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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 5 juin 1996

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[Traduction]

La présidente: La séance est ouverte. Nous allons entendre aujourd'hui Ron Lees, le directeur exécutif de la Société d'aide à l'enfance du district de Nipissing ainsi que Dan McLellan, agent de supervision au Near North Youth Centre, un établissement de détention et de garde en milieu fermé pour les jeunes contrevenants de la phase un.

Bienvenus. Nous avons fait pas mal de déplacements aujourd'hui. Comme d'habitude, nous sommes un peu en retard. Je sais que vous avez préparé un exposé, je vais donc vous inviter à le présenter et nous passerons ensuite aux questions.

M. Ron Lees (directeur exécutif, Société d'aide à l'enfance, district de Nipissing): Merci de nous avoir invité. Je m'appelle Ron Lees et je suis le directeur exécutif de la Société d'aide à l'enfance du district de Nipissing. J'aimerais également vous présenter mon collègue Dan McLellan, qui est agent de supervision au Near North Youth Centre, un établissement de détention et de garde en milieu fermé destiné aux jeunes contrevenants de la phase un, qui est administré par la Société d'aide à l'enfance.

En comparaissant devant vous, vous comprendrez que nous voulons en partie du moins, remplacer la visite d'un établissement comme le nôtre qu'aurait pu organiser votre comité. Il est regrettable, même si cela est tout à fait compréhensible, que des considérations de temps et d'argent vous aient empêché de venir voir sur place nos locaux et nos activités. Une visite vous aurait permis de rencontrer directement nos jeunes et de ne pas vous avoir à vous fier à la façon dont nous concevons notre rôle.

Je vous invite tous personnellement à venir nous voir si vous venez un jour à North Bay. Notre établissement est à côté du North Bay Jack Garland Airport et est situé sur des terrains appartenant à Transports Canada. Vous êtes obligés de passer devant lorsque vous allez à North Bay.

Nous voulons en fait vous parler de notre organisme et plus particulièrement, de nos programmes. Nous nous ferons ensuite un plaisir de répondre à vos questions. Je vais vous dire quelques mots de notre organisme et Dan décrira notre programme de détention et de garde en milieu fermé.

La Société d'aide à l'enfance de Nipissing a été créée en 1907. Cela fait longtemps qu'elle existe. Cet organisme a été constitué en société en 1941. Jusque vers la fin des années 80, la société était un organisme de service social unidimensionnel à objectif unique. Il avait pour mission de protéger les enfants et donc de fournir les services essentiels en matière de protection de l'enfance, des services à la famille, d'offrir des services de prise en charge d'enfants et d'adoption.

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En 1985, la société a établi ses quartiers permanents à North Bay en y construisant son siège social. Cette décision était importante parce qu'elle nous a permis d'avoir des locaux adaptés à nos activités actuelles et suffisamment d'espace pour pouvoir en abriter de nouvelles. Nos bureaux sont intégralement payés, ce qui nous permet de consacrer tous les fonds des programmes à la prestation de services.

Le fait de disposer de locaux nous a permis de parrainer d'autres programmes que le ministère voulait voir offerts par un organisme qui serait chargé d'effectuer des paiements de transfert. La société est maintenant un fournisseur pluridimensionnel de services destinés aux enfants et aux familles.

Voici une chronologie des programmes qui sont venus progressivement s'ajouter à notre mandat de base de protection de l'enfance depuis 1985: En 1985, programme de traitement des agressions d'enfants; en 1986, programme de soins en foyer d'accueil et programme de préparation à l'indépendance. En 1987, nous avons accepté de parrainer le programme de développement des jeunes enfants dans Nipissing et Parry Sound est. En 1988, nous avons parrainé l'équipe de soutien communautaire aux jeunes contrevenants à la demande du ministère des Services sociaux et communautaires. L'équipe de soutien communautaire est notamment responsable des districts de Nipissing, de Parry Sound et de Muskoka.

La trousse qui vous a été distribuée contient une brochure qui décrit ce programme, où la participation est volontaire.

En 1992, nous avons accepté de parrainer le programme de détention et de garde en milieu fermé à la demande du ministère des Services sociaux et communautaires. Ce programme a débuté en octobre 1993.

En 1994, nous avons parrainé le programme d'action communautaire pour les enfants, financé par Santé Canada. Ce programme est étroitement relié au programme de développement des jeunes enfants dont s'occupe déjà notre organisme.

En 1996, la société a acheté un bâtiment comprenant cinq appartements dans le but d'y loger les jeunes pris en charge par la société ainsi que des jeunes qui vivent de façon indépendante. Cela nous a permis d'offrir aux jeunes en transition des logements à un prix abordable, tout en fournissant des services de soutien à l'autonomie des jeunes.

Notre société a renouvelé en 1995 son énoncé de mission pour qu'il reflète mieux toute la gamme des programmes que nous offrons à l'heure actuelle dans nos diverses collectivités. Nous vous en avons également remis une copie.

Le conseil d'administration de la société et le personnel se sont fixés comme objectif d'améliorer la situation des enfants, des jeunes et de leurs familles au moyen de divers programmes et services. Nous nous efforçons donc d'optimiser l'usage des ressources financières et matérielles pour offrir des services directs à notre clientèle.

Le comité examine de nombreuses questions. En résumé, notre position est que nous ne sommes pas ici pour recommander que l'on modifie la loi en profondeur mais pour qu'elle soit administrée différemment. Les problèmes qu'elle soulève sont des problèmes de gestion, de continuité et de cohérence.

Dan McLellan va vous fournir des renseignements sur le Near North Youth Centre et ses programmes.

Comme je l'ai déjà dit, nous serons heureux de répondre à vos questions et vous parler de ce que nous avons appris en travaillant avec les enfants, en général et avec les jeunes contrevenants, en particulier.

M. Dan McLellan (agent de supervision, Near North Youth Centre): J'ai été content d'apprendre par Richard que vous aviez visité certains établissements pour jeunes contrevenants ici, dans le sud de l'Ontario, dans le sud-ouest; à savoir, des établissements de garde en milieu fermé et en milieu ouvert.

Dans l'heure qui suit, je serais heureux de répondre à des questions concernant l'histoire des services destinés aux jeunes contrevenants dans cette province, tant en institution qu'à l'extérieur, au cours des 20 dernières années. Je vais vous dire quelques mots des origines de notre établissement et peut-être, le replacer dans le contexte du Syl Apps Youth Centre et des établissements comparables que vous avez visités ce matin.

Il y a une dizaine d'années, le ministère des Services sociaux et communautaires de cette province a constaté qu'il n'existait pas, dans le nord de l'Ontario, d'établissement de garde en milieu fermé adapté aux jeunes contrevenants de la phase un, le Ministre a fait effectuer des études et préparé un document dans lequel on recommandait que la province conçoive, construise et administre cinq établissements destinés aux jeunes contrevenants de la phase un dans le nord de l'Ontario.

Le premier établissement a été ouvert en 1991 à Thunder Bay et il est administré par le Creighton Centre.

Élément important, ce document proposait la construction d'établissements de petite taille qui devaient ressembler à un foyer familial, aussi bien dans leur conception que dans leur fonctionnement.

Notre établissement est le dernier à avoir été construit. Il a commencé ses opérations en octobre 1993. Je peux dire que, par rapport à la plupart des grands établissements, comme ceux que vous avez visité ce matin, nous offrons un programme et des services tout à fait uniques. Nous nous occupons d'un petit nombre de jeunes, ce qui nous permet d'adapter les programmes à chaque individu, d'évaluer leurs besoins et leurs problèmes en vue d'élaborer des plans individuels ayant pour but de les aider à remédier à leurs problèmes et à faciliter leur retour dans la collectivité et dans leur famille.

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C'est pourquoi nous offrons une large gamme de services et de programmes. J'ai travaillé dans un établissement plus important comme Syl Apps du milieu des années 70 à la fin des années 70, et j'ai constaté qu'il était très stimulant et très intéressant de travailler dans une agence comme la nôtre qui offre un placement sous garde en milieu fermé à une dizaine maximum de garçons et filles. Nous les voyons changer sous nos yeux et nous les aidons à modifier leur façon de vivre, et ce, en petit groupe.

Je dois reconnaître que cette étude, qui remonte à une dizaine d'années, a eu des effets concrets importants sur les jeunes dont nous nous occupons. Nous nous sommes occupés de plus de200 jeunes et je peux vous dire que je peux compter sur les doigts de la main les quelques jeunes que l'on pourrait qualifier de difficiles ou de dangereux ou qui font partie de ceux dont on voit le nom dans les journaux.

La plupart des jeunes qui arrivent dans notre établissement et avec qui je travaille depuis une vingtaine d'années ont été déclarés coupables d'infractions relatives aux biens. Ces jeunes seraient classés dans la catégorie des risques faibles et moyens pour ce qui est de la récidive ou des comportements antisociaux.

Une bonne partie des jeunes dont nous nous occupons, les jeunes que vous avez rencontrés ces derniers jours, connaissent, comme vous le savez, des difficultés d'adaptation en milieu scolaire et ont besoin d'être guidés et dirigés et d'être en contact avec des modèles positifs qui leur enseignent les bonnes choses et les bonnes valeurs. Notre programme a pour objectif essentiel d'encourager les jeunes à respecter les lois et à leur donner l'occasion d'apprendre à assumer leurs responsabilités et à acquérir certaines connaissances pendant leur séjour dans notre établissement. Nous recherchons donc des personnes qui soient prêtes à travailler à cet objectif, en choisissant tout d'abord des personnes qui ont vraiment envie de s'occuper des jeunes et qui sont prêtes à travailler pour que ces jeunes adoptent les attitudes et les comportements dont ils ont besoin.

Le programme dont nous nous occupons fonctionne depuis deux ans et demi, presque trois ans, et je peux dire que c'est un excellent programme. J'ai vu les progrès qu'ont réalisés ces jeunes. Par exemple, en venant ici ce matin, je parlais avec Ron d'un jeune qui nous a été envoyé de Calgary, il y a 15 mois environ. Sa famille avait déménagé dans cette ville il y a quelques années. À 14 ans, ce garçon portait des armes, il était mêlé au crime organisé, il vendait des drogues et faisait ce genre de choses. Il est revenu à North Bay et a participé à un grave vol à main armée.

En un an, nous avons pu constater combien son attitude et son comportement avaient changé. Lorsqu'il est arrivé, pendant les trois ou quatre premiers mois, il était très hostile et rebelle. C'est un jeune de 14 ans allant sur 21. Grâce à notre programme, à son approche et à l'ambiance familiale que nous avons créés, nous avons réussi à modifier la façon dont ce jeune se comportait avec sa famille, envers la collectivité. J'estime que son attitude est très différente maintenant.

C'est donc un cas où nous avons pu constater l'effet très positif que peut avoir un établissement de petite taille, qui a pour but de favoriser la réinsertion sociale du jeune, tout en protégeant notre collectivité et notre société, comme le veut l'article 3 de la loi. Je serais très heureux de vous en dire davantage au sujet des cas de ce genre et sur la loi elle-même.

La présidente: Monsieur Ramsay, vous avez dix minutes.

M. Ramsay (Crowfoot): Merci, madame la présidente.

Messieurs, je vous remercie d'être venus devant notre comité cet après-midi.

Tout d'abord, pour ceux qui lisent le procès-verbal de nos débats, pourriez-vous nous dire ce qu'est un programme de la phase un et ce que sont les infractions de la phase un.

M. McLellan: En 1984, au moment de la promulgation de la loi, l'Ontario a décidé de créer un système à deux volets pour la mettre en oeuvre - pour la prestation de services. Le ministère des Services sociaux et communautaires a donc été chargé d'offrir les services aux jeunes contrevenants de 12 à 16 ans, tandis que le ministère des Services correctionnels s'occupait du groupe des 16 et17 ans.

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De plus, ces deux groupes relevaient de deux divisions différentes du tribunal pour adolescents. Le tribunal de la famille jugeait les jeunes de la première catégorie, alors que la division pénale s'occupait des jeunes de 16 et 17 ans. Je crois que l'Ontario est la seule province canadienne qui continue à offrir de cette façon les services destinés aux jeunes contrevenants. Voilà donc ce que cela veut dire en Ontario.

Pour ce qui est des infractions, nous avons été amenés à nous occuper de jeunes de 13 à 15 ans qui ont été inculpés de toutes sortes d'infractions, d'introduction par effraction, de vol de véhicule automobile, de possession de biens volés, de voies de fait - pour ne citer que celles-là, des infractions pour lesquelles on inculpe et on juge les adultes. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

M. Ramsay: Pensez-vous que ces programmes permettent un dépistage précoce de ces cas et favorisent les efforts de prévention pour éventuellement diminuer le nombre des adolescents qui sont finalement traduits devant les juridictions répressives? Pensez-vous que vos programmes offrent les moyens d'atteindre cet objectif?

M. McLellan: Cela est certain. Il y a une chose que l'on sait lorsqu'on travaille avec des jeunes, en particulier avec des jeunes contrevenants, c'est qu'il faut tous les traiter sur une base individuelle. Ils ont tous des besoins et des problèmes individuels et si nous prenons le temps de bien évaluer leurs besoins et leurs problèmes et aussi celui de leur préparer un plan sur mesure, on constate que la plupart des jeunes font des progrès remarquables. C'est là je crois l'aspect essentiel, pourvu qu'il se combine aux principes de protection de l'enfance qu'a adoptés l'agence ou le programme.

