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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 13 juin 1996

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[Traduction]

La présidente: La séance est ouverte.

Je souhaite la bienvenue à M. Bruce Phillips, commissaire à la protection de la vie privée du Canada, à Holly Harris, conseillère juridique et à Julien Delisle, directrice exécutive.

Selon la formule consacrée, après votre exposé nous vous poserons des questions. C'est assez simple. Vous avez la parole.

M. Bruce Phillips (commissaire à la vie privée du Canada): Merci beaucoup, madame la présidente.

M. Ramsay (Crowfoot): Excusez-moi de vous interrompre, madame la présidente, mais je voudrais soulever un point qui aurait dû être traité plus tôt.

La présidente: Certainement.

M. Ramsay: Je voudrais, si vous me le permettez, déposer une lettre que nous a adresséeM. Michael Drapeau, datée du 10 juin 1996.

La présidente: Il s'agit de la lettre qui a été transmise au comité et sur laquelle M. McClelland a fondé ses questions. Êtes- vous d'accord pour qu'elle soit déposée?

Des voix: D'accord.

La présidente: Bien. Elle peut donc être déposée.

M. Ramsay: Merci.

La présidente: Nous ne vous interromprons plus, monsieur Phillips.

M. Phillips: Il n'y a pas de problème, madame la présidente. Rien ne me surprend.

La présidente: Ne vous avancez pas trop. Passez-moi mes notes.

M. Phillips: Tout d'abord, je tiens à vous exprimer mes vifs remerciements. Il est bien rare que nous ayons le plaisir de comparaître devant votre comité. Je note que la plupart de ses membres ont changé depuis ma dernière comparution. Je suis heureux de faire la connaissance des membres présents aujourd'hui.

Comme c'est la première fois que je les rencontre, je voudrais faire quelques remarques générales au sujet de la protection de la vie privée, si vous me le permettez. Je voudrais expliquer ce qu'elle représente exactement et ce que nous faisons.

Premièrement, je voudrais enchaîner sur ce que disait le témoin précédent et essayer de vous expliquer la différence entre la notion de protection de la vie privée et l'accès aux documents du gouvernement.

La présidente: J'allais vous poser la même question que j'avais posée pour terminer à ce témoin, mais si vous voulez en parler vous-même, je suis tout à fait d'accord.

M. Phillips: La Loi sur la protection de la vie privée et la notion de protection des renseignements personnels ne sont pas le pendant des dispositions régissant l'accès aux documents du gouvernement. Les deux lois ne sont pas les deux faces d'une même médaille, et c'est normal. En vue d'accroître notre efficacité, M. Grace et moi-même partageons des locaux. Le Conseil du Trésor a déjà examiné cette question et a décidé que la fusion des deux commissariats permettrait, tout au plus, de réaliser des économies insignifiantes et que cela ne justifiait pas la perte d'importance, aux yeux du public, de l'un ou de l'autre, à la suite de cette fusion.

Le comité d'examen avait déjà étudié la question en 1987. Le ministère de la Justice avait alors déclaré que ce ne serait pas une bonne idée. Tous les commissaires à la protection de la vie privée provinciaux que je connais, jouent les deux rôles parce que leur juridiction est moins étendue, et ils sont hostiles à une séparation des deux commissariats à l'échelon fédéral. La protection de la vie privée touche en fait à tous les domaines de notre existence. Il s'agit d'un droit fondamental qui s'exerce à presque tous les niveaux de la société et dans pratiquement tous les domaines. Par contre, lorsqu'il s'agit de l'accès aux documents généraux du gouvernement, une seule question se pose, celle de savoir s'il sera accordé ou non.

Il ne s'agit alors pas des questions sociétales que soulève la protection de la vie privée dans un monde dominé par une technologie à l'évolution très rapide - des questions telles que les sciences biomédicales, la génétique, par exemple, le dépistage de la consommation de drogues, ou tout ce qui touche aux droits des criminels ou des détenus mis en liberté et au respect de leur vie privée. Il existe des dizaines et des dizaines de questions sociétales qui doivent être examinées par une organisation accoutumée à penser de la sorte.

L'autre point que je tiens à préciser est le suivant: il arrive fréquemment que nous ne soyons pas d'accord, et que le commissaire à l'information et le commissaire à la protection de la vie privée sont des ombudsmen. Nous ne prononçons pas d'arrêts exécutoires. Personnellement, je n'y tiens d'ailleurs pas du tout. J'estime que l'approche de l'ombudsman est beaucoup plus efficace. Elle permet d'économiser beaucoup d'argent car, dans bien des cas, elle évite le recours au tribunal.

Je ne vois pas comment un ombudsman pourrait porter deux chapeaux à la fois. Vos dossiers regorgent de déclarations de mon prédécesseur à ce poste qui disait exactement la même chose.

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À mon avis, cette idée de fusion présente de très graves inconvénients. J'espère que le gouvernement n'y donnera jamais suite. Je voudrais cependant en venir maintenant à certaines des questions que nous avons à examiner.

La vie privée est cette valeur que l'on retrouve au coeur de la liberté d'un État moderne. C'est une valeur essentielle à une bonne compréhension de ce qu'est l'autonomie et la liberté personnelle. C'est notre droit de contrôler ce que les autres individus savent à nos sujets. En fait, la Cour suprême a elle-même décidé qu'en vertu des dispositions de la Charte relatives aux perquisitions et aux saisies, c'est une valeur qui constitue un droit fondé sur la Charte.

