[Enregistrement électronique]
Le mercredi 9 octobre 1996
[Traduction]
La présidente: Nous reprenons la séance.
Nous accueillons cet après-midi Victor Doerksen, député provincial, et je vois à ses côtés un visage que nous connaissons bien, Paddy Mead, directrice générale de la Section des jeunes contrevenants. La circonscription de M. Doerksen est celle de Red Deer South.
Vous êtes les bienvenus. Je crois savoir que vous allez nous présenter un exposé et nous passerons ensuite aux questions.
M. Victor Doerksen (député de l'Assemblée législative de l'Alberta (Red Deer South)): Très bien.
Laissez-moi vous présenter aussi Lesley Gronow, directrice des communications au ministère de la Justice de l'Alberta, qui nous accompagne.
Lorsque nous en serons aux questions, il est possible que Paddy répondent à certaines d'entre elles. J'espère que le comité n'y voit pas d'inconvénient.
Je tiens à vous remercier de nous donner l'occasion de faire connaître le point de vue des Albertains en ce qui a trait à la Loi sur les jeunes contrevenants et à la question de la criminalité des jeunes au sein de nos collectivités.
Nous demandons à la justice d'offrir une certaine stabilité et de consolider les règles, les valeurs et les principes de notre collectivité. Malheureusement, les gens n'ont pas cette impression lorsqu'on a affaire à des jeunes qui enfreignent nos lois. On a aussi l'impression d'être débordé par la criminalité des jeunes au sein de nos collectivités.
Les Albertains ont fait état de graves et légitimes préoccupations au sujet de la Loi sur les jeunes contrevenants. Les gens ont le sentiment que pour certains jeunes contrevenants, la législation actuelle, même avec les amendements apportés par le projet de loi C-37, ne prévoit pas de pénalités suffisamment lourdes pour certains types de crimes. Les Albertains ne croient pas que la Loi sur les jeunes contrevenants ait donné une preuve quelconque de son utilité en tant qu'élément de dissuasion et nous ressentons tous le besoin d'être davantage assurés d'une protection contre les agissements criminels des récidivistes. Les Albertains sont convaincus qu'il faut que nos craintes soient suffisamment prises en compte et qu'on fasse le nécessaire pour les apaiser.
Pour que le gouvernement fédéral soit bien informé de ces craintes, le premier ministre Klein a créé en 1994 un groupe d'étude parlementaire sur les jeunes contrevenants, dont j'ai eu le privilège de faire partie. Je dois vous faire remarquer qu'à l'époque j'étais de l'autre côté de la table et l'occasion m'est donnée aujourd'hui d'intervenir de ce côté.
J'ai eu le privilège de prendre part aux travaux de ce comité et de prendre connaissance des expériences et des difficultés qu'éprouvent bien des gens face aussi bien à la justice pour les jeunes qu'à la criminalité des jeunes. Nous avons écouté les Albertains provenant de toutes les régions de notre province et ils nous ont fait de nombreuses propositions concrètes et pratiques concernant les possibilités d'amélioration de la Loi. Surtout, ils nous ont dit de quelle façon à leur avis il nous était possible, à titre individuel et en tant que collectivité, d'éviter que nos jeunes retombent dans la criminalité.
Nous avons déposé ce rapport devant le gouvernement fédéral en 1994 et nous allons le refaire aujourd'hui.
La présidente: Pouvez-vous me dire à quel moment vous l'avez déposé en 1994?
Mme Paddy Meade (directrice générale, Section des jeunes contrevenants, Division de services correctionnels, ministère de la Justice, gouvernement de l'Alberta): Nous l'avons déjà remis à votre greffier.
La présidente: Non, je veux savoir quand vous l'avez déposé en 1994.
Mme Meade: Notre ministre l'a envoyé au ministre de la Justice.
La présidente: Très bien, merci.
M. Doerksen: Après avoir écouté les Albertains, une chose nous est apparue très claire. La protection de la société devait primer sur toute autre considération et tous les contrevenants devaient être responsables de leurs actes.
Dans tout le rapport, ce thème de la responsabilité revient constamment. Dans une démocratie, c'est l'individu qui a le pouvoir en dernière analyse, mais c'est aussi lui qui est au bout du compte responsable. La population de l'Alberta a clairement fait savoir qu'il nous fallait assumer la responsabilité de nos jeunes et que les jeunes eux-mêmes devaient être davantage responsables de leur comportement et des répercussions de celui-ci sur la collectivité.
Il est apparu clairement qu'il fallait modifier la Loi afin de tenir compte des réalités quotidiennes auxquelles font face nos tribunaux et nos collectivités. L'opinion publique est clairement en faveur d'un renforcement de la Loi pour que l'on puisse mieux faire face aux agissements des contrevenants récidivistes et violents. La Loi actuelle prévoit des peines qui ne sont pas suffisamment lourdes, que ce soit sur le plan de la dissuasion ou pour garantir une protection aux citoyens contre les récidives criminelles.
D'un autre côté, il apparaît clairement par ailleurs que seul un faible pourcentage de la population des jeunes contrevenants est responsable des crimes les plus violents. Il nous faut modifier la Loi pour que nous puissions nous montrer fermes à l'encontre de ce petit nombre de jeunes qui menacent particulièrement notre sécurité publique, mais sans jeter à bas l'intégralité du système et sans pénaliser injustement ceux qui commettent des infractions de moindre gravité.
Madame la présidente, je vais prendre quelques minutes pour exposer les principales recommandations qui figurent dans notre rapport à la suite de l'opération de consultation publique que nous avons menée.
La première porte sur la publication de l'identité des jeunes contrevenants. Il s'agissait là de l'un des principaux sujets de préoccupation exprimés par les Albertains lors des consultations du groupe d'étude parlementaire. Le groupe d'étude parlementaire ne s'est pas prononcé en faveur de la levée générale de l'interdiction de publier l'identité des jeunes dans chacune des affaires traduites devant le tribunal de la jeunesse, mais l'Alberta préconise une levée partielle de cette interdiction, qui permettrait de publier l'identité des jeunes ayant commis des infractions graves. L'Alberta recommande par ailleurs que l'on modifie la Loi pour autoriser, sur déclaration de culpabilité, la publication de l'identité des récidivistes chroniques ainsi qu'une modification autorisant la publication de l'identité des jeunes contrevenants déclarés coupables d'une infraction impliquant un crime grave.
Nous recommandons aussi que l'on modifie la Loi afin de permettre au directeur provincial de divulguer des renseignements sur tel ou tel jeune contrevenant aux responsables qui travaillent dans des secteurs comme celui de l'enseignement. Nous continuons à rédiger comme par le passé des protocoles entre le ministère albertain de la Justice et celui de l'éducation afin que cela puisse de faire.
Pour ce qui est de l'âge minimum, l'Alberta n'est pas en faveur d'un rabaissement général de l'âge minimum dans la Loi sur les jeunes contrevenants. Il est important, toutefois, de reconnaître que le public s'inquiète du comportement de jeunes contrevenants de moins de 12 ans. Le groupe d'étude parlementaire de l'Alberta a reconnu le rôle joué par d'autres réseaux s'adressant à la jeunesse lorsqu'il s'agit de lutter contre la délinquance des jeunes de moins de 12 ans et a présenté des recommandations distinctes au gouvernement de l'Alberta en ce qui a trait à la révision et à la modification de la Child Welfare Act ainsi qu'à la coordination des services dans un souci de prévention et d'intervention précoce.
Il convient de relever, toutefois, que les Albertains sont très préoccupés par le comportement criminel des jeunes de ce groupe d'âge, notamment des jeunes ayant commis une infraction grave. L'Alberta recommande que l'on modifie à la fois les dispositions du Code criminel et celles de la Loi sur les jeunes contrevenants pour abaisser l'âge de responsabilité dans des cas bien précis, à la discrétion de la Couronne, afin de pouvoir réprimer les infractions graves commises par des enfants de moins de 12 ans et par ceux qui, à l'intérieur de ce groupe d'âge, sont des récidivistes. Il serait exigé aux termes de cette modification que l'on détermine dans le cadre d'une audience judiciaire dans quelle mesure l'enfant accusé est suffisamment capable de comprendre la nature de l'acte criminel qu'il a commis. S'il en a la capacité, l'affaire serait alors traduite devant les tribunaux de justice pénale.
Pour ce qui est de l'âge maximum, l'Alberta souhaite que des modifications significatives soient apportées aux dispositions permettant de déférer les jeunes devant un tribunal pour adultes plutôt qu'une réduction générale de l'âge maximum. L'Alberta considère que les modifications apportées récemment par le projet de loi C-37 aux dispositions permettant de déférer les jeunes ne vont pas suffisamment loin face aux préoccupations que soulèvent les auteurs d'infractions graves et les contrevenants récidivistes. L'Alberta recommande avant tout sur ce point que les jeunes puissent être déférés devant un tribunal pour adultes à la discrétion de la Couronne.
Les infractions énumérées dans la Loi qui s'adressent aux jeunes de 16 et de 17 ans se produisent très rarement et sont incomplètes. Il faudrait faire figurer aussi les infractions entraînant des dommages corporels graves, telles qu'agression sexuelle entraînant des dommages corporels, agression sexuelle avec une arme, enlèvement, séquestration, conduite en état d'ivresse entraînant la mort ou un dommage corporel, négligence criminelle entraînant la mort ou un dommage corporel et conduite dangereuse d'un véhicule automobile donnant lieu à une poursuite par la police.
Aucune disposition n'a été prise pour ce qui est des récidivistes. L'Alberta recommande que l'on modifie la Loi afin que l'on puisse présumer que l'on va traduire devant les tribunaux pour adultes les jeunes récidivistes de 16 et 17 ans qui ont déjà été reconnus coupables à un certain nombre de reprises d'infractions répétitives.
L'Alberta est préoccupée par la procédure actuelle, longue, complexe et faisant double emploi, qui permet de déterminer quels seront les jeunes qui seront déférés devant un tribunal pour adultes. L'Alberta est en faveur de modifications apportées au Code criminel et à la Loi afin de rationaliser cette procédure. Elle préconise que l'on défère les jeunes devant les tribunaux pour adultes de façon à pouvoir obtenir de plus lourdes peines et de faire face aux problèmes posés par les jeunes contrevenants récidivistes ou auteurs d'infractions graves. Nous recommandons que l'on modifie le Code criminel afin d'exiger que les jeunes qui ont été déférés devant un tribunal pour adultes se voient appliquer les mêmes critères d'admissibilité à une libération conditionnelle que les contrevenants adultes. Nous recommandons aussi que l'on modifie la Loi pour que les jeunes de moins de 14 ans puissent être déférés.
Pour ce qui est de la responsabilité et de la participation des parents, le rapport parlementaire de l'Alberta a fait plusieurs recommandations, exigeant notamment que le tribunal pour la jeunesse évalue la capacité des parents à payer le coût des services de counselling familial pour les jeunes et limite les circonstances dans lesquelles des services d'aide juridique doivent être dispensés aux jeunes accusés d'une infraction. L'Alberta recommande en outre que l'on modifie le Code criminel et la Loi pour faciliter les poursuites civiles intentées contre les parents négligents en cas de perte matérielle ou humaine résultant des agissements criminels de leurs enfants. L'Alberta recommande aussi que l'on modifie le Code criminel et la Loi afin que des poursuites pénales puissent être intentées contre un adulte complice des agissements criminels d'un jeune.
Sur la question des jeunes contrevenants autochtones, l'Alberta maintient sa collaboration étroite avec la collectivité autochtone afin de répondre aux besoins particuliers des jeunes autochtones dans le cadre du système d'administration de la justice pour les jeunes. Surtout, des efforts conjoints sont menés pour régler la question de la surreprésentation des jeunes autochtones aux prises avec la justice.
L'Alberta s'inquiète de constater que les fonds fédéraux spécialement affectés aux programmes correctionnels pour les jeunes autochtones se sont taris dès la proclamation de la Loi sur les jeunes contrevenants. L'Alberta recommande que les besoins particuliers de cette population ainsi que la nécessité, pour la nation, de réduire le recours trop systématique à des mesures de garde pour les jeunes autochtones ainsi que leur surreprésentation au sein du système d'administration de la justice pour les jeunes, soient réglés en dehors du cadre des ententes fédérales actuelles de partage des coûts pour les jeunes contrevenants. L'Alberta demande que le gouvernement fédéral élabore des ententes de financement distinctes pour les jeunes contrevenants afin de garantir un appui et des services fédéraux à cette population en collaboration avec les autres juridictions.
Il faudrait aussi envisager des modifications devant permettre aux tribunaux de la jeunesse de prononcer des ordonnances d'indemnisation constituant des jugements en matière civile à l'encontre des jeunes.
Dans le domaine des mesures de substitution, l'Alberta est en faveur des mesures de substitution prises par la police et des solutions de rechange par rapport à l'administration traditionnelle de la justice pour les jeunes. C'est ainsi que l'Alberta a fait davantage recours aux comités de justice pour la jeunesse chargés d'officialiser les mesures de substitution prises par la police, d'administrer le programme des mesures de rechange et de dispenser des conseils aux tribunaux en matière de sentences. L'Alberta est en faveur des mesures venant se substituer aux mesures strictes de justice et préconise le recours à des solutions communautaires.
