[Enregistrement électronique]
Le mardi 1er octobre 1996
[Traduction]
La présidente: La séance est ouverte.
Je m'excuse de notre retard. C'est comme l'histoire de la femme la plus lente au monde qui veut rencontrer l'homme le plus rapide au monde.
Aujourd'hui, nous étudions le projet de loi C-27, Loi modifiant le Code criminel en ce qui concerne la prostitution chez les enfants, le tourisme sexuel impliquant des enfants, le harcèlement criminel et la mutilation d'organes génitaux féminins.
Nous avons également un projet de loi d'initiative parlementaire présenté par Mme Gagnon, le projet de loi C-235, Loi modifiant le Code criminel en ce qui concerne la mutilation génitale des personnes du sexe féminin.
Nos témoins aujourd'hui sont M. Roy, avocat général principal, Politiques de droit pénal; Elissa Lieff, avocate-conseil, Politiques de droit pénal et Carole Morency, conseillère juridique, Section de la famille, des enfants et des adolescents, du ministère de la Justice.
Monsieur Roy, voulez-vous faire une présentation ou simplement répondre aux questions?
M. Yvan Roy (avocat général principal, Politiques de droit pénal, ministère de la Justice): Madame la présidente, je vous laisse le soin d'en décider.
J'ai apporté quelques notes au cas où vous jugeriez nécessaire que je vous expose brièvement l'objet de ce projet de loi. Par contre, si vos collègues et vous-même souhaitez simplement nous poser des questions, nous nous ferons un plaisir d'y répondre.
La présidente: Un aperçu serait probablement utile. Comme personne ne semble y voir d'objection, vous pourriez peut-être simplement nous en dire quelques mots avant que nous commencions.
M. Roy: Le ministre de la Justice veut, par le projet de loi C-27, traiter de quatre aspects du droit où manifestement des modifications s'imposent. Il s'agit de la prostitution chez les enfants, du tourisme sexuel impliquant des enfants, du harcèlement criminel et enfin de la mutilation d'organes génitaux féminins.
À l'occasion du neuvième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, qui a eu lieu au Caire en mai 1995, on a pressé les États membres d'adopter des mesures efficaces contre les pratiques préjudiciables aux femmes et aux enfants. On a également insisté auprès des États membres - et cela inclut évidemment le Canada - pour qu'ils prennent des mesures afin de mettre en oeuvre la Déclaration de 1993 des Nations Unies sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes et le programme d'action de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes, tenue en 1995. Il a été reconnu à l'occasion de ces deux réunions que des mesures s'imposent à cet égard.
Le Canada a ratifié la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Nous espérons que ce projet de loi nous permettra de respecter nos engagements, tels qu'ils sont énoncés dans la convention, à savoir protéger les enfants contre toute forme d'exploitation sexuelle et de pratiques sexuelles illégales.
Enfin, le projet de loi C-27 appuie également l'engagement que nous avons pris lors de la Conférence mondiale contre l'exploitation sexuelle commerciale des enfants, qui s'est tenue à Stockholm en août 1996, ainsi que la déclaration et le plan d'action qui ont été adoptés par tous les participants.
Mes collègues, Mmes Morency et Lieff, ont participé à la conférence de Stockholm. Si vous avez des questions à ce sujet, elles pourront y répondre.
Permettez-moi maintenant d'aborder brièvement les quatre domaines visés par ce texte de loi. Tout d'abord, la prostitution chez les enfants.
Les changements proposés par le projet de loi visent à protéger les enfants contre les prédateurs sexuels. L'un des principaux points abordés au cours des consultations en préparation à ce projet de loi portait sur les difficultés de faire appliquer les dispositions des paragraphes 212(2) et 212(4) du Code criminel, prévoyant qu'un prostitué témoigne contre un proxénète, puisque dans la plupart des cas les enfants prostitués ne veulent tout simplement pas témoigner devant les tribunaux contre leur proxénète. En modifiant le libellé de cette disposition pour qu'il devienne illégal d'essayer d'obtenir les services sexuels d'une personne que le contrevenant «croit» être âgée de moins de 18 ans, il serait plus facile d'appréhender les clients de jeunes prostitués.
Le projet de loi C-27 crée également une présomption de la preuve, pour qu'il soit plus facile de faire la preuve que le contrevenant croyait que cette personne avait moins de 18 ans. Le projet de loi prévoit une nouvelle infraction de proxénétisme grave, assortie d'une peine minimale de cinq ans d'emprisonnement, visant quiconque vit des produits de la prostitution d'un enfant prostitué à des fins de profit personnel et use de violence envers cet enfant ou l'intimide pour qu'il se livre à la prostitution.
Pour faciliter le témoignage des enfants prostitués devant les tribunaux, les modifications proposées leur permettraient de témoigner derrière un écran, au moyen d'un enregistrement vidéo ou à l'aide d'un système de télévision en circuit fermé, comme pour les enfants victimes d'abus sexuels. Le projet de loi C-27 permettrait aux tribunaux de rendre une ordonnance qui restreindrait la publication ou la diffusion de l'identité du plaignant ou du témoin dans un cas de prostitution. Cette mesure vise à encourager les prostitués à témoigner.
Comme vous pouvez le constater, un certain nombre de mesures sont prévues pour s'attaquer au phénomène de la prostitution des enfants et donner aux forces de l'ordre les outils nécessaires pour lutter contre ce problème particulier.
Le tourisme sexuel impliquant des enfants est un autre domaine visé par ce projet de loi. Comme la plupart d'entre vous le savent déjà, le code ne porte que sur certains aspects du tourisme sexuel. Plus particulièrement, et selon les circonstances, l'article 212 proposé pourrait servir à poursuivre les voyagistes ou les agences de voyage qui organisent des circuits roses à partir du Canada puisque les alinéas 212(1)a) et 212(1)g) proposés interdisent expressément ce type de comportement.
La modification proposée par le projet de loi C-27 permettrait les poursuites pénales au Canada contre des citoyens canadiens et des résidents permanents qui se rendent à l'étranger pour se livrer à l'exploitation sexuelle d'enfants pour de l'argent ou d'autres motifs. On demande donc au Parlement d'étendre la compétence de nos tribunaux aux actes criminels commis à l'étranger et non uniquement au Canada comme cela est traditionnellement la règle au Canada et dans les autres pays de common law. Seuls un engagement et une collaboration à l'échelle internationale permettront de mettre fin au tourisme sexuel impliquant des enfants. Grâce à cette modification, le Canada se joindra à 11 autres pays qui ont déjà adopté des mesures analogues à celles proposées au Parlement.
Par ailleurs, le projet de loi C-27 prévoit des dispositions relatives au harcèlement criminel ou «traquage», comme on l'appelle communément, qui visent à renforcer les dispositions actuelles du Code criminel en matière de harcèlement criminel. Le projet de loi C-27 propose qu'une personne qui commet un meurtre alors qu'elle traquait sa victime avec l'intention de lui faire craindre pour sa sécurité ou celle d'autres personnes peut être reconnue coupable de meurtre au premier degré. Comme nous le savons tous, cette infraction est assortie d'une peine minimale de 25 années d'emprisonnement, la peine obligatoire étant l'emprisonnement à perpétuité. De plus, le projet de loi C-27 propose que le tribunal qui fixe la peine puisse considérer comme circonstance aggravante le fait qu'une personne reconnue coupable de traquage était, au moment de l'infraction, en violation d'une ordonnance d'interdiction - ce que nous appelons généralement une obligation de ne pas troubler l'ordre public.
[Français]
Finalement, madame la présidente, le projet de loi C-27 s'attaque à la question de la mutilation des organes génitaux féminins. De fait, il s'y attaque en disant de façon on ne peut plus claire, ce qui de l'avis du ministre de la Justice constitue déjà une infraction en droit criminel canadien, que la pratique connue sous le nom de mutilation d'organes génitaux féminins constitue déjà une infraction à l'article 268 du Code criminel, article qui prévoit une peine maximale de 14 années de prison.
Par ailleurs, la modification qui est proposée au projet de loi comprend une exception médicale, afin de permettre aux médecins qui ont le droit d'exercer la médecine en vertu des lois provinciales de procéder à des opérations chirurgicales qui seraient requises selon le diagnostic que ces médecins auraient posé.
Les autres pays qui ont adopté des lois pour prohiber la mutilation ont prévu des exceptions semblables qui visent justement les opérations chirurgicales acceptées par la profession médicale.
Le projet de loi C-27 rend aussi la modification plus claire, précisant qu'une enfant qui serait âgée de moins de 18 ans ne pourrait pas elle-même ni par personne interposée donner son consentement à toute forme de mutilation génitale. Cette disposition est incluse au projet de loi de manière à reconnaître que les enfants sont plus vulnérables aux abus que les adultes et que ces enfants ont donc un plus grand besoin de protection.
Le Code criminel prévoit généralement des dispositions spéciales pour les enfants, telle celle en matière de consentement à des activités sexuelles. La modification proposée est conforme au principe d'accorder une protection supplémentaire à ces enfants, et c'est la raison pour laquelle le Code serait modifié de manière à le prévoir spécifiquement.
Aussi, madame la présidente, il est important de noter que les articles 21 et 22 du Code prévoient déjà que quiconque encourage, aide ou conseille une autre personne à commettre une infraction, et donc à commettre l'infraction de causer de la mutilation génitale à une femme, est considéré comme ayant commis une infraction sans qu'il soit nécessaire de l'ajouter au Code d'une manière ou d'une autre.
L'article 273.3 du Code fait déjà en sorte qu'il est illégal de faire sortir à l'extérieur du pays une enfant dans le but de lui faire subir cette procédure; le Code prévoit donc encore une fois déjà des remèdes à ce type de comportement.
Le ministère de la Justice, de même que Santé Canada, Condition féminine Canada, Patrimoine Canada et Emploi et Immigration Canada travaillent au développement de projets d'éducation et d'information visant à informer le public sur les questions juridiques, culturelles et de santé entourant le phénomène de la mutilation des organes génitaux des femmes. On compte un rapport sur les consultations communautaires de 1995, une étude de la documentation disponible, un module aux fins d'ateliers communautaires partout au Canada et des consultations visant les travailleurs en matière de santé.
[Traduction]
Comme vous pouvez le constater, madame la présidente, les modifications proposées à cette partie du code visent uniquement à la rendre plus claire, à préciser que ce genre d'activités constitue une infraction criminelle. Des travaux sont déjà en cours pour sensibiliser certaines collectivités à cette question afin qu'elles comprennent bien qu'il s'agit d'activités criminelles et que ce genre de pratiques ne sera pas toléré dans notre pays.
Voilà donc les quatre domaines visés par le projet de loi C-27. Mes collègues et moi-même nous ferons un plaisir d'essayer de répondre à vos questions et de vous apporter tous les éclaircissements nécessaires sur ces aspects difficiles du droit.
