[Enregistrement électronique]
Le lundi 7 octobre 1996
[Traduction]
La présidente: Nous sommes de retour.
Cet après-midi, à notre table ronde, nous accueillons Bill Erasmus, qui représente la Nation dénée, Peter Liske, avocat chargé du dossier de la justice pour la bande dénée de Yellowknife; Tom Eagle du Tree of Peace Friendship Centre; Mike Paulette, vice-président de la Nation métisse et Arlene Haché.
Madame Haché, quelle organisation représentez-vous?
Mme Arlene Haché (directrice exécutive, Centre des femmes de Yellowknife): Je représente le Centre des femmes de Yellowknife.
La présidente: Très bien.
Nous souhaitons la bienvenue à chacun d'entre vous. Nous avons reçu un très bon accueil dans le Nord et nous avons beaucoup à apprendre de vous. Je vois que vous avez tous des notes.
Oui, monsieur Paulette.
M. Mike Paulette (vice-président, Nation métisse): Excusez-moi, madame la présidente. S'il n'y a pas d'objection, j'aimerais inviter Shannon Cumming à la table. Shannon est un avocat métis employé par la Metis Nation des Territoires du Nord-Ouest.
La présidente: Bien sûr, je vous en prie.
Je vous souhaite la bienvenue, M. Cumming.
Vous avez la parole, M. Erasmus.
Le chef Bill Erasmus (chef national, Nation dénée): Je vous remercie, madame la présidente.
Bienvenue à Yellowknife. Même si nous avons été prévenus assez tard de votre visite, il s'agit d'une question importante et nous aimerions vous faire connaître notre point de vue.
La présidente: Je vous remercie.
Le chef Erasmus: Je suis accompagné de Tom Eagle, qui a passé beaucoup de temps dans le Nord ici et qui possède une grande expérience. Comme il est plus âgé que le reste de nous assis autour de cette table, j'estime que nous devrions l'encourager à prendre la parole le premier. Nous prendrons ensuite la relève, si vous n'y voyez pas d'objection.
La présidente: C'est très bien; allez-y.
Le chef Erasmus: Je vous remercie.
M. Tom Eagle (Tree of Peace Friendship Centre): Bon après-midi. Je tiens moi aussi à vous souhaiter la bienvenue, non seulement aux membres du comité permanent mais aux autres comités et commissions qui s'occupent du bien-être des Canadiens.
La façon de procéder de certaines de ces commissions me dérange un peu. C'est seulement à la fin de la semaine dernière que j'ai appris que votre comité permanent venait à Yellowknife. En fait, votre visite a été confirmée vendredi. On m'a dit qu'on nous enverrait certains documents. Je crois comprendre qu'on a dit la même chose à mes collègues qui se trouvent autour de la table.
J'ai reçu certains documents du comité ce matin - ils ont dû arriver cette fin de semaine à mon centre - et ils ne renfermaient absolument aucun renseignement utile. Il s'agissait uniquement de votre itinéraire indiquant votre arrivée à Yellowknife, puis vos déplacements à Edmonton et ensuite Winnipeg.
Il nous semble que chaque fois qu'une audience est prévue, nous sommes les derniers à le savoir. J'ai même examiné pendant une quinzaine de minutes votre programme. Nous n'avons tout simplement pas eu le temps de préparer un document que nous aurions pu vous remettre.
Je crois toutefois que chacun d'entre nous connaît bien cette Loi sur les jeunes contrevenants, autrefois la Loi sur les jeunes délinquants, et nous vous communiquerons notre point de vue cet après-midi. Nous espérons que vous examinerez très sérieusement certains de nos commentaires.
Bill.
Le chef Erasmus: Merci.
Lorsque je me suis entretenu la semaine dernière avec Mme Burke, j'ai essayé d'avoir une idée de votre mandat et de l'objectif visé par le comité permanent. Elle m'a clairement indiqué que vous visitiez différentes régions du pays pour tâcher de mieux connaître certains des problèmes auxquels se heurtent les gens et savoir quelles sont les solutions qui pourraient être apportées. Elle a indiqué que vous étiez prêts à envisager une foule de possibilités. Je pars donc du principe que vous abordez cette question avec un esprit assez ouvert et que nous pourrons en discuter.
Je n'ai pas de notes préparées avec moi. Nous sommes en train d'entreprendre toute une série d'initiatives ici dans le Nord. Nous sommes en train d'essayer par exemple d'établir notre propre nouvelle constitution dans le Nord-Ouest. Pour l'instant, on continue à nous considérer comme un territoire qui s'achemine vers une forme de gouvernement responsable. Nous ne possédons pas les pouvoirs que possèdent les provinces.
Collectivement, la population du Nord essaie de concevoir quelque chose et cela prend beaucoup de notre temps. Nous tâchons de présenter une proposition aux citoyens. D'ici 1999, nous espérons avoir une constitution ici dans l'Ouest et une nouvelle constitution pour les gens dans l'Est. Donc d'ici 1999, le Canada aura un aspect tout à fait différent.
Par ailleurs, ici même à Yellowknife, un important conglomérat appelé Broken Hill Proprietary, BHP, travaille avec notre peuple, le gouvernement territorial et le gouvernement fédéral pour parvenir à un accord concernant le projet de mine de diamants. Cette initiative correspond à ce qui est en train de se faire dans le nord de la Saskatchewan avec l'uranium et à Voisey Bay dans les régions septentrionales du Labrador. De grandes choses sont donc en train de se préparer.
Nous considérons, pour un certain nombre de raisons à mon avis assez évidentes, que notre peuple doit instituer les lois qu'il considère siennes et qui existent depuis toujours. Ici dans le Nord, nous sommes majoritaires. Nous avons encore nos sages qui savent ce que veut dire vivre sans l'intrusion des lois d'un autre peuple. Ils savent quel était l'objet des premiers traités. Ils comprennent la notion de coexistence. Ils sont conscients que ces autres peuples sont là pour rester et ne partiront pas mais que nous devons établir de nouvelles relations.
Nous avons de la chance sur ce plan. Notre situation ressemble sans doute à celle dans laquelle se trouvait le peuple québécois il y a quelques centaines d'années, lorsque les Français sont arrivés les premiers et ont essayé d'établir, avec les Anglais, le Haut et le Bas-Canada. C'est à peu près où nous en sommes. Nous sommes arrivés à un stade où nous pouvons déterminer comment nous voulons faire partie du Canada.
Comme le Canada reconnaît le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale et n'envisage plus l'extinction des droits des peuples, nous sommes très heureux d'entamer une discussion qui nous permettra d'envisager le type d'avenir que nous pourrons avoir, en travaillant en collaboration avec les provinces et le gouvernement fédéral.
La justice joue un rôle important car l'ordre est nécessaire dans toute société. Des règles sont nécessaires. Nous avons toujours eu des règles car autrement nous n'aurions jamais survécu. Je pense que les anthropologues et d'autres chercheurs commencent tout juste à s'en rendre compte. Je pense qu'à une époque ils croyaient que nous survivions tant bien que mal et que si nous avions la chance de tomber sur des animaux, nous pouvions abattre un caribou. Si nous étions encore plus chanceux, nous pouvions abattre quelques lagopèdes et arriver tant bien que mal à survivre.
Mais je crois que maintenant ils se rendent compte que nous étions vraiment bien organisés pour la chasse et la cueillette. Ils commencent tout juste à se rendre compte que les chasseurs et les cueilleurs avaient beaucoup plus de temps libre que les agriculteurs, encore plus de temps libre que la société industrielle. Ici, par exemple, lorsque toute une collectivité participait à la chasse, il y avait ensuite de quoi manger pendant plusieurs jours. Comme on n'avait pas à chasser tous les jours, on pouvait faire autre chose. Les choses étaient planifiées.
Tout le monde connaissait les lois et les respectait. Les sages jouaient un rôle important. Les parents avaient un rôle à jouer. La famille élargie jouait un grand rôle. Les enfants savaient quelle était leur place. Tout le monde savait comment fonctionnait la communauté. On n'avait pas besoin de prisons. On n'avait pas besoin d'établissements psychiatriques. Il n'y avait pas de violence. Les femmes n'avaient pas peur de sortir seules le soir.
J'estime qu'il demeure possible d'avoir une société où existe la common law britannique du Canada et où la common law dénée est reconnue et mise en oeuvre.
Nous comprenons en quoi consiste la règle de droit. Nous avons notre propre règle de droit, qui a toujours existé. Je pense que le Canada vient tout juste de se rendre compte - et la commission royale l'a bien fait comprendre dans son rapport - qu'un système de justice séparé est nécessaire car nous constatons que les familles qui se désagrègent n'y sont pour rien et que le Canada a une grande responsabilité à cet égard.
Si un enfant est maltraité parce que ses parents sont alcooliques ou quoi que ce soit, l'enfant peut être enlevé à sa famille et ni notre chef, ni notre conseil n'ont voix au chapitre. Les services d'aide sociale viennent prendre l'enfant temporairement. Si la situation familiale ne s'améliore pas, ils peuvent alors enlever l'enfant à sa famille de façon permanente. Ils ne nous consultent pas d'abord pour nous demander notre avis: «Qu'en pensez-vous? Vous connaissez les parents, vous connaissez l'enfant, vous connaissez ses oncles et ses tantes, vous connaissez sa famille élargie. Que devrions-nous faire?» Ils ne nous consultent pas. Ils prennent l'enfant et nous ignorons où il aboutit.
Lorsque l'enfant se retrouve par exemple dans le sud du Canada, dans un foyer étranger, s'il est très jeune, il ignore d'où il vient, les parents ignorent où il se trouve et tout notre réseau familial élargi s'écroule, se désagrège. Ce n'est qu'un petit exemple des situations que vit chaque jour notre peuple.
Je sais que le gouvernement territorial veut remédier à la situation, tout comme le gouvernement fédéral, mais j'ai l'impression qu'ils ne savent pas par où commencer. Je pense qu'ils considèrent cela comme un énorme problème qu'ils ne savent pas par quel bout prendre. Je considère pour ma part que la solution est relativement simple.
Il faut commencer par consulter des gens comme ceux qui se trouvent autour de la table maintenant. Vous avez ici un avocat qui s'occupe de ce genre de situations chaque jour. Nous avons plus de 1 100 membres dans notre collectivité ici à Yellowknife, et dans la vallée nous avons une trentaine de collectivités où la situation est la même.