L'Alberta recommande par ailleurs que la déclaration de principes qui figure dans la Loi soit modifiée de manière à faire passer avant toute chose la protection de la société et la responsabilité des contrevenants. Nous avons besoin d'un système d'administration de la justice pour les jeunes contrevenants qui soit mieux conçu et de meilleure qualité et qui permette à notre collectivité de traiter convenablement et efficacement tout un éventail de jeunes ayant des démêlés avec la justice.
Le principe des comités de justice pour la jeunesse a été très bien accueilli lors des consultations menées par notre groupe d'étude. Au moment considéré, il y avait six comités officiellement mis en place dans la province. L'une de nos recommandations consistait à demander à la justice de l'Alberta de promouvoir un plus grand développement des comités de justice pour la jeunesse. Il y a actuellement des comités officiellement mis en place dans 39 localités.
Les premiers comités de justice pour la jeunesse ont été créés en Alberta dans les collectivités autochtones de Fort Chipewyan, en 1990, et de Wabasca - Desmarais, en 1991. À l'époque, ces collectivités étaient très préoccupées par le fait que leurs jeunes tombaient dans l'alcoolisme et s'adonnaient à des activités criminelles.
Notre ministre de la Justice, Brian Evans, a annoncé récemment un certain nombre de projets devant permettre de lutter contre la criminalité. L'une des recommandations de ce projet consiste à appuyer et à recommander que la police traduise directement les contrevenants, soit devant un comité de justice pour la jeunesse, soit devant un conseil de détermination de la peine, qui se chargeront de leur donner des conseils d'orientation et (ou) des directives à suivre. Si toutefois le contrevenant ne suit pas les directives données par le comité de justice pour la jeunesse ou par le conseil de détermination de la peine, on aura recours aux mesures appropriées.
Nous avons constaté en Alberta que la création des comités de justice pour la jeunesse a été un excellent moyen de faire participer la collectivité à l'administration de la justice pour les jeunes. Les collectivités ne peuvent pas se contenter de tenir les jeunes responsables, il est tout aussi important qu'elles s'efforcent de modifier les mentalités qui ont contribué au départ à la délinquance.
Les mesures de substitution, les ententes ou les recommandations en matière de sentence auxquelles parviennent les comités de justice pour la jeunesse sont le reflet des connaissances et de l'expérience des membres de la collectivité. Ces comités font appel aux parents et aux membres de la famille élargie pour faire face au comportement des jeunes. Les comités de justice pour la jeunesse permettent aussi aux victimes de se faire entendre et s'assurent que les contrevenants comprennent bien les conséquences de leurs délits.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du groupe, je n'insisterai jamais trop sur la méfiance du public envers la Loi sur les jeunes contrevenants. En Alberta, nous avons oeuvré dans les secteurs qui relèvent de notre compétence et nous avons réalisé d'excellentes choses. Nous vous invitons à nouveau à tenir compte des recommandations solides et concrètes qui figurent dans notre rapport. Nous avons besoin de rétablir la confiance du public dans notre Loi sur les jeunes contrevenants.
Merci, madame la présidente, du temps...
La présidente: J'ai une petite faveur à vous demander. Ma fonction, en anglais, est celle de chair, de chairperson ou de chairwoman. Vous pouvez m'appeler Mme Cohen - ou encore Mme Shaughnessy, si vous voulez - mais je ne suis pas un chairman. Je vous remercie.
M. Doerksen: Ce n'est pas un problème. Je lisais simplement mes notes. Je vous fais mes excuses.
La présidente: Monsieur Ramsay, vous avez 10 minutes.
M. Ramsay (Crowfoot): Merci, madame la présidente.
Je tiens à vous remercier de votre exposé. Je suis d'accord avec la majorité de son contenu, mais il y a une chose que je voudrais vous demander. Nous sommes continuellement aux prises avec un problème dans un domaine qui ne fait absolument pas intervenir la justice - en l'occurrence, le problème posé par un très jeune enfant dont on peut voir qu'il a besoin d'aide et d'assistance si l'on ne veut pas qu'il éprouve des difficultés, de graves difficultés, et commette des actes qualifiés de criminels, alors qu'il a moins de 12 ans et que l'on ne peut pas parler d'agissements criminels pour une personne de moins de 12 ans.
Nous avons aussi entendu des témoins de l'Alberta nous dire que nous ne disposions pas de suffisamment de ressources pour nous occuper des jeunes de 12 ans lorsqu'ils attirent sur eux l'attention de la police ou d'autres services responsables. Un agent de police nous a d'ailleurs dit hier qu'il était inutile de déférer devant la justice des jeunes de moins de 12 ans ayant causé délibérément des dommages ou commis un acte de violence parce que les services sociaux ne disposaient pas de suffisamment de ressources pour les prendre en charge en raison des coupures de personnel, par exemple.
Qu'avez-vous à dire à ce sujet?
M. Doerksen: C'est bien vrai. Je pense qu'il faut bien comprendre, avant tout, qu'à notre avis la Loi ne résout pas tous les problèmes posés par la criminalité chez les jeunes. C'est un mécanisme que nous pouvons à notre avis contribuer à améliorer grâce à nos propositions, mais ce n'est pas celui qui va résoudre tous nos problèmes.
En Alberta, je pense que nous sommes très conscients des enjeux sociaux. Nous avons arrêté un projet et nous sommes en train de mettre en place un programme visant à repenser nos services d'aide à l'enfance en nous efforçant de mettre en contact le ministère des Services sociaux, le ministère de l'Éducation, ceux de la Santé et de la Justice ainsi que tous nos services d'aide à l'enfance pour examiner et régler toutes ces questions.
M. Ramsay: Il y a deux types de problèmes qui apparaissent, et vous les évoquez dans votre mémoire: le petit pourcentage de récidivistes violents qui doivent faire l'objet de mesures de garde en milieu fermé, et ceux qui ne sont pas visés par la Loi. Ce sont les jeunes dont le comportement indique qu'il convient de s'en occuper, que la famille et que l'enfant ont besoin d'aide. Si l'on n'intervient pas dans le cadre d'un programme d'aide, ces enfants finiront, lorsqu'ils auront atteint l'âge de 12 ans, par avoir des démêlés avec la justice.
N'avez-vous pas l'impression qu'un vide a été créé dans votre province à la suite de l'adoption de la Loi de 1984 abandonnant la notion de responsabilité criminelle pour tout acte commis par une personne de moins de 12 ans? Estimez-vous que les dispositions des lois provinciales sont suffisantes pour qu'avec des ressources adéquates on puisse s'attaquer aux symptômes présentés par ces jeunes qui ont besoin d'aide et d'assistance?
Je répète peut-être ici ma première question, mais ça ne fait rien parce que je crois que c'est très important. Je ne sais pas si vous avez abordé le sujet dans votre réponse. Dispose-t-on des ressources permettant d'aider ces jeunes et leur famille pour qu'ils n'aient jamais des démêlés avec la justice?
M. Doerksen: La question des ressources est toujours délicate. Certains vous diront que l'on dépense suffisamment et d'autres vous diront le contraire selon que l'on privilégie ou non la question d'argent. Nous avons considéré dans notre province - et le gouvernement fédéral fait la même chose - le montant total de notre endettement et nous avons indiqué que notre pays, qui a plus de 500 milliards de dollars de dettes, n'a pas encore résolu tous ses problèmes sociaux. On ne peut donc pas ignorer la question, mais il y a matière à débat. Certains vous diront qu'il y a suffisamment de ressources, d'autres que non.
En reformulant nos services d'aide à l'enfance, nous nous intéressons bien entendu à l'intervention précoce. C'est l'un des éléments clés de ce plan et nous souhaitons pouvoir nous en occuper dans le cadre de cette reformulation.
M. Ramsay: J'aimerais aborder aussi la question monétaire. L'argent se faisant rare, toutes les institutions établies se font concurrence pour en obtenir.
Nous avons entendu hier une dame nous dire qu'un programme portant sur les mesures de substitution donnait d'excellents résultats dans le nord de l'Alberta - je crois qu'elle nous a parlé d'un taux de réussite de près de 97 p. 100 - mais pourtant le procureur de la Couronne de la région a mis fin à ce programme. C'est une chose qui me préoccupe beaucoup et ce n'est pas le premier signe de concurrence de ce type que je constate depuis que je suis député et même avant. Il y a une concurrence acharnée qui se fait au sein de ce que je qualifierais d'industrie de la justice pénale, chacun voulant conserver ses droits acquis ainsi que les ressources qui leur sont affectées par la Loi.
En êtes-vous conscients? Êtes-vous au courant du programme dont parlait cette dame ou de tout autre programme qui semble devoir apporter des solutions très positives sur le plan des mesures de substitution offertes aux jeunes et qui pourtant se heurte à la résistance des institutions établies?
M. Doerksen: Jack, je ne suis pas au courant du programme précis dont vous me parlez, mais je crois qu'effectivement, lorsqu'on se penche sur l'ensemble des programmes, on retient ceux qui sont les plus efficaces et on leur affecte les ressources correspondantes.
Je suis particulièrement satisfait de l'accueil fait par les collectivités aux comités de justice pour la jeunesse, parce qu'il s'agit là d'un exemple concret de l'implication de la collectivité. Nous essayons de rapprocher les contrevenants et les victimes et de faire en sorte que la collectivité réagisse face à la criminalité.
Je regrette de ne pas pouvoir vous parler de ce programme en particulier parce que je ne le connais pas, mais il est certain qu'il vous faut tenir compte des questions d'efficacité.
M. Ramsay: Je vois que vous abordez dans votre mémoire la question des crimes graves commis par des enfants de moins de 12 ans. Je m'inquiète de voir qu'en 1984 le gouvernement fédéral s'est effectivement déchargé de ses responsabilités envers les jeunes de moins de 12 ans dans le domaine de la justice. Vous recommandez que l'on apporte à la Loi des modifications faisant en sorte que les infractions les plus graves, lorsqu'elles sont commises éventuellement, soient déférées devant la justice pénale. Ce que l'on entend dire dans certains des milieux que je fréquente, ce que j'entends dire par les opposants à cette mesure, c'est que l'on veut tout simplement mettre en prison des jeunes de 10 ou de 11 ans. Est-ce cela que vous recommandez ici?
M. Doerksen: Lorsque nous avons parcouru la province, c'est une question qui a été soulevée à maintes reprises par la population de l'Alberta, et tous les intervenants partaient du même point de vue.
Nous avons indiqué dans nos recommandations que nous ne voulions pas que le seuil de 12 ans soit rabaissé mais que la Couronne jouisse d'un pouvoir discrétionnaire pour essayer de lutter contre les comportements criminels graves et, si l'enfant jouit de ses pleines capacités et peut comprendre la portée de la Loi, qu'on puisse recourir à son encontre aux dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants. C'est notre recommandation.
M. Ramsay: Quelles peuvent en être les conséquences? Pourquoi agir ainsi? Si vous avez des services sociaux en mesure de dispenser à ces jeunes de bons traitements, à quoi ça sert?
M. Doerksen: Il y a eu des cas où les choses ne se sont pas passées comme ça, où un enfant de moins de 12 ans savait très bien ce qu'il faisait. Aucun mécanisme ne permet de recourir à la Loi sur les jeunes contrevenants. À bien des égards, notre proposition revient à donner un avertissement et à mieux faire comprendre qu'il existe un mécanisme pour lutter contre les agissements criminels graves commis par des jeunes de moins de 12 ans.
M. Ramsay: Vous nous dites cependant que ce mécanisme n'existe pas à l'heure actuelle dans le cadre de notre législation sur les services sociaux. C'est bien ce que vous nous dites?
M. Doerksen: Non, pas dans le cadre de l'administration de notre justice ou des systèmes s'adressant aux jeunes.
M. Ramsay: Très bien. Je vous remercie, madame la présidente.
La présidente: Monsieur Gallaway, vous disposez de 10 minutes.
M. Gallaway (Sarnia - Lambton): Merci, madame la présidente.
Merci d'être venu, monsieur Doerksen. À titre de remarque, je pense que si l'on avait annoncé que notre comité venait ici pour étudier la Loi sur le trafic routier de l'Alberta, les gens seraient surpris. Dans un certain sens, je suis tout autant surpris qu'un comité provincial, composé de députés de la province, étudie une loi fédérale. Qu'est-ce qui vous a motivé?
M. Doerksen: Lorsque le premier ministre a lancé ce projet, l'opinion publique était - et c'est toujours le cas aujourd'hui - de toute évidence très inquiète au sujet de la criminalité des jeunes. La Loi sur les jeunes contrevenants est une loi fédérale, mais ce sont les provinces qui sont chargées de l'administrer, et nous sommes tout à fait convaincus d'avoir des intérêts en jeu en la matière. C'est pourquoi nous considérons que la question est importante.
M. Gallaway: Très bien. Je comprends.
Lors de votre réexamen, avez-vous simplement rencontré le public ou avez-vous effectivement passé en revue vos procédures internes? Comme vous venez de le reconnaître, vous jouez un grand rôle dans ce domaine. Avez-vous rencontré le procureur général ou les responsables du ministère pour revoir les procédures qui sont déterminées exclusivement par le procureur général de l'Alberta?
M. Doerksen: C'est une bonne question. Le groupe d'étude que nous avons créé au départ avait pour mandat, si vous voulez le qualifier ainsi, de se pencher strictement sur la question de la Loi sur les jeunes contrevenants elle-même. Après avoir parcouru la province et rencontré les gens, il nous est apparu évident que ce n'était pas strictement un problème posé par la loi, qu'il y avait aussi un problème administratif et qu'il s'agissait de tout un système.
