, je suis d'accord avec vous sur tous les points.

.1625

Je crois qu'il faut une stratégie à niveaux multiples qui fasse intervenir divers ministères, divers secteurs et divers groupes d'âge, comme vous le préconisez. Il est important d'essayer de mettre tout le monde sur la même longueur d'onde.

Vous avez raison, le système judiciaire ne peut pas faire cela tout seul. Je crois qu'il va falloir le modifier et le restructurer parce que le pour le moment, la situation évolue dans le sens contraire. On consacre beaucoup de temps et d'énergie aux contrevenants à faible risque, ce qui engorge le système et épuise les ressources qui pourraient servir à accroître l'efficacité du système pour les contrevenants à risque élevé.

J'approuve la solution que vous préconisez, à longue échéance, mais j'estime qu'il faut des mesures temporaires - comme l'impôt sur le revenu qui était temporaire. J'espère avoir tort mais il faut trouver un moyen pour faire virer de bord le vaisseau de l'État en instaurant un système de partage des frais entre le gouvernement fédéral et les provinces, par exemple. Nous avons besoin de stimulants pécuniaires qui encouragent les gens à mettre au point des programmes préventifs, en dehors du système judiciaire.

Il est cependant un fait que, pour le moment, nous avons affaire à des jeunes et à des familles à l'intérieur de ce système. Ce qui m'a toujours étonné... J'ai travaillé sept ans en Alberta.Mike Ozerkevich, qui était sous-ministre adjoint des services sociaux ici, est parti pour devenir sous-ministre là-bas. Nous avons instauré le premier programme de préservation de la famille du pays à Calgary, sous son initiative, parce que l'argent venait d'un budget spécial qui n'était pas soumis aux mêmes pressions politiques que les budgets locaux.

Malheureusement, les méthodes originales ont besoin d'un peu de protection au début, parce que le système comporte de nombreuses vérifications. Comme vous l'avez dit, bien des gens ont vraiment intérêt à ce que le statu quo soit maintenu. Certaines personnes, même où je travaille, parlent avec ironie de «complexe industriel correctionnel».

Il faut mettre ces mesures de soutien en place et les encourager mais il faut également tenir compte des réalités. Les familles sont les familles et que les enfants soient considérés comme des cas relevant des services de protection de l'enfance, ou des services de protection de la santé mentale ou encore des services judiciaires...

Certaines des données que Gus Thompson a fournies aux Alberta Mental Health Services, où je faisais une enquête sur le nombre de cas il y a des années, indiquent qu'environ 80 p. 100 des jeunes passent d'un de ces trois systèmes à l'autre. Par conséquent, cela dépend à quel stade on les attrape. Comme vous le signalez, un certain pourcentage de jeunes se rattachent à un seul groupe.

M. Ramsay: Je voudrais également faire des commentaires concernant un autre domaine.

Nous sommes allés à Sydney où nous avons visité les installations de Sydney Mines. D'après ce que nous avons pu constater, moi du moins, c'est un programme qui est parvenu avec énormément de succès à prendre en charge les enfants qui avaient échoué à l'école, par exemple. Ce programme leur avait rendu l'estime de soi et leur avait permis de se ressaisir.

D'après ce que nous ont expliqué le directeur du programme et ses employés et d'après ce que nous ont dit ces jeunes, il est évident que cette réussite n'est pas due uniquement au fait qu'il s'agit d'un excellent programme. Lorsque nous avons posé la question au directeur, il nous a dit qu'elle était due en fait à des soins dévoués. Je crains toujours les bureaucraties, parce que les soins dévoués ne sont pas leur fort. Je voudrais savoir ce que vous en pensez.

On peut effectivement réaffecter certaines ressources à des programmes conçus avez les meilleures intentions du monde pour provoquer un changement de comportement analogue à celui qui s'est produit à Sydney Mines et ailleurs également, mais cela ne peut donner de bons résultats que si l'on fait réellement preuve de compassion et que si l'on se préoccupe vraiment du bien-être de ces enfants.

Comment empêcher la bureaucratie de se développer si l'on injecte des centaines de millions de dollars - et je crois que c'est effectivement ce qu'il faudra? Les décideurs ne devraient pas s'éloigner de deux ou trois crans de la base de leur programme et cesser ainsi d'avoir le feu sacré qui caractérise le programme de Sydney Mines.

M. Bernfeld: Je signale rapidement au passage que les documents qui ont été publiés au sujet des services efficaces pour les jeunes, surtout au sujet des services familiaux, indiquent clairement que pour être efficace, un programme doit présenter certaines caractéristiques. Il ne s'agit pas uniquement de faire faire un comptage par des techniciens armés d'un bloc-notes. Il faut des gens qui s'intéressent à ce qu'ils font, qui sont disposés à aller au-delà des confins de la bureaucratie, des gens ayant une formation poussée et qui sont supervisés. Il faut des systèmes d'assurance de la qualité.

