[Enregistrement électronique]
Le mardi 18 juin 1996
[Traduction]
La présidente: Nous recevons ce matin M. Prashaw, du Conseil des Églises pour la justice et la criminologie, et le professeur Mohr, de l'Université Carleton.
Merci beaucoup.
Monsieur Prashaw, vous êtes déjà venu et vous connaissez donc notre façon de procéder. Peut-être pourriez-vous récapituler votre mémoire, après quoi nous passerons aux questions. Je crois savoir que vous avez offert de partager votre temps avec le Comité canadien d'action sur le statut de la femme, et nous vous en sommes reconnaissants. Merci beaucoup.
M. Rick Prashaw (coordinateur des communications, Conseil des Églises pour la justice et la criminologie): Bonjour, mesdames et messieurs.
Je travaille pour le Conseil des Églises pour la justice et la criminologie. Renata Mohr est notre présidente récemment élue; elle est professeur de droit à l'Université Carleton. Dans quelques instant, elle vous parlera directement des conséquences juridiques du projet de loi C-45.
Comme beaucoup d'entre vous le savent, nous sommes une coalition de 11 confessions religieuses d'envergure nationale, regroupant environ 14 000 paroisses d'un bout à l'autre du pays. Nos membres appartiennent à diverses confessions: Catholiques, Anglicans, Presbytériens, Église unie, Baptistes, Évangélistes luthériens, Armée du salut, Quakers, Mennonites, Réforme chrétienne et Disciples du Christ. Depuis 1974, nous remplissons le mandat qu'ils nous ont confié, à savoir parler en leur nom au sujet des questions, principes fondamentaux et valeurs inhérentes au système de justice pénale.
Étant donné la volonté du législateur d'adopter ces amendements dès cette semaine, avec une hâte déraisonnable et injuste, nous ne mâcherons pas nos mots aujourd'hui. Nous sommes contre ces modifications à la loi actuelle parce que nous croyons qu'elles sont contraires à la justice telle que nous la concevons. C'est l'abrogation déguisée de la disposition qui donne une lueur d'espoir, et c'est une décision qui fait table rase des preuves accumulées qui démontrent que les examens judiciaires fonctionnent bien. Il y aura un coût humain et financier énorme qui rendra un système de justice pénale déjà inefficace encore plus axé sur le châtiment, et nos collectivités en deviendront encore moins sûres. Ces changements majeurs constituent une extraordinaire volte-face sur le plan de la politique et des principes correctionnels dans le cas des personnes reconnues coupables de meurtre.
Pour reprendre les propos du ministre de la Justice, Allan Rock, «la clause de lueur d'espoir et le processus de révision judiciaire connexe ne seront maintenant appliqués que dans des cas exceptionnels». Pourtant, pendant près de dix ans, ce processus a fait partie intégrante du système correctionnel et de libération conditionnelle.
Cette décision constitue une attaque directe contre le principe de la réadaptation. Nous fondons cette affirmation sur un certain nombre de facteurs et de raisons et nous vous exhortons à en tenir compte avant d'adopter ce projet de loi. Le gouvernement libéral succombe à notre avis aux pressions et confond la politique et la justice; il veut garder en prison pendant la totalité de leur peine de 25 ans tous ceux qui ont tué plus d'une victime, sans nullement tenir compte des circonstances très diverses des gens qui font partie de cette catégorie. Cette mesure aura des coûts sociaux et budgétaires énormes.
D'après les chiffres du Service correctionnel du Canada, entre l'an prochain et l'an 2008, il y aura 101 personnes qui seront reconnues coupables d'avoir tué plusieurs victimes et qui seront donc automatiquement exclues du mécanisme de révision judiciaire. Cela veut dire que sur les63 révisions judiciaires qui ont été entendues jusqu'à maintenant, les 11 qui ont été complétées, et qui incluaient des cas de multiples victimes, seraient automatiquement exclues, même si des jurys de12 citoyens ont approuvé l'admissibilité immédiate ou anticipée à la libération conditionnelle totale dans sept de ces onze cas. Les personnes en cause sont maintenant en semi-liberté ou en libération conditionnelle dans leurs collectivités et se débrouillent fort bien, mais elles seraient toujours en prison si les mesures proposées avaient été en vigueur.
Les règles existantes pour les révisions judiciaires ont permis à des jurys de se pencher sur les circonstances humaines de chaque cas particulier, des cas de personnes désespérées qui ont craqué, des triangles amoureux, et d'autres circonstances individuelles particulières. Nous ne minimisons pas les torts causés par ces gens, pas plus que ne le font les jurys, mais les jurys et les révisions judiciaires ont conclu que certains avaient suffisamment changé pour amorcer une réinsertion graduelle dans la société sans causer de risques pour les citoyens. Mais le fait d'exiger un verdict unanime des 12 jurés, au lieu de la règle actuelle des deux tiers, ne peut faire autrement qu'accroître sensiblement le nombre d'hommes et de femmes qui purgeront la totalité de leur peine d'emprisonnement de 25 ans dans des établissements d'incarcération. Cela va arriver à cause de l'introduction d'une diversité de facteurs qui n'ont aucun rapport avec les faits, avec le risque réel ou avec le travail de réadaptation qui peut avoir été accompli.
En outre, les modifications proposées doivent être envisagées dans l'optique des changements apportés l'année dernière à la loi de manière à exiger qu'un jury, dans le cadre d'une révision judiciaire, tienne compte de tout renseignement fourni par une victime, soit au moment du prononcé de la sentence, soit pendant l'audience. Nous ne sommes pas contre la participation des victimes aux révisions judiciaires. Mais quand on conjugue cela à la recommandation que le jury soit unanime, nous savons qu'il suffira qu'un seul juré soit détourné de la raison par l'appel chargé d'émotion de la famille de la victime pour imposer effectivement un veto annulant la volonté des onze autres jurés et pour garder une personne en prison pendant dix autres années. En conséquence, la clause de lueur d'espoir deviendra une clause d'absence d'espoir au Canada.
Il est de l'intérêt de tous que les gens qui tuent et qui sont condamnés à vie sans admissibilité à la libération conditionnelle pendant 25 ans sortent de prison et réintègrent la collectivité meilleurs qu'au moment de leur incarcération. La réintégration contrôlée des délinquants dans la société, en particulier de ceux qui sont réadaptés ou qui sont en voie de l'être et qui ne sont plus considérés comme une menace, est d'une logique irréfutable.
Pourtant, M. Nunziata, de même qu'un nombre suffisant de politiciens de tous les partis, ainsi que des chefs de police, des journalistes et des membres du grand public, ne cessent de dire non. Il faut assurer la sécurité de nos collectivités, disent-ils, en gardant les meurtriers en prison. Ils s'imaginent qu'ils vont protéger les êtres qui leur sont chers, y compris leurs enfants.
Mais qu'en est-il des enfants de leurs enfants? Nous ne réagissons pas de façon sensée au problème du meurtre dans notre société. Nous nous en déchargeons sur les générations futures. Nous léguons le problème à nos petits-enfants, aux petits-enfants de M. Nunziata, à mes petits-enfants, à vos petits-enfants. Et ils auront le droit de nous condamner pour ce que nous sommes en train de faire.
Tel est l'élément profondément humain du débat en cours. Nous voudrions diaboliser ceux qui tuent et les traiter comme des parias, mais ils n'en sont pas moins nos frères et nos soeurs, nos fils et nos filles, nos mères et nos pères, nos compatriotes, nos voisins; ils font partie de notre collectivité, au même titre que leurs victimes et leurs familles.
Notre société est aujourd'hui menacée d'oublier et de perdre le sentiment d'appartenance à une collectivité. Ce que nous faisons aux personnes emprisonnées et à leurs familles, ce que nous faisons au nom de leurs victimes, nous le faisons à nous tous.
La perte des droits ou de l'espoir pour une seule personne, c'est une perte pour l'ensemble de la famille humaine. Dans la perspective de notre foi chrétienne, nous rappelons les paroles de saint Paul: «Si un membre est blessé, c'est l'ensemble du corps qui est blessé». Quand on supprime l'espoir, quand on supprime toute possibilité de changement, quand on oublie que presque tous ceux qui ont tué seront un jour de retour parmi nous, nous perdons notre humanité commune.
Ceux qui écoutent ces paroles seront tentés, et c'est compréhensible, de rétorquer: «Mais c'est précisément ce qu'ils ont fait en assassinant des hommes, des femmes et des enfants innocents.» Nous sommes d'accord et nous ne voulons nullement excuser leurs actes ni les exonérer. Nous aussi, nous voulons que les personnes qui nous sont chères soient en sécurité et que nos collectivités soient sûres. Nous savons que le crime de meurtre doit entraîner des conséquences graves.
Treize des 63 jurys chargés de procéder à des révisions judiciaires se sont vu refuser carrément leur demande de réduire la période d'inadmissibilité. Par la suite, la Commission des libérations conditionnelles a refusé la libération conditionnelle à six des 50 personnes dont on avait réduit la période d'inadmissibilité. La loi actuelle fonctionne bien.
Nous tenons compte des sentiments des victimes et des préoccupations légitimes de chacun. Nous n'avons pas accordé suffisamment d'importance aux droits des victimes ou à leurs préoccupations. Cela dit, nous rejetons une justice qui n'est qu'un masque pour déguiser la vengeance ou la punition pure et simple.
À ce sujet, avant de céder la parole au professeur Mohr, nous avons apporté aujourd'hui dans le cadre de notre délégation un texte écrit par l'un des membres de notre conseil nouvellement élu qui connaît personnellement l'horreur du meurtre. Wilma Derksen, de Winnipeg, n'a pas pu nous accompagner aujourd'hui. Elle et son mari, Cliff, ont vu leur jeune fille, Candace, être kidnappée et assassinée il y a près de 10 ans. Leur tragédie a été suivie d'un long cheminement de douleur et de deuil. D'une part, cela leur a fait comprendre les sentiments de vengeance qui animent parfois les victimes. D'autre part, cela les a aidés à ne pas assimiler la justice à la sévérité et à la longueur d'une sentence.
Voici donc ce que Wilma Derksen a à dire:
- Après les funérailles, alors que ma blessure était encore à vif, une amie est venue me voir. Nous
avons pris le thé, douillettement installées dans une pièce tranquille, et elle m'a dit: «Wilma, je
sais que tu as pardonné. Je sens que tu n'es pas animée par la vengeance. Mais sachant cela, si tu
te laissais aller, qu'est-ce qui ferait justice à tes yeux? Serait-ce l'exécution?»
- Jusqu'à ce moment-là je ne m'étais jamais permis de me poser la question. Mais je me sentais
en sécurité avec elle, et sa question était juste, et j'ai donc décidé d'explorer mes sentiments
intérieurs. J'ai été troublée de m'entendre répondre qu'il faudrait que dix meurtriers meurent...
et que ce soit moi qui appuie sur la détente.
- J'ai vu défiler dix figures encapuchonnées, alignées contre un mur de briques, et j'ai appuyé dix
fois sur la détente. J'en ai ressenti une grande joie. Mais sur l'écran de mon imagination, le film
a continué à défiler, et j'ai vu ces dix hommes tomber. J'ai vu le sang et la profanation. J'ai vu
les cagoules s'enlever et leurs visages devenus vulnérables dans la mort. J'ai levé les yeux et j'ai
vu les mères qui pleuraient la perte de leurs fils. Et comme j'étais moi-même noyée dans mon
chagrin, je pouvais comprendre pleinement et ressentir leur perte de façon aussi aiguë que la
mienne propre. Pire encore, j'ai vu que l'un des hommes n'avait laissé personne pour pleurer sa
mort. Il n'avait jamais eu d'amour, et je venais d'éteindre sa dernière lueur d'espoir. Revenue à
la réalité, j'étais terrassée.
- Le Christ nous a montré à ne pas nous contenter du squelette de la justice, mais à y ajouter la
chair de l'amour et du pardon; il nous a montré que nous pouvons atteindre à une guérison
complète en utilisant notre douleur pour bâtir l'espoir. Il savait qu'en essayant de combler notre
perte par la vengeance nous ne pouvions que faire davantage le vide autour de nous. Il nous a
montré une meilleure façon de donner un sens et une valeur à nos souffrances.
- Cliff et moi-même en étions profondément convaincus, et nous avons désespérément tenté de
semer notre petite graine d'espoir dans notre tragédie. Nous avons créé un fonds pour la
construction d'une piscine au camp Arnes. Nous avons aidé à établir une organisation de
recherche d'enfants à Winnipeg et nous avons raconté notre histoire à tous ceux qui voulaient
l'entendre, pour voir si cela réussirait vraiment à combler le vide de notre perte. Rien n'a pu
remplacer Candace. Mais quand je compare le frisson de joie que j'ai ressenti en appuyant sur la
détente à la joie profonde et durable que j'ai ressentie en voyant la piscine terminée, en trouvant
un enfant et en sachant que notre histoire en avait aidé d'autres, il n'y a aucune comparaison
possible.
Mme Renata Mohr (présidente, Conseil des Églises pour la justice et la criminologie): Comme j'ai passé les 20 dernières années de ma vie à étudier, enseigner et écrire dans le domaine du droit pénal et des sentences, je vais traiter des modifications précises proposées dans le projet de loi.
J'ai travaillé au premier projet de loi sur les sentences au ministère de la Justice au début des années 80, et ensuite à titre d'attachée de recherche principale de la Commission canadienne sur la détermination de la peine, et j'ai été experte-conseil auprès de la Commission de réforme du droit du Canada pour les questions de détermination de la peine. Une chose est claire, c'est que l'article 745 fonctionnait de façon satisfaisante.
Je serai brève au sujet des modifications proposées, parce qu'il n'y a pas grand-chose à en dire. Sur papier, cela ressemble à des modifications, mais en réalité cela reviendrait à abolir l'article 745. Les modifications proposées établissent un seuil extraordinaire.
Premièrement, le processus de sélection. Aux termes de l'amendement proposé, un juge en chef devra décider, en se fondant sur la documentation qui lui est soumise, «si le requérant a démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu'il existe une possibilité réelle que la demande soit accueillie». Cela veut dire si le juge croit que le jury approuvera à l'unanimité la demande; c'est-à-dire un jury de la localité où le meurtre a eu lieu, un jury qui entendra les déclarations des victimes.
Nul besoin d'être grand expert en droit pour comprendre que, selon la prépondérance des probabilités, il n'y a aucune chance raisonnable que la moindre demande soit accueillie. Les chances d'obtenir un vote unanime sur une question aussi fortement chargée d'émotion sont extraordinairement minces. C'est pourquoi à l'origine la loi exigeait un vote à la majorité des deux tiers.
Mais il s'agit d'un critère dont le juge doit tenir compte dans son processus de sélection. La loi n'exige pas du juge qu'il se demande si, à son avis, la demande devrait être accueillie, mais plutôt s'il croit que la demande sera accueillie, c'est-à-dire si elle sera approuvée à l'unanimité. Nous faisons respectueusement remarquer qu'il ne s'agit pas là d'un processus de sélection, mais bien d'un obstacle absolu. En fait, 0cela abolira les révisions judiciaires.
En conséquence, l'exigence de l'unanimité au jury aura pour résultat d'empêcher la plupart des demandes de franchir la première étape, c'est-à-dire le processus de sélection. Encore une fois, si l'on a prévu un vote à la majorité des deux tiers à l'origine, c'est parce qu'on reconnaissait que le rôle de ce jury était différent de celui d'un jury dans un procès au criminel. Une recommandation positive émanant d'un jury constitué aux termes de l'article 745 ne fait que donner au candidat la possibilité de demander la libération conditionnelle. La décision du jury ne rend pas sa liberté au demandeur, pas plus qu'elle n'établit sa culpabilité ou son innocence. Il est vraiment extraordinaire d'exiger un vote à l'unanimité pour une décision de ce genre.
Enfin, l'exception selon laquelle quiconque a commis plus d'un meurtre, peu importe dans quelles circonstances, n'a pas le droit de présenter une demande vise manifestement à rassurer le public en lui donnant l'assurance que les meurtriers en série ne seront pas admissibles à la libération avant l'expiration de la période de 25 ans. La vérité, c'est qu'il existe très peu de meurtriers en série, et il est clair qu'ils ne seront pas élargis aux termes des critères actuels de l'article 745. Il y a toutefois, comme on vous l'a signalé, certains prisonniers qui ont été reconnus coupables de plus d'un meurtre, mais qui sont en fait de bons candidats à la révision judiciaire et à l'admissibilité à la libération conditionnelle. Il ne faut pas jouer avec les chiffres. Chaque cas doit être tranché selon les circonstances particulières.
Dans un conte de Hans Christian Andersen que nous connaissons tous, deux escrocs convainquent l'empereur qu'ils ont tissé les habits royaux les plus mirifiques que l'on ait jamais vus dans le royaume. L'empereur ne voit pas cette fine étoffe, mais tout son entourage le complimente sur sa belle apparence dans ses nouveaux habits. Personne n'a le courage de lui dire qu'il est tout nu, qu'il n'y a pas d'habits, qu'il s'est fait avoir. Personne, sauf un enfant du village, qui dit tout simplement la vérité. L'empereur est tout nu, dit l'enfant. Le Conseil des Églises pour la justice et la criminologie a appris, après de nombreuses années dans ce domaine, qu'il est extrêmement important de témoigner, de s'exclamer: «L'empereur est tout nu.»
Jamais cela n'a été aussi important qu'aujourd'hui. C'est la vie d'hommes et de femmes qui est en jeu. Le gouvernement essaie de faire adopter à la vapeur un projet de loi qui semble offrir certaines modifications en vue de resserrer l'article 745. L'adoption de ce projet de loi entraînera l'abolition pure et simple de la révision judiciaire. Le coût, sur le plan humain et financier, est prohibitif. Il faudra dépenser des millions de dollars pour incarcérer les prisonniers pendant de plus longues périodes. S'ils ne meurent pas en prison, ils seront libérés après avoir purgé un quart de siècle derrière les barreaux. Ce n'est pas cela, protéger le public.
Ce projet de loi est un compromis à partir de ce qui était déjà au départ un compromis. Cela veut dire qu'il ne reste plus rien. C'est une promesse non tenue.
Si vous votez en faveur de ce projet de loi, vous votez en faveur de l'abolition de la révision judiciaire. Si telle est votre intention, dites-le franchement.
Le Conseil des Églises n'appuie pas l'abolition des révisions judiciaires. Nous n'appuyons pas ce projet de loi. Nous vous exhortons à ne pas toucher à l'article 745. Nous vous exhortons à faire un examen de conscience avant de voter.
Merci.
La présidente: Merci.
M. Prashaw: Madame la présidente, je voudrais vous présenter une troisième personne qui fait partie de notre délégation. Il s'agit de Marie Beemans, du Conseil des Églises pour la justice et la criminologie, de Montréal, au Québec. Elle pourra répondre à toute question portant sur la situation au Québec. Elle a également une expérience personnelle en la matière, quelqu'un de sa famille ayant été assassiné. Donc, même si elle ne fait pas partie de notre présentation officielle, elle se joint à notre délégation pour répondre aux questions.
La présidente: Monsieur Langlois, vous avez 10 minutes.
[Français]
M. Langlois (Bellechasse): Mon intervention portera sur quelques commentaires faits lors du débat en deuxième lecture en Chambre hier soir. J'ai repris des éléments que vous avez mentionnés, à des degrés moindres, devrais-je dire. Pourtant, mes préoccupations tournent essentiellement autour des choses que vous avez vues.
Si on regarde dans le projet de loi tel qu'il nous est présenté, il est clair qu'il faut resserrer, au paragraphe 745(2), la définition de la personne déclarée coupable de plus d'un meurtre pour viser essentiellement ceux que vous appelez en anglais les mass murderers, pour s'assurer de ne pas cibler trop de personnes et exclure ainsi toute personne qui se serait trouvée dans une situation malencontreuse, surtout pour les victimes. Il devrait donc y avoir là une définition plus précise, à mon avis.
Deuxièmement, il est clairement ressorti du témoignage du professeur Healy, que le nouvel article 745.1 qu'on nous propose engendre une grave préoccupation, qui est la suivante: le juge désigné pour jauger la demande doit se baser sur une preuve littérale. La loi ne prévoit même pas une preuve par affidavit. Il s'agit de documents qu'on envoie au juge. Il n'y a même pas d'audience.
Il existe dans ce pays des règles assez fondamentales. C'est même une règle cardinale que d'entendre les parties. Qu'on veuille donner plus d'importance à l'audition des victimes ou de leurs représentants et élargir les groupes, c'est un objectif de la loi sur lequel je suis tout à fait d'accord. C'est trop restreint à l'heure actuelle. Cependant, bien qu'une partie de la preuve puisse être littérale, elle devrait, à mon avis, consister en une preuve par affidavit et être assortie d'une preuve par comparution des parties adverses ou d'une discussion devant le juge désigné de la Cour supérieure, afin que les parties adverses aient l'occasion de faire entendre leur point de vue et puissent être contre-interrogées sur les documents qui ont été déposés.
Enfin, on change le critère de la prise de décision par les deux tiers des membres du jury pour exiger l'unanimité. Si ce nouveau critère devait demeurer, nous nous trouverions en pratique devant l'abolition de l'article 745, ce que je ne souhaite pas.
Ce sont les trois sujets sur lesquels je suis intervenu. Plus le temps passe, plus il semble qu'il faudra faire quelque chose si on veut recevoir un vaste appui à ce projet de loi dans l'avenir. C'est tout.
J'aimerais entendre les commentaires de ceux et celles qui ont connu des cas où l'actuel article 745 a été mis en application.
Mme Marie Beemans (Conseil des Églises pour la justice et la criminologie): J'ai assisté à des révisions judiciaires au Québec. J'ai témoigné à des révisions judiciaires, malgré le fait que ma fille adoptive a été tuée par quelqu'un qui n'avait pas de dossier. Au cours d'une nuit de désorganisation mentale, il a tué trois femmes. Il ne fera jamais l'objet d'une révision judiciaire parce qu'il s'est suicidé trois mois après sa sentence. C'est une tragédie. La vie de ce jeune homme aussi a été une tragédie.
Pour répondre à votre question, j'accompagne depuis plusieurs années des prisonniers condamnés, en particulier des prisonniers condamnés à de longues sentences, et j'ai assisté à des révisions judiciaires.
La première étape, actuellement, c'est le dépôt par le prisonnier, le jour où ses 15 années sont révolues, de sa demande de libération auprès du juge en chef. Il y a toujours des rencontres avec la Couronne. Avant de passer à la révision judiciaire, le juge rencontre le prisonnier et son avocat pour discuter de ce qui est admissible. Il y a cette rencontre avec le juge. On va donner au juge plus de pouvoir pour dire non. Est-ce que ce n'est pas usurper le pouvoir du jury?
Lors de l'instance, le juge rencontre en personne le prisonnier et son avocat, puis la Couronne. C'est une longue procédure. Un juge est nommé et la rencontre a lieu après cette nomination, peut-être quelques mois avant la révision.
M. Langlois: Je disais hier que si nous maintenions le critère des deux tiers pour que le jury prenne sa décision, cela nous permettrait d'avoir une norme canadienne parce qu'actuellement, les statistiques démontrent que, selon la région ou la province où l'on habite, il y a des disparités, de telle sorte que dans certaines provinces, il semble que les décisions soient unanimes ou presque et que dans d'autres, elles soient plus serrées.
Le fait qu'il soit possible que le tiers du jury soit dissident sur la recommandation ne fait pas en sorte que la personne est remise en liberté, mais lui permet de s'adresser à la Commission nationale des libérations conditionnelles.
Est-ce un élément dont nous devrions tenir compte pour maintenir la règle des deux tiers au lieu d'adopter la règle de l'unanimité qui, à mon avis, rendrait illusoire la possibilité de remise en liberté en vertu de l'article 745?
Mme Beemans: Il serait raisonnable de maintenir la règle des deux tiers puisque nous ne sommes pas là pour juger de l'innocence ou de la culpabilité d'une personne. Lors d'un procès, un jury unanime est essentiel parce qu'aucun doute ne doit subsister. Par ailleurs, le fardeau de la preuve revient au prisonnier, qui doit prouver qu'il n'est plus la même personne. Lorsqu'on porte un jugement, on peut se retrouver avec différentes interprétations, mais ce n'est plus une question de savoir s'il sera libre ou s'il est coupable ou non; c'est une question de juger si ce prisonnier est la même personne qu'il y a 15 ans. Je crois qu'il est très important de garder la règle des deux tiers.
M. Langlois: Merci. Je n'ai plus de questions, madame la présidente.
[Traduction]
La présidente: Merci.
Monsieur Ramsay, vous avez 10 minutes.
M. Ramsay (Crowfoot): Merci, madame la présidente.
Je souhaite la bienvenue à nos témoins de ce matin.
L'année dernière, 15 personnes ont été assassinées par des gens qui avaient été mis en liberté, que ce soit en libération conditionnelle ou dans le cadre d'une autre forme de libération anticipée. Cela n'avait rien à voir avec l'article 745. Ce n'était pas des meurtriers, mais ils ont fini par commettre un meurtre. Des organismes gouvernementaux avaient libéré ces gens-là après les avoir évalués, et 15 personnes innocentes ont payé de leur vie les erreurs commises par le gouvernement et ses organismes.
Ainsi, 15 collectivités en subissent les conséquences. Estimez-vous que ces 15 meurtriers devraient avoir la possibilité de présenter une demande aux termes de l'actuel article 745?
M. Prashaw: Il y a différentes manières d'aborder la question, et nous voudrions tous commencer. Ma première réaction - ce n'est pas une réponse pleine et entière, et c'est pourquoi j'invite les autres à se joindre à moi - c'est que si nous adoptons une loi punitive qui ferme la porte et qui enferme plus de gens pendant plus longtemps, il y aura moins de ressources. Il y aura des gens qui auront une charge de travail extraordinairement lourde, de sorte qu'on laissera passer des cas comme ceux que vous venez de citer.
Pour moi, il s'ensuit que si vous préconisez une loi qui enferme plus de gens pendant plus longtemps, alors vous obtiendrez justement le genre de résultats... Je ne connais pas les circonstances de ces cas, et je ne peux donc pas me prononcer, mais il me semble logique de conclure que quand on a un système surchargé et des ressources qui s'amenuisent, et quand des gens viennent exiger que l'on surcharge encore davantage le système, il y aura inévitablement des cas de ce genre qui aboutiront à des tragédies.
Vous me demandez donc si je permettrais à ces 15 personnes...? Oui, je le permettrais, bien que je ne connaisse pas les circonstances de ces cas, parce que je sais que les révisions judiciaires sont des processus minutieux et laborieux. On constitue des jurys de 12 personnes issues des collectivités où les crimes ont eu lieu. Ces jurys examineraient l'affaire et se pencheraient sur la conduite de la personne en cause, sur la nature du crime, les changements survenus, et entendraient la déclaration de la victime, tout comme les révisions judiciaires qui ont lieu aujourd'hui. Certaines de ces 15 personnes essuieraient un refus, d'autres iraient faire la queue pour demander une libération conditionnelle, et certaines d'entre elles se heurteraient à un refus à cette étape. Je ne voudrais certainement pas éliminer automatiquement l'une ou l'autre de ces 15 personnes d'un processus qui fonctionne très bien actuellement.
M. Ramsay: Vous faites allusion aux 15 cas qu'on a laissé passer. Et si nous supposions que le système de justice existe précisément pour protéger la société contre les risques inutiles? Y a-t-il des statistiques qui sont plus faibles cette année que l'année dernière? Pouvons-nous dire que tout va très bien et que l'on peut accepter le système actuel sans modifications et faire ce genre de sacrifice pour permettre la libération anticipée?
M. Prashaw: Non, je ne suis pas prêt à sacrifier qui que ce soit. Le système de justice est un élément important, parmi bien d'autres systèmes, et la collectivité tout entière a la responsabilité d'assurer la sécurité. Nous ne pouvons pas confier au système de justice l'entière et exclusive responsabilité de protéger les citoyens.
Nous constatons - et vous faites probablement la même constatation à titre de membres du comité - que les gens ont des attentes irréalistes à l'égard de la loi et du système pour ce qui est de protéger notre société. Je n'exonère personne quand des erreurs sont commises. Je pense qu'il faut alors une enquête approfondie. Les gens doivent être responsables de leurs décisions, et quand on laisse passer des cas il faut une enquête approfondie. Je ne sacrifierais jamais personne.
Toutefois, je pense aussi qu'il est important de puiser dans notre expérience. Monsieur Ramsay, à titre de policier, la Couronne, l'avocat de la défense... Il y a bon nombre de gens autour de la table qui ont un bagage intéressant, l'expérience de toute une vie. Ce n'est pas une discussion théorique, ce sont des êtres humains qui sont en cause, des gens qui sont peut-être en prison en ce moment même pour meurtre ou qui iront en prison pour meurtre, et ce sont aussi les victimes qui sont en cause. Par conséquent, quand on prend une décision de ce genre, il faut tenir compte du facteur humain.
Je m'entretenais récemment avec un procureur de la Couronne qui m'a dit: bien sûr qu'il faut resserrer tout cela. Je lui ai alors dit que ce que l'on faisait, c'était exclure automatiquement, sans aucune exception. Attendez une minute: je connais un tel et un tel. Voulez-vous dire que cette personne... après 25 ans...? Non, ils lui ont claqué la porte au nez. Ainsi, en vous fondant sur votre bagage juridique, il serait bon, en envisageant la meilleure solution relativement à ce projet de loi, que vous vous rappeliez les gens qui sont de part et d'autre de l'équation.
M. Ramsay: Je n'accepte pas les arguments que vous invoquez à l'appui de votre position. À la page 3 vous dites: «nous savons qu'il suffira qu'un seul juré soit détourné de la raison - quelle étrange façon de dire les choses - par l'appel chargé d'émotion de la famille de la victime pour imposer effectivement un veto annulant la volonté des onze autres jurys et pour garder une personne en prison pendant dix autres années».
Il me semble que vous demandez aux douze membres du jury un pardon total; vous leur demandez de dire que cette personne a payé le prix de ce qu'elle a fait et qu'elle est suffisamment réadaptée pour être réinsérée en toute sécurité dans la société. Mais quand j'examine cette question, comme je le fais depuis des années... Je peux pardonner au meurtrier de mon fils, mais la personne dont le meurtrier doit chercher à obtenir le pardon, ce qu'il n'obtiendra jamais, c'est mon fils, et je ne peux pas pardonner au meurtrier de mon fils au nom de mon fils. Donc, quand les douze jurés disent: nous vous pardonnons et nous vous libérons parce que votre dossier est bon en termes de réadaptation, vous passez par-dessus l'élément clé, à savoir si le sang versé continue de réclamer vengeance.
Dieu veuille que cela n'arrive jamais à mon fils, mais c'est arrivé à des fils et à des filles qui ont pleuré et demandé grâce, qui voulaient vivre et qui ont demandé à vivre, mais le meurtrier n'a pas hésité à leur enlever la vie. C'est eux que le meurtrier doit confronter, pas vous ou moi. Oui, je peux pardonner, et, avec les années, ma douleur s'effacera graduellement, mais jamais une personne vivante ne pourra pardonner au nom de la victime, et c'est là l'élément clé dans toute cette proposition.
Quel est le châtiment juste et équitable pour avoir délibérément et intentionnellement enlevé la vie à une personne innocente? Pouvez-vous répondre à cette question? À votre avis, quel est le châtiment juste et équitable pour meurtre prémédité? Voilà de quoi il s'agit. Il ne s'agit pas, comme vous le prétendez, de gens qui ont craqué, de triangles amoureux. Je ne crois pas que cela correspond au critère de meurtre au premier degré. C'est plutôt le meurtre au deuxième degré, peut-être même l'homicide involontaire dans bien des cas.
Je voudrais que vous répondiez à cela. Vous demandez à des gens de pardonner l'un des pires crimes que l'on puisse commettre et d'en libérer l'auteur, en se disant que la victime approuverait probablement la libération de cette personne, mais on ne peut jamais l'affirmer.
J'aimerais aussi savoir ce qui, d'après vous, constitue une peine juste et équitable pour le pire crime qui soit dans notre système judiciaire.
M. Prashaw: Je commencerai par vous répondre et j'inviterai ensuite Marie à répondre aussi.
À titre d'organisme religieux, et je tiens à parler dans ce contexte, étant donné que vous avez parlé du point de vue de la foi, monsieur Ramsay, nous ne demanderions jamais ou nous n'exigerions jamais que quelqu'un pardonne. Il n'existe pas de droit au pardon, et personne ne doit prévoir être pardonné. C'est une décision personnelle, et la personne concernée a le droit de pardonner ou de ne pas pardonner.
M. Ramsay: Que fait le jury à cet égard?
M. Prashaw: Un jury mesure non seulement les progrès réalisés par une personne en vue de son retour dans la collectivité, mais aussi le risque concernant la sécurité, c'est-à-dire si l'on peut réintégrer cette personne dans la société et la surveiller pendant le reste de sa vie, afin qu'elle puisse...
M. Ramsay: Et il n'y a pas de pardon?
M. Prashaw: Cela concerne un autre niveau. Il s'agit d'une décision personnelle qui concerne cette personne et la famille... Wilma, Cliff et leur famille ont pris cette décision et ont trouvé toute une différence entre le sentiment délicieux de vouloir appuyer sur la détente, et la joie profonde de voir des enfants de Winnipeg retrouvés à cause de l'énergie qu'on a mise à les rechercher. Ils ont constaté qu'on pouvait avoir une piscine pour enfants là où les enfants ne pouvaient pas se baigner. Ils ont constaté qu'il n'y avait pas de comparaison entre les deux. Si vous parlez de la punition en ce qui concerne la société, c'est de cela qu'il est question aujourd'hui.