Nous avons donc en réalité déposé deux rapports, l'un qui traite uniquement des modifications devant être apportées à la Loi sur les jeunes contrevenants, et l'autre qui a trait à l'administration de la justice dans lequel nous avons fait des recommandations concernant la façon dont notre gouvernement doit administrer la justice dans notre province. Nous nous sommes donc en fait penchés sur les deux questions.
M. Gallaway: Ce mémoire a aussi été déposé devant M. Rock?
M. Doerksen: Oui.
M. Gallaway: Nous ne l'avons pas?
Mme Meade: Nous en avons en fait remis des copies cet après-midi à votre greffier et vous avez donc des exemplaires des deux mémoires.
M. Gallaway: Vous avez soulevé entre autres la question de la publication des noms. Je vous signale que l'article 38 de la Loi autorise la communication des renseignements sur un jeune contrevenant à tous les stades de la procédure, à partir du moment où l'on procède aux inculpations jusqu'au moment où l'affaire est réglée. Avez- vous, vous ou votre procureur général, demandé aux juges de suivre de près la question de façon à pouvoir invoquer fréquemment cette disposition?
M. Doerksen: Je vais demander l'aide de Paddy sur ce point, mais je crois savoir que l'un des changements apportés par le projet de loi C-37 a justement été d'autoriser la communication de ces renseignements au départ. Il est entendu que dans notre rapport nous avons relevé un certain nombre de mesures figurant dans ce projet de loi avec lesquelles nous étions tout à fait d'accord, et c'était là l'une d'entre elles.
Mme Meade: Pour ce qui est de l'administration de cette mesure, nous avons arrêté des protocoles d'accord entre le ministère de la Justice de l'Alberta, son ministère de l'Éducation et d'autres organismes. Les juges s'en servent et la Couronne a été informée des changements et invitée à s'en prévaloir dans la procédure devant les tribunaux de la jeunesse.
M. Gallaway: L'autre partie de ce rapport qui m'intéresse véritablement c'est celle qui commence par... Le cinquième mot est «perception» et le paragraphe début ainsi: «Les Albertains ne croient pas que la Loi sur les jeunes contrevenants ait donné une preuve quelconque de son utilité en tant qu'élément de dissuasion». Est-ce que ce rapport - étant donné que vous nous dites avoir tenu un certain nombre d'audiences publiques - est fondé sur des éléments anecdotiques présentés par le public en fonction de ses croyances ou de son système de valeurs? Avez-vous recueilli en fait les données que vous ont fournies les Albertains pour les colliger de manière plus ou moins scientifique, ou êtes- vous revenus voir les responsables de votre ministère pour savoir dans quelle mesure ce que disaient les gens correspondait à la réalité? Souvent, nous constatons que les croyances de la population sont erronées. Elles s'appuient sur des hypothèses fausses ou tout simplement sur des données inexactes. D'où tirez-vous tous ces renseignements?
M. Doerksen: C'est un bon argument. Nous avons dans un premier temps rendu public un document de discussion qui présentait en fait des statistiques détaillées sur certaines activités criminelles, pénétration par effraction, par exemple. Nous avions donc une très bonne idée des tendances de la criminalité chez les jeunes. Je pense que selon les renseignements dont nous disposons aujourd'hui, la tendance pour ce qui est de certaines formes de criminalité chez les jeunes est à la baisse mais, parallèlement, on voit aussi qu'il y a une augmentation de la criminalité violente chez les jeunes, notamment des agressions sexuelles.
Nous nous sommes effectivement efforcés de bien présenter l'information et, dans nos rapports, nous avons cherché à rendre compte fidèlement de ce que nous ont dit les Albertains.
M. Gallaway: Dans ce rapport ici?
M. Doerksen: Il s'intitule «Guide de discussion». Je ne sais pas si vous l'avez.
M. Gallaway: Vous avez organisé des réunions publiques. Combien de gens sont venus y assister?
Mme Meade: Il y a eu une consultation publique. Le public a eu aussi la possibilité d'écrire et nous avons eu à la fois des exposés publics et des mémoires déposés par écrit. Le nombre d'interventions publiques, en incluant les mémoires, a été d'environ 600. Dans certains cas, il s'agissait d'interventions conjointes de plusieurs organismes et coalitions.
Pour répondre à la première partie de votre question précédente, c'est une chose qui a été passée en revue par le ministère albertain de la Justice, qui a bien évidemment pris connaissance de l'avis du public et des renseignements communiqués aux députés en ce qui a trait au fonctionnement du système. En plus de mener des consultations auprès du public, ces derniers ont rendu visite à tous les établissements, ont rencontré les jeunes contrevenants, les gens qui travaillent au sein du système, les responsables des services sociaux et ceux d'autres réseaux extérieurs comme celui de l'enseignement.
M. Gallaway: Donc, d'après vous, ce rapport - qui fait l'objet de l'exposé d'aujourd'hui - s'appuie, autant que vous puissiez l'affirmer, sur des éléments de preuve recueillis sur le terrain par des spécialistes de la recherche en sciences sociales.
Mme Meade: Oui, et le champ de recherche est l'Alberta...
M. Gallaway: On parle - et vous l'avez mentionné dans votre rapport - d'abaisser dans certains cas à 10 ans l'âge requis pour répondre de certains types d'infractions. Vous avez indiqué que c'est en raison du grand intérêt que soulevait la Loi sur les jeunes contrevenants que vous avez entrepris et mené à bien ce réexamen. Avez-vous envisagé d'entreprendre, ou avez-vous entrepris d'une manière ou d'une autre, un réexamen autre que celui qui découle de la Loi sur les jeunes contrevenants? Avez-vous aussi, parallèlement, réexaminé votre législation sur l'aide à l'enfance? À partir du moment où vous vous intéressez au sort des enfants de 10 ans, vous devez voir qu'ils relèvent de cette Loi.
M. Doerksen: Effectivement. J'ai essayé d'aborder cette question avec M. Ramsay.
Dans le rapport que nous avons transmis à l'administration de la Justice, nous avons présenté par ailleurs un certain nombre de recommandations en ce qui a trait à la législation de l'aide à l'enfance.
Nous avons donc effectivement examiné la question. Nous n'avons pas procédé à une révision en profondeur du système d'aide à l'enfance parce que ce n'était pas notre propos, mais nous nous sommes penchés sur la question en fonction de ce qui nous a été dit par les gens et nous avons effectivement déclaré qu'il y avait là un problème à régler.
M. Gallaway: Compte tenu du fait que vous déclarez que les Albertains ne croient pas que la Loi sur les jeunes contrevenants ait une valeur quelconque en tant qu'élément de dissuasion et que, parallèlement, vous recommandez que l'âge soit ramené à 10 ans pour certains types d'infractions, ne pensez-vous pas que vous allez tout simplement vous débarrasser d'enfants de 10 ans en les plongeant dans un système que vous administrez vous-mêmes et dans lequel ils vont recevoir le même type de traitement - ou de non- traitement - que celui que reçoivent actuellement les enfants de 12 ans? Qui va-t-on aider ainsi?
M. Doerksen: Attendez une minute. Je cherche où j'ai pu dire ça.
M. Gallaway: C'est à la page 8. Vous recommandez une modification du Code criminel et de la LJC afin de réduire l'âge de la responsabilité, dans certains cas précis, à la discrétion de la Couronne, afin de pouvoir faire face aux infractions graves commises par de jeunes enfants récidivistes de moins de 12 ans. J'interprète cela comme une mesure s'adressant aux enfants de moins de 12 ans.
M. Doerksen: Je pense que nous avons dit bien clairement que nous essayons... Nous n'avons pas recommandé que l'on rabaisse l'âge prévu par la Loi, mais nous souhaitons effectivement que la Couronne ait le pouvoir discrétionnaire de demander aux tribunaux que le contrevenant soit traduit en justice dans certains cas particuliers.
Veuillez m'excuser s'il y a quelque chose que je n'ai pas compris.
M. Gallaway: Supposons qu'un enfant de 10 ans ait des démêlés qui seraient interprétées, aux termes de la Loi sur les jeunes contrevenants, comme des agissements criminels. Cet enfant a 10 ans et c'est un récidiviste. Vous avez des lois sur l'aide à l'enfance dans votre province qui devraient vous permettre de vous occuper de cet enfant et qui ne donnent pas de bons résultats. Vous allez donc traduire cet enfant devant le tribunal pour la jeunesse parce que le procureur de la Couronne va exercer son pouvoir discrétionnaire. Vous allez traduire cet enfant devant les tribunaux, et que va-t-il se passer ensuite? En quoi le sort de cet enfant en sera amélioré? Où sera la différence, si l'on excepte le fait que vous allez placer cet enfant dans un système différent?
M. Doerksen: Notre intention n'est pas que ce rapport soit considéré indépendamment de notre volonté de redéfinir les services d'aide à l'enfance, parce que les deux vont ensemble.
Il arrive très souvent que des ministères travaillent indépendamment les uns des autres. Les services sociaux ne savent pas ce que fait le réseau de l'enseignement au sujet de tel ou tel enfant. Le ministère de la Santé ne connaît pas tous les enjeux. Dans notre nouvelle conception des services d'aide à l'enfance, nous voulons que tous ces ministères travaillent de concert et que l'on considère l'enfant dans une perspective plus large - sans que l'on s'en tienne au point de vue particulier de la justice, de l'éducation ou de la santé - et en faisant preuve d'une volonté de collaboration.
Nous avons donc fait des recommandations dans notre rapport qui sont malheureusement considérées indépendamment de ce que nous faisons pour modifier la conception des services.
M. Gallaway: Quels sont les mécanismes que le gouvernement de l'Alberta a mis en place, par conséquent, pour mettre en oeuvre cette collaboration entre ces divers organismes afin que les Albertains fassent davantage confiance au système qu'à l'heure actuelle?
M. Doerksen: Cela fait partie de la refonte. Nous dépensons...
M. Gallaway: Je vous demande quel mécanisme vous avez mis en place. Vous devez faire une refonte. Avez-vous fait quoi que ce soit au sujet de cette refonte. C'est ma question.
M. Doerksen: L'important c'est que nous sommes en train d'effectuer cette refonte. Nous avons différentes régions...
M. Gallaway: Est-ce que c'est depuis 1994?
M. Ramsay: Madame la présidente, il faut laisser le témoin répondre à la question.
M. Doerksen: Nous avons différentes régions dans la province. Chacune d'entre elles se penche sur ses propres collectivités parce que nous voulons tenir compte des collectivités, les problèmes n'étant pas les mêmes dans tous les cas. Le travail de refonte se fait donc au niveau communautaire. Je ne peux pas vous dire ici aujourd'hui à quoi cela va ressembler parce que tout n'est pas encore terminé.
Excusez-moi. Je ne peux pas être plus précis.
La présidente: Gênant, n'est-ce pas, monsieur Ramsay? Il faudrait peut-être vous en souvenir à l'avenir.
Monsieur St-Laurent, vous avez 10 minutes.
M. Ramsay: Je vous autorise à me faire la leçon, madame la présidente.
La présidente: Oui. Je vous remercie de votre aide.
M. Ramsay: Je me demande pourquoi vous ne l'avez pas mentionné lors de l'intervention du témoin.
La présidente: Merci de votre aide, monsieur Ramsay.
M. Ramsay: Le plaisir est pour moi.
La présidente: Monsieur St-Laurent.
[Français]
M. St-Laurent (Manicouagan): Le service de recherche m'a remis un document intitulé: «Taux de variation du compte quotidien moyen des jeunes contrevenants en établissement 1990-1991 à 1994-1995, Canada et provinces». On dit combien il y avait de jeunes contrevenants en détention en moyenne.
La moyenne au Canada est de 20 p. 100; trois provinces dépassent ce taux de beaucoup, dont la deuxième plus importante, l'Alberta, qui est à 39 p. 100. On a tous un travail à faire, bien entendu, mais en Alberta, il y a un problème d'efficacité.
Vous dites aussi que, pour une certaine catégorie de personnes, il faudrait réduire l'âge à 10 ans afin qu'elles puissent faire face au processus. L'Alberta fait face à plus de difficultés que les autres provinces. Il n'y a que Terre-Neuve qui réussit moins bien que vous. Ce n'est pas un blâme personnel que je vous adresse. C'est une donnée statistique. Comment expliquez-vous qu'on se presse d'envoyer des enfants de 10 ans faire face à un système qui ne fonctionne pas?
[Traduction]
M. Doerksen: Je me pose des questions au sujet du chiffre de 39 p. 100 que vous mentionnez. Y a-t-il une différence d'une province à l'autre entre la garde en milieu ouvert et la garde en milieu fermé?
[Français]
M. St-Laurent: Ce sont les trois genres de garde: la détention provisoire, le milieu ouvert et le milieu fermé;
[Traduction]
il y a la garde en milieu fermé, la garde en milieu ouvert et la détention provisoire. Je l'ai ici.
M. Doerksen: Je vais demander à Paddy de commenter ces pourcentages, parce que je pense qu'elle est mieux familiarisée avec ces chiffres que moi.