Nous connaissons nos membres, nous connaissons nos familles. Beaucoup d'entre nous connaissons nos lois et comment nous devrions fonctionner. Le grand problème, c'est que le Canada refuse de l'admettre. Même s'il l'admettait, il dirait, oui vous avez ce droit mais comment allez-vous l'exercer et avec quel argent, compte tenu des restrictions financières et des réalités du moment?
C'est une chose dont je suis conscient. Comme je l'ai dit, nous essayons de développer notre propre cadre politique où nous aurons nos propres fonds et nous pourrons fonctionner sans dépendre dans une grande mesure du gouvernement fédéral pour des paiements de transfert et ainsi de suite. Donc, nous savons quelle est la situation financière mais je crois que nous sommes prêts à utiliser notre imagination.
Il ne devrait pas être très coûteux de placer un enfant chez un membre de sa parenté. Si un membre de la parenté accepte de s'occuper de l'enfant, cela ne devrait rien vraiment nous coûter à condition d'unir nos efforts. C'est ce qu'on faisait auparavant. Si un enfant devenait orphelin, quelqu'un - un grand-parent, une tante, un oncle, un cousin - recueillait cet enfant et tout le monde travaillait ensemble. Et cela ne se faisait pas uniquement dans notre société, cela se faisait partout.
Les agriculteurs agissaient de la même façon. Si quelqu'un avait besoin d'une grange, les agriculteurs se réunissaient et construisaient la grange. Si quelqu'un d'autre avait besoin d'une maison - un nouveau couple - on aidait le couple. Nous avions l'habitude d'agir de cette façon mais aujourd'hui c'est chacun pour soi. La Constitution canadienne nous dit que le collectif n'est pas une bonne chose. Par conséquent, nous ne pensons plus qu'à notre intérêt personnel et nous ne travaillons plus ensemble. Si vous êtes un représentant élu, on vous dit que votre tâche est d'aller aider tout le monde et vous vous présentez à la population et vous lui dites: «Je vous aiderai. Votez pour moi.» Par conséquent, les gens ne savent plus quoi faire.
Il faut vraiment que la société se remette en question. Certaines des anciennes valeurs sont bonnes; certains des anciens principes auxquels adhéraient nos parents ou nos grands-parents sont de bons principes et je crois que nous pouvons encore les mettre en pratique.
Voilà certaines de mes réflexions. Comme je l'ai dit, je n'ai rien mis par écrit. Les personnes qui m'entourent à cette table peuvent beaucoup vous apporter. Mike Paulette, qui est vice-président des Métis, pourra vous exposer certaines de nos préoccupations.
Nous sommes allés deux fois, par exemple, à la réserve Navajo au Nouveau-Mexique et avons vu comment fonctionne leur système de justice. Nous avons rencontré les juges de leur Cour suprême. Nous avons vu comment fonctionnaient leurs tribunaux, leurs services policiers. Nous avons visité l'académie où ils forment leurs policiers. Nous avons rencontré leur gouvernement tribal. Nous avons parlé à leur chef et avons pris la parole devant leur assemblée. Ils prennent très au sérieux leur système de justice. Ils ont leur propre code criminel, ils parlent dans leur propre langue devant les tribunaux.
Cette expérience a été pour nous une véritable révélation car nous envisagions les mêmes choses. À l'époque, c'est-à-dire en 1988, ils disposaient d'un budget annuel de 340 millions de dollars dont 80 millions provenaient de leurs propres fonds. Le reste provenait des traités et du Trésor.
Cela est donc possible. Il y a des moyens de travailler en coopération avec l'État, avec l'administration tribale et avec le système fédéral pour que fonctionne le système de justice.
Nous sommes ouverts. Nous aimerions poursuivre la discussion avec vous. Je vous remercie.
La présidente: Monsieur Paulette, voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Paulette: J'ai des commentaires généraux. Je pense que Shannon pourra traiter plus particulièrement de certaines des modifications proposées.
Dans les Territoires du Nord-Ouest, où les Autochtones sont majoritaires, nous devons nous battre continuellement et cette lutte remonte à de nombreuses années malgré le fait que nous ayons maintenant une assemblée législative qui compte une majorité de membres autochtones et malgré le fait qu'il existe des programmes sociaux et d'autres programmes mis sur pied pour aider les Autochtones.
Il n'y a pas si longtemps, les Autochtones ne bénéficiaient d'aucune aide extérieure. Il n'y avait à cette époque dans les collectivités autochtones que le curé, l'agent des Indiens, l'agent de la GRC et peut-être l'instituteur. Les Autochtones ne pouvaient compter que sur eux-mêmes. Bien des choses se sont passées depuis les 40 ou 50 dernières années qui nous ont permis de commencer à voir un peu de lumière au bout du tunnel.
Nos enfants sont dans une situation très défavorisée. Nous n'avons pas le luxe de pouvoir compter sur de nombreux professionnels ou universitaires autochtones. En fait, nous avons fait nos propres études et nos propres recherches sur le nombre d'Autochtones qui ont terminé leurs études secondaires. Bien que nous soyons majoritaires dans les Territoires du Nord-Ouest, les Autochtones qui terminent leur douzième année représentent moins de 20 p. 100 de la population totale. Quant au reste, ce sont des non-Autochtones.
Les Autochtones abandonnent leurs études. Dans bien des cas, ils viennent de familles dysfonctionnelles. Un grand nombre d'entre eux continuent à souffrir des conditions sociales et des problèmes sociaux qui existent depuis des années. Nos enfants souffrent. Ils ne vont pas à l'école, ils font des mauvais coups et s'attirent des ennuis. Il est donc évident que les Territoires du Nord-Ouest sont l'endroit idéal pour une loi sur les jeunes contrevenants.
Les problèmes que je vous cite sont bien réels. Il suffit de se rendre à l'établissement correctionnel de Yellowknife pour le constater. Tous les détenus sont autochtones. C'est pourquoi je dis que nous devons livrer une lutte incessante bien que nous commencions à voir un peu de lumière au bout du tunnel. Si nous commençons à voir un peu de lumière au bout du tunnel, c'est uniquement grâce à ceux qui se sont engagés à améliorer la vie des Autochtones dans ce pays, ceux qui se trouvent autour de cette table.
Tom aide depuis de nombreuses années les gens de Yellowknife. Shannon est maintenant avocat. Il travaille avec nous mais nous ignorons si nous aurons les moyens de le garder. Les avocats coûtent cher.
La présidente: Pas les trois autour de cette table.
M. Eagle: Il veut peut-être un siège au Parlement.
Des voix: Oh, oh!
M. Paulette: Nos professionnels sont une denrée très rare. Nous n'avons pas beaucoup de professionnels ou d'universitaires pour mettre au point nos propres programmes ou stratégies. Nous dépendons pour ce faire de l'aide financière du gouvernement. Nous devons maintenir nos propres organisations et compétences à flot avec très peu d'argent et, en même temps, essayer de corriger ce qui ne va pas au sein des collectivités.
Dans certaines de ces collectivités, la situation est terrible. Certains de nos membres sont vraiment en mauvaise forme alors qu'il y a 10, 20 ou 30 ans, ils étaient parfaitement à l'aise. Ils menaient une vie fructueuse dans les bois, vivaient du trappage et revenaient travailler en ville l'été. Ils n'avaient aucun problème. Aujourd'hui, ils sont complètement perdus, comme le sont leurs enfants.
C'est donc une lutte et, comme je le disais, nous commençons à faire quelques progrès. Grâce au processus politique, nous avons la possibilité d'apporter de véritables changements dans notre pays. Nous devons nous adapter à l'évolution de la situation. Nous devons nous en sortir face aux changements et aux modifications qu'apporte le gouvernement aux diverses lois.
Nous devons dominer de multiples activités et initiatives uniquement dans le but de pouvoir réagir à pareilles choses. Ce que Tom dit du délai de réaction est exact. Cette consultation est censée en être à la phase deux, mais je ne me souviens pas d'avoir vu quoi que ce soit à ce sujet. Ce n'est qu'hier...
Shannon a travaillé toute la fin de semaine pour préparer des notes sur les modifications proposées et les répercussions qu'elles auront sur nous, car elles en auront - cela ne fait aucun doute. Comme je le disais, c'est difficile et si nous pouvons participer aux consultations de quelque manière que ce soit, tant mieux.
Il se passe beaucoup de choses dans ce pays au sujet desquelles je crois, nous ne sommes pas pris au sérieux. Prenons l'exemple du système judiciaire autochtone. Je demande depuis longtemps avec insistance que l'on examine le système judiciaire ou le système de justice pénal autochtones dans les Territoires du Nord-Ouest, non pas seulement la Loi sur les jeunes contrevenants.
C'est tous les jours que les choses tournent mal pour nous; si un aspect seulement de ce que nous essayons de créer marche mal, c'est tout l'ensemble qui est immédiatement annulé. Je veux parler d'un incident survenu en Colombie-Britannique où l'on pratique une détermination de la peine autochtone ou traditionnelle. On a créé un système dont un élément a mal fonctionné si bien que le tout a été immédiatement considéré comme un échec. Le système nous laisse tomber jour après jour.
Il faut nous prendre au sérieux, lorsque nous faisons des observations et commençons à parler de ce qui touche la vie que nous menons, de nos familles et de nos enfants en particulier. Nous devons faire front commun et travailler ensemble comme peuple autochtone pour nous efforcer d'améliorer la vie que nous menons et qui n'est pas très rose pour l'instant.
La présidente: Shannon, vouliez-vous dire quelque chose?
M. Shannon M. Cumming (avocat, coordonnateur des projets spéciaux, Métis Nation): Merci, monsieur le président. J'aimerais remercier les membres du comité de me céder la parole.
En tant que jeune homme originaire d'une petite collectivité des Territoires du Nord-Ouest, il me paraît toujours difficile de parler au nom de certaines personnes de nos collectivités. Je me considère chanceux d'avoir grandi aux côtés de nos aînés qui m'ont aidé dans mon éducation et j'aimerais citer des gens comme Tom Eagle, qui depuis de nombreuses années travaille dans cette collectivité pour essayer d'améliorer la vie de notre peuple.