Par exemple, la vie privée est une valeur menacée lorsque vos noms et adresses sont vendus sans que vous ne le sachiez ou y consentiez. Elle l'est aussi lorsqu'une entreprise commerciale telle qu'une banque regroupe vos renseignements personnels liés à vos comptes, à vos prêts personnels, cartes de crédit et cartes de débit dans une banque de données sans que vous en soyez averti. Votre vie privée est en danger lorsque des gouvernements et des entreprises installent un peu partout des caméras, dissimulées ou non, ou encore exigent que vous fournissiez des échantillons de sang, d'urine ou autre pour dépistage, ou créent d'énormes registres ou bases de données sous des prétextes banals, puis cèdent parfois à la tentation de les utiliser à d'autres fins.

De nos jours il est presque impossible de lire un journal sans y découvrir des questions relatives à la vie privée. Dans le journal d'aujourd'hui, il y en a deux ou trois. Laissez-moi vous donner quelques exemples.

Un ordinateur récemment vendu aux puces recélait les dossiers médicaux de plusieurs personnes. Une femme a trouvé des dossiers d'immigration contenant des radiographies et des renseignements médicaux dans un dépotoir de Winnipeg. Des vidéocassettes clandestines enregistrées dans des pénitenciers circulent dans le public. L'affaire est bien connue. Vous savez aussi que l'agglomération urbaine de Toronto a proposé d'intégrer leurs empreintes digitales dans les cartes d'identité des assistés sociaux et que le Québec a annoncé dans son budget qu'il fouillera toutes les bases de données gouvernementales afin de dépister les fraudeurs fiscaux; sans oublier les pharmacies qui vendent des dossiers d'ordonnances à des compagnies pharmaceutiques.

Ce n'est là qu'un très petit échantillon des problèmes de protection de la vie privée que nous avons relevés récemment dans la presse quotidienne. Tout n'est pas nécessairement mauvais là- dedans, mais cela montre bien l'extrême diversité des changements technologiques et leur impact considérable sur notre mode de vie ainsi que sur notre vie privée.

Au cas où cela vous aurait échappé, l'Ontario a provoqué des tollés lorsqu'il a présenté son projet de cartes à puces intégrant le permis de conduire, les renseignements relatifs au bien-être social et la carte d'assurance-maladie. Selon le ministre responsable - j'espère, dit-il, que le public ne sera pas trop furieux contre moi en Ontario - cette carte permettra de mieux contrôler l'utilisation du système par le public, et je cite, «comme Visa ou Master Card qui sont capables de dire où vous étiez il y a une heure et combien vous avez dépensé», le ministre ajoute, «Ce serait un net progrès pour la gestion de notre système de santé en Ontario»... Pour un commissaire à la protection de la vie privée, c'est au contraire un grand pas en arrière pour l'autonomie et la liberté.

Il est bon que vous sachiez que la protection de la vie privée est en train de devenir rapidement une des priorités au calendrier des questions qui intéressent la population et les électeurs canadiens. Nous venons de participer à une grande enquête sur la question. Un certain nombre d'autres enquêtes ont également été effectuées par des groupes tels que Equifax, l'énorme agence d'évaluation du crédit. Toutes ces enquêtes parviennent aux mêmes conclusions, à savoir que le public éprouve un profond malaise devant ce qui se passe dans la société d'information, qu'il ressent le besoin d'une protection juridique plus forte et qu'il compte sur le gouvernement du Canada pour fournir cette protection.

Si le comité souhaite consulter ces études, nous serons heureux de les lui fournir. Je crois d'ailleurs que nous en avions remis une au comité lors de ma dernière comparution.

En outre, les entreprises privées et les défenseurs de la vie privée tels que nous sont aussi de plus en plus favorables à une intervention du gouvernement du Canada. Par exemple, l'Association canadienne du marketing direct a récemment pris nettement position en faveur d'une initiative du gouvernement fédéral dans le domaine de la réglementation de la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, car cette association estime que des règles de jeu équitables sont indispensables. L'Association canadienne de normalisation a récemment collaboré avec un grand nombre d'organisations des secteurs public et privé à la rédaction d'un code de protection de la vie privée qui ferait une excellente loi.

D'autres facteurs importants militent en faveur d'une intervention immédiate du gouvernement.

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À cet égard, je rappelle aux membres de ce comité qu'il y a un mois et demi à peine, le gouvernement a annoncé son intention de rédiger un texte législatif destiné à étendre l'application de la loi sur la protection des renseignements personnels au secteur privé.

Comme je l'ai dit l'autre jour devant un comité, c'est peut- être l'événement le plus important dans le domaine de la protection de la vie privée depuis une décision similaire du Québec, il y a quelques années - en tout cas, depuis la création de mon commissariat et probablement dans toute l'histoire de notre pays - car cela marquerait la première étape conduisant à un régime où tous les Canadiens, où qu'ils vivent et quelles que soient leurs activités, jouiraient de la même protection de leur vie privée.

Autre question qui intéresse ce comité... J'attire votre attention sur ce point car vous êtes le comité par l'intermédiaire duquel mon commissariat doit signaler au Parlement les questions que nous jugeons important qu'il connaisse. Tout d'abord, il y a la conséquence involontaire, j'en suis sûr, mais néanmoins très importante, des mesures de réduction des effectifs et de privatisation prises par le gouvernement.

Une des retombées de cette privatisation est la perte possible des droits de milliers de fonctionnaires dont ceux-ci jouissent actuellement en vertu de la Loi sur la protection de la vie privée. Ce qui est encore plus important, c'est que cette loi ne protégera plus des millions de documents contenant des renseignements personnels actuellement produits dans le cadre des activités de gouvernement mais qui le seront à l'avenir par des organisations du secteur privé.

Un des exemples que je cite, et il y en a bien d'autres, mais c'est un cas dans lequel je me suis efforcé d'intervenir, est le transfert imminent du contrôle des mécanismes de la circulation aérienne du ministère des transports à une société privée. Cette mesure aura des répercussions sur quelque 6 000 employés fédéraux qui jouissent actuellement de tous les droits prévus par la Loi sur la protection de la vie privée mais qui vont les perdre. La société concernée a donné certaines assurances, mais elles ne sont pas légalement obligatoires.