L'idée que l'établissement de relations entre les fournisseurs de soins et les enfants est un aspect essentiel de leur réinsertion sociale est au coeur de notre programme. Lorsque nous réussissons à faire comprendre à l'adolescent que nous avons besoin de sa collaboration pour évaluer ses besoins et ses problèmes et élaborer un plan qui y réponde, nous réussissons habituellement à modifier son attitude et sa façon de voir les choses, ce qui va se traduire dans le comportement qu'il adopte lorsqu'il se trouve dans sa collectivité.

M. Ramsay: Iriez-vous jusqu'à dire que les services et les soins que vous offrez dans le cadre de votre programme viennent en fait remplacer ou compléter les soins qui leur sont donnés chez eux?

M. Lees: Les enfants qui nous sont envoyés viennent souvent de familles gravement perturbées et dans la plupart des cas, c'est la première fois que ces enfants et ces jeunes ont une certaine continuité dans leur vie, qu'ils reçoivent des soins constants et cohérents. C'est ce qui arrive très souvent.

Malheureusement, lorsqu'ils nous sont envoyés, c'est à la suite d'une décision de placement sous garde, ce qui est une façon coûteuse de remédier à ce genre de problème. Nous n'essayons pas de remplacer la famille, nous nous efforçons plutôt de montrer à la famille comment fonctionne notre établissement pour qu'elle puisse agir dans la même direction, lorsque le jeune ou l'enfant nous quitte.

J'ai mentionné un peu plus tôt les équipes de soutien communautaires. C'est un programme volontaire qui est offert à l'extérieur de l'établissement et auquel participent les résidents et leur famille dans nos trois districts.

Je devrais préciser que la raison d'être de ce programme particulier - et il n'y en a que neuf dans la province, dont six dans le nord de l'Ontario - était de renforcer les liens avec la famille et la collectivité pour les jeunes qui représentent un risque élevé de délinquance ou qui étaient prêts à quitter notre système, pour veiller à ce qu'ils ne reviennent pas nous voir. Nous croyons que cet ensemble de programmes contribue énormément à l'objectif dont vous avez parlé, à savoir de conserver ces jeunes dans la collectivité.

M. Ramsay: On nous a dit à plusieurs reprises qu'il est possible d'observer très tôt les premiers comportements délinquants, notamment, que cela est possible dès la troisième année. En fait, un professeur nous a déclaré qu'il était possible d'observer ce genre de comportement chez les tout jeunes enfants, entre un an et demi et trois ans.

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Votre programme permet-il d'intervenir lorsqu'apparaissent ces signes, que ce soit à l'école maternelle ou en première et en deuxième années? Avez-vous les moyens d'intervenir et de fournir à cet enfant les soins dont il a besoin pour s'intégrer aux autres enfants et pour l'empêcher de commettre par la suite des infractions pénales?

M. Lees: Je crois que notre système permet d'atteindre ces résultats, à North Bay et à Nipissing en particulier, à cause des programmes dont j'ai parlé plus tôt. Cela n'est pas possible avec les programmes destinés aux jeunes contrevenants. Il est évident que, lorsqu'il s'agit de protection de l'enfance, nous pouvons agir lorsque l'on constate ce genre de comportement. Notre programme de développement des jeunes enfants, qui s'adresse aux enfants de moins de trois ans, nous permet d'intervenir auprès des enfants et de leur famille pour aider les parents à s'attaquer aux problèmes que connaissent leurs jeunes enfants.

Plus notre action s'inscrit dans le temps - et certains programmes n'existent que depuis sept ou huit ans - plus je constate les effets de cet ensemble de programmes et plus je pense que nos efforts ont un effet sur les problèmes dont vous parlez.

M. Ramsay: Bien entendu, j'aimerais beaucoup voir le système des tribunaux pour adolescents dépérir faute de clients. Les programmes comme le vôtre jouent un rôle de tampon entre un manque de soins parentaux appropriés et ce système de justice pour les jeunes.

Je vous demande en fait quel est le pourcentage de ces jeunes que nous pouvons tenir à l'écart de ce système grâce à des programmes de prévention et de dépistage précoce? Êtes-vous plutôt obligés d'attendre que ces jeunes fassent des bêtises pour qu'on vous demande d'intervenir?

M. Lees: Dans certains cas, nous ne faisons que réagir comme vous le dites. Par contre, avec le programme de développement des jeunes enfants et d'action communautaire pour les enfants financé par Santé Canada, nous sommes proactifs. Nous ne visons pas les activités criminelles. Je ne pourrais pas vous dire que c'est ce que nous faisons. Pour ces programmes, ce sont principalement les médecins et les autres personnes qui sont en mesure d'identifier les problèmes qu'ont les jeunes enfants ainsi que d'autres membres de la collectivité qui estiment, d'après certains indicateurs, que certaines personnes vont éprouver des difficultés et qui nous signalent tous ces cas. Ces outils existent mais c'est un programme volontaire et la personne qui nous a été signalée doit accepter d'y participer et de profiter de nos services.

Pour ce qui est de la protection de l'enfance et des jeunes contrevenants, notre approche est principalement réactive.

M. Ramsay: Le Québec connaît un taux de réussite qui est fort différent de celui de l'Ontario et de certaines autres provinces. Le Québec a adopté une approche qui réussit beaucoup mieux à tenir les jeunes à l'écart du système judiciaire. D'après ce que j'ai pu apprendre, cela s'explique parce que le Québec consacre davantage de ressources aux programmes de prévention et de dépistage précoce.

Certains affirment que cela est rentable. Autrement dit, il faudrait dépenser moins au départ que par la suite. Êtes-vous d'accord avec cela?

M. Lees: Je n'essaierais pas de vous contredire sur ce point.

Mme Torsney (Burlington): Vous avez abordé plusieurs sujets et je vous demande de m'excuser si je ne vous pose pas de questions là-dessus. Vous avez parlé de continuité et, je crois, de cohérence et de constance dans les rapports avec les jeunes mais il y a des sujets qui ont été déjà abordés cette semaine sur lesquels j'aimerais beaucoup connaître votre position. L'un d'entre eux est la publication du nom des jeunes contrevenants, qu'il s'agisse de jeunes contrevenants endurcis ou non.

Je pense que vous avez peut-être vous-même des enfants. Cela vous aiderait à trier les jeunes avec qui ils jouent? Cela empêcherait-il certains de vos clients de commettre des infractions? En fait je voudrais savoir si la collectivité serait mieux protégée?

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M. McLellan: Je dirais oui et non. Par exemple, il y a eu en 1989 une évasion de l'établissement York ici à Toronto qui a connu une fin tragique dans la région de Napanee. Quatre ou cinq jeunes ont perdu la vie. Dans ce genre d'affaires, je ne m'opposerais pas à ce que l'on publie les noms des jeunes contrevenants qui se sont enfuis et qui représentent peut-être un danger pour le public.

Mme Torsney: Il existe déjà une disposition qui le permet. Je veux parler des jeunes qui se trouvent dans votre établissement: devrait-on publier leur nom dans le journal local lorsqu'ils sont convaincus d'un crime et envoyés dans votre établissement?

M. McLellan: Je ne le pense pas. Je ne le crois pas.

Mme Torsney: Pourquoi pas?

M. McLellan: Comme je l'ai dit plus tôt, si je considère tous les enfants avec lesquels j'ai travaillé depuis 17 ou 18 ans, je dirais que le pourcentage de ceux que l'on peut qualifier de difficile, d'incorrigible et peut-être de criminel en herbe est très faible. La plupart des jeunes de 14, 15 ou16 ans qui se retrouvent devant le tribunal pour adolescents deviennent des citoyens respectueux des lois.

Mme Torsney: L'âge moyen de vos jeunes est donc d'environ...

M. McLellan: D'environ 15 ans.

Mme Torsney: Certains proposent de supprimer carrément l'âge minimum, d'abandonner l'âge de 13 ans pour passer au moins à 10 ans. Pensez-vous être en mesure, grâce à l'établissement de M. Lees, de vous occuper des jeunes de moins de 13 ans qui ont des démêlés avec la justice ou qui ont besoin de services spéciaux ou pensez-vous que nous devrions placer les jeunes de neuf et 10 ans dans votre établissement?

M. Lees: Non, je ne pense pas qu'il faille supprimer l'âge minimum. Il y a beaucoup de choses à changer dans le système de la protection de l'enfance et dans celui des jeunes contrevenants pour qu'ils soient mieux adaptés à la situation. Le problème lorsqu'on envoie des jeunes dans un établissement pour jeunes contrevenants, et nous en parlions Dan et moi aujourd'hui, c'est l'absence de lien entre le moment où l'infraction a été commise et celui où l'affaire est jugée. Lorsque le jeune commet son infraction au mois de mai et qu'il connaît sa peine au mois de janvier suivant et qu'il a été une bonne dizaine de fois devant le tribunal entre-temps, il a du mal à comprendre le rapport que cela a avec ce qu'il a fait.

On retrouve la même chose dans le domaine de la protection de l'enfance. Il nous est arrivé, dans notre organisme, d'appréhender des enfants et de demander une ordonnance de prise en charge de trois mois pour essayer d'apporter certains changements au milieu familial mais avec les remises et l'audience, on s'aperçoit que cela fait neuf mois que nous avons déjà pris l'enfant en charge. Celui-ci fait alors l'objet d'une ordonnance de trois mois. Quelle conclusion en tirer au sujet de l'efficacité du système? Je crois que cela est très clair; et que c'est là qu'il y a un problème. Il faudrait pouvoir traiter ces affaires rapidement et efficacement car ainsi les familles et les jeunes, qu'il s'agisse de cas de protection de l'enfance ou de jeunes contrevenants, comprendraient davantage ce qui se passe.

Mme Torsney: Certains proposent d'écarter du système les jeunes de 16 et 17 ans. Je sais que vous n'êtes pas directement en contact avec eux, Dan, mais aimeriez-vous vous occuper de ces jeunes? Qu'en pensez-vous? Devrait-on les envoyer à Millhaven ou dans un établissement pour jeunes contrevenants?

M. McLellan: Non. Parmi les jeunes de 16 ans dont je me suis occupé il y en a un bon nombre qui ont des besoins spéciaux et ils ne sont pas aussi développés que ceux qui ont plus de 17 ans. Comme je l'ai dit il y a quelques minutes, il y a un petit nombre de jeunes de 16 et 17 ans qu'il faut traiter différemment, mais la plupart des jeunes ont simplement besoin d'être guidés et dirigés et d'avoir accès à des modèles positifs.

Ron a parlé il y a quelques instants d'un sujet semblable. On nous a envoyé un jeune de 15 ans, un récidiviste. Il avait été inculpé de 19 introductions par effraction à la fin de l'été dernier. Il vient tout juste de recevoir sa peine au début du mois de mai. Il avait été remis en liberté sur engagement. Il n'a jamais été détenu avant de se voir imposer une peine. Ron et moi nous nous disions que si les tribunaux et le public s'inquiètent de la protection, pourquoi ne pas avoir placé ce garçon en détention? Une des inculpations portait sur des dommages de 40 000$ causés à un chalet. Bien souvent, les décisions prises sont contraires au bon sens.

Ce jeune est finalement jugé neuf mois plus tard. Si l'on pense aux principes de détermination de la peine comme la dissuasion et la rétribution, cela ne veut plus rien dire pour ce garçon. Il dit que cela fait longtemps qu'il a appris sa leçon.

Mme Torsney: Pensez-vous que ce soit vrai?

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M. McLellan: Nous ne l'avons eu que trois semaines. En le voyant, on ne dirait pas que ce jeune de 15 ans est dangereux. Depuis son arrestation, il a fréquenté l'école régulièrement. Il se comporte bien avec sa mère à la maison.

C'est donc là une des lacunes de cette loi. Ron a parlé de toutes ces remises.

Mme Torsney: Il semble que vous bénéficiez d'un excellent soutien de la part de la collectivité. Vous venez de parler d'un cas où vous avez en fait demandé une peine de trois mois pour pouvoir vous occuper plus activement d'un jeune.

Vous vous trouvez dans une collectivité plus petite et plus isolée que cette mégalopole où nous nous trouvons, et j'aimerais savoir si cela vous permet d'entretenir des liens plus étroits avec certaines familles? Est-ce que cela vous permet de demander au juge de vous envoyer un jeune pour un an si c'est nécessaire d'après vous? Est-ce que la situation à North Bay est différente de celle que l'on rencontre dans les autres régions? Est-ce plus facile pour vous?

M. Lees: J'aimerais pouvoir vous dire que c'est le cas et présenter ainsi nos activités sous un jour favorable.

Je dois toutefois dire que, qu'il s'agisse de protection de l'enfance ou de jeunes contrevenants, nous estimons que le système judiciaire et tous les intervenants ne placent pas les enfants au centre de leurs préoccupations. Nous nous rendons au tribunal et nous constatons que l'enfant passe en dernier. Pour tous les intervenants, il s'agit d'un dossier. Le juge dit, eh bien nous entendrons l'affaire dans trois semaines. Il y a un avocat qui ne sera pas là dans trois semaines ou qui a un empêchement, et l'affaire est reportée de trois semaines. Quelqu'un d'autre dit qu'il ne pourra pas être là non plus à ce moment-là et les délais s'allongent.