J'ai quelques observations à faire au sujet de certaines modifications que j'aimerais que le comité envisage, mais avant cela, j'aimerais décrire la manière dont beaucoup d'Autochtones débattent de questions comme celles portant sur les modifications aux lois.
On peut bien sûr examiner des modifications particulières et entrer dans les nuances ou les détails techniques de la manière dont il faudrait les rédiger pour répondre aux besoins, mais à un moment donné, notre vision du monde exige que nous examinions la situation sous un autre angle. Nous voyons des liens, contrairement à d'autres peut-être, et je ne pense pas que cela soit vraiment curieux. Dans les régions rurales de l'Alberta, au Québec, ou à Toronto, je pense que tout le monde se demande ce qui ne va pas chez les jeunes. D'une certaine manière donc, je ne pense pas que nous soyons si différents.
J'aimerais parler de l'article 3. J'ai eu la chance d'étudier le droit à l'Université de la Colombie-Britannique et j'ai comparu à la cour provinciale avec de nombreux jeunes Autochtones qui avaient enfreint la loi. Pour nous jeunes avocats, l'article 3 est devenu très important, car c'est l'article sur lequel s'appuie le juge pour décider de la meilleure façon de régler les cas dont il est saisi.
Deux aspects de l'article 3 font contrepoids - la nécessité de la protection de la société et la nécessité d'accorder aux jeunes une protection particulière en vertu de la loi. Cet article est très pertinent pour bien de nos jeunes Autochtones, lesquels ne respectent pas la loi. Comme l'a dit l'un de nos orateurs, il suffit de se rendre dans une prison pour s'apercevoir que dans leur grande majorité, les prisonniers sont des Autochtones. Si vous allez dans une cour territoriale, un tribunal pour adolescents en particulier, vous vous apercevrez que de 90 à 100 p. 100 de ces jeunes sont des Autochtones.
L'accent que la société canadienne dans son ensemble met sur les infractions contre les biens fait l'objet de discussions constantes au sein de notre organisation. Beaucoup des crimes commis par nos jeunes dans nos collectivités sont des crimes contre les biens. En ce qui concerne l'article 3, nous craignons que la modification proposée ne donne aux tribunaux plus de pouvoir discrétionnaire pour condamner les jeunes contrevenants. Nous pensons que l'accent pourrait être davantage mis sur la peine rétributive. Compte tenu du nombre de jeunes Autochtones qui ne respectent pas la loi, nous craignons que l'on mette davantage l'accent sur la punition, plutôt que sur le règlement de ce qui, d'après nous, représente le problème sous-jacent. Certains des problèmes dont il a été question sont ceux de la violence familiale, de la pauvreté et de la discrimination systémique au cours des enquêtes, voire même des poursuites.
Par contraste, les collectivités autochtones examinent les motifs sous-jacents de l'infraction et ne se concentrent pas sur le particulier qui a commis l'infraction. En d'autres termes, nous ne nous concentrons pas, comme le disent les législateurs, sur la conduite illicite. Nous nous concentrons sur la personne et ce qui l'a amenée à agir de la sorte et je prétends que cette approche diffère de celle de la loi.
En ce qui concerne l'article 3, nous craignons qu'il ne soit appliqué d'une telle façon qu'il devienne plus probable pour nos jeunes de faire l'objet de poursuites et d'accusations. Dans le Nord, beaucoup des infractions sont ce que nous appelons des infractions mineures. Les jeunes, souvent en compagnie de leurs frères et soeurs, entrent par effraction dans une maison pour y voler une cannette de liqueur ou peut-être un sac de chips. C'est un problème que nous essayons de régler au niveau communautaire, car, bien qu'il s'agisse d'un bien, nous nous inquiétons au sujet de ceux qui commettent de telles infractions. Si beaucoup de nos organisations envisagent d'adopter de nouveau les systèmes judiciaires traditionnels, c'est parce qu'elles pensent avoir les moyens nécessaires pour régler de tels problèmes.
Lorsque vous parlez de justice autochtone, pensez au système judiciaire actuel comme... De notre point de vue, c'est comme si l'on essayait de construire une maison avec des outils que l'on n'a jamais utilisés auparavant. Pour nous, c'est étrange. Nous ne nous servons pas de certains outils que d'autres, y compris des avocats qui sont des collègues, manient avec beaucoup de facilité. En tant qu'avocats autochtones, en tant que collectivités autochtones, nous nous demandons vraiment si nous devrions utiliser de tels outils.
C'est la raison pour laquelle certains de nos collègues se sont rendus dans divers endroits comme la Navajo nation. J'ai eu le plaisir de rencontrer James Zion qui était - et il l'est encore peut-être - avocat auprès de la Navajo nation. Il a parlé à un groupe de jeunes étudiants autochtones en droit à l'Université de Colombie-Britannique, à Vancouver. Selon lui, lorsqu'ils arrivent à la faculté de droit, beaucoup d'étudiants Navajo croient à la justice immanente, mais à la fin de leurs études, ils n'y croient plus. Je pense qu'il voulait dire que ceux d'entre nous qui fréquentons un établissement juridique canadien pour suivre des études de droit devons nous battre pour que notre échelle de valeurs soit prise en compte dans cet environnement; je pense que tous les Canadiens en tireraient profit.
J'ai lu dans les journaux dernièrement que l'on envisage la possibilité de conseils de détermination de la peine pour les contrevenants non autochtones. Je ne peux pas vous dire jusqu'à quel point cela me réjouit, car, en tant que Métis, nous donnons l'exemple de la bonne entente entre Autochtones et non autochtones. À cet égard, je pense qu'il serait bon de connaître nos diverses échelles de valeurs.
J'aimerais également parler brièvement de la modification relative au transfert des infractions graves au tribunal pour adultes. Dans nos collectivités, autant que partout ailleurs, nous nous inquiétons fortement de l'augmentation de la violence. Je pense que nous ne pouvons pas vraiment nous quereller au sujet de cet article particulier. Si quelqu'un commet une grave infraction, peut-être le tribunal devrait-il avoir davantage de pouvoir discrétionnaire pour décider d'un éventuel transfert au tribunal pour adultes.
Toutefois, il ne faut pas non plus oublier que dans nos collectivités, la majorité des infractions ne sont pas des infractions contre la personne, mais contre les biens. Par conséquent, même si ces modifications nous paraissent importantes, nous nous posons parfois des questions au sujet de leur pertinence dans notre vie quotidienne. Je le répète, nous voulons parler de certains des succès de la justice communautaire, non pas seulement de ses échecs.
Certains des membres du comité peuvent voir l'image d'un vieil avion sur le mur de cette salle. Lorsque j'étais enfant, à l'atterrissage et au décollage d'un tel avion, je disais, voici la loi qui arrive et qui repart. Je ne pense pas que cette manière de rendre la justice soit acceptable dans nos collectivités. Je ne sais pas vraiment ce qu'attendaient les membres du comité de nos représentants, mais je me ferais l'écho des pensées de ces derniers en disant qu'il aurait été bon d'avoir été informés à l'avance de cette modification, car nos ressources sont mises à rude épreuve.
Outre nos devoirs envers nos collectivités, bon nombre d'entre nous sommes également des parents. Nous avons des enfants à élever et nous n'avons pas beaucoup de temps à notre disposition. C'est une réalité que nous acceptons. Les députés voyagent également fréquemment et ne passent pas beaucoup de temps chez eux avec leur famille, si bien que je ne leur apprends rien de nouveau.
Nous pensons que ceci est important; si d'autres négociations sont prévues, il serait bon que les membres du comité se rendent dans certaines collectivités pour y écouter nos aînés dont la façon de s'exprimer est, je pense, beaucoup plus claire que la nôtre. J'aime écouter nos aînés, car ils s'expriment avec beaucoup de clarté et savent parfaitement exposer certaines choses, comme la Loi sur les jeunes contrevenants. À mon avis, les membres du comité en tireraient grandement avantage.
C'est tout ce que j'ai à dire pour l'instant. Merci de m'avoir écouté.
La présidente: Merci.
Peter, aviez-vous quelque chose à ajouter?
M. Peter Liske (Conseiller, Yellowknife Dene Band): Nos aînés s'inquiètent beaucoup de la façon dont la justice est rendue et cette préoccupation revient constamment sur le tapis dans la collectivité, même pendant nos réunions du conseil. Par exemple, il y a quelques mois, un de nos membres voulait qu'une audition judiciaire se déroule à Dettah, soit à quatre milles seulement d'ici, juste de l'autre côté du lac. J'ai travaillé avec un avocat et nous avons envoyé une lettre au ministère de la Justice à cet effet. On m'a répondu qu'il fallait prévoir six aînés pour cette audition judiciaire. Nous avons donné suite à cette lettre pour nous faire dire que le ministère de la Justice ne disposait pas de suffisamment de temps et que nous ne pouvions pas avoir cette audition à Dettah. L'audition a donc eu lieu ici en ville et le contrevenant en question s'est retrouvé dans une prison du sud. D'après les aînés, si l'audition avait été tenue à Dettah, le juge aurait pu l'incarcérer sur place. Nous voulons qu'il purge sa peine ici.
C'est un exemple de ce que nous avons essayé de faire et qui n'a pas marché. Beaucoup d'autres prisonniers autochtones sont envoyés dans le sud et nos aînés s'inquiètent beaucoup de cet état de fait. Cet été, nous avons adopté une motion à l'assemblée de la Dene Nation, à Deninu K'ue, à propos de cette question du transfert de nos membres dans le sud. Cette motion a été adoptée et un suivi est prévu cet hiver.
Je voulais en fait simplement dire que nos aînés s'inquiètent beaucoup et que nous essayons de les écouter. Ils veulent que la justice soit entre les mains de la collectivité. Nous voulons contrôler notre propre système judiciaire; nous voulons avoir des conseils de décision pour nos propres membres. Nous pouvons le faire au sein de notre collectivité.
Nous avons eu un bon atelier à MacKay Lake, à 100 milles au nord d'ici, où nous avons préparé un plan quinquennal. La justice est une des questions que les aînés remettent constamment sur le tapis. Ils disent qu'ils veulent que la justice soit rendue au sein de la collectivité. Nous prévoyons avoir de tels ateliers chaque année et si les aînés parlent à nos jeunes, je pense que ces derniers les écouteront. Les aînés ont énormément de pouvoir dans notre collectivité et c'est d'eux que nous tirons notre force.