M. Ramsay: Y en a-t-il?

.1630

M. Bernfeld: Il faut un champion original dans le contexte des services locaux pour les appuyer.

Une des choses que vous pouvez d'abord offrir sous une forme ou une autre, c'est le leadership. Ensuite, pour donner une chance à ces programmes, il faudrait instaurer un certain type de soutien structurel pour ces personnes qui sont, comme vous le dites, des bureaucrates. Il existe des programmes qui oeuvrent dans l'ombre en quelque sorte, qui ne sont pas très reconnus et qui sont efficaces, comme vous le dites, en coûtant un minimum au contribuable.

Le programme de déjudiciarisation pour les jeunes que nous avons appliqué à Kingston fonctionne avec 200 bénévoles. Son budget est d'une centaine de milliers de dollars et il offre chaque année des services à des centaines et des centaines de jeunes et de familles, pour une bouchée de pain. Tout ce dont ces gens-là ont besoin, c'est d'un peu d'encouragement et de soutien. Pourtant, au niveau provincial du moins, le climat est tel actuellement que les gens s'intéressent uniquement aux programmes prévus dans la loi. Des programmes comme celui-là ou comme le mien ne le sont pas.

On a par conséquent besoin d'aide financière et de protection. En fait, au lieu de se contenter de financer à partir du sommet et d'encourager les gens à réaliser des projets de petite envergure en partant de la base, comme l'a toujours fait le système, il faudrait s'arranger davantage pour que cela vaille peine pour les technocrates de Toronto, ou plutôt de la province, d'encourager ce genre d'initiative. Des vérificateurs fédéraux viennent voir périodiquement combien d'organismes par an nous aidons, mais personne n'a jamais vraiment fait le compte des résultats que nous obtenons.

À moins que l'on ne se mette à procéder ainsi et que cela ne donne des résultats pour les jeunes et leur famille, les gens se contenteront souvent de suivre le mouvement, qu'il s'agisse de programmes de préservation de la famille, de camps d'entraînement ou d'autres types de programmes. La qualité ou le dévouement sont absents. On considère cela comme un moyen d'obtenir rapidement de l'argent pour une initiative en vogue, qu'il s'agisse de peindre les cellules des prisons en rose ou d'autres initiatives.

Vous avez donc raison de dire que l'intérêt et l'aspect humanitaire sont indispensables, mais nous ne disposons pas des techniques ni des connaissances nécessaires pour soutenir de telles initiatives. Sommes-nous réellement disposés à encourager cela? Cela se fait de façon sporadique. Il faut des supports structurels.

Voici ce que l'on fait aux États-Unis, et avec d'excellents résultats. Dans ce pays, il existe des centres de diffusion de la technologie qui sont en quelque sorte des centres d'excellence et qui répandent des idées. Ils se trouvent habituellement dans les universités, ce qui est une bonne chose à certains égards, mais il arrive qu'ils soient coupés de la pratique. Il serait bon d'encourager les canards boiteux ou les moutons noirs qui essaient d'aller à contre-courant et à rendre de bons services malgré un système qui, bien qu'il vise théoriquement les résultats dont vous parlez, a en fait pour but de maintenir le financement et de se prémunir contre toute éventualité. C'est là le défi à relever.

Voici un commentaire intéressant qui vous plaira probablement. Je vous en fournirai le texte. Il est tiré d'un ouvrage intitulé Within Our Reach: Breaking the Cycle of Disadvantage, d'Elizabeth Schorr, qui est l'épouse de Daniel Schorr, le présentateur-vedette de CBS. Elle a dit que le rôle de la bureaucratie est d'institutionnaliser la suspension du jugement personnel. C'est ce qui vous préoccupe également: «Le règlement dit que...» Franchement, c'est le genre de camisole de force dans laquelle sont constamment coincés les programmes originaux. Ceux dont vous parlez ne prospèrent pas dans de telles circonstances. Ils ont besoin d'une certaine liberté.

La présidente: Merci.

Monsieur DeVillers, vous avez plus ou moins dix minutes.

M. DeVillers (Simcoe-Nord): D'après plusieurs témoins et d'après les médias, on recommande de tenir les parents responsables des actes criminels de leurs enfants. Dans le contexte de vos travaux au sein de la famille, que pensez-vous de cette notion de responsabilisation?

M. Bernfeld: Il s'agit d'un point de vue très étroit sur la question générale du rôle de la famille dans la prévention des problèmes ou de l'attribution de la responsabilité aux jeunes, quand de tels problèmes surviennent. Malheureusement, cela creusera probablement le fossé entre les jeunes et leur famille alors que l'on essaie précisément de jeter des ponts - et c'est souvent là qu'en sont les relations - et la famille risque d'être moins motivée à soutenir le genre de programmes que nous voulons.