L'affaire n'est pas centrée sur l'enfant. C'est plutôt le calendrier des travailleurs sociaux, celui des avocats et de tous les gens qui se trouvent dans la salle d'audience qui dictent ce qui se passe.

C'est un aspect qui nous préoccupe beaucoup, que ce soit en protection de l'enfance, d'après ce que nous voyons à North Bay et Nipissing, ou dans le système pour les jeunes contrevenants. On s'intéresse davantage aux intervenants adultes, pour ce qui est du traitement des affaires, qu'aux jeunes.

Mme Torsney: Les gens de Syl Apps nous ont dit qu'ils ne pourraient même pas demander qu'on leur envoie un jeune pendant six mois parce qu'ils sont tenus à l'écart de ce genre de décision. Vous est-il plus facile d'obtenir qu'on vous envoie un jeune?

M. McLellan: Pas vraiment. Comme vous le savez, d'après les dispositions de l'article 20, le placement sous garde est la mesure de dernier recours. Habituellement, les magistrats et les responsables d'établissements de placement sous garde ne se parlent pas beaucoup, c'est du moins ce que j'ai pu personnellement constater. Les tribunaux demandent aux services de probation de préparer un rapport prédécisionnel pour faire connaître au procureur de la Couronne ou au juge la situation du jeune concerné ou ils demandent à un travailleur auprès des tribunaux de le faire.

D'après ce que j'ai appris quand j'étais agent de probation, il y a des années de cela, la plupart des juges savent déjà comment ils vont se prononcer avant d'entendre les arguments de la Couronne et de la défense. Si vous avez déjà lu des rapports prédécisionnels préparés par les services de probation, vous savez que lorsqu'il s'agit d'un récidiviste, la plupart de ces rapports recommandent le placement sous garde. Ce sont les juges qui décident ce qu'exigent la protection et la réinsertion du jeune.

Il existe des écarts importants entre les peines qu'imposent différents tribunaux. Par exemple, on nous a envoyé l'année dernière une jeune autochtone qui avait commis une deuxième infraction. Elle a été déclarée coupable, à trois reprises, d'introduction par effraction dans le bureau de la bande sur une petite réserve située près de Hearst, en Ontario. Elle a été placée sous garde en milieu fermé pendant huit mois. L'été dernier, nous avons reçu deux jeunes qui avaient commis de nombreuses infractions et qui avaient été placés sous garde en milieu ouvert dans la région de Kingston et s'étaient enfuis. L'un des accusés avait commis de nombreuses infractions et avait déjà fait l'objet d'une ordonnance de placement sous garde en milieu fermé. Ils ont volé deux véhicules, se sont fait poursuivre par la police et ont été arrêtés à l'entrée de Sudbury. Le tribunal leur a imposé trois et quatre mois de placement sous garde en milieu fermé, respectivement.

Lorsque l'on parle de peine, comme Ron l'a mentionné, il y a un manque d'uniformité dans la façon dont la loi est administrée.

J'ai toujours estimé et déclaré que la loi elle-même était une bonne loi. Je crois que les difficultés proviennent de la façon dont les intervenants en font usage.

Mme Torsney: Est-ce qu'il y a des juges de votre région qui ont visité votre établissement? Combien y a-t-il de jeunes autochtones dans votre établissement?

M. McLellan: Il arrive que la moitié de notre population soit composée de jeunes autochtones et je peux dire que ces jeunes nous ont beaucoup appris. Ils ont des besoins très différents de ceux des autres jeunes. Par exemple, ils nous arrivent de temps en temps qu'on nous envoie un jeune qui vient d'une des réserves de la baie James et nous constatons alors toute l'ampleur des besoins de ces jeunes et l'isolement social dans lequel ils vivent. Cela est très triste.

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M. Lees: J'aimerais revenir sur la question que vous avez posée tout à l'heure au sujet de nos rapports avec les juges.

Je ne voudrais pas vous induire en erreur. Il nous est possible de contacter notre juge. Elle ne souhaite pas nous voir tous les jours, toutes les semaines ou tous les mois mais si nous l'appelons au téléphone et lui demandons de nous consacrer un peu de son temps pour parler de certaines choses, elle va prendre rendez-vous avec nous. Notre siège social est à quelques pas du palais de justice, de sorte que nous pouvons nous y rendre à pied. Nous la voyons en ville. Cela est un peu différent sur ce plan-là dans le nord de l'Ontario. Elle prendrait le temps de nous rencontrer.

Là encore, lorsque l'on va voir un juge, il faut être très diplomate. On ne dit pas à ces gens comment faire leur travail. On peut soulever des problèmes et voir comment l'on pourrait les résoudre.

Je ne voudrais surtout pas vous induire en erreur. Nous pouvons la rencontrer si nous le souhaitons mais nous n'abusons pas de cette possibilité.

Mme Torsney: Travaillez-vous avec la collectivité autochtone de North Bay, avec leurs jeunes?

M. McLellan: Moi ou le personnel?

Mme Torsney: Le personnel.

M. McLellan: Oui. Nous avons un programme spécial pour les jeunes autochtones. Un ancien se rend dans l'établissement pour parler aux jeunes de leur patrimoine, de leurs coutumes et leur transmettre les connaissances traditionnelles. C'est un programme unique.

M. Lees: La plupart des enfants ou des jeunes autochtones que nous avons eu dans notre établissement ne viennent pas tous de Nipissing. Il y en a qui viennent de Parry Sound, et d'autres de la côte de la baie James et de ce que nous appelons le nord de l'Ontario.

M. McLellan: Il y a un autre aspect dont vous avez sans doute entendu parler ces dernières années à savoir qu'en Ontario, l'un des problèmes les plus urgents est celui du surpeuplement. Une des façons de remédier à ce problème serait d'utiliser les dispositions des articles 28 à 32 en matière d'examen.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi en 1984, les services de probation ou le directeur provincial ont rarement utilisé les dispositions de la loi en matière d'examen qui permettent de tenir compte des progrès réalisés par certains jeunes sur une longue période. Je crois qu'il faut utiliser davantage ces dispositions. C'est pour ça qu'elles existent.

La présidente: Merci, madame Torsney.

Je suis souvent intervenue dans les discussions ces derniers jours mais cela fait plusieurs fois que l'on parle des examens. Je tiens à apporter un élément qui sera peut-être utile. Quand je pratiquais le droit, en particulier du côté de la Couronne, je m'occupais souvent de ces examens. Cela ne se fait pas dans les autres régions de la province ou c'est moi qui ai une mauvaise mémoire?

M. McLellan: Dans le sud-ouest et dans le nord, pour ce qui est des placements sous garde en milieu fermé, je n'en ai pas vu beaucoup, en fait très peu.

La présidente: Je viens de Windsor et je peux vous dire que je pourrais m'en occuper les yeux fermés, tellement j'en ai fait.

M. McLellan: Ce n'est pas ce que j'ai vu à London où j'ai travaillé pendant plusieurs années et ce n'est pas non plus ce que j'ai constaté à North Bay. Je ne sais pas pourquoi mais...

La présidente: Je ne sais pas non plus, parce que c'est le même établissement.

M. McLellan: Exactement.

La présidente: Il n'y a pas d'établissement de garde en milieu fermé à Windsor, ce qui nous obligeait à renvoyer les jeunes de Syl Apps, ou d'autres endroits situés dans le nord ou ailleurs, dans la collectivité.

M. McLellan: Comme vous le savez, j'ai toujours cru que lorsque cela est justifié, lorsque les adolescents font des progrès, qu'il fallait réviser la décision du tribunal. Le juge peut la modifier ou même y mettre fin.

La présidente: Merci. Je suis désolé de vous avoir interrompu.

Monsieur Ramsay, vous avez cinq minutes.

M. Ramsay: J'aimerais revenir à cette idée de publier les noms des jeunes contrevenants, bien entendu, dans le cas d'infractions violentes. Quatre-vingt-dix pour cent des parents ou presque réussissent fort bien à éviter que leurs enfants commettent des infractions pénales. Ce n'est qu'un petit nombre de jeunes qui connaissent ce genre de problème.

Ces parents, ceux qui représentent 90 p. 100 de l'ensemble des parents, essaient de protéger leurs enfants du mieux qu'ils peuvent, en utilisant les renseignements dont ils disposent. S'ils apprennent qu'un jeune fait du trafic de stupéfiant ou commet des infractions violentes, ils vont essayer d'éviter que leurs enfants ne fréquentent ces groupes ou ces personnes.

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Vous affirmez qu'il faudrait refuser aux parents cet avantage et l'accorder au contrevenant de façon à favoriser sa réinsertion sociale. Je crois qu'il y a là un conflit de valeurs.

Les gens que nous rencontrons dans les assemblées locales souhaitent avoir accès à ces renseignements. Ils veulent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour garder leurs enfants dans le droit chemin. Je vois clairement les avantages que cela peut comporter pour le contrevenant, pour ce qui est de sa réinsertion sociale et pour lui éviter la gêne que pourrait lui causer le fait de voir son nom publié dans le journal. Il y a donc un conflit de valeurs entre ces deux groupes de personnes.

Bien entendu, je sais que, la plupart du temps, le système judiciaire doit plutôt favoriser la divulgation des faits plutôt que le secret. J'aimerais que vous en parliez de ce point de vue. Les médias et la plupart des gens ne s'intéressent pas à l'enfant qui vole une barre de chocolat mais dans le cas d'un agresseur d'enfants, d'un jeune contrevenant, d'un consommateur de stupéfiants, d'un trafiquant de drogue, il est évident que cela intéresse et préoccupe les parents. Lorsque ce genre de chose se produit dans leur collectivité, ils veulent protéger leurs enfants et pour pouvoir le faire, il faut qu'ils aient accès à ces renseignements.

M. McLellan: J'estime qu'il faut évaluer chaque cas de façon individuelle. Comme je l'ai dit tout à l'heure, chaque jeune a des besoins et des problèmes individuels et il devrait être évalué et traité en conséquence.

Vous citez le cas du jeune qui a été déclaré coupable d'avoir volé une barre de chocolat et de celui dont le dossier comporte des condamnations beaucoup plus graves. Je vois ce que vous voulez dire. Si un jeune de 16 ou 17 ans a de lourds antécédents judiciaires, d'accord, mais si ce n'est pas le cas, je crois qu'il est encore possible de réhabiliter cet adolescent.

Il y a aussi le garçon de Calgary dont je vous ai parlé. Son comportement a complètement changé. Il y a une chose qui m'inquiète, lorsqu'il va retourner à l'école, il pense que les gens vont savoir qui il est, ce qu'il a fait, et il pense qu'il ne sera pas traité de façon équitable pour cette raison. Il avait 15 ans au moment où il a commis ces infractions, quand il consommait des drogues et le reste. Ce n'est pas pour l'excuser, parce qu'il a commis des actes graves. Mais il avait 15 ans et maintenant il a fait des progrès. Il a profondément changé sa façon de vivre. Il ne fera plus jamais ce qu'il a fait, c'est ce que nous espérons.

Je crois que c'est un cas où s'applique la théorie de l'étiquetage. Cet enfant va retourner à l'école à l'automne et il est possible qu'il ne soit pas traité de façon équitable. Je n'en suis pas sûr. Mais si vous publiez son nom dans le journal, cela va se savoir. Les jeunes vont le savoir.

M. Ramsay: Ils n'ont même pas besoin de le publier dans les journaux. Il y a beaucoup de jeunes qui le savent de toute façon.

M. McLellan: C'est vrai; les jeunes le savent.

La présidente: Merci, monsieur Ramsay.

Je vous remercie pour votre exposé. Comme je l'ai mentionné, nous sommes en déplacement et nous avons un horaire très serré parce qu'il faut nous rendre à Earlscourt cet après-midi pour entendre deux autres intervenants. Merci beaucoup d'avoir pris le temps de venir nous voir.

J'ai pris note de votre invitation à visiter votre établissement. Vous ne savez pas le nombre de fois où je m'arrête à l'aéroport de North Bay.

M. Lees: Vous pouvez littéralement vous y rendre à pied.

La présidente: Il y a peut-être des collègues qui vont donner suite à votre invitation et nous communiquerons avec vous, si cela se produit.

M. Lees: C'est une question importante.

La présidente: Merci beaucoup, vous pouvez rester si vous le souhaitez et assister à la suite de la séance.

M. Lees: Merci.

M. McLellan: Merci de nous avoir entendus.

La présidente: Nous allons maintenant entendre Doug Blackburn, coordonnateur et Jeannette Schmid, bénévole, de Rittenhouse, A New Vision.

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Bienvenus. Nous essayons d'accélérer les choses mais nous sommes très heureux de vous avoir ici avec nous. Je sais que vous allez présenter un exposé et je vais donc vous demander de commencer, pour ensuite passer aux questions. Merci.

M. Doug Blackburn (coordonnateur, Rittenhouse): Merci. Je suis Doug Blackburn. Je suis coordonnateur de Rittenhouse. Jeannette se présentera elle-même.