Je voulais simplement vous transmettre ce message. Merci.
La présidente: Merci, Peter.
Arlene.
Mme Haché: Pour dire quoi que ce soit au sujet du système judiciaire dans les Territoires du Nord-Ouest, il faudrait que je m'appuie sur mes collègues. À de nombreux égards, je ne suis qu'une invitée ici, si bien que j'écoute très attentivement ce qu'ils ont à dire.
Je n'ai pas reçu la loi ni non plus l'information, si bien que je ne sais pas vraiment de quoi il s'agit et que je ne suis pas sûre de la raison pour laquelle je suis ici, bien que ce soit un honneur pour moi. Je vais par contre vous donner un aperçu de ce que je fais au sein de la collectivité. Je peux vous aider à comprendre comment, à mon avis, nous pouvons le mieux aider les jeunes au plan de la collectivité; ensuite, vous pourrez me poser des questions.
Je vis dans les Territoires du Nord-Ouest depuis 25 ans environ et je dirige actuellement le centre pour les femmes de Yellowknife. Ce centre propose beaucoup de programmes pour les enfants et offre des dîners chauds, ainsi que des programmes de counselling et de formation au rôle parental. Au bout du compte, notre objectif consiste à aider les hommes, les femmes et les enfants de manière qu'ils puissent s'occuper des questions plus importantes de la vie. S'ils ne mangent pas à leur faim et s'ils n'ont pas les vêtements qu'il leur faut, ni non plus de lieu où vivre, ils ne sont pas en mesure de s'attarder sur les questions plus importantes; nous offrons donc un service très essentiel.
Ce que j'aimerais dire au chapitre de la justice autochtone, c'est que la philosophie autochtone dont parlent les aînés fonctionne. Si seulement le reste de la société canadienne pouvait s'inspirer d'une telle sagesse et de telles valeurs, tout irait beaucoup mieux.
J'aimerais ajouter un point; j'ai grandi en Ontario dans une famille de réchappés de l'inceste; pratiquement tous les membres de la famille ont subi ou commis des relations incestueuses. C'est en vivant ici à Yellowknife et en écoutant les Autochtones qu'en tant que famille, nous avons appris à régler ce problème de violence familiale et d'autres problèmes connexes de violence.
Il suffit que j'observe les jeunes avec lesquels je travaille chaque jour pour m'apercevoir que le système judiciaire, tel qu'il se présente globalement, n'est pas la solution; lorsqu'ils arrivent dans ce système judiciaire, tout ce que l'on essaie de faire, c'est de réfréner leur comportement destructif. Les bases n'ont jamais été posées, particulièrement dans les Territoires du Nord-Ouest, car les familles de nos collectivités ont été privées du droit d'élever leurs enfants comme elles l'entendaient.
On a parlé de la façon dont le gouvernement intervient pour prendre en charge un enfant lorsqu'il y a un problème d'alcool ou de violence dans une famille. Il n'existe pas de mécanismes en place pour réunir les familles. Aucun contrôle n'est assuré au niveau de la communauté ou de la famille. Les parents - y compris les parents non autochtones - sont frustrés parce qu'ils ne savent pas comment se comporter avec leurs enfants. Les vieilles méthodes ne fonctionnent plus. Aujourd'hui, les parents qui essaient de discipliner leurs enfants sont accusés de les maltraiter, ou encore reçoivent la visite des services sociaux qui vont instituer une enquête. Il ne semble pas y avoir de juste milieu pour ce qui est du droit des parents de discipliner leurs enfants.
Un des agents de la GRC a dit plus tôt que les parents devraient faire l'objet d'accusations lorsque leurs enfants entrent par effraction dans un endroit. En tant que parent, je me sens très frustré, parce que j'ai perdu tout droit d'élever mon enfant comme je l'entends. Je sais que les anciens en ont déjà parlé. Ils ont leurs lois, leurs méthodes, mais on les juge dépassées. Voilà maintenant qu'on essaie de les rendre responsables des actes commis par leurs enfants alors qu'on leur a plus ou moins retiré le droit de les élever comme ils l'entendent.
Il y a beaucoup à faire dans les Territoires du Nord-Ouest. Nous devons sans plus tarder redonner cette responsabilité à la communauté. Je suis très inquiet, parce qu'il y a tous les jours des jeunes qui meurent dans les Territoires du Nord-Ouest. S'ils ne se suicident pas, ils sont en voie de le faire. Les fonds versés par les gouvernements fédéral et territorial ont tendance, par exemple, à être investis dans le développement économique, les routes, les infrastructures, la défense, les voyages en Russie pour examiner - comme appelle-t-on cela - la production de fourrure ou je ne sais quoi. On ne semble pas comprendre le fait que chaque fois qu'on néglige d'investir un dollar dans les services sociaux, un enfant meurt. Dans une communauté de 300 habitants, la perte d'un enfant touche profondément la famille, la nation. C'est une question qui me préoccupe beaucoup.
Je suis d'accord avec ce que disait Mike. Chaque fois qu'un programme destiné aux autochtones est mis en place, le gouvernement s'attend à recevoir un rapport financier et un rapport d'activité. Tout doit être parfait, tous les indicateurs de succès doivent être réunis, tout doit fonctionner à merveille. Un jour, je vais entrer dans un bureau du gouvernement et demander à voir ses propres indicateurs de succès, la façon dont il gère ses finances, s'il le fait efficacement, parce que je suis sûr que ce sera terrible.
Ce que j'essaie de dire, c'est que nous devons collaborer ensemble et donner aux communautés les fonds dont elles ont besoin pour accomplir leur tâche. Et elles l'accompliront, mais pas en appliquant les normes inefficaces du gouvernement. Je ne parle pas des vôtres, mais de celles du gouvernement. Je l'ai dit à Lloyd Axworthy à l'époque où il était ministre de la Santé et des Services sociaux. Je lui ai dit qu'il m'obligeait à mentir tous les ans, et que je le faisais très bien. Je lui ai dit que j'accomplissais mon travail lorsqu'il me donnait les fonds nécessaires pour le faire et que la communauté en bénéficiait, mais que, en raison des règles établies et parce qu'il s'attendait à trouver la perfection là où elle n'existait pas, je devais me débrouiller par tous les moyens pour faire semblant que cette perfection existe.
C'est tout ce que j'ai à dire, mais je me ferai un plaisir de répondre à vos questions. Merci.
La présidente: Merci. Je vais d'abord donner la parole à M. St-Laurent.
[Français]
M. St-Laurent (Manicouagan): En autant qu'il est efficace, vous avez un système enviable. Tous les systèmes, quand ils sont efficaces, sont enviables.
Imaginons un instant qu'on n'ait pas, à l'heure actuelle, le système judiciaire conventionnel qu'on connaît, c'est-à-dire l'emprisonnement. Imaginons que cela n'existe pas. Si dans votre communauté, un jeune, parce qu'on étudie les possibilités d'améliorer la Loi sur les jeunes contrevenants...
Soit dit en passant, j'en profite pour répondre un peu à une de vos questions. On profite de cette tournée pour voir quels changements les gens aimeraient qu'on apporte à la Loi sur les jeunes contrevenants. Toutes les hypothèses sont analysées et prises en compte. Nous discutons ensemble de ce que nous pouvons faire. C'est ce qu'on fait.
Donc, imaginons un seul instant que l'emprisonnement n'existe pas. S'il se produit quelque chose chez vous, vous êtes tenu de le régler vous-même. Vous êtes entièrement autonome. Imaginons cela un instant.
Prenons un jeune de 15 ou 16 ans. Il tue une ou deux personnes et on ne sait pas pourquoi. Il est dangereux, admettons-le. Vous avez dit plus tôt que les prisons n'avaient pas leur place. Jusqu'à un certain point, je suis en partie d'accord sur cela. Comment réagissez-vous face à ce jeune dangereux? La protection de la société n'est-elle pas importante? Quel processus feriez-vous suivre à ce jeune pour le réintégrer socialement, tout en protégeant le public des gestes qu'il poserait s'il était en liberté? Le remettriez-vous en liberté?
[Traduction]
Le chef Erasmus: Merci, madame la présidente. Comme c'est moi qui ai dit que nous n'avions pas de prisons dans notre société, je vais répondre en premier.
Je ne sais pas si M. St-Laurent a bien compris ce que j'ai dit par l'entremise des interprètes, et je ne parle pas suffisamment bien le français pour m'exprimer dans cette langue. Je n'ai pas dit qu'il n'y avait pas de place pour les prisons ici. Ce que j'ai dit, c'est qu'avant l'arrivée des Français, des Anglais et des autres cultures, il n'y avait pas de prisons.
Aujourd'hui, il y en a. On nous a imposé un autre système. Vous avez de la chance au Québec d'avoir le code civil français. Le code civil déné n'est pas reconnu ici. Nous sommes assujettis à la common law, et cela nous cause beaucoup de problèmes. Ce qui arrive aujourd'hui, c'est que si un des nôtres constitue un danger pour la société, c'est quelqu'un d'autre qui s'en occupe, parce que notre chef, notre conseil, notre système interne ne sont pas reconnus.
Supposions que nous étions indépendants, ce que nous sommes... Il n'est pas nécessaire de faire une telle hypothèse parce que nous sommes indépendants. Je ne suis jamais devenu citoyen canadien.
Quand je suis venu au monde, c'est-à-dire avant 1960, les Autochtones n'avaient pas le droit de voter. Nous n'étions pas considérés comme des citoyens. Nous ne pouvions pas voter. Nous ne pouvions pas consommer de l'alcool. Si nous nous lançions en affaires, nous perdions notre citoyenneté indienne. Si nos mères épousaient un homme qui n'était pas un autochtone ou un sauvage, comme ils avaient l'habitude de nous appeler, nous perdions notre statut, et ainsi de suite.
En 1960, ils ont modifié la Loi sur la citoyenneté pour faire de nous des Canadiens. Nous n'avons jamais demandé de le devenir. Ils ont fait de nous des Canadiens en vertu de leurs lois, et ils nous ont donné le droit de vote. Tout à coup, nous sommes devenus des Canadiens.