Disons que vous voulez accuser les parents. Cette possibilité a toujours existé. J'ai parlé à des membres des services correctionnels qui estiment qu'il faudrait accuser les parents dans certains cas. La difficulté, c'est que nous n'avons pas la moindre preuve que l'on arrive à modifier les comportements par des mesures punitives ou par la menace d'un châtiment. Dans les documents examinés par Alan Leschied et Don Andrews, ce qui a coûté 900 000 $ aux contribuables ontariens, on ne préconise nullement des sanctions juridiques ni une attitude légaliste.

C'est ironique, parce que je viens d'une famille où il y a trois avocats. J'ai toutefois décidé d'être le cousin pauvre et d'emprunter cette voie.

.1635

Je respecte certainement le rôle que le système juridique doit jouer et les bons avocats avec lesquels nous travaillons, ceux qui font preuve d'originalité, encouragent souvent officieusement la collaboration parentale. Il s'agit en quelque sorte d'un processus à la fois volontaire et coercitif. Quand on commence à institutionnaliser, quand on crée deux camps et que l'on polarise la situation, tout type de relation est exclu ainsi que toute possibilité de changement réel et profond.

Ce qu'il faut faire, c'est amener les familles à vous permettre de pénétrer dans leur maison en quelque sorte, pour travailler avec elles, les aider et comprendre leur situation. Il se peut que la mère soit toxicomane. Nous avons travaillé avec des mères qui faisaient de l'accoutumance aux tranquillisants en plus d'être alcooliques. Elles disparaissent pendant une fin de semaine. Elles laissent leurs enfants sous la garde de la Société d'aide à l'enfance et le jeune va commettre une infraction. On peut accuser cette mère pour négligence comme cela s'est fait aux États-Unis et dans divers pays.

Cette attitude est certes populaire sur le plan politique dans certains milieux mais le problème, c'est qu'il faut toujours travailler avec la famille dans les semaines ou les mois qui suivent, si l'on veut vraiment provoquer un changement. Il n'y a aucune solution instantanée. C'est un travail long et pénible, qui se fait sur le terrain.

Songez à tous les problèmes familiaux auxquels nous avons été confrontés dans notre vie. Songez aux proches dont vous avez essayé de modifier le comportement. Vous les connaissez depuis des décennies ou depuis des années. Il s'agit de partenaires, de parents et d'enfants. C'est un travail pénible. Il ne sert pas vraiment à grand-chose de faire une tentative unique de solution. En fait, cela hâtera la désintégration de la famille. Le contribuable finira par payer la note. C'est triste, mais c'est malheureusement ainsi.

M. DeVillers: Par conséquent, vous envisagez davantage d'aider la famille que de lui faire porter la responsabilité. Est-ce bien cela?

M. Bernfeld: J'estime que c'est une façon de procéder. À mon avis, lorsqu'on en est arrivé au stade où le comportement du jeune constitue une lourde menace pour la société, il ne sert pas à grand-chose de faire participer la famille. Dans ce cas, on intervient auprès du jeune personnellement et on le tient responsable.

Par contre, au début, on veut entretenir cette relation. Nous collaborons avec les agents de probation et les procureurs de la Couronne et de la défense qui sont coopératifs pour essayer en quelque sorte de mettre au point un petit plan directeur qui aidera à manoeuvrer ce jeune et à prendre la situation un peu plus au sérieux - et c'est ce que l'on veut - , sans toutefois détruire tout le travail qui a été fait jusqu'alors.

M. DeVillers: Ma question suivante porte sur la controverse qui existe au sujet des statistiques sur la criminalité et de leur utilisation. J'ai parrainé un symposium dans ma circonscription tout récemment et un des participants était la psychologue Marnie Rice, du Mental Health Centre de Penetanguishene. Il y avait également des représentants du groupe de victimes, les Canadiens contre la violence partout recommandant sa révocation (CAVEAT). Ces gens-là ont fait un collage d'opinions sur l'état de la publication de statistiques, la méthode de publication et le degré de sécurité qui devrait régner. Avez-vous eu affaire à cela dans votre travail et avez-vous des commentaires à faire?

M. Bernfeld: Je me contenterai de signaler rapidement deux choses. La première c'est qu'il y a 35 ans, le nombre total de jeunes qui avaient commis un homicide au Canada, ce qui est très difficile à exagérer ou à modifier, était de 55. Devinez un peu quel est le chiffre 30 ans plus tard?

Un député: Cinquante-cinq.