Vous trouverez dans notre mémoire une brève description de ce qu'est la justice transformative. La justice transformative fait appel à une nouvelle série d'approches, même si ces approches ne sont pas toutes aussi nouvelles que ça. Les autochtones nous rappellent qu'ils ont été les premiers à les utiliser, il y a de nombreuses lunes de cela, et ces approches sont pourtant nouvelles dans la mesure où on y a recours de nouveau pour lutter contre la criminalité, en particulier celle des jeunes contrevenants, qui est le sujet dont nous voulons vous parler aujourd'hui.

Rittenhouse est un organisme de justice sociale. Créé il y a six ans, cet organisme s'occupe principalement de sensibiliser le public aux lacunes du système pénal actuel et de faire connaître les moyens de l'améliorer et de favoriser les approches fondées sur la justice transformative dans le but de voir ces approches concrétisées pour ainsi renforcer la lutte contre le crime au Canada.

Je vais brièvement vous décrire ce qu'est la justice transformative. Jeannette vous parlera des motifs qui expliquent pourquoi la justice transformative répond mieux aux besoins des trois principaux acteurs d'une situation criminelle: tout d'abord, les victimes; deuxièmement, les contrevenants et enfin, la collectivité. Nous allons ensuite parler de la façon dont l'on pourrait mettre en oeuvre la justice transformative dans le système pénal en général, et dans l'application de la Loi sur les jeunes contrevenants, en particulier.

La justice transformative regroupe tout un ensemble de méthodes qui visent à réunir la victime et le contrevenant, y compris les cercles de guérison autochtones, que vous connaissez déjà, je le sais, et d'autres modèles comme les réunions avec participation familiale, dont nous allons parler aujourd'hui.

Je suis certain que vous savez que cela existe déjà dans certaines collectivités canadiennes mais ce modèle n'est pas encore très répandu. Il l'est par contre dans des pays comme l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Une bonne partie de ce que nous savons à ce sujet nous vient des pays où ce modèle est largement utilisé, puisque c'est ce que nous aimerions voir au Canada.

On réunit la victime et le contrevenant dans un milieu structuré en la présence d'un facilitateur ou médiateur professionnel. Ce processus qui amène le contrevenant à rencontrer la victime, à entendre celle-ci parler de la souffrance qu'elle a ressentie ou des répercussions négatives que l'acte commis a eues pour elle, et qui amène aussi la victime à rencontrer le contrevenant et à l'entendre expliquer ce qui l'a amené à commettre cette infraction, répond aux besoins des deux parties, qu'il s'agisse d'un besoin de sécurité, celui d'avoir la possibilité de réintégrer la société pour éviter la récidive, ou que ce soit simplement le fait de reconnaître le mal qui a été causé et de regretter vraiment ce qui s'est passé.

C'est pour cette raison qu'on utilise l'adjectif «transformative». Nous pensons que lorsqu'un crime a été commis, il faudrait transformer la situation pour faire évoluer les choses.

Cette technique est largement utilisée pour les jeunes contrevenants en Nouvelle-Zélande et en particulier en Australie et les résultats obtenus dans ces pays ont amené de nombreuses collectivités de plusieurs pays à s'en inspirer.

Mme Jeannette Schmid (bénévole, Rittenhouse): Je m'appelle Jeannette Schmid et je suis une travailleuse sociale. J'ai travaillé dans le système de justice pénale en Afrique du Sud et je suis bénévole à Rittenhouse.

Je vais commencer par parler des besoins de la victime, pour passer ensuite à ceux du jeune contrevenant et enfin, de la mesure dans laquelle la justice transformative répond aux besoins de la collectivité.

Pour ce qui est des besoins de la victime, si l'on regarde tout d'abord la personne qui est directement touchée par l'infraction, on constate que, devant nos cours de justice traditionnelles, les victimes jouent un rôle très minime. Elles n'ont pas l'occasion d'interroger directement le contrevenant et le système accusatoire utilisé fait surtout ressortir les différences qui existent entre la victime et le contrevenant.

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Avec la méthode de la justice transformative, la victime peut poser toutes les questions qu'elle a envie de poser au sujet de l'infraction: qu'est-ce qui s'est produit, pourquoi cela m'est-il arrivé à moi, et pourquoi à ce moment-là? Les personnes présentes reconnaissent la gravité du choc que les victimes ont subi. Toutes les personnes qui participent à ce processus savent qu'elles sont là à cause de la victime et elles reconnaissent les répercussions qu'un événement aussi grave peut avoir sur elle.

Cette méthode donne également au contrevenant l'occasion de réparer ses torts, il peut à tout le moins présenter des excuses sincères et peut-être aussi essayer de réparer comme il peut ce qu'il a fait à la victime.

La victime, de son côté, se sent, grâce à cette méthode, un peu plus en sécurité, aspect qui est vraiment important. Il est fréquent que les victimes ne se sentent pas en sécurité, même si le contrevenant a été détenu pendant une longue période. Le fait que le contrevenant puisse voir la victime en face et que celle-ci puisse voir le contrevenant de la même façon, en aménageant cette interaction et cette confrontation directe, la victime en retire habituellement un sentiment de sécurité parce qu'elle se rend compte que le contrevenant ne commettra pas à nouveau cette infraction; la victime se sent en sécurité à cause de cela.

Enfin, les victimes ont très souvent besoin de comprendre ce qui s'est passé - elles veulent savoir que la souffrance qu'elles ont ressentie a servi à quelque chose. En participant à la réunion et en constatant que le contrevenant est prêt à partager également ces souffrances, les victimes réussissent habituellement à donner un sens à leur expérience, grâce à ce processus.

Je devrais également préciser que je n'ai parlé jusqu'ici que des victimes directes mais la réunion avec participation familiale permet également de réunir les victimes indirectes, c'est-à-dire les autres membres de la collectivité qui ont été touchés par ces actes. Là encore, c'est une chose que le système judiciaire accusatoire permet rarement.

Je vais passer aux besoins du jeune contrevenant et de la façon dont la méthode de la réunion ou de la justice transformative apporte une réponse à ses besoins. La chose essentielle est que le jeune est amené à assumer la responsabilité de ses actes. Là encore, l'adolescent qui est traduit devant les tribunaux judiciaires se considère très souvent comme une victime du système. L'adolescent a tendance à oublier les répercussions que son acte a eues sur la victime. Avec cette nouvelle méthode, les jeunes voient la victime. C'est la victime qui leur décrit l'effet que l'infraction commise a eu sur elle. C'est une façon d'amener les jeunes à assumer leurs responsabilités.

En Australie, ils ont utilisé la carte de la honte, ce que nous appelons «la réinsertion sociale par la honte». Ce n'est pas une honte qui vous met au ban de la société. Elle vous oblige plutôt à faire face à vos actes, tout en donnant au jeune contrevenant l'occasion de réintégrer la société et d'y retrouver sa place.

Ce mécanisme offre également l'occasion de réparer le tort causé. Là encore, la punition imposée au contrevenant ne lui permet pas de réparer ce qu'il a fait.

Cette méthode permet de mieux comprendre le contrevenant, de mieux cerner ses besoins en matière d'aide sociale, ses besoins sociaux et comment l'on pourrait y répondre. L'expérience de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie a permis de constater que cette méthode réduit sensiblement la récidive. Les gens dans l'ensemble respectent les ententes qui ont été conclues lors de ces réunions et risquent moins de récidiver.

M. Ramsay parlait de la nécessité de laisser sortir la vérité. Avec cette approche, les membres de la collectivité participent au processus et le contrevenant ne peut se cacher. C'est un processus très ouvert. Le contrevenant est ainsi amené à assumer ses responsabilités envers la victime et également envers la collectivité.

Notre système accusatoire incite souvent les gens à plaider non coupable et à dissimuler leurs actes. La justice transformative incite les gens à assumer leurs responsabilités à dire «voilà ce que j'ai fait», à raconter leur histoire de leur point de vue et d'en accepter les conséquences.

Pour ce qui est des avantages que cette méthode offre à la collectivité, je dirais que c'est là son aspect essentiel. Il ne s'agit pas simplement de la victime et du contrevenant. Ce processus permet d'examiner ce qu'ont vécu les personnes qui ont été touchées, de façon indirecte, par l'infraction. La participation des membres de la collectivité à ce processus a pour effet de responsabiliser les gens. Nous avons appris à appeler la police lorsque nous avons des problèmes avec les autres. Nous avons perdu la capacité de régler les différends qui nous opposent aux autres. Nous ne savons plus comment faire. Nous ne savons plus comment résoudre les tensions, comment résoudre les problèmes. Cette méthode permet aux membres de la collectivité de récupérer cette capacité, d'apprendre comment régler les différends sans appeler les autorités.

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Cette méthode permet également aux membres de la collectivité de mieux comprendre les causes de la criminalité qui existe chez eux. Je crois qu'il y a beaucoup de fausses perceptions sur les causes de la criminalité et sur son ampleur dans un secteur donné.

En rencontrant la victime et le contrevenant, les représentants de la collectivité qui participent à ces réunions acquièrent une meilleure compréhension de la situation.

Je pense également que cela permet à la collectivité de répondre à ses besoins de sécurité. Lorsque les membres de la collectivité connaissent bien la situation, ils sont mieux placés pour répondre à leurs besoins en matière de sécurité. En traitant directement avec le contrevenant, ces personnes peuvent aider celui-ci à ne pas récidiver et, tant à court qu'à long terme, cela renforce la sécurité dont jouissent les membres de la collectivité.

Nous dépensons des sommes faramineuses pour essayer de lutter contre la criminalité. Je pense qu'il faudrait consacrer des fonds au moins équivalents à la prévention de la criminalité. D'après moi, la justice transformative est un modèle qui permet à la fois de lutter contre la criminalité et d'en réduire les effets mais en essayant aussi d'apporter une réponse à l'infraction et de prévenir les infractions à long terme en s'occupant des contrevenants sur une base individuelle et en responsabilisant les membres de la collectivité.

J'aimerais maintenant passer la parole à Doug qui va présenter la section suivante.

M. Blackburn: D'après ce que nous ont dit les gens qui connaissent la Loi sur les jeunes contrevenants mieux que Jeannette et moi et qui font partie de notre organisme, nous croyons savoir que la loi actuelle n'interdit aucunement le recours à ces méthodes transformatives. On nous a parlé de mesures de rechange, et du fait que ces possibilités existent.

Nous souhaiterions que le Comité permanent de la justice et des questions juridiques recommande qu'on élargisse le recours à ces mesures; en fait, qu'il les recommande dans ce genre de cas.

Nous croyons également que pour que la justice transformative donne de bons résultats avec les jeunes contrevenants... Nous allons parler un peu des épargnes que l'on peut réaliser de cette façon et certaines personnes y voient une façon d'épargner de l'argent. Mais cela peut être très dangereux. Il faut accepter d'y investir des fonds mais si le projet est bien conçu, il ne sera pas nécessaire d'y consacrer beaucoup de fonds.

Il existe déjà au sein du système de justice pénale tout un groupe de personnes qui connaissent déjà 80 p. 100 de ce qu'il faut savoir pour utiliser les approches axées sur la justice transformative. Il s'agit des agents de probation et de liberté conditionnelle qui effectuent déjà des évaluations détaillées des dossiers criminels dont sont saisis les tribunaux. Ils rencontrent les membres de la famille et les victimes du crime et prennent leurs déclarations.

On nous dit qu'il y a déjà près de 900 agents de probation et de liberté conditionnelle dans le seul Ontario, et que toutes ces personnes connaissent déjà fort bien la plupart de ces techniques. Il suffirait de leur apporter un complément de formation. Par exemple, si l'on adoptait au Canada un modèle de réunion avec participation familiale, inspiré des modèles utilisés en Nouvelle-Zélande ou en Australie, il faudrait alors assurer une formation supplémentaire spécialisée et prévoir des ressources. Mais ces agents de probation et de liberté conditionnelle peuvent le faire.

Les agents de probation et de liberté conditionnelle suivent déjà des programmes de formation standards, dans le domaine, notamment, de l'inventaire du niveau de supervision, auxquels on pourrait ajouter ces techniques.

Art Lockhart est un des membres de notre réseau de personnes qui préconisent la justice transformative et qui s'efforce activement de la faire adopter au Canada. Il enseigne au centre d'études judiciaires du collège Humber sur le campus Lakeshore. Il a été formé par des Australiens. Ruth Morris, qui fait partie de notre agence, s'est rendue en Australie et elle a visité divers établissements dans ce pays, ainsi qu'en Nouvelle-Zélande. Ensemble, en particulier sous la direction d'Art Lockhart.

Art organise actuellement un programme de formation qui doit débuter en juin. C'est la première séance de formation sur l'utilisation d'un système de réunions pour les écoles et les collectivités. Il assurera la formation des moniteurs de ces réunions avec participation du groupe familial.

Art et un de ses collègues ont coordonné le programme de formation destiné aux agents de probation et aux surveillants de liberté conditionnelle de l'Ontario. Il est ensuite passé dans le domaine universitaire et a commencé à faire ce travail de consultant. Sa compétence n'est donc pas en doute.

J'ai ici des résumés du programme de formation qu'il offre. Ils sont à votre disposition.

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Parlons maintenant un peu des coûts. Pour que ce système soit efficace et fonctionne bien s'il est choisi pour former les agents de probation et les surveillants de liberté conditionnelle, il faut investir de l'argent. Mais ce coût est minime en comparaison des économies qui pourront être réalisées.