Donc, je ne sais pas comment je suis devenu citoyen canadien. J'aimerais voir le document qui indique à quel moment Bill Erasmus est devenu citoyen canadien. J'aimerais le voir, parce que le Canada ne m'a jamais traité comme si j'étais un Canadien. Donc, à mon avis, je suis indépendant.
Mon père se souvient de l'époque où les premiers Blancs sont arrivés. Ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient. Dans notre langue, on appelle les Blancs Kwikwa-tine. Que signifie ce mot? Chercheur de roches. Je lui ai demandé ce que cela signifiait, et il a répondu qu'il pensait que cela voulait dire des prospecteurs. Ces gens fouillaient parmi les roches. Ils cherchaient quelque chose - quelque chose qu'ils n'ont jamais perdu.
Donc, nous estimons être indépendants, et le Québec essaie d'atteindre le même objectif. Je ne dis pas cela parce que vous êtes québécois. En fait, si une personne posait un tel geste - si elle avait un fusil et qu'elle tirait sur quelqu'un - , le système s'en occuperait. Il en va de même pour la loi sur les armes à feu.
Le Canada essaie de nous imposer cette loi. Ce n'est pas une mauvaise idée. Il faut avoir des lois. Il faut créer une société où les gens se sentent en sécurité. Mais ont-ils demandé à notre chef et conseil ce que nous pensions de cette loi, s'ils devraient collaborer avec nous, ce que nous ferions, si nous accepterions d'enregistrer nos armes, s'ils pourraient mettre sur pied un registre central où seraient inscrits nos membres - notre communauté en compte 1 100 - , s'ils pourraient avoir leurs noms, ou encore si nos membres accepteraient de s'enregistrer et de collaborer avec eux parce que nous sommes des chasseurs et des trappeurs?
Ils ne nous ont jamais rien demandé. Ils ont adopté une loi qui dit toutes sortes de choses. Ils vont faire de nous des criminels. Nous avons des problèmes, mais si quelqu'un posait un geste comme celui-là, nous protégerions notre peuple.
Nous estimons pouvoir faire beaucoup mieux que le système de justice actuel. Parmi les gens qui ont des démêlés avec la justice dans le nord, 93 p. 100 sont des Autochtones. De plus, 95 p. 100 de nos enfants sont des décrocheurs. J'ai abandonné mes études lorsque j'étais au secondaire, et Peter aussi. Nous sommes allés à l'école ensemble. Nous avons tous les deux abandonné nos études parce qu'elles ne nous apportaient rien. Nous étions inscrits au programme d'études de l'Alberta.
Vous savez, nous faisons semblant d'être une banlieue d'Edmonton. Yellowknife prétend être une grande ville. Ce n'est pas une grande ville. Avec 20 000 habitants, c'est une petite ville.
Cette question est grave, et nous sommes heureux de vous avoir ici. Votre jeune avocat a suggéré que vous vous rendiez dans le nord, dans nos communautés - parce que Yellowknife ne reflète pas le nord... Venez visiter nos communautés et discuter avec les aînés, les entendre parler leur propre langue. L'anglais n'est pas notre première langue. C'est notre deuxième langue.
Je pourrais continuer de parler. Il y en a d'autres ici qui peuvent vous expliquer les choses mieux que moi, mais je pense que la meilleure chose que vous puissiez faire, c'est de reconnaître que nous n'allons pas vous mettre à la porte. Vous devriez commencer à collaborer avec nous.
Je fais partie de la première génération à être élevée dans une communauté comme celle-ci. Nos parents ont été élevés dans la brousse. Nous faisons partie de la première génération. J'ai réussi à m'inscrire à l'université plus tard, et j'ai obtenu mon diplôme. J'ai fait des études en sciences politiques; j'ai étudié le système et je sais comment il fonctionne. Ce n'est pas un système efficace et je veux le changer.
Mes enfants vont faire partie de la deuxième génération. Je ne sais pas s'ils vont être aussi tolérants que nous. Je me souviens comment c'était avant 1960. Je me souviens comment c'était avant qu'on s'organise, avant qu'on mette sur pied des organisations politiques pour défendre nos droits. Je me souviens de tout cela, mais pas mes enfants. Mes jeunes frères et soeurs ne s'en souviennent pas non plus.
Mais ils s'attendent à avoir quelque chose, parce que nous leur disons, oui, la question des droits autochtones va être réglée. Oui, vous aurez des terres. Oui, vous aurez un avenir. Oui, nous pouvons collaborer avec le Canada. Mais la situation ne s'améliore pas vraiment.
Je vous dis donc, revenez. Travaillons ensemble en vue de régler ce problème.
Merci.
Mme Haché: Dans une certaine mesure, votre question est identique à celle que posent beaucoup de Canadiens. C'est lorsqu'un enfant a des démêlés avec la justice que les gens se demandent, que faisons-nous de lui? Il aurait fallu poser cette question lorsque l'enfant était plus jeune.
Permettez-moi de vous donner quelques exemples.
Nous avons une mère de famille qui ne touche plus à l'alcool depuis cinq ans. Ses enfants ont été victimes d'agressions sexuelles. Ses jeunes garçons, qui ont 10 et 12 ans, commencent à maltraiter d'autres enfants. Désespérée, elle se tourne vers le gouvernement et lui dit, «Mes enfants sont en train de devenir des délinquants. Le professeur me répond «Et alors?», la GRC me répond «Et alors?»; aidez-moi, je suis désespérée.»
Cette mère cherche depuis trois ans à faire suivre une thérapie à ses enfants, mais le gouvernement ne veut pas payer pour ce traitement parce que les enfants ne souffrent pas d'un problème lié à l'alcool et aux drogues. Le gouvernement ne lui versera pas le peu d'argent dont elle a besoin pour rester dans un endroit comme Yellowknife et leur faire suivre une thérapie.
Ce que le gouvernement a fait, essentiellement, c'est de lui dire qu'il n'a pas de ressource. Ils devront donc attendre cinq ans, et ces garçons vont maltraiter quelqu'un d'autre, finir par se retrouver en prison et devenir des délinquants adultes. C'est à ce moment-là que les véritables problèmes commenceront.
Il ne s'agit pas là d'un cas exceptionnel. Nous manquons de ressources.
J'aimerais aussi vous expliquer comment fonctionne le système. Le gouvernement territorial cherche à modifier les systèmes d'assistance sociale, de protection de l'enfance et de justice. Il a déclaré, «Nous allons modifier nos politiques et établir de nouvelles lignes directrices. Tout va changer. Nous voulons que quelqu'un effectue ce travail».
Plusieurs groupes communautaires se sont donc réunis et ont dit, «Ces questions sont très importantes. Nous devrions avoir notre mot à dire. Rédigeons une lettre pour leur dire que nous sommes très intéressés, parce que, au bout du compte, nous allons devoir vivre avec les décisions qui seront prises».
Nous leur avons écrit pour leur dire que nous voulions participer au processus étant donné l'importance de ces questions pour notre communauté. Le gouvernement nous a répondu, «Vous anticipez les choses. Nous voulons vous soumettre une série de propositions. Nous n'avons pas besoin de connaître votre point de vue pour l'instant. Nous vous consulterons plus tard.»
En fait, nous acceptons les propositions des gouvernements territorial et fédéral depuis des générations. Ils ne consultent pas d'abord la communauté pour savoir ce qu'elle pense.
Si nous ne renversons pas cette tendance, nous allons avoir de gros problèmes, et toutes ces discussions, comme d'habitude, ne serviront à rien. Dans un sens, c'est comme quand vous venez ici. Vous consultez la communauté, mais la décision est déjà prise. Le principe est déjà accepté, il est donc très difficile de changer les choses. Il est très difficile de revenir en arrière, parce qu'il n'y a pas de progrès au départ.
J'espère que cela répond à la question. Les jeunes de 15 et de 16 ans qui tuent une personne ne surgissent pas comme cela soudainement, et ne décident pas un jour, à 15 ans, de tuer quelqu'un juste pour le plaisir de le faire. Il y a toute une série d'événements qui mènent à cela.
Le système de protection de l'enfance dans les Territoires du Nord-Ouest n'a jamais été efficace. Un de mes objectifs - j'espère l'atteindre avant d'avoir 80 ans - consiste à mettre sur pied une commission royale pour examiner les services de protection de l'enfance dans les Territoires. Si une telle commission était créée, de nombreuses violations des droits de la personne et autres situations seraient dévoilées, et on constaterait que le gouvernement n'a pas réussi à fournir l'aide dont ont besoin les familles.
Merci.
La présidente: Monsieur Eagle.
M. Eagle: Merci, madame la présidente.
J'aimerais aborder de façon directe la question que vous avez soulevée. J'aimerais vous parler de la loi indienne, des valeurs indiennes, de la façon dont elles sont appliquées.
Vous parlez des délinquants dangereux. Dans le système autochtone - et c'est comme cela pour les différentes nations; j'ai étudié à fond la question de la justice indienne en Amérique du Nord et j'ai fait beaucoup de recherches sur le sujet - , la notion de délinquant dangereux n'existait pas parce que la communauté prenait les choses en mains.
Par exemple, si un enfant ou un jeune commettait une infraction, il était tenu responsable au même titre que les parents, une notion qui n'existe pas dans vos lois. Les parents avaient une certaine responsabilité. La victime de l'infraction, le parent et le jeune se réunissaient pour discuter ensemble. Si le jeune avait besoin d'aide, les grands-parents s'en occupaient habituellement. Ils le conseillaient.
Si l'infraction était très grave... par exemple, j'ai été élevé dans un district agricole au Manitoba - notre réserve est une grande communauté agricole - quelqu'un avait volé du bétail. C'était deux jeunes garçons. Ils n'ont pas subi de procès. Ils ont été obligés de travailler et de rembourser la valeur du bétail volé. Vous voyez où je veux en venir? De graves crimes étaient commis.
Quand j'étais jeune, je n'entendais pas parler de gais, de lesbiennes ou d'autres personnes qui se suicidaient. Je suis très franc avec vous. Je savais qu'il y avait des gens qui étaient gais quand je suis entré dans l'armée. J'ai servi dans les forces pendant 25 ans. Je connais donc assez bien vos systèmes. Nous n'avions jamais entendu parler de choses pareilles. Nous n'avions jamais entendu parler de suicides dans la réserve où je suis né. Je n'ai jamais entendu parler de cas où l'on a menacé quelqu'un avec une arme.