M. Bernfeld: C'est 56. Compte tenu de l'accroissement de la population de jeunes depuis30 ans, on ne peut pas vraiment parler d'une vague de criminalité. Il y a plus de 70 000 jeunes contrevenants au sein du système de justice pénale canadien et le système a pris des proportions gigantesques pour les motifs que j'ai signalés: la tolérance de la collectivité est moins forte, on fait intervenir davantage la loi auprès des jeunes et on porte des accusations contre eux.

À Ottawa, un agent de probation m'a dit qu'il y a des années, quand un jeune renversait des poubelles à l'Halloween, on le reconduisait chez lui, habituellement chez son père, et on réglait l'affaire d'une façon assez maladroite, en s'appuyant sur la législation existante en matière de bien-être de l'enfance, mais cela ne nécessitait pas l'intervention des tribunaux et des juges.

Maintenant, on porte des accusations pour méfait. Ces jeunes deviennent de jeunes contrevenants et entrent dans le système. Pour certains d'entre eux, cela crée un effet d'entraînement. Ils sont rejetés par leurs camarades.

Dans une petite localité située à proximité d'Ottawa - c'était malheureusement la ville où habitait le juge - , une jeune vedette sportive de l'école secondaire a été accusée de voies de faits et condamnée à neuf jours de garde en milieu fermé. C'est parce qu'il s'agissait d'un excellent élève et que le juge ne voulait pas qu'il manque des séances d'entraînement de basket-ball ou d'autres activités.

Ce jeune avait toutefois un avantage. Son milieu social a joué en sa faveur, ce qui n'est pas le cas pour bien des jeunes qui sont par conséquent entraînés dans le système. Cela coûte plus d'argent. Cela crée davantage de problèmes. Les statistiques induisent en erreur en quelque sorte. Elles ne reflètent pas la réalité parce que le niveau de tolérance de la société a changé et que les modes de déclaration ont changé énormément.

.1640

J'avais autre chose à signaler, mais j'ai oublié pour l'instant. J'y reviendrai. Avez-vous une autre question?

M. DeVillers: Dans votre résumé, vous avez parlé du recours à des interventions éprouvées pour traiter et prévenir la criminalité. Pourriez-vous nous citer quelques exemples?

M. Bernfeld: D'accord. Ce qui semble donner de bons résultats, ce sont les programmes de thérapie comportementale structurés qui enseignent certaines aptitudes aux jeunes et aux parents, qu'il s'agisse de compétences professionnelles, de compétences parentales, d'aptitudes sociales ou d'aptitudes de maîtrise de la colère.

C'est le genre d'aptitude qui s'acquiert à la longue. La plupart d'entre nous l'ont fait en imitant ou en observant leurs parents en action. Certains enfants par contre, n'ont pas eu l'occasion de le faire ou les modèles qu'ils ont eus n'étaient pas positifs ni sociaux et par conséquent, ils ont acquis les mauvaises compétences, si je puis dire.

C'est une question d'ordre pédagogique. C'est pour cela que l'on prend l'apprentissage scolaire au sérieux. Il n'est pas destiné uniquement aux enfants exceptionnels. Il faudrait peut-être enseigner ce genre de choses dans le cadre du programme scolaire normal. Il existe des exemples d'initiatives positives de ce genre.

Par contre, quand on a affaire à un jeune qui a déjà enfreint la loi, il est bon de vérifier les motifs de l'infraction, de se demander ce que cache cette attitude.

Ce n'est pas une excuse. Il ne s'agit pas de dire qu'ils ont décroché parce qu'ils ont eu une enfance malheureuse, mais si l'on veut un ciblage et une intervention efficaces, à l'instar du chirurgien, il faut savoir exactement où donner le coup de scalpel au lieu d'opérer à l'aveuglette.

C'est ça l'idée. Il existe de bons documents à ce sujet. Nous possédons la technologie. Nous savons ce qui marche, même si certains prétendent que rien ne marche. Il existe en fait une foule d'exemples. Notamment les programmes familiaux comme celui que j'ai décrit, qui constitue l'autre exemple de programme où l'on cible la famille également.

M. DeVillers: Bien! La troisième chose dont vous avez parlé dans votre résumé, ce sont les services de préservation de la famille. Pouvez-vous nous citer quelques exemples?

M. Bernfeld: Il s'agit de services comme le mien c'est-à-dire de services temporaires, d'une durée de deux ou trois mois. Ils sont très intensifs. Donc au cours de ces deux ou trois mois, chaque travailleur de première ligne s'occupe de deux familles maximum. Pendant 40 heures par semaine, ces travailleurs s'occupent donc de deux familles. Les trois mois sont intensifs, puis nous faisons un suivi d'un an au cours duquel nous avons des séances de perfectionnement. Nous faisons donc un suivi quand le père rentre de la guerre du Golfe, par exemple. Les familles évoluent et il faut par conséquent reprendre contact avec elles.

