[Enregistrement électronique]
Le lundi 11 novembre 1996
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Torsney): La séance est ouverte.
Voulez-vous commencer?
[Français]
Me Carole Brosseau (Barreau du Québec): Bonjour. Je vais vais prendre la parole en premier lieu. Je suis accompagnée aujourd'hui de deux membres du Comité permanent en droit criminel du Barreau du Québec.
Je vais vous expliquer brièvement comment fonctionne notre institution en précisant que le Barreau du Québec s'adjoint des experts dans les différents domaines du droit. Notamment, en matière criminelle, nous avons un comité permanent en droit criminel constitué de procureurs de la défense, de procureurs de la Couronne et de professeurs d'université afin que toutes les positions en matière de droit criminel se retrouvent dans les recommandations que nous formulons dans nos mémoires.
Aujourd'hui, nous venons vous présenter nos recommandations et nos commentaires relativement à deux projets de loi, les projets de loi C-17 et C-27.
Me Battista est procureur de la défense et Me Anne-Marie Boisvert est professeure agrégée à l'Université de Montréal en droit pénal et criminel.
Avant de céder la parole à Me Battista, qui vous entretiendra sur la position du Barreau à l'égard du projet de loi C-17, j'aimerais porter à votre attention une correction à la page 3 du mémoire portant sur le projet de loi C-17. Au 3e paragraphe, 1ère ligne, vous devriez lire «59» plutôt que «52».
Me Giuseppe Battista (Barreau du Québec): Bonjour.
[Traduction]
Ce sera peut-être plus facile si je m'exprime en anglais.
[Français]
Je vais peut-être m'exprimer dans les deux langues pour faciliter les choses à tout le monde.
[Traduction]
Je m'en tiendrai à cinq sujets concernant le projet de loi C-17. Le premier a trait aux comparutions de détenus où l'on a recours à la télévision en circuit fermé. Les autres sont la présomption d'innocence lorsqu'il y a plaidoyer de culpabilité; le traitement des accusés, soit la question dont vous a parlé le médecin qui a témoigné ici plus tôt; le consentement au traitement; les appels à la Cour suprême; et les modifications aux dispositions régissant le cautionnement.
Parlons d'abord des comparutions télévisées. Trois articles du projet de loi traitent de cette question. Il y a d'abord l'article 59, qui traite de la comparution de l'accusé, l'étape de la comparution; il y a ensuite l'article 84 qui traite des comparutions devant le comité d'examen; et enfin, l'article 111, qui traite des comparutions pour les détenus lorsqu'il y a déclaration sommaire de culpabilité.
Essentiellement, la position du Barreau du Québec ici est très ferme, et tous les intervenants sont parfaitement d'accord. Tout le monde est d'accord en principe pour dire qu'il faut recourir aux nouvelles méthodes de télécommunication. Toutes les parties en profiteront. Cependant, ce qui est essentiel pour nous, c'est le maintien des dispositions régissant le consentement.
Le projet de loi C-41 proposait des modifications au Code criminel, si je ne m'abuse - ou s'agissait-il du projet de loi C-41?
La vice-présidente (Mme Torsney): On nous dit que c'était le projet de loi C-42. Il y a eu les projets de loi C-41, C-42 et C-45.
Me Battista: D'accord, c'était donc l'un d'entre eux.
Lorsque ce projet de loi a été proposé pour la première fois, il contenait des dispositions selon lesquelles, avec le consentement de l'accusé et du procureur, les comparutions pouvaient être télévisées. On a modifié cela avec l'article 59, et nous nous y opposons.
Notre préoccupation tient au fait que lorsqu'une personne est détenue, le principe selon lequel elle doit être traduite devant un juge de paix dans les 24 heures est une idée fondamentale dans tout régime démocratique. Le principe ici tient au fait que l'État détient une personne. Maintenant l'État a retiré cette personne de la société et l'a envoyée quelque part, dans un poste de police, on présume. La loi exige que cette personne soit traduite devant un juge de paix dans les 24 heures afin que la détention puisse être motivée. Le Code criminel contient des dispositions en ce sens et celles-ci ont été jugées essentielles par les tribunaux car elles permettent de déterminer si la détention était arbitraire ou non.