La présidente: Je vous remercie beaucoup.
Madame Gagnon, dix minutes.
[Français]
Mme Gagnon (Québec): J'ai le plaisir d'intervenir aujourd'hui sur le projet de loi C-27, un projet de loi qui me tient à coeur. J'avais personnellement déposé le projet de loi C-235 qui abordait aussi la question des mutilations des organes génitaux et du tourisme sexuel.
J'aurais toutefois quelques modifications à proposer sur ces deux aspects du projet de loi C-27. J'ai hâte d'entendre les témoins traiter de ces aspects puisque pour l'instant ils me semblent obscurs, même si nous avons déjà rencontré des fonctionnaires du ministère.
Le projet de loi que j'ai déposé avait un sens éducatif. Je trouve que le projet de loi du ministre est trop limitatif en ce sens. Je vais expliquer mes vues sur quelques aspects du projet de loi.
Prenons l'exemple de la mutilation des organes génitaux. La mutilation des organes génitaux fait partie de la disposition portant sur les voies de fait. J'aurais préféré, afin que la loi ait une portée plus éducative pour la population qui pratique la mutilation des organes génitaux, que ce soit une infraction distincte et qu'on explique vraiment ce qu'est la mutilation des organes génitaux.
On sait très bien que ces personnes, dans leur pays ou ici, ne croient pas commettre de voies de fait. Il faut leur expliquer ce qu'est la mutilation des organes génitaux. Si on se limite à n'en faire qu'une description dans la disposition sur les voies de fait, le projet de loi du ministre n'aura pas de portée éducative, comme on l'aurait souhaité.
Je me pose une question quant à l'exemption qui permettrait à des médecins de procéder à des interventions chirurgicales. J'ai écrit à plusieurs intervenants du milieu médical et à des gynécologues. J'espère que nous pourrons entendre certains d'entre eux ici, au comité. L'organisme qui les représente ne semble pas être en faveur de cette exemption prévue dans le projet de loi du ministre.
Quant aux mutilations des organes génitaux, on dit que les moins de 18 ans ne pourront pas donner leur consentement. Encore là, j'éprouve quelques problèmes face à cette disposition. Ainsi, la pratique de la mutilation des organes génitaux sur des femmes de 18 ans et plus pourrait être tolérée.
Je pense qu'une fois de plus, le projet de loi du ministre n'aura pas la portée éducative souhaitée. On véhicule un drôle de message en disant que les personnes de moins de 18 ans ne pourront pas donner leur consentement alors que celles de plus de 18 ans pourront le faire. J'ai hâte d'entendre les groupes concernés par cette problématique. Ils vont certainement s'exprimer sur cette question.
On sait très bien que de très très fortes pressions sont exercées sur les femmes pour qu'elles se fassent mutiler. Je ne sais pas si vous connaissez bien cette pratique de la mutilation des organes génitaux.
Il ne faudrait pas voir un film, parce que je pense que peu d'entre nous pourraient voir en entier une séance d'infibulation ou d'excision. C'est fait de façon très brutale et, évidemment, dans des conditions hygiéniques terribles. Je pense que vous êtes tous au courant de ce qu'est la pratique de la mutilation des organes génitaux.
C'est pourquoi j'aurais aimé qu'on en fasse une infraction particulière dans le Code criminel et qu'elle y soit précisée en détail. On nous dit que des dispositions générales sont prévues dans la loi. J'ignore si je m'exprime dans des termes corrects, mais, n'étant pas juriste, j'essaierai de m'expliquer de mon mieux.
J'ai fait une petite recherche. Certains articles de la loi comprennent des définitions très explicites qui figurent non seulement dans les dispositions générales, mais également dans certains articles de la loi. Par exemple, la définition de l'article 22, qui a trait à la personne qui conseille à une autre de commettre une infraction, figure aussi là où il est question d'autres infractions.
À titre d'exemple, j'ai fait un discours à ce sujet puisque nous retrouvons la même problématique dans le cas de l'exploitation sexuelle des enfants. On ne voulait pas préciser que des agences étaient impliquées. Nous retrouvons toutefois des détails de l'article 22 ou d'autres articles dans le Code criminel qui sont aussi définis dans les dispositions générales.
Je reviendrai peut-être sur ce point si le temps me le permet et je vous donnerai d'autres exemples. Je trouve que le projet de loi sur la mutilation des organes génitaux n'a pas la portée que l'on aurait souhaitée.
Pour ma part, je crois que nous faisons erreur et que nous faisons fausse route au point de vue du consentement. On véhicule un drôle de message aux hommes. C'est souvent la société mâle qui décide parce que la femme, quand elle est excisée, est mariable.
Je sais qu'il faut faire beaucoup d'éducation. Un projet de loi ne saurait être suffisant. Les femmes croient que lorsqu'elles sont excisées, elles sont plus mariables et présentables. C'est aussi une façon de contrôler le corps de la femme dans certaines sociétés.
Le principe de l'extraterritorialité est aussi abordé dans les dispositions générales. Pourquoi voulais-je en faire état? C'est parce que c'est tout un bloc et qu'il faut pouvoir les bien définir. Je demande que l'on m'éclaire sur les dispositions que nous sommes en train d'adopter. Avez-vous vraiment bien songé aux moins de 18 ans? Il existe peut-être une raison pour laquelle vous avez précisé qu'il n'y a pas de consentement possible pour les moins de 18 ans et que c'est différent pour les plus de 18 ans.
Je doute que l'on permette certaines pratiques médicales dans certains cas. Il me semble que nous devrions exiger une définition plus claire de la mutilation des organes génitaux. Cette pratique qui n'est pas coutume ici au Canada peut être pratiquée par des communautés culturelles qui décident d'adopter les valeurs du Canada ou du Québec. Ces communautés doivent être éclairées. Je crois que nous devrions avoir une définition très précise de ce type d'intervention.
M. Roy: Madame la présidente, la difficulté que le ministre de la Justice rencontre lorsqu'il tente de traiter de ce phénomène particulier de la mutilation génitale des femmes, c'est qu'il faut examiner ce type de comportement à la lumière du droit tel qu'il existe présentement.
Laissez-moi tenter de m'expliquer. C'est un domaine qui est particulièrement difficile. J'espère qu'il pourra y avoir un échange de manière à ce que je puisse clarifier notre pensée si jamais mon explication n'est pas suffisamment précise.
Le ministre disait en 1994, lorsqu'on a commencé à avoir des demandes à cet égard, que déjà le droit criminel interdisait cette pratique. Le ministre se fondait essentiellement sur ce qu'est déjà le droit dans ce domaine-là, c'est-à-dire le droit des voies de fait, assault en anglais. Ce sont essentiellement les dispositions des articles 265 à 269 du Code criminel qui s'appliquent en l'espèce.
Comment peut-on définir une voie de fait? Une voie de fait, c'est une imposition de la force sur quelqu'un contre son consentement. Essentiellement, c'est cela. Dépendant des résultats qui sont engendrés par cette imposition de la force, différentes sortes d'infractions peuvent être commises. Il y aura les voies de fait qui causent des lésions corporelles et il y aura aussi ce qu'on appelle communément les voies de fait graves, aux termes de l'article 268 du Code, quand on aura blessé quelqu'un.
Il apparaît clair que quelqu'un qui subit la forme d'intervention qu'on appelle la mutilation génitale subit des voies de fait. La question se pose à savoir si cette personne qui le ferait avec consentement pourrait en soi commettre une infraction criminelle.
Pour comprendre ce que cela veut dire, il faut s'en remettre à la jurisprudence de la Cour suprême et des cours d'appel qui sont venues nous dire en quoi consiste le consentement qui peut être donné lorsque ces infractions de voies de fait sont commises. Il y a une limite qui semble avoir été fixée par la Cour suprême dans une décision qui est maintenant bien connue et qui s'appelle l'affaire Jobidon.
C'est donc dire que le ministre, lorsqu'il se penche sur la question, se doit de tenir compte de cette jurisprudence et de l'état du droit statutaire. Il doit chercher à insérer dans ce contexte une disposition traitant de la mutilation génitale sans pour autant donner le signal qu'à l'heure actuelle, ce comportement ne constitue pas une infraction.
Vous comprendrez facilement que si on avait un projet de loi qui ressemble à celui que Mme Gagnon présente, le projet de loi C-277, certains pourraient proposer l'argument suivant: puisque vous en faites une infraction, c'est donc dire qu'il n'en existe pas présentement et que la pratique peut être tolérée en attendant.
Or, ce n'est pas la position du ministère de la Justice et ce n'est certainement pas la position du ministre de la Justice, puisque nous croyons que l'article 268 s'applique déjà. Donc, le ministre doit se garder de créer un vide juridique en présentant un projet de loi. Il présente son projet de loi for greater certainty. Il ne fait qu'exposer l'état du droit, en disant clairement à ceux qui procéderaient à cette pratique à l'heure actuelle qu'ils ne pourraient le faire impunément.
Le projet de loi C-27 a essentiellement un but éducatif. Le ministre de la Justice ne veut pas donner aux communautés où la pratique pourrait être tolérée l'impression que c'est une pratique qui est permise au Canada. Pour ce faire, le ministre a choisi de le dire de façon précise plutôt que de créer une infraction, ce qui pourrait donner l'impression qu'il existe un vide juridique. Le ministre croit qu'en disant de façon précise que la mutilation génitale des femmes est une infraction en vertu de l'article 268, l'effet voulu sur ces communautés est acquis sans qu'il soit nécessaire de courir le risque de créer un vide juridique. Donc, l'aspect éducatif est là.
D'un autre côté, comme je vous le disais, le ministre se doit de situer cette disposition au sein du droit général relatif aux voies de fait. C'est un droit qui n'est pas uniquement statutaire, qui est aussi fonction des jugements des tribunaux.
Cela m'amène à parler des deux exceptions que vous retrouvez présentement dans le projet de loi C-27 et auxquelles Mme Gagnon faisait allusion, soit l'exception médicale et l'exception quant au consentement.
Il serait peut-être plus simple de tenter de donner mon explication en commençant par l'exception quant au consentement. Comme je vous le disais, dans l'affaire Jobidon, laquelle a été suivie d'autres affaires, en particulier l'affaire Welch devant la Cour d'appel de l'Ontario, les tribunaux ont dit qu'il y avait une ligne à tracer quant à savoir dans quelle mesure un individu pouvait donner son consentement à ce que des lésions corporelles lui soient infligées par quelqu'un.