En 1974 - et je crois que Peter Liske peut vous en parler - le centre d'amitié a mis sur pied un conseil des jeunes qui réunissait des membres de la GRC, des aînés, des membres de la communauté et des jeunes.
Je me souviens du cas d'une personne qui a commis une entrée par effraction lorsqu'elle était plus jeune. Le jeune a été jugé par ce comité, non pas par un juge. C'était avant qu'on ne crée des conseils de justice. Le jeune homme s'est présenté devant le comité, avec ses pairs. Ce sont surtout les jeunes qui ont parlé. Sur les conseils de la GRC et des autres participants, ils ont imposé des mesures pour essayer de corriger le comportement du jeune homme.
Aujourd'hui, c'est un adulte qui vit en liberté et qui est en train de s'imposer comme un dirigeant de la collectivité.
J'en connais un autre aussi. Les aînés l'ont conseillé, comme je vous l'ai décrit. Ce jeune s'est présenté devant le conseil - j'étais là - et, aujourd'hui, il termine sa quatrième année d'université.
Il y a donc de l'espoir. Cependant, pour en revenir à votre question, il existe effectivement des délinquants dangereux. Comme je le disais, la semaine dernière, à quelqu'un avec qui je parlais des délinquants autochtones, il faudrait essayer de réhabiliter le criminel ou le meurtrier. Je suis convaincu qu'il y a moyen de ramener cette personne dans le droit chemin, mais, monsieur, dites-moi comment on peut réhabiliter celui qui - à l'encontre de toutes les lois autochtones - en tue un autre. La différence réside dans nos valeurs respectives.
Je vous remercie.
La présidente: Chef Erasmus, vous vouliez ajouter quelque chose?
Le chef Erasmus: Effectivement. Merci.
Ce que vous avez dit m'a fait réfléchir. J'ai 42 ans, ce qui n'est pas très vieux, mais beaucoup de choses ont changé durant ces années-là. Je me remémorais mon enfance.
Comme vous, j'ai grandi à Yellowknife. Quand j'étais plus jeune, Yellowknife comptait peut-être entre 2 000 et 3 000 habitants. Le gouvernement y emménagé ses bureaux en 1967. À compter de ce moment-là, Yellowknife, en plus d'être une ville minière, devint aussi la capitale, parce que le gouvernement y avait ses bureaux.
En 1967 ou en 1968 - à l'époque, je n'y avais rien compris, mais plus tard, j'ai commencé à m'interroger à ce sujet - une de nos jeunes filles qui fréquentait l'école secondaire, âgée de 16 ans peut-être, était enceinte. Elle n'était pas mariée. Plus tard, j'ai rencontré son fils.
Sa grossesse a énormément perturbé notre collectivité. Ma famille, surtout mon père et ma grand-mère, en était vraiment bouleversée. Je me rappelle tous les aînés... parce que, à cette époque, on se rendait souvent visite. Nous n'avions pas la télévision, lorsque nous étions enfants. Donc, on rendait visite à ses voisins tôt le matin. Si vous étiez encore couché quand les voisins arrivaient, vous étiez considéré comme un paresseux, ce dont notre collectivité a une sainte horreur.
Je faisais toujours semblant que j'étais déjà levé. Je pouvais entendre ma tante ou une autre personne... les personnes âgées venaient toujours tôt. Elles se levaient à six heures, de sorte qu'à sept heures, la moitié de leur journée était déjà faite. À 7 h 30, j'entendais ma tante arriver. Je sautais donc en bas du lit et faisais semblant d'être éveillé.
Les vieux parlaient entre eux. Nous pouvions les entendre... Une telle est enceinte. La nouvelle faisait beaucoup jaser. Elle était enceinte et elle n'était pas mariée. On s'interrogeait sur l'identité du père, sur ce qui s'était produit, comment elle avait pu en arriver là. Je me souviens qu'on en a parlé pendant deux ou trois semaines. Partout, j'entendais dire: «Comment se fait-il qu'elle soit enceinte? Qui est le père? Ça doit être le Blanc.» Je n'étais pas très vieux.
Ce n'était pas courant; ces choses-là se produisaient rarement. Par la suite, j'ai appris, à mesure que j'ai vieilli et que j'ai commencé à comprendre mieux la collectivité dans laquelle je vivais, que cette société est très bien organisée. Il n'y a pas si longtemps de cela, vous ne pouviez pas épouser n'importe qui. Dans certaines familles... on nous disait qui nous pouvions épouser, qui éviter et quand le faire. Quand, par la suite, un couple se mariait, on aidait les mariés à s'établir. Tous contribuaient.
Les membres de la collectivité étaient très inquiets parce que le réseau familial, la société, commençait à éclater. Quelqu'un de l'extérieur avait engrossé cette fille. Nul ne savait qui. Elle était sans foyer, elle vivait seule. Qui se chargerait de l'aider? Ses parents? La collectivité ne savait comment réagir; elle essayait de trouver une solution.
Aujourd'hui, c'est tout à fait l'opposé. C'est la norme. Ce sont les couples mariés qui sont l'exception.
Je me souviens d'une réunion où l'un des anciens s'est emporté. Il avait raconté qu'il avait vu des jeunes filles dans un café, de grandes enfants déjà mères. L'une d'entre elles était arrivée avec son poupon. Elle l'exhibait fièrement. Il n'avait pas de père. On ne savait pas qui était le père. Cet ancien était outré. Il lui avait dit: «Je ne veux pas voir le bébé. Que représente-t-il pour nous? Une bouche de plus à nourrir.»
Ce bouleversement social doit vraiment, mais vraiment faire très mal à nos anciens qui ont à le vivre.
C'est pourquoi je dis qu'il faut agir. J'aimerais vraiment trouver une solution. Quand j'y pense, j'estime que j'ai été privilégié de connaître cette vie. En prenant de l'âge, je commence à avoir une idée de ce qu'était la vie en ce temps-là.
Je ne dis pas que tout était parfait, bien sûr, mais en se donnant un peu de peine, on pouvait bien vivre.
La présidente: Monsieur Cumming.
M. Cumming: Merci, madame la présidente.
J'aimerais répondre à M. St-Laurent qui a posé une très bonne question. La réponse se trouve, selon moi, à l'article 16 de la loi. Si je me souviens bien, il voulait savoir que faire quand un jeune prend un fusil et tue quelqu'un. Que prévoit la loi, dans pareille situation?
J'aimerais reprendre ce qu'ont dit certains de mes collègues. Au sein de notre collectivité, comme dans la société canadienne en général, le meurtre est un crime commis contre la société et il faut y voir. L'article 16 de la loi est selon moi une solution partielle.
Tel que je le comprends, cet article prévoit un moyen de concilier des objectifs opposés quand le juge décide si le jeune doit être traduit devant un tribunal pour adultes. D'une part, il faut voir aux intérêts de la société, entre autres la protéger et réhabiliter le jeune. Le tribunal doit tenir compte de cet aspect. D'autre part, le juge doit se demander, si j'ai bien compris, si on peut atteindre ces objectifs devant un tribunal de la jeunesse. S'il estime que c'est impossible, la protection de la société primera, et la cause sera entendue par un tribunal pour adultes.
La question que se pose notre collectivité est: jusqu'où faut-il aller pour protéger la société? Est-elle protégée quand le jeune est traduit devant les tribunaux pour adultes et traité comme un criminel ordinaire? A la porte de la prison? À la fin de la sentence? Examinons la question avec pragmatisme, car il faut être très pragmatique au sein de nos collectivités. Nous pensons en termes de générations. Nous pensons à très long terme, au futur comme au passé.
Quand un jeune de 16 ans commet un homicide involontaire ou un meurtre, même s'il est condamné à une peine par un tribunal pour adultes et même s'il purge 25 ans, à sa sortie de prison, il sera quand même dans la jeune quarantaine. Les membres de la collectivité se demandent ce qui, durant ces 25 ans d'emprisonnement, rendra la personne différente de ce qu'elle était à son incarcération.
Je suis entièrement d'accord qu'il faut protéger la société. Cependant, j'ai peut-être une conception différente de ce que représente cette notion. Suffit-il de caser les gens dans ces espèces de gros entrepôts que nous appelons des prisons? Beaucoup de nos jeunes qui ont tué quelqu'un sont revenus de prison. Ils nous reviennent animés par la rage et la violence. Donc, du point de vue de la protection de la société - je puis peut-être poser la question aux membres du comité - , comment les changements apportés à la loi protègent-ils la société? Si vous y réfléchissez en termes plus généraux, où prend fin l'obligation de protéger la société? A la sortie de prison?
Nous proposons que, lorsqu'il est question de protection de la société, on pense à plus long terme, que l'on s'interroge sur ce qui se produira lorsque cette personne sortira de prison. Je vous remercie.
La présidente: C'est nous qui vous remercions. Voyez: une toute petite question a été suivie d'une demi-heure de réponses. Vous faites du bon travail, Bernard.
Monsieur Ramsay, plus votre question sera courte, plus nous aurons de temps pour y répondre.
M. Ramsay (Crowfoot): Je tiens à remercier le groupe d'être venu ici aujourd'hui. Vous avez fait ressortir plusieurs points au sujet desquels, en tant que membres du gouvernement, il nous faut réfléchir.
D'où nous vient l'autorité de faire ce que nous envisageons de faire? Comme l'a dit Arlene, nous l'avons retiré aux familles. Ce n'est pas la première fois qu'on nous le dit; à toutes les réunions où il en est question, c'est ce que j'entends, partout au pays. La famille ne peut plus discipliner ses enfants, les éduquer - elle ne peut plus, comme l'a dit Bill, interdire certains mariages et dicter ce qui est dans le meilleur intérêt de ses membres. J'aurais de la difficulté à vivre ainsi; néanmoins, le principe a du bon.