Quand nous savons que ces hommes et ces femmes, à l'exception de ceux auxquels s'applique la disposition relative aux criminels dangereux, se retrouveront parmi nous, il est dans notre intérêt, dans notre propre intérêt, de nous demander dans quelles conditions leur retour se fera. C'est ce qui nous préoccupe, car en ne réglant rien, nous léguons seulement le problème à nos petits-enfants. Voilà ce qui nous préoccupe.
La présidente: Monsieur Ramsay, votre temps est écoulé.
Vouliez-vous compléter la réponse?
Mme Beemans: J'aimerais la compléter.
Premièrement, je ne pense pas que nous puissions fixer une valeur pour la vie humaine. Mais du fait qu'on met quelqu'un en prison...il ne paie pas pour son crime. Il est puni, mais on ne peut jamais payer une vie humaine.
Parmi les personnes dont vous avez parlé et qu'on a libérées, avant de commettre des homicides, certaines de ces personnes avaient commis des vols et d'autres crimes mineurs, pour ensuite passer à un crime majeur. Vous avez dit notamment qu'il s'agissait de meurtres commis de sang-froid. Malheureusement, c'est peut-être le cas en théorie, mais dans la réalité un mafioso est rarement condamné pour un meurtre au premier degré. Il a toujours quelqu'un qu'il peut dénoncer. Lorsqu'on voit tellement de cas de motards contre lesquels on porte plusieurs accusations d'homicide involontaire - il y a eu 43 accusations semblables dans un cas.
Puisque nous parlons de certaines personnes, j'aimerais mentionner un jeune homme qui m'a dit que je pouvais donner son nom. Daniel Benson vient de ma ville natale de Deux-Montagnes. Daniel Benson était un collégien dont la mère avait épousé en secondes noces un homme très violent. Il a donc grandi en étant témoin de beaucoup de violence de la part du second mari. Un jour, il en a eu assez. Il a téléphoné à son père et lui a dit: «Sais-tu ce que cet homme a fait à ma mère?»
Le père, un des amis de Daniel et Daniel sont allés rencontrer l'homme dans le parc d'Oka armés de bâtons de base-ball. De ce fait, on a automatiquement considéré qu'il s'agissait d'un acte prémédité. Je ne crois pas qu'ils voulaient le tuer, et il dit qu'il ne le pense pas. Ils voulaient simplement lui donner une bonne leçon. L'homme a été tué. Ils n'ont pas bénéficié de l'aide de grands avocats dispendieux. Ils n'avaient personne contre qui ils pouvaient témoigner. Ils n'ont pas pu négocier d'entente pour réduire la gravité des charges, et la différence entre une accusation de meurtre au premier degré et de meurtre au second degré réside dans une telle entente, dans la plupart des cas.
Daniel a été condamné à 25 ans d'emprisonnement minimum - son père et son ami... Il est détenu depuis 14 ans. Il a fait des études et obtenu son baccalauréat. Il dit que s'il doit purger encore 11 ans d'emprisonnement, il ne sait pas comment il pourra réintégrer la société, étant donné qu'il se laisse graduellement gagner par la culture des prisons.
D'autre part, il dit que les 50 000$ par année que coûteront ces 10 autres années de détention - qu'il faut investir cet argent dans des programmes de prévention de la violence familiale. Il existe très peu de programmes à l'intention des adolescents qui vivent dans une telle violence. Il y a deux ou trois semaines à peine, un autre jeune homme a tué l'homme qui battait sa mère. Il dit que c'est là qu'il faut investir.
Aucun de nos détenus qui a été libéré - et la moitié des révisions judiciaires ont eu lieu au Québec - n'a récidivé. Je pense que l'un d'entre eux a vu sa libération conditionnelle suspendue pour avoir conduit en état d'ébriété, et c'est tout. Et un autre a commis un vol. Aucun de nos ex-détenus n'a commis un acte de violence.
Lorsque vous dites que des gens en libération conditionnelle ont commis des homicides... Un membre du service correctionnel a dit au représentant de l'un de nos projets communautaires la semaine dernière qu'il n'y avait pas d'argent pour les programmes visant les ex-détenus. Dans le cas des personnes libérées sous condition et qui n'étaient pas coupables d'homicides, si nous investissions davantage dans les programmes s'appliquant après la détention, elles ne penseraient peut-être pas à commettre des crimes majeurs. Il faut offrir plus d'aide dans la collectivité.
La présidente: Merci.
Monsieur Gallaway.
M. Gallaway (Sarnia - Lambton): Merci, madame la présidente.
Bienvenue. Votre présence ici ce matin présente un contraste intéressant avec notre groupe de témoins d'hier soir. On nous dit souvent au comité, lorsque nous traitons de questions liées au droit pénal, qu'un certain nombre de facteurs entrent dans la détermination de la peine. Il y a la punition, la réadaptation, le châtiment et d'autres facteurs. Croyez-vous que le meurtre au premier degré devrait entraîner seulement une punition? Je m'excuse de devoir commencer par une question tellement insidieuse.
Comment peut-on trouver une solution entre ces deux pôles fsitués à des milliers de milles de distance?
Hier soir, les représentants de l'Association canadienne des chefs de police ont dit que lorsque quelqu'un a pris la vie d'un autre - et ils parlent évidemment au nom de leurs membres - l'objectif premier est de punir. Comment les parlementaires peuvent-ils concilier ce qu'ils disent et ce que vous dites?
M. Prashaw: Nous ne sommes pas du tout inconscients des pressions que vous subissez. Nous en sommes très conscients, et nous en éprouvons du respect pour vous. Je pense qu'en fin de compte, comme Mme Mohr l'a dit, lorsque vous avez entendu tout le monde, vous ne comptez pas le nombre de votes ou le nombre de coupons; vous cherchez dans votre coeur et dans votre conscience et vous réfléchissez au coût qu'entraînera sur les plans humain, social et financier ce que les gens demandent. Vous posez des questions aux représentants des deux opinions différentes, vous leur demandez ce qu'ils font, vous nous demandez ce que nous faisons, dans nos Églises, parce que nous en sommes responsables. Vous pouvez demander aux chefs de police quelle proportion des produits de la criminalité est réinvestie dans la collectivité pour l'aider à cicatriser ses plaies et à se rétablir.
Je pense qu'en fin de compte vous réfléchissez à ce que la justice peut faire pour corriger la situation, aider les collectivités à se rétablir et trouver des solutions durables, et vous allez au-delà de ce qu'on vous dit de faire ou de ce qu'on attend de vous, vous prenez des décisions qui contribueront à cicatriser vraiment les plaies de la collectivité et à la rendre sûre.
M. Gallaway: Une autre des questions qu'on a soulevées hier soir était le fait que la majorité des Canadiens veulent que l'article 745 soit aboli. On a dit qu'il faut s'en débarrasser, parce que tous ces gens le veulent.
Pouvez-vous me dire alors pourquoi tous ces gens le veulent, si cette supposition est exacte?
M. Prashaw: Lorsqu'on leur demande de donner leur opinion en sept secondes devant les journalistes, ils le veulent peut-être, mais lorsque nous organisons des groupes de discussion et qu'on parle de punition, nous demandons aux participants s'ils veulent faire du mal; à ces gens. Ils répondent qu'ils ne veulent pas leur faire du mal, ils veulent les responsabiliser, ils veulent qu'ils subissent des conséquences graves, pour réparer leur crime.
Mais lorsqu'on leur demande de donner leur opinion en sept secondes devant les journalistes, ou lorsqu'ils doivent répondre par oui ou non à une question, ils répondent en effet qu'ils veulent qu'on punisse les criminels.
La punition est un concept très stratifié. En ce qui concerne les blessures subies par les collectivités, nous avons des témoins ici aujourd'hui... Je veux leur donner une partie de notre temps pour leur permettre d'en parler, et de parler des fausses solutions.
Nous ne faisons pas fi de ce que d'autres disent. Nous respectons vraiment leur préoccupation, mais nous pensons qu'ils proposent de fausses solutions. Au lieu de parler moi-même, je préférerais plutôt que des gens de la collectivité, et notamment certaines des victimes, entendent proposer ces solutions et disent qu'il ne s'agit pas de véritables solutions.
Mme Mohr: Si vous le permettez, je pense qu'il y a énormément de désinformation au sujet de l'article 745 et de la façon dont il fonctionne; cela explique en grande partie d'où vient la perception du public.
Les études que nous avons faites dans le passé, les sondages Gallup effectués auprès de la population canadienne, montrent que la population ne cherche pas surtout à punir. Les études effectuées par Doob et Roberts au début et vers le milieu des années 80 montrent que lorsqu'on donne aux gens plus d'information sur la façon dont le système fonctionne réellement, la punition les intéresse moins que les programmes sociaux et la prévention.
Mme Beemans: J'ajouterai que j'ignore sur quoi les gens se fondent lorsqu'ils mentionnent des statistiques... Je sais cependant qu'au Québec, où ont eu lieu la moitié des révisions judiciaires, personne n'a demandé l'abolition de l'article 745. Les gens en sont très satisfaits et disent qu'il faut plutôt passer au processus de cicatrisation.
M. Gallaway: Je vais vous poser une question au sujet des fausses solutions, parce que certains proposent que nous abrogions complètement l'article 745 et que nous réformions peut-être le système de libération conditionnelle au point qu'il n'existe plus, comme on l'a fait dans certains États américains, où l'on a aboli la libération conditionnelle.
On a alors la sécurité publique absolue. Les détenus sont emprisonnés dans certains cas à perpétuité, ou du moins pour une très longue période. Par conséquent, il est impossible à ce segment de la population de récidiver.
Que leur diriez-vous?
Mme Mohr: Eh bien, je sais que nous manquons de temps, et j'aimerais répondre, mais...
La présidente: Ne vous en inquiétez pas.
M. Gallaway: C'est elle qui décide.
Mme Beemans: Que faites-vous des gardiens? Ne font-ils pas partie de la population canadienne? Il y a des gardes dans les centres de formation fédéraux qui ont dit qu'ils ne pouvaient pas parler ouvertement et publiquement, mais ils ont dit officieusement qu'ils ont peur que, s'il n'y a plus d'espoir, il y aura plus de violence à l'intérieur.
Ils font partie de la population canadienne, ils font partie de ceux qu'on doit entendre. S'il n'y a pas de processus de cicatrisation, il n'y aura aucune motivation à la bonne conduite.
Par conséquent, les gardiens estiment qu'ils sont en danger. Ils font aussi partie de la population canadienne.
Mme Mohr: L'hypothèse selon laquelle en gardant des détenus emprisonnés pendant longtemps, ou très longtemps, on obtient une société et des collectivités plus sûres... Je pense que nous devons réellement mieux expliquer aux gens que ce n'est pas le cas, que ce n'est pas vrai, qu'on pourra mieux assurer la sécurité, la protection de la population grâce à un mécanisme très prudent de mise en liberté sous condition, visant à réintégrer le détenu dans la collectivité.
Il y a donc beaucoup de mythes que nous devons aider à démythifier.
M. Gallaway: Je veux être juste, mais il semble que les groupes représentant les victimes suggèrent...les victimes exigent l'abrogation de l'article 745.
Que savez-vous des victimes ou des groupes représentant les victimes? Est-ce exact?
Mme Mohr: D'après notre expérience au Conseil des Églises, ces dernières années, nous avons réellement observé des divisions et des tensions entre les groupes représentant les victimes.
Comme c'est le cas des groupes de femmes et d'autres groupes, ils ne s'expriment pas d'une seule voix. Les groupes représentant les victimes ont deux voix différentes, et il est manifeste que l'une de ces voix a demandé l'abrogation de l'article 745.
Mais il y a une autre voix, comme celle de Wilma Derksen, et il y a des victimes qui croient que ce n'est pas la solution, que nous aurons une société plus sûre si nous travaillons mieux auprès des détenus pour les réintégrer d'une manière sûre dans la collectivité, et que l'article 745 est le mécanisme qui contribue à nous aider à le faire.
M. Gallaway: J'ai terminé mes questions.
La présidente: Merci.
Je tiens à vous remercier d'être venus et de partager votre temps avec nos autres témoins. Je vous invite à rester à votre place, si vous le voulez bien.
Je souhaite la bienvenue à Joan Grant-Cummings, nouvelle présidente du Comité canadien d'action sur le statut de la femme. Félicitations pour votre nouveau poste.
Mme Joan Grant-Cummings (présidente, Comité canadien d'action sur le statut de la femme): Merci beaucoup.
La présidente: C'est bon de voir que vous travaillez si fort déjà.
Mme Grant-Cummings: Je sais.
La présidente: Il a été convenu, je pense, que vous auriez droit à 10 minutes, mais je vous en prie, commencez votre exposé. Nous serons heureux de vous entendre.
Mme Grant-Cummings: Je tiens certainement à vous remercier de partager votre temps avec nous.
Le Comité canadien d'action s'oppose fermement à l'amendement proposé par le gouvernement à l'article 745 du Code criminel. Nous croyons que le système carcéral canadien reflète actuellement l'impact du racisme, du sexisme et de l'esprit de classe systémiques sur les plus vulnérables de notre société. Nous parlons en particulier des femmes qui sont détenues.
Dans les prisons pour femmes, on trouve en majorité des femmes des Premières nations, des femmes de couleur, des lesbiennes et des femmes pauvres, qui sont emprisonnées parce que nous n'avons pas su les protéger de la violence et de la discrimination.
Après les avoir mises en prison, nous les punissons encore davantage en les dépouillant totalement de leurs droits et en les gardant dans des conditions déplorables et atroces. Les femmes autochtones et les femmes de couleur deviennent des cibles faciles, qu'on exploite à des fins politiques et qu'on utilise comme bouc émissaire.
La proposition faite par le ministère de la Justice ne servira à rien d'autre qu'à faire progresser le programme de la droite axé sur l'ordre public et fondé sur l'exploitation des craintes de la population face à la criminalité.
Nous croyons que ces propositions ne contribueront en aucune manière à résoudre le problème de la criminalité, et si le gouvernement est déterminé à lutter contre la criminalité, il devrait le faire en s'attaquant à ses causes fondamentales. C'est-à-dire éliminer la pauvreté, le racisme, le sexisme et, surtout, la violence faite aux femmes et d'autres formes d'oppression systémique.
Nous croyons que le gouvernement fait preuve d'une logique défectueuse en disant qu'il essaie de protéger les femmes des meurtriers qui tuent en série. L'article 745 ne permet pas et ne permettra pas à des meurtriers qui ont tué en série d'être libérés prématurément.
Nous trouvons répugnant que le gouvernement introduise un programme d'ordre public au nom de la protection des femmes. Nous estimons que le gouvernement fait preuve d'irresponsabilité financière en consacrant plus de deniers publics à l'incarcération des criminels et à la prolongation inutile de leur détention.
De l'avis de notre comité, la mesure aura pour seul résultat que le gouvernement canadien cherchera à mettre en oeuvre un système pénitentiaire de style américain. Or, le système pénitentiaire de style américain est maintenant devenu le système de sécurité sociale des États-Unis, étant donné qu'il n'y a pas suffisamment de programmes axés sur la prévention de la criminalité, par exemple. Notre gouvernement s'en va sur la même voie.
Voulons-nous un système de sécurité sociale qui consiste à mettre les gens en prison? Le gouvernement continuera-t-il de réduire les programmes de nature préventive et de consacrer plus de crédits à un système pénitentiaire déjà insuffisant et surpeuplé?
Le programme de l'ordre public n'est pas un programme pour les femmes. On ne gagnera pas les droits à l'égalité pour les femmes en punissant et en blâmant les plus vulnérables, et en faisant des victimes d'elles. Des études ont montré que les femmes autochtones, les femmes de couleur et les femmes pauvres se voient refuser la libération conditionnelle anticipée dans un nombre exagérément élevé de cas. Il en est ainsi même dans les cas de crimes moins graves, et on leur impose une peine d'emprisonnement exagérément longue, peu importe le crime.
Le programme d'égalité des femmes consiste à s'assurer qu'on n'en prend aucune pour victime.
Nous exhortons fortement le ministre Rock et le caucus libéral à écouter attentivement ce que les femmes nous disent d'un océan à l'autre: occupez-vous d'abord des véritables problèmes. Éliminez la pauvreté, le racisme, le sexisme et les autres formes d'inégalité à la source. Nous ne voulons pas que nos soeurs emprisonnées paient plus qu'elles ne paient déjà pour les échecs de la société.
C'est ici que se termine notre exposé devant le comité.
La présidente: Merci. Il nous reste quelques minutes.
Monsieur Nunziata, vous avez deux minutes.
M. Nunziata (York-Sud - Weston): Merci.
Je tiens moi aussi à vous féliciter de votre élection. Je vous souhaite bonne chance dans vos efforts au cours de votre mandat.
En ce qui concerne la résolution adoptée par le Comité canadien d'action, cette résolution a été adoptée par qui?
Mme Grant-Cummings: La résolution a été proposée par le comité de la justice du Comité canadien d'action sur le statut de la femme a été appuyée par l'Association canadienne des centres contre le viol.
M. Nunziata: Je vois; les personnes qui ont voté sur cette question...
Mme Grant-Cummings: Oui.
M. Nunziata: Elles ont donc eu la possibilité de...
Mme Grant-Cummings: Oui, en effet.
M. Nunziata: Votre organisme veut-il présenter un mémoire?
Mme Grant-Cummings: Nous pouvons vous en présenter un. Nous avons heureusement trouvé quelqu'un qui a pu partager son temps avec nous. Nous pourrons vous présenter un mémoire plus tard.
M. Nunziata: Je suppose que vous ne différez pas tellement des autres groupes qui ont comparu jusqu'ici devant le comité, c'est-à-dire que vous n'avez pas réellement eu l'occasion d'examiner le projet de loi.
Mme Grant-Cummings: C'est certainement le cas. Il y a beaucoup de choses dont nous devons nous occuper.
De fait, nous avons été choquées et surprises de voir une telle proposition, étant donné qu'un certain nombre d'études ont montré que la mesure envisagée par le gouvernement n'améliorera aucunement la situation en ce qui concerne la lutte à la criminalité.
M. Nunziata: Vous connaissez certainement l'objet général de l'article 745. Je suppose que vous n'avez pas examiné ce projet de loi article par article.
Mme Grant-Cummings: Notre comité de la justice l'a fait.
M. Nunziata: Il l'a déjà fait?
Mme Grant-Cummings: Oui, il l'a fait.
M. Nunziata: Je suppose donc qu'à un moment donné il nous donnera des conseils au sujet des diverses dispositions qui sont proposées. Vous n'appuyez aucune des dispositions de ce projet de loi?
Mme Kim Pate (membre, Conseil national de la prévention du crime; directrice générale, Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry): Non, nous n'appuyons aucune des dispositions proposées. De fait, nous avons présenté des mémoires au ministère de la Justice au cours de la période de consultation, bien que cette période ait été brève.
J'ai parlé à la présidente du comité de la justice, et elle a déploré le fait qu'elle ne pouvait pas comparaître. Tout s'est passé tellement rapidement, et nous venons tout juste de tenir l'assemblée annuelle du Comité canadien d'action sur le statut de la femme.
Je dois signaler que Joan a omis de vous dire que nous représentons - et que Joan représente actuellement - 375 groupes de femmes de la base et de groupes nationaux qui représentent à leur tour l'ensemble des femmes et des enfants dont on fait des victimes dans ce pays.
Si la chose a échappé aux membres du comité, il est important de signaler que c'est tout le... Ce n'est pas seulement le Comité canadien d'action sur le statut de la femme, mais tous les groupes de femmes qui ont rencontré le ministre Rock jeudi dernier pour lui présenter des mémoires sur des questions générales de justice, exprimant unanimement leur opposition à tout changement proposé à l'article 745.
C'est parce que nous ne voulons pas voir éroder davantage les principes d'équité et de justice dans un soi-disant échange compensatoire d'êtres vivants contre des morts d'une manière que nous jugeons répugnante, c'est pour cela que nous parlons en faveur des droits civils et humains de personnes comme Clifford Olson.
On dupe la population en lui faisant croire que cette mesure apaisera ceux qui pleurent encore la perte tragique d'un être cher, que cela répondra en quelque sorte à leurs besoins, que les dépenses entraînées par cette mesure contribueront d'une manière ou d'une autre à créer un meilleur système.
Nous savons que ce n'est pas vrai. Nous savons que les mêmes personnes qui ne pourront jamais sortir de prison maintenant à cause de ces amendements... Ces mêmes détenus ne sont pas libérés actuellement en vertu de l'article 745.
La mesure ne changera rien, sauf qu'elle occasionnera des coûts plus élevés et que la vie de certaines personnes sera encore plus en danger, c'est-à-dire que leur liberté sera encore plus limitée. Nous parlons des femmes et des enfants de nos collectivités où les policiers ne viennent pas actuellement lorsqu'on les appelle.
M. Nunziata: Une dernière...
La présidente: J'aurais dû mentionner aux fins du compte rendu que Kim Pate est également ici au nom du Comité canadien...
Mme Pate: Et nous sommes un organisme membre du Comité canadien d'action sur le statut de la femme.
La présidente: Merci.
Madame Torsney, vous avez deux minutes.
Mme Torsney (Burlington): En ce qui concerne les femmes incarcérées dans nos pénitenciers fédéraux, j'aimerais comprendre quelle serait l'incidence de l'adoption de cet amendement sur elles.
Mme Pate: Je tiens à signaler que je suis ici aujourd'hui pour représenter l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry.
Nous parlons de l'incidence que cette mesure aura sur tous les Canadiens, et en particulier sur les groupes les plus vulnérables, c'est-à-dire les femmes et les enfants, et en particulier les femmes autochtones, les Noires, les pauvres et les lesbiennes. Ce sont les femmes qui sont déjà exagérément défavorisées par le système de justice pénale, tant parce qu'elles ne peuvent pas obtenir que la police réponde à leurs appels dans plusieurs localités que parce qu'elles n'arrivent même pas à avoir accès à la police. Nous parlons des collectivités rurales et nordiques, où la police se trouve parfois à une heure et demie de là.
Nous parlons donc essentiellement de l'incidence que cette mesure aura sur nous tous et du fait qu'on essaie de nous faire croire que cet échange répondra d'une manière ou d'une autre à nos besoins à tous. On ne tient pas compte du fait qu'il y aura plus de gens en prison à cause de cette mesure, sans que cela réponde aux besoins, aux besoins très réels, des gens de nos collectivités, en particulier des femmes et des enfants qui souffrent.
Mme Torsney: Vous préféreriez donc qu'au lieu de dépenser 50 000$ par année pour incarcérer quelqu'un pendant une longue période on consacre cet argent à des services additionnels de police dans le Nord, par exemple.
Mme Pate: Il faudrait investir dans les collectivités, dans le développement communautaire et des programmes sociaux additionnels pour les femmes. Nous entrevoyons des coûts non seulement à cause du temps supplémentaire que les détenus passeront en prison, mais aussi à cause de l'application de ces amendements. Nous savons qu'il y aura des contestations en vertu de la Constitution. Si nous permettons l'adoption de cette mesure, ou même si nous nous taisons pendant qu'on l'adopte - si elle est adoptée - nous voyons que M. Olson aura le droit de contester cette mesure en vertu de la Constitution.
Nous ne voulons pas faire partie du groupe qui plaide, ou qui semble plaider, en faveur des meurtriers qui tuent en série. Le fait est, cependant, que l'érosion des droits de la personne dans ce domaine se répercute toujours de façon disproportionnée, nous le savons, sur les plus vulnérables dans notre société. C'est cet élément de la direction dans laquelle nous allons que nous rejetons absolument.
La présidente: Merci, madame Torsney.
Je remercie les représentants du Conseil des Églises.
Le Comité canadien d'action sur le statut de la femme vous remercie d'avoir partagé votre temps.
Nous allons maintenant faire une brève pause.
La présidente: La séance reprend. Je souhaite maintenant la bienvenue aux représentants de l'Association canadienne de justice pénale: Arn Snyder, président du comité de révision des politiques, Matthew Yeager, secrétaire du comité de révision des politiques, Elizabeth White, membre du conseil d'administration, Johanne Vallée, membre, et Brian Gough, du programme Lifeline.
Je pense que vous avez un exposé à présenter.
M. Arn Snyder (président, Comité de révision des politiques, Association canadienne de justice pénale): Tout d'abord, merci beaucoup de nous donner cette occasion de comparaître aujourd'hui.
Vous avez reçu le texte de notre exposé, je pense. Je tiens à vous expliquer que ce mémoire a été rédigé en réponse au projet de loi C-226. Nous allons évidemment y ajouter quelque chose, étant donné les autres changements qui ont été proposés. Par conséquent, dans notre exposé d'aujourd'hui, nous ajouterons des éléments au texte que nous avons déjà remis.
Nous représentons l'Association canadienne de justice pénale. Pour la gouverne des membres du comité qui ne connaissent pas l'association, nous représentons un organisme d'environ1 200 membres composé de professionnels du système de justice pénale et de citoyens concernés. L'Association canadienne de justice pénale existe depuis plus de 75 ans. Voilà donc qui nous sommes.
Ce matin, chacun des membres du groupe aimerait faire un bref exposé d'environ cinq minutes. Pour ma part, je vais vous dire quelques mots au sujet de chacun des membres en guise d'introduction.
Brian Gough est membre du Programme Lifeline, un des éléments du programme de la Société Saint-Léonard du Canada. Matt Yeager, criminologue, est également secrétaire du comité de révision des politiques à l'Association canadienne de justice pénale. Elizabeth White est directrice générale de la Société Saint-Léonard du Canada. Johanne Vallée est directrice générale de l'Association des services de réhabilitation sociale du Québec.
Je suis président du comité de révision des politiques. M. Jack Ramsay et moi-même avons en commun le fait que j'ai récemment pris ma retraite après 24 années comme agent de police dans une force policière municipale. Voilà pour mes antécédents à moi.
Brian vous fera le premier exposé.
M. Brian Gough (membre, programme Lifeline, Association canadienne de justice pénale): Merci, madame la présidente.
Pourquoi propose-t-on ces changements? Qu'est-ce qui a poussé le ministre de la Justice, Allan Rock, à présenter des amendements à l'article 745? Clairement, ce n'est pas parce que le processus ne fonctionne pas. À mon avis, ces modifications à l'article 745 découlent des efforts de lobbying du mouvement de défense des droits des victimes en vue de modifier la politique en matière de justice pénale ainsi que des efforts concertés d'un délinquant psychopathe appelé Clifford Olson. Pendant des années, cet homme a réussi à inspirer la crainte et à manipuler la presse et l'opinion publique de sa cellule. Ses remarques ont rendu furieux les représentants des médias, des mouvements de défense des droits des victimes et le simple citoyen.
Olson et les autres comme lui sont l'exception et ne seront pas relâchés. Il ne faut pas se surprendre de l'autorité qu'a acquise en la matière le mouvement de défense des droits des victimes, à une époque où les médias donnent de l'information erronée ou mal fondée à la population en ce qui concerne la loi actuelle portant sur la révision judiciaire. Le mouvement de défense des droits des victimes a le droit de faire des pressions auprès des représentants gouvernementaux, et toute personne qui réfléchit peut avoir et a de la sympathie pour les familles des victimes, compatit avec elles, surtout que leurs efforts depuis 15 ou 20 ans se sont concentrés sur la vengeance. Or, la vengeance a un effet paralysant sur l'individu et sur la société dans son ensemble et n'a pas sa place dans une discussion rationnelle.
Les familles des délinquants sont aussi victimes dans les affaires de meurtres. Je ne veux pas dire que leur douleur et leur perte soient plus grandes que celles des familles des victimes, mais, malheureusement, les familles des délinquants n'ont pas la même voix au chapitre dans ce débat.
Le gouvernement du Canada a l'obligation de s'assurer que tous les Canadiens, y compris ceux qui sont incarcérés et leurs familles, sont traités avec équité et justice. Il faut remettre dans son contexte la crainte inspirée par M. Olson et les médias. M. Olson sait pertinemment qu'il ne sera pas libéré, même s'il a le droit de demander une révision judiciaire. Il n'existe pas actuellement d'échappatoire dans la loi pour un condamné à l'emprisonnement à perpétuité. La perpétuité, c'est la perpétuité.
La révision judiciaire, dans sa formule actuelle, représente un processus démocratique bien pensé. L'audition se tient dans la localité où l'infraction a eu lieu. Un jury composé de 12 citoyens décide de réduire ou pas le délai préalable à la libération conditionnelle.
Par exemple, un détenu qui doit purger 25 ans de prison avant d'être admissible à la libération conditionnelle peut, s'il demande une révision judiciaire, s'attendre à quatre possibilités: aucune modification ou réduction de la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle, mais il peut obtenir la date à laquelle il pourra présenter une nouvelle demande; aucune modification ou réduction de la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle et refus d'entendre toute demande future; réduction du nombre d'années d'emprisonnement sans admissibilité à la libération conditionnelle; ou fin de la période d'inadmissibilité, ce qui permet au délinquant de demander immédiatement la libération conditionnelle.
Lorsque - ou si - le délinquant réussit à faire réduire la période préalable, il doit néanmoins présenter une demande à la Commission nationale des libérations conditionnelles pour obtenir sa libération. Le processus n'est pas automatique et prévoit des étapes préalables à la libération qui comportent des PSAS, des PSSS, la semi-liberté, puis la libération conditionnelle totale. Il faut en général trois ans pour franchir toutes les étapes. Ainsi, même lorsqu'il y a réduction de la période d'inadmissibilité à 15 ans, il faut encore attendre des années avant cette libération.
Chez les 752 détenus reconnus coupables de meurtre qui ont été libérés entre le 1er janvier 1975 et le 1er mars 1990, le taux de récidive est de moins d'un pour cent. Ces statistiques proviennent des Nations unies. Au 28 février 1995, 15 de ceux qui avaient reçu une réduction de la période préalable à l'admissibilité à la libération conditionnelle ont obtenu la libération conditionnelle totale et six la semi-liberté. Aucune de ces personnes n'a commis de nouveau de crimes semblables. Les condamnés à l'emprisonnement à perpétuité, en général, continuent à être le meilleur risque lorsque libérés, le groupe dont le taux de récidive est le plus faible.
Je vous ai donné un bref aperçu de ce qu'est la révision judiciaire et de ce que je pense être les raisons qui ont poussé le ministre de la Justice à proposer des modifications à l'article 745. À mon avis, cela fonctionne; il n'y a pas lieu de tenter d'arranger les choses.
Je suis persuadé que toutes les personnes présentes ici ont fait de nombreuses lectures sur la libération conditionnelle et la révision judiciaire, mais j'aimerais saisir l'occasion qui m'est offerte ici pour vous parler du changement, du changement qui survient dans l'âme humaine. Malheureusement, la désinformation dans les médias a un grand rayonnement, alors que les efforts de la Commission nationale des libérations conditionnelles et des hommes et des femmes qui travaillent avec les condamnés à perpétuité, que ce soit sur le plan clinique ou le plan spirituel, ne peuvent atteindre ce même nombre de personnes.
Le système correctionnel fédéral existe pour appliquer les sentences prononcées par les tribunaux, mais il faut également que dans ce système on tienne compte des changements profonds sur le plan interpersonnel et intrapersonnel qui surviennent dans la vie du délinquant. Le système doit punir le délinquant en le privant de son droit le plus précieux, le droit à la liberté, mais il est également essentiel de faire tous les efforts voulus pour sauver cette vie et retourner à la collectivité un citoyen respectueux des lois.
Il arrive un moment dans la vie de la grande majorité des détenus condamnés à perpétuité où survient ce changement, et ce, dans la plupart des cas, bien avant 15 ans d'emprisonnement. En refusant de donner une deuxième chance au détenu, on met de côté tout semblant de traitement équitable et humain et on contrevient aux principes mêmes d'une société libre et démocratique, dont la morale reflète la doctrine chrétienne de la rédemption et du pardon.
Personnellement, je connais de nombreuses personnes reconnues coupables de meurtre qui ont été libérées dans le cadre du programme de libération conditionnelle et qui vivent maintenant une vie productive dans le respect des lois. Elles travaillent, paient leurs impôts, font travailler d'autres personnes et, dans de nombreux cas, font du bénévolat pour aider les autres.
Les modifications proposées à l'article 745 prévoient, si j'ai bien compris, la présentation à un juge d'une demande de révision judiciaire devant jury. Ce processus en soi est arbitraire et capricieux et ne va pas dans le sens de l'intérêt public dans une société libre et démocratique.
Les tueurs en série ne peuvent pas présenter de demande: toutefois, nous ne connaissons pas la définition de «tueur en série».
Exiger une décision unanime du jury au lieu d'une décision prise à la majorité des deux tiers: je ne vois pas là non plus le signe d'un processus démocratique. Ne serait-il pas tragique que la Cour suprême doive se conformer à la même formule?
Les dispositions de la loi auraient un effet rétroactif, ce qui aurait des conséquences dévastatrices pour les délinquants emprisonnés à perpétuité dont la date de révision approche. On afficherait ainsi également un manque total de confiance dans les nombreux hommes et femmes qui travaillent pour aider à réadapter les délinquants.