Prenons l'exemple de l'affaire Jobidon. Si je me souviens bien, Jobidon est dans un bar de Sault-Sainte-Marie et il commence à faire du grabuge avec un autre client. Jobidon et l'autre client se disent qu'ils vont régler cela dehors. Ils se retrouvent dans le stationnement, la bagarre s'ensuit, Jobidon assène un coup de poing à celui qui devait devenir la victime, qui tombe par en arrière, se cogne la tête contre une auto et en meurt.
La défense de Jobidon était qu'il y avait eu consentement à ce combat puisque l'individu avec qui il se battait avait dit: «Écoute, on va aller régler cela dehors». La Cour suprême du Canada a statué qu'on ne devait pas permettre qu'un consentement valide puisse être donné dans un cas semblable.
Dans l'affaire Welch, il s'agit d'un individu qui procède à une agression sexuelle à caractère sadomasochiste sur une femme. La défense de Welch était que la dame avait consenti. Au procès, la dame affirme qu'elle ne consentait pas. Le juge fut obligé de donner ses instructions au jury: même si la dame avait consenti, est-ce que cela pouvait constituer un consentement valable alors que la pratique sexuelle, dans ce cas particulier, avait généré des blessures corporelles?
La Cour d'appel de l'Ontario, après de très longues délibérations, en est venue à la conclusion qu'il y a des blessures corporelles pour lesquelles vous ne pouvez pas donner votre consentement. Dans ce cas-ci, ce n'était pas une bagarre, mais des relations sexuelles, un peu spéciales, dirons-nous.
C'est une longue explication pour en arriver à la question du consentement dans ce cas donné.
Selon nos experts en matière de charte, il serait possible que dans le cas de certaines variétés de pratiques qui tombent sous le grand vocable de la mutilation génitale des femmes - vous aurez remarqué que la définition qui est donnée de la mutilation génitale des femmes est large et n'est pas particulièrement pointue ou précise - , à l'intérieur de toute la gamme des possibilités, il y ait possibilité pour quelqu'un de donner un consentement qui soit valide en common law.
Si c'est le cas, cela constituerait un risque quant à la Charte. Le grand risque tombe probablement sous la notion générale voulant qu'une personne doive pouvoir disposer de son corps comme il ou elle le veut.
Je ne voudrais pas que mes commentaires soient mal compris lorsque je vous donnerai un exemple quant à une forme de disposition de son corps qui pourrait être permise en droit pour qu'on fasse une adéquation et qu'on me dise que je ne parle pas de la même chose et que mes propos sont outrageants.
Permettez-moi d'illustrer mon propos en parlant de tatouages, en parlant de certaines parties du corps qui peuvent être percées et en particulier de parties génitales de l'anatomie qui pourraient être percées avec le consentement de la personne.
À l'heure actuelle, le droit semble vouloir permettre cette forme de voie de fait lorsqu'une personne donne un consentement valide.
Vous pouvez vous faire percer les oreilles, le nez, les lèvres et d'autres parties du corps sans que, pour autant, on puisse dire que sur la base de l'arrêt Jobidon ou de l'arrêt Welch, ce consentement n'est pas valide.
La question qui se pose à nous, qui se pose au ministre et qui, je pense, va se poser à vous comme parlementaires, c'est de savoir s'il est possible qu'une personne majeure, donc de 18 ans et plus, puisse donner un consentement qui soit valide en droit à l'excision telle qu'elle est définie dans notre projet de loi.
Le fait d'utiliser le mot «mutilation» donne une connotation à la pratique qui est faite. Mais la définition qui est donnée au Code, en vertu du projet de loi C-27, est beaucoup plus aseptisée. On parle d'excision de certaines parties du corps d'une femme. La question qui se pose, c'est de savoir s'il est possible que pour certaines de ces excisions, qui seraient dans le spectre des possibilités du côté le plus mineur, l'on donne son consentement. Et s'il est possible de donner son consentement en common law, est-ce que le Parlement, en refusant qu'un tel consentement soit possible, passerait outre à son autorité en vertu de la Charte des droits et libertés?
C'est le problème qui se pose quant au consentement.
Ce que le ministre propose, c'est la situation suivante: pour une enfant de moins de 18 ans, il ne peut pas y avoir de consentement.
Comme je le disais dans l'introduction, le ministre considère que les enfants doivent pouvoir bénéficier d'une protection particulière. On ne doit pas permettre qu'une enfant, sous la pression familiale, ou pis encore parce que le consentement a été donné par quelqu'un à sa place, puisse subir cette forme d'intervention.
Par ailleurs, pour ce qui est d'une personne de plus de 18 ans, le projet de loi propose de permettre à la common law de prévaloir, comme elle l'a fait à la suite des arrêts Jobidon, Welch et autres.
Je vous soumets que cette façon de faire est conforme à ce que d'autres juridictions, dont l'Angleterre, ont présenté, toujours sur cette notion de consentement.
Nous sommes parfaitement conscients que certains pourront argumenter qu'il ne devrait pas y avoir de consentement, quel qu'il soit.
Je pense que c'est la position que préfère Mme Gagnon.
Ce que le ministre vous propose, c'est qu'il soit possible qu'il y ait de ces cas dans le spectre des possibilités. Nous devrions donc, de l'avis du ministre, permettre que ce consentement soit donné. Je crois comprendre, madame la présidente, que vous allez entendre des témoins à cet effet. Nous serons plus qu'intéressés à entendre ce que ces témoins auront à dire.
Cela m'amène à la dernière partie de mon intervention qui, j'en suis conscient, se fait longue. J'espère tout de même avoir pu vous éclairer.
Cela nous amène à la question des interventions chirurgicales. En droit, une intervention chirurgicale est une voie de fait. On part avec ce principe de base. Quand pouvez-vous subir une intervention chirurgicale sans que le médecin ne subisse les foudres de la loi par le biais de sa responsabilité criminelle? En vertu de l'article 45 du Code criminel, le médecin sera protégé contre cela dans la mesure où il le fait parce que se présente une situation urgente. Autrement, le médecin va requérir le consentement de la personne.
Or, il peut y avoir des interventions chirurgicales valides pour une raison médicale valide, donc des interventions qui vont nécessiter l'excision d'une partie des organes génitaux de la femmes. On peut penser à un cancer, à un kyste, à toutes sortes de possibilités. Le médecin qui voudrait agir dans ce cas précis, si le consentement n'était pas donné comme le prévoit une des dispositions de ce projet de loi, aurait les mains liées et ne pourrait pas procéder à l'intervention chirurgicale.
De là émane la nécessité de créer l'exception que vous trouvez au projet de loi. Si la personne ne peut pas donner son consentement, il faut qu'il y ait quelque chose permettant au médecin de pratiquer l'intervention. Dans ce cas-ci, une opinion médicale disant que l'intervention est effectuée à des fins médicales raisonnables se substituerait au consentement. Ceci exclut par définition un médecin qui, de connivence avec une famille où la pratique qui nous occupe serait requise, procéderait à l'opération sous prétexte qu'il est médecin. Le fait d'être médecin ne serait pas suffisant; il faudrait que l'intervention soit pratiquée à des fins médicales reconnues.
C'est de là que vient notre proposition qu'une exception soit créée à des fins d'intervention de la part d'un médecin.
Mme Gagnon a parlé de la notion de aiding and abetting. Elle a indiqué qu'il y avait des exemples dans notre droit criminel où on indiquait cette notion plus précisément plutôt que de se reporter aux articles 21 et 22 du Code.
Je pense entre autres à l'aide au suicide, bien que l'aide au suicide soit accordée pour des raisons bien particulières sur lesquelles on pourra revenir si nécessaire.
Dans les autres cas, je suis loin d'être convaincu qu'il était approprié de le faire et je ne proposerais pas de modifier le droit criminel afin de créer des exceptions qui ne sont probablement pas nécessaires, notre droit étant clair à cet égard.
J'invite les membres du comité et en particulier nos amis de la section de la recherche à consulter l'affaire Thatcher de la Cour suprême quant à la portée des articles 21 et 22 et à la reconnaissance qu'il n'est pas nécessaire en droit de rattacher cette notion spécifiquement à chaque infraction qui est créée.
Il s'agissait d'une réponse qui était beaucoup trop longue, mais j'espère qu'elle a su vous éclairer et qu'elle nous permettra d'entamer la discussion.
[Traduction]
La présidente: Je vous remercie. Voilà ce que j'appelle une réponse détaillée.
Monsieur Ramsay, dix minutes.
M. Ramsay (Crowfoot): Madame la présidente, après cette réponse, j'hésite à poser une autre question.
M. Roy: Je m'excuse, monsieur Ramsay.
M. Ramsay: Très bien.
Madame la présidente, notre caucus appuiera ce projet de loi. Il nous inspire certaines réserves et nous aimerions pouvoir y apporter des amendements si nous le pouvions, mais dans l'ensemble nous l'appuierons.
Cependant, j'ai pris connaissance de l'analyse du projet de loi faite par Mary Hurley de la Bibliothèque du Parlement et elle soulève certaines questions très intéressantes à propos de ce projet de loi. Je me demande si le ministère de la Justice a une copie de cette analyse.
M. Roy: Non, nous n'en avons pas, monsieur Ramsay.
M. Ramsay: Très rapidement, cette analyse souligne qu'en 1988, le Code criminel a été modifié pour que le fait d'acheter ou de tenter d'acheter les services sexuels d'une personne de moins de 18 ans devienne un acte criminel. Sept ans plus tard, le groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur la prostitution a constaté que ces dispositions n'avaient pas réussi à faire traduire en justice les clients et les proxénètes des jeunes qui se livrent à la prostitution.
Certaines questions y sont énumérées que je trouve intéressantes. Avez-vous des données sur le nombre d'accusations portées en vertu des différentes dispositions du Code criminel relatives au proxénétisme en matière de prostitution chez les enfants? Quel est le taux de condamnations? Quel est l'éventail des peines imposées? À quoi attribuez-vous les difficultés qu'on éprouve actuellement à faire appliquer les dispositions existantes en matière de prostitution chez les enfants?
En ce qui concerne l'imposition d'une peine minimale, les dispositions actuelles du Code criminel interdisent de vivre des produits de la prostitution d'un mineur et imposent une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à 14 ans à quiconque est reconnu coupable de cette infraction.
L'une des modifications proposées par le projet de loi C-27 prévoit l'imposition d'une peine minimale obligatoire aux proxénètes d'enfants prostitués reconnus coupables de proxénétisme grave. L'infraction proposée exigera que l'on prouve au-delà de tout doute raisonnable, non seulement que l'accusé a vécu des produits de la prostitution, mais qu'il a aidé ou forcé un mineur à se prostituer et qu'il a usé de violence ou d'intimidation, ou tenté de le faire, à son égard.
La question posée est très évidente. Pourquoi le ministère de la Justice ne concentre-t-il pas ses énergies sur l'amélioration de l'application des dispositions existantes en matière de prostitution chez les enfants plutôt que de créer une nouvelle infraction?