Nous avons créé des institutions pour nous servir, puis nous en avons perdu le contrôle. Elles échappent toutes à notre contrôle: corps policiers, tribunaux, gouvernement. Nous voici, en tant que comité, pour vous écouter. Qui est au service de qui aujourd'hui? Est-ce nous ou est-ce vous? Il faudrait que ce soit nous qui soyons à votre service. Le chef Erasmus a parlé du projet de loi de contrôle des armes à feu, un exemple parmi tant d'autres où il faut que la base s'adapte à une décision prise dans les hautes sphères, qu'elle lui convienne ou non. Quand on veut régler un problème, j'ai appris très jeune, à la GRC, qu'il faut faire participer ceux qui y contribuent. Il faut se tenir à l'écart des institutions dont on a perdu le contrôle, car elles sont au service de leurs propres intérêts.
J'ai travaillé à la solution d'un problème. Un Autochtone avait été emprisonné pour un meurtre qu'il n'avait pas commis. Nous avons réussi à le faire sortir. Toutefois, avez-vous une idée de ce que nous avons fait lorsque nous l'avons fait sortir de prison? Nous contestions l'autorité des institutions. Nous avons contesté l'autorité d'institutions censées être à notre service. Nous avons mis en cause le système judiciaire, le juge, la cour d'appel, le service de police, le procureur de la Couronne. Ils se sont tous sentis menacés parce qu'ils avaient commis une erreur et que la preuve en était si écrasante qu'ils n'avaient plus le choix: ils ont dû reconnaître qu'ils avaient commis une erreur, du moins en partie. Cependant, nous luttons encore, de même que cet Autochtone, pour le faire disculper, car ces institutions continuent d'assurer leurs arrières en prétendant qu'il est bien le meurtrier, mais qu'il a fallu le libérer pour vice de forme.
J'ignore si j'ai une question à vous poser, mais je sais, par contre, que ce que vous me dites est plein de bon sens. C'est d'ailleurs ce que j'entends un peu partout au pays.
Peu m'importe comment on dirige le système judiciaire, comment sont dirigées les collectivités, à condition que règnent la paix et l'ordre. Je ne veux pas savoir comment une famille agit à condition que les enfants... je n'ai qu'à examiner les enfants pour savoir si leur famille s'en occupe.
Brièvement, j'aimerais partager quelque chose avec vous. Je connais un organisme qui, chaque mois, envoie deux hommes visiter le foyer de chaque membre pour vérifier le bien-être physique, émotionnel et spirituel de tous les membres de la famille, non seulement des enfants, mais aussi des parents. Il envoie aussi deux femmes rencontrer la mère dans le même but.
Cet organisme a les ressources voulues pour, au besoin, les aider financièrement. Si elles ont besoin de nourriture ou de vêtements pour les enfants, l'organisme les aidera - il ne les fera pas vivre, mais il les aidera à retomber sur leurs pieds. Il ne s'agit pas d'un organisme gouvernemental. Ce sont des gens qui le font avec leur propre argent, leurs propres ressources, par amour d'autrui. Ils ont un succès fou et, pourtant, ils répondent bien aux besoins des familles et des enfants dont ils s'occupent.
Voilà ce que j'entendais quand Bill a parlé au début, lorsqu'il parlait des anciens qui savaient à quel point il est nécessaire de s'entraider et qui mettaient au service du mouton noir leur expérience et leur sagesse. Qui aide ces jeunes aujourd'hui? Des gens bien rémunérés qui, pour justifier leur salaire, ont intérêt à ce que beaucoup de leurs clients se retrouvent devant les tribunaux.
C'est ce que j'appelle l'industrie florissante de la justice pénale. Je ne suis peut-être pas juste à son égard, mais je vois ses membres vous empêcher si souvent d'obtenir ce que vous demandez: le droit pour vos collectivités de régler elles-mêmes leurs problèmes.
Y a-t-il meilleur endroit pour régler ces problèmes qu'au sein de la collectivité? Néanmoins, ces personnes souhaitent les régler ailleurs parce que, s'il n'y a pas suffisamment de gens qui passent par le système judiciaire, ce système n'aurait plus sa raison d'être. C'est ce que vous me dites. Nous vous retirons votre autorité en tant que particulier, en tant que parent et en tant que collectivité et nous la donnons à une institution qui a tout intérêt à ce que vos enfants tournent mal. Il faut que cela change. Il faut changer cet état de fait, et - cette déclaration met fin à ce que j'ai à dire - bien des remèdes aux maux de la société canadienne viendront des collectivités autochtones, selon moi.
Je vous remercie.
M. Paulette: Vous parlez d'institutions. J'aimerais faire ressortir que les Autochtones sont aux prises avec les institutions depuis fort longtemps. C'est pourquoi j'ai dit au début que nous commencions à réaliser des gains.
Nous commençons à prendre la situation en main et à effectuer les changements voulus. L'un des plus grands obstacles que j'ai eu à surmonter durant ma carrière dans l'arène politique autochtone est la bureaucratie. Souvent, les législateurs, les députés, les ministres, que sais-je, sont très sympathiques. Il leur arrive même de faire preuve de compassion. Ils font preuve de plus de discernement que les fonctionnaires.
Il est difficile de collaborer avec un gros appareil défendu par quelque 5 000 avocats, et tout le reste. Il est difficile de se faire entendre et d'apporter des changements. La bureaucratie a pendant longtemps été une source de frustration pour Bill et moi. La situation a changé depuis lors. Maintenant, ce sont les Territoires du Nord-Ouest qui gouvernent, et l'appareil gouvernemental des Territoires du Nord-Ouest est encore pire. Je me surprends parfois à souhaiter le retour de Stu Hodgson; ce serait moins pire!
La présidente: Gardez la tête sur vos épaules, je vous prie.
M. Paulette: Je veux souligner que les peuples autochtones du Nord commencent à faire des progrès et qu'ils le font par eux-mêmes. Ils participent maintenant aux processus qui auront une influence dans le Nord. Bien souvent, ils ont dû utiliser les menaces pour y parvenir. Cependant, il est maintenant possible dans les Territoires du Nord-Ouest d'améliorer les choses. Là où nous sommes majoritaires, on ne nous critique pas parce que nous participons au plus haut niveau de la diplomatie, soit à l'élaboration d'une constitution pour la partie occidentale des Territoires du Nord-Ouest.
Nul ne conteste notre participation parce que nous avons forcé des portes et parce que nous nous sommes imposés dans les Territoires du Nord-Ouest comme des organismes crédibles qui peuvent faire du bon travail et accomplir des choses. Voilà qui est fort bien et tout à fait acceptable aux yeux des législateurs et des politiques, au niveau politique.
Côté bureaucratie, nous peinons pour rendre compte des 30 000 $ qui nous sont versés parce qu'il nous faut justifier nos dépenses au moyen de reçus. D'une part, c'est excellent; d'autre part... Vous n'avez pas toutes les compétences qu'il faut pour vous occuper d'un projet de 30 000 $, mais il en va tout autrement lorsqu'il s'agit d'élaborer une constitution pour l'ouest des Territoires du Nord-Ouest.
Cependant, nous faisons des progrès et nous allons continuer à exercer des pressions. Merci.
M. Cumming: Merci, madame la présidente. Je veux répondre aux observations de M. Ramsay parce qu'il soulève un bon point. Il s'agit de la question des institutions.
Dans le nord du Canada - et certains des autres conférenciers y ont fait allusion - il y avait en place des institutions gouvernementales. Il y a les institutions actuelles pour l'administration de la justice. Cela s'est passé dans nos collectivités pendant des milliers d'années. Nous avions des institutions pour presque chaque palier de gouvernement. Il y a une génération ou deux, elles ont été remplacées par des institutions du gouvernement populaire.
L'administration de la justice dans les Territoires du Nord-Ouest est dans une situation assez curieuse. Le gouvernement fédéral dispose de certains pouvoirs de légiférer. C'est ce qui vous amène ici aujourd'hui. Mais à d'autres égards, c'est le gouvernement territorial qui se charge de l'administration de la justice dans les collectivités; il dispose pour se faire de services du ministère de la Justice. Vous avez peut-être entendu quelque chose à ce sujet ce matin. Nous croyons toutefois que des problèmes se posent en ce qui a trait à ces institutions.
Au bureau fédéral du procureur de la Couronne dans les Territoires du Nord-Ouest, où il y a, je crois, 20 ou 22 avocats, aucun n'est autochtone. Pour ce qui est du gouvernement territorial, on ne trouve au ministère de la Justice aucun avocat autochtone. Nous avons, je crois, une femme autochtone spécialisée en droit pénal à l'Office du contentieux. Il s'agit d'un organisme autonome.
Ce que je veux faire ressortir, c'est que les institutions qui se consacrent à l'administration de la justice ne sont pas représentatives des collectivités qu'elles desservent et, lorsque M. Ramsay parle d'institutions, j'écoute ce qu'il dit. Il est temps que ces institutions deviennent plus efficaces pour nos collectivités. On amorcera le processus en les rendant plus représentatives des collectivités qu'elles desservent.
Merci.
M. Eagle: Merci, madame la présidente. Je veux ajouter quelque chose aux propos que vous avez tenus au sujet de ce comité. M. Erasmus m'a dit qu'il était sur le point de faire son exposé de clôture, mais je veux parler de ce comité.
La présidente: Vous m'enlevez beaucoup de pression pour présider ce comité.
M. Eagle: Le comité était si efficace. L'exercice n'a rien coûté. Le comité a effectué tout le travail bénévole. Le gouvernement territorial a vu à l'oeuvre le comité sur jeunesse dont j'ai parlé. Ils ont retiré cette tâche au centre d'accueil autochtone pour la confier au ministère de la Justice. À ce que nous sachions, le ministère essaie reproduire la même chose et dit maintenant qu'il dispose de comités de la justice communautaires.
Je ne crois pas que ces derniers fonctionnent comme ils le devraient et cela, pour une raison très importante. Comme l'a dit Bill, c'est parce que l'on vous impose quelque chose - voici le comité et voici comment nous voulons qu'il fonctionne - alors que le comité a pris naissance dans la collectivité et s'est développé. Il y a là toute une différence et beaucoup de bureaucratie.
Permettez-moi d'ajouter ceci. J'admire les bureaucrates qui essaient de faire respecter leurs politiques, leurs directives et les lois qui peuvent exister. Je n'ai toutefois aucune admiration quelle qu'elle soit pour l'homme politique qui n'a pas le cran d'effectuer le changement. Il y a une différence entre la bureaucratie et l'élaboration des décisions.