Le schéma que nous avons établi est loin d'être définitif mais si chacun des 900 agents de probation et surveillants de liberté conditionnelle de l'Ontario, après leur formation, réussissaient à déjudiciariser ne serait-ce qu'un seul cas, ce qui éviterait une incarcération qui coûte 100 000$ par an - s'ils réussissaient à empêcher ne serait-ce qu'un adolescent de se retrouver en prison, à 100 000$ par an - cela permettrait de faire une économie de l'ordre de 90 millions de dollars. Voilà ce que montrent ces calculs très sommaires.

Il est donc possible de réaliser des économies. C'est ce que nous essayons de vous montrer. Ajoutez à cela tous les avantages que représente le fait que l'adolescent ne sera pas obligé de comparaître devant un tribunal et de se retrouver dans un système carcéral en compagnie d'autres détenus. Inutile de vous rappeler tout ce que l'on raconte sur ce que cela peut avoir de nuisible pour leur future réinsertion sociale.

J'ai déjà dit que les agents de probation et les surveillants de liberté conditionnelle évaluent chaque cas de cette manière. On pourrait également procéder ainsi pour le processus lui-même.

Les différents modèles existant ailleurs dans le monde montrent qu'on se sert parfois de cette mesure avant l'inculpation. En Australie, c'est la plupart du temps la police qui organise la réunion avec participation familiale pour essayer d'éviter la mise en accusation.

On peut aussi utiliser ce système après la condamnation, mais il faut alors organiser une réunion avec la participation de la victime et du contrevenant. Si l'on utilise pour cela le terme «famille» c'est souvent parce que des membres de la famille sont présents, sans compter que des représentants des groupes de soutien - enseignants, conducteurs d'autobus ou comparses importants des deux parties - participent au processus qui devient alors un événement constructif et très public.

Mme Schmid: Nous voudrions également vous donner deux exemples de réussite de ce système.

Le premier est un exemple australien dans lequel un groupe d'étudiants qui fêtaient la fin de leur dernière année d'études s'étaient rendus dans un lave-auto et l'avaient saccagé. L'agent de police de l'endroit ne sachant pas exactement comment traiter la situation, avait réuni les familles de tous ces élèves et avait fait venir à Brisbane le propriétaire du lave-auto, ainsi que quelqu'un qu'il était sur le point d'engager comme employé, afin qu'ils expliquent à ces étudiants les répercussions que leur acte criminel avait sur eux.

Collectivement, les membres du groupe avaient réfléchi aux moyens de réparation qui pouvaient être utilisés. Tout cela s'était déroulé de manière très publique et toute la collectivité était au courant de la situation. C'était devenu un effort de collaboration à la suite duquel la vie de la collectivité avait pu reprendre normalement.

L'autre exemple me touche plus directement. En Afrique du Sud, l'agence dans laquelle je travaillais avait été appelée à intervenir dans une école où un jeune étudiant avait volé une arme appartenant à un enseignant. Comme nous vivons dans un milieu assez violent en Afrique du Sud, un des enseignants ne se sentait pas en sécurité dans la collectivité, et il avait en effet apporté une arme à l'école mais il ne l'avait pas rangée en lieu sûr. Cet élève de 16 ans, qui suivait des cours correspondant à notre 6e année, l'avait volé.

Nous sommes immédiatement intervenus, ce qui est d'ailleurs un avantage dans ce genre de situation. Il faut en effet réduire le temps d'intervention au minimum. Nous avons fait appel à la participation des parents et le jeune élève a été autorisé à se faire accompagner d'un ami choisi par lui. Les enseignants et le directeur de l'école ont également participé et nous avons essayé d'examiner ce qui s'était passé.

Apparemment, cet adolescent de 16 ans était beaucoup trop âgé pour sa classe, ce qui l'embarrassait terriblement. Il avait l'impression que la seule façon d'attirer l'attention sur lui était de faire preuve de machisme. C'est la raison pour laquelle il avait pris le pistolet.

C'était la première fois qu'on répondait à ses besoins sur le plan scolaire. C'était la première fois que ses parents comprenaient la situation car ils avaient l'impression qu'ils avaient simplement affaire à un enfant paresseux. Ils avaient découvert que d'autres problèmes se poseraient mais qu'on les aiderait à y faire face.

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Cette situation avait amené l'administration scolaire à revoir ses politiques en matière de sécurité et à réfléchir aux mesures à prendre si les enseignants eux-mêmes amenaient des armes à l'école. Dans l'ensemble, tous les participants à ce processus ont conclu qu'il avait été utile. L'adolescent a été obligé de remplir ce que nous appelons une tâche de substitution à l'école, mais le conseiller d'orientation l'a également suivi de plus près, ce qui a permis de répondre à un certain nombre de ses besoins. Pour nous, ce qui est important, c'est le processus de réunion. Au lieu d'isoler l'acte criminel, on s'attaque en effet à la racine du problème et on lui trouve une solution holistique.

La plupart des gens sont partisans de mesures punitives. Ils sont inquiets, ils se sentent vulnérables, ils ont l'impression qu'ils sont menacés de toute part par des criminels. L'Afrique du Sud est un pays où l'incidence des crimes est incroyablement élevée. Nous vivons entourés de murs, de chiens de garde toujours plus nombreux; nous sommes armés jusqu'aux dents; il y a des prisons partout, et tout cela n'a servi qu'à accroître la peur qui règne dans la collectivité.

Malgré toutes les mesures adoptées aux États-Unis, les gens ne semblent pas se sentir aujourd'hui plus en sécurité. Nous voudrions que vous réfléchissiez à la possibilité d'utiliser des approches transformatives pour aider les gens à se sentir plus en sécurité et pour traiter le problème de manière holistique.

Nous sommes prêts à répondre à vos questions.

La présidente: Merci.

Monsieur Ramsay.

M. Ramsay: Je dispose de combien de temps, madame la présidente?

La présidente: De sept minutes environ; nous avons jusqu'à 14 h 30.

M. Ramsay: Merci.

De temps à autre, en plein milieu d'une de ces journées sombres et ennuyeuses que vit parfois notre comité, il arrive qu'il y ait un souffle d'air frais, c'est du moins mon impression. Et je crois que votre exposé a été un véritable souffle d'air frais pour moi aujourd'hui car tout ce que vous avez dit était marqué au coin du bon sens.

Lorsque nous considérons la manière dont notre pays a évolué, nous constatons que les principes que vous avez énoncés aujourd'hui ont joué un grand rôle; on ne recourrait aux méthodes formelles qu'en dernier ressort. Les tribunaux n'étaient là que pour les fautes les plus graves qu'il était impossible de traiter correctement pour satisfaire aux besoins de la société, de la victime et du contrevenant sans recourir au système formel.

Dans ma jeunesse j'ai connu le genre de dynamique de groupe dans laquelle on ne cachait jamais la vérité, on l'étalait au grand jour. C'est le processus de guérison dont nous avons besoin lorsque quelqu'un commet un acte de violence contre un autre être humain. L'un et l'autre sont blessés par cet acte, et tant que les raisons pour lesquelles l'acte a été commis et la gravité du préjudice causé à la victime et à sa famille n'auront pas été clairement établies, le processus de guérison demeurera impossible.

Je trouve ce genre de programme extrêmement intéressant, notamment les conseils de détermination de la peine de nos collectivités autochtones. Je pense souvent qu'une immense sagesse, fondée sur le bon sens pratique règne dans les collectivités autochtones.

Ce que vous avez dit au sujet des taux de récidive est très important. Selon vous, ils ont considérablement diminué. Avez-vous des statistiques à ce sujet?

M. Blackburn: Je serais très heureux de faire des recherches à ce sujet. Je n'ai malheureusement pas ce genre de données sous la main, mais je sais que des études ont été faites sur le modèle australien ainsi que sur le modèle néo-zélandais.

Nous savons qu'en Nouvelle-Zélande, en 1989, on a généralisé la formule de la réunion approuvée par la famille dans le cas des jeunes contrevenants. Auparavant, il y avait eu un certain nombre d'expériences de déjudiciarisation. À la même époque, c'est-à-dire en 1989, 80 p. 100 des jeunes contrevenants passaient devant les tribunaux et 20 p. 100 étaient soumis à un processus de déjudiciarisation. Cinq ans plus tard, les pourcentages étaient inverses.

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J'ajouterais qu'en Nouvelle-Zélande, si la formule de la réunion avec participation familiale ne convient pas à la victime ou au contrevenant ou encore, si ce dernier ne veut pas coopérer, on a recours aux méthodes traditionnelles et l'affaire se règle devant le tribunal.

Nous savons également - et je crois que cela est en partie dû aux réductions imposées par le gouvernement - que le nombre des établissements destinés aux jeunes contrevenants a été ramené de 26 à trois au cours de la même période. Cela montre bien que le nombre des actes criminels avait beaucoup diminué.

Une étude intéressante a été faite à ce sujet. Je ne dispose pas des chiffres exacts mais je sais que l'on a suivi le groupe de ceux pour lesquels la formule de la réunion avec participation familiale avait été utilisée pendant cinq ans et on a comparé les résultats avec le groupe de jeunes contrevenants du même âge qui avaient suivi le processus normal, les années précédentes. Je crois qu'il y a eu une diminution de 29 p. 100 du récidivisme chez les jeunes coupables d'une première infraction qui n'étaient pas passés par le système traditionnel. Je me ferai un plaisir de vous fournir des chiffres plus précis au comité.

M. Ramsay: Je dirai, aux fins du compte rendu, que ce système judiciaire, qui a beaucoup de points communs avec les conseils de détermination de la peine dont on nous a parlé et que nous étudierons de plus près, je l'espère, lorsque nous irons dans l'Ouest, démolit complètement les arguments contre la divulgation. Les personnes qui devraient savoir qu'un crime de violence a été commis dans leur collectivité sont bien évidemment les membres de cette collectivité. Si quelque chose arrive au Canada atlantique ou en Colombie-Britannique, cela ne m'intéresse pas ou, du moins, ne me touche pas directement, sauf peut-être sur le plan émotionnel. Je ne me sens pas directement menacé. Cependant, lorsque quelqu'un commet un acte de violence contre un autre membre de ma collectivité, cela me touche et me préoccupe profondément.

Donc, lorsque la collectivité intervient, lorsque tous les intéressés sont appelés à participer à un conseil de détermination de la peine ou à ce genre de processus, rien n'est caché; tous les faits, toute la vérité, sont exposés au grand jour. À mon avis, c'est le fondement même d'une justice véritable.

Peut-être pourriez-vous faire des commentaires à ce sujet et nous dire ce que vous pensez du formalisme excessif d'un système dans lequel le sens véritable de la justice a été un peu oublié; j'entends par là une justice qui respecte les droits de chacun, qui met en oeuvre un processus d'examen de ces droits et qui permet d'établir un équilibre entre eux et aussi, de guérir les blessures psychologiques et morales.

Mme Schmid: Ce qui compte, ce n'est pas tellement que tout le monde sait ce qui se passe mais que tout le monde participe à la recherche de solutions. C'est ce que je trouve de plus passionnant dans tout cela.

J'ajouterai que nous avons ici un livre qui offre une critique des systèmes néo-zélandais et américain. Je vous en donnerai le titre si vous voulez; de toute façon, nous pourrons vous le donner plus tard. L'auteur de cet ouvrage examine les pièges qu'il faut éviter et explique pourquoi le système fonctionne bien.

Vous avez évoqué le cas des personnes coupables d'infractions graves. Je voudrais en parler.

Il est fréquent que les gens pensent que la méthode de la réunion ou celle de la justice transformative n'est pas efficace dans le cas des personnes coupables d'infractions graves.Mme Joan Pennell, à Terre-Neuve, a utilisé ce système pour des cas de violences familiales. Cela pose toujours un dilemme, celui de savoir dans quelle mesure tout peut être révélé, tout peut être étalé au grand jour. Elle a récemment publié avec un de ses collègues les résultats de recherches qui montrent que dans la très grande majorité des cas, cette approche est inefficace.

Dans des cas isolés en Nouvelle-Zélande et en Australie, on a utilisé cette approche lorsqu'il s'agissait de meurtres. Cela dépend beaucoup de la réaction de la victime, selon qu'elle accepte ou non de participer, selon que...

Quelqu'un me regarde d'un drôle d'air: de quelle «victime» je parle? Eh bien, de la famille de la personne qui a été tuée. La question est de savoir si la fraude est prête à participer au processus et si le criminel est également prêt à le faire.

Nous avons aussi évoqué le fait que l'on peut utiliser cette approche à n'importe quel stade. Même lorsque quelqu'un a purgé une peine de prison, on peut réunir les victimes, les contrevenants et les membres de la collectivité à la fin du processus... On a pu constater que même à ce stade, il est très utile pour tous de dissiper les dernières séquelles du crime, de tirer un trait final.

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La présidente: Merci, monsieur Ramsay.

Monsieur Maloney, aviez-vous des questions à poser?

M. Maloney (Erie): Comment cette justice transformative est-elle institutionnalisée en Nouvelle-Zélande? S'agit-il uniquement d'une politique? Y a-t-il des directives officielles? Comment pourrions-nous y parvenir? Je sais que c'était une méthode discrétionnaire que la police pouvait utiliser. Mais le système judiciaire traditionnel fonctionnait-il en parallèle? Avez-vous deux systèmes? Comment cela fonctionne-t-il?