Il s'est écoulé 20 ans depuis que l'on a augmenté la durée de la peine obligatoire dans les cas de meurtres; pour le meurtre au premier degré: 25 années d'emprisonnement avant l'admissibilité, et pour le meurtre au deuxième degré: de 10 à 25 ans d'emprisonnement, à la discrétion du juge. Les modifications proposées signifieraient des périodes plus longues d'incarcération en sécurité maximale dans le cas de la plupart des détenus emprisonnés à perpétuité, ce qui entraînerait pour le gouvernement et les contribuables des dépenses indues à une époque de contraintes budgétaires. À l'heure actuelle, il en coûte de 60 000$ à 70 000$ par année pour incarcérer un détenu en sécurité maximale, alors qu'il en coûte environ 9 000$ lorsque le détenu est en semi-liberté.
Les détenus qui réintègrent la société après avoir purgé une peine de 20 ans sont très certainement marginalisés. De nombreux délinquants toujours incarcérés après 20 ans ou plus ne représentent aucun risque pour la société. Toutefois, leur insertion est retardée pour d'autres raisons, par exemple à cause d'une condition que je considère semblable au stress post-traumatique provoqué par des années passées dans un milieu où la plus grande vigilance est toujours de rigueur.
De nombreux professionnels qui travaillent avec les délinquants avant leur libération éprouvent souvent des difficultés à trouver un établissement approprié pour certains détenus, par exemple une maison de transition. Dans certains cas, il n'existe tout simplement pas encore d'installations appropriées. Or, les modifications prévues à l'article 745 augmenteront le nombre de délinquants dans cette catégorie.
Pour tous, une vie sans espoir est certes tragique. Les modifications à l'article 745 abolissent tout espoir. Lorsque, comme personnes ou gouvernement, nous privons une personne ou un groupe de personnes d'espoir, comme société nous nous diminuons. Comme représentants élus, il vous incombe de vous assurer que votre gouvernement ne réagit pas simplement aux pressions qu'exercent les groupes de lobbying à des fins politiques. Les modifications à cette loi que propose le ministre de la Justice, Allan Rock, ne tiennent pas compte du fait qu'un examen empirique exhaustif révèle que le régime actuel fonctionne bien. À ma connaissance, jusqu'à présent, personne n'a pu démontrer que le processus de révision judiciaire actuel a entraîné la libération d'une personne qui a tué à nouveau. Encore une fois, si cela fonctionne, pourquoi y toucher?
Je suis un ancien détenu condamné à perpétuité qui a été libéré. J'ai purgé environ 12 ans dans des établissements fédéraux, dont neuf années dans des établissements à sécurité maximale. J'ai été libéré conditionnellement en 1984 et j'ai fait des études postsecondaires en science du comportement. Pendant six ou sept ans, j'ai travaillé avec les handicapés développementaux.
Récemment, j'ai commencé à travailler pour Lifeline Kingston, un organisme qui oeuvre auprès des condamnés à perpétuité dans la région de l'Ontario. En ma qualité d'intervenant In-Reach, je me sens obligé de parler pour les 500 condamnés à perpétuité qui purgent leur peine dans des établissements fédéraux en Ontario. Ces hommes et ces femmes sont aussi des Canadiens, et, malgré leur crime, demeurent des êtres humains qui espèrent en un avenir meilleur. Ils représentent quelque chose pour nous tous.
En terminant, je tiens à vous remercier de m'avoir écouté et de m'avoir donné la possibilité de comparaître ici.
La présidente: Merci, monsieur Gough.
Mme Elizabeth White (membre, conseil d'administration, Association canadienne de justice pénale): Je tiens à vous remercier moi aussi de l'occasion qui m'est donnée de vous adresser la parole ce matin. Je suis profondément déçue comme Canadienne de devoir revenir ici répéter, pour la énième fois, les commentaires que moi-même et mes collègues et d'anciens condamnés à perpétuité, comme Brian, faisons depuis plusieurs mois.
Brian a donné un aperçu très humain des répercussions de la révision judiciaire et des modifications proposées. Au nom du conseil de l'ACJP et comme directrice générale de la Société Saint-Léonard du Canada, je vais m'en tenir, dans mes propos, à la teneur de ces dispositions législatives.
C'est décourageant. Le libellé est décourageant. En utilisant des expressions telles que «seuls les plus méritants», sans définition, sans explication et sans contexte, on nous ramène à une époque de rédaction législative floue qui encourage l'application subjective de la loi et n'améliore en rien le cadre législatif canadien. Voici quel est le devoir de ce gouvernement: donner un cadre législatif équilibré à la société, reconnaître ouvertement que le processus actuel fonctionne bien et que la sécurité de la collectivité n'a été menacée ni par la mise en place de ce processus ni par son maintien. Il est irresponsable de rédiger un tel méli-mélo législatif.
Ces modifications constituent une réaction irréfléchie aux cris de douleur légitimes des survivants. À mon avis, la responsabilité du gouvernement consisterait à répondre aux besoins de ces survivants d'une façon beaucoup plus progressiste au lieu de tout simplement éliminer les droits civils et législatifs d'une autre catégorie de citoyens.
Rien dans les dispositions proposées n'augmentera la sécurité de la collectivité. En fait, vous avez entendu dire, et on vous le dira encore, que ces mesures feront augmenter la criminalité au lieu de la prévenir, qu'il soit question de criminalité dans les établissements - une moins grande sécurité pour les agents - ou de moins nombreuses possibilités pour ceux qui sortent du système.
La tendance actuelle dans notre société, c'est l'ouverture et la reddition de comptes dans tous les secteurs, y compris ceux de la justice. L'examen initial des demandes par un seul juge nous ramène à un processus se déroulant derrière des portes closes. La communauté perd ainsi l'information et sa participation à la prise de décisions. C'est un pas en arrière.
En réduisant le processus de sélection à un simple examen sur dossier, on augmente en fait les coûts sans créer d'avantages perceptibles. Nous ajoutons tout simplement un autre niveau de bureaucratie à une époque où nous savons tous pertinemment que nos ressources diminuent. À mon avis, les ressources que l'on consacrerait à cette procédure seraient beaucoup plus utiles dans d'autres secteurs - l'appui aux proches des victimes, le soutien de programmes de prévention, même le financement d'un plus grand nombre de programmes de réadaptation à l'intention des personnes visées par ces dispositions. Une initiative législative anti-Olson n'est pas la bonne réponse à toutes ces préoccupations.
La Société Saint-Léonard du Canada travaille depuis 35 ans à réinsérer dans la collectivité les hommes condamnés à purger des peines dans les établissements fédéraux. Le programme Lifeline de Brian nous permet entre autres de tenir compte du fait évident que plus l'incarcération est longue, plus la réinsertion sociale devient difficile, et c'est justement pourquoi nous commençons à travailler le plus tôt possible avec les détenus afin de bien les préparer à réintégrer la société comme citoyens respectueux de la loi.
C'est retourner en arrière que de gâcher cette possibilité de changement chez l'individu, et de ne pas reconnaître que les individus évoluent pendant qu'ils sont incarcérés. Nous sommes mieux renseignés qu'il y a 20 ans, lorsque nous avons aboli la peine de mort, sur ce qui fonctionne et sur ce qui ne fonctionne pas. Il est imprudent de ne pas faire profiter de cette connaissance tous les Canadiens.
[Français]
Mme Johanne Vallée (directrice générale de l'Association des services de réhabilitation sociale du Québec; membre de l'Association canadienne de justice pénale): Dans un premier temps, je voudrais remercier l'Association canadienne de justice pénale de m'avoir invitée à me joindre à son panel à titre de membre de l'Association.
L'Association que je représente, l'Association des services de réhabilitation sociale du Québec, regroupe 35 organismes communautaires dirigés par des citoyens bénévoles. On dessert à chaque année plus de 30 000 personnes. Il est important que vous compreniez que la mission de notre association est d'encourager et d'appuyer la participation des citoyens à l'administration de la justice pénale. C'est un élément important pour que vous compreniez davantage la perspective dans laquelle on se situe. Nous sommes donc très reconnaissants puisque la perspective du Québec sur la révision judiciaire est très importante.
Dans un deuxième temps, je dois exprimer, tel que mes collègues l'ont fait plus tôt, notre profonde déception quant à la façon dont le gouvernement mène actuellement les consultations. L'échéancier est ici un obstacle considérable à l'expression de divers points de vue. Mais enfin, compte tenu de l'importance du sujet, notre groupe a accepté de joindre la voix des citoyens qui le composent et le dirigent à celle de l'Association canadienne de justice pénale.
J'aborderai brièvement trois points: le jury, le rôle de la révision judiciaire dans la gestion des peines et de la protection du public et, finalement, l'expérience québécoise.
Au niveau du jury, la proposition du projet de loi selon laquelle la décision du jury devrait être unanime constitue, selon nous, un projet d'amendement quelque peu étonnant, si l'on considère l'autorité normalement conférée à cette instance décisionnelle. Le jury, c'est avant tout le droit des citoyens de s'exprimer sur les décisions que la justice doit rendre.
On comprend que l'unanimité soit une dimension importante du processus décisionnel d'un jury lorsqu'il s'agit d'un procès pour un délit au Code criminel car, à ce niveau, le principe qui s'applique est celui du doute raisonnable. Ainsi, si le jury n'est pas unanime, il y a donc doute raisonnable, ce qui empêche un verdict de culpabilité.
Dans le cas qui nous intéresse, la culpabilité de l'individu a déjà été établie. Il s'agit, pour le jury, de se faire une opinion de l'évolution du détenu et, pour y arriver, le jury a accès à l'ensemble du dossier correctionnel, ainsi qu'au témoignage des divers intervenants qui ont suivi le détenu tout au long de sa période d'incarcération.
Le comportement du détenu est donc passé au peigne fin. Afin de faire pencher le jury en faveur d'une réduction de sa période d'admissibilité, le détenu devra démontrer que son comportement est impeccable. C'est probablement ce qui explique qu'à peine quelque 36 p. 100 des détenus font une demande en vue d'une révision judiciaire.
D'autre part, tel que décrit dans le projet de loi, le fait que le juge ait à décider de la possibilité d'entendre une demande de révision judiciaire nous amène à croire que le pouvoir du jury est en quelque sorte usurpé par le pouvoir du juge. Pourtant, le jury est composé de citoyens dont la communauté a été lésée par la perpétration d'un crime; ces citoyens ont alors l'occasion de se pencher à nouveau sur le cas du détenu.
Nous considérons que la révision judiciaire constitue un processus important, favorisant l'engagement de la communauté dans l'administration de la justice ainsi que dans la réinsertion sociale d'un détenu, et c'est pourquoi nous nous opposons à la modification proposée.
Passons maintenant à la révision judiciaire dans la gestion des peines et la sécurité du public. Je vous rappelle que la philosophie pénale canadienne et la mission du Service correctionnel du Canada reconnaissent qu'un individu peut changer. Or, des modifications limitant l'accès à ce processus vont dans le sens contraire de cette philosophie et signifient que le but de l'incarcération se limite à la vengeance et la punition, au détriment de la réinsertion sociale.
La révision judiciaire récompense ceux qui, au cours de leur période de réclusion, ont véritablement fourni les efforts nécessaires afin de devenir de meilleurs citoyens. Ainsi, s'il devient inutile de prolonger la période d'incarcération, on peut penser qu'il existe un moment propice pour songer à libérer la personne. C'est la raison pour laquelle la révision judiciaire est une mesure utile et nécessaire permettant d'identifier les individus qui sont vraiment prêts à un élargissement et évitant de les laisser inutilement au pénitencier alors qu'ils auraient avantage à poursuivre leur cheminement dans la communauté, cela à moindres frais pour cette dernière.
[Traduction]
La présidente: Veuillez ralentir un peu, de façon à faciliter la vie à nos interprètes. Merci.
[Français]
Mme Vallée: D'accord. Si on limite davantage l'accès, l'espoir des détenus sera alors affecté considérablement et la gestion des longues sentences sera beaucoup plus ardue. Je vous inviterais à vous pencher sur l'expérience actuelle de la France, qui vit une période de crise dans ses institutions carcérales parce que, justement, le nombre de détenus purgeant de longues sentences et des sentences fixes est extrêmement élevé et entraîne le désespoir, si bien que le climat de violence nuit à la sécurité des détenus et à celle des employés qui oeuvrent dans ce milieu.
Quant à l'expérience du Québec, je vous rappelle que c'est au Québec qu'on retrouve le plus grand nombre de détenus ayant bénéficié d'une réponse positive à leur demande de révision judiciaire. Les résultats sont excellents. D'une part, il n'y a pas eu de récidive chez ceux qui ont été libérés et, d'autre part, l'engagement des citoyens dans la gestion de cette population est manifestement remarquable.
Je vous entendais dire tout à l'heure que tous les gens demandent la réduction de l'accès à la révision judiciaire. L'appui que donnent les citoyens du Québec aux détenus du Québec confirme que certains appuient le maintien de la révision judiciaire. Ces citoyens oeuvrent bénévolement au sein des prisons auprès des détenus qui purgent de longues sentences, comparaissent avec eux, les appuient lors des demandes de révision judiciaire et audiences de libération conditionnelle et même, par la suite, une fois que les détenus sont libérés.
Au Québec, les résultats positifs amènent les groupes communautaires à appuyer la révision judiciaire dans son contexte actuel; ces groupes s'opposent à toute modification. D'ailleurs, lors des discussions organisées par le ministère de la Justice sur cette question, les groupes du Québec ont milité en faveur du maintien du processus.
Pour nos organisations, les changements proposés ne correspondent en rien à la réalité et aux besoins de la protection du public. Les modifications ne correspondent pas non plus aux valeurs des groupes du Québec. La révision judiciaire a été instaurée dans le but de permettre aux détenus méritoires de bénéficier d'un élargissement avec surveillance. Depuis, malgré les nombreuses attaques qu'elle a dû subir, la révision judiciaire constitue une mesure juste et efficace.
Puisqu'elle vise une clientèle qui présente peu de risques de récidive, les raisons pour lesquelles on peut désirer son abolition sont basées uniquement sur des principes de vengeance. Nous ne souscrivons pas à ces principes. Nous demandons qu'elle soit maintenue telle quelle. Merci.
[Traduction]
M. Matthew Yeager (secrétaire, Comité de révision des politiques, Association canadienne de justice pénale): Il y a quelque chose qui ne va vraiment pas et qui est vraiment inquiétant lorsque les groupes de professionnels du système de justice pénale qui travaillent dans vos pénitenciers et vos tribunaux, qui travaillent avec les délinquants en libération conditionnelle, vous disent presque à l'unanimité que ce projet de loi est mal conçu et mal rédigé.
J'aimerais vous faire entendre un son de cloche un peu différent. Certains parmi vous savent que je suis criminologue. J'ai la citoyenneté américaine et canadienne, mais je suis né et j'ai fait mes études aux États-Unis, notamment en Californie. J'aimerais vous expliquer un peu ce que vous êtes en train de faire de mon point de vue. Je vois le ministère de la Justice et le gouvernement canadien en train d'américaniser le système de justice canadien. Je ne comprends pas pourquoi vous souhaiteriez américaniser votre système. Permettez-moi de vous dire quelques mots au sujet du système américain.
Un conseil national de recherche a récemment publié un rapport à la suite d'une étude exhaustive sur la violence aux États-Unis. Dans le rapport on fait état du fait que depuis 1975 la durée des peines imposées aux délinquants violents dans les prisons américaines a triplé, soit une augmentation de 300 p. 100. Quelle a été l'incidence sur le taux de crimes violents? Cette étude, intitulée «Understanding and preventing violence», que j'ai ici, conclut qu'il n'y a pas eu de réduction du taux de crimes violents aux États-Unis.
Un des États où le taux de meurtres est le plus élevé, c'est la Louisiane, où la loi prévoit qu'une condamnation à perpétuité pour meurtre signifie à perpétuité sans libération conditionnelle. Y a-t-il un lien entre l'incarcération à perpétuité sans libération conditionnelle et le taux de meurtres en Louisiane? Les chercheurs vous répondront qu'il n'y a pas la moindre relation.
À mon avis, c'est essentiellement le triomphe du châtiment sur la rédemption. Vous suivez les traces de mes cousins aux États-Unis pour des raisons qui n'ont aucun sens. Pourquoi copier un système de justice pénale qui est considéré comme un échec à l'échelle internationale? Le système de justice pénale américain est considéré comme un échec par les milieux internationaux. Pourquoi vouloir copier cet exemple?
Quels problèmes présente l'article 745? Moins de la moitié des détenus admissibles présentent une demande, et, parmi ceux-ci, 80 p. 100 obtiennent une réduction de la période, ce qui me porte à croire que les membres de la communauté considèrent que certains détenus ont fait des efforts pour changer et méritent une réduction de la période d'attente. Parmi ceux qui ont obtenu une période moins longue, moins de la moitié ont obtenu la libération conditionnelle - jusqu'à présent.
Qu'en est-il de ceux qui ont été libérés? Essentiellement, à l'exception d'une personne qui a été arrêtée à nouveau pour vol à main armée, ça va très bien. Est-ce que cela justifie donc ces changements, l'abrogation de cette disposition? Car, essentiellement, c'est ce que vous faites. Vous utilisez une méthode détournée pour «éviscérer» cette disposition. Est-ce une raison? Je ne le pense pas.
Résumons ce que nous voyons. Nous sommes très préoccupés au sujet de la crédibilité de ce processus. Vous allez passer à l'étude article par article de ce projet de loi ce soir malgré le fait qu'un grand nombre de groupes aimeraient comparaître sur cette question et nonobstant le fait que lors de consultations avec le ministère de la Justice, nous avons été unanimes à reconnaître qu'il n'y avait pas lieu de changer cette disposition. Le ministère a complètement ignoré les recommandations de ses propres spécialistes et de la communauté.
Ce projet de loi particulier annule la participation communautaire. Comment? D'abord, il faut un juge qui vous accorde en premier lieu le droit de vous adresser à un jury. Ensuite, le projet de loi modifie la formule du jury en permettant à un seul juré d'opposer son veto à la décision des 11 jurés.
C'est légiférer en s'inspirant de manchettes. C'est une très mauvaise technique législative que d'adopter un projet de loi parce que vous n'aimez pas Clifford Olson ou Paul Bernardo, etc. Cela révèle également un manque de foi dans les jurys. Voulez-vous essayer de me faire croire qu'un jury composé de membres de la communauté ne prendra pas la bonne décision si M. Olson présente une demande?
Enfin, il n'y a aucune documentation à l'appui de cette «éviscération» de l'article 745. Cette nouvelle mesure va accroître la population carcérale. Les détenus condamnés à perpétuité forment déjà le deuxième groupe le plus important, après les délinquants sexuels, dans les établissements fédéraux.
Enfin, en ce qui concerne les tueurs en série, je ne sais pas exactement ce que vous entendez par «série». Un grand nombre de meurtres sont parfois des meurtres domestiques multiples. Il n'y a aucune définition dans la loi ni dans ce projet de loi.
Pour ces raisons, j'ose espérer que les membres de ce comité vont trouver le moyen d'exiger qu'on leur accorde plus de temps pour examiner ce projet de loi et ne trancheront pas trop vite.
La présidente: J'aimerais préciser une chose. Parmi ceux qui ont demandé à comparaître, je pense que nous n'avons refusé qu'une seule personne. La personne en question va présenter un mémoire. Nous avons invité des témoins de tous les milieux. Une seule personne a été refusée. Malheureusement, il s'agissait de M. Skip Graham, de Windsor, mais il est évidemment représenté ici par Brian et Elizabeth.
Je tenais simplement à le souligner, monsieur Yeager. Si d'autres ont vu leur demande rejetée, nous n'en avons pas entendu parler.
Sommes-nous prêts à passer aux questions?
M. Snyder: Nous sommes prêts pour les questions.
La présidente: Monsieur Langlois, vous avez dix minutes.
[Français]
M. Langlois: J'aimerais tout simplement vous rappeler que je maintiens que la règle des deux tiers du jury ne devrait pas être modifiée. L'article 745.1, qui établit une étude préalable par un juge d'une cour supérieure de juridiction criminelle, devrait invoquer non seulement une preuve littérale, mais aussi une audition des parties. En principe, je suis en faveur qu'une plus grande preuve puisse être présentée au jury.
Je partage vos préoccupations relativement à la restriction imposée aux personnes déclarées coupables de plus d'un meurtre. On vise essentiellement les mass murderers, les serial killers, mais sans en donner de définition. Puisque nos préoccupations se rejoignent en tout ou en partie, je préfère céder la parole à certains de mes collègues qui ne partagent pas votre point de vue. Cela permettra probablement de faire avancer davantage le débat.
[Traduction]
La présidente: Monsieur Ramsay, vous avez dix minutes.
M. Ramsay: Je remercie M. Langlois de sa générosité. Il a écourté ses questions. Nous n'avons jamais suffisamment de temps.
Comme tous les témoins, je pense que c'est presque une farce de vous demander de préparer un mémoire sur un projet de loi comme celui-ci, de vous demander de venir ici, sachant fort bien: que vos propos n'auront pas la moindre incidence - et je dis bien, pas la moindre - sur les résultats. Nous allons entendre des témoins toute la journée. Vers 21 heures, probablement, nous allons faire l'étude article par article en vitesse. Je ne sais pas comment faire pour changer cela. Pourquoi vous avoir tous fait venir?
Vous savez, de tous les témoins qui ont comparu devant nous, Brian, vous êtes le seul qui a présenté une dimension que je souhaite explorer. Je ne sais pas si c'est possible en cinq ou dix minutes. J'aimerais vous poser quelques questions. Si elles vous gênent, n'y répondez pas, et nous passerons à autre chose.
Vous étiez condamné à perpétuité?
M. Gough: Oui, en effet. Je le suis toujours, puisque je suis en libération conditionnelle.
M. Ramsay: Les conditions de votre libération ne vous empêchent pas de comparaître devant un comité permanent, je suppose.
M. Gough: Non, monsieur.
M. Ramsay: Voulez-vous nous dire de quoi vous étiez accusé?
M. Gough: Certainement. En 1973, j'ai abattu sur un homme. Je le regrette. J'aimerais pouvoir retourner en arrière, mais c'est impossible.
M. Ramsay: De quelle infraction avez-vous été reconnu coupable?
M. Gough: J'ai été reconnu coupable de meurtre non qualifié. À l'origine, j'avais été inculpé pour meurtre qualifié, mais vous vous rappellerez qu'à l'époque, la peine de mort était frappée d'un moratoire et d'une interdiction partielle. Je suis tombé en plein milieu. En l'espace d'un mois, entre mon arrestation et le procès, l'accusation a été réduite à meurtre non qualifié.
M. Ramsay: Connaissiez-vous l'homme que vous avez abattu?
M. Gough: Oui, je le connaissais assez bien. Il allait me tirer dessus; il était armé.
M. Ramsay: Notre groupe n'a pas abordé tout cet aspect de la relation entre vous et la personne que vous avez tuée. Je peux vous pardonner. Tous les membres de la famille du défunt peuvent vous pardonner.
M. Gough: C'est ce qu'ils ont fait, monsieur.
M. Ramsay: Et la personne la plus importante - la victime?
M. Gough: Je vais revoir la victime. J'en suis persuadé. Je suis chrétien. Je crois qu'un jour viendra où nous nous retrouverons face à face. Je pense qu'il m'a pardonné.
Évidemment, nous ne pouvons pas revoir les victimes dans ce monde-ci, mais, comme chrétiens, je pense que nous les reverrons. Nous allons revoir tout le monde.
Je ne sais pas quelle est votre foi, Jack. Je vous écoutais il y a quelques instants, et je ne pouvais m'empêcher de ressentir votre sentiment de perte, et j'en suis désolé. En réalité, ce que vous dites est impossible. Nous ne pouvons pas obtenir le pardon de votre fils pour le délinquant. C'est impossible. Dans l'après-vie, je suis persuadé que ce sera possible.
J'espère que cela répond d'une certaine façon à votre question.
M. Ramsay: Peut-être faisons-nous fausse route. Je vais vous poser une question que j'ai posée à d'autres à de nombreuses reprises. Je pense que vous êtes le mieux placé pour y répondre. Qu'est-ce qui constitue, à votre avis, une peine juste et équitable pour la perte d'une vie innocente?
M. Gough: Je dois vous dire que je n'accepte pas que ce soit 25 ans. Pas du tout.
M. Ramsay: Qu'est-ce que vous accepteriez?
M. Gough: J'accepte que la peine soit l'emprisonnement à perpétuité. Je le comprends, je l'accepte, mais au cours de cette peine il faut regarder le détenu. Il y a des personnes - pas les citoyens dans la rue - qui travaillent avec cette personne et qui sont en mesure de faire des évaluations. Elles peuvent déterminer si le détenu mérite de revenir dans la société.
Si les professionnels disent que le détenu est prêt, qu'il a fait des changements dans sa vie sur le plan interpersonnel et intrapersonnel, il nous incombe de lui donner sa chance. C'est un être humain, et il a une âme. Il peut être réadapté. Il peut devenir un membre productif de la société.
Je connais de nombreuses personnes qui ont purgé une peine à vie, qui ont purgé des peines pour un ou plusieurs meurtres, qui fonctionnent dans la société - qui paient leurs impôts et qui aident les autres. Dans de nombreux cas, ils aident les enfants, ils aident les jeunes, qui ont besoin de beaucoup d'aide, afin de les empêcher de se retrouver en prison et de finir comme eux.
M. Ramsay: Combien de temps devrait durer l'incarcération?
M. Gough: Tout dépend de la personne.
M. Ramsay: Il est impossible d'adopter une loi à cet effet.
M. Gough: La loi actuelle dit que l'emprisonnement à perpétuité, c'est pour la vie, monsieur.
M. Ramsay: Elle prévoit une peine minimum de 15 ans.
M. Gough: Mais ce n'est pas une peine minimum, monsieur.
M. Ramsay: Du point de vue de l'incarcération.
M. Gough: Il y a une révision judiciaire. Il faut tout de même s'adresser ensuite à la Commission des libérations conditionnelles. La révision judiciaire ne fait qu'examiner certains facteurs pour déterminer si vous méritez ou non que l'on réduise la période d'inadmissibilité. La date d'admissibilité ne signifie rien. Vous devez toujours vous adresser à la Commission des libérations conditionnelles et obtenir votre libération. Ou encore, vous devez participer pendant des années à un programme de prélibération.
M. Ramsay: Dans les meilleures circonstances, Brian, une personne qui aurait purgé 15 ans de sa peine pourrait obtenir la libération conditionnelle. Faudrait-il considérer cette peine comme suffisante, insuffisante, ou juste ce qu'il convient?
M. Gough: Si cette personne a radicalement transformé sa vie... Vous savez, 15 ans en prison, c'est une éternité. C'est comme si quelqu'un était né et avait été dans une cellule. On ne peut même pas se rappeler son passé. Quinze ans en détention, c'est vraiment très long.
M. Ramsay: Brian, vous arrive-t-il de penser que vous êtes toujours en prison?
M. Gough: Oui. À l'occasion, je me réveille et je me demande où je suis. Quinze ans, c'est une éternité.
M. Ramsay: Quelle responsabilité estimez-vous avoir à l'égard de votre victime?
M. Gough: J'estime avoir la responsabilité de me comporter comme un bon et honnête citoyen.
M. Ramsay: Vous aviez cependant toujours cette responsabilité. Vous sentez-vous responsable à l'égard de votre victime?
M. Gough: J'estime avoir une responsabilité à l'égard de la société, mais je ne peux rien pour la victime. Je ne communiquerai jamais avec la victime ou n'aurai de contact avec lui sauf dans l'au-delà. Je songe donc plutôt à ma responsabilité envers la société et à la façon dont je peux être un meilleur citoyen et une meilleure personne. Chacun d'entre nous est responsable des autres.
C'est un concept abstrait comme celui du pardon auquel a fait allusion Jack. Je ne sais pas comment répondre à cette question.
M. Ramsay: Brian, bien que mon père soit mort, j'ai une responsabilité à son endroit. J'en suis fermement convaincu. C'est ce dont j'aurais aimé que nous parlions davantage, mais mon temps est écoulé. Je vous remercie.
La présidente: Je vous remercie, monsieur Ramsay.
Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Gough?
M. Gough: Non.
La présidente: Monsieur Nunziata, vous avez cinq minutes.
M. Nunziata: Je vous remercie beaucoup.
Votre demande n'a pas été soumise en vertu de l'article 745.
M. Gough: Non.
M. Nunziata: Vous avez obtenu la libération conditionnelle après avoir purgé 11 ans de votre peine, n'est-ce pas?
M. Gough: Environ 12 ans. J'ai été libéré en 1984.
M. Nunziata: Vous considérez-vous un condamné à vie type?
M. Gough: Oui.
M. Nunziata: La plupart d'entre eux ont donc fait ce que vous avez fait.
M. Gough: Oui, et je crois que les statistiques le confirment d'ailleurs. Je crois que de tous les détenus, ce sont les condamnés à vie qui présentent le moins de risques lorsqu'ils obtiennent la libération conditionnelle. Cela a toujours été le cas dans de nombreux pays autres que le Canada comme le Royaume-Uni.
M. Nunziata: On peut aussi dire que ce sont les meilleurs détenus, n'est-ce pas?
M. Gough: Je suppose.
M. Nunziata: Ce sont eux qui posent le moins de problèmes, n'est-ce pas? Ils acceptent le fait qu'ils sont là pour longtemps. N'est-il pas vrai que les détenus qui posent le plus de difficultés sont ceux qui purgent des peines plus courtes?
M. Gough: Je ne sais pas si c'est le cas. De nombreux condamnés à vie sont très troublés. Ils ont chacun un passé. Certains sont très violents, d'autres très en colère. Je ne connais pas les antécédents personnels de tous les condamnés à vie, mais je crois qu'on peut sans doute dire qu'ils sont les meilleurs détenus.
M. Nunziata: Très bien. Certains soutiennent que si l'on prive les condamnés à vie du mince espoir d'être un jour libéré, la vie dans les prisons deviendra intolérable tant pour les détenus eux-mêmes que pour les gardes parce que rien n'incitera les premiers à bien se comporter ou à chercher à se réhabiliter. Êtes-vous aussi de cet avis?
M. Gough: Pourriez-vous répéter votre question?
M. Nunziata: Certains soutiennent qu'il faut conserver l'article 745 en raison de son impact sur le comportement des condamnés à vie. Si l'on supprime ce mince espoir, ceux qui auront été condamnés à 25 ans de détention pour avoir commis un meurtre au premier degré deviendront intraitables. On pourrait s'attendre à ce que ces détenus deviennent plus violents dans les pénitenciers et moins coopératifs.
Quel impact l'article 745 a-t-il sur le comportement de ceux qui pourraient être éventuellement admissibles à la libération conditionnelle?
M. Gough: Cela leur donne de l'espoir. Le détenu sait lorsqu'il a changé et lorsqu'il est réhabilité tout comme le savent ceux qui travaillent avec lui.
Enfin, le châtiment ne devrait-il pas suffire à un moment donné?
M. Nunziata: Vous convenez cependant qu'il doit y avoir châtiment.
M. Gough: Le fait de priver quelqu'un de sa liberté constitue un châtiment.
M. Nunziata: Vous n'avez cependant pas répondu à la question que vous a posée M. Ramsay. Quelle devrait être la peine d'incarcération minimale pour le meurtre au premier degré, le crime le plus grave visé par le Code criminel?
M. Gough: Je pense avoir répondu à cette question. J'ai dit que ce crime méritait une condamnation de détention à perpétuité, mais qu'on devrait donner une deuxième chance à ceux qui se seraient réhabilités et qui, de l'avis des spécialistes, ne poseraient plus de risque pour la société.
M. Nunziata: Ne convenez-vous cependant pas que certains meurtriers ne présentent aucun risque de récidive, et cela même dès leur incarcération. N'est-il pas vrai que la plupart des condamnés à vie ne récidivent jamais? Ceux d'entre vous qui s'opposent à des changements ou à l'abrogation de cet article justifient leur position en invoquant la sécurité du public, mais cet argument ne tient pas de mon avis et de l'avis de nombreuses personnes. La sécurité du public n'est pas en cause. La plupart des meurtriers ne récidivent pas. On peut dire que la plupart d'entre eux sont déjà réhabilités dès qu'ils entrent au pénitencier. Si on les incarcère, c'est plutôt parce qu'on veut les punir.
Quelle devrait être la période minimale d'incarcération? Quelle période d'incarcération refléterait l'horreur de la société à l'égard d'un meurtre prémédité? Vous n'avez pas commis un meurtre prémédité. Vous avez tué quelqu'un qui a essayé de vous tuer. Vous n'avez pas été condamné de meurtre au premier degré ni de meurtre qualifié. Je vous parle des homicides plus graves.
M. Gough: Tout dépend encore une fois de la personne en cause et des changements qui se sont opérés en elle. Je ne peux pas vous donner de chiffre exact. Ma conscience me l'interdit. Ce n'est pas vraiment une question à laquelle je peux répondre.
M. Nunziata: Permettez-moi de vous demander...
La présidente: Monsieur Nunziata, votre temps est écoulé.
Monsieur Gallaway.
M. Gallaway: Monsieur Snyder, je crois comprendre que vous êtes policier. Est-ce juste?
M. Snyder: Oui.
M. Gallaway: Hier soir, nous avons entendu les représentants de l'Association canadienne des chefs de police. Étiez-vous chef de police?
M. Snyder: Non. Je faisais partie de la haute direction.
M. Gallaway: Un peu plus tard aujourd'hui nous entendrons les représentants de l'Association canadienne des policiers. Hier soir, le chef Fantino nous a dit que tous les policiers appuyaient l'abrogation de l'article 745.