C'est au mois d'août que nous faisons cela parce que la rentrée scolaire approche et qu'il faut y préparer les enfants. Ces services sont très temporaires, mais ils ont pour but d'essayer d'éviter la crise qui menace de faire éclater la famille.

La plupart des familles ne veulent pas de notre intervention au début, à titre exemplaire. Elles veulent que le jeune s'en aille et veulent le mettre entre les mains de la police. Elles veulent décrocher.

M. DeVillers: Par quel budget ces services sont-ils financés?

M. Bernfeld: Ils sont financés à même le budget des services sociaux provinciaux. Un programme comme le mien coûte environ un demi-million de dollars, par exemple. Pour les six comtés des environs de Kingston, le système pour jeunes contrevenants coûte plus de cinq millions de dollars. Nous sommes le seul service communautaire d'envergure, le seul service intensif de ces six comtés.

Par conséquent, la majeure partie du budget de plus de quatre millions de dollars est consacrée à la garde d'une proportion minime de ces jeunes. C'est ce qui accapare toutes les ressources. Il n'existe aucun moyen de modifier ce système et la motivation est inexistante, bien sûr.

C'est comme dans le film intitulé «Le champ de rêves»; si l'on construit l'établissement, il sera rempli. Par conséquent, à Kingston, nous avons construit le plus petit établissement de garde en milieu fermé, qui ne compte que dix lits, parce que nous savions que si l'on en construisait un de20 lits, il aurait été plein en permanence.

Cette situation force en quelque sorte le système à chercher des solutions plus originales. Par contre, tant que le financement de la garde ne sera pas limité, tant que les provinces recevront une subvention équivalente aux dépenses qu'elles font pour enfermer les jeunes, on ne sera pas incité à offrir des services de type communautaire. La motivation financière se fait à rebours.

M. DeVillers: À l'instar de M. Ramsay, j'estime qu'il serait peut-être bon d'essayer tous ensemble de faire en sorte que cet argent soit consacré à la prévention.

M. Bernfeld: Je suis bien d'accord. Par contre, un des meilleurs moyens d'exprimer une certaine résistance à l'égard d'un programme, c'est de le refiler à un autre ministère. Je suis effectivement d'accord qu'il importe que tous ceux qui font partie du système doivent rendre des comptes et qu'ils soient tenus de dépenser judicieusement l'argent des contribuables. La prévention est une des solutions.

D'autre part, environ un quart des jeunes contrevenants qui nous sont confiés viennent de familles avec des enfants d'âge préscolaire. Par conséquent, faut-il ne pas tenir compte de l'incidence de ce problème? Il y a des enfants qui sont nés dans la prison pour femmes ou dont le père sortait d'une prison provinciale.

C'est ce qu'on peut appeler des familles à risque élevé. En fait, l'agent de probation local nous enverra le jeune parce que dans la petite ville de Merrickville, le nom de sa famille est très connu. Quand un jeune de 14 ans entre dans un restaurant connu et crie: «Je vais vous tuer», on nous renvoie le cas parce qu'il est accusé de méfait, ce qui est peut-être un délit mineur dans un certain sens mais en l'occurrence, étant donné la notoriété de la famille, il s'agit d'un événement important. Nous voulons collaborer avec cette famille et essayer de nous occuper non seulement du jeune contrevenant mais aussi de toutes les autres personnes concernées.

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Étant donné que, comme nous pouvons le constater, la plupart des problèmes de bien-être de l'enfance, des problèmes de santé mentale et des problèmes scolaires se manifestent au sein de familles nécessiteuses, il est important d'offrir ce genre d'appui. Il faut investir l'argent dans les familles à risque élevé au lieu de l'investir dans les familles à faible risque et de voir le système consacrer toute son énergie à cela.

La présidente: Merci, monsieur DeVillers.

Monsieur Ramsay, vous avez cinq minutes.

M. Ramsay: Étant donné que je ne dispose que de cinq minutes, nous pourrions nous les partager.

Je voudrais parler des conséquences de notre comportement, de nos actes. Vos commentaires me font songer à ce que l'on peut considérer comme de la négligence de la part des parents, qui incitent un jeune contrevenant à commettre une infraction et je me demande si les parents devraient être tenus responsables ou non par le système.

Certaines des personnes qui sont venues témoigner ne croient pas dans les moyens de dissuasion; elles estiment qu'ils sont inefficaces. Quand j'étais petit, ma mère m'a dit de ne pas toucher à la cuisinière qui était brûlante. Elle était rouge de chaleur et c'était beau; je ne savais pas ce que c'était, mais elle m'a dit de ne pas toucher. Si je n'avais pas craint les conséquences, je me serais probablement brûlé complètement les doigts. Je l'ai touchée, mais une seule fois, et ma mère n'a jamais dû me le répéter.