Cette disposition autorise les comparutions vidéo, mais l'accusé n'est pas traduit physiquement devant un juge de paix qui vérifiera si cette personne est détenue pour des motifs légitimes. En principe, il n'y a pas de problème si l'accusé consent à cette procédure. Mais si l'accusé ne consent pas à cette procédure, ce que vous avez, c'est une personne qui est détenue, qui n'a pas été traduite physiquement devant un juge de paix ou un quelconque magistrat, et qui sera emmenée ailleurs, dans un centre de détention quelconque, et qui ne comparaîtra qu'à la télévision.
Il existe une affaire, La Reine c. Fecteau - et pardonnez-moi si je n'ai pas la citation, mais je crois que ce jugement a été rendu par le juge Campbell de la Cour supérieure de l'Ontario - qui traitait de la question des comparutions télévisées à l'époque où le Code criminel ne contenait évidemment aucune disposition en ce sens. Mais le fait est que le juge Campbell a soulevé les mêmes préoccupations que nous soulevons aujourd'hui. Il n'y a pas de problème si l'accusé donne son consentement. Si l'accusé ne donne pas son consentement, cependant, nous pensons qu'il y a problème. Notre Code criminel permet cette procédure, mais notre Code criminel articule essentiellement un vieux principe qui a été articulé dans les cas d'habeas corpus. Essentiellement, la personne qui a été arrêtée et qui est détenue a le droit d'être traduite devant un juge immédiatement, dès que possible, à moins que cette personne consente à une autre procédure. Donc, ce qui nous préoccupe ici, c'est l'abrogation des dispositions régissant le consentement, et je serai plus qu'heureux de répondre à toutes les questions que vous aurez à ce sujet.
À mon avis, on illustre bien ce qui devrait être fait et ce qui peut être fait à l'article 111, qui stipule que l'on peut procéder de cette façon avec le consentement de l'accusé. L'article 111 semble englober une vaste gamme de procédures. Il s'agit plus ici que de la première comparution. On y stipule... je pense que l'on pourrait même ici accepter un plaidoyer de culpabilité.
Par exemple, une personne est condamnée à quatre ans de pénitencier et une accusation de vol à l'étalage pèse encore sur elle. Il en coûterait très cher à tout le monde d'amener cette personne du pénitencier au tribunal. On peut donc procéder par vidéoconférence et la personne peut en fait plaider coupable à la télévision. S'il y a consentement, il n'y a pas de problème. L'accusé sera dûment informé, sera présumément représenté par un avocat, et recevra toutes les informations voulues. Il n'y a aucune difficulté.
Donc ce qu'on voit ici, c'est que toutes ces nouvelles technologies nous rendent plus efficients et peuvent respecter les intérêts de toutes les parties, mais les dispositions régissant le consentement sont absolument essentielles, sans quoi il y a déséquilibre. On permet à l'État de déterminer qui va comparaître devant un juge de paix et qui ne comparaîtra pas. On ne donne plus le choix à l'accusé. L'accusé est détenu et envoyé quelque part. Si le procureur décide que cette personne comparaîtra devant un juge, cette personne va comparaître devant un juge. Mais si le procureur décide qu'on va recourir à la télévision dans un autre cas, on recourra à la télévision. Donc, pour nous, il y a un déséquilibre et une injustice. Mais comme nous le disons, ce n'est pas un problème insurmontable. On obtiendra le consentement de l'accusé si c'est dans son intérêt supérieur.