Ces questions me font craindre que nous soyons en train de créer de nouvelles infractions en vertu du Code criminel qui risquent de n'être jamais appliquées. En ce qui concerne le tourisme sexuel impliquant des enfants: même si tout le monde appuie ce genre de dispositions, comment les mettrons-nous en application? Le Code criminel renferme à l'heure actuelle des dispositions qui sont rarement, sinon jamais, appliquées.
Est-ce donc ce que nous sommes en train de faire? Sommes-nous en train d'allonger cette liste au moyen du projet de loi C-27? La partie du projet de loi qui traite de la mutilation des organes génitaux féminins soulève la même question. Il s'agit d'une pratique cachée. La question qui est posée à ce sujet, c'est combien de gens ont été poursuivis jusqu'à présent en rapport avec cette pratique et combien le seront? Cette pratique, aussi répréhensible soit-elle, est-elle répandue?
Bien entendu, je considère que nous sommes en train de déclarer illégale une pratique dont l'origine peut être culturelle ou religieuse et que nous autorisons, par nos politiques d'immigration, ceux qui pratiquent ces coutumes à venir s'établir au Canada. Nous sommes maintenant en train de leur dire, par ce projet de loi, que le maintien de ces coutumes, aussi répréhensibles soient-elles pour vous et moi, constitue une infraction criminelle.
Ici encore, sommes-nous en train de créer une loi...? Oui, c'est un avertissement. Il ne faut pas aller en Thaïlande pour y rechercher les services sexuels d'enfants, sinon vous risquez des poursuites. Comment ferons-nous enquête sur ce genre de situation? Comment recueillerons-nous les preuves qui nous permettront de poursuivre une personne qui est allée dans ces pays pour s'y livrer à ce genre de pratiques? C'est la question que soulève ce document à mon avis.
Je suppose que l'essentiel, effectivement, consiste à faire tout ce que nous pouvons. Mais lorsque les lois en vigueur contre la prostitution des enfants n'ont rien changé et que l'ampleur du phénomène témoigne de l'échec de la lutte contre ce fléau qui sévit dans notre société, est-ce qu'on ne se trouve pas simplement à multiplier des lois difficiles à appliquer, parce qu'elles ne permettent pas à la police et à la Couronne d'obtenir suffisamment de preuves pour intenter des poursuites efficaces, ou simplement parce que nous n'avons ni les ressources, ni peut-être la volonté de les appliquer?
M. Roy: Parlons d'abord de la prostitution des enfants. L'intention du ministre de la Justice n'est sûrement pas de créer des dispositions difficiles à appliquer. Avec tout le respect que je vous dois, nous estimons que les modifications proposées par ce projet de loi rendent désormais applicables des dispositions qui ne l'étaient pas.
Selon la police qui essaie de combattre la prostitution des enfants, le principal problème auquel elle se heurte consiste à parvenir à convaincre l'enfant prostitué de témoigner contre son proxénète. Il refuse tout simplement de témoigner. Si vous examinez les dispositions prévues par le code à l'heure actuelle, vous constaterez que pour faire condamner quelqu'un, il faut prouver que la personne qui essaie d'obtenir les services de ce jeune prostitué sait que le prostitué a moins de 18 ans. Ce projet de loi vise donc à essayer de remédier à ces problèmes: tout d'abord à faire appliquer cette disposition dans la rue et deuxièmement à attraper les proxénètes qui exploitent de jeunes prostituées.
De quelle façon procéderons-nous? Tout d'abord, les modifications proposées par le projet de loi prévoient que quiconque tente d'obtenir les services sexuels d'une personne en croyant qu'elle est âgée de moins de 18 ans sera trouvé coupable de l'infraction. Quel est l'objet de cette mesure? Elle vise à permettre à la police d'utiliser comme appâts pour tâcher d'attirer des clients vers ces prostitués des policiers ou des policières âgés de plus de 18 ans. À l'heure actuelle, si vous utilisez un policier ou une policière, il n'y aura tout simplement pas d'infraction puisque la personne n'est pas un enfant de moins de 18 ans.
Supposons que je suis un client éventuel et que j'aborde quelqu'un pour savoir s'il est possible d'obtenir les services sexuels de cette personne âgée de moins de 18 ans. Si la personne n'a pas moins de 18 ans, il n'y a pas d'infraction. Il est donc impossible pour un policier de faire appliquer cette disposition parce qu'il a besoin d'un moyen pour donner suite à ce genre de situation et pour l'instant c'est impossible. Par conséquent, la disposition qui se trouve à la page 4 du projet de loi précise «les services sexuels d'une personne qui est âgée de moins de 18 ans ou qu'il croit telle». Cela permettra désormais à la police d'utiliser comme appâts, dans la rue, des jeunes hommes et des jeunes femmes qui se font passer pour des prostitués de manière à pouvoir attraper quiconque les aborde pour obtenir les services d'une ou d'un prostitué de moins de 18 ans.
C'est le premier point. Le deuxième point concerne les proxénètes mêmes. Ici encore, en vertu des dispositions actuelles, il est extrêmement difficile de faire témoigner ces jeunes. On propose donc un certain nombre de moyens qui leur permettront de témoigner sans être confrontés avec leur proxénète et une fois que ces proxénètes auront été appréhendés, ils se verront infliger une peine extrêmement sévère. On prévoit une peine minimale de cinq ans d'emprisonnement lorsqu'il y a eu violence et lorsque le jeune prostitué a été exploité à des fins commerciales.
Donc, d'une part le ministre veut mettre à la disposition de la police des moyens de faire appliquer le code, ce qui à l'heure actuelle est extrêmement difficile parce qu'ils ne peuvent pas utiliser d'appâts et d'autre part il veut doter le tribunal de moyens qui permettront à ces jeunes prostitués de témoigner sans être confrontés avec leur proxénète. Au bout du compte, une fois que ces types seront pris sur le fait et reconnus coupables d'user de violence et d'exploiter de jeunes prostitués à des fins commerciales, ils seront emprisonnés pendant très longtemps.
C'est pourquoi nous estimons que ces propositions rendent ce phénomène... facilitent beaucoup l'application de la loi pour la police. Il est à espérer que ce projet de loi sera appuyé par tous puisqu'il donne à la police les outils qui lui font défaut à l'heure actuelle.
Pour ce qui est des statistiques, je cède la parole à mes collègues qui auront peut-être quelque chose à ajouter à ma présentation.
Mme Elissa Lieff (avocate-conseil, Politiques de droit pénal, ministère de la Justice): Au ministère de la Justice, nous ne recueillons pas de statistiques sur le nombre d'accusations portées en vertu de ces dispositions mais nous avons participé à un processus de consultation fédéral-provincial-territorial où nous avons discuté du nombre d'accusations portées, particulièrement en vertu de l'article 212. Il est clair que certaines provinces parviennent mieux que d'autres à porter des accusations et à traiter ce genre de cas, ce qui explique en partie pourquoi on nous a demandé de nous pencher sur ce problème.
En ce qui concerne le tourisme sexuel impliquant les enfants et le rassemblement de preuves, il est évident que les causes où il s'avérera nécessaire de rassembler une partie des preuves à l'étranger coûteront cher. Nous savons, toutefois, qu'il y a des Canadiens qui se livrent à ce genre d'activités. Nous en avons été informés par les fonctionnaires de Revenu Canada et à la réunion de Stockholm. Certains délégués nous ont dit que des Canadiens s'adonnaient à ce genre d'activités dans leur pays. Nous savons donc que cela existe.
La présidente: Monsieur Gallaway.
M. Gallaway (Sarnia - Lambton): Je n'ai que quelques questions à poser, madame la présidente.
D'abord, outre l'article 212 du Code criminel et des dispositions qui traitent des actes de piraterie, avons-nous d'autres lois pénales qui peuvent être appliquées à l'étranger?
M. Roy: La plus importante est celle qui traite des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Ces dispositions figurent à l'article 7 du Code criminel. Toute personne qui commet un crime contre l'humanité, selon la définition utilisée en droit international, ou un crime de guerre, peu importe l'endroit où ce crime a été perpétré, peut faire l'objet de poursuites au Canada.
L'article 6 du Code criminel dispose que des poursuites peuvent être intentées au Canada contre toute personne qui commet un crime au Canada. Ce n'est que dans des cas exceptionnels que le Parlement exercera sa compétence et donnera aux tribunaux le pouvoir d'intenter des poursuites contre une personne qui commet un crime à l'étranger.
Dans le cas qui nous intéresse, soit le tourisme sexuel, il y a un consensus qui se dégage en droit international. Le Canada ne proposerait sans doute pas un projet de loi comme celui-ci si ce consensus n'existait pas. La règle veut que seuls les crimes commis ici soient jugés au Canada.
En ce qui concerne le droit international, on s'entend pour dire que les pays devraient être en mesure d'intenter des poursuites contre leurs propres ressortissants qui se livrent au tourisme sexuel impliquant des enfants. Par ressortissants, j'entends les personnes qui ont la citoyenneté canadienne. Le projet de loi prévoit étendre cette notion aux résidents permanents qui, en fait, sont des citoyens de ce pays, même s'ils n'ont pas droit à tous les privilèges que leur confère la citoyenneté canadienne. Ils résident ici et agissent comme des Canadiens. Les citoyens canadiens ou les résidents permanents qui se rendent à l'étranger et qui commettent ce genre d'infraction seront poursuivis au Canada pour le crime commis à l'étranger.
Les exemples sont plutôt rares. Je vous ai parlé des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre. Certaines infractions à la Loi sur l'immigration ont un champ d'application extraterritorial.
La présidente: Certaines dispositions de la Loi sur l'immigration et de la Loi sur la citoyenneté ont une application extraterritoriale. Par exemple, toute personne qui utilise une carte de citoyenneté canadienne aux États-Unis commet une infraction. Cela arrive assez souvent à la frontière Détroit- Windsor; voilà pourquoi j'en sais quelque chose. Les gens utilisent le passeport canadien pour entrer aux États-Unis. Ils se font prendre, sont renvoyés ici et des accusations sont portées contre eux à Windsor, même si cela s'est passé à Détroit.
M. Gallaway: Certains témoins, venus discuter d'autres questions, ont affirmé... Le préambule du projet de loi est plutôt long. Au bas de la première page, il est question de ratifier la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, ce qu'a fait le Parlement précédent. Personne ne remet cela en question.
Quels sont les autres pays qui ont adopté des lois pénales identiques ou analogues à cette mesure-ci?
M. Roy: J'ai dit au début qu'il y en avait onze. Nous avons la liste ici. Madame Lieff pourrait peut-être vous la distribuer.