Puisque nous discutons de chiffres ce matin, permettez-moi de vous poser la question suivante: pensez-vous que tous les policiers sont en faveur de l'abrogation de l'article 745. Je sais bien qu'il ne peut pas y avoir unanimité, mais pourriez-vous nous dire dans quelle proportion les policiers sont favorables à ce changement?
M. Snyder: Je ne sais pas vraiment ce qu'il en est. J'ai pris ma retraite il y a six mois.
De toute évidence, certains policiers ne sont pas en faveur de l'abrogation de cet article.
Je suppose que l'ACCP ainsi que l'Association canadienne des policiers ont pris position sur la question. Ce n'est pas une position que j'approuve.
Je ne peux pas vous dire que 20 p. 100 des policiers sont pour l'abrogation de cet article et80 p. 100, contre. Je ne peux que vous dore ce que j'en pense. Je ne partage absolument pas l'avis de l'ACCP ni de l'Association canadienne des policiers sur cette question. Je me fonde à cet égard sur l'expérience que j'ai acquise pendant mes 25 années de travail comme policier.
M. Gallaway: Monsieur Yeager, vous êtes un criminologue. Vous voyez qu'il y a polarisation des opinions sur cette question. Il ne semble pas y avoir de juste milieu.
De nombreux témoins se sont prononcés en faveur de ce changement que réclame la majorité de la population. Que répondre à ces gens?
M. Yeager: C'est un argument qui a beaucoup de poids. Nous légiférons dans le domaine pénal comme si tous les crimes commis ressemblaient à la dernière histoire d'horreur à faire les manchettes des journaux. C'est tout à fait typique.
Voyons un peu ce qui se passe aux États-Unis. Une poignée de cas d'homicides monstrueux et d'homicides-rapts ont donné lieu à l'adoption d'une loi, «le retrait après trois prises», dont l'application sera onéreuse sans pour autant se traduire par une amélioration de la sécurité du public.
En Californie, les prisons d'État coûtent aussi cher que les universités et les collèges. Je sais bien ce qu'il en est parce que je suis né en Californie. C'est une situation très malsaine.
Il est facile pour un député de se laisser influencer par l'émotivité ainsi que les sondages Gallup. Comme on vous l'a expliqué, le public peut faire confiance à la conclusion à laquelle en viennent les groupes de discussion ou les jurys constitués aux termes de l'article 745 quant à la réhabilitation d'un détenu. Ils viennent d'ailleurs à cette conclusion après avoir étudié le dossier du détenu et après l'avoir rencontré et ainsi qu'après avoir pris connaissance de la preuve et consulté les conseillers et le personnel correctionnel.
Nous savons que nous pouvons grandement rassurer le public en lui donnant beaucoup d'informations sur le détenu.
Ces groupes rencontrent aussi les victimes. Comme vous le savez, le projet de loi C-41 permet aux victimes de témoigner lors des audiences prévues dans le cadre de l'article 745, un changement adopté l'an dernier, mais dont la mise en oeuvre n'a pas encore été précisée dans un décret. Cette nouvelle disposition devrait être très utile et voilà pourquoi notre association ne comprend pas pourquoi on s'empresse de vouloir abroger l'article 745.
M. Gallaway: Prenons un autre exemple américain. Charles Manson a demandé six fois la libération conditionnelle et on le lui a refusée six fois. Il semblerait que Clifford Olson, pour sa part, aura le droit au cours des mois qui viennent de soumettre une demande à un juge aux termes de l'article 745.
Qu'est-ce qui pourrait bien amener quelqu'un à croire que Clifford Olson réussira à convaincre les deux tiers des membres d'un jury qu'on devrait lui permettre de présenter une demande de libération conditionnelle?
M. Yeager: L'aspect le plus remarquable de cette disposition, c'est que les membres de la collectivité sont appelés à donner leur avis au sujet de certains contrevenants. Mes collègues et moi-même faisons pleinement confiance aux membres de la collectivité qui sont choisis pour étudier ces dossiers. Je suis convaincu que M. Olson a autant de chances d'obtenir le droit de présenter une demande de libération conditionnelle à l'issue d'une audience aux termes de l'article 745 que moi j'en ai de devenir superman et de me mettre à voler entre les gratte-ciel.
Il faut faire confiance à ceux qui vous ont élus et qui travaillent dans vos collectivités. Ce qui est remarquable dans cette loi, c'est qu'elle ne laisse pas la décision quant à l'octroi de la libération conditionnelle aux simples spécialistes comme moi-même. Les membres du jury sont ceux qui prennent la décision. Voilà pourquoi nous avons des réserves quant aux changements qui sont proposés, à savoir de permettre à un juge de prendre la décision quant à la libération du détenu, l'unanimité du jury et l'interdiction touchant les tueurs en série.
M. Gallaway: D'aucuns pensent qu'une condamnation à vie devrait signifier l'emprisonnement à perpétuité et qu'il faut distinguer le meurtre prémédité de tous les autres crimes. Si on leur donne raison, faudrait-il que la peine repose simplement sur le principe du châtiment?
M. Yeager: Je crois que dans un petit nombre de cas, la peine pourrait effectivement reposer sur le principe du châtiment. Les peines qui y sont accordées en témoignent d'ailleurs.
Prenons le cas de Bernardo. Non seulement on lui a infligé deux peines d'emprisonnement à vie, mais aussi on l'a désigné comme contrevenant dangereux, ce qui signifie essentiellement qu'il s'agit d'une condamnation à vie sans possibilité de libération conditionnelle. En effet, moins de3 p. 100 de tous les contrevenants dangereux ont obtenu le droit à la libération conditionnelle totale ou à la semi-liberté. Voilà donc le mécanisme qui existe à l'heure actuelle.
Compte tenu de ce mécanisme, je crois qu'on peut être assuré qu'un petit nombre de contrevenants ne seront jamais libérés.
Le problème, c'est que les cas Olson et Bernardo suscitent des réactions très vives. La vaste majorité des coupables d'homicides n'ont cependant pas des tendances psychopathes comme les leurs.
M. Gallaway: Vous avez cependant dit que 3 p. 100 des contrevenants dangereux sont libérés. Que répondre aux gens qui soutiennent que l'étude du comportement humain est une science inexacte? Nous parlons chiffres ce matin. Notre société demande des chiffres et des études. Quels sont les risques de récidive? On peut supposer qu'il y a toujours risque que l'un ou l'autre de ces contrevenants récidive.
M. Yeager: Pourrais-je demander à l'un de mes collègues de répondre à votre question, monsieur Gallaway.
M. Gallaway: N'importe qui peut y répondre.
M. Yeager: Dans ce cas, je vais demander à Mme Lavallée d'y répondre.
[Français]
Mme Vallée: Monsieur Gallaway, quand on travaille dans le système de justice pénale, on travaille avec le risque. Même à l'extérieur du système de justice pénale, on travaille avec le risque. Personne ne peut vous assurer que ni vous ni moi ne commettrons pas un crime dans dix ans. Personne. J'ai travaillé pendant cinq ans dans des institutions psychiatriques. J'ai vu des gens qui n'avaient jamais eu de problèmes, dont la vie a tout à coup été bouleversée pour différentes raisons, et qui ont commis des crimes.
Dans les cas de longues sentences et de détenus accusés de meurtre au premier degré, nous, comme société, avons la chance d'être informés de leur potentiel dangereux et sommes en mesure d'analyser leur comportement sur une très, très longue période, mais ce n'est pas le cas de n'importe quel autre citoyen. Nous avons donc accès à un ensemble d'informations qui nous permet de prédire leur comportement aussi bien que possible.
Ces détenus prennent aussi conscience de leur comportement puisqu'ils sont confrontés à leur faute et à eux-mêmes pendant une longue période. Personne ne pourra vous garantir à 100 p. 100 qu'ils ne récidiveront pas, mais d'un autre côté, on a toutes les chances de notre côté quand on affirme qu'ils ont évolué.
De plus, quand on est en libération conditionnelle, on est surveillé; on a une sentence à vie. Cela veut dire que jusqu'à la fin de nos jours, si les agents du Service correctionnel du Canada ou la Commission nationale des libérations conditionnelles ont quelque doute que ce soit, ils peuvent renvoyer la personne à l'intérieur des murs pour une certaine période. C'est cela, une sentence à vie.
Je connais des gens qui sont en libération conditionnelle à vie et qui sont sur la rue depuis 15 ans. Encore aujourd'hui, conformément au projet de loi C-45, ils doivent se rapporter constamment à leur agent. Dès qu'il y a un problème, l'agent a la capacité d'intervenir pour les faire réincarcérer. C'est un pouvoir énorme sur la vie d'un individu.
[Traduction]
La présidente: Je suis désolé, monsieur DeVillers, il ne nous reste que quelques secondes, mais si vous avez une question, allez-y.
M. DeVillers (Simcoe-Nord): J'ai seulement une brève question à poser.
Hier soir, un témoin de l'Association canadienne des chefs de police a dit avoir pleine confiance dans le système de jury au Canada. Par la suite, il a cependant dit s'inquiéter du fait que 80 p. 100 de ceux qui présentent une demande en vertu de l'article 745 obtiennent une réduction de la durée de la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle.
Compte tenu de ce taux d'approbation de 80 p. 100, nos témoins pensent-ils que le système de jury est efficace? Avez-vous des préoccupations à cet égard?
Mme White: Le fait qu'il y ait si peu de problèmes qui se posent à l'égard de ces détenus confirme l'efficacité du système de jury. Autrement dit, de ces 80 p. 100 de contrevenants qui ont obtenu une réduction de la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle, quatre seulement ont posé des problèmes: deux d'entre eux ont enfreint des conditions mineures de leur libération, un est illégalement en liberté et un autre est accusé d'avoir commis une infraction, mais pas un crime punissable de la peine de mort.
Voilà donc ce qui montre bien l'efficacité du système de jury. De toute évidence, les jurés ont bien appliqué les critères avant de décider qu'un contrevenant ne posait pas de risque pour la sécurité du public.
M. DeVillers: Vous convenez donc avec ce témoin que le système de jury fonctionne bien en ce qui concerne l'article 745?
Mme White: Permettez-moi de corriger ce que je viens de dire. Les jurés ont donc pris la bonne décision en ce qui touche à l'octroi de la permission de présenter une demande de libération conditionnelle. La Commission nationale des libérations conditionnelles a, pour sa part, montré qu'elle était efficace en n'accordant la libération qu'aux détenus qui ne présentaient pas de risque pour la sécurité du public.
La présidente: Je vous remercie, monsieur DeVillers.
Je vous remercie tous de votre contribution à nos délibérations d'aujourd'hui.
M. Snyder: Je vous remercie beaucoup.
La présidente: Nous prendrons une pause de quelques minutes pour permettre à nos témoins suivants de s'installer.
La présidente: Nous reprenons la séance.
Je voudrais maintenant souhaiter la bienvenue à M. Jeffrey Manishen, avocat de l'étude Ross et McBride, M. Allan Partington, agent de liberté conditionnelle à Service correctionnel Canada, etM. Stephen Hucker, professeur de psychiatrie et de psychologie, vice-président du département de psychiatrie à l'Université Queen's et président de la Section médico-légale et de psychologie correctionnelle.
Messieurs, je vous prie de faire votre exposé et de laisser un peu de temps pour les questions.
M. Jeffrey Manishen (avocat, étude Ross et McBride): Madame la présidente, j'exerce le droit criminel à Hamilton en Ontario. J'ai été procureur adjoint à Hamilton de 1977 à 1985 et depuis ce temps, je suis un avocat de la défense.
Voici l'expérience dont je peux faire part au comité. En 1978, j'ai agi comme procureur de la Couronne dans une affaire de meurtre au premier degré. Il y a quelques mois, à Hamilton, le cas du coupable de ce meurtre a fait l'objet d'un examen aux termes de l'article 745. J'ai suivi l'audience avec intérêt. Sa demande a été rejetée.
Depuis que j'agis comme avocat de la défense, j'ai représenté des personnes qui éventuellement demanderont un examen de leur cas aux termes de l'article 745. L'une de ces personnes a été reconnue coupable de deux meurtres au premier degré et une autre de meurtre au second degré et s'est vue infliger comme peine une condamnation à vie sans droit à la libération conditionnelle avant 17 ans.
Plus récemment, j'ai défendu le cas lors d'un examen aux termes de l'article 745 d'un dénommé Leo Rocha. Ce cas a fait l'objet de quelques articles dans le Globe and Mail. M. Rocha, au moment où il a présenté sa demande, était âgé d'environ 59 ans. Il est d'ascendance portugaise et n'avait pas de casier judiciaire avant d'être condamné pour le meurtre de sa fille. Au moment de son procès il a invoqué la folie comme défense. On l'a reconnu coupable de meurtre au premier degré.
Pendant environ 16 ans, M. Rocha s'est comporté en prison de façon modèle. À l'issue de la présentation de sa demande aux termes de l'article 745, le jury a recommandé de ramener à 19 ans sa période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle, ce qui lui a ensuite permis de demander des absences temporaires non escortées ainsi que la semi-liberté.
Je vous signale que le personnel correctionnel ainsi que M. Partington, qui a préparé le rapport sur l'admissibilité à la libération conditionnelle sur lequel se fondait la demande de M. Rocha, et le Dr Hucker, qui, tant à la demande de la Couronne que de la défense, lui a fait passer un examen psychiatrique, ont appuyé sa demande. Ces personnes étaient même d'avis qu'il était concevable qu'on accorde immédiatement à M. Rocha le droit de demander la libération conditionnelle. Cela aurait ramené sa période d'inadmissibilité à 16 ans. Le jury a tout de même recommandé que cette période soit de 19 ans.
Je vous parlerai surtout des principes sur lesquels repose la peine - puisque c'est essentiellement l'objet de la loi - ainsi que de l'application pratique de l'article 745. J'ai recommandé au greffier du comité que vous entendiez M. Partington et le Dr Hucker pour que vous puissiez connaître le point de vue non pas de gens de l'extérieur, mais de gens qui ont directement participé au processus de l'examen d'une demande. Vous comprendrez ainsi mieux le processus et en particulier le rôle des différents intervenants.
Je ne peux pas dire, pour ma part, que la loi actuelle fonctionne mal ou est inefficace. Il y a certainement des cas de contrevenants qui présentent une demande de réduction de la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle et que le public considère comme des contrevenants qui ne méritent pas cette réduction. De toute façon, les jurys rejettent ces demandes, comme les deux demandes qui lui ont été présentées par des contrevenants de Hamilton.
Le projet de loi propose des changements qui, à mon avis, ne sont pas d'une grande utilité. J'y reviendrai dans quelques instants.
Par coïncidence, très récemment, la Cour suprême du Canada, dans une décision publiée le21 mars 1996, R. c. M. (C.A.) a statué sur le cas d'un contrevenant purgeant une peine de 25 ans. La Cour d'appel avait ramené cette peine à 18 ans. Dans la décision de mars 1996, la Cour suprême du Canada s'est longuement penchée sur les principes sur lesquels repose le processus de détermination de la peine. Il convient de s'y attarder puisqu'il est question de modifier une loi qui porte essentiellement sur ce processus. J'ai demandé qu'on vous distribue des exemplaires de cette décision.
Au moment du prononcé de la peine, le juge doit se demander ce qui constitue une peine d'emprisonnement juste compte tenu de la gravité du délit commis, des antécédents du contrevenant et en particulier du concept de la proportionnalité. La peine doit constituer un châtiment objectivement raisonnable et modéré. La peine infligée tient compte des risques volontairement pris par le contrevenant, du tort qu'il a causé à sa victime ainsi que de ses antécédents.
Mais l'essentiel, c'est qu'il faut en arriver à un juste équilibre. C'est ce que doit viser une loi qui porte sur le processus de détermination de la peine, mais c'est aussi l'objectif que doit viser le juge qui fixe la peine. L'important, c'est cet équilibre qui doit reposer sur le principe de la modération étant donné que la peine doit être juste et raisonnable.
La Cour suprême du Canada traite de la façon qui convient du rôle du châtiment et de la dénonciation. Vengeance et châtiment ne sont pas synonymes. Le châtiment est une punition objectivement raisonnable et mesurée compte tenu de la culpabilité morale du contrevenant et d'autres facteurs comme les risques qu'il a pris volontairement, le tort qu'il a causé et ses antécédents. Comme je l'ai aussi dit, le châtiment repose sur le principe de la modération. Le châtiment se distingue de la dénonciation. Parlant de dénonciation, la société condamne un certain type de conduite.
Voici ce que dit la Cour suprême du Canada au sujet du processus de détermination de la peine: «ni le châtiment ni la dénonciation ne justifient cependant pleinement l'imposition de sanctions pénales». Autrement dit, il ne s'agit pas simplement de savoir ce qui représente une expression adéquate de la répugnance de la société ni ce qui constitue un châtiment convenable. Il s'agit d'en arriver à un juste équilibre.
Je soumets respectueusement au comité que l'article 745 constitue un juste équilibre. Je vous rappelle qu'un jury n'a qu'une occasion d'exercer une influence sur la détermination de la peine dans le domaine pénal. Dans le cas de meurtres au second degré, un jury a l'occasion de recommander l'augmentation de la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle. Cette période peut aller de 10 à 25 ans. La décision à cet égard est prise à la majorité des voix seulement.
J'ai participé à l'étude de ce genre de cas. Ce n'est pas dans tous les cas qu'on permet à un avocat de présenter des arguments au jury. Certains juges le permettent, d'autres, pas. Le juge n'est pas tenu de suivre la recommandation qui lui est faite par le jury, mais il en tient habituellement compte.
Pour ce qui est de l'article 745, le jury est en mesure de s'opposer à ce qu'un contrevenant ait droit à une réduction de sa période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle. Aux termes du projet de loi, le jury pourra d'ailleurs faire une recommandation finale en ce sens.
Le jury exerce donc une influence sur le fonctionnement du système. Aux termes de l'article 745, le contrevenant a l'occasion de prouver qu'il a changé et de demander une libération conditionnelle après avoir purgé une bonne partie de sa peine.
Un contrevenant ne peut d'ailleurs pas vraiment soumettre une demande avant d'avoir purgé15 ans de sa peine. Dans la plupart des juridictions, quand vient le moment de présenter ma demande, on a déjà nommé un juge, tenu une enquête préliminaire, fixé une date pour l'audience et tenu également une audience pour étudier le rapport sur l'admissibilité à la libération conditionnelle. La période d'inadmissibilité n'est plus de 15 ans, mais plutôt de 16 ans. Même si cette période était ramenée à 16 ans, le contrevenant n'aurait droit à la pleine libération conditionnelle qu'après avoir jouit pendant deux ou trois ans d'autorisations d'absence temporaire non escortée et ensuite de semi-liberté.
Je ne suis donc pas d'accord avec ceux qui disent que la loi actuelle ne fonctionne pas bien. Il ne fait aucun doute qu'elle permet de faire ressortir les preuves pertinentes. Je reconnais que dans le cas de meurtre au premier degré, le crime a un impact énorme sur la famille de la victime, mais la même chose vaut pour les meurtres au second degré et pour les homicides involontaires. Je crois que tous ces crimes ont le même impact psychologique sur les familles.
On doit donc évidemment tenir compte de l'impact du crime sur la victime, ce que prévoit l'article 10.
Je vais maintenant céder la parole à M. Partington qui par le passé a participé à l'examen des rapports d'admissibilité à la libération conditionnelle de nombreux contrevenants ayant présenté une demande aux termes de l'article 745.
M. Allan Partington (témoignage à titre personnel): Merci.
Tout d'abord, j'ai été présenté en ma qualité d'agent fédéral de liberté conditionnelle travaillant pour le Service correctionnel du Canada. C'est bien mon travail mais je ne suis pas ici pour parler au nom du Service correctionnel du Canada. Autrement, je risquerais de ne plus trouver mon travail.
Je travaille dans le domaine correctionnel depuis 1974; j'ai été gardien pendant deux ans dans une prison à sécurité maximale puis je suis devenu membre du Service national des libérations conditionnelles. J'ai travaillé à Timmins, Calgary et Red Deer pour revenir à Peterborough il y a environ dix ans.
Je participe à l'examen judiciaire depuis 1988. Le solliciteur général m'a chargé de préparer ces rapports que vous connaissez bien, ces rapports d'admissibilité à la libération conditionnelle. J'en suis à mon dix-huitième. Huit de ces rapports sont toujours en souffrance. Je suis l'ami des tribunaux. Je ne représente ni le demandeur ni la Couronne. Mon rôle tout simplement est d'aider le juge, la Couronne et l'avocat du demandeur à comprendre la procédure. Pour beaucoup de juridictions c'est souvent une première. Deuxièmement, j'aide les avocats à comprendre le jargon, si vous voulez, du Service correctionnel.
J'aimerais faire quelques commentaires. Je ne sais pas vraiment si je suis ici avec Jeff ou contre Jeff, ou avec le Dr Hucker, les connaissant depuis fort longtemps, mais j'aimerais vous faire part de certaines observations que j'ai pu faire au cours des dernières années.
Les commentaires de la personne qui nous a précédés et qui purge une peine à perpétuité sont tout à fait pertinents. Mettre un visage sur un meurtrier est important.
Il est clair que l'opinion publique - et ce n'est pas M. Nunziata qui dira le contraire - est pour l'abrogation de l'article 745. L'opinion publique est contre les crimes violents et c'est normal. Cependant, selon mon expérience quand on met un visage à un meurtrier et qu'on le confronte à12 citoyens, ces 12 citoyens peuvent faire preuve de la compassion que M. Allmand, je crois, avait mis dans cette loi en 1976. J'aimerais croire que les citoyens canadiens sont toujours capables de cette compassion.
Les deux tiers des 18 demandes que j'ai pilotées ont abouti. Autant pour l'opinion publique. L'opinion publique sert à vendre des journaux et l'opinion publique soutient probablement certaines carrières politiques. Cependant, statistiquement, quand on met un visage à un meurtrier et qu'on peut l'observer pendant 15 ans, le résultat est là, 12 sur 18.
Pour ce qui est du nouveau projet de loi, je dois dire que certaines modifications me plaisent beaucoup. Le principe de la latitude judiciaire est important. Il n'y a pas de définition. Après une petite période de rodage tout ira certainement bien. Toutefois, les demandes frivoles ne devraient pas être autorisées. Clifford Olson ne devrait pas pouvoir faire de demande simplement parce qu'il veut faire la une des journaux et ajouter un nouveau chapitre au prochain livre qu'il a l'intention d'écrire aux frais des contribuables. Ce n'est pas sérieux. L'appareil judiciaire devrait pouvoir écarter ceux qui ne le méritent pas. Il y en a qui ne le mérite pas.
Je crois qu'il reste à définir les critères. Je suis certain qu'ils y arriveront après quelques tâtonnements. Personnellement, je connais beaucoup de détenus qui auraient pu faire une demande depuis des années mais qui ne veulent pas.
Vous connaissez peut-être le cas d'Emmanuel Jack, le petit cireur de chaussures dont le meurtre à Toronto remonte probablement à 16 ans. Les coupables de ce meurtre n'ont jamais fait de demande d'examen judiciaire. Il y en a un qui m'a beaucoup surpris. Il est arrogant, imbu de lui-même et il aime la publicité mais il reconnaît au fond de lui-même qu'il n'a aucune chance. Il a donc décidé d'éviter au public et à la famille de la victime une nouvelle épreuve inutile. Sachez que tous ceux qui pourraient faire cette demande ne le font pas forcément.
J'aimerais faire un autre commentaire à propos de la présence d'un jury. Depuis que je m'occupe de ces questions, je ne cesse de répéter que c'est avant tout une demande de détermination de la peine. Je ne vois pas la nécessité d'un jury. À mon avis, c'est une décision judiciaire.
J'ai fait une demande en 1991 pour un délinquant qui à mon avis était un très mauvais candidat. Ce n'était certainement pas son attitude qui avait justifié l'acceptation de son dossier. J'étais simplement là comme observateur et je devais être objectif. Il a réussi à convaincre le jury de réduire son délai préalable. J'hésite à parler de «manipulation» mais c'est peut-être le mot que je devrais utiliser. Il est toujours incarcéré. Il n'arrive même pas à se faire transférer à une prison à sécurité minimale car le Service correctionnel et la Commission de libérations conditionnelles le tiennent toujours pour ce qu'il est vraiment.
J'ai aussi vu des jurys se faire manipuler dans l'autre sens... Quand un très bon candidat a été rejeté, battu par le côté théâtral de la procédure. J'ai pensé que dans ce cas c'était injuste.
J'ai donc vu ce qui pourrait arriver dans un sens ou dans un autre quand on fait participer des citoyens qui ne sont pas des familiers de la justice et à qui la procédure est certainement étrangère. Personnellement, je préférerais que cette demande de révision judiciaire soit entendue par un juge seul. Cela prendrait moins de temps et cela réduirait les frais. Je crois que la décision serait plus juste. Les juges de paix et les juges que j'ai rencontrés avaient tous de l'expérience, connaissaient bien leur métier et l'exerçaient, à mon avis, d'une manière extrêmement juste et intelligente. Je crois que cela éviterait nombre des problèmes que pourrait provoquer la participation du public.
Enfin, s'agissant des victimes... Le troisième rapport dont j'ai été chargé, c'était à Winnipeg en 1989 et les victimes participaient. Les frères et les soeurs de la victime ont été interrogés. Une petite fille de neuf ans avait été tuée. Elle était la plus jeune de cinq frères et soeurs. Ses parents depuis sont morts mais eux ils étaient là lors de cette audience.
J'ai pu passer un certain temps avec eux à Winnipeg. Même s'il était évident qu'ils s'opposaient à la libération du coupable, en privé ils reconnaissaient le changement spectaculaire qui s'était opéré en 16 ans depuis qu'ils ne l'avaient plus revu. Quoi qu'il en soit, ils étaient contre et c'était leur droit. Je trouve tout à fait normal qu'ils aient le droit de s'opposer à ces réductions de la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle. Cependant, ils admettaient qu'il avait beaucoup changé. J'ajouterais qu'il a quand même réussi à obtenir une petite réduction du délai préalable.
Dans un prétoire, d'un côté vous avez la famille de la victime, la famille du disparu, et de l'autre la famille du coupable qui vient aussi de purger 15 ou 16 ans comme victimes du même délit - les victimes oubliées, pourrait-on dire. Leur situation est un peu différente. Ils ont toujours un fils ou une fille à visiter et avec qui fêter les anniversaires, etc. Oui, il est toujours vivant mais ils sont tout aussi victimes, d'une certaine manière, que les membres de l'autre famille. Je crois qu'il importe de ne pas l'oublier.
Je suis heureux que les victimes puissent participer. Cela permet de revenir sur le délit. L'article 745, cependant, ne devrait pas permettre de revenir sur tous les détails du délit. C'est le présent qui devrait avoir la priorité et à mon avis un juge seul serait mieux en mesure de mener une révision dans cette optique.
C'est à peu près tout ce que je voulais dire pour le moment. Merci.
La présidente: Merci. Une petite précision, monsieur Partington. Êtes-vous le seul agent de liberté conditionnelle à faire ce travail?
M. Partington: Non. Je suppose qu'en Ontario j'étais le seul prêt à le faire pendant aussi longtemps. Il y en a d'autres qui le font dans les autres provinces mais on dirait simplement que j'en ai fait beaucoup.
La présidente: Ce n'est donc pas votre...
M. Partington: Non, je suis agent de liberté conditionnelle. Normalement je travaille dans la communauté. C'est une fonction supplémentaire.
La présidente: Très bien. Merci.
M. Manishen: Si j'ai suggéré d'inviter le Dr Hucker, c'est qu'en tant que psychiatre il a participé à l'élaboration du concept d'évaluation psychiatrique liée aux demandes faites en vertu de l'article 745. Il a aussi été appelé à témoigner professionnellement à plusieurs reprises. Je suis certain que les critères, les procédures d'examen et les évaluations dont il pourra vous parler vous seront aussi utiles.
La présidente: Docteur Hucker, allez-y.
M. Stephen Hucker (professeur de psychiatrie et de psychologie; vice-président du Département de psychiatrie et président de la Section médico-légale et de psychologie correctionnelle de l'Université Queen's): J'aimerais répéter que je suis ici parce qu'on m'a invité, ce dont je vous remercie. Je n'ai pas de position particulière à défendre pas plus que je n'en ai quand je dépose au tribunal et qu'on me demande mon opinion.
Je suis psychiatre médico-légal depuis environ 20 ans. Pendant presque toutes ces années j'ai dirigé la section médico-légale de l'Institut Clarke et j'ai été directeur du service médico-légal de la région métropolitaine de Toronto. Pendant cette période, j'ai évalué beaucoup de délinquants. J'ai le douteux honneur d'avoir examiné M. Olson et l'année dernière j'ai été impliqué dans l'affaire deM. Bernardo dans laquelle je ne pense pas avoir été accusé de compassion déplacée. Comme je l'ai dit tout à l'heure, je n'ai pas de position à défendre mais des opinions à exprimer, clairement, je l'espère.
J'ai pratiqué au cours des années de nombreuses évaluations de candidats à la libération conditionnelle et on m'a demandé plus particulièrement de pratiquer 13 évaluations de dossiers de révision judiciaire. Pour ce qui est des dépositions devant les tribunaux, j'ai déposé à quatre reprises au nom de l'accusation et à trois au nom de la défense. Je n'ai pas déposé pour trois autres affaires au sujet desquelles j'avais été sollicité, pour des raisons que j'ignore, et trois sont encore en souffrance. Je suppose que les intéressés ont abandonné en cours de route.
J'ai pensé, pour votre gouverne, qu'il serait utile de vous dire ce que j'ai pensé des questions qui m'ont été posées dans les cas où j'ai déposé. J'aimerais commencer par dire que j'ai trouvé que ces audiences étaient loin d'être superficielles. Elles sont très détaillées et impliquent un examen attentif de toutes les pièces disponibles.
Le premier domaine d'intérêt qui concerne tout particulièrement ma spécialisation est celui de l'instabilité mentale comme l'appellent les agents de libération conditionnelle et les commissions de libération conditionnelle. J'ai toujours interprété cela comme une question sur la présence d'une maladie mentale, d'un désordre de la personnalité, en particulier d'une psychopathie, terme que j'utilise dans son sens professionnel et technique et non pas profane. La pathologie sexuelle provoque beaucoup d'intérêt. Elle est liée aux questions figurant dans la loi actuelle concernant le caractère, la nature de l'infraction et les renseignements ayant pu être fournis par les victimes.
Deuxièmement, on veut savoir si l'intéressé a subi un traitement pour la maladie dont il souffre et peut-on s'attendre à des résultats. Y a-t-il des possibilités d'amélioration qui le rendent moins dangereux qu'il ne l'était au départ?
Liée à cette deuxième question il y en a une troisième qui a beaucoup d'importance aux yeux de ceux qui la posent, la prédiction de risques. Jusqu'à il y a environ 10 ans, lorsque j'étais invité à participer à des audiences de jugement de délinquants dangereux, je refusais toujours pour des raisons déontologiques. J'estimais qu'au point où en était la recherche sur ce sujet, rien ne permettait de démontrer que des gens comme moi-même, ou quiconque, d'ailleurs, pouvaient prédire, et non pas simplement deviner, qu'un tel récidiverait et qu'un tel ne récidiverait pas. Dans les prisons et dans les hôpitaux pénitentiaires on entendait toujours la même plaisanterie: «Je sais que la moitié de mes clients - de mes détenus - peuvent être libérés sans danger, le problème c'est que je ne sais pas quelle moitié».
Au cours des dix dernières années, les chercheurs ont pleinement réalisé l'importance du problème et ont mis au point des instruments, des outils ou des listes de contrôle qui nous aident à être plus précis. Les Canadiens peuvent être fiers du fait que deux des meilleures méthodes ont été mises au point dans ce pays. La liste de contrôle de la psychopathie est une méthode fiable d'identification des psychopathes, au sens le plus technique.
L'identification de ces personnes nous permet d'identifier d'une manière plus précise ceux qui récidiveront. Cet instrument utilisé dans l'évaluation a été perfectionné à Penetanguishene, hôpital psychiatrique à sécurité maximale de l'Ontario, en étudiant les courbes de récidivisme des détenus relâchés.
Ce n'est donc pas un instrument théorique puisqu'il repose sur le recensement des échecs. Nous ne les avons pas simplement laissés partir pour pouvoir dire ensuite, tant pis. Nous avons en réalité essayé d'identifier les caractéristiques de ceux qui ne récidivaient pas après leur libération et de ceux qui récidivaient.
Lors de chacune de mes dépositions dans ces cas, beaucoup d'intérêt a été manifesté pour les instruments utilisés pour déterminer le risque ou l'absence de risque.
D'une manière générale, comme je l'ai déjà dit, je n'ai pas du tout trouvé ces audiences superficielles. Elles sont très détaillées. Bien que l'accusation et la défense dans l'affaire où j'ai été cité par M. Manishen étaient toutes deux d'accord pour que je dépose, d'une manière générale je me suis toujours retrouvé au milieu de parties adverses, l'une la Couronne, réclamant vigoureusement le maintien en prison et l'autre, la défense, le contraire. Il n'y a pas donc eu simplement enregistrement et approbation d'une opinion professionnelle.
Je pourrais peut-être ajouter quelque chose à votre débat à propos du terme «multiple» dans l'expression auteur de meurtres multiples. Dans votre loi, tout du moins, vous parlez de meurtres «multiples» alors que d'autres préfèrent parler de meurtres en série. Ce sont deux choses différentes.