Mme Schmid: En Nouvelle-Zélande, c'est maintenant prévu par la loi et pour certaines catégories de crime la première option doit être la réunion avec participation familiale. Pour d'autres catégories, pour des infractions plus graves, cette réunion doit également être tenue, mais les recommandations auxquelles elle aboutit sont soumises au tribunal qui prend la décision finale. Voilà comment les choses se font en Nouvelle-Zélande.

À Wagga Wagga, en Australie, où s'est déroulé le projet pilote, je crois qu'on s'apprête à adopter une loi à ce sujet dans la province. En Afrique du Sud, nous envisageons de faire la même chose pour les jeunes contrevenants.

Je le répète, les points d'accès dépendent de ce que vous voulez. À mon avis, il en faut le plus possible de manière à encourager les membres de la collectivité à ne même pas faire appel à la police s'ils pensent être capables de régler le problème eux-mêmes. C'est donc un processus de déjudiciarisation complet.

Pourtant, du moins dans le modèle australien, c'est la police qui joue le rôle de médiateur de la réunion mais elle peut également faire appel à quelqu'un d'autre, cela dépend de la confiance qui règne à l'égard de la police dans la collectivité. On peut donc procéder ainsi au stade de l'inculpation. On peut aussi le faire au lieu de recourir au processus de détermination d'une peine et on peut même, comme je le disais, l'utiliser à la fin. Je ne sais pas si cette approche convient pour le Canada; je ne sais pas non plus comment vous pensez pouvoir l'utiliser, mais je recommanderais d'utiliser autant de points d'accès à la justice transformative que possible.

M. Maloney: Ces modèles existent-ils depuis suffisamment longtemps pour offrir des statistiques exactes sur les cas de récidive? Sont-ils une réussite? Comment mesurer cette réussite? Depuis combien de temps utilise-t-on ces modèles?

Mme Schmid: Les modèles néo-zélandais et australien existent depuis au moins six ans.

M. Maloney: Vous avez dit six ans?

Mme Schmid: Oui. Un grand nombre d'études ont été écrites à ce sujet. On a vraiment examiné de près ce qui donnait de bons résultats et ce qui ne fonctionnait pas; on a étudié la préparation de la victime qui est indispensable pour que celle-ci puisse participer au processus. Lorsqu'on ne le fait pas, la réunion a moins de chances de réussir. Il faut cependant être absolument certain qu'on établit un équilibre entre l'intérêt du contrevenant et les besoins de la victime. Il y a diverses choses à examiner pour être sûr que le processus fonctionne bien, mais ce n'est pas bien difficile. Beaucoup d'études critiques ont été consacrées à ce système.

Je devrais également préciser que la réunion avec participation familiale n'est qu'une des approches possibles. C'est à Kitchener-Waterloo qu'on a commencé à utiliser la médiation entre la victime et le contrevenant et cette méthode continue à être utilisée depuis 20 ans dans cette région. Toutes les statistiques ont été réunies et Mme Joan Pennell a maintenant les résultats des projets pilotes qui ont été réalisés. Une documentation assez considérable a donc été réunie.

M. Maloney: Pourriez-vous fournir cette information ou ces statistiques au comité?

M. Blackburn: Oui.

M. Maloney: Merci.

La présidente: Merci, monsieur Maloney.

Madame Torsney, avez-vous une brève question à poser?

Mme Torsney: Oui et j'ai aussi un commentaire à faire.

La participation de la collectivité à la recherche d'une solution est une formule qui me plaît; ce qui me plaît moins, c'est l'idée que la collectivité découvre tous les détails de l'affaire et isole encore plus la personne en difficulté. Et tout ce qui peut rapprocher la collectivité et l'aider à agir de concert... Mais comment s'attaquer à ce genre de problème dans une ville comme Toronto, par exemple, ou dans l'agglomération de Toronto? Travaillez-vous dans des petites zones individuelles? Comment les choses se passent-elles?

M. Blackburn: Je crois que c'est la nature du crime et la nature des personnes touchées par lui qui vous permettent de déterminer naturellement la taille du groupe appelé à participer.

En Nouvelle-Zélande cela peut aller de trois personnes à 200 personnes. La collectivité toute entière intervient. Je pense que cela est dû à la tradition maorie.

Ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Comme son nom l'indique, la réunion avec participation familiale ne fait appel qu'à la famille. Ce dont nous parlons ce sont des jeunes contrevenants, de leurs parents ou de leurs tuteurs. Il est cependant fréquent que d'autres personnes jouent aussi un rôle important dans la vie de ces jeunes. Ce ne sont pas toujours leurs parents qui ont le plus d'influence sur eux. Ils sont donc tout à fait libres de demander la participation d'autres personnes.

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Il n'y a pas de nombre maximum fixé. Je suppose qu'il faut tout de même une limite. Nous avons entendu parler de cas dans lesquels... J'ai mentionné le conducteur d'autobus qui avait très bien réussi à rallier la collectivité autour d'un jeune contrevenant qui avait fait quelque chose de vraiment stupide. Cela s'est passé dans l'ouest du Canada et nous avons appris l'histoire un peu par hasard. Cet enfant se sentait en confiance avec ce conducteur d'autobus qui avait réussi à convaincre la collectivité d'aider le jeune contrevenant à se réadapter.

C'est ainsi que se détermine le groupe naturel auquel appartient le contrevenant et aussi, la collectivité naturelle de la victime. C'est ainsi que nous définissons une collectivité, en commençant par les membres de la famille.

Mme Torsney: Indiscutablement, la collectivité à laquelle j'appartiens a été profondément touchée par le meurtre de Nina de Villiers. Et en plus, la même personne, croyons-nous, a tué quelqu'un d'autre au Nouveau-Brunswick, deux jours plus tard.

Les criminels peuvent se déplacer très rapidement au Canada et il ne leur faut donc pas beaucoup de temps pour commettre des actes criminels dans de nombreux endroits différents. À mon avis, il faudrait faire appel à la participation de beaucoup d'autres membres de la collectivité, en plus de la famille de Villiers, pour essayer de résoudre tous ces problèmes car c'est la collectivité toute entière qui est profondément affectée lorsqu'une jeune fille de 18 ou 19 ans est assassinée. Dans le cas des French et des Mahaffy, il faudrait instaurer deux processus distincts pour deux collectivités différentes.

Mme Schmid: Je vais vous donner un autre exemple de la situation en Afrique du Sud. Dans une certaine région, un tueur en série s'attaquait aux jeunes garçons. L'agence pour laquelle je travaillais dans la même région avait donc réuni les parents et les enseignants et on avait réussi à mettre au point un système pour ramasser les enfants à l'école et les ramener chez eux. Une démarche avait même été faite auprès du conseil municipal pour qu'il fasse couper les hautes herbes afin d'améliorer la visibilité. Dans ce cas particulier, un grand nombre de personnes qui pensaient que leur sécurité était menacée s'étaient donc réunies pour décider des questions à régler en priorité; elles avaient trouvé collectivement des solutions et étaient devenues une source de soutien mutuel.

Chaque cas est donc différent. Ce qu'il faut faire, c'est déterminer qui peut être affecté par la situation.

D'autre part, si l'on ne trouve pas de victime directe, on peut trouver un représentant de l'institution dont l'intégrité est violée, en quelque sorte. C'est ainsi que l'on crée un sentiment d'appartenance à une collectivité. Je crois d'ailleurs que plus ce genre de choses se produisent à un endroit donné, plus les gens en parlent entre eux... C'est aussi de cette manière que l'on crée cet esprit de communauté et que les gens acceptent plus aisément de participer à ce genre de processus.

Mme Torsney: Pourquoi cette agence s'appelle-t-elle Rittenhouse? Qui est Rittenhouse?

M. Blackburn: Rittenhouse est simplement un nom de famille qui a été adopté pour cette agence.

Mme Torsney: Bien. J'essayais de trouver une référence...

M. Blackburn: Non, il n'y a rien d'écrit.

La présidente: Aussi étrange que cela puisse paraître, nous n'avons pas beaucoup parlé des diverses formules de détermination de la peine dans notre comité et vous venez de nous rappeler clairement que cela fait également partie de l'ensemble des questions que nous devrions examiner. Nous vous en remercions et vous savons également gré d'avoir pris le temps nécessaire pour venir nous parler aujourd'hui.

M. Blackburn: Nous avons quelques documents à vous laisser et nous vous ferons parvenir plus tard ces statistiques.

La présidente: Merci beaucoup.

Nous avons besoin de nous dérouiller un peu les jambes.

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La présidente: Nous allons maintenant accueillir Margaret Stanowski, du Springboard Outreach Program de Toronto.

Nous disposons de 35 minutes environ. Veuillez donc faire votre exposé, nous vous poserons ensuite des questions.

Mme Margaret Stanowski (directrice générale, Springboard): Je m'appelleMarg Stanowski, et je suis directrice générale de Springboard. Je vous remercie vivement de m'offrir la possibilité de témoigner devant le comité.

Springboard est une oeuvre de charité qui s'emploie à améliorer la sécurité des collectivités dans lesquelles nous vivons. Notre organisation fournit chaque année des services à plus de9 000 adolescents et adultes, dont beaucoup ont eu des activités criminelles ou risquent d'en avoir.

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Nos programmes à l'intention des jeunes comprennent six résidences pour jeunes contrevenants, des programmes de services communautaires obligatoires, des services de conseils aux jeunes en matière d'emploi et de formation. Nous avons également un programme de prévention primaire du crime à l'intention des jeunes de 12 et 13 ans avant que ceux-ci n'adoptent des comportements criminels. Nous offrons nos services dans 13 collectivités de l'Ontario grâce à un personnel de 200 personnes et à 400 bénévoles. Springboard croit que la prévention et la réduction du crime n'est vraiment possible que dans une collectivité proactive.

La criminalité n'est pas un problème simple. Il faut que les citoyens participent activement à l'élaboration de solutions permettant de s'attaquer aux causes profondes de la criminalité.

Ce comité s'est attelé à une tâche énorme. Son mandat et le champ de l'étude qu'il effectue sont peut-être les plus complets et les plus vastes jamais vus dans ce domaine. Il est en tout cas certain que cet examen ne pouvait pas se faire à un moment plus stratégique de la vie de notre pays.

Très peu de lois ont autant soulevé la controverse que la Loi sur les jeunes contrevenants. On considère qu'elle n'est pas suffisamment sévère à l'égard des criminels et certains pensent même qu'elle est responsable de l'augmentation du nombre des crimes au Canada.

Comme ce comité le comprendra certainement, une part importante du public a l'impression que si cette loi et les lois en vigueur étaient plus sévères à l'égard des criminels et si plus de jeunes étaient punis pour un comportement criminel, le taux de criminalité diminuerait. Les recherches confirment cependant que lorsque consacre plus d'argent au fonctionnement de la justice pénale, notamment à la police et aux tribunaux, et lorsque l'on condamne plus de jeunes à des peines de prison plus prolongées, cela ne réduit pas le nombre des cas de récidive.

Pourtant, le public continue à penser que des sanctions plus sévères empêcheront les individus de se rendre coupables d'autres actes criminels. Les systèmes de justice pénale réagissent au crime après qu'il ait été commis et ils exercent donc peu d'influence sur les conditions qui poussent les gens sur la voie de la délinquance ou au contraire les empêchent de s'y engager.

Je me réjouis donc de voir que le projet de loi C-37 comprend des dispositions qui permettent à votre comité d'examiner les mesures qui contribueront à empêcher la victimisation à l'avenir, et qu'il favorise le recours à des méthodes à long terme intelligemment conçues, destinées à améliorer la sécurité de nos collectivités.

Aujourd'hui, mon exposé portera sur deux points qui sont liés l'un à l'autre et j'espère que nos remarques aideront le comité dans son étude des questions complexes et difficiles auxquelles il est confronté.

Le premier point a trait à l'appui du public à la Loi sur les jeunes contrevenants et au système de justice pour les jeunes. Comme je l'ai déjà dit, ce système n'a peut-être jamais inspiré si peu de confiance. La LJC, surtout, suscite la controverse. Les analystes continuent à faire remarquer que le manque de confiance du public est en partie dû à l'isolement de la collectivité par rapport au fonctionnement du système de justice pour les jeunes.

Pour essayer de lutter contre le crime dans notre pays, on a consacré des sommes sans précédent, au cours de ces dernières années, à la police, aux tribunaux et aux prisons. De plus en plus, la justice criminelle s'est éloignée de la collectivité et est passée aux mains de professionnels qui travaillent pour l'État afin d'appliquer la loi, de maintenir l'ordre et d'exécuter des mandats correctionnels.

Il est pourtant clair que ces dépenses n'ont pas réduit le taux de criminalité. Les citoyens et diverses institutions dans le domaine de l'éducation et dans celui de la santé mentale et du bien-être des enfants sont en fait encouragés à abdiquer leurs rôles et leurs responsabilités dans la lutte contre le crime. On considère qu'ils ne font pas partie du continuum communautaire nécessaire pour le maintien de la justice.