M. Gallaway: Ils ont adopté...
M. Roy: Des lois dont le champ d'application s'étend au-delà de leurs frontières.
M. Gallaway: Fait intéressant, certains membres du comité ont entrepris un examen de la Loi sur les jeunes contrevenants. L'âge légal y est fixé à 18 ans. Je ne connais rien là-dessus, mais qu'arriverait-il si l'âge légal dans un pays était fixé à 16 ans?
Une voix: Le nôtre est fixé à 14.
Mme Lieff: On étendrait le champ d'application de notre loi sur la prostitution, qui fixe l'âge légal à 18 ans.
M. Gallaway: Si l'âge légal dans un autre pays était fixé à 16 ans, vous vous trouveriez, dans un sens, à abroger les lois de ce pays, n'est-ce pas?
M. Roy: Les pays auxquels nous faisons allusion et où ce genre de chose pourrait se produire sont ceux qui considèrent l'exploitation sexuelle des enfants comme un crime, ce qui est le cas du Canada. Autrement dit, la prostitution enfantine est illégale mais, dans une certaine mesure, tolérée par les autorités dans ces pays, peu importe les raisons. Mais cela reste un crime. Ce n'est pas comme si cette pratique était considérée comme un crime seulement au Canada et pas ailleurs.
M. Gallaway: Je comprends, mais je vous pose une question précise. J'ai choisi le chiffre 16 au hasard. Est-ce que la prostitution impliquant des enfants âgés de 16 ans est considérée comme une pratique légale ou illégale dans certains pays?
Mme Lieff: L'âge légal diffère d'un pays à l'autre. Vous avez tout à fait raison. Ce que nous disons aux Canadiens, c'est ceci: voici ce que dit la loi canadienne. Si vous quittez le pays et que vous vous livrez à des activités jugées illégales au Canada, peu importe ce que dit la loi du pays où vous vous livrez à ces activités, si vous revenez au Canada, nous pouvons intenter des poursuites contre vous en vertu de la loi canadienne.
M. Gallaway: Comment allez-vous rassembler des preuves? Qui va être la partie plaignante? Qui va rassembler les preuves? Qui sera chargé de les présenter? Quels critères allez-vous utiliser pour recueillir des preuves qui seront jugées acceptables par les tribunaux canadiens?
M. Roy: Vous allez être confrontés aux mêmes problèmes auxquels nous sommes confrontés eu égard aux crimes de guerre, aux crimes contre l'humanité, où des poursuites peuvent être intentées pour des crimes commis à l'étranger.
À cet égard, lorsqu'il existe, par exemple, une conspiration pour commettre un crime et que cette conspiration prend place dans plusieurs pays, il faut pouvoir compter sur l'aide des autres pays pour rassembler des preuves.
Comment procédons-nous? Il y a deux possibilités. Soit les témoins sont ramenés au Canada pour donner leur témoignage, soit le Canada envoie des commissions rogatoires à l'étranger - c'est-à- dire un juge, un procureur de la défense, des procureurs de la couronne - pour interroger les témoins et recueillir les preuves qui seront entendues par un tribunal canadien. C'est ce que fait le Canada dans les causes de ce genre depuis un bon moment déjà.
Est-ce que cette façon de procéder simplifie les choses? La réponse est non. Absolument pas. Est-ce qu'elle les complique? Oui. Qui sera chargé d'intenter des poursuites dans ces cas? Le procureur général de la province.
Enfin, vous voulez savoir qui sera la partie plaignante. Au Canada, il n'est pas nécessaire d'avoir un plaignant pour engager des poursuites. Toutefois, les autorités canadiennes sont informées de ces cas et elles auraient le droit d'intenter des poursuites une fois l'enquête terminée.
Ce que nous espérons, cependant, c'est que le projet de loi ait un effet dissuasif et qu'il transmette le message suivant: si vous vous livrez à des activités sexuelles avec des enfants à l'étranger, ne revenez pas au Canada avec l'idée que vous ne ferez pas l'objet de poursuites, que les autorités des Philippines n'intenteront pas des poursuites contre vous, que vous serez à l'abri au Canada. Nous trouverons un moyen d'intenter des poursuites contre ces personnes.
M. Gallaway: S'agit-il d'un problème grave?
Mme Lieff: Le problème existe au Canada et prend de l'ampleur. Certains des témoins comparaissant devant le comité seront en mesure de vous donner des renseignements sur certains cas, des renseignements qui démontreront comment le problème est porté à l'attention des autorités.
Je peux vous dire que, grâce à nos lois sur la pornographie infantile, il est arrivé que des fonctionnaires travaillant pour Revenu Canada, ou des policiers dans diverses régions, tombent sur une personne qui avait en sa possession du matériel pornographique mettant en cause des enfants. Ils ont été en mesure de porter des accusations contre elle ou, comme l'ont fait les fonctionnaires des Douanes, de saisir le matériel pornographique en cause. Ils se sont rendu compte, en examinant le matériel, que cette personne se livrait au tourisme sexuel impliquant des enfants.
M. Gallaway: Merci.
La présidente: Merci.
Madame Torsney, vous avez une minute environ.
Mme Torsney (Burlington): Merci.
Monsieur Roy, vous avez soulevé un point fort important, peut- être par inadvertance, concernant le tourisme sexuel. Le projet de loi autorise l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales. Certains membres du comité veulent proposer un amendement pour que toute forme d'exploitation sexuelle mettant en cause des enfants fasse l'objet de poursuites.
Qu'en pense le ministère?
M. Roy: Je ne sais pas si c'est M. Gallaway qui a posé les questions et qui a, par inadvertance, expliqué pourquoi il fallait limiter le projet de loi à certains types de comportement. C'était peut-être une erreur de sa part, mais voici ce que j'en pense.
Premièrement, il faut qu'il y ait un consensus à l'échelle internationale pour que ce genre d'activité soit reconnu comme un «crime international».
Deuxièmement, il est difficile d'intenter des poursuites dans ces cas. Ce que vous proposez, si je ne m'abuse, c'est que l'exploitation sexuelle d'enfants canadiens ou l'exploitation sexuelle d'enfants par des adultes canadiens fasse l'objet de poursuites au Canada.
En règle générale, lorsque ce genre d'activité se produit à l'étranger, le Canada procède à l'extradition des personnes pour qu'elles puissent être jugées dans le pays où le crime a été commis. Si le Canada intentait des poursuites contre chacune de ces personnes, cela coûterait très cher, parce qu'il faudrait rassembler des preuves à l'étranger et ensuite poursuivre la personne au Canada pour un crime commis à l'étranger.
Comme la plupart d'entre vous le savent, nos tribunaux sont déjà surchargés. S'il fallait, en plus, qu'ils s'occupent de ces cas, je ne sais pas où ils trouveraient les ressources pour le faire. Il faut qu'il y ait un consensus à l'échelle internationale. Je ne crois pas qu'il existe pour l'instant.
Troisièmement, il y a le problème du rassemblement des preuves.
Quatrièmement, il y a la question des mécanismes utilisés. À l'heure actuelle, nous avons recours à l'extradition. Au bout du compte, tout dépend des ressources dont nous disposons et qui, comme vous le savez tous, sont plutôt rares, tant du côté des procureurs que des tribunaux.
Mme Torsney: Madame la présidente, j'aurai peut-être d'autres questions à poser plus tard.
La présidente: Très bien.
Monsieur Bellehumeur.
[Français]
M. Bellehumeur (Berthier - Montcalm): Monsieur Roy, j'essaie de comprendre. Aujourd'hui, c'est le vide juridique du ministre de la Justice. Vous dites qu'en vertu de l'article 268, on pourrait poursuivre quelqu'un qui pratique l'excision, l'infibulation, la mutilation totale ou partielle ou toute autre chose du genre.
M. Roy: Oui.
M. Bellehumeur: Nous pourrions poursuivre en affirmant qu'en vertu de l'article 268, on considère que ce sont des voies de fait graves.
M. Roy: Oui.
M. Bellehumeur: Selon l'arrêt Jobidon que vous citiez plus tôt, est-il exact que nous ne pouvons pas consentir à faire commettre des voies de fait graves?
M. Roy: Ce n'est pas ce que dit l'arrêt Jobidon. Je vous en lis un extrait:
- La limite que requiert l'application de l'art. 265 invalide le consentement entre adultes à
l'utilisation intentionnelle de la force pour s'infliger mutuellement des blessures graves ou de
sérieuses lésions corporelles au cours d'une rixe ou d'une bagarre à coups de poing.
C'est exactement la limite que fixe la cour.
M. Bellehumeur: C'est ça.
M. Roy: Elle précise que dans le cadre d'une bagarre, vous ne pouvez pas vous imposer des lésions corporelles qui seraient autres que des lésions mineures. C'est ce que la cour dit.
M. Bellehumeur: On ne peut donc plus donner son consentement quand la situation devient tellement grave que des voies de fait graves sont commises. Je reviens à l'article 268. On considère à l'heure actuelle l'excision et tous les autres actes que j'énumérais un peu plus tôt comme des voies de faits graves. C'est toujours ça?
M. Roy: Oui.
M. Bellehumeur: Aujourd'hui, on constate qu'une personne a fait une excision sur une jeune femme de 19 ans. Selon la compréhension que j'ai de l'arrêt Jobidon, la jeune femme ne pourrait pas donner son consentement à des lésions corporelles graves ou à des voies de fait graves.
Si la jeune femme ne peut pas aujourd'hui donner son consentement à des voies de fait graves en vertu de l'article 268 et qu'on considère l'excision comme étant une voie de fait grave, on pourrait aujourd'hui poursuivre la personne qui l'a commise.
Si j'ai bien compris les amendements proposés, on définit l'excision de façon très précise et, de plus, le paragraphe (4) permet un consentement auquel, selon mon humble interprétation de l'arrêt Jobidon, nous n'avons pas recours aujourd'hui. Ce n'est pas facile.
M. Roy: Vous posez là, à mon avis, la question. Si nous ne modifions pas l'article 268 tel que le propose le projet de loi C-27, quelle sera notre situation? Le procureur de la Couronne pourrait porter une accusation en vertu de l'article 268, mais il serait confronté à la question de savoir si l'enfant ou la femme d'âge adulte a pu donner son consentement valide.
Sur la base de la common law, comme le reconnaissent les arrêts Jobidon et Welch, pourquoi est-ce ainsi? C'est parce que la définition de l'acte de blesser quelqu'un, telle qu'elle figure présentement à l'article 268, est extrêmement vaste.
En fait, dans la définition donnée au mot wound ou maim dans la version anglaise dans les grands textbooks comme le Black's Law Dictionnary et Words and Phrases - je suis certain que vous les connaissez bien - , on nous dit qu'il suffit de briser la peau, le derme pour qu'il y ait wound ou maim.