Mme Meade: Il est tout à fait vrai que dans le bulletin Juristat, l'Alberta fait état d'un large recours aux mesures de garde et, en fait, les pourcentages s'appliquant à la garde sont le reflet des sentiments de l'opinion publique et de la magistrature en Alberta sur cette question.
Nous nous efforçons de faire progresser les mesures de substitution à la garde. Nous en avons déjà vu quelques effets depuis le bulletin Juristat de 1993, je crois. Toutefois, en Alberta, une mesure de garde est une mesure de garde. Nous n'avons pas la possibilité de recourir à la probation dans une résidence ou une maison de transition lorsqu'il y a une assignation à résidence. Dans notre esprit, il s'agit là d'une mesure de garde. Si quelqu'un est placé sous garde dans une installation d'aide à l'enfance, ça compte encore comme une mesure de garde.
Donc, même si nous reconnaissons que l'Alberta a un taux de placement sous garde qui reste élevé, cette statistique ne tient pas compte de la façon dont on comptabilise les mesures de garde et les mesures de substitution dans les différentes juridictions. Il faut en tenir compte.
M. Doerksen: Si j'en juge par les questions posées autour de cette table, il semble que l'on s'intéresse beaucoup à l'âge minimum et aux recommandations touchant les jeunes de moins de 12 ans. Je crois qu'il faut répéter que nous ne pensons pas que cette mesure va toucher un grand nombre de jeunes. Il s'agit simplement de mettre en place un mécanisme permettant à la Couronne d'avoir le choix d'y recourir si elle l'estime nécessaire. Il ne s'agit pas de déclarer que la chasse aux jeunes de moins de 12 ans est ouverte.
Nous nous sommes aussi efforcés de préciser clairement que nos différents ministères doivent collaborer pour faire face à toutes les questions posées par les services d'aide à l'enfance.
Nous proposons toutefois qu'il y ait un mécanisme dans les quelques rares cas où la Couronne estime qu'il peut être nécessaire et justifié de s'adresser à la justice.
[Français]
M. St-Laurent: Pour votre gouverne, les statistiques que je possède datent de mars 1995. Comment voyez-vous le rôle des parents dans le processus? Je suis arrivé un peu en retard et vous en avez peut-être parlé. Prenons un bel exemple qui va nous marquer beaucoup, celui d'un enfant de 10 ans. Au Québec, on a visité un endroit tout à fait intéressant qui s'appelle le Centre Portage. À l'intérieur du bâtiment, on a été à même d'interroger des jeunes contrevenants qui vivent le système et qui vivent la manière dont on traite ce genre de problème au Québec.
On leur a demandé: «Si on abaissait l'âge à 10 ans, pensez-vous que cela aiderait la justice à mieux faire son travail?» Avec beaucoup d'émotion - nous avons vécu un moment assez spécial - , une délinquante d'environ 16 ans qui avait fait de la prostitution et suffisamment de choses pour en arriver là a répondu, la larme à l'oeil: «À 10 ans, ce n'est pas des bras de la police qu'on a besoin, mais bien des bras de sa mère.»
Ce fut un moment spécial, et cela nous a ouvert les yeux sur beaucoup de choses. Alors, comment voyez-vous le rôle des parents dans un processus judiciaire reflétant les changements que vous proposez et qui vous permettrait de mieux travailler?
[Traduction]
M. Doerksen: La question de la responsabilité des parents arrive probablement en second lieu dans toutes les interventions qui nous ont été présentées. Il y a en premier la publication des noms et en deuxième la responsabilité des parents.
Nous avons effectivement présenté des recommandations. C'est une question difficile. Chacun de nos enfants - j'en ai quatre - est différent. L'intervention des parents joue un rôle important dans la façon dont les enfants sont élevés, mais il faut voir aussi que les enfants ont leurs propres inclinations pour ce qui est de l'orientation qu'ils donnent à leur vie.
On nous a exposé les deux côtés des choses. Certains intervenants ont réclamé une responsabilité parentale totale. Un autre nous a dit: «Attention, il faut aussi que l'enfant ou que le jeune soit tenu pour responsable parce que nous l'avons élevé du mieux que nous le pouvions.»
Nous avons présenté un certain nombre de recommandations dans nos rapports au sujet de la responsabilité des parents. L'une d'entre elles consistait à habiliter le juge à évaluer la responsabilité des parents pour ce qui est du remboursement des frais de justice, par exemple. C'est une chose dont on a parlé. La question est bien difficile à régler.
Il est intéressant de constater que dans la loi antérieure, la Loi sur les jeunes délinquants, il y avait des dispositions portant par exemple sur l'immoralité sexuelle, le fait d'encourager les jeunes à la délinquance ou l'obligation pour les parents de payer l'amende à la place de leurs enfants. Ce sont trois éléments qui ont été retirés dans la Loi sur les jeunes contrevenants. Nous avons proposé de rétablir deux d'entre eux afin que l'on puisse demander aux parents de payer les frais de justice et régler les cas dans lesquels des adultes ont incité des jeunes à la délinquance.
La présidente: Monsieur Ramsay, vous disposez de cinq minutes.
M. Ramsay: J'ai toujours eu du mal à accepter l'âge minimum. Ce qui m'inquiète, c'est que des infractions criminelles graves peuvent se produire - des gens peuvent être tués, violés, agressés - sans que l'on puisse recourir à la justice pénale. Les gouvernements provinciaux peuvent intervenir, sans toutefois que l'on puisse parler en termes d'actes criminels. Ils ne peuvent qu'intervenir au titre des besoins sociaux de la famille, des besoins de l'enfant, etc.
Lorsqu'il a comparu devant notre comité, le professeur Bala a abordé dans une certaine mesure la question. Il a recommandé que l'on ramène à 10 ans l'âge minimum. Vous recommandez uniquement que l'on accorde à la Couronne le pouvoir discrétionnaire de traduire ces jeunes devant des tribunaux pour adultes dans certaines circonstances. Bien entendu, ce sera dans de rares circonstances.
Il n'en reste pas moins que je suis très préoccupé par le fait que des infractions criminelles graves, des agissements particulièrement violents, peuvent être commis par des enfants de moins de 12 ans sans toutefois faire l'objet d'une enquête en tant qu'actes criminels.
Laissez-moi vous donner un exemple tiré de mes conversations avec des habitants du nord du Canada. Ils m'ont dit que lorsqu'une motoneige était volée, ils le signalaient à la police. Si on retrouve cette motoneige et si on s'aperçoit que c'est un jeune de 11 ans qui l'a volée, tout s'arrête là, l'acte ne peut être qualifié d'infraction.
Je trouve cela préoccupant. Si on se contente de répondre à la personne qui a perdu sa motoneige - qui sera peut-être accidentée, par exemple - qu'il n'y a rien qu'on puisse faire, que l'on ne peut rien faire au responsable sauf à lui faire suivre un traitement, je trouve alors la situation très préoccupante.
Avez-vous d'autres sujets de préoccupation en dehors de ceux que vous avez indiqués dans votre rapport?
M. Doerksen: Nous avons entendu les deux types d'arguments lorsque nous avons fait le tour de la province. Nous nous sommes efforcés dans notre rapport de présenter une synthèse équilibrée de tous les points de vue, pour que l'on dispose au moins du mécanisme nécessaire. Nous n'avons recommandé que l'on abaisse l'âge de la responsabilité.
Pour l'Alberta, nous nous sommes orientés vers «des mesures policières de substitution», en incitant la police à recourir aux comités de justice pour la jeunesse dans des cas comme celui-ci. Ces jeunes ne seront donc pas traduits devant la justice mais comparaîtront devant un comité de justice pour la jeunesse et assumeront ainsi une certaine responsabilité vis-à-vis de la collectivité.
M. Ramsay: Êtes-vous préoccupés par le fait que des jeunes de moins de 12 ans qui pourraient tomber sous le coup des dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants en viendraient à faire l'objet de mesures de substitution, avec tous les types de recours et de traitements qui seraient alors disponibles? Est-ce que cela vous préoccupe?
M. Doerksen: Dans notre rapport et dans nos discussions d'aujourd'hui, je pense que nous essayons de faire une distinction entre les crimes violents et graves, d'une part, et ceux qui sont non violents et moins graves, d'autre part, lorsque c'est pour la première fois, par exemple, que le jeune a des démêlés avec la justice. Nous disons qu'il faut une répression plus sévère, des peines plus lourdes, pour les crimes violents et graves. Il faut que l'on puisse y faire face tout en étant en mesure de recourir, lorsqu'il s'agit d'une première infraction ou d'une infraction non violente, à d'autres mécanismes, à des mesures de substitution, aux comités de justice pour la jeunesse, à la déjudiciarisation. Tout ce qui fonctionne doit être mis à profit. Tout n'est pas parfait ici, mais nous essayons de trouver les solutions pour faire face aux différents problèmes posés par les jeunes.
M. Ramsay: Quel temps me reste-t-il, madame la présidente?
La présidente: C'est terminé.
M. Ramsay: Très bien. Merci.
La présidente: Madame Torsney, vous avez cinq minutes.
Mme Torsney (Burlington): Je suis heureuse que vous soyez venus aujourd'hui et que le ministre prenne cette question suffisamment au sérieux pour demander à cinq d'entre vous de venir nous en parler.
Je trouve intéressant que vous disiez à la page 15:
- Nous avons besoin d'un système d'administration de la justice pour les jeunes contrevenants
qui soit «mieux conçu» [...] et qui permette à notre collectivité de traiter convenablement et
efficacement tout un éventail de jeunes ayant des démêlés avec la justice.
La population ne souhaite pas que l'on dissuade les enfants avec la Loi sur les jeunes contrevenants; elle veut que les enfants se tiennent bien. Elle veut de bons enfants qui deviendront des adultes raisonnables. Nous savons tous que la loi ne dissuade pas nécessairement les gens. Chacun d'entre nous a probablement commis un excès de vitesse la semaine dernière sur la route, et pourtant c'est contre la loi.
Dans un pénitencier à sécurité maximale, nous avons entendu des enfants nous dire qu'on les avait envoyés à Calgary, qu'ils étaient restés assis à ne rien faire et qu'ils n'avaient bénéficié d'aucun programme. Nous avons entendu dire cet après-midi qu'à moins de se voir infliger une peine de 60 jours, un enfant ne bénéficie d'aucun counselling et on se dispute pour savoir qui va payer les séances dont il réussit à bénéficier.
Il me semble que les services sociaux et que le réseau de l'enseignement ont subi un véritable échec. Nous avons entendu parler d'un enfant qui va sortir la semaine prochaine d'un établissement de garde en milieu ouvert et qui devra vraisemblablement attendre le prochain semestre avant de pouvoir réintégrer l'école. Que fait donc le ministère de l'Éducation lorsqu'il s'agit d'offrir des solutions de rechange à ces enfants pour qu'ils ne perdent pas leur temps?
Il me semble que les gens veulent être en sécurité et ne pas devenir des victimes. Ce n'est pas avec la Loi sur les jeunes contrevenants qu'on y parviendra; c'est au sein de notre collectivité. Les conseils de justice communautaires que vous avez mis sur pied sont excellents parce que les gens qui passent par là ont véritablement l'impression qu'ils en retirent quelque chose.
Toutefois, quand vous nous dites à la page 10 que la population souhaite que l'on présume que les jeunes ayant déjà commis un certain nombre d'infractions et qui sont des récidivistes seront traduits devant le tribunal pour adultes, lorsqu'un jeune est placé dans un établissement de garde en milieu ouvert à 16 reprises, pendant des périodes de 30 jours, on considère qu'il s'agit d'un récidiviste. Pourtant, s'il n'a reçu aucune aide parce que personne ne peut lui en donner à moins qu'il soit condamné à plus de 60 jours, à qui la faute s'il récidive; n'est-ce pas la faute de tout le monde? N'est-ce pas la faute des services si on le voit revenir? Que fait-on?
Vous nous dites qu'exceptionnellement vous voulez que des enfants de 10 et de 11 ans puissent être traduits en justice. Leur première infraction n'a vraisemblablement pas causé des dommages corporels graves; il s'agissait probablement de bien d'autres choses auxquelles on aurait dû porter remède et leurs parents, s'ils n'avaient pas les moyens de le faire, auraient dû suivre des programmes de formation intensifs. Il devait y avoir d'autres solutions. C'est vraiment reconnaître que le système a laissé tomber ces enfants et ces familles.
Enfin, vous nous faites remarquer que chacun de vos enfants est différent et qu'ils exigent de vous différentes compétences. C'est bien sûr formidable que vous soyez un bon parent. Ce que je regrette, c'est que votre institution ne dispense pas beaucoup de programmes aidant les parents à se perfectionner et je pense que la plupart de ces enfants ont besoin d'une aide de ce type. Un jour, la plupart d'entre eux deviendront des parents et je suis effrayée d'entendre un enfant comme celui de ce matin qui nous dit qu'il envisage d'avoir lui-même un enfant au cours des cinq prochaines années et qui estime avoir les compétences nécessaires alors que, mon Dieu! Je ne suis pas là pour l'évaluer et je n'aimerais peut-être pas qu'il m'évalue, mais je n'ai néanmoins pas l'impression qu'il ait de grandes compétences en tant que parent, en raison peut-être de la façon dont il a été élevé.
M. Doerksen: Il est difficile de se rappeler tous les points que vous avez évoqués...
Mme Torsney: Il y a un fil conducteur.