Des trois personnes auxquelles je pense qui figurent dans ma liste, il y a un auteur de meurtres multiples. Il avait assassiné toute sa famille et la réduction de la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle a été refusée dans son cas.
M. Manishen et moi-même avons été mêlés au cas de deux autres personnes. Il s'agissait d'un homme qui de mon avis et de l'avis d'un certain nombre de professionnels qui avaient déposé lors de son procès, souffrait d'une maladie mentale qui pourrait affecter n'importe qui d'entre nous. Il souffrait d'une grave dépression avec des poussées psychotiques. Il avait tué sa jeune fille et pratiquement tué un des autres membres de sa famille. Bien qu'on ne puisse le considérer comme un auteur de meurtres multiples puisqu'il n'avait pas fait plus d'une victime, c'était presque un auteur de meurtres multiples.
Tous les témoignages lors de l'audience ont démontré que non seulement il ne souffrait plus de sa dépression et qu'il était un prisonnier modèle mais qu'en plus sa famille et d'autres témoins venus déposer ne voyaient aucun problème à ce que son délai préalable soit réduit. C'était le cas le plus méritant parmi tous ceux dont j'ai eu la charge. En fait, comme M. Manishen l'a dit, le délai n'a pas été réduit à 15 ans. Je crois qu'il a été réduit à 18 ou 19 ans. Il ne bénéficiera donc pas du tout d'une libération anticipée. Il continuera à purger une grande partie de sa peine.
Ce sont toutes les observations générales que je tenais à faire. Si vous avez des questions, je me ferai un plaisir d'y répondre.
La présidente: Merci.
Aviez-vous d'autres commentaires à faire, monsieur Manishen?
M. Manishen: Oui. Je suis d'accord avec le Dr Hucker lorsqu'il parle de la nécessité d'être plus clair au sujet de l'exception concernant les auteurs de meurtres multiples. Il faudra peut-être faire une distinction.
Si par exemple, il y a eu meurtre de deux personnes en même temps le coupable pourrait ne pas être systématiquement disqualifié alors que s'il s'agit de deux meurtres séparés et distincts, l'auteur pourrait être automatiquement disqualifié. Je reconnais qu'il faudrait à ce moment-là que les sanctions soient beaucoup plus précises pour pouvoir déterminer qui devrait être disqualifié. Certains des cas les plus notoires le seraient automatiquement. Selon mon expérience, il arrive que des individus qui, pour toutes sortes de raisons, se sont livrés à des actes de violence extrême sur plus d'une personne en même temps soient plusieurs années plus tard des candidats parfaitement adaptés aux concepts de réduction de délai préalable envisagé par l'article 745.
Je pourrais également ajouter - pour vous montrer combien nous sommes indépendants - que je ne suis pas d'accord avec M. Partington au sujet du rôle joué par le jury. Si nous voulons trouver une solution qui rétablisse la confiance de la collectivité dans la justice, il me semble indispensable que le coupable du crime le plus grave sanctionné par notre loi ne puisse bénéficier d'une réduction du délai préalable à sa libération conditionnelle que si les membres de la communauté sont consentants. C'est indispensable.
Pour déterminer si la loi actuelle devrait être modifiée ou abrogée, compte tenu du nombre de cas où la demande a été acceptée, il serait très intéressant - si c'était possible - de demander à ces jurés qui ont approuvé ces demandes: «Pourquoi avez-vous fait cela? Cette personne a été condamnée pour un crime très grave. Vous étiez censés prendre en compte la nature du délit, ce qui en soit appelle les faits, y compris le meurtre de plusieurs personnes. Pourquoi avez-vous permis que cette personne puisse bénéficier d'une réduction de délai préalable à la libération conditionnelle?»
Je suis prêt à parier qu'ils vous répondraient: «Parce que cela se justifiait». Ils avaient constaté un changement suffisant pour accélérer le processus de réinsertion. Il ne faut pas oublier que rien ne démontre que la loi actuelle ne fonctionne pas.
De 1976 a 1991 il n'y a pas pu avoir de demande avant 15 ans. Aujourd'hui, si. Il y a aujourd'hui un ou deux cas - un ou peut-être deux qui pourraient être extrêmes - qui pourraient réclamer sans succès cette réduction de délai préalable. C'est à ces cas que tout le monde a pensé et c'est peut-être la raison pour laquelle cette modification a été proposée.
La présidente: Avant que nous ne passions aux questions, et dans le simple but de clarification, comme vous représentez trois spécialisations différentes, M. Partington a parlé de la nécessité d'une disposition ou d'un mécanisme pour éviter les cas frivoles. Voudriez-vous dire un mot à ce sujet maintenant ou attendre à tout à l'heure?
M. Manishen: Je peux dire un mot maintenant. J'y ai réfléchi et je me suis demandé ce qu'il faudrait pour démontrer à un juge une probabilité raisonnable de succès. Je suppose que dans la majorité des cas les candidats feront appel à l'assistance juridique pour les aider. Il est tout à fait probable que dans les régimes provinciaux d'assistance juridique, avant qu'un certificat ne soit émis, un peu comme dans les affaires civiles, il soit nécessaire d'envoyer par écrit un argumentaire sur les mérites du dossier. Il y a donc dans les régimes provinciaux d'assistance juridique ce premier obstacle à franchir.
Pour essayer de démontrer la probabilité raisonnable de succès, comment réunir toutes les pièces nécessaires au dossier, y compris obtenir à l'avance l'évaluation d'admissibilité à la libération conditionnelle, l'évaluation psychiatrique, le dossier d'impact sur les victimes et comment rédiger un exposé des faits? C'est généralement ainsi que cela se passe. La Couronne et la défense se réunissent et préparent un exposé des faits, un exposé des faits au moment du délit.
Cela me semble très difficile et je ne vois pas très bien un juge porter un jugement sur cette simple base. Je suppose que dans des cas isolés il pourrait arriver que la demande soit rejetée de prime abord mais ce serait uniquement, d'après moi, pour la forme.
La présidente: Merci.
Monsieur Langlois, dix minutes.
[Français]
M. Langlois: Je serai très bref. J'aimerais intervenir sur le projet de loi C-30. Je voulais simplement mentionner que, jusqu'à un certain point, je partage ce que M. Partington a dit sur la nécessité même de l'article 745. Depuis assez longtemps, je suis en faveur d'un système qui rendrait les détenus actuellement visés par l'article 745 admissibles au régime qui s'applique à toutes les autres personnes.
Cependant, le propos de notre projet de loi n'est pas de proposer des solutions de remplacement. Si c'était l'objet de ce projet de loi, je présume qu'il aurait pu être renvoyé au comité après la première lecture et que nous aurions pu tenir des audiences approfondies à ce sujet.
Je vais laisser la parole à mes collègues. Fondamentalement, je partage les points de vue que vous avez exprimés. Alors, je préfère que d'autres qui ne les partagent pas puissent faire jaillir la lumière à partir des débats. Merci.
[Traduction]
La présidente: Merci.
Monsieur Ramsay, dix minutes.
M. Ramsay: Merci d'être venus.
J'aimerais discuter un petit peu avec vous de cette idée de jury. Lors d'une audience de demande en vertu de l'article 745 devant un jury, si tous les détails d'un homicide volontaire pouvaient être rappelés, je ne doute pas un instant que le jury n'accorderait jamais de réduction de délai préalable. La raison en est l'impact émotionnel que ces détails auraient sur le jury. Malgré toutes les améliorations manifestées par le coupable et constatées par le jury, je doute infiniment que ceux qui pourraient revivre la tragédie, entendre la victime appeler au secours, la victime crier, voir la victime mourir, la victime saigner, etc., accorderait une réduction de délai préalable à la libération conditionnelle même si le coupable arrivait à convaincre le jury qu'il ne fera plus jamais de mal à personne.
Si ce n'est pas vrai, pourquoi dites-vous alors que Clifford Olson ne bénéficiera jamais d'une réduction de son délai préalable? Si je me trompe, tout ce que Clifford Olson devra faire sera de convaincre le jury qu'il n'est plus un danger pour la société, qu'il est rééduqué. Mais malgré qu'il puisse le faire ou qu'il ait la possibilité de le faire, tous ceux qui jusqu'à présent ont exprimé une opinion sur les chances de Clifford Olson ont indiqué qu'il n'en avait aucune. C'est à cause de l'horreur de ses crimes qui continuent à hanter l'esprit de ceux qui le regardent et se disent: «Oui, il n'est peut-être plus une menace, et en fait il nous a convaincus qu'il n'était plus une menace, mais à cause de l'horreur de ses crimes nous ne lui accorderons pas ce qu'il nous demande, nous ne permettrons pas qu'il soit relâché plutôt».
Qu'en pensez-vous?
M. Manishen: Je pourrais vous donner quelques réponses sur les réactions émotives des jurés.
Mais je commencerai par vous dire que lorsque vous parlez de rappel dans tous ses détails de la tragédie au jury, n'oubliez pas qu'un des critères de demande en vertu de l'article 745 est la nature de l'infraction. Aucune règle à l'heure actuelle ne limite ce que peut dire la Couronne dans son rappel des faits liés à l'infraction.
Elle peut rappeler toutes les circonstances pertinentes et la Couronne ne manque pas d'insister sur les détails pouvant jouer le plus sur les émotions du jury. Elle ne peut pas faire spécifiquement appel à l'émotion des jurés car elle n'en a pas le droit. Cependant, croyez-moi, j'ai été procureur pendant huit ans et en insistant sur certains détails de l'infraction ou sur la nature de l'infraction, c'est très facile de jouer sur les sentiments des jurés.
D'ailleurs, les jurés ne réagissent pas émotivement. J'ai vu des exemples de crimes horribles pour lesquels il a fallu des heures aux jurés - prenez Bernardo - pour délibérer et rendre un verdict approprié.
Donc, pour commencer, rien n'interdit à la Couronne d'insister sur la nature de l'infraction pour convaincre les jurés de refuser la demande en vertu de l'article 745. C'est la raison pour laquelle j'ai dit qu'il n'y avait pas d'inquiétudes.
M. Ramsay: Dans ce cas je vous poserai la question suivante. Pensez-vous que Clifford Olson comparaissant devant un juge de cour supérieure passera l'examen et sera entendu par un jury?
M. Manishen: Non. Cette nouvelle loi l'empêcherait.
M. Ramsay: Pourquoi?
M. Manishen: Avant tout à cause de la nature des infractions et du personnage.
Je ne pense pas qu'un juge démontrerait... Soyons francs. C'est pour ça que cette modification est proposée. Pour que ce personnage ne puisse faire de demandes. Cette modification bloquera ce demi pour cent de personnages de ce genre.
M. Ramsay: Le ministre de la Justice nie véhémentement que cette loi vise quelqu'un en particulier.
M. Manishen: L'attention du public a quand même été attirée. Il faut montrer qu'il y a une volonté de sélection.
Vu sous l'autre angle, est-il valable de sélectionner ainsi? Bien sûr, car bien que M. Partington nous ait dit qu'il y en a beaucoup que faire une demande n'intéresse même pas, il est possible que certains aimeraient refaire un tour de piste alors que tout le monde sait que leur demande n'a aucune chance d'aboutir. Ce mécanisme de sélection évite ce genre d'incident.
M. Ramsay: M. Partington a proposé que nous nous débarrassions des jurys parce qu'ils peuvent se faire manipuler. Comment est-ce possible? Pourrions-nous trouver 12 personnes au Canada qui ne sont pas tout à fait révoltées par ce qu'a fait Olson? Comment peut-on surmonter cet obstacle émotionnel? Il existe déjà.
Il me semble cependant que si l'on pouvait faire passer un vidéo du meurtre et si l'on avait l'habilité de montrer ces faits sans pertinence sans essayer délibérément de susciter une réaction émotive... La vérité suscite des émotions et les faits aussi. L'acte lui-même suscite des émotions. À mon avis, plus on rappelle les détails de l'affaire, c'est-à-dire plus on explique au jury comment le délit a été commis, moins il y a de probabilité qu'il ne rendra pas un jugement émotionnel où ne se laissera pas influencer par ses émotions et ne rejettera pas la demande, comme il le fera dans le cas de Clifford Olson, simplement parce que ce sont des émotions que ressentent la plupart des Canadiens depuis des années.
M. Partington: Si vous me permettez de répondre, monsieur Ramsay, dans l'affaire dont je me suis occupé en 1989, la Couronne et les policiers avaient montré des photos en couleur et avaient concentré leurs arguments entièrement sur la nature du crime. Une petite fille de neuf ans avait été enlevée, violée et tuée pendant que sa famille était en train de déménager. Au moment de monter dans l'automobile pour partir, ses parents n'avaient pas pu la trouver. Quatre jours plus tard, on a trouvé son corps dans les bois. La famille avait été dévastée. La Couronne avait concentré ses arguments entièrement sur la nature du crime, montré des photos et fait témoigner les policiers et les victimes. Le délinquant a cependant obtenu un certain succès. Il n'a pas été déclaré immédiatement admissible à la libération conditionnelle, mais le délai préalable a été réduit.
Il a réussi à convaincre 12 citoyens qu'il avait changé. D'adolescent déprimé, timide, réprimé, maltraité et mésadapté qu'il avait été, il était devenu une personne bien instruite, qui s'exprimait bien, qui avait obtenu son baccalauréat es Arts, qui avait suivi de nombreux programmes de traitement et qui avait pu obtenir l'appui de psychiatres et de psychologues. Il avait pu prouver qu'il avait vraiment changé et le jury lui a donc donné la possibilité d'obtenir sa libération conditionnelle.
Je dois dire qu'il est toujours incarcéré et ne jouit pas d'autorisation de semi-liberté parce que la Commission des libérations conditionnelles n'est pas tenue de donner suite aux recommandations découlant d'un examen judiciaire. Il a obtenu gain de cause en 1989, mais il est encore dans un centre de réadaptation en 1996 où il jouit d'une liberté restreinte. Il n'est qu'en semi-liberté. Il peut sortir le jour, mais doit rentrer le soir. Cela fait quatre ans qu'il est dans ce centre parce que la commission continue d'être très prudente et d'évaluer les risques régulièrement.
M. Ramsay: Je suis bien d'accord. Je voudrais donc savoir pourquoi vous croyez qu'une demande venant de Clifford Olson ne sera jamais acceptée. Pourquoi, s'il pouvait prouver qu'il ne représente plus de danger pour la société et qu'il peut être réinséré dans la société?
M. Partington: Le docteur Hucker a pu examiner le caractère d'Olson et ce n'est donc pas à moi d'en parler.
M. Ramsay: Je voudrais une réponse à ma question.
M. Partington: D'après moi, il ne réussira pas à convaincre le jury qu'il a vraiment changé pendant les 15 années qu'il a passées en prison. Autrement dit, je ne peux penser à rien qu'il puisse...
M. Ramsay: Je m'excuse, mais cela ne répond pas à ma question.
M. Partington: Cela répond à la deuxième partie.
M. Ramsay: Non, ma question est celle-ci: si la possibilité qu'une demande de Clifford Olson soit acceptée dépend uniquement de la mesure dans laquelle il peut convaincre les membres du jury qu'il a complètement changé et qu'il ne représente plus de menace pour qui que ce soit dans la société, il devrait obtenir gain de cause.
M. Partington: Il ne réussirait pas parce que le deuxième critère serait son comportement pendant qu'il purge sa peine. Il doit prouver au tribunal qu'il a changé, que son comportement a changé... Il doit faire venir des témoins qui pourraient témoigner du fait qu'il ne représente plus aucun danger. Je ne peux penser à aucun témoin qu'il pourrait faire venir, sauf peut-être une fiancée qui voudrait l'épouser pour la publicité. Je ne peux penser à personne qui puisse témoigner pour lui.
Je peux cependant penser à bien des gens qui pourraient témoigner du contraire au nom de la Couronne. Je ne suis ni psychiatre ni psychologue, mais cela fait 22 ans que j'examine leurs rapports et leurs analyses et je ne peux penser à aucun psychiatre ou psychologue qu'Olson pourrait convaincre qu'il ne pose plus de risque. C'est sa nature d'être un auteur de meurtres en série. Il est psychopathe et dangereux.
M. Ramsay: Je ne sais pas si vous avez vraiment saisi ma question. Je ne le pense pas, mais merci quand même.
La présidente: Merci, monsieur Ramsay.
Monsieur Nunziata.
M. Nunziata: Monsieur Partington, vous avez dit que vous aviez présenté 18 demandes et que huit sont encore en suspens.
M. Partington: Oui.
M. Nunziata: Formulez-vous des recommandations dans vos rapports sur l'admissibilité à la libération conditionnelle?
M. Partington: Non, pas du tout. Mon travail consiste à résumer tous les renseignements contenus dans les dossiers portant sur les années d'incarcération et de transformer ces renseignements en un rapport pour le tribunal portant surtout sur le comportement du détenu pendant qu'il purge sa peine. On me pose des questions au sujet des divers termes employés dans les rapports et des choses qui se sont produites pendant les 15 années d'incarcération dans un établissement à sécurité maximale.
M. Nunziata: Votre témoignage est-il essentiel pour l'examen de ces demandes?
M. Partington: Il est essentiel dans la mesure où cela permet au tribunal d'examiner un condensé des dossiers sans avoir à consulter des piles de documents. Mon rapport est présenté de façon objective. S'il est positif, c'est parce que le contrevenant a changé pour le mieux au cours de ces 15 années.
M. Nunziata: Sur les 18 rapports que vous avez préparés, combien étaient positifs?
M. Partington: À mon avis, probablement 14 ou 15.
M. Nunziata: Les rapports pour les 12 demandes qui ont été acceptées étaient-ils tous positifs?
M. Partington: Non. Certaines des demandes ont été acceptées alors que le détenu ne le méritait pas selon moi. À mon avis, d'après les preuves documentaires, même si mon avis n'entre pas vraiment en ligne de compte...
M. Nunziata: Sur ces 12 rapports, combien étaient négatifs?
M. Partington: Probablement quatre ou cinq. Certaines des demandes méritoires n'ont pas abouti et certaines demandes où le rapport était négatif d'après moi ont été acceptées.
M. Nunziata: Cela m'intéresse beaucoup. Pour les 12 demandes qui ont été acceptées, vous aviez résumé toutes les preuves et, selon vous, quatre ou cinq de ces demandes n'auraient pas dû être acceptées à la suite de l'examen aux termes de l'article 745. C'est un chiffre assez révélateur, ne pensez-vous pas?
M. Partington: Cela confirme ce que j'ai dit à propos du jury.
M. Nunziata: Vous blâmez donc le jury?
M. Partington: Non, mais je pense que le jury peut se faire manipuler par d'autres témoins. Je ne suis pas le seul témoin à comparaître.
M. Nunziata: Quand vous avez fait votre exposé, j'ai pensé que vous étiez assez fier du fait que deux tiers des demandes avaient été acceptées, mais de toute évidence, ce n'est pas le cas.
M. Partington: Non, pas du tout. J'ai...
M. Nunziata: Cela vous a troublé de voir le système échoué dans quatre ou cinq cas sur 12. Cela représente quel pourcentage? Voulez-vous dire que 40 ou 45 p. 100 des jurys pour de tels examens rendent une décision contraire à celle que vous recommanderiez, vous qui êtes sur les premières lignes, vous qui examinez tous les faits, vous qui parlez à tous ceux qui travaillent au sein du système correctionnel?
M. Partington: Ce que je veux dire, c'est qu'à titre d'observateur objectif qui n'a aucun intérêt personnel dans le succès ou l'échec du détenu, j'ai vu certains demandeurs avoir gain de cause alors qu'ils n'auraient pas dû réussir selon moi. Par ailleurs, j'en ai vu d'autres dont la demande aurait dû être acceptée d'après moi et qui ont échoué.
M. Nunziata: Très bien. Appuyez-vous l'article 745?
M. Partington: Oui, tout à fait.
M. Nunziata: Appuyez-vous les changements proposés par le ministre?
M. Partington: Comme je l'ai déjà dit, j'approuve un bon nombre de ces changements. Cette disposition existe depuis 20 ans. Cela fait certainement dix ans que le premier examen judiciaire a eu lieu en 1986. Il est temps selon moi de réexaminer cette disposition, mais je pense que nous devons laisser une lueur d'espoir aux détenus et accepter le fait que les gens peuvent changer.
M. Nunziata: Cette mesure contient essentiellement trois principaux éléments. J'imagine que vous n'approuvez pas celui qui exigerait une décision unanime des jurys parce que vous n'avez pas confiance dans le système de jury.
M. Partington: En effet, je n'appuie pas le critère d'unanimité.
M. Nunziata: Que dire des deux autres dispositions, soit le processus de sélection?
M. Partington: J'aime bien le processus de sélection parce que, comme je l'ai dit tantôt, cela éliminerait les demandes sans chance de succès et économiserait de l'argent aux contribuables. La décision de la Cour suprême dans l'affaire Swietlinski il y a plusieurs années a essentiellement reconnu la possibilité de tenir compte du témoignage des victimes. Depuis, c'est à la discrétion du juge et, dans tous les cas dont je me suis occupé, les victimes ont eu accès au processus.
M. Nunziata: Que pensez-vous de la disposition relative aux auteurs de meurtres multiples que contient le projet de loi?
M. Partington: Je suis d'accord là-dessus aussi. Je ne comprenais pas très bien ce que cela signifiait parce que je ne suis pas avocat. La disposition s'applique-t-elle aux personnes qui commettent plus d'un meurtre sur une certaine période ou à ceux qui tuent plus d'une personne à la fois?
M. Nunziata: Cela m'intéresse beaucoup que vous ayez décidé de venir témoigner devant le comité. Vous êtes un auxiliaire de la justice. Vous vous décrivez comme étant un ami de la cour. Vous venez de faire un témoignage qui sera transcrit et à la portée du grand public.
Ne craignez-vous pas qu'on se serve plus tard de ce que vous avez dit au sujet du système de jury pour jeter le discrédit sur votre témoignage lors d'une future audience? Vous semblez être celui qui s'occupe de la majorité des demandes de ce genre. Si vous vous êtes occupé de 18 demandes sur une soixantaine, cela fait près de 30 p. 100. Pourtant, vous avez mis en doute l'efficacité du système de jury prévu pour les demandes aux termes de l'article 745.
Il me semble que l'on pourrait contester votre témoignage lors de futures audiences à cause de ce que vous avez dit aujourd'hui.
M. Partington: Tout d'abord, je suis convaincu que je pourrai continuer à témoigner devant le tribunal de façon objective et basée sur les faits.
Chaque fois qu'un témoin vient devant le tribunal, le jury peut croire une partie de ce qu'il dit, tout ce qu'il dit ou ne rien croire du tout. Le juge peut dire au jury ou bien de ne tenir aucun compte du témoignage de quelqu'un ou d'écouter la partie qu'il est prêt à croire. Ce que j'ai dit à propos des jurys ne s'applique pas individuellement aux personnes qui en font partie.
M. Nunziata: Mais vous avez parlé de manipuler. Vous avez dit qu'on pouvait manipuler un jury.
La présidente: Monsieur Nunziata, votre temps de parole est écoulé.
M. Partington: Je pense effectivement avoir déjà vu des jurys se faire manipuler.
La présidente: Merci, monsieur Nunziata.
Monsieur DeVillers.
M. DeVillers: Merci, madame la présidente.
Ma première question s'adresse à M. Manishen. Pourriez-vous préciser quel est le rôle de la Couronne dans une demande aux termes de l'article 745?
M. Manishen: Je dirai tout d'abord que le rôle de la Couronne consiste à s'opposer à la demande. Je pense que c'est généralement le cas. Pour ce qui est d'insister sur certains aspects... Il y a la nature du crime, la contestation des changements, le caractère et le comportement du détenu pendant son incarcération et la nécessité de s'assurer que le détenu fournit vraiment des preuves irréfutables de ce qu'on exige dans la demande.
La Couronne ne peut interjeter appel d'une motion. L'affaire Swietlinski a posé un problème à cet égard à cause des questions présentées au jury. C'est la même chose pour toute poursuite au criminel et le rôle de la Couronne doit être plus objectif.
Il y a cependant un peu plus de possibilités de collaboration entre la poursuite et la défense dans un cas de ce genre parce qu'on n'est pas obligé de présenter de nouveaux arguments sur tous les faits qui ont été présentés lors du procès. Il arrive souvent que la Couronne et la défense s'entendent sur les faits.
M. DeVillers: S'agit-il tout de même d'un système contradictoire où la Couronne s'efforce de contrer la demande du détenu et l'avocat de la défense essaie d'obtenir qu'elle soit acceptée?
M. Manishen: Tout à fait.
Dans l'affaire que j'ai défendue à Brampton, l'avocat de la Couronne qui s'était occupé du procès était aussi l'avocat de la Couronne pour la demande aux termes de l'article 745. Il est maintenant directeur régional des avocats de la Couronne.
Votre question est vraiment intéressante. L'avocat de la Couronne avait recommandé au jury de réduire le délai préalable à la libération conditionnelle à 19 ans. De mon côté, je voulais que le détenu soit admissible à la libération conditionnelle tout de suite. L'avocat de la Couronne appuyait donc essentiellement la demande en disant au jury de réduire le délai préalable à 19 ans. Si le détenu devenait admissible à la libération conditionnelle après 19 ans, il lui restait moins de trois ans avant la première date où il deviendrait admissible à la libération conditionnelle et il pouvait donc commencer à obtenir des permissions de sortir sans escorte, ensuite la semi-liberté et enfin une pleine libération conditionnelle.
C'est d'habitude ainsi que cela fonctionne. Trois ans avant qu'un détenu soit admissible pour la première fois à la libération conditionnelle, on peut entamer le processus et il lui faut trois ans avant d'obtenir sa pleine libération conditionnelle. L'avocat de la Couronne appuyait donc la demande et le jury avait accepté ce qu'il recommandait.
M. DeVillers: Merci.
Ma question suivante s'adresse au Dr Hucker. Vous avez parlé de psychopathes. Au milieu des années 60, j'avais travaillé pendant l'été pour le Dr Elliot Barker à l'époque où il commençait ses travaux à Oak Ridge, dans ma ville natale de Penetanguishene. À l'époque, les experts semblaient croire qu'il était très difficile de prévoir le comportement futur de psychopathes.
D'après ce que vous savez de ceux qui ont présenté une demande aux termes de l'article 745, quel pourcentage d'entre eux seraient considérés comme des psychopathes?
M. Hucker: Je n'ai pas ces renseignements avec moi parce que je suis maintenant en voyage. J'ai cependant l'impression que trois des 13 délinquants en question sont certainement des psychopathes reconnus. Quant aux autres, comme pour la plupart des délinquants, les résultats d'une évaluation psychologique les placeraient probablement au milieu de l'échelle des risques pour tendances psychopatiques. Un très petit nombre, peut-être seulement un ou deux, auraient des résultats tellement faibles, comme dans le cas dont nous nous sommes occupés, qu'on ne pourrait jamais les considérer comme étant des psychopathes. La majorité des demandeurs auraient sans doute des résultats équivalents à ceux qu'on trouve parmi la population carcérale.
M. DeVillers: D'après les psychiatres, dans quelle mesure peut-on maintenant prévoir la possibilité qu'un psychopathe commette de nouveaux crimes?
M. Hucker: Nous pouvons maintenant le faire beaucoup mieux qu'auparavant.
M. DeVillers: Vous êtes donc pas mal certain de pouvoir prédire un tel comportement.
M. Hucker: Beaucoup mieux qu'à l'époque où vous travailliez pour mon distingué collègue, Elliot Barker.
M. DeVillers: Très bien. Nous parlons cependant maintenant de la possibilité de prévoir un nouveau crime ou une récidive de la part d'un demandeur qui obtiendrait sa libération conditionnelle anticipée. M. Nunziata a dit tantôt à un autre témoin que l'élément de châtiment est ce qui pousse certaines personnes à s'opposer au projet de loi ou à réclamer l'abolition de l'article 745.M. Partington a aussi parlé tantôt de l'opinion publique quand il a dit qu'il appuyait l'élimination des demandes de ce genre.
J'ai organisé un débat sur l'ordre public dans ma circonscription. L'un des membres du groupe de discussion, Johanne Kaplinsky, viendra sous peu témoigner devant le comité à titre de représentante des groupes de victimes. Parmi les membres du groupe, il y avait un juge, un avocat de la Couronne, un avocat de la défense, un ancien contrevenant, un jeune contrevenant et quelqu'un qui représentait les médias. D'après moi, tous ces gens pouvaient contribuer à la discussion.
D'après un éditorial dans le journal local, nous ne devrions pas charger des criminologues, des avocats et des experts de prendre des décisions pour nous dans des questions de droit pénal, ce qui revient sans doute à ce que disait M. Partington au sujet de l'opinion publique. Comme vous travaillez dans le système, je me demande si vous avez quelque chose à dire au sujet de cet éditorial.
M. Manishen: Ma première réaction serait de parler du manque d'opinion objective parmi le public. Dans le cas des questions qui m'intéressent moi-même, comme l'admissibilité des preuves aux termes de la Charte canadienne des droits et libertés, en termes très simples, l'opinion publique est sans doute ceci: le détenu a été accusé d'un crime, la police a obtenu les preuves et on n'a qu'à les présenter. Même si nos tribunaux ont tenu compte dans une certaine mesure de la nécessité de maintenir l'équilibre quand ils interprètent la charte, le citoyen bien renseigné qui est au courant de cet équilibre qu'il faut maintenir en ce qui concerne les droits et libertés... il faut ensuite décider si le fait d'admettre certains genres de preuves peut nuire à l'administration de la justice.
D'après moi, c'est la même chose pour la détermination de la peine. Le public se préoccupe essentiellement de la façon dont on peut réprimer le crime. Le public insiste donc avant tout sur l'élément de dissuasion et le principe du châtiment. Je n'ai pas vraiment pu obtenir d'appui ou lancer un mouvement de pétitions disant qu'il faut établir un certain équilibre dans la détermination de la peine. On ne me demande pas très souvent de participer à des émissions-débat pour parler de cet équilibre, même si j'essaie de le faire. Chaque fois que j'en ai l'occasion, j'essaie de rappeler aux gens que la détermination de la peine ne doit pas servir uniquement à imposer un châtiment. Nous l'avons constaté il y a quelques mois encore à la Cour suprême du Canada.
Je vous dirais donc que les législateurs, les avocats et les juges doivent certainement être au courant des préoccupations du public. Le principe de la dénonciation reflète l'horreur que le public ressent à propos d'un crime, mais notre enquête et notre examen ne doivent pas s'arrêter-là. C'est seulement une partie des choses qui doivent entrer en ligne de compte.
Le principal thème que je veux établir dans mon témoignage à votre comité, c'est qu'il faut maintenir un certain équilibre et qu'il ne faut pas se laisser influencer à tel point par un seul élément qu'on oublie la vue d'ensemble. C'est justement pour des raisons d'équilibre que cet article existe et prévoit un examen judiciaire. Cette disposition vise à établir l'équilibre entre une peine appropriée et la possibilité que le détenu change sur une longue période. C'est la raison d'être de la loi et c'est pour cela que les législateurs sont là et c'est l'équilibre que les avocats essaient aussi d'établir.
La présidente: Monsieur Maloney.
M. Maloney (Erie): Monsieur Partington, je voudrais savoir ce que vous pensez de la notion de faible lueur d'espoir, en votre qualité d'agent de liberté conditionnelle et d'agent de correction. Pouvez-vous nous dire ce que cette notion signifie vraiment tant pour le détenu qui veut changer que pour l'agent de correction qui a tous les jours affaire à ce contrevenant dans l'établissement pénitentiaire?
M. Partington: J'ai entendu tantôt M. Nunziata - et je m'excuse de mentionner son nom constamment - parler du détenu condamné à l'emprisonnement à vie qui arrive dans un établissement. L'emprisonnement à vie est la peine maximale qu'on puisse imposer au Canada. L'emprisonnement à vie signifie précisément cela. Le détenu finit de purger sa peine le jour de sa mort.
Dans un établissement pénitentiaire, bon nombre de détenus condamnés à l'emprisonnement à perpétuité posent peu de risque et s'entendent très bien avec les autres. J'en ai rencontré des centaines au cours des années et j'ai trouvé qu'ils étaient d'excellents détenus. Ils offrent de grandes chances de réadaptation. Ce sont des bons citoyens dans le milieu pénitentiaire. Si je ne m'occupais que de détenus condamnés à l'emprisonnement à vie, je serais très heureux. Les tribunaux ont cependant décrété comme aspect punitif de cette peine que le détenu ne sera pas admissible à libération conditionnelle avant un certain nombre d'années, soit 10 ans, 15 ans, 18 ans, 25 ans, ou que sais-je encore.
Ce peut être les citoyens modèles au sein du pénitencier et il y en a beaucoup qui le sont. Il ne faut cependant pas oublier qu'une peine d'emprisonnement à vie ne comporte pas de date de libération; le comportement de ces détenus est donc très important pendant toute leur période d'incarcération parce qu'ils doivent pouvoir convaincre la Commission des libérations conditionnelles à un moment donné qu'ils méritent d'obtenir leur libération conditionnelle. C'est donc très important pour eux de bien se comporter.
Celui qui purge une peine de deux ou trois ans sait qu'il sera libéré. Peu importe ce qu'il fait, il sera libéré. Le tribunal ne peut pas prolonger sa peine une fois qu'il a fini de la purger. Il peut donc se comporter comme un imbécile et il sera malgré tout libéré. Un détenu condamné à l'emprisonnement à vie n'est cependant jamais libéré. On peut donc contrôler leur comportement.