Si tel est le cas, dans le contexte de l'excision dont on parle, il n'est pas certain que l'arrêt Jobidon empêcherait qu'il puisse y avoir le type d'intervention mineure dont on parle. C'est de ce problème-là qu'on traite dans les amendements proposés qui, afin de protéger l'enfant de moins de 18 ans, que l'intervention soit à caractère mineur ou majeur, vous empêchent de la faire.
Nous sommes donc obligés de créer l'exception qui s'interprétera au cas par cas, de manière à déterminer où se situe la ligne.
M. Bellehumeur: Nous n'avons peut-être pas de cas particuliers d'excision. Prenons l'exemple d'un travailleur de 33 ans qui est fatigué de travailler et se dit que s'il avait un petit accident du travail, il pourrait se payer quelque chose. Il s'arrange avec son chum pour se faire couper un doigt. Est-ce que je me trompe en disant qu'en vertu de l'article 268, la personne qui va me couper le doigt va se faire poursuivre?
M. Roy: Il y a même de la jurisprudence à cet égard.
M. Bellehumeur: Revenons à l'excision. Quelle est la différence entre une personne à qui on coupe doigt et la personne à qui on coupe le clitoris, les petites ou les grandes lèvres? Notre personne a toujours 33 ans.
M. Roy: Le problème, c'est que ce que nous avons dans le texte de loi se lit de la manière suivante. Il demeure entendu que l'excision partielle des petites lèvres d'une femme constitue une blessure. J'ai retiré les autres mots qui sont dans la disposition pour faire image.
Il n'est pas nécessaire que l'excision soit de l'ordre de celle dont vous parlez pour qu'elle soit couverte par l'article 268 tel qu'il est actuellement rédigé.
Vous me parlez du cas d'une excision qui serait faite en utilisant un tesson de bouteille.
M. Bellehumeur: Non, non, non.
M. Roy: C'est évident qu'on ne peut pas permettre cela.
M. Bellehumeur: Monsieur Roy, vous ne répondez pas à ma question. Mon exemple est celui d'une personne de 33 ans. Se faire couper un doigt, elle ne le peut pas. C'est clairement illégal. Mais s'il s'était agi du clitoris, des petites ou des grandes lèvres, elle aurait peut-être pu donner son consentement. Mais la personne qui se fait couper le doigt pourrait aussi dire qu'elle consent à ce qu'on lui coupe le doigt.
Si une jeune femme dit qu'elle donne son consentement pour ce qu'on lui coupe les grandes lèvres, les petites lèvres et le clitoris, où est la différence? Pour le doigt, il est dit que c'est illégal et le message est transmis: tu ne peux pas mutiler autrui et tu ne peux pas te faire mutiler. Mais, subitement, parce qu'il s'agit de parties plus intimes, un petit peu intimes, on ne peut plus faire quoi que ce soit si une femme de 18, 19, 20 ou 33 ans donne son consentement.
Je vous dis qu'il faut transmettre un message et donner une éducation. C'est clair, net et précis. Comme on a démontré par l'éducation qu'on ne peut se couper un doigt ou se mutiler, je pense qu'il faut le faire également par rapport à ce projet de loi à l'intention des jeunes femmes.
Qu'on ait 18 ans ou 16 ans, c'est une mutilation quand même. On ne devrait pas permettre ce type de mutilation au même titre qu'on ne permet pas la mutilation d'un doigt ou même d'une partie plus petite. Comme vous l'avez dit vous-même, il existe une jurisprudence très détaillée dans ce domaine.
M. Roy: Je suis tenté de vous répondre d'une façon jésuitique en vous posant une question en retour, avec votre permission.
Prenons la femme qui déciderait de porter un anneau. Selon ma lecture...
M. Bellehumeur: Porter un anneau n'a pas...
[Traduction]
La présidente: Monsieur Bellehumeur, vous avez parlé pendant neuf minutes environ. Laissez-le répondre à la question.
[Français]
M. Roy: Dans le cas de cette personne, je crois qu'on pourrait soutenir, et que l'argument pourrait être accepté, que c'est couvert par le paragraphe (3) tel qu'il est actuellement libellé, parce que la définition est extrêmement large. Cela constitue une forme de mutilation. C'est la raison pour laquelle vous avez le paragraphe (4). C'est simplement pour cela.
M. Bellehumeur: Les amendements que vous proposez semblent plus permissifs que l'arrêt Jobidon, si vous dites que cette infraction existe déjà.
Je m'en tiens à vos paroles et à la logique que vous avez défendue jusqu'à maintenant.
[Traduction]
La présidente: Nous avons largement dépassé le temps alloué.
Madame Torsney, n'oubliez pas que M. Telegdi souhaite lui aussi poser des questions.
Mme Torsney: Je voudrais tout simplement revenir à la question de l'exploitation sexuelle à des fins commerciales et non commerciales. Vous savez que nous faisons allusion à un cas précis, où deux Canadiens se sont livrés à des activités dans un pays tiers. Ce pays a adopté une loi sur la prescription applicable aux poursuites, loi qui n'existe pas au Canada.
Donc, parfois, il n'est pas tellement difficile de rassembler des preuves. Or, il y a des Canadiens qui sont privés de justice. J'ai beaucoup de difficulté à accepter cela.
Je comprends tous ces arguments que vous invoquez concernant l'extraterritorialité, le consensus international, ainsi de suite, mais nous avons ici une victime qui n'a pas obtenu justice. Nous avons un Canadien qui est accusé d'avoir commis un crime, mais qui n'aura jamais droit à un procès juste. Il n'y a pas eu échange d'argent ou de faveurs. C'est une situation très difficile.
M. Roy: Pour dire les choses crûment, je pense que notre système - et c'est ce que dit le paragraphe 6(2) du Code - vous permet d'obtenir justice au Canada lorsque vous commettez un crime ici. Si vous commettez un crime à l'étranger, il revient à l'autre pays de s'occuper du dossier. Nous sommes prêts - et ce n'est pas nécessairement le cas pour chacun des pays - à extrader nos propres ressortissants vers le pays requérant afin qu'ils soient jugés dans ce pays.
Vous dites qu'il y a des Canadiens ici qui vont se retrouver en quelque sorte dans un vide à cause de ce qui leur est arrivé à l'étranger et de l'inaction des autorités étrangères. Mais il faut tenir compte du système, de la façon dont il fonctionne et des ressources que nous pouvons consacrer à ces cas. L'Allemagne par exemple refuse d'extrader ses propres ressortissants, mais se dit prête à intenter des poursuites contre ceux-ci là où ils ont commis leur crime. Ce qui veut dire aussi qu'elle ne cherchera pas à faire juger des causes dans d'autres pays. Tout se fait en Allemagne. Ce pays a recours à des mécanismes très différents pour recueillir des renseignements et des preuves.
Notre système de justice fonctionne différemment. Si le crime est commis à l'intérieur des limites de notre pays, très bien. Autrement, nous vous enverrons nos ressortissants pour qu'ils soient jugés dans votre pays. Cela ne nous pose aucun problème, puisque nos règles de preuves et notre système sont ainsi conçus. Donc, si vous essayez d'élargir notre champ de compétence en disant, «parce que l'infraction a été commise à l'étranger et que cette personne ne fera pas l'objet de poursuites, nous devons être en mesure de faire quelque chose ici», vous changez en quelque sorte les règles du jeu. Ce qui complique les choses pour les gens comme moi qui connaissent bien le système et qui savent à quel point il est difficile d'obtenir des ressources pour juger les crimes commis ailleurs, en appliquant les lois qui ont été élaborées ici. Voilà comment nous réagissons aux suggestions de ce genre.
Mme Lieff souhaiterait ajouter quelque chose.
Mme Lieff: Je voulais tout simplement dire que, M. Roy a soulevé plusieurs points à ce sujet, mais il ne faut pas oublier que le Canada s'oppose souvent à ce que d'autres pays étendent le champ d'application territorial de leurs lois.
Si nous prenons des mesures pour étendre l'application de nos propres lois en l'absence de consensus international, nous risquons de faire nous même ce que nous interdisons à d'autres pays de faire.
Mme Torsney: Lorsqu'il est question des enfants, c'est plus difficile.
Le deuxième point que je souhaite soulever est le suivant: certaines personnes croient que ce projet de loi devrait également s'appliquer au tourisme rose. Pourquoi cette pratique n'est-elle pas visée par le projet de loi? Je connais la réponse, mais je crois qu'il serait bon qu'on l'enregistre par écrit.
M. Roy: À notre avis, l'article 212, si vous jetez un coup d'oeil aux alinéas (1)(a) et (g), englobe déjà ce genre d'activité, si elle se déroule au Canada. On peut pousser la chose plus loin et dire que si quelqu'un commet cette infraction à l'étranger et que le voyagiste est pleinement conscient de ce qui se passe, on peut juger que ce dernier aide ou encourage quelqu'un à commettre une infraction, ce qui nous ramène aux articles 21 et 22 du Code. Donc, ces deux articles, de même que les alinéas 212(1)a) et g), pourraient très bien s'appliquer aux situations de ce genre. Si cette infraction était commise ici, on pourrait intenter des poursuites.
Mme Torsney: Y en a-t-il eu au Canada?
M. Roy: Pas que je sache.
Mme Torsney: De tels crimes ne sont peut-être pas commis au Canada. Pourtant, j'en doute.
M. Roy: D'après les renseignements dont je dispose - je ne sais pas ce qu'il en est de mes collègues ici présents - , ces forfaits sont surtout organisés à l'étranger. Si un Canadien part d'une ville des États-Unis parce qu'il y a là-bas un voyagiste, ce ne serait pas considéré comme un crime ici. Soyons clairs: il y a crime uniquement si le voyage est organisé à partir d'ici.
La présidente: Monsieur Ramsay, vous avez la parole, puis ce sera au tour de M. Telegdi.
M. Ramsay: Merci, madame la présidente. Je souhaite seulement renchérir sur ce que disait M. Gallaway.
Tout d'abord, vous avez précisé que les poursuites et les peines sont des moyens de dissuasion, ce qui, naturellement, n'a pas été un message très constant de votre ministère dans d'autres projets de loi. Je suis heureux de constater qu'on s'en sert, ici du moins, comme moyens de dissuasion.
J'aimerais en savoir davantage au sujet des ressources affectées à l'exécution de la partie du projet de loi qui concerne le tourisme sexuel impliquant des enfants. Il appartiendra aux provinces de faire respecter ces dispositions. Des accords financiers seront-ils conclus entre les provinces, les territoires et le gouvernement fédéral afin de payer l'exécution de cette partie du projet de loi?
M. Roy: Le délit tombe sous le coup du Code criminel. Comme vous le savez fort bien, ce sont les procureurs généraux des provinces qui poursuivent ceux qui commettent des crimes en vertu du Code. Rien n'est prévu pour, entre autres, affecter plus de ressources au bureau des procureurs généraux des provinces, car la responsabilité de faire respecter le code leur revient déjà.