M. Doerksen: D'abord, il faut, d'après moi, se montrer très prudent avant de rejeter la faute, que ce soit sur le système, sur les parents, ou sur quelque autre cause. En tant que société, il nous faut retenir la responsabilité individuelle des gens; je ne pense pas que nous puissions faire autrement. Dès qu'on rejette la faute sur le système, on permet à l'individu de se soustraire à ses responsabilités.
Cela a été intéressant. J'ai une réflexion personnelle à faire au sujet de jeunes contrevenants qui nous ont présenté des exposés et qui avaient remis de l'ordre dans leur vie. Il s'agissait, pour eux, d'une décision qu'ils avaient prise de se sortir de la situation dans laquelle ils se trouvaient auparavant. Malgré les programmes de consultation médico-sociale et de formation que nous avons mis en place, et nous faisons, c'est vrai, un gros effort dans ce sens, il est très difficile d'obtenir un changement de comportement tant que l'intéressé ne se décide pas à accepter l'aide qui lui est proposée. C'est du moins mon avis.
En ce qui concerne l'action des parents, je suis d'accord. Cela dépend, en définitive, du milieu familial. En Alberta, nous tentons, lorsque cela est possible, d'apporter aux jeunes l'aide dont ils ont besoin, mais sans les soustraire à leur famille.
Voilà à peu près ce que j'avais à vous dire.
Mme Torsney: Un des programmes les plus efficaces qu'il nous ait été donné d'observer s'adresse aux jeunes de moins de 12 ans et vise à leur inculquer une plus grande maîtrise d'eux-mêmes avec, comme principe, simple «Arrête-toi un instant et réfléchis». Ce genre d'initiative devrait être prise dans toutes les écoles et ne pas viser seulement les enfants qui ont des démêlés avec la société. Il s'agit de leur inculquer certaines dispositions qu'on ne saurait prendre pour acquis. Il est clair que les enfants qui ont eu des démêlés avec la justice ont grand besoin d'acquérir ce genre de mécanismes leur permettant de mieux se maîtriser s'ils en ont envie. Or, ce genre de programme n'existe pas dans la plupart des établissements que nous avons visités.
La présidente: Permettez-moi une observation. Je ne dis pas qu'on s'arrête trop à l'âge, mais je remarque que la question de l'âge est souvent évoquée. Je ne suis pas parmi ceux qui le font... Pour moi il s'agit d'un facteur d'une importance variable, mais...
Il y aurait lieu, selon votre rapport, de confier au procureur de la Couronne - j'ai été procureur de la Couronne, et j'entrevois cette solution d'un très mauvais oeil - les infractions graves commises par des enfants de moins de 12 ans. Entendez-vous par cela des enfants de trois ans, de deux ans, de six ans ou de neuf ans? Quelle doit être, selon vous, la limite d'âge? Y aurait-il même lieu de n'en fixer aucune?
M. Doerksen: Je suis sûr qu'au cours de votre carrière de procureur de la Couronne - vous l'avez bien été...
La présidente: En effet.
M. Doerksen: ... vous étiez tenue de faire la preuve de ce que vous avanciez devant le tribunal, et vous ne deviez pas lui transmettre un dossier si vous ne pensiez pas que cela était utile ou nécessaire afin de voir trancher l'affaire, en l'espèce dans le cadre de la Loi sur les jeunes contrevenants. La Couronne restera tenue...
La présidente: J'en reparlerai dans un instant, mais quelle doit être selon vous la limite d'âge? Vous parlez d'infractions «commises par des enfants âgés de moins de 12 ans».
M. Doerksen: C'est bien sûr toujours un problème lorsqu'il s'agit de fixer la limite d'âge. Pourquoi choisir l'âge de 12 ans? Pourquoi ne pas fixer la limite d'âge à 17 ans? On fixe une limite d'âge mais il est clair que, pour un même âge, les individus varient par leur maturité et c'est bien pour cela, je crois, que nous introduisons un élément discrétionnaire en prévoyant que l'enfant en question doit être en mesure de comprendre ce qu'il a fait.
La présidente: Je voudrais qu'on s'entende bien sur ce point. Serait-il donc possible d'éviter les poursuites contre un enfant qui, bien qu'âgé de 12 ou de 13 ans, n'était pas en mesure...? Dans l'état actuel des choses, les règles s'appliquent à tous les enfants de 12 ans. Nous n'accordons pas au juge la possibilité de tenir compte des divers degrés de maturité ou d'autres facteurs de cet ordre. Selon cette théorie, le procureur de la Couronne, enfin, la personne à qui l'on confiera ce pouvoir discrétionnaire de décision, pourra-t-il décider de ne pas poursuivre quelqu'un qui, âgé de 15 ans, ne saurait être déclaré coupable étant donné son manque de maturité?
M. Doerksen: Il faut effectivement poser la question. Mais, n'oublions pas que, pour les jeunes âgés de plus de 12 ans, le problème sera tout de même examiné dans le cadre des rapports prédécisionnel et décisionnel. Il en sera donc tenu compte.
La présidente: Après que l'intéressé est déclaré coupable.
M. Doerksen: Non, en cours de route.
La présidente: Non, après la déclaration de culpabilité. Le rapport prédécisionnel intervient après la déclaration de culpabilité.
M. Doerksen: Je ne peux pas dire que j'aie beaucoup réfléchi à cet aspect de la question. Il aurait lieu de le faire.
La présidente: Nous sommes d'accord.
M. Doerksen: Il est intéressant de noter, cependant, qu'aucune limite d'âge n'était fixée dans la LJC.
La présidente: En effet.
Si un jeune âgé de 10 ou de 11 ans commet un acte de violence, une agression sexuelle par exemple, selon le régime que vous proposez d'instaurer, il relèvera de la justice pénale... Je ne vois pas très bien. Cela se défend pour vous en tant que province... C'est d'ailleurs pourquoi nous avons invité la province à venir nous parler de cela. C'est nous qui modifions les lois et c'est vous qui engagez les dépenses, c'est comme cela que ça marche avec la justice pénale. Mais ce que je vois ici - -et, en disant cela, je ne mets nullement en cause votre procureur général ou votre gouvernement - c'est, au fond, une grande perplexité car c'est vous qui finirez par en régler la note. C'est vous qui devrez financer ces mesures.
Prenez le cas d'un jeune de 11 ans qui rue dans les brancards. Pourquoi ne pas le prendre en main? Je vous le dis franchement, à maints égards, vous avez davantage de moyens de le brider, de le contrôler en dehors du système pénal. Ce que je veux dire, c'est que je ne vois pas pourquoi vous estimez avoir besoin de cet outil supplémentaire. Vous avez déjà les moyens d'action nécessaires.
Je vais être très directe. Faites-vous simplement cela pour vous faire valoir auprès des électeurs parce que vous savez que beaucoup d'entre eux estiment qu'on devrait effectivement traduire en justice des enfants de 10 ans?
Vous pourriez, à l'heure actuelle, confier à la société d'aide à l'enfance les enfants de 10 ans qui ont un comportement brutal. Pourquoi ne pas le faire? Vous pourriez inviter vos services de police à confier ces enfants à l'aide à l'enfance et vous pourriez mettre de côté les crédits nécessaires. Croyez-moi, même si vous les traduisez en justice, c'est vous qui en assumerez les frais. On ne va tout de même pas les envoyer dans un pénitencier fédéral.
Qu'en pensez-vous? Quel serait pour vous l'avantage?
M. Doerksen: En ce qui concerne la gesticulation politique, j'espère que la pelle ne va pas se moquer du fourgon, car de la politique, nous en faisons tous.
Dans notre rapport, nous avons vraiment essayé de rendre compte de ce que les gens nous ont dit attendre du dispositif en place pour les jeunes. Leurs arguments pèsent plus lourds que les vôtres ou que les miens, puisque ce sont nos mandants. Le comité serait peut-être parvenu à des conclusions différentes au niveau des recommandations, mais nous avons tenté de rendre compte de ce que les Albertains nous ont dit vouloir du gouvernement fédéral.
Il est intéressant de voir que vous soulevez le problème financier, la question de savoir qui en assumera les coûts. Lors de l'adoption de la Loi sur les jeunes contrevenants, il avait été prévu que la province partagerait les coûts avec le gouvernement fédéral, chacun payant 50 p. 100. Il n'en est plus ainsi. De plus en plus, on nous demande d'en assumer nous-mêmes les coûts. La population de l'Alberta appuie les efforts en vue de réduire les dépenses publiques - cela est incontestable - mais, dans une certaine mesure, nous sommes liés par la législation fédérale.
La présidente: Mais vous ne répondez pas à ma question. Si l'on traduit un enfant de 10 ans en justice, qu'on intente contre lui des poursuites et qu'on le déclare coupable d'une infraction, comme vous nous demandez de le faire, il va se retrouver dans vos services et c'est vous qui de toute manière finirez par avoir à vous en occuper. Nous savons bien qu'il existe, en dehors de la justice pénale, des moyens efficaces de faire face aux problèmes de cet ordre. Devant la justice pénale, si c'est la voie qui finit par être adoptée, vous allez devoir démontrer, hors de tout doute raisonnable, les faits que vous lui reprochez.
J'ai peine à croire que vous ayez mûrement réfléchi à tout cela. C'est peut-être ce que vous ont dit les gens de l'Alberta, et je ne vous reproche pas de nous en faire part, mais c'est vous qui, en définitive, réglerez la facture. C'est vous qui devrez assurer le fonctionnement d'un tel système. D'après moi, vous devriez nous expliquer comment nous pourrions vous aider. Si vous nous affirmez que ce qui vous aiderait, ce serait d'abaisser la limite d'âge à 10 ans ou de ne prévoir aucun âge limite, vous m'excuserez si je vous demande des explications. Je ne vois vraiment pas l'utilité d'une telle mesure. Vous avez déjà les moyens de faire face à ce genre de cas en demandant à vos services sociaux de s'en occuper.
M. Doerksen: C'est ce que nous faisons déjà. Je ne pense pas un seul instant qu'au Canada l'Alberta soit seule à faire face à des problèmes en matière de services sociaux et de situation de l'enfance.
Il faut disposer d'un certain nombre d'outils. J'ai bien dit qu'il est mauvais d'envisager la justice isolément, car c'est une démarche réductionniste qu'il faut savoir éviter. Nous recommandons simplement d'ajouter à l'arsenal de la justice un outil susceptible d'accroître l'efficacité de nos moyens d'intervention lorsque cela est nécessaire dans certains cas très précis.
La présidente: Entendu, mais vous n'avez toujours pas répondu à ma question.
M. Doerksen: Excusez-moi, ce n'est pas faute d'efforts.
La présidente: Monsieur Doerksen, je ne vous reproche nullement de tenir compte de l'opinion publique. Je ne vous attribue aucun motif déshonorant. Nous le faisons tous. Mais est-ce simplement en réaction à l'opinion publique que vous me dites cela, ou pensez-vous vraiment que nous serons mieux armés face à ce problème, ou que nous pourrons assurer à ces jeunes un traitement plus efficace en créant la possibilité de poursuivre pénalement un enfant de 10 ans?
M. Doerksen: Nous disons que dans certains cas une telle mesure pourrait être utile.
La présidente: Mais comment? J'aimerais savoir en quoi cela pourrait être utile.
M. Doerksen: Cela donnerait un outil de plus. En Alberta ou au sein du système judiciaire, il existe un certain nombre de programmes; les programmes de déjudiciarisation, par exemple, ou les mesures de substitution. Au sein des services sociaux, du système éducatif et du système de santé il existe, là aussi, des outils auxquels on peut recourir. Ce que j'essaie d'expliquer c'est qu'il faut envisager tous les moyens qui s'offrent à nous et retenir les mesures les plus efficaces. On ne peut pas traiter tous les enfants de la même manière.
La présidente: D'après vous, combien d'enfants de 10 ans relèveraient des mesures que vous réclamez? D'après vous, au cours des 12 derniers mois, combien d'enfants de moins de 12 ans ont, en Alberta, commis des infractions qui justifient ce genre de mesures?
M. Doerksen: Je pensais avoir bien précisé que, pour nous, ces mesures ne s'appliqueraient que dans les cas limites. Nous voulons pouvoir y faire appel en cas de besoin.
La présidente: Entendu, je vous remercie.
Mme Torsney: Puis-je vous poser une question d'ordre technique? Au sujet des dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants s'adressant aux jeunes Autochtones, on dit, dans un passage qui commence à la page 12 et qui se termine en haut de la page 14 avec ceci:
- Il faudrait aussi envisager des modifications devant permettre aux tribunaux de la jeunesse de
prononcer des ordonnances d'indemnisation constituant des jugements en matière civile à
l'encontre des jeunes.
M. Doerksen: Je regrette que ce paragraphe ne se trouve pas à la bonne place. Je vous remercie d'avoir attiré notre attention sur cela.
La présidente: Afin de mieux pouvoir évaluer votre rapport, il nous faudrait une copie de la note de synthèse que vous aviez distribuée aux personnes qui ont pris la parole devant votre comité. Si c'est possible, nous aimerions également avoir une copie du rapport que vous avez remis au gouvernement provincial. Ainsi que vous le faites valoir au gouvernement fédéral, nous ne pourrons peut-être pas éviter d'avoir à nous pencher sur les problèmes touchant les services sociaux. Ce n'est pas volontiers que nous le ferions, mais je ne sais pas si nous pourrons l'éviter. Cela nous serait donc très utile. Il est possible que ce document soit unique au Canada. Je ne connais aucune autre province qui en ait préparé.