Deuxièmement, des millions de données de trafic, dont une grande partie sont constituées par des renseignements tout à fait personnels sur les déplacements des Canadiens, cesseront d'être couverts par la Loi sur la protection de la vie privée.

Plus le gouvernement persistera dans cette voie, plus il y aura de renseignements qui cesseront d'être couverts par cette loi.

Si le gouvernement introduit effectivement un projet de loi complet et efficace, cela permettra peut-être de résoudre le problème. Mais nous ne savons pas encore quel genre de projet de loi il va présenter. Entre-temps, la réduction des effectifs et la privatisation se poursuivent.

Il y a une solution simple dans chaque cas. Elle consiste à inclure dans les projets de loi autorisant ces réductions d'effectif une clause qui, en vertu de la Loi sur la protection de la vie privée, rend la société responsable de la gestion de l'information qu'elle détient, de la même façon que le projet de loi sur NAVCAN, impose le respect des dispositions de la Loi sur les langues officielles. Ce n'est pas particulièrement difficile à faire. Il est donc bon que vous le sachiez.

Nous suivrons également un certain nombre d'autres initiatives importantes du gouvernement: la tenue de la liste électorale permanente, l'évolution des dispositions légales concernant le droit de la police de recueillir des échantillons d'ADN dans le cadre des analyses judiciaires et la question de la divulgation au public des casiers judiciaires de personnes en liberté anticipée ou en liberté conditionnelle. Nous suivons toutes ces questions et nous vous présenterons volontiers nos commentaires à leur sujet si vous le souhaitez.

Je voudrais conclure cette brève déclaration par une observation sur une situation déplorable. C'est un appel que je lance au comité. Il y a deux ans, je lui avais signalé la situation financière déplorable du Commissariat à la protection de la vie privée. À l'époque, j'avais parlé d'anorexie financière mais je crois que ce terme n'est plus assez fort aujourd'hui.

La présidente: Je demande à tous ceux qui ont des téléphones cellulaires de cesser de les utiliser. C'est très impoli à l'égard de nos témoins et des membres du comité.

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M. Phillips: Merci, madame la présidente.

Je crois que cette observation était une litote. On nous avait demandé de vous fournir un document pour illustrer la situation au commissariat, ce que nous avions fait à l'époque. En fait, nous avons utilisé tous les moyens normaux pour obtenir un soutien financier du Conseil du Trésor. Il ne nous reste plus qu'à nous présenter devant lui une sébile d'une main et de l'autre, un mouchoir pour essuyer nos larmes. Croyez-moi, si c'est nécessaire, je suis prêt à le faire.

L'an prochain, notre budget de fonctionnement sera de 100 000$. Un des principaux avantages qu'offre le droit d'enquêter sur une plainte est qu'il permet à nos enquêteurs d'aller de temps en temps faire leur travail sur place. Dans presque tous les cas, nous avons été obligés d'accepter ce que nous disaient les ministères, lorsqu'il s'agissait d'une plainte en dehors d'Ottawa. Nous n'avons pas de ressources suffisantes pour envoyer nos enquêteurs sur place. Inutile de vous dire l'effet que cela peut avoir sur la crédibilité d'une enquête.

La raison pour laquelle nous sommes si pauvres est historique. Lorsque le commissariat a été créé, l'administration de l'époque considérait comme une vertu - et je l'en félicite d'ailleurs - d'avoir une organisation qui demeurerait le plus fidèle possible au régime minceur. Le Commissariat n'a pas grossi mais il lui a été bien sûr impossible d'absorber le volume de travail croissant.

Le nombre des cas que nous traitons croît de manière presque exponentielle. Depuis que j'ai pris mon poste, il augmente de 10 p. 100 par an. Entre-temps, nos ressources ont continué à diminuer. Nous sommes une organisation qui réagit aux plaintes. Nous n'avons aucun contrôle sur le volume des plaintes. La loi nous oblige à faire enquête sur celles qui nous sont soumises. Pour faire ce travail, nous avons besoin de ressources suffisantes, ce qui n'est pas le cas. Nous avons le plus petit budget de fonctionnement de tous les organismes fédéraux.

Je tiens donc à vous dire que si le Parlement s'intéresse à ce que nous faisons, si votre comité s'y intéresse aussi - et je crois que c'est le cas - vous ferez, je l'espère, remarquer à qui de droit que le commissariat a désespérément besoin que ceux qui tiennent les cordons de la bourse se montrent plus généreux à l'égard d'un organisme qui défend un droit fondamental des Canadiens.

La présidente: Merci. Monsieur Ramsay, vous avez dix minutes.

M. Ramsay: Monsieur Phillips, je vous souhaite la bienvenue, à vous et à vos collaborateurs.

J'ai devant moi une lettre de plainte qui dit ceci:

Pouvez-vous me répondre?

M. Phillips: Certainement, monsieur Ramsay. Je suis parfaitement au courant de la situation - du moins je le crois - à laquelle vous faites allusion. Il y a dans notre pays une organisation qui s'efforce d'aider les victimes d'actes criminels. C'est bien de cela que nous parlons?

M. Ramsay: Je crois que oui.

M. Phillips: Cela nous intéresse beaucoup car en ce moment, il est très important de savoir dans quelle mesure quelqu'un qui a eu affaire au système de justice pénale est tenu de laisser exposer sa vie privée.

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C'est une organisation importante. Nous avons demandé de la rencontrer parce que nous nous intéressons à son point de vue sur la question. Tout ce que nous essayions de faire était d'obtenir son avis sur certains de ces points.