Une fois libérés, s'ils veulent rester dans la communauté pendant qu'ils purgent leur peine tout en respectant certaines conditions, ils doivent s'assurer que leur comportement est bon, sinon, ils seront renvoyés en prison.
M. Maloney: Est-ce ce qu'on appelle la faible lueur d'espoir? Y a-t-il des différences si le délai préalable est de 15 ans, de 20 ans ou de 25 ans?
M. Partington: Eh bien, pour ce qui est d'un délai préalable de 15 ans, il me semble que le gouvernement avait vraiment fait beaucoup pour garder l'équilibre en fixant ce délai à 15 ans en 1976 au moment d'adopter la loi. Selon moi, une période d'inadmissibilité de 15 ans est très bien choisie. Cela satisfait d'après moi à l'aspect punitif de la peine. Quinze ans, c'est très long. C'est toute une vie pour bien des gens.
Bon nombre de contrevenants qui commettent un meurtre arrivent en prison à la fin de la vingtaine. S'ils purgent la peine minimale de 15 ans, ce qui est rare, ils sont libérés vers le milieu ou la fin de la quarantaine. Pensez un peu à tout ce que vous avez fait entre 25 et 45 ans, au plaisir que vous avez eu, aux filles que vous avez rencontrées, aux endroits que vous avez visités, aux choses que vous avez faites. Ces gens sont en prison. Peu importe la façon d'envisager les choses, c'est un châtiment.
Selon moi, on a trouvé un bon équilibre en fixant la période d'inadmissibilité à 15 ans parce que l'aspect châtiment de la peine a été appliqué à ce moment-là. Si le détenu peut convaincre un jury, ou, ce qui serait mieux d'après moi, un juge, qu'il a changé, nous devrions lui donner la chance d'avoir une deuxième chance, comme j'ai déjà entendu quelqu'un le dire. Permettons-lui de présenter une demande pour obtenir sa libération conditionnelle. S'il réussit, il continuera malgré tout à purger cette peine pendant le reste de sa vie. Il me semble cependant que 15 années d'emprisonnement suffisent pour ce qui est de l'aspect punitif.
La présidente: Merci, monsieur Maloney. C'est tout le temps que nous avions prévu pour cette séance.
Monsieur Manishen, je sais que vous vous êtes donné du mal pour réunir ce groupe d'intervenants. C'était très intéressant et nous vous en remercions.
M. Manishen: C'est moi qui vous remercie.
La présidente: Je voudrais signaler une chose aux membres du comité avant de faire une pause en attendant les témoins suivants. Je ne veux pas réduire le temps de parole du groupe suivant. Nous tenons à lui accorder tout le temps prévu. Tout de suite après, cependant, nous devrons nous occuper d'un rapport du comité directeur pour être prêts à faire notre travail en septembre. Je vous demanderais donc de ne pas partir tout de suite.
Nous allons maintenant faire une pause de cinq minutes pour pouvoir faire quelques téléphones et réduire au minimum le nombre d'interruptions pour plus tard; et je vous prie d'éteindre vos téléphones cellulaires.
La présidente: Si nous pouvons faire sortir les caméras, nous allons reprendre.
Nous attendons encore d'autres témoins. Quelqu'un a-t-il parlé à Mme de Villiers? Je pense que nous allons commencer immédiatement parce que je ne voudrais pas accumuler trop de retard. Si elle arrive, nous nous interromprons pour quelle puisse se joindre à nous.
Je vous souhaite tous la bienvenue. Je répète encore aux gens dans la salle qu'ils doivent éteindre leur téléphone cellulaire. Cela dérange nos délibérations et c'est aussi très insultant pour nos témoins de se faire interrompre par ce fléau de l'époque moderne.
Nous voulons entendre chaque témoin à son tour et je pense que c'est aussi ce que vous voulez. Darlene, comme vous êtes assise au milieu, je vais vous demander d'orchestrer les interventions.
Je pense que vous comptez tous témoigner individuellement. Voulez-vous procéder selon un ordre particulier ou voulez-vous que nous décidions? Voulez-vous en discuter entre vous un instant?
Mme Sharon Rosenfeldt (Victimes de violence international): Je pense que je serai la première.
Je vous remercie beaucoup de nous permettre de venir témoigner devant votre comité.
Je voudrais tout d'abord dire que je sais que l'abrogation de l'article 745 et les amendements proposés par le ministre de la Justice ont suscité un débat très animé et très émotionnel. C'est inévitable quand on traite de la vie d'êtres humains, de vies perdues, de victimes de meurtre et des familles de ces victimes, d'une part, de même que des contrevenants, de leurs familles et de ceux qui les défendent, d'autre part.
Comme cette question revêt tellement d'importance, je pense donc qu'il faut l'examiner d'une façon beaucoup plus vaste qu'on ne peut le faire en quelques jours au Comité de la justice. Par ailleurs, je tiens à vous remercier de m'avoir invitée à témoigner devant votre comité.
Je ne parlerai pas très longtemps. J'ai préparé un texte, je l'ai depuis un certain temps, j'y ai beaucoup réfléchi et mes sentiments n'ont pas changé. Je ne peux pas changer ce qui s'est passé. Ce sont mes émotions que j'exprime ici et je continue à ressentir ce que je ressentais quand j'ai écrit ce texte. Je veux essayer d'expliquer précisément ce que je n'aime pas dans l'article 745, et en particulier dans les nouveaux amendements annoncés par le ministre de la Justice.
Je me suis beaucoup débattue avec cette question. Cela m'a vraiment achevée, parce que je connais cette loi depuis des années et j'y ai beaucoup réfléchi. Je ne peux tout simplement pas accepter les nouveaux amendements proposés par le ministre de la Justice. Je continue à penser qu'il faut supprimer totalement l'article 745.
Cela dit, je ne vais pas m'éterniser car plusieurs témoins doivent comparaître et je vais donc passer au reste.
Je me présente à nouveau, je m'appelle Sharon Rosenfeldt, et je suis la mère d'un des 11 enfants qui, en 1981, ont été enlevés et assassinés par Clifford Olson. Depuis 14 ans, je subis non seulement la douleur de la perte de mon fils, mais également la douleur que me cause la façon dont il est mort. Cela n'a pas été facile.
J'ajoute qu'un des témoins qui m'a précédé a soulevé une question très intéressante. Je vous demande votre indulgence, c'est une chose que je n'ai jamais faite, mais aujourd'hui cela m'a semblé particulièrement important parce que j'ai l'impression d'être sur le point de pouvoir me résigner enfin à la mort de mon fils. Ce témoin a dit qu'il était important de donner un visage au meurtre. Je ne suis pas la seule ici. On n'en a pas discuté, mais si vous le voulez bien, je vais citer l'exemple de mon petit garçon. Cela remonte à il y a 15 ans.
Je ne suis pas la seule dans cette douloureuse situation. Chaque année au Canada, le gouvernement publie des statistiques sur les meurtres et annonce que la situation au Canada est loin d'être aussi mauvaise qu'on l'imagine. On nous dit que 700 personnes seulement ont été assassinées l'année dernière. En pourcentage, c'est un peu moins que l'année précédente. On pense que cela va nous rassurer. Pas du tout. Cela signifie que 700 familles de plus vont devoir subir des douleurs et des angoisses comparables à celles que je subis quotidiennement. Elles ne s'arrêtent jamais.
Réfléchissez-y. Chaque jour, dans notre pays, deux personnes de plus sont assassinées, et laissent derrière elles d'innombrables parents, grands-parents, tantes, oncles, et frères et soeurs, ils leur laissent une douleur qui ne s'atténue qu'avec le temps. Quand on trouve le coupable et qu'on lui demande des comptes, les tribunaux le condamnent à la détention à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans. C'est une petite consolation, cela ne nous redonne pas ceux que nous avons perdus, mais, dans les circonstances, c'est ce qui semble le plus juste.
Une personne qui n'avait aucun respect pour les droits de sa victime est condamnée à passer sa vie derrière les barreaux, et en principe, cela l'empêchera d'infliger la même sorte de douleur à une autre victime innocente et à sa famille. Mais en réalité, les choses se passent différemment. L'article 745 donne une autre chance au coupable, une chance qu'il n'a pas donnée à ses victimes.
En fait, seule la famille de la victime est condamnée à perpétuité. Au bout de 15 ans, le coupable a droit à une audience après quoi il peut être libéré. Il ou elle peut reprendre sa vie dans la communauté. Les familles des victimes voient leurs vies chamboulées encore une fois. Pour elles, c'est comme si le crime s'était produit la veille.
La perte d'un être cher cause une douleur extrême mais que se passerait-il si je rencontrais le meurtrier dans la rue? Est-ce que le juge n'a pas dit qu'il n'y aurait pas de libération conditionnelle avant 25 ans? Est-ce que le coupable va récidiver et causer à une autre famille toute la douleur que nous avons éprouvée nous-mêmes? Qu'est-ce qui empêche ces monstrueux actes de violence quand on libère le coupable au bout de 15 ans seulement et qu'on lui permet de reprendre le cours de sa vie?
Dans mon cas, le meurtrier a été reconnu coupable de 11 crimes. Quinze ans de prison, cela veut dire moins de 500 jours de prison pour chaque viol et assassinat. La vie d'un enfant innocent ne vaut-elle qu'un peu plus d'un an de prison?
Quel que soit le contexte, cette deuxième chance qu'on donne aux assassins est inadmissible. Les peines imposées par les tribunaux doivent être purgées. La plupart des familles des victimes de meurtre acceptent les verdicts prononcés par les tribunaux. Au début, ils se disent que le coupable doit avoir une sentence maximum, l'emprisonnement à vie sans libération conditionnelle pendant25 ans. Après le procès, l'accusé parfois reconnu coupable de meurtre au second degré et il reçoit alors une sentence à perpétuité sans libération conditionnelle pendant 10 ou 12 ans. Avec le temps, les familles se résignent à ce genre de choses, mais elles n'accepteront jamais qu'une sentence d'emprisonnement à perpétuité sans libération conditionnelle pendant 25 ans soit ensuite commuée et réduite à 15 ans seulement.
À notre avis, le juge qui prononce la sentence est le mieux en mesure de prendre une décision avisée sur la peine à imposer. Il ou elle vient d'entendre des montagnes de témoignages et, la plupart du temps, la décision est avisée et équitable sur la base des lois actuelles. Beaucoup de juges précisent qu'ils ont le ferme espoir que l'accusé ne sera jamais relâché. Eux aussi doivent se poser des questions quand un autre tribunal réduit plus tard cette sentence à 15 ans.
Le 8 février 1996, quand j'ai appris que Clifford Olson, le meurtrier de mon fils, avait demandé une révision judiciaire après 15 ans, j'ai éprouvé une véritable panique émotive. Je sais bien qu'il ne peut pas présenter sa demande officielle avant le 12 août, mais je sais que toute la documentation est déjà prête. Depuis plusieurs années, je savais qu'il avait le droit de demander cette révision et qu'il le ferait probablement. Je le savais, mais mon coeur, mes émotions et mon âme refusaient de le croire. J'avais peur d'y penser, j'essayais de ne pas y penser, c'est une chose dont j'ai pris l'habitude. J'ai appris à engourdir certaines émotions. C'est comme cela que j'ai appris à survivre.
Vous comprenez, je dois rester forte, car pendant que le cercueil de mon fils descendait dans la terre je lui ai promis que sa mère ferait tout ce qu'elle pourrait pour que la personne responsable de sa mort soit traduite devant les tribunaux. Je lui ai promis que je ne le quitterais pas tant que je n'aurais pas obtenu cela. Je sais que je vais devoir le quitter, qu'il mérite de reposer en paix, mais les lois de notre pays nous empêchent tous deux d'être en paix.
Quand j'ai appris qu'Olson avait bel et bien demandé sa révision, cela m'a fait un énorme choc. Des images se sont mises à défiler dans mon esprit. Ce fut un choc, mais je n'aurais pas dû éprouver un choc. J'ai éprouvé de la colère, mais je ne devrais pas éprouver de colère. Je me suis sentie blessée, mais là non plus, je n'aurais pas dû. Je me suis sentie trahie et j'ai paniqué. Je ne pouvais plus respirer, je ne pouvais pas rester immobile, je marchais d'une pièce à l'autre, je voulais pleurer, je voulais hurler, et je voulais me remettre à courir.
Et ma famille, les deux enfants qui me restent? Ma fille avait neuf ans. Elle a maintenant 24 ans, et elle est dans la salle aujourd'hui. Elle nous a beaucoup aidé. Merci, ma chérie.
Pourquoi devons-nous subir à nouveau tout cela? Je me sens faible et vulnérable. Je ne veux pas perdre ma dignité encore une fois, j'ai besoin de parler à quelqu'un, mais qui va m'aider? Enfin, j'ai appelé mon beau-frère à Saskatoon. Je ne pouvais plus me retenir.
J'ai essayé de préparer ma famille à cette révision et à toutes les émotions qui vont refaire surface, mais nous sommes tous humains. Quel que soit le nombre d'années écoulées, nous ne serons jamais préparés.
Je suis allée dans la salle familiale et j'ai pris la photo de mon fils qui était sur un meuble. Je me suis assise et je l'ai regardé avec amour, soulignant du doigt les traits de son visage. Il était si parfait. Vous comprenez, il faut toujours que je reconstitue son visage dans mon esprit parce qu'on lui a enfoncé la figure à coups de marteau. Il était impossible de le reconnaître. J'ai pressé sa photo sur mon coeur et j'ai répété cette promesse que je lui avais faite il y a 15 ans. Je me suis mise à genoux et j'ai demandé à Dieu de me donner la force de conserver ma dignité. C'est très important, parce qu'en prenant la vie de mon enfant, Clifford Olson m'a pris en même temps ma dignité pendant un certain temps. Je ne laisserai pas Olson et le système recommencer.
Je ne sais pas comment ma famille va surmonter tout cela, mais nous avons survécu une fois, j'imagine que nous survivrons encore. Mes sentiments, ceux de ma famille, et notre histoire ne sont en rien différents de ceux des autres familles de victimes. Nous sommes tous pareils.
La seule chose que j'espère, c'est qu'un jour l'un d'entre nous réussira à mettre la volonté politique dans le droit chemin et à faire comprendre qu'une déclaration très simple pourrait changer la vie d'innombrables victimes. Cette déclaration, c'est que la justice ne nous rendra pas ceux que nous avons perdus, mais pour insuffisant que ce soit, c'est ce qui est le plus juste.
C'est une déclaration très simple, mais il y a une condition. Cela signifie que quelqu'un va devoir avoir la force de commencer à dire non aux meurtriers, à leur bataillon d'avocats et de défenseurs. En attendant, nous allons continuer à prendre ce qu'on nous donne. Nous allons continuer à raconter notre histoire dans l'espoir que quelqu'un reconnaîtra un jour cette déclaration très simple et la comprendra véritablement.
On répète aux victimes, aux familles des victimes et aux avocats des victimes que le système judiciaire ne saurait être émotif, que ce n'est pas sa fonction. Mais d'un autre côté, si on est honnête, si on veut jouer le jeu équitablement, il faut reconnaître qu'on a changé le système judiciaire pour mieux défendre les droits des coupables, et chaque fois, ces changements étaient fondés sur des émotions. L'article 745 en est un parfait exemple. Ce n'est certes pas un article fondé sur le bon sens, il est strictement fondé sur les émotions. Le terme «lieur d'espoir» se passe de commentaires.
Nous n'avons pas demandé à figurer dans la vie d'Olson, mais lui, il s'est imposé dans notre vie. J'ai l'intention de tenir la promesse faite à mon fils. Je continuerai à me battre jusqu'à ce que l'on redresse la situation. Il faut abroger l'article 745.
Comme je viens de le dire, en toute conscience, je ne peux pas discuter ici des amendements au projet de loi du ministre de la Justice, car cela va beaucoup plus loin que l'affaire Clifford Olson. Clifford Olson n'est qu'un symptôme de ce qui doit être fait. Pour cette raison, chaque fois que son nom est prononcé, tout le monde a un mouvement de recul. Tout le monde dit: mais pourquoi diable citer sans cesse Clifford Olson? Il n'est qu'un symptôme.
Je partage les sentiments des autres familles qui sont ici aujourd'hui, et je n'ai vraiment pas de réponse au projet de loi du ministre de la Justice. Moi qui suis la mère de Daryn, je renonce. Daryn, ma famille et moi-même, nous renonçons à la possibilité d'un droit d'audience automatique en août de cette année, et cela, pour que d'autres familles puissent en profiter plus tard.
Dans ce contexte, je vais terminer en disant qu'à mon avis toute cette affaire mérite une très longue discussion. On ne saurait précipiter les choses. J'ai le plus grand respect pour notre système judiciaire, pour le comité de la justice et pour notre Parlement, j'ai le plus grand respect pour notre pays et pour nos lois, mais quand il faut remédier à une situation, de grâce ne pressons pas les choses.
Merci beaucoup. Je suis désolée d'avoir parlé si longtemps.
La présidente: Je souhaite maintenant la bienvenue à Priscilla de Villiers. Nous avons décidé de continuer, j'espère que vous n'y voyez pas d'inconvénients. Merci d'être venue.
Qui est le témoin suivant?
Mme Darlene Boyd (témoigne à titre personnel): Je crois que c'est moi.
Merci d'avoir accepté d'entendre nos préoccupations et nos opinions.
En 1982, notre fille de 16 ans, Laurie, a été enlevée, agressée sexuellement à plusieurs reprises et poignardée 18 fois. On ne lui a laissé aucune dignité. On l'a ensuite arrosée d'essence et on y a mis le feu. Elle était la deuxième victime. Une jeune fille de High River avait été attaquée de la même façon, mais en plus, on lui avait défoncé la tête avec un levier à pied. C'est de cela qu'il est question ici, de gens qui commettent des crimes horribles de ce genre.
C'est trop facile de dire le mot meurtre. En fait, on ne peut même pas en concevoir le sens tant qu'on n'est pas directement impliqué. J'étais ici hier soir, et le mot «meurtre» a été répété au moins 100 fois. C'est un mot qui est trop facile à dire, et il est certain qu'on n'en comprend pas vraiment le sens. Certains ont comparé un meurtre au fait de mourir d'un cancer ou d'un accident de voiture. Croyez-moi, un meurtre, c'est tout autre chose.
J'entends aussi beaucoup parler de réhabilitation. Je suis absolument convaincue que l'homme qui a enlevé notre fille et la jeune fille de High River n'est pas réhabilitable, qu'il ne le sera jamais, et certainement pas après 15 ans d'emprisonnement. Pour qu'une réhabilitation soit possible, il faut une étincelle de remords, et c'est une chose qu'on a jamais vu chez James Peters. On prend un bien trop grand risque en réintégrant dans la société des hommes comme James Peters après 15 ans d'incarcération. Nous allons creuser d'autres tombes pour d'autres innocents.
En matière de sentence, le moment est venu de dire la vérité. Dans notre pays, la sentence maximum est l'emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle pendant au moins 25 ans. Mais c'est un mensonge, un mensonge qui se perpétue. C'est un mensonge qu'on répète chaque fois qu'on prononce une sentence. Personne ne nous avait parlé de l'article 745. C'est un journaliste qui nous en a parlé, ce n'est pas quelqu'un de la Commission des libérations conditionnelles ou du système juridique, mais un journaliste. À mon avis, c'est déjà une façon de minimiser l'importance de la vie de Laurie.
Nous étions ignorants, nous faisions confiance au système judiciaire de notre pays, c'est ainsi qu'on nous avait élevés. Nous élevons nos enfants dans le respect du système judiciaire. Et pourtant, ce système nous a fait faux bond et il continue. Le prix que nous payons est démesuré, mais nous pensions au moins que Peters paierait le prix entier en purgeant une peine de 25 ans au moins et peut-être à perpétuité.
La méfiance des Canadiens est axée sur l'article 745, et c'est la raison pour laquelle nous réclamons un changement. Dans tout l'Ouest du Canada, les Canadiens supplient et exigent une véritable réforme de la justice parce que le système actuel ne fonctionne pas.
Le projet de loi C-45 n'apporte pas cette réforme.
Une sentence consécutive devrait être imposée dans le cas de meurtres multiples, mais il ne faudrait pas penser pour autant que ces meurtres-là sont plus horribles qu'un meurtre unique. Mais l'issue est la même: quelqu'un meurt. Il y a quelqu'un qui n'est plus là à la table familiale, au souper, à la Noël ou aux anniversaires. Le résultat est le même. Dans ces conditions, comment peut-on dire que l'un est plus horrible que l'autre?
En précipitant l'adoption du projet de loi C-45, sans l'asseoir sur une base ferme, je me demande si on ne va pas aggraver encore le problème. C'est une affaire beaucoup trop importante qui affecte beaucoup trop de gens.
L'article 745 n'est pas nécessaire pour apporter des amendements. Il suffit de supprimer l'article 745 avec le projet de loi C-234, puis de considérer un ensemble cohérent d'amendements. Ne faites pas appel à une solution hâtive. Votez pour une abrogation de l'article 745 et rendez aux Canadiens la foi et la confiance qu'ils éprouvent pour le système judiciaire. Voilà qui servira à quelque chose.
La présidente: Madame Mahaffy.
Mme Debbie Mahaffy (Action): Je suis heureuse d'être ici. Nous avons entendu parler des audiences du comité par accident, et je suis très heureuse que nous ayons pu nous précipiter à Ottawa à la dernière minute.
L'article 745 est une affaire de temps. Le projet de loi C-45 est une affaire de temps. C'est le temps qui contrôle l'univers et qui contrôle également ces audiences. Nous n'avons aucun recours contre le temps. Le temps est précieux, il est puissant, et également trop court. Tous ceux qui ont comparu devant ce comité de la justice ont été limités et restreints par le temps. Tous ceux qui s'adressent à ce comité, qui parlent du projet de loi C-45 et qui réclament l'abrogation de l'article 745, ont déclaré qu'ils n'avaient pas eu suffisamment de temps pour préparer leur témoignage, des témoignages fondés sur leur expérience, leur expertise, la gravité du dilemme posé, etc. Faut-il abroger l'article 745 ou bien faut-il le rafistoler en rectifiant le plus grand nombre de problèmes.
Le temps qu'on m'a accordé sera également trop court, car il m'a été difficile de me préparer à vous parler de mon expérience et des questions que je connais.
Il y a 19 ans - c'est il y a très longtemps, mais on dirait hier, le 19 juin 1976, j'ai connu la plus grande joie de ma vie. Avant cela, je ne savais pas vraiment ce que c'était d'être heureuse. J'étais enceinte de huit mois de ma fille, Leslie Mahaffy, mais en fait, je me trompais, car quelques jours plus tard seulement, il y a près de 20 ans, le 5 juillet 1976, j'ai donné naissance à Leslie, une magnifique petite fille.
Toutes les mères ont des bébés magnifiques, cela n'a rien d'unique, mais ce qui était unique dans mon cas, c'est que j'avais eu un cancer des ovaires à l'âge de 9 ans, et un autre à 14 ans, que j'avais été opérée à deux reprises et que j'avais subi des radiations massives de cobalt. On m'avait dit que je pourrais jamais avoir d'enfants. Cette maladie, je n'y pouvais rien, j'avais été forcée d'accepter cette réalité.
Leslie a grandi, mon bonheur et celui de mon mari a grandi également. J'étais heureuse, les choses allaient bien pour nous. Sept ans et demi, aussi improbable que cela soit, notre bonheur a cru encore lorsque j'ai donné naissance au frère de Leslie, Ryan.
Pendant les très courtes sept années et demie qui ont suivi, Leslie, Brian, mon mari et moi-même, avons vécu notre vie dans la plénitude. Et puis, il y a eu ce samedi, 15 juin 1991, à huit heures du matin. Elle n'est pas rentrée à la maison après avoir assisté à un enterrement et après avoir eu la douleur de dire adieu au cercueil d'un ami de 15 ans, après avoir été embrassée tendrement une dernière fois par ses parents à lui et une dernière fois également par ses amis à elle.
Le 10 juillet 1991, le jour de mon anniversaire, la police m'a annoncé qu'on avait retrouvé son cadavre profané dans un bloc de ciment dans la lac Gibson, près de St. Catharines, à 40 km de chez nous. Le 25 juillet 1991, il n'y a pas encore 20 ans, nous avons enterré son cercueil. Nous n'avons jamais pu lui dire au revoir, et mon mari non plus ne l'a pas vue. Je n'y pouvais rien, le seul qui aurait pu quelque chose c'est son assassin.
La police m'a assuré qu'elle était dans ce cercueil, et j'ai encore besoin qu'on me le répète. Vingt années ne se sont pas écoulées, et en fait, il n'y a pas tout à fait cinq ans que nous l'avons enterrée pour la première fois, et le plus souvent, on dirait que c'était hier.
Est-ce que la peine capitale se justifie dans le cas de ces deux assassins? Non. Personne n'a le droit de prendre la vie d'un autre être humain.
En 1976, l'année où elle est née, le gouvernement en place avait aboli, à juste raison, je crois, la peine capitale.
Est-ce qu'une peine d'emprisonnement à vie sans possibilité de parole avant 25 ans est suffisante pour compenser la perte d'une personne? Non. Est-ce que c'est suffisant pour compenser la perte de plus d'une personne? Non.
Est-ce que 25 ans, c'est gaspiller une vie? Oui. Mais c'est un choix que ceux qui ont assassiné ma fille ont fait. En faisant ce choix, ils ont décidé de leur propre sort et ils gaspillent maintenant leur vie dans le confort.
Est-ce que 25 ans suffiront à ma famille pour se remettre de cette perte, de toutes les joies que ma fille nous aurait apportées, de toutes les expériences que nous aurions eues avec elle? Non, pas du tout. Non, parce que la vie, c'est du temps, et personne, pas même le gouvernement en place, ne peut pas établir un rapport entre la perte de la vie, la perte d'un être cher imposée volontairement par un autre être humain - et j'utilise ici le terme «humain» dans son sens normal et la vie et les droits d'un assassin. On ne peut pas mettre d'un côté le droit à la vie et à la liberté de la victime ou de sa famille et de l'autre la punition ou le châtiment pour le pire crime qui existe - et sur cela nous sommes tous d'accord - c'est-à-dire le meurtre.
Mais nous-mêmes, le gouvernement et tous ceux qui pourraient être appelés à conseiller le ministre de la Justice, tous les intéressés, tous les Canadiens qui ont des compétences particulières dans des domaines comme le crime, le châtiment, la réhabilitation, le deuil, le droit, la philosophie, psychologie, psychiatrie et autres disciplines, trop nombreuses pour qu'on les mentionne, tous ces gens-là doivent être entendus avant qu'on n'abroge le projet de loi C-45 ou l'article 745. Et cet article mérite d'être abrogé car il constitue un parfait exemple de l'injustice du droit canadien envers l'élément de la société le plus lésé, c'est-à-dire ceux qui ont été assassinés, ceux qui n'assassinent pas.
Toute autre solution reviendrait à dire que l'irresponsabilité est préférable et serait contraire à cette tolérance zéro face à la violence qui est une valeur canadienne mais continuerait de porter atteinte au caractère sacré et précieux de la vie et de la justice.
La vie est juste. Elle manque peut-être parfois de considération, et beaucoup de gens meurent prématurément à la suite d'une maladie ou d'un accident, mais avec le temps, les membres de leur famille viennent à bout de cette douleur linéaire et apprennent à vivre avec une perspective bien différente. Toutefois, quand une famille se débat dans les affres d'une mort qui n'est pas naturelle, d'un meurtre, d'une mort causée délibérément, par manque d'humanité, par mépris de la vie, la vie des membres de cette famille et de tous ceux qui connaissaient et qui aimaient la victime s'en trouve détruite également.
Que les lois de notre société témoignent du dégoût que nous avons pour les actes d'un assassin et de tous les assassins.
Ma famille et les membres de toutes les familles de victimes doivent se remettre d'une mort qui n'est pas normale. Cette affliction n'est pas normale, cette douleur n'est pas normale, la façon dont on s'en rétablit n'est pas normale, et par la suite, il faut une vie entière, et pas seulement 25 ans mais le reste de ma vie, le reste de la vie de mon fils pour qu'elle dure - et chaque soir je prie - plus de 14, plus 25 et plus de 60 ans encore avant de redevenir normale. Est-ce que c'est trop demander que de demander qu'on n'autorise pas quelqu'un à voler les précieuses années de la vie d'un être humain sans exiger en retour une partie de sa liberté, au moins 25 ans? Et n'oubliez pas les libérations statutaires, les libérations conditionnelles anticipées, les degrés de meurtre, les circonstances atténuantes, l'effet, le châtiment, la conséquence d'un meurtre.
Je parle en termes absolus. Vingt-cinq ans, c'est 25 ans absolument, avant d'envisager un retour dans la société, parce que c'est la mesure la plus exacte que notre gouvernement a pu prendre de notre douleur absolue, la mienne et celle des familles d'autres victimes, la mesure la plus exacte de la lenteur de notre réhabilitation et du déficit de bonheur que nous connaîtrons pour le reste de notre vie. Cette douleur absolue est ressentie par des Canadiens sans cesse plus nombreux qui éprouvent la perte absolue de leur joie de vivre. Ceux que nous aimions sont morts absolument. Le seul absolu pour les assassins, c'est la garantie qu'ils seront emprisonnés pendant 25 ans. Mon fils n'a même pas cette garantie-là. Comment pourrais-je le protéger?
Vous tous qui composez ce Comité de la justice, le gouvernement, et j'imagine, tous les députés fédéraux et provinciaux du Canada, vous n'avez jamais entendu les hurlements de terreur et les cris d'une enfant qui plaide pour qu'on lui laisse la vie, pour qu'on la laisse rentrer chez elle, mais par contre, tout le monde a entendu les jérémiades des meurtriers qui réclament une meilleure protection en prison, une meilleure nourriture, un plus grande cellule, une cellule sans compagnon, ou avec un autre compagnon, ou encore leur libération. Sur le plan financier, les besoins et les désirs des meurtriers ont la priorité sur ceux des familles des victimes qui ont parfois besoin de services de soutien, les mères, les pères, frères et soeurs de tous âges, grands-parents, cousins et amis dont la vie a changé à tout jamais.
À tout jamais, c'est très longtemps. Je peux vous assurer, en tout cas, que c'est un concept très réel, une mesure du temps tout à fait concrète. C'est une réforme qui ne doit pas se faire à la hâte, une réforme qui doit tenir compte de l'impact immédiat sur les valeurs de la société canadienne, également de l'impact à long terme, ce sont des amendements qui doivent refléter les sentiments de la majorité de la population canadienne - et pour l'instant, les meurtriers ne sont pas une majorité - et tous les Canadiens doivent prendre conscience de ces amendements qu'on envisage. Tous les Canadiens intéressés doivent pouvoir donner leur opinion, apporter leur expertise à ces audiences. Est-ce que cela a été fait? Je ne le crois pas.
Les droits des particuliers sont protégés par la Charte, mais les droits des Canadiens innocents devraient recevoir une plus grande importance que ceux des criminels en réalité, et lors de la détermination de la peine. On devrait accorder une plus grande importance à l'innocence qu'aux droits d'un meurtrier qui après tout est un membre de notre société qui a commis le pire crime aux yeux de tous les Canadiens, soit un meurtre.
Les Canadiens doivent avoir droit au chapitre, et ne pas disposer simplement de huit ou dix minutes devant le Comité de la justice ou devant le gouvernement. Tous doivent être invités à prendre la parole, pas simplement quelques heureux élus. Je ne peux pas accepter que même les meurtriers de Leslie ont eu 100 fois plus de temps pour la torturer et la tuer que vous m'avez accordé aujourd'hui à moi et aux autres témoins qui s'adressent à vous.
Le projet de loi C-45 parle de sélection et de déclarations de la victime sur les répercussions du crime et de renseignements provenant de diverses sources qui seraient utilisés pour décider si un meurtrier devrait avoir une audition et peut-être même être libéré ou recevoir une réduction de peine.
Lorsqu'une famille songe à préparer une déclaration sur les répercussions du crime, la terreur, la douleur, et la revictimisation sont déclenchées par le ministère de la Justice. Toutes ces choses qui tourmentent les proches des victimes ne peuvent pas être reconnues par la loi, par un certificat de douleur, ou même par l'échelle Richter. Malheureusement, la douleur est un terme simpliste pour le temps perdu.
Le projet de loi C-45 ne porte pas sur les activités des meurtriers ou sur la douleur ou les craintes des familles des victimes. Il ne porte pas du tout sur la vraie question qui sous-tend l'article 742, soit le meurtre, et comment la société compose avec un tel acte.
Nous ne pouvons accepter le meurtre. Tout simplement, nous ne pouvons vivre avec des meurtriers. La famille de la victime a donc besoin d'une longue période de guérison, et une longue période de réflexion sera nécessaire pour les meurtriers.
Leslie n'a pas pu vivre. Chaque victime démontre bien qu'on ne peut pas passer les meurtres sous silence; ils ne peuvent pas être tolérés ou même écartés rapidement du revers de la main.
Je n'ai rien à redire sur la discussion facile des points juridiques d'un texte de loi, mais je ne crois pas que qui que ce soit devrait trouver à redire quand on parle de la validation des émotions de ceux qui ont été le plus blessés par le meurtre. Il faut tenir compte des émotions lorsqu'on associe l'acte criminel et la détermination de la peine et lors de toutes les discussions qui sont engendrées par l'activité du criminel.