M. Doerksen: Paddy va s'en occuper.
La présidente: Je vous remercie.
La séance est suspendue pour quelques minutes.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci. Nous reprenons nos travaux. C'est avec plaisir que nous accueillons Gary Dickson, c.r., député provincial de Calgary - Buffalo.
Merci, monsieur Dickson. Vous avez vu comment les choses se passent ici. Nous entendrons votre exposé liminaire, après quoi nous passerons aux questions.
M. Gary Dickson (membre de l'Assemblée législative de l'Alberta (Calgary - Buffalo)): Oui, madame la présidente. Je vous remercie. Bonjour et bienvenue en Alberta.
J'aimerais, cet après-midi, m'entretenir avec vous d'un rapport préparé par moi et deux de mes collègues, membres, eux aussi, de l'assemblée législative provinciale. Ce rapport contient un certain nombre de recommandations. Avant d'évoquer ce rapport, je tiens toutefois à dire que, ainsi qu'il en est dans la plupart des autres provinces, les citoyens de l'Alberta ne sont pas nécessairement unanimes. Vous constaterez un large éventail d'opinions, de valeurs et de points de vue et je voudrais, cet après-midi, vous faire sentir cela.
Le rapport intitulé «Taking Responsibility», comprend 49 recommandations. Il est le fruit d'une consultation menée en 1994 par moi-même et mes deux collègues. Cette consultation a commencé par l'envoi d'un questionnaire distribué en Alberta à 2 000 exemplaires, aussi bien à des individus qu'à des organisations.
Je crains ne pas en avoir amené de copie, mais ce questionnaire portait de façon très précise sur le dispositif judiciaire établi à l'intention des jeunes. La consultation était fondée sur l'idée qu'il y a, effectivement, un système judiciaire qui s'adresse spécialement aux jeunes. La Loi sur les jeunes contrevenants en est un élément important, mais ce n'est qu'un élément parmi d'autres et nous voulions recueillir l'opinion des Albertains sur tous les autres éléments du système, aussi bien la nomination des juges des tribunaux pour les jeunes, que les établissements correctionnels, le bien-être et l'éducation des enfants, enfin tout ce qui relève exclusivement de la compétence législative du gouvernement provincial. Nous voulions qu'à cet égard également, les Albertains nous fassent connaître leur point de vue et leurs préoccupations.
Pour les 2 000 questionnaires expédiés, nous avons reçu environ 500 réponses et, après cela, nous avons organisé une série de réunions dans 12 localités de l'Alberta, aussi bien dans des collectivités de 3 000 ou 4 000 habitants que dans les principaux centres urbains.
On nous a envoyé 50 mémoires très fouillés. Nous avons passé beaucoup de temps à Calgary. Dans cette ville, nous avons passé une demi-journée à la section Jeunes des services de police et nous en avons fait autant à Edmonton. Nous avons, dans ces deux villes, organisé plusieurs tables rondes réunissant des intervenants tels que ceux que vous avez, je pense, rencontrés ces derniers jours, c'est-à-dire des représentants d'organismes et d'organisations oeuvrant dans le domaine de la justice pénale. J'ai également eu l'occasion de visiter, dans la province, tous les établissements destinés aux jeunes contrevenants, y compris le camp de travail de Shunda Creek près de Rocky Mountain House.
Vous trouverez dans le rapport une liste très courte de recommandations touchant les changements qui devraient d'après nous être apportés à la LJC, ainsi qu'une partie beaucoup plus longue consacrée aux changements qui, d'après nous, s'imposent et qui relèvent de la compétence législative de l'Alberta.
Aux pages 21 à 23 du rapport, vous trouverez deux recommandations essentielles qui nous ont été inspirées par les consultations que nous avons menées. La première est d'augmenter le maximum des peines actuellement prévues. La seconde est de simplifier la procédure permettant de traduire devant la justice pénale les jeunes contrevenants âgés de 16 et 17 ans responsables de blessures corporelles graves, d'améliorer les échanges de renseignements, et de resserrer les mesures visant les récidivistes.
Je tiens à vous dire que nous avons eu l'occasion - à l'époque où nous menions nos consultations, un projet de loi était présenté à la Chambre des communes - donc, de recueillir les réactions à l'égard du projet de loi à l'étude à la Chambre des communes. Je crois pouvoir dire, compte tenu des consultations que nous avons menées en 1994, que les amendements proposés en décembre 1995, au projet de loi C-19 ou C-37, répondaient de manière assez précise aux préoccupations dont nous ont fait part les citoyens de l'Alberta.
La seconde partie du rapport porte surtout sur les responsabilités de la province en ce domaine. J'ai écouté le dernier exposé, ainsi que les questions et les observations des membres du comité. Je suis donc en mesure de vous dire que lorsque nous avons procédé à nos consultations, nous avons recueilli beaucoup de renseignements sur les changements voulus par la population.
D'abord, au niveau des mesures de substitution, nous avons constaté que, dans cette province, les gens ressentaient très fortement le besoin de voir élargir l'éventail de mesures de substitution - c'est-à-dire les mesures de rechange prévues à l'article 4 de la LJC. Nous avons découvert que, dans certaines collectivités de l'Alberta, il y avait eu d'excellents programmes mettant en oeuvre de mesures de substitution, programmes dont nous constatons à regret la disparition. Je songe notamment aux projets de réconciliation entre la victime et le contrevenant, dont nous avons parlé plus tôt. Il s'agit là de mesures qui, de toute évidence, avaient un effet positif au niveau de la collectivité et nous nous inquiétons beaucoup de noter les coupures budgétaires qui sont intervenues dans ces domaines.
Les citoyens de l'Alberta nous ont dit vouloir que leurs quartiers soient plus sûrs, que la sécurité soit mieux assurée dans leurs villes. Souvent, les gens avec qui nous avons parlé n'avaient jamais lu le texte de la Loi sur les jeunes contrevenants. Ils comptaient sur le fait qu'on avait misé sur cette loi en y voyant une solution ou une solution potentielle au problème de la criminalité juvénile. Mais nous avons constaté que les gens qui travaillent eux-mêmes au sein de ce système, et ceux avec qui on a pu discuter lors des réunions publiques, étaient parfaitement ouverts aux mesures de substitution. Ils voulaient que de telles mesures soient plus largement instaurées et non pas limitées ou supprimées.
Vous n'ignorez pas le récent succès - j'estime effectivement que c'est un succès pour la province - découlant du développement des comités de justice pour la jeunesse, prévus à l'article 69. En général, je les appelle des comités de détermination de la peine, mais je tiens à préciser qu'il s'agit de quelque chose d'assez récent. En 1992, le Manitoba en avait environ 60 et la Colombie-Britannique à peu près 25. Mais l'Alberta, elle, n'en avait que trois, principalement dans les communautés autochtones du nord de l'Alberta.
Vous savez maintenant qu'il en existe environ 38 dans la province. Une des choses qui nous préoccupent est que, pour la plupart, ces comités se trouvent encore dans de petites agglomérations. Nous sommes soucieux de voir ce programme prendre de l'extension et s'étendre aux villes plus importantes. Cela pose certains problèmes d'ordre pratique, mais les Albertains que nous avons consultés verraient d'un bon oeil l'élargissement de ce système.
Les gens que nous avons consultés y voient un double intérêt. D'abord, cela donne à l'ensemble de la collectivité une ouverture sur tout le système correctionnel prévu pour les jeunes contrevenants, domaine que la plupart ignorent en grande partie. C'est donc un aspect positif. En second lieu, ce genre de programme semble faire comprendre aux jeunes contrevenants qu'il s'agit d'un problème qui intéresse l'ensemble de la collectivité et cela a pour effet de renforcer le sens des responsabilités des jeunes en question.
Dans cette province, la trop grande rareté des établissements de garde en milieu ouvert pose un grave problème. Lors de nos déplacements dans la province, nous n'avons pas cessé d'entendre évoquer l'absence de programmes de cet ordre. Alors que nous avions, auparavant, toute une palette d'établissements de garde en milieu ouvert, les coupures budgétaires ont porté à en fermer. C'est ainsi que dans le Young Offender Centre de Calgary, je vois loger trois populations distinctes. Certains des jeunes contrevenants y sont provisoirement envoyés en attendant d'être jugés. D'autres sont là pour des infractions relativement mineures. Ils sont censés y purger une peine en milieu ouvert. Mais, dans le même établissement, on trouve également des jeunes contrevenants qui ont commis des infractions très graves.
Cela ne nous semble pas normal. Le problème nous paraît sérieux et c'est aussi l'avis des citoyens que nous avons consultés. Il faut pouvoir disposer, dans la province, d'une gamme de mesures et de types d'établissements beaucoup plus large et beaucoup plus riche qu'à l'heure actuelle.
Un autre problème qu'on a souvent évoqué devant nous provient de l'absence d'établissements pour le traitement des jeunes ayant commis des infractions sexuelles. Autrefois, vous trouviez à Edmonton et à Calgary des centres spécialisés d'hébergement et de traitement des jeunes ayant commis des infractions sexuelles. Eh bien, les coupures budgétaires ont porté à les réduire ou à les supprimer et, dans certains cas, la province refuse de payer lorsqu'un juge du tribunal pour les jeunes indique de telles mesures dans le cadre de sa décision.
Prenez l'exemple de ce qui s'est passé il y a deux ou trois ans à Calgary. Un juge du tribunal pour les jeunes a eu à se prononcer sur le cas de quelqu'un qui avait commis de très graves infractions sexuelles en s'en prenant à des femmes et à des filles. Le juge du tribunal pour les jeunes décida qu'un certain programme Phoenix était le mieux adapté au traitement de l'intéressé. Il s'agit d'un programme intensif où les jeunes sont hébergés et suivis en permanence. Le gouvernement provincial a refusé, disant qu'il ne paierait pas pour cela car il serait beaucoup moins cher de mettre l'intéressé dans un centre d'hébergement pour les jeunes contrevenants et de lui faire voir, deux heures par semaine, un psychologue contractuel.
Les citoyens de l'Alberta avec qui nous nous sommes entretenus estiment que c'est insuffisant. Il faut donc changer cela.
La seconde chose que nous avons relevée lors de nos consultations c'est l'inquiétude et la désolation dues à l'absence de système intermédiaire entre les dispositifs d'aide à l'enfance et les tribunaux pour les jeunes. On n'a cessé de nous répéter que les services de bien-être à l'enfance ont tendance à ne pas vouloir s'occuper des jeunes de 11 et 12 ans qui ont des démêlés avec la société. Ils ont tendance à s'en désintéresser. Les agents d'aide à l'enfance l'ont dit eux-mêmes: On les laisse à la justice. Cela me semble beaucoup préoccuper les citoyens de l'Alberta.
Je tiens aussi à évoquer un autre sujet de préoccupation qui a pris de l'ampleur depuis la rédaction de notre rapport. Il s'agit des jeunes immigrés.
Il y a un an, une école secondaire de Calgary a fait l'objet d'une étude très approfondie. Cette étude a relevé un taux d'abandon de 70 p. 100 chez les élèves qui n'avaient pas l'anglais pour première langue. La plupart des gens avec qui nous nous sommes entretenus dans le cadre de nos consultations disent avoir constaté que les jeunes qui abandonnent l'école, qui ne suivent pas une scolarité normale, ont beaucoup plus de chances d'avoir des démêlés avec la justice. Il s'agit là d'un aspect... Encore une fois, cela fait partie des responsabilités provinciales, mais il s'agit d'un problème sur lequel la province va devoir se pencher pour trouver les moyens d'y faire face.
Voilà un résumé très bref des 49 recommandations que nous avons formulées. Madame la présidente, je me ferais un plaisir de répondre aux questions qu'on voudra bien me poser.
La vice-présidente (Mme Torsney): Passons donc aux questions. Je rappelle, pour ceux qui ne l'auraient pas encore lue, que la première recommandation, qui se trouve en haut de la page 8, porte sur l'élargissement des programmes destinés aux parents. C'est mon préféré.
Monsieur St-Laurent.
[Français]
M. St-Laurent: Madame la présidente...
La vice-présidente (Mme Torsney): Pouvez-vous faire un genre de synthèse, parce que nous n'avons pas beaucoup de temps?
M. St-Laurent: Il n'y a pas de problème. J'ai lu rapidement vos recommandations, qu'on retrouve un peu partout dans le document que vous nous avez remis. L'anglais n'est pas ma langue première, mais ai-je raison de penser que vos recommandations sont plus sévères que ne l'est le système actuel en Alberta au niveau du traitement des jeunes contrevenants?
[Traduction]
M. Dickson: Vous parlez de sévérité... J'estime, pour ma part, que nos recommandations portent plus précisément sur ce que nous estimons être le véritable problème. Votre comité a sans doute souvent entendu évoquer la question de savoir s'il s'agit de se montrer plus sévère ou moins sévère à l'égard des jeunes contrevenants.
Nous nous sommes attachés - et c'est l'orientation qu'ont prise les citoyens que nous avons consultés - à la recherche de solutions valables. Les gens nous ont dit que ce n'est pas des déclarations qu'ils voulaient, ni des mesures dramatiques qui donnent l'impression que l'on fait quelque chose, mais bien des solutions qui vont réellement permettre de renforcer la sécurité dans nos agglomérations.