Nous discutons de questions relatives à la protection de la vie privée avec de nombreuses organisations. Personne n'a le monopole de la sagesse lorsqu'il s'agit de régler de telles questions. Bien souvent, il s'agit simplement d'un équilibre entre le droit de l'individu et le bien de la société.

Nous souhaitions avoir l'opinion de cette organisation sur certaines de ces questions et c'est la seule raison pour laquelle nous avions demandé de rencontrer ses représentants.

M. Ramsay: Le passage de la lettre que je viens de lire indique-t-il que l'organisation s'est trompée sur vos intentions?

M. Phillips: Oui.

Excusez-moi, je ne voulais pas vous interrompre.

M. Ramsay: L'auteur de la lettre ajoute ceci:

Est-ce exact?

M. Phillips: Je n'ai pas assisté à cette rencontre. Un de mes collaborateurs y était présent et je ne peux donc pas attester l'exactitude des mots utilisés. Mais j'ai effectivement posé la question.

La réponse a été négative, ce n'était pas l'objet de notre rencontre.

Il est possible que cela soit ressorti dans un certain contexte mais je ne mettrais pas la main au feu.

Je sais quel était l'objet de la rencontre. Je sais pourquoi nous voulions parler aux représentants de cette organisation: c'était pour qu'ils nous disent s'ils acceptaient de nous parler, ce qu'ils pensaient des questions touchant à la protection de la vie privée, des droits des victimes et des droits des personnes qui ont affaire au système judiciaire. Voilà la raison de notre visite.

C'est une question dont nous parlons à toutes sortes d'organisations. Nous n'étions pas venus là pour intimider qui que ce soit.

J'avoue être surpris que quelqu'un refuse l'occasion de dire à des membres de notre commissariat ce qu'ils pensent de ces questions. Notre représentant a littéralement été mis à la porte.

M. Ramsay: Quel était donc exactement l'objet de la rencontre?

M. Phillips: Essayer de comprendre ce que pensent de la protection de la vie privée des personnes qui se considèrent comme victimes de crimes de violence ou les personnes qui les représentent. C'était le seul objet de la rencontre.

Une des questions vraiment importantes qui se posent actuellement est la façon de traiter le problème de confiance du public à l'égard du système de justice pénale lorsque des personnes qui ont commis des crimes de violence réintègrent la société. Quels droits de telles personnes devraient-elles conserver? Quelle garantie de sécurité personnelle le public peut-il exiger? C'est une question sur laquelle une organisation telle que celle dont nous parlons devrait avoir des observations intéressantes à faire et nous serions heureux de les entendre.

M. Ramsay: Lorsque Mme Torsney a posé une question similaire à un autre témoin, celui-ci a répondu que l'on ne tient pas compte des raisons pour lesquelles des renseignements sont demandés. Le commissariat partage-t-il cette opinion?

M. Phillips: Quand nous recevons une plainte, nous ne cherchons en effet pas à en connaître le motif; nous examinons la plainte elle-même.

M. Ramsay: Vous ne vous souciez donc pas des motifs de la demande?

M. Phillips: Nous nous intéressons à ce que ces organisations pensent de ces questions.

M. Ramsay: Mais vous intéressez-vous au motif? Le motif joue- t-il un rôle dans votre décision concernant la divulgation de renseignements?

M. Phillips: Le motif de cette organisation a déjà été rendu public, monsieur Ramsay. Elle a déclaré dans un document que j'ai lu que si elle cherche à obtenir des renseignements du Service correctionnel du Canada c'est pour aider les victimes d'actes criminels. L'organisation l'a déclaré publiquement.

M. Ramsay: Ce n'est pas exactement ce que je vous ai demandé. En règle générale, tenez-vous compte du motif du requérant avant de décider si vous allez divulguer l'information?

M. Phillips: Je crois que vous ne comprenez pas tout à fait le système. Ce n'est pas moi qui décide si l'information peut-être divulguée, c'est l'institution elle-même. Toutes les divulgations de renseignements à des organisations de ce genre par le Service correctionnel du Canada sont faites en vertu de l'alinéa 8(2)m) de la Loi sur la protection de la vie privée, qui donne au Service correctionnel du Canada le droit de décider quand l'intérêt du public l'emporte sur le souci de la protection de la vie privée. C'est donc l'organisme lui-même qui décide, pas moi.

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Ce n'est donc pas moi, mais c'est le Service correctionnel du Canada qui tient éventuellement compte du motif.

M. Ramsay: Lorsque vous recevez une plainte ou une observation à ce sujet, on ne tient donc absolument pas compte des raisons pour lesquelles on peut demander des renseignements à un ministère fédéral ou autres. Selon vous, le motif de la demande n'entre pas en jeu.

M. Phillips: Je n'ai absolument rien à voir avec la décision de divulguer l'information. Je n'ai donc pas à m'intéresser à la transaction entre le demandeur et le Service correctionnel du Canada. Je m'intéresse plus à ce que ces gens-là pensent des questions générales qui entrent en jeu.

M. Ramsay: C'était donc l'objet de la visite à cette personne?

M. Phillips: Oui.

M. Ramsay: C'est tout, madame la présidente...

La présidente: Madame Torsney.

Mme Torsney (Burlington): Est-ce un lieu commun de dire que toute l'importance de la protection de la vie privée est très sous- estimée dans la société canadienne? Par exemple, lors du récent changement de gouvernement en Ontario, beaucoup de gens disaient que les dossiers des députés auraient dû être remis à la nouvelle personne au pouvoir, que tous les documents auraient dû lui être remis.