Les victimes ne peuvent pas vraiment cacher leurs émotions, et ne devraient pas avoir à le faire.
Les législateurs, les avocats, la société tout entière et tout particulièrement un comité comme le vôtre ont peur de l'émotion, parce que, hélas, un jour n'importe lequel d'entre vous pourrait se retrouver dans ce fauteuil et pourrait demander à ses pairs de rester en contact avec l'humanité, son humanité, et de se rappeler ce qui est le plus simple à faire, ce qui est le plus facile à faire, et la bonne chose à faire - en prenant des mesures d'une importance capitale qui auront un impact sur les meurtriers d'aujourd'hui, ceux de demain, les victimes de demain et celles d'aujourd'hui ainsi que les proches des victimes. Chaque Canadien mérite votre attention.
Vous devez non seulement écouter, mais vous devez entendre ce qu'on vous dit. Hâtons-nous lentement. La vie doit être préservée, et non pas gaspillée ou compliquée en raison d'une piètre mesure législative qui pourra avoir très peu de mérite si vous ne prenez pas le temps d'étudier en détail les incidences qu'elle pourrait avoir.
Dans moins de 15 ans, est-ce qu'un député ou un ministre de la Justice élaborera un projet de loi visant à abroger l'article 742 du Code criminel, puisqu'il ne sera plus pertinent? Seule l'expérience le dira.
Le projet de loi C-45, un amendement de l'article 745 du Code criminel, et l'article 745 du Code criminel sous son libellé actuel représentent une contradiction claire de l'article 742 du Code criminel.
Nos lois devraient refléter notre société en pleine évolution, et tous les membres de cette société devraient être protégés par nos lois, et non pas par une procédure juridique ou de la paperasserie, qui autorise le meurtrier à interpréter des appels successifs et qui traumatise encore la victime. C'est encore l'assassin qui impose sa volonté.
Avoir une loi qui contribue à la dévaluation, à la dégradation et à l'érosion de la valeur sacrée de la vie c'est permettre la violation du droit ultime de notre société, c'est-à-dire le droit à la vie.
L'article 745 et le projet de loi C-45 représentent une tentative d'équilibrer les droits des assassins avec ceux de la société, où vit la famille de la victime de meurtre. N'avons-nous plus les mêmes droits?
Le Code criminel et la Charte canadienne des droits et libertés ne doivent pas répondre uniquement aux préoccupations des assassins, la durée de la peine a des conséquences pour la vie d'un assassin, mais l'acte d'un assassin a des conséquences sur la vie de nombreux Canadiens innocents, qu'ils aient un lien de parenté ou non avec la victime.
N'avons-nous pas le temps de nous pencher sur la vie des Canadiens, des familles des victimes, et des assassins de façon moins frivole que celle qui est prévue dans les modifications proposées? Il semble que non. Il paraît que le Comité de la justice, le ministre de la Justice, le premier ministre, et même certains membres du gouvernement actuel, sont du même avis: ils ont l'impression de remporter une victoire personnelle en limitant la durée de débat sur cette question, qui revêt une si grande importance tant pour le pays que pour les personnes touchées.
En permettant que le facteur temps ait une telle influence sur ses décisions, le gouvernement fait preuve d'irresponsabilité. Le fait qu'on accorde moins de temps à la communication et à l'échange d'idées, et qu'on réduit la peine que doivent purger les assassins nous en dit long sur la qualité de vie du Canada de demain.
Je ne porte pas de montre. Depuis l'assassinat de Leslie, les montres me rappellent ses poignées et chevilles liées. Sans elle, le temps est une éternité pour moi, son frère et son père.
Merci.
Mme Johanne Kaplinsky (témoignage à titre personnel): Madame la présidente, messieurs et mesdames les membres du comité.
Il est très difficile de suivre l'exposé précédent. Après avoir entendu ce témoignage de douleur insupportable, je vous encouragerais tout simplement à vous en souvenir lorsque vous vous pencherez sur ces questions et voterez à la Chambre des communes.
Je me présente devant vous aujourd'hui, non pas à titre de juriste ou de lobbyiste qui défend contre rémunération les intérêts d'un groupe particulier, mais tout simplement comme quelqu'un qui a de l'expérience dans ce domaine.
Je suis la soeur d'une victime de meurtre et j'ai été obligée de subir le processus de la révision judiciaire prévue à l'article 745. En raison de la loi actuelle, je serais probablement obligée de subir à nouveau ce supplice, puisque le complice de l'assassin a présenté sa demande.
Le 29 janvier 1978, mon frère, Kenneth Kaplinsky, travaillait comme réceptionniste de nuit au Continental Inn à Barrie, Ontario. C'était un homme tout à fait normal, qui respectait la loi et travaillait pour gagner sa vie et élever son jeune fils. Sa vie était très ordinaire, ainsi que son meurtre - le genre de meurtre banal qui est relaté tous les jours dans les journaux. Le meurtre n'avait rien d'exceptionnel. Il n'a pas fait les manchettes des journaux nationaux. Mon frère était simplement quelqu'un qui avait la malchance d'être au mauvais endroit au mauvais moment.
Le soir en question on a volé 2 000$ au Continental Inn. Les assassins ont conduit mon frère à un endroit situé à deux heures au nord de Barrie et lui ont tiré deux fois dans la tête à bout portant. Il ressort de l'expertise médico-légale que mon frère a probablement été obligé de s'agenouiller devant son assassin. On a retrouvé son corps décomposé deux mois plus tard.
Par la suite, deux personnes en libération conditionnelle, qui avaient tous les deux un long casier judiciaire pour des crimes avec armes et violence ont été trouvées coupables de meurtre et condamnés à emprisonnement à perpétuité, et j'insiste sur le mot «emprisonnement», sans aucune possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans, et j'insiste sur les mots «aucune possibilité». Au moment du crime, un des deux condamnés avait déjà été trouvé coupable de 29 infractions criminelles adultes.
Nous, les survivants de Kenneth, avons aussi été condamnés à vie et sommes devenus membres d'un club très exclusif, probablement plus exclusif que le Cercle canadien, mais je peux vous assurer que personne ici ne voudrait en faire partie. Pour y être initié, un être bien aimé doit mourir de mort violente. Comme survivants d'une telle violence, nous sommes obligés de payer les cotisations de ce club tous les jours de notre vie.
Pendant deux mois ma famille a subi le supplice de ne pas savoir où était notre bien-aimé Kenneth. Nous avons subi ensuite l'enquête policière, toutes les rumeurs, l'ingérence des médias, et toutes les accusations et la spéculation absurde entourant sa disparition. Nous avons subi ensuite l'identification horrible de son corps décomposé. Je ne sais trop comment nous avons survécu à son enterrement, ramassé les morceaux qui restaient de sa vie et élevé son jeune fils.
Bref, pendant 18 ans nous avons vécu les conséquences des actes de ces deux personnes mises en libération conditionnelle. Nous avons continué notre vie, ou plutôt nous avons essayé de ramasser les morceaux de notre vie brisée, mais nous ne pourrions plus jamais voir le monde de la même façon. Le mal n'était plus un concept abstrait; c'était quelque chose de réel et de concret. Je crois que notre désespoir profond s'expliquait par l'obligation de regarder dans l'abîme, la profondeur de la souffrance et de la cruauté humaine.
En décembre 1993, nous étions obligés de retourner à ce même abîme et de revivre le supplice de 1978. Il va sans dire que la demande qu'un des assassins de Kenneth a présentée en vertu de l'article 745 nous a fait revivre toute la souffrance que nous avions connue.
À la fin du premier procès, nous pensions que les hommes qui avaient enlevé la vie de Ken de façon si cruelle et brutale - et ne vous y trompez pas, c'était cruel et brutal - seraient condamnés à payer ces actes par une peine qui les priverait de leur liberté pendant au moins 25 ans. L'idée même qu'on pourrait les libérer après seulement 15 ans nous semblait tout à fait impensable.
Pour nous, la libération anticipée après seulement 15 ans n'avait aucun sens. C'était comme si on faisait fi de la décision du juge de première instance. Cela nous semblait tout à fait inconcevable. Le système judiciaire ne pourrait pas simplement avoir une interprétation différente de l'anglais. Se servaient-ils d'un nouveau modèle de mathématique ou le chiffre 25 ne représentait vraiment pas 25, mais plutôt un chiffre quelconque entre 15 et 25? Si la population voit qu'il y a un tel écart entre la peine imposée et celle qui est effectivement purgée, elle aura de moins en moins confiance dans le système judiciaire.
Nous, la population, estimons que les bureaucrates essaient de nous tromper avec leurs manoeuvres et déclarations ambiguës. En offrant les dispositions de l'article 745, même reformulé, le gouvernement fédéral actuel fait savoir à tous les Canadiens que notre société est prête à tolérer l'assassinat. Voilà qui transmet un message très triste sur la valeur de nos vies, c'est-à-dire la vôtre et la mienne, en tant que citoyens canadiens. Une peine de 15 ans ne constitue pas une condamnation suffisante de la destruction gratuite de la vie humaine. Les actes des personnes trouvées coupables ont condamné à mort mon frère Ken. Pour lui, cette condamnation était éternelle et irrévocable.
Nous ne comprenons pas non plus pourquoi trois des quatre éléments fondamentaux de la peine, c'est-à-dire la dissuasion, la punition et la protection de la société, sont subordonnés à la réinsertion sociale du délinquant.
Tôt aujourd'hui un procureur de la défense a parlé des éléments fondamentaux de la détermination de la peine. Il a dit que la vengeance est différente de la rétribution, je partage cet avis. Il a fait valoir que ni la rétribution ni la dénonciation justifient complètement la peine imposée.
Si nous acceptons que la dénonciation reflète la répulsion qu'éprouve la société face au crime, il faut se demander qui cette loi doit protéger? La seule réponse que je puisse offrir est la société. La loi existe pour protéger la société. Si c'est le cas et la société désire exprimer son horreur devant le crime le plus horrible, pourquoi ces spécialistes du légalisme se croient-ils en mesure de décider si la peine imposée est justifiée ou non? Il me semble que c'est le monde à l'envers. Je pense que les législateurs ne devraient pas oublier que dans une démocratie ils sont élus pour suivre et exprimer la volonté du peuple.
On nous dit souvent que nous pouvons avoir confiance en la capacité du jury de s'acquitter de ses responsabilités. Ayant eu une certaine expérience dans ce domaine, j'ai ma propre opinion sur la confiance qu'on devrait avoir dans la capacité du jury. J'estime que le processus même est très déformé en faveur du délinquant. En réalité, tout le processus est axé en faveur du délinquant.
C'est la qualité de l'information donnée au jury qui détermine la qualité des décisions. On voit là certains des problèmes fondamentaux de l'article 745, que le projet de loi C-45 ne règle pas. Une grande partie du témoignage présenté au jury est sous la forme de rapports, comme par exemple le rapport sur l'admissibilité à la libération conditionnelle fourni par... ainsi que d'autres rapports comme ceux de notre ami, M. Partington, qui a comparu plus tôt aujourd'hui. C'est lui qui prépare les rapports du Service correctionnel.
Nous constatons souvent que les rapports psychiatriques, qui sont préparés en très peu de temps, sont contradictoires. Avec le système actuel de révision judiciaire, le détenu ne reçoit que neuf heures d'évaluation psychiatrique sur une période de quatre ou cinq ans.
Comme tout critique bien averti vous le dira, ce qui est omis est aussi important que ce qui est inclus dans le témoignage. Croyez-moi, on négocie longuement sur ce qu'on peut inclure et ce qu'il faut exclure du témoignage. L'exposé des faits fait l'objet de négociations entre le juge, les procureurs de la Couronne, et ceux de la défense avant le procès, et je peux vous dire que la version finale est tellement expurgée que les membres du jury ont de la difficulté à comprendre exactement ce qui s'était produit.
Un autre problème c'est que le procureur de la Couronne n'a pas comme mandat précis de contester la preuve. Peut-être qu'il est surchargé de travail, surmené, indifférent, et pour ces raisons ou pour une autre il décide de ne poser que quelques questions superficielles sur la demande qu'on lui présente et qu'il trouve raisonnable. Chaque procureur de la Couronne a la responsabilité de contester vigoureusement la preuve soumise. Le projet de loi C-45 n'en tient pas compte.
Comme M. Partington l'a expliqué, il ne tient pas compte non plus du fait qu'on peut manipuler le jury. Il faut comprendre que les détenus peuvent manipuler le personnel du Service correctionnel du Canada. Si vous vous demandez comment cela pourrait se produire, je vous renverrai à un communiqué du sénateur Earl Hastings. Ce document était essentiellement un guide détaillé sur la façon de se préparer pour la révision judiciaire. C'était très précis. Deux ans avant la date, il faut retenir les services d'un avocat. Il faut commencer à suivre des cours et modifier son comportement selon certains modèles. Il faut trouver des témoins prêts a vous défendre. Il faut découvrir le Seigneur et exprimer du remords. Tout est là, lisez-le.
Malheureusement, jusqu'à présent le gouvernement actuel ne s'est pas prononcé clairement sur l'admissibilité ou le contenu de la déclaration de la victime. Cela dépend en grande partie de l'interprétation et de la discrétion du juge concerné. Ce qui semble manquer ici est la défense posthume du droit de la victime à la vie.
Examinons un peu la terminologie utilisée. Le délinquant, le demandeur, ce sont des termes qu'on utilise tous les jours. Ils semblent vouloir rendre le meurtre plus anodin et plus obscur.
Le projet de loi C-45 ne répond pas à certains des problèmes fondamentaux de l'article 745 actuel. Il est loin de corriger certaines des lacunes qui existent. J'estime que la meilleure solution serait d'abroger l'article 745 et d'appuyer le projet de loi de M. Nunziata.
Mes arguments ne sont fondés ni sur l'émotion ni sur la rétribution. Ces deux éléments n'entrent pas en ligne de compte. À l'université, vous étiez peut-être obligés de lire un livre de Thomas Hobbes intitulé Leviathan. Vous vous en souvenez sans doute. Le livre traitait de la société et du gouvernement, et Hobbes expliquait que la cohésion sociale, c'est-à-dire les liens qui nous unissent comme société, reposent sur notre volonté d'honorer les contrats que nous concluons avec nos concitoyens. La condition primordiale d'une société civilisée est que les contrats soient honorés; sinon vous risquez de tomber dans un état d'anarchie ou, comme Thomas Hobbes l'a dit, c'est la guerre de tous contre tous.
Quand les Canadiens et les Canadiennes ont décidé de vivre en harmonie les uns avec les autres, c'était pour profiter des avantages mutuels que confère la coexistence. À cette fin, nous avons décidé de confier certaines de nos propres exigences fondamentales à nos responsables politiques afin de mettre en valeur cette notion d'une coexistence mutuelle harmonieuse. Le souhait que justice soit faite est l'un de ces besoins fondamentaux afin que ceux qui nous ont causé du tort soient punis. Oui, il est important pour nous qu'ils soient punis, il importe qu'ils le soient d'une façon qui corresponde à la gravité du crime commis envers nous et aussi pour que le reste de la société comprenne le tort qui nous a été fait et notre souffrance.
Dans l'intérêt de cette société organisée sur le mode d'une coexistence mutuelle, nous comptons sur notre gouvernement et les lois de notre société pour combler ce besoin. C'est pourquoi nous renonçons à notre souhait de nous faire justice nous-mêmes. Nous le faisons en vertu d'une entente, d'un contrat mutuel suivant lequel notre gouvernement agira en notre nom et servira nos intérêts et celui de la société tout entière en veillant à ce que justice soit faite. En maintenant l'article 745, le gouvernement néglige de s'acquitter de son devoir envers le public canadien et il rompt le contrat conclu avec nous. C'est ce que explique la disparition de la confiance et du respect à l'égard du système judiciaire et de nos élus, un effondrement de la cohésion sociale et ultimement l'anarchie.
Madame la présidente, mesdames et messieurs, membres du comité, je vous encourage à accepter de vous acquitter avec honneur de vos devoirs envers les Canadiens et les Canadiennes. Respectez le contrat conclu avec nous. Nous avons, quant à nous, rempli nos obligations. Nous vous demandons tout simplement de faire de même retour. Merci.
La présidente: Madame de Villiers, êtes-vous la suivante?
Mme Priscilla de Villiers (présidente, Canadians Against Violence Everywhere Advocating its Termination): Merci de me donner l'occasion de comparaître devant vous.
Je viens en tant que présidente de CAVEAT qui est une organisation caritative sans but lucratif implantée localement à l'échelle nationale. Tous nos membres sont bénévoles, comme moi, sauf trois. Nous sommes financés entièrement grâce à de petits dons de la part des Canadiens et des Canadiennes. Nous n'avons pas demandé de subventions officielles ou de grosses sommes, que l'on ne nous a pas offertes, du reste, à quelque palier de gouvernement que ce soit. Nous n'avons pas non plus l'appui financier d'aucune grande société. Les grandes sociétés sont effarouchées par l'aspect politique de la question. Nous recevons de petites sommes. Nous n'avons pas encore l'appui des grandes sociétés.
Permettez-moi de vous donner une idée de l'appui considérable que nous donnent quotidiennement des Canadiens et des Canadiennes qui ne sont pas tous des gens meurtris comme nous. Ils donnent leurs compétences, leur temps, leurs efforts pour participer à une initiative extraordinaire afin de faire avancer notre cause qui ne représente qu'une fraction de nos activités car, nous Canadiens et Canadiennes, des travailleurs ordinaires, nous sommes mis en tête de faire oeuvre éducative et d'aider les jeunes à faire face aux réalités de leurs écoles, en amorçant un dialogue.
Il est tragique de rappeler que la seule raison qui fait que je comparais aujourd'hui est le meurtre effarant de ma fille. Cela explique ma présence ici car je n'ai pas de compétences particulières qui fassent que vous teniez à entendre mon témoignage. C'est pourquoi la majorité silencieuse, les gens à qui nous parlons quotidiennement aux quatre coins du pays et qui nous appuient, nous poussent à poursuivre notre action. Essayez d'imaginer un peu les difficultés que comporte la gestion d'une organisation nationale qui s'est improvisée.
J'en ai assez d'entendre les rédacteurs des éditoriaux de nos grands quotidiens faire allusion à de petits groupes qui font beaucoup de bruit. Fort malheureusement, comme d'autres d'entre nous, c'est une atroce tragédie qui m'a amenée à faire ce que je fais et ce n'est pas parce que nous avons quelque chose à dire à notre gouvernement qui semble faire la sourde oreille. Cela explique pourquoi tant de gens consacrent du temps, de l'énergie et leurs efforts et pourquoi ils le font sans pouvoir compter sur de gros moyens financiers.
On me demande parfois si je suis fatiguée. Bien sûr que le suis. On me demande si j'aime faire ce que je fais. Je déteste le faire mais comment pourrais-je dire que je suis fatigué et que je veux m'arrêter à ceux qui ont entendu les paroles de la mère en deuil que je suis.
Je trouve épouvantable la façon dont la chose a été présentée aux Canadiens et aux Canadiennes. Je suis consternée, non seulement à cause de l'article 745 ou de quelque autre article du Code criminel. C'est se moquer du régime parlementaire.
Il y a dix-huit mois qu'un projet de loi demandant que ce sujet soit discuté a été déposé. Nous avons reçu un communiqué officiel jeudi, si je ne m'abuse. J'ai lu ce projet de loi pour la première fois dans l'avion en me rendant en Saskatchewan et Steve Sullivan et moi-même avons dû revenir au milieu de la nuit dernière pour supplier qu'on nous accorde cinq minutes pour faire notre déclaration car il se trouve que nous sommes parmi les quelques personnes ici qui ne profitent pas du système. C'est une honte!
C'est une honte car l'on fait avec réticence une concession à une question qui est en train de devenir rapidement un sérieux enjeu électoral. Vous n'avez pas tenu compte de ce que disent les Canadiens ordinaires qui vous faisaient part de leurs soucis et vous devriez en avoir honte. Nous sommes inquiets.
Accordez à ce projet de loi la considération qu'il mérite. Si, après cela, le parti ministériel décide dans sa sagesse de ne pas l'appuyer, très bien, soit. Il est honteux d'avoir recours à une piètre excuse pour nous permettre de comparaître afin de pouvoir dire qu'effectivement on nous a donné la parole et cela rejaillit sur tout le processus.
En outre, je me demande qui est derrière cela. Si on a procédé ainsi ce n'est certainement pas pour calmer les inquiétudes des personnes en deuil ou celles des collectivités qui en ont assez, qui ploient sous les effets de cette abominable violence. Peu importe que la chose soit plus ou moins médiatisée, trop ou trop peu médiatisée. Les Canadiens et les Canadiennes aujourd'hui même dans bien des régions sont accablés.
Prenez le cas de la province de Québec. J'en viens justement. C'est comme si le massacre à l'école polytechnique datait d'hier, tellement les plaies sont encore profondes. Marc Lépine en est un protagoniste et nous faisons semblant de l'oublier. Il serait bon d'en parler longuement.
Qui est derrière cela? Clifford Olson pendant le plus clair de sa vie a causé tourments et blessures à des enfants et il les a violés. Il a enfreint la pierre angulaire même de la charte qui nous donne la vie, la sécurité et la liberté en tant que personnes et qui sanctifie la vie et la protection de nos enfants. À quoi a-t-il passé son temps pendant 15 années de détention? Il n'a cessé de tourmenter les familles de ses victimes, en leur faisant part d'une description de ce qu'il avait fait. Il s'est servi très habilement de Corrections Canada tant et si bien que pour finir il n'est plus autorisé à intenter des poursuites.
Il a encore une fois manipulé les médias en s'amusant ferme, parce qu'il est sur le point de demander sa libération conditionnelle, ce qui devient un sérieux enjeu électoral et nous sommes en présence de cette abominable mascarade.
Cela dit, en prenant connaissance du communiqué, ma première réaction a été de dire d'accord c'est mieux que rien. Jonathon Yeo, qui pendant onze ans a dirigé sa violence contre les femmes et qui en fait appartient à cette petite catégorie de ceux qui ont commis plus d'un meurtre, nous a épargné, en se suicidant, la corvée de devoir passer par une audience en vertu de l'article 745 à moi-même, à ma famille, à mes amis, à ma collectivité.
Je me suis mise alors à réfléchir à toutes les audiences en vertu de l'article 745 auxquelles j'avais assisté. À combien de ces audiences avez-vous assisté vous-mêmes? Je me suis mise à songer à toutes les déclarations des victimes sur les répercussions du crime que j'avais aidé à rédiger, à toutes ces audiences où j'avais demandé à quelqu'un de CAVEAT de représenter la famille de la victime parce qu'aucun des membres n'avait la force de revivre cette épreuve. Je me suis dit que cela ne pouvait pas aller et j'ai lu le projet de loi. Je vais vous en donner une analyse détaillée.
Permettez-moi de souligner que ce qui correspondait à un exercice intellectuel au Parlement il y a une vingtaine d'années était tout à fait approprié alors, étant donné l'état d'esprit qui régnait à ce moment-là. Je vous signale que 15 ans représentent trois mandats politiques au moins. Pourquoi les Canadiens et les Canadiennes ne s'insurgent-ils pas? On vous répondra qu'à ce moment-là ils n'y voyaient pas d'inconvénients. À ce moment-là, ce n'était que la théorie. La pratique n'a pas suivi et si l'on fait de plus en plus de bruit autour de la chose, c'est parce que nous pouvons en constater les résultats maintenant et que nous en constaterons les résultats à mon avis presque une fois par semaine d'ici l'an 2000.
N'allez pas croire qu'il s'agit simplement de vociférations émanant de quelques personnes fatiguées comme nous.
Il est intéressant de passer en revue tout ce qui a été écrit au sujet de l'article 745. À la lecture du hansard, je dois dire que les observations de Mme Pierrette Venne représentent de façon très précise les sentiments de la plupart des gens. Ces explications et ce qu'elle a dit dans le hansard du 19 octobre 1994 sont en fait au coeur du débat. Ces conclusions m'étonnent un peu, car elle insiste beaucoup pour qu'on revoie toute cette question, mais son analyse de la situation est excellente.
Je sais qu'il est tard et que vous avez faim, et à moins que vous n'insistiez, je ne vous lirai pas d'un bout à l'autre son analyse de l'article 745, puisque vous pourrez la trouver dans le Hansard. J'en ai fait faire des photocopies à votre intention.
Je dirais simplement qu'elle exprime à mon avis, de façon très succincte, les préoccupations essentielles des gens de la rue quant aux lacunes de cet article, tant en principe que par rapport à la place qu'il occupe dans l'ensemble du Code criminel.
Cela dit, j'aimerais faire l'analyse de l'objectif proprement dit, et c'est ce qui m'a fait prendre conscience du fait que nous rendrons un très mauvais service aux Canadiens si nous nous laissons imposer ce genre de calmant, qui n'est qu'un expédient mal conçu. Cela ne fera que reléguer aux oubliettes cette question pendant encore une vingtaine d'années, jusqu'à ce que le poids de la tragédie et l'attitude scandalisée de la société ne la remettent à nouveau à l'avant plan.
Pourquoi attendre si longtemps? Pourquoi ne pas tenir dès maintenant ce débat? Pourquoi ne pas en discuter de façon honnête et réfléchie? Il existe un grand nombre de gens qui font leur possible pour soutenir un système qui a été créé et qui, en fait, les soutient dans bien des cas. Pourquoi ne pas demander une analyse détaillée de la place qu'occupe ce genre d'articles dans notre système de justice pénale? A-t-il sa place dans le projet de loi C-45, qui porte sur le service correctionnel et la libération conditionnelle, ou vaudrait-il mieux aborder la question dans d'autres secteurs de la justice?
J'ai des suggestions à faire à ce sujet. Il vous faut comprendre qu'elles ont été préparées à la hâte. Si l'occasion m'en est donnée une autre fois, je vous en parlerai plus en détail.
Je vous présente mes excuses car vous n'en avez pas de photocopies. Vous les obtiendrez directement après mon intervention.
En un mot, l'article 745 sous sa forme actuelle a un objet triple. D'une part, prévoir un certain niveau d'aide à la réadaptation; en second lieu, protéger les gardiens de prison et, troisièmement, reconnaître que dans certains cas l'intérêt public n'exige plus que l'on prévoit les peines les plus sévères dans le droit canadien.
À l'époque de son adoption en 1976, on n'en a guère parlé à la Chambre des communes puisque l'essentiel du débat portait sur l'abolition de la peine capitale. Je le répète c'était plutôt un exercice intellectuel qui n'avait aucun caractère urgent. Il n'en a pratiquement jamais été question au cours des 15 années suivantes jusqu'à ce que l'article entre en vigueur ces dernières années.
Cet article a été adopté principalement pour maintenir la discipline et l'ordre dans les pénitenciers tout en donnant aux condamnés à perpétuité de l'espoir et une bonne raison de bien se comporter. Il va sans dire que la sécurité dans les établissements pénitenciers est importante, mais cette question doit être réglée dans la législation sur les services correctionnels et non en renforçant le processus de détermination de la peine, c'est-à-dire non en autorisant une modification après coup d'une peine juste et adaptée aux circonstances.
Le Parlement était prêt à remettre en cause l'intégrité du processus de détermination de la peine, et c'est ce qui est en jeu. C'est ce qu'on appelle la vérité dans la détermination de la peine, l'intégrité de la détermination de la peine pour les administrateurs et les directeurs d'établissements pénitentiaires, ou pour les services correctionnels. C'est-à-dire qu'en autorisant une modification après coup d'une peine juste et adaptée, imposée par un tribunal et un jury... Même si la plupart des gens souhaitent sincèrement faire en sorte que les gardiens de prison soient à l'abri de tout danger dans le cadre de leur travail, il est douteux que la plupart des gens soient prêts à payer le prix imposé si l'on tripote le système de détermination de la peine.
Il y a d'autres façons de protéger les gardiens sans saper la confiance qu'a le public dans le processus de détermination de la peine. Il s'agit là d'un texte législatif moderne où les exigences administratives ou bureaucratiques l'emportent sur les questions de principe. À mon avis, c'est pourquoi cet article précis suscite tant de préoccupations. Pour employer un euphémisme, on pourrait dire qu'il est peu judicieux.
Le Parlement a tout simplement accepté les objectifs qui ont motivé cette disposition sans réfléchir sérieusement à sa valeur et à son intérêt. Cette disposition nuit à l'efficacité de mesures dissuasives précises et générales et, plus important encore, elle sape le principe de la peine rétributive - lequel est à la base de notre système de justice, qu'on le veuille ou non - en vertu duquel le tribunal inflige une peine proportionnelle au préjudice causé par le délinquant.
Dans l'affaire Swietlinski en 1994, la Cour suprême a eu l'occasion d'examiner l'actuel article 745 et a confirmé que cette disposition n'a pratiquement rien à voir avec les principes de détermination de la peine. Voici ce qu'a déclaré alors le juge en chef Lamer:
- Un processus de réévaluation... vise nécessairement à reconsidérer une décision à la lumière de
nouvelles informations ou de facteurs qu'on ne pouvait connaître à l'origine. Il s'ensuit qu'une
audition selon l'art. 745 a principalement pour but de faire ressortir les changements qui sont
survenus dans la situation du requérant et qui pourraient justifier qu'on lui impose une peine
moins sévère.
Les cours d'appel ont continuellement tranché la question en disant que les juges ne peuvent pas retarder la détermination de la peine pour vérifier si le contrevenant est en mesure de retourner dans le droit chemin avant que la peine ne soit imposée. Cela ressort clairement de toutes les décisions d'appel.
La détermination de la peine vise à adopter une réponse officielle adaptée à des événements passés, et les revirements au palais de justice - c'est-à-dire les changements d'attitude et de façon d'agir de dernière minute manifestés par le contrevenant - ne devraient pas détourner le juge des conditions principales de la détermination d'une peine, laquelle doit être fonction des réactions passées du contrevenant. Selon les tribunaux supérieurs de notre pays, les deux s'excluent mutuellement.
En outre, M. le juge Major, rédigeant une décision pour trois autres juges dans la même affaire, a signalé que même si certains principes de détermination de la peine relatifs à la réadaptation et la protection du public seront inévitablement présents dans l'esprit des jurés lorsqu'ils examineront la réputation et le comportement du criminel, la nature du délit et les principes de détermination de la peine - par exemple, la réinsertion sociale, la dissuasion, la dénonciation - ces derniers ne devraient pas occuper de place prépondérante à l'audience. Selon la cour d'appel, ce n'est pas autorisé.
Le Parlement n'a pas jugé bon d'inclure les principes traditionnels de détermination de la peine dans l'article 745, et il serait donc erroné de la part de ce tribunal d'interpréter cette disposition comme si elle renfermait ces principes. Ce sont là les propos du juge Major, rédigeant une décision pour trois autres juges dans la même affaire, l'affaire Swietlinski.
Il est donc évident que cette disposition n'a rien à voir avec la détermination de la peine. Elle visait à répondre aux positions et priorités des bureaucrates; autrement dit, comment les services correctionnels vont-ils s'en sortir?
En conséquence, la population a été dupée car, en 1976, elle pensait que le Canada adoptait des mesures de réforme du système de détermination de la peine - je ne citerai pas les textes pertinents, mais si vous lisez le hansard c'est ainsi que les choses ont été présentées - qui remplaceraient de façon adéquate et satisfaisante la peine capitale - là encore lisez le hansard - alors qu'en réalité il est devenu apparent 15 ans plus tard qu'elle s'est fait imposer une solution de remplacement qui est diluée par la prise en compte de certaines exigences administratives.
Voici un aperçu du projet de loi: premièrement, la phrase «que des procédures aient ou non été entamées» dans l'article 745, visent à s'assurer que la jurisprudence concernant la conduite en état d'ébriété n'entre pas en ligne de compte dans cette question. En cas de conduite avec facultés affaiblies, le contrevenant est simplement considéré comme un récidiviste.
Aux fins des sentences minimales obligatoires pour les contrevenants coupables d'une deuxième et d'une troisième infraction, si la première condamnation a été enregistrée avant qu'il ou elle ne commette la deuxième infraction de cette façon, le contrevenant est simplement considéré comme un récidiviste s'il a été averti plus tôt au tribunal lorsqu'il a été reconnu coupable. Nous nous heurtons au problème de savoir qui est considéré comme un auteur de meurtres multiples.
Cette disposition a été ajoutée pour s'assurer qu'une personne qui commet une série de meurtres avant d'être appréhendée ne puisse pas soutenir, en se fondant sur le principe Skolnick visant les peines infligées aux conducteurs en état d'ivresse, puisque c'est avec cela que se fait la comparaison, qu'il devrait être traité comme un délinquant primaire et donc être autorisé à demander la révision judiciaire pour l'admissibilité à la libération conditionnelle. Tout est une question de définition.
Le résultat net de cette disposition est de s'assurer qu'un délinquant qui a tué plusieurs personnes n'a pas droit à la révision judiciaire, même si tous les meurtres, où certains d'entre eux ont eu lieu avant que le délinquant ne soit appréhendé et condamné par un tribunal. Approuvons-nous cette disposition? Nous n'avons pas le temps d'en discuter.
Ma deuxième observation porte sur les facteurs pertinents dont le jury doit tenir compte. Les nouvelles dispositions sont une reprise de la version antérieure de l'article 745 auquel on a ajouté deux choses. Outre la nature du crime et la réputation et le comportement du délinquant après avoir commis l'infraction, aux termes de la nouvelle disposition, le jury doit examiner l'information fournie et «toutes autres questions».