L'idée de renoncer à prévoir des conséquences pénales pour le type de négligence qui mène à un comportement criminel de la part de nos enfants me déplaît et m'inquiète.

D'après les notes que j'avais prises le 23 avril, quand nous avons parlé à M. Dave MacDonald, le directeur de Sydney Mines, celui-ci nous a dit que la respect et la responsabilité allaient de pair. Le principe des conséquences est sous-jacent. En faisant preuve de responsabilité dans quelque circonstance que ce soit en présence de l'enfant, au cours de mathématiques par exemple, on attire le respect, non seulement de ses camarades, mais aussi des enseignants et du personnel. Il existe un lien direct avec les conséquences de nos actes. C'est bien ou c'est mal.

Ne pensez-vous pas que lorsqu'il s'agit d'actes criminels, il faille prévoir des conséquences qui dissuadent les enfants de jouer avec le feu?

M. Bernfeld: Il est très difficile de répondre à cette question en quelques minutes.

M. Ramsay: Prenez votre temps.

M. Bernfeld: Il convient de signaler que la perception populaire du terme «conséquence» est toujours négative. En fait, la définition du psychologue pourrait avoir une connotation négative ou positive.

Vous avez cité l'exemple de votre mère. Ce qui vous a aidé à l'écouter, ce n'est pas uniquement la peur; il y avait aussi une relation positive, une certaine confiance, un certain respect mutuel. Dans un certain sens, il y avait bien plus de facteurs positifs qui vous incitaient à apprendre et c'est précisément cela la socialisation. C'est la façon dont les enfants se socialisent grâce à leur famille.

Dans le cas des familles dont il est question, c'est comme si l'on comparaît des pommes à des oranges. Ce qui est efficace pour vous ne l'est pas tout à fait autant pour d'autres personnes. Certains enfants ont en quelque sorte subi les conséquences de leur mauvais comportement, conséquences parfois très dures, plus dures que celles que pourrait leur faire subir le système de justice pénale, puisqu'ils ont été battus, négligés ou qu'ils ont été victimes de mauvais traitements. Je n'ai pas besoin de vous le dire. Vous en avez certainement déjà entendu parler.

Ce qui est arrivé, c'est que le lien entre le parent et l'enfant a disparu, si bien que l'enfant n'est pas disposé à apprendre ce que le parent a à lui enseigner à ce moment-là. Bien souvent, lorsqu'on retrouve ces enfants dans le système judiciaire, le lien entre eux et leurs parents est pour le moins très ténu.

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Ce que l'on a pu constater dans les services de protection de l'enfance, c'est que si l'on accuse un parent de négligence ou qu'on le déclare coupable de cela, cela ne résout pas nécessairement le problème des mauvais traitements et de la négligence. Cela peut jouer un rôle dissuasif et transmettre un message clair, mais l'enfant peut finir par se retrouver en foyer nourricier ou sous la tutelle de la province ou de l'État, et c'est souvent le cas.

Il faut essayer d'aider les familles de façon constructive, de les encourager et de leur fournir certaines des ressources nécessaires. Il faut comprendre en prenant le temps d'écouter ce qui se passe dans leur vie sans verser dans un sentimentalisme libéral, mais en toute sincérité. Si les gens savent que vous vous intéressez réellement à eux, vous pouvez obtenir de biens meilleurs résultats que par la crainte.

Il existe actuellement en Ontario des programmes où les enfants vivent dans un climat qui ressemble à celui d'un camp de concentration, où règne la terreur. On leur dit de passer la soirée dehors s'ils se sont mal conduits ou parce qu'on veut les punir en les jetant en pâture aux «bibites».

Ce sont des choses qui arrivent dans la province. La punition supprime temporairement le comportement dans l'immédiat. Je doute qu'il y ait beaucoup de délinquance dans un camp de concentration. Je n'ai pas posé la question à mon beau-père qui a vécu dans un camp de concentration.

Par contre, quand les gens se comportent mal, c'est qu'ils ne connaissent rien de mieux. Si l'on punit les parents pour un mauvais comportement, cela peut supprimer temporairement le comportement sous l'effet de la crainte, mais ce n'est pas ainsi qu'on va les inciter à apprendre les comportements adéquats parce qu'ils en auront marre.

M. Ramsay: Pourquoi n'ai-je plus jamais touché la cuisinière?

M. Bernfeld: Vous avez subi des conséquences instantanément. C'est exact. Un des autres problèmes...

Mme Torsney: Votre mère ne vous a pas incarcéré.

M. Bernfeld: ... un des problèmes, c'est que, lorsque le système est engorgé par des gens qui ne devraient pas y être, les enfants attendent trois, six ou neuf mois pour recevoir leur sentence. Si les parents se mettent à attendre trois, six ou neuf mois, cela engendrera le même cynisme que celui qui nous préoccupe chez nos jeunes.