Je me souviens d'avoir pensé à l'époque que ces députés avaient sûrement droit à ce que les renseignements les concernant soient protégés. En vous écoutant parler des divers ministères et de l'opération de privatisation, je me demande si les gens comprennent vraiment toutes les questions liées à la protection des renseignements personnels et de la vie privée.

M. Phillips: Il est certain qu'il serait bon que le public comprenne mieux ces questions. Il me semble d'ailleurs que l'invasion croissante de la vie privée par la technologie l'oblige à mieux les comprendre.

Oui, vous avez raison. Votre collègue, M. MacLellan, à une réunion de comité à laquelle j'ai comparu mardi, déclarait que le public n'a aucune idée des manipulations auxquelles sont soumis les renseignements personnels. Il a absolument raison. En fait, l'énorme circulation de renseignements personnels s'effectue dans la majorité des cas sans que les personnes concernées ne le sachent ni n'y consentent. La principale exception à cette règle est celle des cas concernant le gouvernement du Canada, qui a établi une Loi sur la protection de la vie privée donnant certains droits aux gens, sans compter des lois analogues qui existent dans la plupart des provinces.

Sauf dans le cas de l'information détenue par le gouvernement, il n'existe cependant pratiquement aucune réglementation concernant l'utilisation des renseignements personnels. C'est pourquoi - pour prendre un exemple simple, presqu'un cliché - lorsque vous vous abonnez à une revue, vous êtes brusquement inondé d'autres sollicitations. Les renseignements que vous aviez fournis pour vous abonner ont été vendus à d'autres et utilisés par eux sans que vous le sachiez ni que vous y consentiez.

Mme Torsney: Ce qui est intéressant, c'est que je crois que les gens comprennent maintenant beaucoup mieux ces histoires d'abonnement, mais ils ne comprennent pas encore que lorsqu'ils remplissent des formulaires de concours pour des loteries, la plupart des organisations qui recueillent ces renseignements les vendent à d'autres. Je suis profondément surprise de voir combien de personnes n'en ont pas la moindre idée, ne se rendent pas compte que c'est le but poursuivi. Ces organisations essaient de se constituer une liste d'adresses grâce aux personnes qui s'intéressaient au produit qui faisait l'objet de la loterie.

M. Phillips: Je regrette que tout le monde ne voie pas les choses aussi lucidement que vous, madame Torsney, car vous avez absolument raison. L'ingéniosité des distributeurs n'a pas de limite lorsqu'il s'agit de trouver de nouveaux moyens de recueillir des renseignements auprès d'un public sans méfiance.

Mme Torsney: Cela permettrait peut-être de réduire le nombre de mes concurrents pour l'obtention du prix. Je plaisante.

Vous avez soulevé la question des transports et de la privatisation du contrôle de la circulation aérienne. Lorsque vous téléphonez pour savoir si quelqu'un est à bord d'un avion et qu'on refuse de vous fournir le renseignement, est-ce pour des raisons de sécurité ou de protection de la vie privée? Est-ce vous qui décidez de ce qu'un agent peut me répondre lorsque je lui demande si vous étiez à bord du vol de 15 h, cet après-midi? Je ne sais pas s'il vous est déjà arrivé d'essayer d'aller chercher vos parents à l'aéroport après avoir oublié l'heure de leur arrivée. Lorsque vous téléphonez et que vous dites que vous croyez qu'ils sont sur le vol de Tampa qui doit arriver à 15 h, on vous répond qu'on ne peut pas vous donner le renseignement.

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M. Phillips: C'est exact.

Mme Torsney: Est-ce à cause de la Loi fédérale sur la protection de la vie privée?

M. Phillips: Pas dans le cas des compagnies aériennes car, pour le moment, elles ne sont pas assujetties aux dispositions de cette loi. Mais s'il s'agissait d'un plan de vol... Imaginez que vous êtes pilote privé et que vous déposez un plan de vol, une fin de semaine, pour vous rendre d'Ottawa à une autre destination, pour des raisons que vous préférez garder secrètes. Il s'agit là de renseignements d'ordre personnel qui seraient couverts par la Loi sur la protection de la vie privée puisqu'il s'agirait d'une information produite dans le cadre du système de collecte de renseignements fédéraux. Voilà la différence.

Mme Torsney: En ce qui concerne les documents ou plutôt, les listes électorales permanentes... Si seulement nous avions les dossiers!

On a évoqué le cas de femmes qui ont été victimes d'actes de violence, qui se cachent et qui ont peur de leurs anciens compagnons, si c'est bien le mot. On dit qu'elles refusent de se faire inscrire sur des listes même temporaires. Comment résoudre le problème? Une liste électorale permanente présente beaucoup d'avantages. Que faire? Avons-nous trouvé des moyens d'apaiser les craintes de ces femmes?

M. Phillips: Il serait sans doute bon que vous en parliez au directeur général des élections. Je vais vous dire ce que je sais de la question.

La liste électorale permanente conçue dans le cadre du plan déjà soumis à la Chambre ne rend l'inscription obligatoire pour personne, ce dont je me réjouis. Dans notre pays, nous n'obligeons pas les gens à voter et nous ne les contraignons donc pas non plus à se faire inscrire sur nos listes permanentes s'ils ne veulent pas.

Quels moyens peuvent-ils donc utiliser pour éviter de se faire inscrire? Je crois comprendre que M. Kingsley a l'intention d'établir cette liste électorale en recourant à la méthode traditionnelle de recensement et en tenant ensuite la liste à jour grâce à diverses méthodes dont je serai heureux de vous parler car je ne suis pas totalement d'accord avec elles. Je présume que pour le moment vous n'êtes pas obligé de vous faire recenser si vous ne le désirez pas.