Les procureurs généraux des provinces sont conscients du projet d'élargir la compétence des tribunaux canadiens à ce genre de crime depuis fort longtemps. Je n'ai rien vu ni rien entendu qui laisse croire qu'ils prévoient avoir besoin de tant de ressources additionnelles qu'il faille en faire la demande au gouvernement fédéral.
M. Ramsay: Des gouvernements provinciaux ont-ils indiqué au gouvernement fédéral qu'ils étaient disposés à faire respecter cette disposition du projet de loi C-27, ce qui signifie qu'ils auraient à réunir des preuves à l'étranger, là où des Canadiens adultes ont eu des relations sexuelles avec des enfants de moins de 18 ans?
Pareille tâche sera coûteuse et absorbera beaucoup de temps. Une province ou un procureur général du Canada a-t-il indiqué au gouvernement fédéral, à votre ministère en particulier, qu'il est disposé à faire respecter cette partie du projet de loi?
M. Roy: Je consulte mes deux collègues. Que je sache, les provinces ne nous ont pas dit qu'elles ne feraient pas respecter ces dispositions. En fait, monsieur Ramsay, les provinces ont l'habitude d'aller à l'étranger pour réunir des preuves dans certaines affaires. Par contre, je n'ai pas vu de document dans lequel une province s'engage à le faire.
À mon avis, leur silence signifie qu'une telle tâche relève de la responsabilité générale que leur confie le code en matière d'administration de la justice et qu'elles sont probablement disposées à le faire, lorsqu'il y a lieu. Rien ne permet de croire à du ressentiment de la part des provinces, ni qu'elles n'appliqueront pas les dispositions.
M. Ramsay: À quel point ont-elles été consultées en ce qui concerne cette partie du projet de loi C-27?
M. Roy: Des consultations se tiennent depuis des mois entre hauts fonctionnaires, sous-ministres et, à moins de faire erreur, ministres.
M. Ramsay: Le facteur coût a-t-il été abordé?
M. Roy: Pas que je sache.
La présidente: Monsieur Telegdi, notre comité vous souhaite la bienvenue.
M. Telegdi (Waterloo): Madame la présidente, je vous remercie.
La présidente: Vous disposez de cinq minutes.
M. Telegdi: Le point soulevé par M. Gallaway me préoccupe. La loi a pour objet d'interdire des agissements qui répugnent aux Canadiens. Si vous vous arrêtez à cette partie de la loi, vous perdez de vue l'objectif. L'idée n'est pas de sévir contre des Canadiens à l'étranger qui n'enfreignent pas les lois de ces autres pays, mais bien de les inciter à les respecter. On a toujours su qu'il pourrait y avoir un pépin. Il risque de provoquer une controverse tout à fait inutile.
L'autre partie du projet de loi qui me préoccupe est le fait qu'il faille se douter que la jeune personne n'a pas 18 ans. Soit qu'elle a 18 ans révolus, soit qu'elle ne les a pas! Cela me rappelle un peu les situations où il y a infraction mixte, par exemple possession de marijuana et, à un certain moment donné, possession aux fins de trafic. On passe alors d'une infraction punissable par procédure sommaire à un acte criminel.
Quand je vois un projet de loi qui laisse autant de latitude, la possibilité que la police détienne trop de pouvoirs me préoccupe toujours. Il pourrait y avoir des abus. Trop souvent, j'ai vu des causes de simple possession se retrouver devant les tribunaux parce qu'on accusait le délinquant de possession aux fins de trafic. Ces abus coûtent cher en temps et en taxes.
J'aimerais que votre ministère me dise si d'autres pays ont des lois analogues où il est question de ce que la personne croit. La preuve devient alors très difficile. Vous avez dit que, si vous-même, vous tentiez de vous procurer les services d'une prostituée et que vous tombiez sur une policière, elle serait en mesure de réunir des preuves contre vous. Je vois mal comment cela pourrait se produire dans la réalité. Lorsqu'il est question de ce qu'une personne croit ou ne croit pas, la situation est très épineuse et pourrait, je le répète, être contre-productive. J'aimerais à tout le moins obtenir de vous des renseignements sur les pays, les démocraties libres, qui ont une loi analogue.
M. Roy: Soyez assuré, monsieur, que nous essaierons de vous obtenir ces informations. Par contre, si vous le permettez, j'aimerais en revenir au problème initial. Il existe, dans le code, une disposition qui vise à protéger les enfants de moins de 18 ans de la prostitution. À tous égards, il est impossible de faire respecter cette disposition. Le milieu policier et ceux qui ont à coeur la protection de ces enfants nous disent donc qu'il faut faire quelque chose pour que l'on puisse faire respecter la disposition dont il est question: quelqu'un qui tente d'avoir des relations sexuelles avec un prostitué de moins de 18 ans.
Remontons un peu plus loin: le moyen choisi de le faire consiste à permettre aux policiers d'utiliser comme leurres des personnes de plus de 18 ans qui prétendent être plus jeunes - je crois que c'est facilement réalisable. Si nous pouvions faire cela et que la personne persistait à vouloir avoir des relations sexuelles avec la prostituée... Encore une fois, je me prends pour exemple. Je suis à la recherche d'une enfant de moins de 14 ans. Je rencontre une jeune fille qui prétend avoir moins de 14 ans. Le juge et le jury en déduiront que j'étais convaincu que cette personne avait moins de 18 ans. J'ai donc commis un crime.
D'après le libellé actuel du code, il n'est pas possible de faire appel à cette technique. Il faudrait faire appel à des personnes de moins de 18 ans, et je puis vous dire tout de suite que les policiers, avec raison selon moi, refusent catégoriquement de le faire. Ce n'est tout simplement pas correct. Il faut que la personne qui fait ce genre de travail, qui peut parfois être dangereux, soit un véritable policier ayant la formation voulue. C'est pourquoi la disposition est libellée comme elle l'est.
Toutefois, nous examinerons d'autres lois pour voir s'il y a des précédents.
M. Telegdi: Mais qu'arrive-t-il si vous, monsieur Roy, avez des fantasmes, par exemple d'avoir recours à une prostituée, quel que soit son âge. Elle pourrait avoir dans la quarantaine ou la cinquantaine. Si la prostituée porte un uniforme d'écolière, devrons-nous l'accuser en vertu de la loi? Faudra-t-il vous inculper pour fabulation?
M. Roy: Je me réjouis que ce soit moi que vous ayez pris comme exemple plutôt qu'un autre.
C'est la raison pour laquelle, en toute franchise, l'article est ainsi libellé. Nous l'avons estimé préférable à quelque chose du genre: «qui prétend avoir moins de 18 ans». Aux termes de pareil libellé, il y aurait eu acte criminel dans le scénario que vous venez de nous décrire alors que, dans le libellé projeté, il suffit que la personne se doute que l'autre a moins de 18 ans.
Le signal est clair: si vous croyez que la personne a moins de 18 ans, vous commettez un crime. C'est ce que nous disons ici. S'il s'agit simplement d'un fantasme, c'est-à-dire que la personne est habillée comme une enfant mais que vous ne croyez pas qu'elle a moins de 18 ans, il n'y a pas de crime. Prenez garde toutefois: si la personne est vêtue comme une jeune adulte et qu'elle a moins de 18 ans, vous commettez alors un crime.
La présidente: Je vous remercie.
Monsieur Telegdi, je vous remercie aussi.
Monsieur Bellehumeur.
[Français]
M. Bellehumeur: Monsieur Roy, en suivant la même logique que tout à l'heure, je voudrais éclaircir un point. Si je comprends bien, un médecin qui ampute un malade à cause de la présence d'un streptocoque ou pour toute autre raison, bien qu'il commette une voie de fait et même une voie de fait grave, en vertu de l'article 268, sera protégé par l'article 45 du Code criminel qui porte sur les opérations chirurgicales.
M. Roy: Pas nécessairement.
M. Bellehumeur: Pas nécessairement.
M. Roy: Pas nécessairement, parce que selon l'interprétation qu'on a faite de l'article 45, il s'applique aux situations d'urgence. Votre médecin sera protégé par le consentement qui a été obtenu, parce que c'est à des fins socialement utiles. C'est la distinction que Jobidon établit.
M. Bellehumeur: Donc, une femme qui souffre d'un cancer du clitoris ou des grandes lèvres et qui donne l'autorisation de se les faire amputer, dégage le médecin de sa responsabilité.
M. Roy: Absolument.
M. Bellehumeur: Bon. Dans le projet de loi, on parle explicitement de l'excision, mais on ajoute «sauf dans les cas d'opération chirurgicale». À quoi sert de le mentionner pour éviter un vide juridique si cela existe déjà dans le Code criminel? Ce n'est pas une infraction nouvelle qui est créée. Il y a toujours le consentement.
Après l'adoption du projet de loi tel quel, une femme autorise un médecin à lui enlever le clitoris à cause d'un cancer, de la présence d'un kyste, etc. Il s'agit d'un médecin reconnu compétent et l'opération est faite à des fins thérapeutiques et chirurgicales. À quoi sert la mention «sauf dans les cas d'opérations chirurgicales»? Pourquoi sent-on le besoin de l'ajouter au paragraphe (3) puisque la femme aura donné son consentement?
M. Roy: Prenons le cas d'une enfant de 5, 6, 7, 10 ans, enfin de moins de 18 ans. On dit au paragraphe (4) que cette enfant ne peut autoriser une telle opération. Or, si ni l'enfant ni sa famille ne peuvent donner cette autorisation, tel qu'il est ici prévu, le médecin ne peut procéder à l'opération. Il ne pourrait y avoir de consentement, valide ou non, puisque la loi l'interdirait. Donc, l'exception médicale est absolument nécessaire.
M. Bellehumeur: Êtes-vous en train de me dire qu'en vertu du Code criminel actuel, si un jeune enfant de 6, 7 ou 8 ans était frappé de la même maladie que Lucien Bouchard et que ses parents consentaient à ce qu'on lui coupe la jambe, ils pourraient, ainsi que le médecin, se faire poursuivre?
M. Roy: Non, parce qu'à l'heure actuelle, il n'existe pas de disposition qui interdise de donner le consentement.
M. Bellehumeur: Oui, mais il est interdit de faire couper un bras, une main ou quoi que ce soit. Selon l'article 268, ce sont des voies de fait grave.
M. Roy: Parce que, monsieur Bellehumeur, c'est fait à des fins sociales supérieures. Il s'agit de protéger la personne contre la maladie.
M. Bellehumeur: C'est la même chose pour un cancer des grandes ou des petites lèvres, du clitoris ou de n'importe quelle autre partie.