Nous nous préoccupons également du fait que le Code criminel prévoit la comparution devant un juge de paix dans les 24 heures. Comment allons-nous maintenant justifier une période où il n'y aurait pas plus d'une heure ou deux après la détention? Si l'on met sur pied un système de vidéoconférence et que l'on a une caméra de télévision au poste de police, pourquoi cette personne ne comparaîtrait-elle pas dans les 30 minutes suivant son arrivée au poste de police? Comment allons-nous alors justifier une période de détention de 24 heures? Je crois donc que ces dispositions où l'on fait appel aux nouvelles technologies posent plusieurs problèmes et que le consentement demeure une question fondamentale.
Si vous n'avez pas de questions, je peux peut-être passer au point suivant. Ça va?
Nous avons également des réserves importantes quant à l'article 80 du projet de loi C-17, qui modifie le paragraphe 657.2 (2) du Code criminel. Notre préoccupation tient à la présomption selon laquelle un crime a été commis lorsqu'une partie a plaidé coupable à l'infraction initiale. Il résulte donc de l'article 657 qu'une personne jugée pour recel sera mise devant le fait qu'un crime a été commis parce qu'une tierce partie a fait inscrire un plaidoyer de culpabilité à son dossier pour cette accusation.
Imaginez que je suis accusé de recel. Les questions qui se posent au procès sont les suivantes, à savoir s'il y a eu vol ou non, et si j'ai pris part ou non à la commission de l'infraction. Le fait qu'une tierce partie a plaidé coupable pèsera contre moi à mon procès, parce que si cette personne a plaidé coupable, nous savons alors qu'un crime a été commis. Il s'agit alors seulement de savoir si j'ai pris part ou non à la commission d'une infraction.
Il y a eu une affaire devant la Cour d'appel du Québec, La Reine c. Janoff - et vous avez la citation à la page 7 de notre mémoire - qui traitait de la constitutionnalité d'une disposition semblable. On a jugé cette disposition anticonstitutionnelle, et la Cour suprême n'a pas été saisie de cette question parce que le procureur général a accepté le jugement. Donc, l'affaire Janoff a créé un précédent sur cette question, et l'on refuse depuis la présomption qui pèse contre une personne qui n'est pas nécessairement liée aux faits. La Cour suprême nous dit que si l'on veut invoquer une présomption contre une personne, il faut qu'il y ait un lien rationnel entre ce qui est présumé et ce que nous allons conclure à l'encontre d'une personne, tant sur le plan juridique que sur les faits. Ces nouvelles dispositions mettent l'accusé devant un fait accompli, si vous voulez, à cause du geste d'une tierce partie. Nous sommes d'avis que cette disposition est injuste et nous ne croyons pas qu'elle va résister à une contestation constitutionnelle.
Je vais parler en troisième lieu de... Je sais que vous avez déjà entendu quelqu'un qui a déjà parlé de cette question, et il m'a semblé très compétent. J'ai la certitude qu'il a pu vous donner toutes les informations dont vous aviez besoin, mais à la page 10 de notre mémoire, nous traitons très brièvement du fait que l'article 86 du projet de loi C-17 propose de modifier l'article 672.55 afin d'inclure le traitement moyennant consentement. Nous sommes d'accord. Nous croyons que c'est une bonne idée.
Je crois savoir que vous allez étudier cette question parce que j'ai entendu les interventions de l'un des membres du comité. À notre avis, si l'on envisage de proposer des modifications de cette nature, il serait également important d'envisager des modifications complémentaires qui permettront de rectifier le tir en temps utile. Par exemple, un accusé accepte le traitement le jour du jugement. Imaginez que six mois plus tard, le traitement lui cause des effets secondaires que tout le monde juge terribles, ou que la personne veut changer de psychiatre pour ce qui pourrait être des raisons très légitimes. Il n'y a aucun mécanisme de prévu ici, et nous allons donc nous retrouver dans une situation où il y aurait une sorte de vide juridique. Les gens vont alors improviser tout comme ils le font aujourd'hui. Donc, si je comprends bien, cette disposition est essentiellement une modification au Code criminel qui vise à tenir compte des pratiques ordinaires.