Si vous découvrez plus tard que votre nom figure sur une liste électorale et que vous ne voulez pas qu'il y apparaisse, M. Kingsley prévoit une option de retrait. Il faudra alors que vous disiez au directeur général des élections que vous voulez être radié de la liste, ce qui sera fait.

Mme Torsney: Vous vous occupez uniquement des ministères fédéraux, mais qu'en est-il des industries sous réglementation fédérale telles que les banques, dont vous avez déjà parlé?

M. Phillips: Elles ne sont pas assujetties aux dispositions de la Loi fédérale sur la protection de la vie privée.

Vous soulevez cependant là un point intéressant et j'espère que la loi s'appliquera à ces industries. L'examen de la Loi sur la protection de la vie privée effectué par le comité de la justice en 1987 recommandait des changements importants au mandat du commissariat. Le premier visait l'inclusion des sociétés d'État qui sont actuellement dispensées de l'application de la loi et le second concernait l'extension des dispositions de la loi aux entreprises privées sous réglementation fédérale.

Mme Torsney: Le seul autre point que je tenais à vous signaler, si nous abordons le cas des sociétés d'État, est le suivant. Je ne sais pas si vous savez qu'aux États-Unis il y a des gens qui détournent le courrier d'autres personnes vers des boîtes postales privées?

M. Phillips: J'ai effectivement vu cela.

Mme Torsney: Nous n'avons sans doute pas le même genre de problème au Canada, mais nous devrions peut-être poser la question à la Société canadienne des postes.

M. Phillips: Oui.

Mme Torsney: Cela soulève la question de la protection des renseignements personnels, non?

M. Phillips: Oui, en ce sens que cela revient à s'approprier de renseignements concernant une autre personne à une fin autre que celle qui était prévue au départ par la poste. Oui, effectivement, mais ce serait surtout une question d'application de la loi.

Mme Torsney: Il s'agit d'une fraude.

M. Phillips: Effectivement.

Mme Torsney: Lorsque j'ai vu ce programme, j'ai été profondément surprise de constater la quantité de renseignements qui avaient pu être extraits du courrier des gens et l'étendue des manipulations - récupération des fonds de fiducie établis pour les futures études universitaires des enfants; transfert d'achats d'actions, et j'en passe. C'était absolument phénoménal - visas, etc., etc. L'information qui circule dans nos systèmes postaux pourrait être une catastrophe pour certains... Il y a là des gens qui ont littéralement perdu leur identité, depuis leur permis de conduire jusqu'à leur carte de crédit et tout le reste. C'est absolument fantastique.

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M. Phillips: Oui, c'est une incroyable atteinte à la vie privée.

Mme Torsney: Vous nous avez certainement donné matière à réflexion. Je ne sais pas si la Loi sur la protection de la vie privée doit bientôt être examinée, mais cela m'intéresserait beaucoup.

M. Phillips: Je peux vous dire que le ministère de la Justice envisage de modifier la loi.

Mme Torsney: Très bien.

Si nous ajoutons d'autres responsabilités, il faudra certainement que vous vous débarrassiez de ce problème d'anorexie.

M. Phillips: En effet.

Mme Torsney: Sans minimiser pour cela l'importance de l'anorexie.

La présidente: Il reste encore deux ou trois minutes de ce côté-ci de la table. Monsieur Kirkby?

Monsieur Ramsay.

M. Ramsay: Monsieur Phillips, le Centre de la sécurité des communications, dont le ministère de la Défense nationale a dit que c'était un des organismes les plus secrets du Canada, est apparemment capable d'intercepter toutes les formes de communication utilisées par les Canadiens. Votre commissariat a-t- il effectué une vérification des pratiques équitables de traitement de l'information dans cette organisation?

M. Phillips: Oui, monsieur Ramsay. Nous en sommes aux étapes finales. Nous avons commencé il y a deux ans environ. Cela a demandé beaucoup de temps, mais ce sera bientôt terminé.

M. Ramsay: Pourriez-vous nous donner une idée de ce que vous avez découvert?

M. Phillips: Je ne pense vraiment pas que ce soit possible, monsieur Ramsay, tant que le rapport ne sera pas terminé. Selon la procédure normale, nous devons tout d'abord soumettre un rapport. C'est une vérification, au même titre que beaucoup d'autres vérifications que nous avons effectuées sur les pratiques de gestion de l'information gouvernementale, et les résultats sont tout d'abord présentés au chef de l'organisme. Nous sommes sur le point de conclure.

Bien entendu, nous sommes tenus de respecter les exigences en matière de sécurité des ministères pour lesquels nous effectuons une vérification. Je voudrais donc demander conseil aux avocats et, bien entendu, discuter avec le CST de celles de nos observations qui sont assujetties à des restrictions liées à la sécurité.

Tout ce que je peux vous dire, monsieur Ramsay, c'est qu'il ne faut pas vous attendre à voir cela à la une des journaux.

M. Ramsay: Bien sûr de non, monsieur Phillips. Votre rapport sera-t-il rendu public?

M. Phillips: Nos rapports ne sont habituellement pas rendus publics, mais je suis conscient de l'énorme intérêt que cette question suscite et j'en discuterai certainement avec les autres intéressés. Je tiens à me montrer aussi ouvert et communicatif que possible avec le comité et avec le public.

M. Ramsay: Pourriez-vous dire au comité dans quelle mesure cet organisme menace la vie privée des Canadiens?

M. Phillips: Je dois dire que je n'ai constaté aucune infraction à la Loi sur la protection de la vie privée par le CST.

M. Ramsay: Avez-vous reçu des plaintes individuelles contre le Centre de la sécurité des télécommunications?

M. Phillips: C'est parfois arrivé, mais les plaintes auxquelles je songe - et il y a peut-être des exceptions - ont été déposées par des employés qui étaient mécontents, pour une raison ou une autre, de la gestion de leurs dossiers personnels. Je ne me souviens pas d'une seule plainte d'une personne qui estimait qu'il y avait eu ingérence dans sa vie privée du fait des activités du CST dans le domaine du renseignement sur les transmissions. Mais je me trompe peut-être.