Je suppose que l'on incite les gens à respecter le système en les aidant par son intermédiaire au lieu de l'utiliser à la façon d'un marteau. Ce sont mes valeurs que j'exprime quand je dis cela. Abraham Maslow a dit un jour ceci: «Quand le seul outil que l'on a est un marteau, on traite tout comme s'il s'agissait d'un clou».

Je crois que le défi... Vous avez dit qu'il ne faut pas avoir recours au système de justice pour la jeunesse dans d'autres cas qui devraient relever de la responsabilité de l'autre système. Je suis d'accord avec vous dans un certain sens. Il faudrait traiter les cas graves, mais il faudrait édifier les structures de soutien aux familles sans compter sur les sanctions juridiques, si l'on veut encourager les parents à nous faire confiance.

Pour le moment, les parents sont pas mal cyniques à toutes sortes d'égards. Ils n'ont vraiment pas besoin qu'un expert en psychologie leur dise que faire - ce que je ne fais jamais - ou qu'un spécialiste en matière juridique leur dise qu'ils seront punis parce qu'ils sont de mauvais parents. Ce n'est pas ainsi que vous obtiendrez leur collaboration. Vous susciterez beaucoup d'amertume et les problèmes deviendront tout simplement moins visibles. C'est ce que je crains.

La présidente: Merci. Merci, monsieur Ramsay.

M. Bernfeld: C'est difficile de répondre à cette question.

La présidente: Ne l'encouragez pas. N'encouragez pas ce gars-là.

Madame Torsney, vous avez cinq minutes.

Mme Torsney: Je vous félicite tout d'abord pour le travail que vous faites. Il semble être très bien orienté. Cela me sidère toujours de constater qu'une des tâches les plus importantes qui soient soit celle de parent alors que l'on n'a en réalité aucune qualification spéciale, si ce n'est la capacité de procréer. Laissez-moi réfléchir un peu...

Des voix: Oh, Oh!

Mme Torsney: Pensez-vous qu'il vaudrait mieux prévoir dès le début davantage de programmes axés sur la résolution des conflits et les compétences parentales dans la formation scolaire des enfants?

M. Bernfeld: Certainement. Il existe des exemples, comme le fait de travailler avec des adolescentes enceintes qui constituent un groupe à risque élevé en ce qui concerne les mauvais traitements ou la négligence vis-à-vis de leurs enfants, ou encore des initiatives comme «Pour Partir du bon pas pour un avenir meilleur» ou comme la stratégie fédérale «Grandir ensemble». Il s'agit d'excellentes initiatives.

Certains d'entre vous ont peut-être déjà entendu parler d'un programme appelé Quest, qui n'a pas été bien évalué et qui est parrainé par les Clubs lions international. Chaque année, environ un demi-million d'enfants reçoivent ce type d'instruction dans le cadre des cours réguliers. On leur apprend notamment à prendre des décisions et à résoudre des problèmes ainsi qu'à résister aux pressions qui peuvent les pousser à consommer de la drogue et à commettre des infractions, par exemple.

Cela fait partie du programme régulier aux niveaux secondaire et élémentaire. On ne dit pas que c'est uniquement pour les enfants à risque élevé. Cela fait tout simplement partie des trois clés du savoir. C'est peut-être dû à certains changements qui se sont produits dans la société et qui ont déjà été mis en cause. On a dit antérieurement qu'il fallait ce genre d'initiative pour intervenir suffisamment tôt, au niveau de la maternelle et des première, deuxième et troisième années, avant l'intervention du système judiciaire, qui est très coûteuse.

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Je suis certain que vous avez tous entendu parler de Fraser Mustard qui a expliqué que pour chaque dollar dépensé, on en économise six ou sept plus tard. Mon programme ne permet d'économiser qu'environ 1,50 $; nous n'avons donc pas le même impact que les interventions plus précoces.

On a certainement besoin de cela, mais à un moment ou l'autre, il y aura un petit groupe de jeunes qui, même si l'on remodèle le système pour qu'il soit parfait, auront besoin de services de soutien intensifs si l'on ne veut pas les retrouver dans le système pour adultes.

Mme Torsney: C'est intéressant parce qu'il existe dans notre région de bons programmes scolaires dans le cadre desquels les enfants apprennent à faire de la médiation entre eux et à acquérir d'autres compétences. Certains parents ont dit que leurs enfants - frères et soeurs - avaient dit à leur mère ou leur père, pendant qu'ils jouaient, qu'ils avaient besoin d'un médiateur parce qu'ils avaient une discussion ou étaient en conflit, même s'ils ne savaient peut-être pas exactement ce que cela veut dire. En fait, ils arrivaient à trouver une solution eux-mêmes grâce à la seule présence de ce qu'ils appellent le médiateur, c'est-à-dire le parent en l'occurrence.