Il ne reste donc plus que le système judiciaire pour s'occuper des problèmes sociaux complexes que créent les actes criminels. Plusieurs études ont confirmé que lorsque les citoyens comprennent les réalités et les contraintes auxquelles est confronté ce système dans la lutte contre le crime, ils deviennent plus favorables à des méthodes de remplacement économiques de réduction et de prévention du crime.

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Éduquer le public et l'associer à la conception et à la mise en oeuvre responsables des programmes judiciaires devient le point de départ nécessaire à l'amélioration de la confiance du public. L'article 69 de la Loi sur les jeunes contrevenants prévoit précisément un mécanisme de formation de comités de justice pour les jeunes. Pourtant il n'y a pas eu beaucoup de partisans de la mise en oeuvre de ces dispositions.

Pour créer un corps de bénévoles équilibré et efficace, il faut investir de l'argent et mobiliser le public. Ce n'est pas en facilitant la participation des citoyens, d'organismes et d'institutions non correctionnels ainsi que le recours à la justice et à la sécurité communautaires que l'on obtiendra des résultats à court terme ou une solution rapide au problème que pose le crime. Cela encouragera cependant la tolérance et la participation à l'élaboration de solutions durables et économiques pour éliminer les facteurs déterminants de la délinquance - la pauvreté, l'analphabétisme, les maladies mentales et la violence, pour n'en nommer que quelques-uns - et cela influera indiscutablement sur la sécurité à long terme.

Mon second point a trait à la manière dont le Canada a décidé d'investir des ressources limitées dans l'amélioration de la sécurité communautaire. Contrairement à ce que croit le public, la Loi sur les jeunes contrevenants a été beaucoup plus sévère à l'égard de ceux-ci que celle qui l'avait précédée, la Loi sur les jeunes délinquants. Plus de jeunes sont mis en accusation pour des actes criminels, en dépit de la stabilité relative du nombre de crimes signalés. Plus de jeunes sont mis sous garde en attendant de passer en jugement et plus de jeunes sont incarcérés, en dépit du fait qu'environ 80 p. 100 des crimes commis par eux sont de nature non violente.

Le Centre canadien de la statistique juridique a récemment annoncé que depuis 1990-1991, le nombre de jeunes mis sous garde avait augmenté graduellement chaque année de 20 p. 100 au total. On peut en conclure que le Canada suit l'exemple des États-Unis et a recours à l'incarcération comme stratégie principale de promotion de la sécurité communautaire. Étant donné que moins de1 p. 100 de tous les crimes commis par les jeunes sont des crimes de violence, y compris le meurtre et l'agression sexuelle, comment peut-on justifier logiquement et financièrement qu'on dépense 100 000$ par an pour incarcérer quelqu'un ou qu'on envisage d'incarcérer 99 p. 100 des jeunes alors qu'ils n'ont pas commis ce type de crime?

C'est un point qui est peut-être plus facile à comprendre lorsqu'on se pose la question suivante: Si nous disposons de 2 millions de dollars pour améliorer la sécurité, faut-il incarcérer 20 jeunes non violents au prix d'environ 100 000$ par an, ou est-il possible d'investir dans des programmes d'intervention qui nous permettront de nous occuper de six ou sept jeunes de 12 ans clairement identifiés comme contrevenants éventuels?

La logique de nos législateurs est un véritable mystère. Il n'a jamais été prouvé que la détention et les sanctions étaient un moyen de dissuasion; pourtant, ces méthodes plaisent au public car elles donnent l'impression que nous savons nous montrer sévères à l'égard des jeunes contrevenants. Pouvons-nous vraiment nous permettre de continuer à investir dans des stratégies de sécurité coûteuses et inefficaces, en particulier lorsqu'il s'agit de contrevenants non violents, alors que cela n'a guère d'effet sur le récidivisme?

Je me réjouis de voir que le projet de loi C-37 exige maintenant que le tribunal envisage d'autres solutions que la détention des contrevenants non violents, de manière à réserver les coûteuses ressources de la justice criminelle à l'intention des contrevenants qui posent le risque le plus grave pour la sécurité. Je doute fort cependant que notre dépendance actuelle à l'égard de la détention diminuera rapidement.

Le public continue à considérer que les formules autres que le placement sous garde est une marque de faiblesse et une façon de ne pas tenir le criminel responsable de ses actes, en dépit du fait que les recherches confirment que quand elles sont bien utilisées, les solutions communautaires permettent de s'attaquer aux facteurs criminogènes dynamiques tels que l'abus d'intoxicants, la fréquentation de certaines personnes ou l'analphabétisme, sont 50 p. 100 plus efficaces contre le récidivisme que le placement sous garde.

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Il faudrait donner la priorité au financement de programmes communautaires bien administrés car ceux-ci devraient être considérés comme un investissement viable dans la sécurité du public. Je reconnais les réalités financières auxquelles notre pays est confronté. Il n'y a pas d'argent frais, ni même de ressources suffisantes pour soutenir le système judiciaire actuel. L'investissement dans des programmes communautaires et l'éducation du public n'est possible que si l'on utilise une partie des fonds consacrés au placement sous garde des jeunes non violents ou si l'on diminue ces dépenses.

Bien que le projet de loi C-37 prévoie d'autres méthodes que le placement sous garde, il est douteux que le public soit favorable à cette nouvelle orientation et l'existence ou la disponibilité de programmes communautaires viables pour l'application des décisions judiciaires est aléatoire. Des efforts pour éduquer le public et pour l'aider à asseoir sur des bases plus solides son opinion à l'égard des réalités complexes actuelles de la criminalité sont absolument indispensables si l'on veut sérieusement réformer le système de justice pour les jeunes. Je vous remercie.

La présidente: Merci beaucoup.

Monsieur Ramsay.

M. Ramsay: Je vous remercie de votre exposé.

Il semble de plus en plus clair que les programmes tels que le vôtre et d'autres programmes avec lesquels nous avons été en contact sont conçus pour remplacer ou au moins assurer la satisfaction des besoins d'enfants dont les familles ne sont pas capables de s'occuper. Autrement dit, il semble que le taux de criminalité chez les jeunes, qu'il augmente, qu'il demeure stable ou qu'il diminue, est un indice de l'échec de la famille dans notre société.

Dans la mesure où nous pouvons renforcer la famille, nous parviendrons peut-être à réduire le taux de criminalité chez les jeunes. Des programmes tels que le vôtre et d'autres programmes dont on nous a parlé aujourd'hui sont vraiment conçus pour permettre d'intervenir lorsqu'il devient évident que la famille n'est plus capable de contrôler ses enfants.

Je vois que vous hochez la tête. Si c'est vrai, votre programme a-t-il pour objet de renforcer les liens familiaux ou se contente-t-il d'intervenir au nom de la famille lorsque le jeune est en difficulté?

Mme Stanowski: Dans ce domaine, notre rôle, qui s'exerce surtout par l'intermédiaire du système d'écoles élémentaires, est d'aider à identifier les individus à risque et leurs familles. Depuis des années, la moitié des membres de ma famille sont, ou ont été des enseignants, je connais donc bien la situation et je peux vous dire que le système scolaire peut aisément identifier ces enfants et leurs familles.

Reste à savoir comment résoudre le problème. Je crois que notre rôle a consisté à essayer d'amener les systèmes scolaires à identifier ces problèmes et nous avons fréquemment joué le rôle d'intermédiaires avec les organismes communautaires appropriés chargés de trouver une solution. Malheureusement, lorsque l'identification se fait sous forme accusatoire, ce qui arrive fréquemment, en particulier lorsqu'il s'agit de cas d'abus, l'intervention appropriée est parfois difficile.

Ce que nous essayons surtout de faire c'est d'encourager le système scolaire en intervenant nous-mêmes, en assistant à des classes et en amenant d'autres jeunes avec nous. C'est ainsi que nous avons le mieux réussi à amener des enfants à reconnaître qu'ils courent des risques et qu'ils le savent, qu'ils vivent dans un milieu familial à problèmes. Que peuvent faire ces enfants pour obtenir de l'aide?

C'est donc là le rôle de soutien que nous jouons. La difficulté, comme beaucoup de vos témoins vous l'ont certainement expliquée, est que le système de soutien, l'infrastructure qui permet vraiment de détecter ces problèmes, est gravement érodé. Des systèmes tels que ceux de santé mentale, d'aide à l'enfance, et bien d'autres, sont rarement appelés à jouer un rôle stratégique et on ne considère pas qu'ils sont vraiment capables d'influer sur des facteurs sociaux qui conduisent manifestement à la criminalité. On considère qu'il s'agit là de systèmes indépendants, qui n'ont rien à voir avec la prévention des crimes.

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Je suis cependant très encouragé par les efforts déployés pour étudier le rôle de l'éducation dans les systèmes de soutien. Je sais que le gouvernement provincial de l'Ontario a l'intention d'investir environ 6 millions de dollars dans des systèmes d'intervention auprès des parents dans le cas des familles qui sont manifestement à risques.

Je n'ai pourtant pas l'impression qu'il existe une stratégie nationale globale. Nous avons pu voir, je crois, le travail effectué par le National Crime Prevention Council. Je ne pense cependant pas que les résultats soient suffisamment concrets pour justifier un investissement. La prévention est une notion tout à fait intangible.

M. Ramsay: C'est une décision très grave pour l'État que de passer outre à l'autorité des parents sur leurs enfants. La tradition veut que, dans la plus grande partie de notre pays, le seul cas où l'État peut intervenir c'est quand une infraction criminelle a été commise. Cela ne couvre pas tous les cas.

Autrement dit, si mon enfant montre par certains signes, à l'école, qu'il a un besoin personnel ou à l'égard de sa famille qui n'est pas satisfait par ses parents, de quel droit et au nom de quelle autorité l'État peut-il actuellement intervenir? Cette intervention doit reposer sur une autorité et des pouvoirs reconnus par les parents, sinon pour obtenir leur coopération, du moins pour agir à leur place.

En vertu de l'ancienne loi sur les jeunes délinquants, lorsqu'un enfant commettait une infraction pénale - il s'agissait uniquement d'infractions pénales - l'État pouvait intervenir. Autrement dit, l'État avait le pouvoir de se substituer à l'autorité traditionnelle de la famille et d'agir de façon légale.

Lorsque cette loi a été remplacée par la Loi sur les jeunes contrevenants, les juges des tribunaux pour enfants ont perdu beaucoup de leurs options de traitement et ils n'ont maintenant pratiquement pas d'autre possibilité que de prononcer une condamnation.

Autrefois, lorsque j'appliquais les dispositions de la Loi sur les jeunes délinquants, c'était toujours le souci du sort de l'enfant qui primait. Les parents étaient toujours convoqués. Je ne me souviens pas d'une seule affaire dont je me suis occupée dans laquelle les parents ne comparaissaient pas avec l'enfant.

Il y avait le souci des parents, le souci de la victime, le souci de l'État pour le bien-être de l'enfant. Il fallait donc tenir compte de toutes ces préoccupations lorsqu'on s'efforçait d'obtenir un changement de comportement qui donnerait satisfaction à la victime et à l'État et obtiendrait l'appui et la coopération de la famille.

Pensez-vous que nous avons perdu tout cela en adoptant le processus plus structuré imposé par la Loi sur les jeunes contrevenants?

Mme Stanowski: Eh bien, je crois que l'autorité devrait être exercée au niveau de la province dans le cadre d'une législation sur le bien-être de l'enfance. Il incomberait alors à chaque province de s'occuper de toutes les questions concernant les enfants de moins de 12 ans. C'est un sujet qui a déjà été longuement discuté. Si vous l'évoquez devant d'autres personnes, vous risquez fort de ne pas sortir vivant de l'épreuve, en particulier si vous êtes partisan du maintien des limites d'âge actuelles prévues par la Loi sur les jeunes contrevenants.

Je crois que cela nous ramène en fait à certains des principes fondamentaux de la Loi sur les jeunes contrevenants, celui d'une responsabilité correctionnelle pour les jeunes de moins de 12 ans. On considère que la législation sur la protection de l'enfance convient pour les interventions qui se font sur «une base non correctionnelle». Encore une fois je crois que ce dont nous parlons c'est de l'allocation de ces ressources aux agences de protection de l'enfance telles que la Société d'aide à l'enfance afin de leur permettre de s'occuper de ces questions de manière responsable.

M. Ramsay: Puis-je vous poser une question directe?

Mme Stanowski: Certainement.

M. Ramsay: La police avait un abondant dossier sur les activités criminelles de ce garçon de11 ans qui était présumé avoir violé une fille de 13 ans. Avec un dossier aussi chargé comment se fait-il qu'il n'y a pas eu d'intervention? L'intervention ne pouvait pas se faire dans le cadre du système de justice criminelle à cause de l'âge minimum fixé en vertu de la LJC. Pourquoi n'y a-t-il pas eu d'intervention appropriée par d'autres organismes soi-disant conçus pour s'occuper de ce genre de situation? Pourquoi a-t-on laissé ce jeune garçon continuer sans contrôle jusqu'à ce qu'il commette cet acte de violence abominable?

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Je prends toujours ce cas comme exemple mais je sais bien qu'il y en a beaucoup d'autres. Je l'utilise parce que c'est un des crimes les plus graves jamais commis par une personne de moins de 12 ans. Où donc étaient l'autorité et les ressources lorsqu'on s'est aperçu qu'on en avait besoin après la deuxième, troisième ou quatrième infraction criminelle commise par cet enfant de 11 ans? Où dont étaient-elles?