Ai-je raison?

M. Julien Delisle (directeur exécutif, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada): Vous avez raison.

M. Ramsay: La collecte d'information sur les particuliers auquel se livre cet organisme est-il légal et déterminé par les besoins de notre pays en matière de sécurité? Si la sécurité du pays n'entrait pas en jeu, les activités du CST seraient-elles autorisées, ou votre vérification des méthodes de collecte de renseignements personnels enfreindrait-elle les dispositions de la Loi sur la protection de la vie privée?

M. Phillips: Permettez-moi d'en discuter avec mes collègues.

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Les vérifications que nous effectuons sur les pratiques de collecte d'information des ministères fédéraux quels qu'ils soient, tiennent compte du mandat précis qui leur a été donné dans ce domaine. C'est à ce titre que nous effectuons des vérifications.

Cela répond-il à votre question?

M. Ramsay: Non.

La présidente: Je regrette, vos cinq minutes sont épuisées.

M. Ramsay: Sauvé par le gong.

La présidente: Nous aurons l'occasion d'y revenir, monsieur Ramsay.

Madame Torsney.

Mme Torsney: Vous savez bien sûr que le gouvernement reçoit une foule de pétitions de diverses organisations ou particuliers. Quelles sont les directives pour les personnes qui font circuler des pétitions et qui vendent ensuite l'information recueillie ou l'utilisent à d'autres fins?

Par exemple, vous pourriez lancer une pétition demain pour une raison ou une autre. Je pourrais la signer en pensant que la pétition n'existe que pour cette raison, mais vous pourriez fort bien conserver les renseignements recueillis ou les faire circuler. S'il s'agissait d'une question liée aux drogues, par exemple, je pourrais fournir les renseignements à une compagnie pharmaceutique en lui disant qu'il s'agit des personnes que ce genre de questions préoccupe.

Existe-t-il des directives pour les personnes qui adressent des requêtes au Parlement?

M. Phillips: Tout dépend de qui fait circuler la pétition. Si c'est une activité purement privée, la personne qui fait circuler la pétition serait totalement libre de l'utiliser comme bon lui semble, sous réserve des assurances et des garanties données, ou des engagements pris à l'égard des signataires.

Mme Torsney: Il n'y en a pas.

M. Phillips: Alors, je crains que l'utilisation secondaire ou tertiaire possible des renseignements n'est soumise à aucune contrainte.

Mme Torsney: Devrait-il y avoir des directives dans ce domaine?

M. Phillips: J'estime que toute collecte de renseignements personnels devrait respecter des critères communs. Ainsi, les personnes qui sont obligées de fournir des renseignements pour certaines transactions seraient protégées contre toute utilisation ultérieure de cette information sans leur consentement.

Mme Torsney: Il me semble que si je signe un document qui me paraît assez clair - une requête au Parlement pour qu'il change une loi ou qu'il s'occupe d'une question quelconque - et qu'on me demande de donner mon nom, mon numéro de téléphone et mon adresse - il y a des directives précises concernant la validité de la pétition - ce que je veux c'est que ce soit le Parlement, et personne d'autre, qui examine cette pétition. La procédure observée est assez officielle, mais en dépit des règles précises sur la manière de signer des pétitions, je n'ai jamais vu aucune indication des restrictions qui s'appliquent à l'utilisation des renseignements recueillis.

M. Phillips: Une fois que la pétition a été présentée au Parlement, elle devient naturellement un document parlementaire.

Mme Torsney: Mais ce sont des listes qui circulent dans des magasins ou qui sont disponibles... L'industrie des pétitions est tout à fait florissante.

M. Phillips: C'est une question très intéressante. Il appartiendrait au Parlement, s'il le désirait, d'adopter un règlement concernant la nature des pétitions qu'il serait prêt à accepter. Si vous vouliez intervenir dans ce processus et dire que vous n'accepterez que les pétitions qui ont été préparées selon certaines règles...

Mme Torsney: C'est ce que nous faisons actuellement.

M. Phillips: Ah bon. Mais je parle de la protection des renseignements apparaissant dans le document contre toute autre utilisation ultérieure.

Cela me paraît cependant présenter de nombreux problèmes sur le plan pratique. Si la pétition est une feuille affichée dans un lieu public, une pharmacie par exemple, et que les noms des signataires sont là, bien en évidence, qu'est-ce qui empêche le passant de les lire et de prendre des notes, s'il le désire? Je vois donc toutes sortes de difficultés pratiques, mais je comprends fort bien votre problème.

Si la pharmacie décidait elle-même de recopier tous les noms de la liste et de les utiliser à des fins commerciales, sauf engagement contraire de sa part, je ne vois rien, pour le moment, qui puisse l'empêcher de le faire. À ma connaissance, une telle pratique n'est interdite par aucun règlement.

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Mme Torsney: Peut-être devrions-nous nous arranger pour que vous en parliez au Président de la Chambre. J'imagine qu'il y a des groupes qui recueillent de tels renseignements pour d'autres raisons précises peut-être ou que, par accident, ils les utilisent pour toutes sortes d'autres raisons. Cette pratique est inacceptable car elle est contraire aux intentions des signataires.

M. Phillips: J'espère que vous ne me jugerez pas impertinent si je vous dis que vous êtes peut-être mieux placé que moi pour parler au président.

Mme Torsney: Mais vous m'appuierez quand il m'appellera?