Ils comprennent donc comment ils peuvent résoudre des conflits sans se lancer dans ce processus compliqué, rien qu'à se regarder l'un l'autre en présence d'une autre personne. Il semble que l'on pourrait éviter bien des procédures judiciaires dans les milieux d'affaires et ailleurs si l'on pouvait instaurer ce genre de programme dans tout le pays.

L'autre initiative au sujet de laquelle je me pose des questions est la SMARTRISK Foundation. En avez-vous entendu parler? Elle essaie d'apprendre aux enfants à évaluer les risques et à prendre l'habitude de se servir de leur tête. Cette fondation a été instaurée par un certain Robert Cohn. Il s'agit d'un cardiologue qui en a eu assez de récolter le coeur d'enfants qui avaient perdu la vie dans des accidents. Ces gens-là ne pensent pas que des accidents sont des accidents. Ils croient qu'on peut les prévenir et qu'ils sont prévisibles et ils essaient par conséquent d'apprendre aux enfants à calculer les risques, qu'il s'agisse de leur personne physique, dans le contexte d'un accident de la route, ou d'autres types de risques.

Ce qui est intéressant, c'est que cela repose sur le même principe psychologique que certaines choses que vous faites, à savoir que l'on se demande comment apprendre à des enfants - ou à des adultes, puisque vous travaillez avec les familles - à prendre des décisions saines et à en comprendre les conséquences, parce qu'il y en a toujours, bonnes ou mauvaises, comme vous le dites si bien. Par contre, on n'insiste pas beaucoup sur cette aptitude à prendre des décisions, que ce soit dans notre système éducatif ou dans la vie en général.

M. Bernfeld: Pour faire le rapprochement avec ce qu'a dit M. Ramsay, vous voulez signaler notamment, je présume, que ces problèmes de justice finissent dans une certaine mesure par être des tests projectifs pour le système de valeurs de notre milieu. Si vos valeurs et ma formation sont différentes, c'est difficile pour moi de parler le même langage que vous. Aucun interprète ne pourrait remédier à cela.

Je ne crois pas vous avoir donné une réponse équitable mais je suppose que ma formation et mes antécédents sont tels que je crois dans les points forts des gens et je crois que les gens font certaines choses parce qu'ils n'ont pas les compétences voulues. En gros, les familles dites perturbées - je n'aime pas ce terme - sont des gens comme nous qui vivent dans un contexte où ils reçoivent régulièrement des coups de marteau, où ils n'ont pas assez à manger.

L'homme de 45 ans dont je faisais l'évaluation hier a été élevé dans un milieu familial où il était exposé aux rats, aux sévices corporels, aux abus sexuels, et tout le reste. Dans nos milieux institutionnels, mon objectif en qualité de clinicien dans un cas semblable, c'est d'essayer de provoquer un changement, d'établir un lien avec les gens, de lier la conversation avec eux et de leur apprendre les compétences qui leur manquent. S'il ne leur en manque pas, on travaille alors à un différent niveau. On essaiera de réduire leur degré de stress pour qu'ils puissent apprendre ou utiliser les compétences qu'ils possèdent déjà.

Quand je travaille avec ces familles, je le fais souvent pour la grâce de Dieu. C'est vraiment dur, pour moi du moins, de voir cela d'une autre façon. J'essaie de former une alliance ou une coalition avec les gens pour pouvoir affronter les problèmes ensemble. Je procède comme cela au lieu de me poser en psychologue, en expert qui va faire un diagnostic et donner un coup de baguette magique, parce que personne ne peut le faire. Même les meilleurs traitements qui existent n'opéreront pas les changements que l'on veut obtenir pour accroître la sécurité au sein des collectivités. Je suis sincèrement bien plus à l'aise avec l'idée qu'il s'agit d'un déficit au niveau des compétences parce que c'est ce que j'ai appris dans les livres, au cours de ma formation.

Il est des personnes pour lesquelles cela ne marche pas. Il est des personnes avec lesquelles il faut s'y prendre d'une façon différente. Je m'assurerais toutefois que l'on essaie cette première méthode le mieux possible, parce que si cela échoue, en enfermant les gens, on ne fait qu'augmenter la facture.

Je crois que nous avons souvent affaire à des familles vraiment handicapées en ce sens qu'elles ont des handicaps sociaux et qu'elles ont besoin de ce type d'attention et de soutien. Si elles ne l'obtiennent pas, c'est nous qui devons payer la facture. Nous créons alors cette classe marginale dont il a été question.

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Mme Torsney: Eh bien, bonne chance à Bath.

La présidente: Merci beaucoup.

Monsieur Bernfeld, merci beaucoup pour votre perspective très encourageante et très positive. Vous vous exprimez très clairement et votre témoignage nous a été très utile.

La séance est levée.

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