La présidente: Je vous remercie. Chef Erasmus.
Le chef Erasmus: Il faut que je consigne cette citation: «...aucune admiration quelle qu'elle soit pour l'homme politique qui n'a pas le cran d'effectuer le changement.» Au moment de rédiger mes mémoires...
La présidente: Je la consignerai dans la mienne également. Ce sera le jour où j'ai perdu le contrôle.
Le chef Erasmus: Merci.
Je pense, monsieur St. Laurent, que je me suis un peu mis dans tous mes états parce que nous sommes si...
M. Liske: Je croyais que nous, Indiens, ne nous mettions jamais dans tous nos états.
Le chef Erasmus: Eh bien! J'ai dit que je m'étais un peu mis dans tous mes états. Nous sommes tellement soucieux d'apporter des changements. C'est comme l'a dit M. Ramsay; cela tombe simplement sous le sens. Ce sont les choses sensées qui nous amèneront quelque part.
Ils nous ont tenus occupés d'une réunion à l'autre. Vous savez ce que c'est. Vous vivez de la même manière que nous. Vous courez d'une chose à l'autre et soit que vous manquez de temps soit que vous n'êtes pas assez bien organisé pour faire vraiment ce que vous voulez. Cela a fait 10 ans l'été dernier que j'assume des fonctions officielles. J'ai l'impression de n'avoir commencé qu'hier et de n'avoir rien accompli.
Je ne veux pas insister lourdement et dire que nous avons plus de droits que les francophones ou d'autres, mais je crois qu'il nous faut vraiment nous atteler à la tâche et nous comprendre mutuellement. Je crois honnêtement que les Canadiens sont sympathiques à notre cause, mais nous n'avons que faire de la sympathie. Il nous faut aller au-delà de cela.
Les gens nous disent qu'ils appuient nos revendications territoriales, mais il y a loin de la parole aux gestes. Que veulent-ils dire par là? Il faut commencer à réfléchir. Qu'entend-on par règlement des revendications territoriales? Que signifie un système judiciaire distinct? Qu'est-ce que la coexistence? N'entend-on pas par là une subordination. Nous estimons tirer notre origine d'une nation. Nous sommes une nation. Lorsque le Canada dit qu'il est une nation, je me permets de ne pas être d'accord car j'estime qu'il est toujours une colonie britannique. C'est un État. Nous ne lui avons jamais donné le rang de nation.
Ainsi, il nous reste encore beaucoup de choses à discuter. Je crois que, dans l'ensemble, beaucoup de Canadiens ont peur de nous. Ils nous craignent. Ils se demandent ce que nous ferons s'ils nous accordent l'autonomie gouvernementale. Ils ont une peur bleue de nous. Il est à peu près temps que nous cessions de nous craindre mutuellement.
Les anciens ne se craignaient pas mutuellement. D'après beaucoup de gens des prairies à qui j'ai parlé, au début de la colonisation les agriculteurs et les Indiens s'entendaient bien. Ici, c'est la même chose. Les premiers arrivants se sont bien entendus avec nous. Mon oncle a servi comme agent de la GRC pendant 25 ou 30 ans. Nos gens en ont aidé d'autres à ouvrir le pays pour en assurer ce qu'ils ont appelé le développement. Ils se sont serré les coudes à cette époque.
La Cour suprême du Canada essaie de rendre des décisions sur les traités et les droits des autochtones sans avoir la moindre idée de ce dont il s'agit. Si je rencontre le juge en chef maintenant, je le lui dirai. Je suis sérieux. Je ne crois pas que les juges aient la moindre idée de ce que sont nos droits. Ce sont des théoriciens qui tentent d'étudier notre cas à distance.
L'été dernier, j'ai rencontré un juge pour la première fois. Il s'agissait du juge Halifax. Un aîné a tiré sur un caribou et comme il vise toujours juste, il lui a suffi d'un seul coup pour abattre l'animal. Les agents l'ont attrapé après qu'il eut dépouillé l'animal. Il estimait qu'il s'agissait d'un droit découlant d'un traité, que cela respectait son mode de vie. On l'a poursuivi devant les tribunaux; il a donc été jugé à Dettah. C'est la première fois que je rencontrais un juge.
Je ne devrais peut-être pas dire cela publiquement, mais le juge a déclaré qu'il ne croyait pas que l'aîné aurait même dû comparaître devant le tribunal. Il a aussi déclaré que notre gouvernement et le gouvernement territorial auraient dû s'entendre au préalable pour que ce vieil homme n'ait jamais à passer au travers de tout ce processus et que s'il disait cela, c'était uniquement parce qu'il avait étudié un peu notre système et qu'il avait compris que cela tombe simplement sous le sens.
La Cour suprême du Canada régresse. Elle est tellement conservatrice et elle nous craint. Mulroney y a nommé tout un groupe qui pense comme lui et vous savez où il se trouve. Deux députés conservateurs siègent à la Chambre. Quel est le nom de leur chef? Charest. Je l'ai rencontré plus d'une fois Il n'est jamais à la Chambre. Combien de fois s'y trouve-t-il au moment d'un vote? Vérifiez ses présences. Il y est présent moins que n'importe qui d'autre dans le pays parce qu'il essaie de remettre le navire à flot.
Si nous avons de la chance, nous avons quelqu'un à la Cour suprême pour nous appuyer, mais nous n'y verrons aucun juge indien ou métis ou inuit. Je suis sérieux. Je crois vraiment que nous avons de la chance d'une certaine manière dans le Nord. Nous avons le vieux juge Morrow et le juge Sissons. Ils ont élargi les lois pour ce qui est du droit coutumier et ils ont fourni de bons précédents aux gens du Sud.
Cependant, malgré tout nous avons eu des cas comme celui de Michel Sikyea de Yellowknife; la célèbre affaire du canard. Le gouvernement canadien a dépensé un million de dollars pour se battre contre ce pauvre vieillard. Il avait 63 ans. Tout ce qu'il voulait, c'était aller chasser quelques canards et vivre une vie saine; il était hospitalisé en raison d'une tuberculose. Il est sorti et a voulu prendre des forces, se nourrir à notre façon. Il a tué un canard et on l'a poursuivi devant les tribunaux; sept ans plus tard...
Je crois vraiment que nous devons unir nos efforts, réfléchir ensemble et ouvrir nos coeurs étant donné la situation très tendue que vit le Canada. Peu importe la société que vous considérez. La personne qui immigre ici cherche un bon pays. Elle est à la recherche de la prospérité.
Madame Torsney, vous venez de l'Ontario, de Burlington, n'est-ce pas? J'ai eu un professeur de Sarnia...
M. Gallaway (Sarnia - Lambton): De qui s'agissait-il?
Le chef Erasmus: Jerry Tobin. Il enseignait ici à notre école.
M. Gallaway: Vous ne voulez pas parler de Brian Tobin.
Le chef Erasmus: Non, il ne s'agit pas de Brian Tobin de Terre-Neuve.
Ces gens nous ont enseigné l'histoire canadienne de la façon dont on la raconte dans les livres. Nous avons appris notre propre histoire chez nous.
Vos ancêtres sont arrivés là et ils ont eu à l'époque d'assez bons rapports avec les personnes qui ont travaillé avec eux - la Confédération des Six Nations et des Iroquois. Aujourd'hui vous entendez «Mohawk» et la situation est différente.
Je ne sais pas quelles seront vos recommandations, mais je crois vraiment que vous devez en quelque sorte réveiller le Parlement. Vous devez également réveiller l'exécutif. Le pouvoir judiciaire est tout seul, mais vous devez réveiller le pouvoir exécutif parce que c'est lui qui s'occupe d'appliquer les lois. Nous parlons des bureaucrates par opposition aux politiques.
À la veille du XXIe siècle, il est à peu près temps que nous réglions nos différences. Travaillons ensemble de la façon dont le voulaient nos peuples à l'origine.
Nous n'avons pas le même passé qu'aux États-Unis qui ont littéralement essayé d'éliminer les Indiens. Custer et d'autres se sont attelés à cette tâche. Les choses se sont passées différemment au Canada.
Merci.
La présidente: Je vous remercie tous de nous avoir fait des adieux aussi chaleureux.
Vous nous avez laissé entendre que, si nous nous rendions dans un établissement correctionnel, nous y verrions beaucoup de vos jeunes gens. Je veux que vous sachiez que c'est exactement là où nous allons, afin de voir l'installation et d'y rencontrer certains ces jeunes.
Cela dit, nous vous remercions du temps que vous nous avez consacré, de votre sagesse et de l'occasion que vous nous avez donnée de vous entendre aujourd'hui. Merci.
Mike, je sais que vous avez autre chose à dire. Certains d'entre nous resteront pour vous écouter.
M. Eagle: Quand le comité termine-t-il ses travaux?
La présidente: Je crois qu'on nous a mal compris. Nous ne nous occupons pas d'amendements en particulier. Nos travaux s'insèrent dans une consultation qui permettra de voir où en sont les choses au Canada en ce qui a trait à la Loi sur les jeunes contrevenants et s'il y a des changements à apporter. Si c'est le cas, nous reviendrons.
M. Paulette: Merci d'être venus à Yellowknife.
La présidente: Nous vous remercions de nous avoir accueillis.
M. Paulette: Le message que nous avons essayé de faire passer c'est que les Autochtones des Territoires du Nord-Ouest essaient d'obtenir l'autonomie gouvernementale et qu'ils tiennent énormément à ce qu'on leur témoigne du respect sinon ils vont continuer à brusquer les choses comme ils l'ont fait pour un certain nombre de questions.
Quel dommage que votre visite ait été de si courte durée. Vous avez probablement dépensé plus de 30 000 $ en billets d'avion pour venir jusqu'à Yellowknife. Vous auriez pu en profiter pour vous rendre dans l'une des plus petites collectivités et pour observer les conditions de vie qui y prévalent. Ce sera peut-être pour une prochaine fois.
Merci tout de même.
La présidente: Merci, Mike.
M. Paulette: J'ose espérer que vous tiendrez compte de nos remarques et de nos observations dans vos recommandations.
La présidente: Nous le ferons. Merci beaucoup.
La séance est levée.