La présidente: C'est un point intéressant. Je disais justement à notre recherchiste que si je recevais une pétition, je l'utiliserai pour constituer une base de données sur les personnes de ma circonscription qui s'intéressent à la question. Mais si je le faisais, qui d'autres aurait accès à ces renseignements une fois qu'ils sont à la Chambre?

Mme Torsney: Ce qui m'inquiète, c'est ce qui leur arrive avant même qu'ils vous parviennent.

La présidente: Je comprends. C'est intéressant, Mme Meredith me dit qu'elle en reçoit trop pour pouvoir le faire.

Monsieur Ramsay.

M. Ramsay: Je voudrais simplement terminer un point. Avez-vous eu des difficultés à obtenir l'information nécessaire pour effectuer votre vérification du Centre de la sécurité des télécommunications? Pourquoi cela vous a-t-il pris deux ans?

M. Phillips: Pour plusieurs raisons.

La répondre à votre première question est négative. Comprenez bien que la vérification est faite par des employés du commissariat; habituellement, je ne me déplace pas moi-même, bien que j'aie été informé par le CST de la nature de ses activités. Non, nous n'avons eu aucune difficulté à obtenir des renseignements; en fait, le CST s'est montré extrêmement coopératif.

Cette vérification a demandé beaucoup de temps pour plusieurs raisons. Pour commencer, au début de la vérification, nous n'étions pas en mesure de satisfaire aux exigences en matière de sécurité concernant l'entreposage de documents dans nos bureaux. Il a fallu plusieurs mois avant que nous puissions obtenir une installation de sécurité.

M. Ramsay: Est-ce votre première vérification?

M. Phillips: Non mais c'est la première vérification du CST dans laquelle des documents hautement classifiés du centre devaient être entreposés dans nos locaux afin d'être examinés par notre équipe de vérification. Il nous a donc fallu un certain temps pour pouvoir stocker ces documents dans un local de sécurité.

M. Ramsay: Quel est l'objet de la vérification?

M. Phillips: Il s'agit de déterminer si la manière dont le CST recueille des renseignements est conforme aux dispositions de la Loi sur la protection de la vie privée. Cette activité des gouvernements est couverte par une loi qui les autorise à recueillir des renseignements, à les stocker et à les utiliser. L'objet de notre vérification est donc de nous assurer que la méthode de collecte de renseignements est conforme aux pouvoirs qui leur ont été conférés dans ce domaine.

M. Ramsay: Le ministre de la Justice a récemment tenu une consultation sur l'établissement d'une banque de données ADN. Votre commissariat a-t-il participé à cette consultation?

M. Phillips: Oui. Nous avons participé à deux consultations organisées par le ministère de la Justice à ce sujet. La première concernait la présentation et l'adoption par le Parlement, il y a un an et demi, de lois autorisant la police à recueillir des échantillons d'ADN aux fins d'identification. Dans le second cas, il s'agit d'un document de consultation portant sur l'étape suivante de l'approche législative considérée par le gouvernement en ce qui concerne l'ADN. Le gouvernement se demande en effet s'il convient de conserver les échantillons eux-mêmes dans une sorte de banque de données au lieu de garder uniquement les résultats de l'examen de ces échantillons. Il nous a demandé notre opinion à ce sujet et nous avons répondu.

M. Ramsay: Êtes-vous partisan de l'établissement d'une banque de données ADN?

M. Phillips: Non.

M. Ramsay: Avez-vous des réserves à ce sujet?

M. Phillips: Oui, de très sérieuses réserves.

Nous reconnaissons la valeur pour la police des tests d'identification par le code génétique. C'est un outil très précieux, comme l'était autrefois le système Bertillon pour identifier les personnes soupçonnées de crime et aussi pour établir l'innocence de certaines personnes, ce qui a déjà été fait dans plus d'un cas. Mais à notre avis, il n'est pas justifié de conserver l'échantillon qui permet d'assurer l'identification.

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La tentation naturelle, lorsqu'on dispose d'échantillons conservés dans une banque, est de se laisser aller à un «glissement de fonction» et de se dire qu'après tout, ces échantillons peuvent fournir toutes sortes d'autres renseignements qui n'ont rien à voir avec l'identification des personnes. Il est inévitable que les gens commencent à se trouver des excuses et des justifications pour utiliser les échantillons de cette manière.

M. Ramsay: Pourriez-vous nous donner un exemple?

M. Phillips: Oui. Pas plus tard que l'autre jour, j'ai pu en voir un exemple vivant. J'ai remarqué que le Marine Corps des États-Unis exige que tous ses membres donnent un échantillon d'ADN pour qu'on puisse les identifier s'ils trouvent la mort au combat. Il est en effet fréquent qu'il ne soit pas possible d'identifier le cadavre à cause de la nature des blessures. Au premier abord, cela paraît tout à fait raisonnable, mais le Marine Corps a maintenant décidé de mettre tous ces échantillons à la disposition de la police et des chercheurs à d'autres fins.

Cela ne respecte pas du tout les conditions dans lesquelles on a demandé aux jeunes marines de fournir cet échantillon. Deux d'entre eux ont refusé et sont passés en cour martiale. Je crois qu'ils ont été chassés du corps. L'affaire est maintenant en appel.

Voilà un exemple parfait de ce que nous appelons le glissement de fonction, c'est-à-dire le recours à l'utilisation de ces renseignements à des fins totalement distinctes. Il y a donc là un sérieux problème.

La présidente: Merci de vos questions, monsieur Ramsay.

Je tiens également à vous remercier d'avoir bien voulu comparaître devant le comité et de nous avoir expliqué les activités du commissariat que vous dirigez. Tout cela s'est fort bien enchaîné avec les déclarations du groupe de témoins précédent. Nous l'avons beaucoup apprécié. Merci beaucoup.

[La séance se poursuit à huis clos]

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