Mme Stanowski: Je crois que vous touchez là le fond même du problème. Ce que notre société recherche, c'est une forme d'intervention appropriée. Nous ne perdons pas espoir. Mais c'est vraiment une tragédie.

C'est un exemple très rare, je crois, de crime commis par un jeune de moins de 12 ans. Pourtant, lorsque l'on considère où cet enfant se trouvait à 4 ans ou à 7 ans, j'en arrive à me poser la même question. Dans la plupart des cas, il est facile de voir que ce genre d'enfant a des problèmes. Comme vous le dites, comment pouvons-nous, dans le cadre de la législation sur la protection de l'enfance, exiger que l'on utilise des solutions de rechange communautaires et non correctionnelles, et qu'on mette en place les ressources nécessaires?

M. Ramsay: Avant qu'on ne me coupe la parole, pourrais-je demander...

La présidente: Le temps dont vous disposiez est épuisé.

M. Ramsay: D'après ma montre, il me reste encore une minute.

La présidente: La mienne dit que vous avez utilisé 10 minutes 41 secondes.

M. Ramsay: D'accord.

La présidente: Monsieur Maloney.

M. Ramsay: J'ai l'impression que votre montre va vite, madame la présidente.

La présidente: Il n'y a pas qu'elle qui va vite chez moi.

M. Maloney: L'examen de ces questions permettra peut-être de faire ressortir certaines des préoccupations de M. Ramsay.

Puisque nous parlons d'âge, vous avez fait une longue carrière dans le domaine correctionnel sous deux lois successives, la Loi sur les jeunes délinquants et la Loi sur les jeunes contrevenants.

Mme Stanowski: Oui.

M. Maloney: Toujours à propos d'âge, pensez-vous que nous devrions abaisser le seuil, le laisser tel quel ou trouver un compromis entre les deux niveaux, pour les jeunes de 16 et 17 ans ou pour ceux de 12 ans et moins? Vous avez travaillé dans les deux systèmes.

Mme Stanowski: Oui. J'ai également travaillé dans le système fédéral comme surveillante de liberté conditionnelle et comme directrice d'un centre correctionnel. Lorsque j'étais surveillante fédérale je me suis occupée de jeunes de 16 ans. Je crois l'avoir dit au cours d'une de nos conversations.

Récemment, nous avons eu affaire à quelques cas très isolés de jeunes de moins de 12 ans qui avaient commis ce genre de crimes. Ce sont de véritables tragédies. Je crois que l'idée de fonder des lois sur des tragédies certes regrettables mais isolées, nous fait perdre de vue certains des principes fondamentaux de la Loi sur les jeunes contrevenants.

En fait, ce matin j'ai lu dans le Globe and Mail qu'on proposait de faire preuve d'une certaine souplesse dans les cas très rares où un enfant de 11 ans pourrait être considéré comme criminellement responsable. Je crois que Tony Doob vous en a déjà parlé. La question de la capacité d'avoir une intention criminelle est tout à fait à l'ordre du jour.

Je pense que les chercheurs et votre autre expert pourront vous en dire plus sur la capacité psychologique de ce jeune de concevoir un acte criminel. La tâche de notre organisation est de demander si c'est bien au système correctionnel d'intervenir. Tenons-nous vraiment à prendre cette responsabilité? Tenons-nous vraiment à punir ce jeune de la même manière que nous traiterions un adulte qui aurait une intention criminelle?

Nous avons donc une question très complexe à débattre. Si je comprends bien, vous proposez d'user d'une certaine latitude pour les cas très rares de jeunes de ce genre qui pourraient être traités dans le cadre du système destiné aux jeunes au lieu de l'être par la province, conformément à la législation en vigueur sur la protection de l'enfance.

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Je considère donc qu'en principe, la loi a correctement identifié l'âge de 12 ans comme celui qui «justifie une intervention correctionnelle», ce qui ne veut pas dire nécessairement - comme le faisait remarquer M. Ramsay - que nous ne sommes pas également obligés de voir si notre législation provinciale ne nous permettrait pas d'intervenir de manière pertinente. On ne peut pas donner l'impression à des enfants qu'ils peuvent commettre impunément une infraction pénale grave. Je crois que la manière dont on leur apprendra cette leçon est quelque chose qui mérite d'être soigneusement étudié.

M. Maloney: Nous examinerons aussi la question de la confidentialité, pour savoir si les noms de ces individus devraient être divulgués au public. Qu'en pensez-vous?

Mme Stanowski: J'ai assisté à plusieurs forums de CAVEAT et j'ai travaillé en étroite collaboration avec des membres de ce groupe malgré le fait que nous ne partagions pas toujours les mêmes opinions. J'ai travaillé avec des centaines de délinquants sexuels qui sont retournés dans la collectivité, après une libération d'office ou à la suite d'une décision de la Commission des libérations conditionnelles. L'expérience m'a appris que lorsque l'on publie le nom et la photo de ce genre de personnes, on provoque une véritable hystérie au sein de la collectivité qui ne sait pas toujours ce qu'elle doit faire de cette information.

Cela signifie-t-il que nous voulons que nos enfants sachent qu'un ancien délinquant sexuel vit juste à côté et que nous ne voulons pas que notre enfant descende la rue parce qu'il risque de le rencontrer? Ou tenons-nous vraiment à révéler sa présence à tout le monde et à le pousser à disparaître... Peut-être ira-t-il alors s'embusquer au fond du jardin de quelqu'un, sans que personne ne le sache?

Il est donc très difficile de dire s'il faut donner à la collectivité l'impression qu'elle devrait intervenir dans une question judiciaire telle que celle-ci, alors que c'est manifestement la responsabilité de la police et d'autres autorités.

D'autre part la vague d'hystérie que déclenche la libération d'un délinquant m'inquiète. Je sais qu'en Ontario nous en avons eu plusieurs exemples. Cela a provoqué une violente réaction de la collectivité et a rendu nécessaire...

Ce qu'il faut bien comprendre c'est que 95 p. 100 des peines imposées au Canada se terminent un jour. C'est la situation à laquelle nous avons affaire aujourd'hui. Nous voudrions que dans le domaine de la législation concernant les adultes on prévoie de nouvelles dispositions dès le départ qui permettent d'identifier ce genre de personnes et de les maintenir sous garde s'il n'existe pas d'autres solutions viables.

Notre organisation ne pourrait pas approuver en bonne âme et conscience la libération d'une personne qui présenterait un risque. Je crois que c'est le point que l'on étudie en ce moment même sur le plan juridique. Pourtant, si vous considérez ce à quoi j'ai affaire chaque jour, les réalités de ma tâche, vous constatez que je reçois des appels de la Société de la protection de l'enfance, de groupes de jeunesse, de familles et de mères de jeunes gens qui me demandent ce que je peux faire pour les aider. Ils me demandent si j'ai un lit à offrir à leur jeune délinquant ou à leur enfant qui manifeste des tendances à la pédophilie. Je suis obligée de leur répondre que nous ne disposons d'aucune ressource pour cela.

Si je demandais qu'on me permette de lancer un programme de soins en résidence pour les délinquants sexuels, ouvert à ces jeunes de 14 ans qui manifestent de nettes tendances à la pédophilie, on me dirait d'aller me faire prendre ailleurs, pour ne pas dire les choses plus crûment.

Il existe une double responsabilité. Bien que nous parvenions à identifier plus tôt ces jeunes délinquants sexuels, il existe très peu de possibilités de soutien à une intervention au sein de la collectivité. Voulons-nous donc qu'ils deviennent des délinquants sexuels, des meurtriers, des cas qui font la une des journaux? Pourtant, moi à qui l'on a confié la tâche d'aider à assurer la sécurité, je sais bien qu'il faut disposer du soutien nécessaire pour intervenir grâce à des programmes efficaces, au lieu de garder cet adolescent enfermé mois après mois. Une fois sa peine purgée, il est mis en liberté et il est censé être guéri. Mais le problème, c'est dans la collectivité qu'il s'est produit. Ce n'est pas en prison qu'on pourra le régler.

M. Maloney: Une autre question qui est soulevée de temps à autre est celle de la responsabilité des parents. Pensez-vous que ce soit bon ou mauvais? Si vous pensez que c'est bon, quelle forme d'intervention envisageriez-vous?

Mme Stanowski: C'est une excellente question. Dans un panel constitué avec l'Organisation de Canadiens contre la violence, un agent de police supérieur de Montréal et moi avons parlé des moyens d'obtenir une participation plus active des parents. Fallait-il invoquer l'article précédent de la LJC selon lequel les parents pouvaient être tenus civilement responsables des dommages à la propriété pour lesquels leurs enfants avaient été inculpés ou condamnés?

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La solution proposée par le panel de Montréal - Je crois d'ailleurs que je pourrai vous fournir plus de renseignements à ce sujet - est un programme. Lorsqu'un enfant de 12 à 17 ans est inculpé, en vertu de cet article, la police de Montréal doit écrire aux parents. En dépit de l'absence de mandat pour assister à une séance de counseling parentale, la police leur dit qu'elle veut qu'ils y assistent; elle les encourage à venir; elle leur explique que la famille a besoin de conseils pour résoudre les problèmes de l'enfant. Ce programme a beaucoup de succès car le taux de présence des parents est de 85 à 90 p. 100.

Cette présence est purement volontaire, et je crois que c'est là que nous manquons le coche. Nous pensons que la responsabilité parentale doit être établie en droit alors qu'il y a des moyens de faciliter une participation volontaire plus valable des parents et de les faire ainsi assumer leurs responsabilités.

On vous a déjà parlé, je crois, du modèle néo-zélandais et du conseil de détermination de la peine, qui est le modèle autochtone. Nous sommes partisans de modèles qui facilitent la participation des parents des jeunes contrevenants, celle des victimes et l'utilisation de mécanismes de soutien afin de régler les problèmes sans utilisation d'un processus contradictoire, sans obligation de recours à des mesures correctionnelles.

C'est cela qui m'inquiète. La loi ne peut pas nécessairement exiger que les parents soient tenus responsables. Peut-être que la question de la restitution en droit privé... et pourtant l'assistance juridique pose un encore plus gros problème.

J'ai été nommée au programme d'aide juridique de l'Ontario et nous nous heurtons à un véritable dilemme. En vertu du paragraphe 11(4) de la Loi sur les jeunes contrevenants, le juge peut décider que si un enfant n'est pas représenté par un avocat, il aura droit à une aide juridique gratuite même si ses parents ont suffisamment d'argent pour payer. C'est une erreur fondamentale.

Devrions-nous donc envisager une loi qui, lorsque cela se justifie, oblige les parents à assumer les frais de défense de leur enfant? À l'heure actuelle, je préférerais ce type de disposition plutôt que de porter des accusations contre les parents en cas d'infraction pénale, même si la question civile des dommages et intérêts se pose.

M. Maloney: La remarque que je vais faire a un caractère général. En gros, vous êtes probablement en faveur de cette loi sur les jeunes contrevenants. Y a-t-il des domaines dans lesquels vous pensez que nous avons des problèmes que nous devrions examiner?

Mme Stanowski: Absolument.

Je crois que plusieurs personnes vous ont parlé des questions de mise en oeuvre et je ne vous ennuierai pas en vous donnant trop de détails. Nous étudions des mesures de remplacement. La loi n'est pas utilisée. Son application manque d'uniformité. Certaines provinces sont très en avance sur les autres. Il arrive parfois que des enfants soient obligés de comparaître au tribunal à trois reprises avant qu'on ne leur impose une peine de substitution.

Essentiellement, je pense que les membres de ce comité envisagent de réserver le recours aux tribunaux, qui est très coûteux, pour ceux qui sont coupables des infractions les plus graves. Pourquoi ne pouvons-nous pas invoquer les mécanismes existants, tels que les mesures de rechange, de manière plus cohérente et réfléchie?

Le second point qui m'intéresse est celui des solutions de rechange à l'incarcération: soutien minimal, investissement minimal dans leur existence et leur maintien.

Troisièmement, nous considérons que les conseils aux comités de justice pour la jeunesse pourraient être un moyen fondamental d'amener les citoyens... Je crois que vous avez dit avoir entendu des groupes tels que celui-ci parler de l'adoption d'une loi qui faciliterait la participation à la conception et à la mise en oeuvre de programmes correctionnels à l'intention des jeunes, au lieu de se contenter de supposer que le système réussira tout seul à résoudre le problème. Il faut que nous nous assurions de la participation de la collectivité et des citoyens afin qu'ils puissent dire qu'ils jouent un rôle dans l'élaboration des solutions.

Voilà donc les trois domaines où il y a des problèmes à régler: en vertu du projet de loi C-37, les solutions de rechange à l'incarcération pour les jeunes non violents; l'article 69; et bien sûr, la possibilité d'utiliser des mesures de remplacement originales, des mesures de déjudiciarisation si vous préférez, qui nous permettront de nous occuper des jeunes non violents, qui représentent 80 p. 100 du total.

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La présidente: Merci, madame Stanowski, de votre exposé.

Mes chers collègues, les audiences sont terminées pour aujourd'hui. La séance est levée.

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