Je ne suis pas certain de répondre entièrement à votre question, mais les 49 recommandations qu'on a recueillies auprès des Albertains visent surtout les mesures qui, aux yeux de la population, sont susceptibles d'apporter une amélioration réelle par rapport au système actuel.
[Français]
M. St-Laurent: Parmi les recommandations que vous faites, il y a celle de faire de la prévention une priorité. Dans votre processus, vous voulez mettre sur pied un groupe pour informer les jeunes dès le début du secondaire ou peut-être même avant, ce qui permettrait de faire le tour des écoles et d'avertir les jeunes des conséquences des gestes à caractère criminel et de ce qui pourrait leur arriver au niveau des conséquences physiques et familiales. Cela a porté fruit à certains endroits où on l'a essayé.
Je ne me souviens pas exactement de la réponse un peu comique qu'on nous a donnée ce matin quand on a demandé à un jeune ce qu'était pour lui la justice auparavant. La réponse se résumait ainsi: «Ah! c'était une farce!» Un de ses amis s'était fait prendre et c'était une farce. Mais que savait-il de la farce? Il n'en savait rien. Il savait que son ami avait été embarqué dans une voiture de police. Il avait jusqu'à un certain point gagné la fierté du groupe, ce qui est important pour le jeune. Mais, par la suite, cette fierté s'était perdue parce que, naturellement, ils n'étaient pas capables de le suivre. Cependant, c'est l'image qui lui restait et, jusqu'à ce que cela lui arrive à lui-même, il n'était au courant de rien.
Il nous disait que s'il en avait entendu parler - comme cela se fait ailleurs - , les gens auraient graduellement changé d'attitude envers lui. Cela ne se fait pas du jour au lendemain, mais en faisant de la prévention une priorité en Alberta, êtes-vous prêts à aller jusqu'à envoyer des gens dans les écoles pour sensibiliser les jeunes aux éventuelles conséquences de gestes criminels?
[Traduction]
M. Dickson: Bien sûr, j'estime que cela aussi serait très utile.
Auparavant, le gouvernement provincial n'était pas actif dans ce domaine, mais plusieurs organismes communautaires - je pense, par exemple, à la Société John Howard - font un effort de pédagogie auprès du public et se rendent effectivement dans les écoles pour faire connaître ce genre de choses.
J'ajoute le cas d'une étudiante qui prépare sa thèse de maîtrise et qui a fait un sondage auprès des jeunes de Lethbridge. Elle a cherché à savoir ce que les jeunes savaient du système de justice prévu à leur intention, si leurs impressions à cet égard étaient justes. Elle a obtenu des résultats très intéressants.
Les jeunes qui avaient déjà eu à faire avec ce système lui ont dit que c'est très dur, que ce n'est pas du tout un plaisir de se retrouver, à Calgary, au Centre pour jeunes contrevenants et de se voir appliquer les mesures prévues. Les jeunes qui n'avaient jamais eu de démêlés avec la justice, qui n'avaient jamais comparu devant le tribunal pour les jeunes, qui ne s'étaient jamais retrouvés dans un centre pour les jeunes contrevenants, qui n'avaient jamais vraiment parlé à un policier, avaient tendance à prendre à la légère aussi bien la loi que les comportements criminels. Cela rejoint ce que d'autres nous ont dit, même si nos consultations n'avaient pas toute la rigueur de cette recherche universitaire.
Je crois que ce genre de choses est très valable... Je répète qu'en Alberta cela n'est pas très fréquent, si ce n'est au sein de ces organismes qui, eux aussi, ont vu beaucoup réduire leurs crédits. C'est dire qu'en matière de pédagogie, la province en fait moins qu'elle n'en faisait il y a deux ou trois ans.
[Français]
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Ramsay.
[Traduction]
M. Ramsay: Le rapport «Taking Responsibility: Findings of the Alberta Liberal Caucus Youth Justice Consultation Panel» a été rédigé en 1994, avant que ne soit modifiée la Loi sur les jeunes contrevenants.
M. Dickson: C'est avant l'adoption des modifications, mais je crois me rappeler que le projet de loi était déjà déposé en Chambre, ou qu'un document de travail était déjà à l'étude, car la plupart des groupes avec lesquels nous nous sommes entretenus - et cela comprend les services de police et les juges du tribunal pour les jeunes - étaient au courant du projet qui finit par être adopté par le Parlement. C'était déjà un souci lors de nos consultations auprès de la population de l'Alberta.
M. Ramsay: C'est ce que je me demandais, parce qu'à la page 22 de vos recommandations, vous prônez la modification de la Loi sur les jeunes contrevenants, de manière équitable, certes, mais dans le sens d'un renforcement de sa sévérité, puisqu'il s'agit d'augmenter la peine maximum prévue pour le meurtre au premier et au second degré. Cette peine est actuellement de cinq ans. Votre proposition n'est-elle pas dépassée?
M. Dickson: Tout à fait, et peut-être aurais-je dû le préciser plus tôt. C'est que, à la Chambre des communes, vous et vos collèges avez entrepris de modifier la loi à l'époque même où nous menions nos consultations. Ce que j'ai essayé de dire au départ, c'est que vous et vos collègues parlementaires avez du mérite puisque vous avez répondu aux préoccupations exprimées par les Albertains en 1994.
M. Ramsay: Il faut donc être prudent en lisant votre document puisque, dans certains domaines, ses recommandations sont dépassées.
M. Dickson: Non, monsieur Ramsay, je n'irais pas jusque-là. Je préférerais tout simplement dire que c'est ce que nous ont dit à l'époque les Albertains que nous avons consultés et je félicite à cet égard les membres de la Chambre des communes et du Parlement du Canada puisque vous avez réagi, me semble-t-il, carrément et rapidement à ce qui préoccupaient le plus les Albertains à l'époque. Cela dit, il y avait d'autres choses encore qui les préoccupait et qu'ils voulaient voir changer, et cela reste vrai. D'ailleurs, la plupart de ces questions relèvent de la compétence législative du gouvernement provincial.
M. Ramsay: Merci. C'est entendu.
M. Dickson: Permettez-moi également de féliciter le comité d'avoir adopté un mandat qui lui permet d'élargir, au-delà même du texte de la loi, l'objet de ses délibérations. Il est, je pense, remarquable que vous ayez décidé de vous pencher sur l'ensemble du dispositif judiciaire instauré pour les jeunes et non pas simplement sur le texte de la loi. Cela me semble fondamental.
M. Ramsay: Entendu, mais soyons précis. Votre rapport contient un paragraphe touchant la divulgation. Selon vous, une minorité non négligeable a recommandé que l'on publie le nom des jeunes contrevenants. Certains estiment qu'on devrait publier le nom de tous les jeunes contre qui une accusation est portée, alors que d'autres estiment qu'il ne faut publier que le nom des jeunes qui sont condamnés, d'autres encore estimant que le nom ne devrait être publié qu'en cas de condamnation pour une infraction grave.
Ne pensez-vous pas qu'il y ait discrimination au niveau de cet article de la loi qui interdit de divulguer les noms? Nous nous sommes rendus dans certaines communautés du nord de la province et, là, lorsqu'un jeune contrevenant commet un acte de violence, tout le monde est au courant. La population tout entière est au courant. La règle touchant la divulgation du nom est donc superflue étant donné que tout le monde est au courant de ce qui s'est passé et que les gens peuvent prendre leurs dispositions afin de protéger leurs enfants contre le ou les jeunes contrevenants. Mais on ne peut pas faire ça dans les agglomérations plus importantes à cause de cette règle sur la divulgation. Qu'en pensez- vous? Que vous ont enseigné votre étude et les renseignements que vous avez recueillis auprès de la population?
M. Dickson: Ce que la plupart des gens nous ont dit - et cela est particulièrement vrai des agents de police, des gens dont le travail consiste à s'occuper des jeunes contrevenants - ce qui les inquiète le plus c'est le fait qu'un jeune puisse jouir de sa notoriété et que certains des jeunes les plus durs seraient très heureux de voir leur nom cité en première page du Calgary Herald ou du Edmonton Journal, ou d'entendre leur nom prononcé à la radio ou à la télévision. Beaucoup de gens ont dit ne pas vouloir encourager ce genre de quête de la notoriété puisqu'on finirait, contrairement au but recherché, par encourager les comportements criminels qu'on cherche justement à maîtriser et à réduire.
M. Ramsay: Ce n'est bien sûr qu'une hypothèse, que partagent d'ailleurs certains des jeunes contrevenants avec qui nous nous sommes entretenus. Mais nous avons également parlé à des jeunes contrevenants, dont un notamment ce matin, qui, lorsque la question a été évoquée, a répondu qu'il faudrait publier le nom de ceux qui commettent des infractions sexuelles parce que ces gens-là représentent un danger et une menace pour les autres. Il a ajouté que cela devrait peut-être s'appliquer aussi à ceux qui commettent d'autres types d'infractions graves.
L'objection à cela - et, en toute déférence, je dois dire que j'en ai entendu de plus solide - est qu'on réduit les chances de réinsertion en cataloguant ainsi les gens. J'en conviens, mais je vois également l'autre côté de la chose, le corollaire, qui est la protection de la société. Il faut donc bien peser le pour et le contre. Agissons dans l'intérêt du contrevenant afin de faciliter sa réinsertion - car c'est bien l'effet que cela aura, cela ne fait aucun doute à mes yeux - ou, dans ces cas limites, décidons d'agir dans l'intérêt de la société afin de la protéger?
M. Dickson: Me permettrez-vous de dire que l'alternative que vous décrivez me paraît un peu radicale. La plupart des gens avec qui nous nous sommes entretenus se souciaient du problème de la réinsertion et craignaient que de telles mesures nuisent à la réadaptation des jeunes. Si l'on adopte ce qui me paraître être une solution de bon sens, il est clair que certaines personnes devraient être averties. Dans le cas d'un jeune délinquant sexuel, il me paraît important de donner son nom aux autorités scolaires, de communiquer son nom à la police locale; il est important de le faire connaître aux services de probation. Je ne suis d'ailleurs pas certain que, dans une ville de 750 000 habitants, le fait de publier le nom d'un contrevenant dans le journal permette effectivement aux gens de se protéger.
M. Ramsay: Pourquoi pas?
La vice-présidente (Mme Torsney): Vous êtes en train de confirmer le proverbe «Plus vous leur en donnez et plus ils en demandent». Cela fait maintenant 8 minutes et 18 secondes.
M. Ramsay: Entendu, madame la présidente, j'ai terminé. Je pars pour Winnipeg.
La vice-présidente (Mme Torsney): Vous avez raison.
M. Ramsay: Je reprendrai là-bas mes questions. Je vous remercie.
La vice-présidente (Mme Torsney): Entendu.
Monsieur Gallaway, vous avez, je crois, une question à poser.
M. Gallaway: Oui, je n'ai qu'une seule question.
Votre rapport, tel qu'il nous a été distribué, contient quatre pages de recommandations au gouvernement provincial, reconnaissant ainsi qu'il a un rôle dans l'amélioration du dispositif judiciaire prévu pour les jeunes. Parmi ces quatre pages de recommandations, pouvez-vous nous dire lesquelles ont été mises en oeuvre?
M. Dickson: Vous voulez dire parmi les recommandations s'adressant au gouvernement provincial?
M. Gallaway: Oui.
M. Dickson: Je dirais que très peu d'entre elles ont été mises en oeuvre. D'ailleurs, à part les articles optimistes, touchant, par exemple, le succès remporté par les comités de justice pour les jeunes, vous constaterez que non seulement nous n'avons prévu, à l'intention des juges des tribunaux pour les jeunes, aucune nouvelle possibilité au niveau des peines qu'ils peuvent prononcer, mais qu'en fait nous avons fermé bien des portes. Nous avons supprimé toute une gamme de possibilités qui existaient il y a encore quelques années. Nous mélangeons davantage les différentes catégories de contrevenants et nous avons tendance à confier à un même établissement, des jeunes contrevenants avec des antécédents criminels très différents. Pourquoi cela?
Je veux éviter tout esprit partisan, mais à partir du moment où vous coupez tous les programmes pour réduire le coût au maximum, et que cela devient l'objectif prioritaire, vous aggravez le problème au lieu de le résoudre.
Au niveau des programmes des mesures de substitution, nous ne relevons aucun changement important. Peu de changements aussi pour les ordonnances de service communautaire. Nous constatons que les coupures budgétaires ont eu pour effet de surcharger les procureurs de la Couronne. À chaque fois que la province annonce des mesures plus sévères envers tel ou tel groupe, les procureurs de la Couronne vont vous dire qu'ils pataugent. Ils arrivent déjà à peine à faire face au travail qu'ils ont à faire. Ils n'ont tout simplement pas de temps à consacrer à davantage de rencontres avec les parents ou pour s'entretenir avec les parents de jeunes immigrés qui ont des difficultés au niveau linguistique.
D'après moi, aucune des recommandations que nous avons formulées n'a été mise en oeuvre, à une exception près qui est celle des comités de justice pour les jeunes, domaine dans lequel la province a, au cours des trois dernières années, agi avec célérité.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Maloney.