Là encore, si on se reporte à l'affaire Swietlinski, soit une décision de la Cour suprême sur une audition selon l'article 745, la Cour suprême du Canada a insisté sur le fait qu'il s'agit d'un processus décisionnaire extrêmement discrétionnaire dans lequel aucun autre facteur n'est un fait juridique. Autrement dit, aucun facteur à lui seul n'est essentiel ni, je suppose, obligatoire. Les avocats visent ce fait juridique, mais je n'en connais pas le terme exact.
C'est pourquoi il a été décidé que le jury et non le juge devait juger les faits. Nous sommes convaincus que le jury représentera la conscience collective et ce principe ne peut pas être ramené à quelques facteurs précis établis à l'avance. Il faut discuter de cette question.
En troisième lieu, la norme de sélection fondée sur des «chances raisonnables de succès» est absurde. En vertu de ce système, on s'aligne sur la norme visant les mises en accusation aux audiences préliminaires, et cette norme est source de confusion. Si la sélection judiciaire est absurde, c'est parce que le paragraphe 745.1(3) donne l'ordre au juge, en effectuant ce pré-examen, de tenir compte des mêmes facteurs que ceux qu'examinera le jury. La liste des facteurs que le jury doit prendre en compte est restée volontairement vague et le processus décisionnaire est extrêmement discrétionnaire. Les lignes directrices sont très vagues, voire inexistantes.
Dans ce cas, comment un juge peut-il évaluer s'il existe une «chance raisonnable de succès», comme le propose cette modification, compte tenu des facteurs fortement discrétionnaires et subjectifs? Il n'y a aucune directive. Ou en d'autres termes, comment un seul juge peut-il conclure que «la conscience collective» débouchera sur un échec ou un succès? C'est impossible.
Les dispositions relatives au pré-examen judiciaire sont les plus stupides de ce train de mesures. Premièrement, on ne peut pas examiner un processus discrétionnaire. En second lieu, si un juge doit examiner des requérants de toute évidence peu méritants, cela ne revient-il pas à dire que nous ne faisons pas confiance au jury pour refuser une remise de peine au requérant qui ne la mérite pas, selon toute évidence? Troisièmement, le Parlement a prévu une révision en appel du processus d'examen. Il y a donc une autre révision.
Ainsi, le système mis sur pied est devenu un processus coûteux qui ne peut servir qu'à retarder les choses et servir l'intérêt des avocats, et ce au détriment de la collectivité, car vous êtes censés représenter ces requérants.
La décision du jury est sans appel car il est difficile d'essayer d'anticiper ou de réviser un processus décisionnaire hautement discrétionnaire. C'est pourquoi on n'examine pas le jury. Si c'est le cas, pourquoi le Parlement, aux termes des modifications proposées, croit-il que la révision judiciaire du processus d'examen préliminaire servira davantage à quelque chose? C'est absurde.
En conclusion, l'examen judiciaire est un processus coûteux, fastidieux et inefficace. Il n'apporte rien et ne fait que brouiller les pistes en permettant au Parlement de prétendre avoir fait tout son possible pour garantir un processus équitable.
Toutefois, la question du processus équitable doit passer après la question plus importante de savoir si l'objectif poursuivi par la loi est sensé et conforme à l'intérêt public. Tous les processus équitables du monde ne peuvent pas transformer une mauvaise décision en une bonne et, qui plus est, cela augmente considérablement les dépenses subies par les provinces pour mettre en place cette étape supplémentaire de formalités administratives. Je suis passée très rapidement sur cette question.
La participation des victimes n'est pas entièrement fonction de l'initiative du procureur général. À l'instar des déclarations traditionnelles des victimes sur les répercussions du crime prévues à l'article 735, il n'existe aucune procédure réglementaire désignée pour la présentation des déclarations de victime et cela se fait sans doute en général à la demande de la Couronne. Toutefois, cela ne signifie pas nécessairement que l'indifférence de la Couronne peut contrecarrer la présentation de la déclaration de la victime puisque cette dernière demandera au tribunal l'autorisation de soumettre une déclaration.
Aux termes de l'article 745, il est certain qu'on peut soumettre des déclarations de la victime. Ces déclarations ne sont pas forcément d'anciennes déclarations ressassées, elles peuvent contenir des «informations fournies au moment de l'audience». Voilà ce qu'on propose. Par conséquent, il y a tout lieu de croire que si la Couronne faire preuve d'esprit de coopération les victimes pourront faire part de leurs préoccupations et de leurs réserves au tribunal. c'est donc un pas en avant.
Toutefois, comment les victimes sauront-elles que cette audience a lieu? Le demandeur n'est absolument pas tenu de prévenir la victime. Il n'y a rien dans ce qu'on appelle la déclaration des droits de la victime ou dans la Loi sur les systèmes correctionnels et la mise en liberté sous condition qui oblige la Couronne à prévenir la victime de l'existence de cette audience. C'est un problème auquel on ne s'est pas intéressé. C'est donc un pas en avant, mais sans garantie.
Il faut noter également qu'aux termes des modifications proposées le jury tiendra compte des déclarations de la victime si celles-ci ont été recueillies et présentées par la Couronne. Aux termes de la loi actuelle et dans la jurisprudence, le juge peut tenir compte de ces informations à condition qu'elles aient été recueillies et présentées. Par conséquent, ces modifications donnent une base plus solide aux déclarations de la victime. C'est l'élément positif, car on présume qu'elles sont admissibles tandis qu'en vertu de la loi actuelle, la Couronne doit convaincre le juge d'admettre ces déclarations et, en règle générale, cela ne réussit pas tellement souvent. Cela m'a donc fait réfléchir, mais c'est tout de même un pas en avant.
En conclusion, cette disposition permet effectivement de présenter des informations à jour sur la victime, mais aucun mécanisme ne garantit que la victime sera prévenue de la tenue de l'audience ni qu'on lui demandera de fournir une déclaration si elle le désire.
Souvenez-vous que dans l'affaire Swietlinski la Cour suprême a décidé que les déclarations de la victime étaient admissibles à l'audience, mais que le juge pouvait être circonspect lorsqu'il décidait d'admettre ces déclarations. Ce problème-là n'est pas réglé. Très souvent, les tribunaux ont décidé que les déclarations de la victime étaient liées à des considérations de détermination de la peine, et que par conséquent, elles n'avaient pas leur place dans une audience de révision.
La Cour suprême du Canada a admis qu'elle hésitait à accepter ce genre d'informations, et c'est un problème dont cette disposition ne s'occupe pas. Il est possible que cette référence d'ordre général aux déclarations de la victime ne soit pas très efficace lorsqu'il s'agit de faciliter et d'encourager le rôle des victimes. C'est un problème qui doit être abordé.
On ne sait pas très bien ce qui se passe lorsque le jury ne réussit pas à constituer une majorité des deux tiers en ce qui concerne la durée de la réduction de peine. Que se produit-il? D'après les principes actuels en ce qui concerne les délibérations du jury, le juge exhorterait doucement - j'aime bien cette expression - le jury pour le convaincre de constituer une majorité des deux tiers. Si cela échoue, le juge déclare qu'il y a vice de procédure et il constitue un nouveau jury. Autrement dit, le procès peut reprendre depuis le début. On crée ainsi un énorme ensemble de rouages administratifs. Il semble y avoir une lacune dans la législation en ce qui concerne les cas où le jury ne réussit pas à se mettre d'accord sur la durée de réduction de peine.
Les procédures de transition ne sont pas claires. La disposition de transition numéro cinq prévoit qu'une déclaration de la victime ne peut être présentée que dans le cas des crimes commis après l'adoption de ce projet de loi.
Souvenez-vous que même lorsqu'il s'agit de crimes commis avant l'adoption de cette loi, les principes de l'affaire Swietlinski et les pratiques du droit commun n'accordent pas une place aussi solide aux déclarations de la victime que les modifications proposées. Dans ces conditions, pourquoi le gouvernement propose-t-il une disposition de transition en ce qui concerne les déclarations de la victime?
En règle générale, tout changement aux procédures relatives à la preuve s'appliquent rétrospectivement. Si nous décidons d'adopter ce changement, il faut l'adopter. Ce n'est pas ce que nous faisons ici.
Les changements au droit fondamental à une révision judiciaire ne peuvent pas s'appliquer rétrospectivement. Toutefois, les règles de la preuve qui régissent ces audiences peuvent être changées et s'appliquer rétrospectivement.
Pour vous donner un exemple, les anciennes lois sur le viol exigeaient que les accusations de la plaignante soient corroborées. Cette exigence a été abrogée et les tribunaux considèrent systématiquement que les nouveaux principes relatifs à la preuve ne s'appliquent pas aux délits jugés en 1996 mais commis à l'époque où l'ancienne loi était en vigueur. Nous n'avons pas vu de disposition à cet effet.
Par conséquent, si une cause d'agression indécente commise en 1966 est jugée en 1996, on n'exigera pas la corroboration de la preuve, mais si le procès avait eu lieu en 1966, cette corroboration aurait été exigée. Par conséquent, les règles de 1996 l'emportent sur les règles de 1966, 30 ans plus tard.
Aux termes de ces dispositions, il n'est pas possible de faire appel de la décision d'un jury. La Cour suprême du Canada a observé:
- Le caractère discrétionnaire de la décision du jury est mis en évidence par le fait que le
Parlement n'a pas jugé bon d'accorder un droit d'appel quelconque...
- ...au moment de l'article 745.
Le juge n'est pas un garde-barrière, et le Parlement, à juste titre, a prévu une possibilité d'appel pour s'assurer qu'une personne sera en mesure de défendre sa cause devant un jury de ses pairs. Le fait qu'on puisse faire appel des décisions d'un juge unique ne pose pas de problèmes.
En l'absence de cette possibilité d'appel, le requérant pourrait se retrouver dans des limbes juridiques si un juge empêche, à tort ou arbitrairement, une audience avec jury. Cela dit, il faut revenir à la troisième observation. Le processus de présélection est une perte de temps, une perte d'argent, et il faudrait reconsidérer tout cela à la lumière de tout le processus de sélection. Cela est très important.
Si le Parlement décide de conserver le processus de sélection, ce processus doit forcément s'accompagner d'une certaine forme d'appel. C'est une chose qui mérite d'être étudiée.
Aux termes du paragraphe 745.(2), les personnes suivantes n'auraient pas droit à une révision judiciaire, ce qui est extrêmement troublant. Les tueurs en série, c'est-à-dire ceux qui tuent plus d'une personne, mais à des moments différents, ne figurent pas dans cette liste. Les auteurs de massacres, c'est-à-dire ceux qui tuent plus d'une personne dans le cadre d'un incident unique et également les tueurs qui avaient l'intention de tuer une seule personne mais qui ont fini par en tuer plusieurs - voilà les trois seules catégories qui figurent dans ce projet de modification. Par conséquent, si par inadvertance vous essayez de tuer un agent de police et que vous finissez par tirer sur deux d'entre eux, vous êtes rangé dans cette liste.
Conformément aux dispositions de transition, l'interdiction en ce qui concerne la révision judiciaire ne s'applique qu'à ces trois catégories si l'un des meurtres a lieu après l'entrée en vigueur de ces dispositions. Par conséquent, les tueurs qui n'avaient l'intention de tuer qu'une seule personne, les tueurs en série, ou les auteurs des massacres, qui se trouvent actuellement en prison, qui sont en cours de procès, tous ces gens-là auront encore droit à une révision judiciaire.
Les trois types de meurtriers qui n'auront pas droit à un appel constituent une proportion minuscule de la population. On estime que 1,3 p. 100 de tous les meurtriers qui se trouvent au Canada perdront leur droit à une révision judiciaire.
Parmi eux, la catégorie la plus importante est celle des auteurs de massacres. Cela ne veut pas dire que des cas comme celui de Marc Lépine vont se multiplier, il faut espérer que ce ne sera pas le cas. Cette catégorie comprendra les meurtres domestiques, ceux qui tuent leur conjoint et un enfant, etc.
On semble penser que beaucoup de gens qui ont tué plus d'une victime ne méritent pas cette possibilité de révision judiciaire. C'est certainement une préoccupation.
Les catégories actuellement exclues sont très limitées. Historiquement, il n'y a pas eu tellement de meurtres en série ou de massacres au Canada, mais par contre, nous avons eu notre part d'assassinats sauvages d'une seule personne.
J'aimerais que cela figure au procès-verbal, s'il vous plaît. Ce genre de chiffres, que l'on cite à tout bout de champ, ne reflètent en rien le nombre de victimes, le nombre actuel d'agresseurs qui entrent de cette définition de portée générale.
Debbie vous le confirmera. Je crois que Bernardo a eu neuf condamnations pour chaque requête pour meurtre. Vous voyez cela comme un seul meurtre. Ce n'est pas si terrible, n'est-ce pas? Assassins... 6, 93, 23...
Cela ne dit en rien pourquoi ils ont été condamnés. Ça ne se voit pas. Ce n'est pas suffisant. J'en ai toute une liste, des brèves sentences et de brèves condamnations, des condamnations au moment de prononcer la sentence. Si vous pouvez voir cela, si vous pouvez voir la brutalité, et, espérons, quelques photos, vous aurez peut-être une idée de la banalité démontrée ici.
Ça ne donne pas du tout une vraie image de la réalité. Cela ne reflète en rien le long dossier criminel de la plupart de ces gens. Ils n'ont peut-être pas encore tué ou peut-être ont-ils tué il y a longtemps, mais il y a des viols, des raclées, des incendies criminels, des vols à main armée dans plusieurs cas, et je crois qu'il faut en tenir compte. On ne voit pas ceci dans les chiffres et donc on améliore, on adoucit et on rend les chiffres anodins à l'extrême.
Si l'on crée une catégorie de délinquants exclus fondée sur le nombre de victimes, ce sera sans aucun doute une catégorie claire et certaine qui sera d'application facile. Ce n'est pas compliqué. Nous ne pouvons remettre cela en question.
Mais ce qui est sûr, c'est que ce que l'on gagne en certitude on le perd en cohérence. Il est peut-être difficile de créer une définition claire et certaine du genre d'assassins coupables d'un seul meurtre qui devraient figure dans la catégorie de délinquants exclus. Cependant, dans d'autres contextes, le Parlement a pu définir des incidents uniques - je déteste le mot incident. Il ne s'agit pas d'un incident. Ce mot est employé tout le temps et j'aimerais que l'on note officiellement que c'est extrêmement offensant. Il s'agit d'un meurtre brutal, inhumain, odieux et dégoûtant. Il ne s'agit pas d'un incident. Parfois je me rends compte que je m'en sers aussi. C'est ridicule.
Le Parlement a pu définir des cas uniques d'incident de façon suffisamment claire pour pouvoir entraîner certaines mesures draconiennes. Par exemple, dans le cas d'un délinquant dangereux, souvent on se sert des dispositions pour comportement récidiviste. Cependant, le Parlement a envisagé d'utiliser la catégorie de délinquants dangereux pour des tragédies uniques.
L'article 753 définit le critère pour la catégorie de délinquant dangereux comme étant:
- (iii) un comportement, chez les délinquant, associé à la perpétration de l'infraction dont il vient
d'être déclaré coupable, d'une nature si brutale que l'on ne peut s'empêcher de conclure qu'il y
a plus de chance pour qu'à l'avenir ce comportement soit inhibé par les normes ordinaires de
restriction du comportement.
L'ajout de l'article 745, qui interdit à certains délinquants coupables de meurtre de se prévaloir de la révision judiciaire, permet au Parlement de signaler que certains meurtres sont à ce point atroces que les délinquants ne devraient jamais bénéficier d'une peine écourtée, même s'il y a eu une réhabilitation impressionnante en prison.
C'est le sens de cette modification. Enfin, c'est le message que nous communiquons. Cependant, le Parlement ne peut pas dire que les auteurs de meurtres multiples vont changer d'attitude dans la même mesure que quelqu'un qui ne tue qu'une fois. C'est ridicule.
S'il y possibilité de justifier une réduction de la peine - c'est ce que cet article prévoit - cela pourrait certes s'appliquer à ceux qui ne tuent qu'une seule fois et il le faut. La caractéristique essentielle du meurtre exempté est que «ce meurtre choque la conscience collective». Ce sont les mots employés. Il est évident que cela doit s'appliquer à celui qui tue une fois aussi bien qu'au cas plus rare de celui qui tue plusieurs fois.
En fait, les convictions pour meurtre prémédité au premier degré sont très difficiles à obtenir. La quadrature du cercle serait plus facile. Les jurés ont pris sept heures et demie pour trouver Bernardo coupable de meurtre au premier degré. Ce n'est pas évident. Dans la plupart des cas, les peines sont négociées avant que la cause soit portée devant un tribunal. Il s'agit ici de criminels odieux. Il est évident que cet article doit s'appliquer à celui qui tue une fois tout aussi bien qu'à celui qui tue plusieurs fois.
Je rajouterai que nous nous inquiétons du fait que ce projet de loi traite uniquement des cas de meurtre. Il y a beaucoup d'autres crimes qui ne sont pas des meurtres mais qui suscitent la crainte du public, choquent la conscience de la collectivité et qui, croyez-moi, détruisent des vies d'une façon beaucoup plus grave que l'acte de tuer quelqu'un.
Un des amis de ma fille a exprimé ce sentiment lorsqu'il a écrit, trois ans après l'événement, la première fois qu'il a pu parler de ce qui s'était passé... Il a dit que pour les cinq ou six premiers jours, nous espérions que Nina ait reçu la grâce de survivre, et ensuite nous avons pensé, au contraire, qu'il valait mieux qu'elle soit morte, sans souffrir.
Parlez aux victimes des viols de Scarborough. Elles sont bien connues. Elles sont au premier plan. Multipliez cela par des centaines et peut-être même des milliers de victimes. Parlez à l'enfant de 11 ans qui n'aura jamais le contrôle de son sphincter. Il ne pourra jamais contrôler ses intestins parce qu'il a été victime d'un viol anal. Dites-vous, «est-ce qu'on peut vraiment quantifier tout cela?»
Je vous supplie et je supplie ce gouvernement d'entamer une discussion véritable et réfléchie sur ces sujets. Ne dénigrez pas ce sujet.
Il y a beaucoup d'autres crimes outre le meurtre qui préoccupent grandement la population et qui peuvent choquer la conscience de la collectivité. Le Parlement ne devrait pas simplement fignoler l'article 745 tel qu'il s'applique aux meurtres; il doit mettre au point une stratégie cohérente qui vise tous les crimes de prédateurs qui donnent lieu à l'incarcération à long terme. Dans un certain sens, c'est bizarre que nous ayons un régime d'examen judiciaire très complet pour revoir l'admissibilité à la libération conditionnelle dans les cas de meurtre, tandis que l'agression sexuelle grave et le comportement des prédateurs qui s'en prennent aux enfants sont laissés aux aléas du processus de libération conditionnelle ordinaire. Où sont nos valeurs?
Avant ma comparution devant ce comité, j'ai dû faire face à un dilemme moral extraordinaire une fois de plus. J'ai grandi à la fin des années 60 et dans les années 70. Mes valeurs sont le reflet des idées qui avaient cours à ce moment-là. C'était tellement plus simple en Afrique du Sud. Je m'occupais de prisonniers politiques, de personnes détenues sans procès, de personnes qui disparaissaient sans laisser de traces. C'était beaucoup plus facile.
Lorsque je suis venue au Canada en 1979, je n'ai pas été confrontée à ces réalités politiques. En fait, personne ne voulait discuter de politique. Cela ne se faisait pas dans les dîners mondains. Ça rendait les gens mal à l'aise. Je me suis sentie glisser dans ce cocon très confortable qu'est et qu'était le Canada, ce pays humanitaire, compatissant et aimant où nous voulons tous vivre. Très franchement, ce pays a été comme un baume pour mon âme.
Cependant, il y a cinq ans, j'ai été forcée de commencer à réfléchir à une réalité plus vaste que ces nobles idéaux humanitaires, tels que la clémence et le principe qui veut qu'on tende l'autre joue si quelqu'un nous gifle, et ainsi de suite, tout cela étant fondé sur ce merveilleux principe intellectuel et philosophique de la nobilité de l'homme. Au cours des cinq dernières années, j'ai dû me rendre compte que relativement peu de gens s'alimentent de cette nobilité. Ils l'utilisent plutôt comme écran pour cacher les comportements les plus cruels, brutaux et inhumains qu'on ait jamais vus, qui dans le contexte des crimes de guerre sont reconnus comme étant des crimes haineux. La Cour mondiale appuie ce point de vue.
On dit que tout le monde peut être réadapté. C'est un principe merveilleux, beaucoup plus facile que la réalité.
Assise ici à ma place, j'ai beaucoup de difficulté à affirmer que certaines personnes doivent être incarcérées à tout jamais. Mais j'ai regardé par cette fenêtre et j'ai dû confronter la réalité et les dommages énormes que causent certains individus dans ce pays en 1996.
Je vous demande, s'il vous plaît, de donner à cette question toute l'attention qu'elle mérite. Il faut établir des limites à un moment donné. Tôt ou tard, il faudra se rendre compte que nous, personnes compatissantes qui se fendent en quatre pour accommoder tout le monde, avons atteint nos limites.
D'après moi, ceux dont il est question dans cet article représentent malheureusement le petit groupe de personnes qui ont dépassé les bornes et qui continuent de mettre en danger la sécurité et la qualité de la vie des citoyens du Canada.
Je sais que vous êtes fatigués et que vous avez faim. Merci beaucoup de votre patience.
La présidente: Merci, madame de Villiers.
Monsieur Sullivan.
M. Steve Sullivan (directeur de la recherche, Centre canadien de ressources pour les victimes de crime): Je serai bref, pour différentes raisons. Premièrement, vous avez mon mémoire et je ne pense pas que ce soit nécessaire de le passer en revue en détail. Deuxièmement, je ne crois pas qu'il y ait grand-chose que je puisse vous dire aujourd'hui qui ajoute quoi que ce soit à ce que vous avez déjà entendu.
Vous pouvez faire comparaître tous les avocats, tous les professionnels, tous les philosophes et les universitaires devant vous et vous n'entendrez pas de meilleures raisons d'abroger cet article que celles que vous avez entendues de la part de ces gens.
J'étais assis parmi eux à la Chambre des communes, le 12 décembre 1994, tout comme je suis ici aujourd'hui, lorsque 136 députés ont voté pour appuyer en principe le projet de loi d'intérêt privé de M. Nunziata visant à abroger cet article. Cela fait plus d'un an et demi. Nous sommes finalement ici pour discuter du projet de loi, mais ce n'est que parce que le gouvernement a finalement décidé de se pencher sur la même question.
Franchement, les Canadiens méritent un meilleur système que celui qui vous permet de débattre et d'adopter des lois en quelques jours. Ces gens-là méritent plus que de se faire entendre pendant quelques minutes, en regardant leur montre pour s'assurer qu'ils n'ont pas dépassé le temps permis. Ce comité devrait avoir honte, tout comme le gouvernement devrait avoir honte de la façon dont il a traité ces gens.
Appuyons-nous l'abrogation de l'article 745? Oui, très certainement. Appuyons-nous l'adoption du projet de loi C-45? Oui, nous l'appuyons. Permettez-moi de vous expliquer pourquoi. Je crois que malgré toutes les erreurs qu'il contient, et nous les avons signalées dans notre mémoire, le projet de loi C-45 fait en sorte que moins de personnes vont devoir vivre le cauchemar qu'est une révision judiciaire. Cela me suffit pour le moment. Si cela veut dire que Clifford Olson ne sera pas mis en vedette et que mes amis n'auront pas à vivre ce cauchemar, j'appuierai le projet de loi C-45 et je vous demanderais d'en faire autant.
Permettez-mois de vous laisser avec cette pensée: ce dossier ne sera jamais clos. Le projet de loi C-45 est une première étape dans l'abrogation ultime de cette disposition. Nous serons de retour cet automne, et pendant les prochaines élections. Notre objectif ultime est d'abroger cet article. C'est une première étape et c'est tout. Ce n'est pas suffisant.
Je n'ai pas grand-chose d'autre à dire, sauf que vous devez écouter les personnes ici présentes. Elles sont plus touchées par cet article du Code criminel que n'importe qui d'autre que vous allez entendre pendant ces deux journées de séances du comité. Ce sont des personnes qui représentent les intérêts des Canadiens que vous devez représenter avant de représenter votre gouvernement.
Je m'arrête là. Merci, madame la présidente.
La présidente: Je vous remercie tous beaucoup.
Chers collègues, j'ai fait exprès de ne pas interrompre qui que ce soit pendant leurs interventions. J'ai du mal à croire, comme M. Sullivan le disait, qu'on puisse tirer autre chose de nos témoins importants et si articulés. Parce que nous vous avons écoutés sans interruption, il n'y aura pas de questions pour le moment, mais je tiens à vous remercier chaleureusement. Si vous pensez être venus ici sans que personne ne soit atteint par ce que vous avez dit, vous avez tort. Merci.
Nous avons d'autres questions à régler.
La présidente: Nous avons fait circuler le quatrième rapport du comité directeur. On y fait des recommandations concernant les déplacements en rapport avec la Loi sur les jeunes contrevenants. Pendant la semaine du 22 au 27 septembre, nous allons voyager dans la province de Québec ainsi qu'à Iqaluit dans l'est de l'Arctique.
Vous vous souviendrez sans doute qu'un des problèmes dans les déplacements vers le Nord lorsqu'on essaie de faire tout à la fois, c'est qu'on doit prendre un vol qui passe par Montréal pour aller à Iqaluit et qu'ensuite il faut aller à Edmonton pour aller à Yellowknife, et à Vancouver pour aller à Whitehorse. Il n'y a pas de vols d'est en ouest dans les territoires, à moins que quelqu'un ne veuille nous prêter un Challenger, ce dont je doute beaucoup. C'est pourquoi l'itinéraire est fait ainsi.
Vous verrez que nous avons également mis à l'itinéraire le Manitoba, la Saskatchewan et Yellowknife ensemble, mais nous n'avons pas encore établi de dates pour ces visites, parce que nous anticipons la réglementation sur les armes à feu cet automne. Il serait donc problématique de fixer des dates, parce que je crois que nous n'aurons que 30 jours pour nous occuper de la réglementation sur les armes à feu lorsqu'elle sera prête.
Alors, j'aimerais avoir une motion, si tout le monde est d'accord, pour approuver l'échéancier et les budgets, qui représentent encore une fois des montants maximums.
Mme Torsney: J'en fais la proposition.
M. Gallaway: J'appuie la motion.
La motion est adoptée
La présidente: Parfait.
Les deuxième et troisième points à propos de ce rapport ont trait au projet de loi C-17, C-27 et C-25.
On suggère que les hauts fonctionnaires comparaissent devant le comité pendant la première semaine de septembre. C'est la première semaine après notre retour. Nous sonderons donc les hauts fonctionnaires au sujet de ces projets de loi afin d'en finir avec cette étape et d'accélérer le processus. Il s'agit de projets de loi émanant du gouvernement. Est-ce que cela vous cause un problème?
Le projet de loi omnibus - mutilation génitale féminine, prostitution enfantine - est le projet loi C-27, et le projet de loi C-25 est le projet de loi sur la réglementation, pour lequel nous voudrons peut-être créer un sous-comité, mais nous pourrons en discuter cet automne.
Le troisième point, les projets de loi d'intérêt privé. Le projet de loi C-217 est celui deMme Venne. Conformément à notre nouvelle politique, il serait de mise qu'elle comparaisse dans la première semaine, afin de mettre le projet de loi en contexte, alors nous pouvons mettre cela au calendrier à un moment donné. Cela vous cause des problèmes? D'accord.
Cela met fin à notre examen du quatrième rapport du comité directeur.
Nous avons reçu une demande du procureur général de l'Ontario qui veut comparaître cet après-midi. Je vous demanderais votre indulgence pour que je puisse vous expliquer ce que j'en pense et que je puisse savoir ce que d'autres en pensent. Il nous a demandé de comparaître au sujet de ce projet de loi en particulier.
Par le passé, les procureurs généraux ont toujours comparu devant les comités, par exemple, sur le projet de loi sur les armes à feu, et nous avons pour politique de les laisser comparaître sur la Loi sur les jeunes contrevenants. Je pense que le raisonnement, très franchement, est que dans le cas du projet de loi sur les armes à feu et la Loi sur les jeunes contrevenants, si nous recommandons des amendements, cela entraînera des coûts directs pour les budgets provinciaux et ce serait inconvenant de notre part de ne pas tenir compte de ce fait. Je pense que c'est la différence fondamentale entre cette situation et la demande que j'ai devant moi.
Je vous signale aussi tout de suite que le procureur général de l'Ontario, tout comme les autres procureurs généraux de ce pays, peut déjà exprimer son point de vue à beaucoup d'autres endroits. C'est semblable au cas du député de l'Assemblée législative, qui est venu exprimer son point de vue sur une loi fédérale à Scarborough. Nous lui avons permis de le faire, et je pense que nous avons dit à ce moment-là que si quelqu'un d'autre avait été disponible pendant ce temps-là, il n'aurait pas eu le droit de comparaître, mais il nous fallait remplir le temps de toute façon.
À divers moments, il y a cinq ou six députés de ce comité qui proviennent de la province de l'Ontario et qui ont été élus par la population de l'Ontario pour représenter leurs intérêts au Parlement fédéral, y compris la personne qui a la présidence de ce comité. Le ministre de la Justice et le solliciteur général, qui ont parrainé le projet de loi, sont tous deux de l'Ontario, et ils ont été élus par la province de l'Ontario. Il y a même une personne qui participe qui est en quelque sorte membre de l'opposition sur ce projet de loi et qui est également du Toronto métropolitain, de la province de l'Ontario, M. Nunziata. En plus, beaucoup de témoins des deux côtés, ainsi que la plupart de ceux qui s'opposent au projet de loi C-45, étaient de la province de l'Ontario.
Je vous propose donc de ne pas le convoquer. Si nous le convoquons, il faudra annuler quelqu'un d'autre ou écourter le temps que nous avons accordé à d'autres, et cela ne me semble pas nécessaire. Je tiens aussi à vous signaler que le procureur général de l'Ontario peut nous envoyer son opinion autrement. Cette semaine il assiste à la réunion des premiers ministres. Il communique directement avec le procureur général du Canada, M. Rock, régulièrement. Ses hauts fonctionnaires communiquent avec les hauts fonctionnaires fédéraux. Il a les mêmes commettants que plusieurs membres de ce comité.
Il me semble donc qu'il n'est pas nécessaire de l'inviter. Je ne demanderais jamais à quiconque de partager son temps avec le procureur général de l'Ontario. Mais ce n'est que mon opinion personnelle.
Avez-vous une opinion quelconque, monsieur de Savoye?
M. de Savoye (Portneuf): Pourquoi pas le procureur général du Québec?
La présidente: C'est vrai.
M. de Savoye: Je crois que vous m'avez convaincu.
M. Ramsay: Je ne suis pas d'accord. Même si les provinces sont responsables de l'administration de la loi qui sera adoptée, ou du moins responsables en partie, pourquoi ne pas le convoquer? L'une des raisons pour lesquelles nous avons décidé d'aider à faire adopter ce projet de loi était qu'on pourrait entendre des témoins. Si le procureur général du Québec veut se prononcer, si on lui demandait de comparaître au lieu du procureur général fédéral, est-ce que ça ferait une différence quelconque?
Mme Torsney: Non.
M. Ramsay: Alors le fait qu'il ne demande pas à comparaître ne devrait pas faire de différence. S'il voulait comparaître, il en aurait fait la demande. Il est clair qu'il ne veut pas comparaître, mais le procureur général de l'Ontario veut comparaître. Que veut-il nous dire? J'aimerais l'entendre.
Madame la présidente, aura-t-il le droit de présenter un mémoire?
La présidente: Je crois que c'est bien clair.
M. Ramsay: Alors c'est juste une question de temps; c'est ça le problème.
La présidente: Oui. Je n'ai pas entendu les commentaires de mes collègues, mais je vous propose que s'il veut nous envoyer une note ou un mémoire, très bien, nous l'accepterons, mais nous avons déjà la liste des témoins que nous voulons entendre.
M. Ramsay: Alors c'est juste une question de temps?
La présidente: Oui, et nous n'avons pas assez de temps.
Mme Torsney: J'ai une question pour M. Ramsay. Quel effet ceci aura-t-il sur le procureur général de l'Ontario?
M. Ramsay: Ceci touche bien sûr les provinces qui doivent administrer la loi.
Mme Torsney: Ça leur coûtera moins cher.
M. Ramsay: Ne doivent-ils pas comparaître devant le juge en chef de la province? Cela n'entraîne-t-il pas de coûts à la province?
Mme Torsney: Non, ça coûterait moins cher. Si le nombre de personnes qui peuvent invoquer l'article 745 est réduit, cela coûtera moins cher aux provinces, et non pas plus cher.
M. Ramsay: Non. Qu'est-ce qui explique les coûts d'une demande en vertu de l'article 745?
Mme Torsney: Encore une fois, nous abrogerons les demandes en vertu de l'article 745.
M. Ramsay: Ce n'est pas la question et ce n'est pas l'enjeu.
Mme Torsney: On devrait peut-être mettre la question aux voix.
La présidente: C'est ce que je vais faire. Tous ceux qui sont pour la comparution du procureur général de l'Ontario devant le comité?
M. Ramsay: Comme il l'a demandé.
La présidente: Oui.
M. Ramsay: Oui, je suis d'accord.
La présidente: Tous ceux qui sont contre?
Il ne vient pas. Nous l'inviterons à présenter un mémoire écrit.
La séance est levée.