M. Roy: Pas à partir du moment où vous dites dans la loi que le consentement ne peut être donné. Comme le dit le dicton anglais: You can't eat your cake and have it. Vous ne pouvez pas dire, d'une part, qu'on n'a pas le droit de donner un consentement et, d'autre part, qu'on peut le donner. Telle que rédigée ici, la loi dit qu'il ne peut y avoir de consentement. L'exception médicale est donc rendue nécessaire, parce que le médecin est protégé contre une poursuite criminelle du fait qu'il a obtenu le consentement de quelqu'un alors que ce consentement-là ne peut pas être donné par un enfant.
M. Bellehumeur: Finalement, s'il y avait à l'heure actuelle un article de loi qui interdisait clairement de donner son autorisation à se faire démembrer, que ce soit dans le cas de M. Bouchard ou dans tout autre cas, il faudrait une disposition claire dans le Code criminel, sinon il n'y aurait pas de consentement possible.
M. Roy: Voilà! C'est exactement ce que je dis. À partir du moment où vous dites que ce consentement ne peut être accordé, il faut créer une exception à l'absence de consentement et c'est ce qui est fait ici.
M. Bellehumeur: C'est que la situation est vraiment grave. Alors, s'il y a un message à faire passer...
M. Roy: C'est ça.
M. Bellehumeur: C'est pour ça?
M. Roy: C'est exactement ça.
M. Bellehumeur: Est-ce que le message serait encore mieux compris, monsieur Roy, si on disait que c'est illégal au Canada à 16 ans, 18 ans ou 22 ans?
M. Roy: Monsieur Bellehumeur, je suis avocat.
M. Bellehumeur: C'est toujours avec le même...
M. Roy: J'essaie de vous expliquer ce que le ministre a voulu faire. Quand il s'agit de savoir si les messages passent mieux ailleurs et par d'autres moyens, ce n'est pas vraiment mon champ de compétence.
Laissez-moi seulement ajouter que lorsqu'on parle des adultes et de formes, dirons-nous, moins graves - je le dis en essayant d'être le plus sensible possible aux préoccupations des gens sur cette question - , il peut se poser un problème par rapport à la Charte d'un point de vue juridique. Sur ce plan, je peux vous conseiller.
Quant aux questions de messages qui sont transmis, je ne suis malheureusement pas la bonne personne, du moins dans le contexte dans lequel nous échangeons.
M. Bellehumeur: Monsieur Roy, vous m'avez répondu qu'il y avait un message. Vous m'avez répondu exactement: il y a un message.
M. Roy: C'est certain que la loi cherche toujours à faire passer un message. Il n'y a pas de doute là-dessus. Est-ce que ce message serait mieux rendu s'il n'y avait aucune exception à cela? Je ne suis pas en mesure de répondre, parce que ce n'est pas mon métier de le faire.
[Traduction]
La présidente: Merci, monsieur Bellehumeur.
Monsieur Rideout.
M. Rideout (Moncton): Je souhaite simplement parler de la partie des modifications qui porte sur le harcèlement criminel. Les modifications semblent viser surtout à changer la loi lorsqu'il y a meurtre. Toutefois, si les données statistiques sont exactes, le meurtre fait peut-être plus les manchettes, il n'est pas vraiment le crime le plus fréquent. Il nous est tous arrivé, j'en suis sûr, de rencontrer dans nos bureaux de circonscription des gens qui se plaignaient d'être traqués plutôt que d'avoir été menacés de meurtre. Pourquoi n'a-t-on pas essayé de rendre plus musclées d'autres dispositions de la loi relative au harcèlement criminel?
Ma deuxième question a trait au prononcé de la sentence et aux juges. Je vous pose la question, et vous pourrez y répondre rapidement. Vous pouvez peut-être m'expliquer le raisonnement suer lequel repose la modification. Pourriez-vous aussi me donner une idée de la raison pour laquelle nous n'avons peut-être pas accru la peine maximale dont rend passible le harcèlement criminel? Cela pourrait peut-être en dissuader certains.
M. Roy: Je commencerai par répondre à votre deuxième question. Rien ne prouve, à ce stade-ci, que la peine maximale prévue dans le code est insuffisante. C'est pourquoi on n'envisage pas de la modifier tout de suite. Elle pourrait cependant changer par la suite.
Pour ce qui est de votre première question, vous avez ici une tentative en vue de préciser clairement aux tribunaux quoi faire une fois qu'une personne est visée par une ordonnance aux termes de l'article 810 ou 810.1 du code. Nous savons tous ce qu'est un engagement de garder la paix. Si la personne ayant pris cet engagement continue de traquer sa victime, le juge qui prononce la sentence doit en tenir compte comme circonstance aggravante. Vous étiez averti. On vous avait dit de ne plus le faire. Vous l'avez quand même fait. Le Parlement ordonnerait aux tribunaux d'en tenir compte, et la sentence serait plus sévère qu'elle ne l'aurait été autrement.
C'est donc le signal envoyé au Parlement, et c'est ce que le ministère demande au Parlement de faire.
M. Rideout: Je vous remercie.
La présidente: C'est moi qui vous remercie.
La cloche devrait sonner incessamment. Je tiens cependant à vous demander si vous connaissez l'affaire Prober, à Winnipeg, et si vous êtes au courant de la requête qu'ont présentée Mme Prober et sa famille en vue de faire modifier le projet de loi à l'étude.
M. Roy: Oui, nous le sommes, madame la présidente.
La présidente: Pouvez-vous nous l'expliquer, c'est-à-dire nous décrire la raison pour laquelle cette modification ne figure pas dans le projet de loi?
M. Roy: Il en a été question lorsque nous avons essayé de répondre à certaines questions posées par Mme Torsney et M. Gallaway qui voulaient savoir pourquoi il ne conviendrait peut-être pas d'élargir encore plus la portée de la loi de manière à pouvoir l'appliquer à l'étranger. Par là, j'entends qu'en droit international, vous pouvez prendre des mesures extraterritoriales lorsqu'on s'entend sur la nécessité de prendre pareille mesure. Ce n'est pas le cas dans l'affaire Prober.
La présidente: Avez-vous abordé la question avec les fonctionnaires des Affaires extérieures?
M. Roy: Oui, je l'ai fait. Ils hésitent peut-être, du moins à l'occasion, à aller aussi loin que nous le proposions. Il leur répugnerait donc certainement d'aller encore plus loin.
La présidente: Serait-il utile, dans le cadre de l'examen du projet de loi, d'inviter des fonctionnaires des Affaires étrangères à venir nous en parler?
M. Roy: Ils pourront peut-être vous entretenir des relations étrangères en jeu dans ce dossier. Ils pourront peut-être aussi vous décrire des lois en vigueur aux États-Unis auxquelles nous sommes opposés et qu'il serait donc difficile d'adopter au Canada, car on nous accuserait alors de vouloir ménager la chèvre et le chou.
Ils seraient peut-être utiles à cet égard.
La présidente: Êtes-vous déjà allé à Windsor?
M. Roy: Non, mais un de mes collègues vient de cette ville.
La présidente: Je le sais.
Détroit n'est qu'à deux minutes de Windsor. Lorsque vous décidez d'aller prendre le déjeuner à Windsor, vous pouvez envisager d'aller manger dans n'importe quel restaurant de la grande région de Détroit. Bien des gens font des excursions à Détroit avec des enfants, et ainsi de suite.
Un groupe de victimes m'a informée d'incidents survenus où des personnes en charge d'enfants à Windsor les avaient emmenés à Détroit où elles les avaient sexuellement abusés. La police du Michigan est incapable de mener une enquête parce que tout le monde revient à Windsor, et la police de Windsor n'est pas plus en mesure d'enquêter parce que l'incident s'est produit à Détroit. Même si elle menait une enquête, elle ne pourrait pas porter d'accusations.
Or, si nous élargissions le champ d'application de la loi un tout petit peu, nous pourrions régler ce problème, n'est-ce pas?
M. Roy: J'ai de la difficulté à concevoir comment nous pourrions étendre notre juridiction un tout petit peu. Soit que nous l'étendons ou que nous ne le faisons pas! De plus, il faudrait le faire en fonction des crimes commis.
J'ai de la difficulté à croire ces groupes selon lesquels il n'est pas possible d'enquêter sur ces crimes, car nous avons en place avec les Américains un traité d'assistance juridique réciproque qui nous permet de le faire. Si, après avoir commis leur crime, les personnes reviennent au Canada, les Américains peuvent venir ici les interroger et, inversement, nous pouvons, nous aussi, le faire chez eux.
Il faut plutôt se demander si l'on veut vraiment enquêter sur tous ces crimes?
La présidente: Enfin, pouvez-vous simplement nous expliquer officiellement quels genres de voies de fait rendent passibles d'extradition du Canada aux États-Unis ou des États-Unis au Canada?
M. Roy: Selon le traité signé avec les Américains, si le crime est passible d'un an d'emprisonnement, on peut procéder à une extradition à condition qu'il y ait double criminalité, c'est-à-dire que le crime commis dans un pays soit aussi un crime dans l'autre.
Je puis vous assurer au moins une chose: les voies de fait perpétrées au Canada sont aussi des voies de fait aux États-Unis. Comme ces crimes rendent tous passibles de plus d'un an d'emprisonnement - en fait, de plus de deux - , toutes les personnes qui les commettent sont passibles d'extradition.
La présidente: Qui paye les frais d'extradition - le gouvernement fédéral ou le gouvernement provincial?
M. Roy: C'est en règle générale le gouvernement fédéral qui paye. Si nous extradons quelqu'un vers les États-Unis, il s'agira d'une affaire fédérale prise en charge par des procureurs fédéraux. Par contre, s'il s'agit d'une enquête menée au Canada sur un crime commis ailleurs, elle sera effectuée par les forces locales et les procureurs de la Couronne provinciaux.
Mme Torsney: Les États-Unis ont-ils la même loi de prescription que le Canada en ce qui concerne les agressions sexuelles commises contre des enfants?
La présidente: Il n'y a pas de loi de prescription au Canada.
Mme Torsney: Vous avez raison, mais y en a-t-il aux États-Unis?
M. Roy: Il n'y en a pas au Canada. Il y a une cinquantaine d'États aux États-Unis, et le droit pénal relève des États. Je serais incapable de vous répondre. Je l'ignore.
Mme Torsney: Dans l'affaire Prober, le gouvernement des îles a dit: «Désolé, mais il y a prescription; vous ne pouvez plus poursuivre». Au Canada, par contre, il n'y a pas de loi de prescription. Voilà un point important du dossier des relations canado-américaines, du moins en ce qui concerne les États frontaliers.
La présidente: Je souhaitais simplement le préciser, parce que ces questions seront posées.
La séance est levée.