M. Maloney (Erie): Dans votre exposé vous avez dit que, dans le cas de certains jeunes de 11 et 12 ans, les agents de l'aide à l'enfance ont tendance à s'abstenir, estimant que la justice finira par s'en occuper. Parmi vos recommandations, vous prônez un plus grand recours aux services communautaires en cherchant à accroître l'efficacité de leurs interventions.
Dans les Territoires du Nord-Ouest, les portefeuilles de la justice et des services sociaux sont confiés à la même personne. Est-ce une bonne solution? Pourrait-on envisager de fondre les deux ministères en un seul ou d'améliorer les liens entre les deux? Les deux fonctionneraient alors comme un seul organisme au lieu d'agir séparément en fonction de leurs propres besoins et de leurs propres priorités.
M. Dickson: Monsieur Maloney, je suis ravi de vous entendre poser la question. J'étais ici lorsque M. Doerksen a évoqué les efforts en vue de fusionner le ministère de la justice et les services sociaux.
J'ai l'impression que depuis les cinq ou six ans, le gouvernement provincial tente effectivement d'assurer une meilleure intégration des services à la jeunesse. La population cible est à peu près la même. C'est dire que le jeune qui relève des services d'aide à l'enfance cette année, aura peut-être, l'année suivante, un dossier à la justice.
J'aimerais aussi vous faire part d'une observation plus personnelle. Les administrateurs et gestionnaires de deux ou trois ministères peuvent toujours essayer de mieux coordonner leurs programmes, mais si la haute direction n'a pas la volonté politique de le faire, cette intégration ne se fera qu'à moitié. On ne parvient jamais à la transparence au niveau de l'information, ou au passage facile d'un système à l'autre.
Il va être intéressant de voir ce qui se passera en Colombie-Britannique, où l'on vient de créer un nouveau ministère des services à l'enfance et tenté de réunir des services autrefois séparés. L'idée me semble bonne. C'est une solution naguère retenue par l'Alberta. Il y a 12 ou 15 ans nous avions ici un ministère des services à l'enfance. Ce genre de mesure recèle, semble-t-il, de nombreux avantages.
M. Maloney: À l'égard de votre recommandation touchant les besoins des victimes, vous parlez de services aux victimes. Pourriez-vous nous dire de quoi il s'agit?
M. Dickson: Nos deux principaux services de police, c'est-à-dire ceux de Calgary et d'Edmonton ainsi que, dans la plupart des autres localités, la GRC... mais disons à Calgary et à Edmonton, on trouve au sein de la police, un service chargé de s'occuper des victimes. Ce service comprend en général un ou deux travailleurs sociaux ainsi que d'autres personnes munies d'une formation leur permettant de conseiller la victime d'une infraction grave, ou d'un crime de violence, et de l'aider à faire face au choc qu'elle a subi. Les gens de ce service, s'ils n'accompagnent pas l'agent qui mène l'enquête, doivent se rendre très rapidement auprès de la victime, la conseiller et lui indiquer les divers services auxquels elle pourra faire appel.
Il y a, en Alberta, une perspective qui inquiète beaucoup... Dans la province, le budget de la police a subi une réduction d'environ 30 p. 100 et, il y a un an, Calgary a très sérieusement envisagé d'éliminer son service d'aide aux victimes. On essayait de réduire au maximum les dépenses.
Heureusement que cela ne s'est pas fait et qu'à Calgary nous disposons toujours d'un tel service. On constate avec effroi la précarité de l'existence de ces services alors qu'ils sont actuellement plus nécessaires que jamais.
La vice-présidente (Mme Torsney): Madame Cohen, je crois que vous vouliez pouvoir intervenir dans le temps qu'il nous reste.
Mme Cohen (Windsor - St. Clair): Je tiens d'abord à vous remercier d'avoir pris le temps de me retrouver, comme vous l'avez fait. Je vous en sais gré.
Je voudrais poser une question d'ordre plus général. Nous nous préoccupons tous de cette différence entre la réalité du système et la perception que peut en avoir le public. Pardonnez-moi, je m'étais absentée et j'évoque peut-être un sujet que vous avez déjà examiné. Je constate, pour ma part, une très réelle disparité entre ce qui se passe effectivement et ce que perçoit le public, ou du moins certains secteurs de l'opinion. Je vous dis très franchement que je pensais que le phénomène serait moins répandu. Or, je le constate dans la plupart des régions du Canada.
Votre comité joue à cet égard un rôle utile, puisque vous pouvez interrompre quelqu'un et lui dire «Non, cela n'est pas exact; vous avez tort». Aujourd'hui, en raison des excellentes recherches menées par notre collègue M. St-Laurent, nous avons appris que, en Alberta, 40 p. 100 des enfants qui ont des démêlés avec la justice finissent par se voir imposer des mesures de garde. Si cela assurait réellement la sécurité de la collectivité, la population de la province devrait se sentir plus en sécurité qu'elle ne semble le faire si l'on s'en tient, du moins à ce que le gouvernement nous en dit.
Or, est-ce bien le cas? Êtes-vous d'accord qu'il semble y avoir une différence entre la réalité et la manière dont celle-ci est perçue? Si c'est effectivement le cas, y a-t-il quelque chose à faire?
M. Dickson: Tout à fait. Je me souviens - cela remonte à environ 20 ans - avoir entendu à l'université de Toronto, le professeur Doob publiant un rapport qui a retenu à l'époque l'attention de la presse. On demandait aux gens - dans le cadre d'une enquête - quelle sorte de peine on imposait aux gens qui commettent tel ou tel acte? Les personnes interrogées sous-estimaient toujours très largement les peines prononcées par les tribunaux. Sur ce plan-là, rien n'a changé.
J'aimerais faire deux observations. La première est que, en tant qu'élus, nous avons l'énorme responsabilité de nous entretenir avec nos mandants de la réalité, et aussi d'éviter la tentation, qui se présente parfois, de faire un peu peur aux gens et de profiter de leurs craintes. Cela me paraît tout à fait irresponsable comme comportement. En définitive, plus les gens sont appréhensifs, plus ils ont peur et plus ils ont tendance à réclamer aux tribunaux des mesures plus punitives et des peines plus longues. Les gens finissent par s'opposer aux programmes de libération conditionnelle. Quel en est le résultat? Eh bien, combien dépensons-nous actuellement? Chaque année, nous consacrons 9 milliards de dollars à la police, aux tribunaux et au système correctionnel. Or, nous nous apercevons que nous ne pouvons pas affecter davantage de ressources aux cas graves...
Je ne suis pas certain de bien répondre à votre question, mais je pense simplement que nous, qui avons le privilège d'être élus et qui avons accès à des informations qui ne sont pas à la disposition de beaucoup de nos mandants, devons trouver le moyen de mieux partager cette information. Elle demeure pour l'instant confidentielle.
Songez à ce que Jerry Miller à fait au Massachusetts il y a quelques années. Il a constaté qu'au Massachusetts beaucoup de personnes n'étaient pas au courant de ce qui se passe au sein des établissements correctionnels pour les jeunes. Je ne pense pas que la situation est très différente en Alberta. J'ai parlé à beaucoup d'électeurs qui n'ont pas la moindre idée de ce que c'est que d'être envoyé au Centre des jeunes contrevenants de Calgary.
Les élus pourraient non seulement faire preuve d'un plus grand sens des responsabilités, mais également en faire davantage pour assurer que la presse a un meilleur accès à tout ce qui se passe dans les milieux correctionnels - qu'elle a un meilleur accès aux agents correctionnels ainsi qu'aux personnes qui purgent leur peine. Plus les gens sont bien renseignés et moins ils ont tendance à être craintifs et, souvent aussi, moins ils ont tendance à réclamer des peines plus sévères puisqu'ils se font une meilleure idée de la sécurité ou de l'insécurité du milieu qui est le leur.
Excusez-moi; je me suis écarté du sujet.
Mme Cohen: Non, ne vous en excusez pas. Ce n'est pas souvent que j'ai l'occasion de poser des questions et je trouve cela plutôt agréable.
Nous reste-t-il du temps?
La vice-présidente (Mme Torsney): Pas vraiment, mais...
Mme Cohen: Bon.
La vice-présidente (Mme Torsney): Vous avez parlé d'améliorer l'accès de la presse et des médias, mais j'imagine que vous entendez tout de même ne pas publier le nom des enfants?
M. Dickson: Tout à fait. Je n'entendais pas par cela qu'il convenait de passer outre à cette règle importante qui protège l'identité des jeunes confiés à de tels établissements.
La vice-présidente (Mme Torsney): Entendu.
Mesdames et messieurs les membres du comité, avez-vous d'autres questions à poser?
M. Ramsay: J'ai une question très très brève.
La vice-présidente (Mme Torsney): C'est promis?
M. Ramsay: Si vous convenez du fait que le public n'est guère au courant de la Loi sur les jeunes contrevenants...
Votre rapport est fondé sur une enquête. Vous avez distribué 1 000 questionnaires, 500 vous ont été renvoyés par des gens qui, vous êtes d'accord, connaissent mal la Loi sur les jeunes contrevenants. Pourtant, votre rapport, et vos recommandations, sont fondés sur les réponses au questionnaire.
Je vois une contradiction dans le fait que les réponses que vous avez données au comité, ainsi que votre rapport et vos recommandations, sont fondés sur ces données qui, de votre propre aveu, sont lacunaires.
M. Dickson: Nous n'avons pas envoyé notre questionnaire à 2 000 personnes choisies au hasard. Nous l'avons, justement, envoyé à des juges du tribunal pour les jeunes, à des procureurs de la Couronne, à des policiers.
M. Ramsay: Votre questionnaire n'a pas été distribué au public?
M. Dickson: Non, non. Une partie de notre enquête comportait des réunions publiques, mais le questionnaire a, de façon très précise, été envoyé à des gens qui ont une certaine connaissance et une certaine expérience du dispositif judiciaire dont relèvent les jeunes. Nous avons obtenu les réponses les plus complètes de procureurs de la Couronne et de policiers, qui avaient beaucoup à nous dire, ainsi que de personnes qui travaillent, par exemple, dans le domaine de la probation.
Nous avons organisé des réunions dans 12 localités différentes, invitant les citoyens à venir. Souvent, dans ces cas-là, les intervenants étaient moins informés. Il s'agissait de recueillir le sentiment des Albertains, aussi bien à Drumheller qu'à Lethbridge, de citoyens qui parlaient simplement en fonction de ce qu'ils savaient.
M. Ramsay: Les données consignées dans votre rapport ne proviennent donc pas de la population de Millet, de Stettler, de Fort McMurray ou d'autres villes comme cela, mais principalement, donc, de procureurs de la Couronne et de gens qui travaillent au sein du système judiciaire et qui comprennent donc mieux que le citoyen moyen le genre de cas que nous avons évoqués?
La vice-présidente (Mme Torsney): La démarche méthodologique que vous avez retenue est-elle exposée dans votre rapport?
M. Dickson: Je ne suis pas certain que l'on ait exposé cela de façon aussi détaillée que M. Ramsay pourrait le souhaiter, mais il est clair qu'on y expose notre manière de procéder.
M. Ramsay: Je ne mets pas en cause votre rapport. Ce que je mets en cause...
La vice-présidente (Mme Torsney): Vous voulez connaître la démarche méthodologique utilisée pour recueillir les données.
M. Ramsay: Oui, étant donné la manière dont il a répondu à la question de Shaughnessy Cohen.
La vice-présidente (Mme Torsney): Je crois que cela se trouve à la page 13.
Ce qu'il faut également rappeler, bien sûr, c'est que ce rapport a été rédigé par cinq députés provinciaux conservateurs, que le ministre a eu son mot à dire et qu'ils ont procédé aussi à une consultation de la population en organisant diverses... On nous a dit, je crois, que certaines réunions n'ont attiré que cinq personnes et que la source des données n'était peut-être pas très profonde.
M. Dickson: Vous soulevez là un point intéressant, car, en fait, si vous consultez le manuel de discussion publié par le gouvernement provincial afin de préparer notre consultation...
La vice-présidente (Mme Torsney): Nous aimerions beaucoup le voir.
M. Dickson: ... On trouve une liste de quelque 21 questions différentes permettant de recueillir l'opinion des Albertains. Une seule question a trait à quelque chose qui relève de la législature provinciale. Il s'agit des mesures de substitution. Je vous dis très franchement que c'est pour cela que nous avons cru important d'élargir le champ de notre recherche. Je vous dirai si nous pouvons en assumer le mérite.
La consultation à laquelle nous avons procédé a permis au groupe de travail gouvernemental de produire deux rapports et, en cours de route, ce groupe de travail a élargi son mandat. C'est pourquoi, au lieu de simplement recommander les mesures que devrait prendre Ottawa, il y a eu ce second rapport qui formule également des recommandations au niveau provincial. Nous voulions élargir le champ de notre réflexion car le problème ne dépend pas simplement d'un texte de loi.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Dickson, je vous remercie d'avoir encouragé la présidente à vous donner cette occasion de prendre la parole ici. Nous avons été heureux de vous accueillir et je note qu'un de vos collègues qui a lui aussi participé à la préparation du rapport se trouve dans cette salle.
Voilà qui achève nos deux journées d'auditions à Edmonton. Nous savons gré aux résidents de l'Alberta de l'appui qu'ils nous ont donné et des efforts qu'ils consentent en ce domaine.
M. Dickson: Je vous remercie de l'occasion que vous m'avez fournie.
La vice-présidente (Mme Torsney): La séance est levée.