Je peux vous dire par expérience que l'utilité d'une disposition de cette nature est relative. Lorsqu'une personne qui a besoin d'un traitement psychiatrique accepte de se prêter au traitement, il n'y a jamais de problème. Le problème se pose lorsque la personne n'en veut plus. Lorsque la Cour impose le traitement, il y a souvent un effet incitatif. C'est très positif en ce sens. Cependant, si l'on ne peut modifier la disposition incitative, il n'y a plus d'incitatif. La personne va alors contrevenir à la disposition et elle se retrouvera coincée. Elle va continuer de vivre avec les effets secondaires terribles de la médication, mais il sera impossible de modifier le jugement qui a été rendu. C'est cette perspective qui nous amène à croire qu'il faut prévoir des mécanismes.
Passons maintenant aux appels à la Cour suprême du Canada. Essentiellement, notre préoccupation tient à la situation que va créer l'article 99 du projet de loi C-17. La personne qui a été acquittée en première instance et dont l'acquittement a été annulé par la Cour d'appel, ne pourra plus maintenant s'adresser à la Cour suprême du Canada que si intervient une question de droit et si elle a la permission de le faire.
J'entends déjà les tenants de cette proposition dire qu'on va invoquer des arguments juridiques ridicules et qu'on ne veut pas faire perdre de temps aux tribunaux. C'est bien, et de tels appels seront rejetés. Mais le problème, c'est que lorsqu'une personne a été acquittée et que cet acquittement a été invalidé, on se retrouve avec une personne qui a été présumée innocente et dont l'innocence a été confirmée. Cependant, s'il y a appel sur une question de droit, il y a ordonnance par la Cour d'un nouveau procès. On peut causer des torts considérables ainsi, par exemple, dans une situation où la Cour d'appel s'est trompée. Les gens vont dire que la Cour suprême autorisera l'appel si la question est à ce point importante. Eh bien, peut-être que oui et peut-être que non. Le fait est qu'une personne innocente - ou une personne présumée innocente - a été acquittée et que l'acquittement a été annulé.
Nous devons être aussi généreux que possible en nous assurant que les personnes qui sont acquittées n'aient pas à se soumettre à un nouveau procès inutile. Si la question de droit n'a aucun fondement et aucun mérite, la poursuite avortera tout de suite et personne ne sera inquiété. Il y aura un nouveau procès si la Cour d'appel l'ordonne et si la Cour suprême repousse l'argument juridique. Il n'y a pas de problème. Mais si cet argument juridique a la moindre chance d'être retenu par la Cour suprême, c'est la Cour suprême qui doit être l'arbitre final ici et on ne devrait pas avoir à demander la permission d'en appeler. On ne devrait imposer aucune restriction à la personne qui a été acquittée en première instance.
C'est donc à ce niveau que se situe notre préoccupation. Cette modification aura pour effet de limiter les appels à la Cour suprême pour les personnes qui ont été acquittées.
Enfin, je vais vous dire en quoi consistent nos préoccupations quant aux modifications qu'on propose aux dispositions régissant le cautionnement. À la page 4 de notre mémoire, nous faisons état des modifications au paragraphe 515(10). Il s'agit ici du paragraphe 59(2) du projet de loi C-17.
Vous vous rappellerez que dans l'affaire Morales, la Cour suprême du Canada a invalidé la disposition selon laquelle on peut détenir une personne si c'est dans l'intérêt public. À notre avis, cette modification, qui ajoutera l'alinéa c) au paragraphe 515(10) du Code criminel, est une autre façon de dire «l'intérêt public». J'ai la version française ici qui dit:
[Français]
c) il est démontré une autre juste cause et, sans préjudice de ce qui précède, sa détention est nécessaire pour ne pas miner la confiance du public envers l'administration de la justice,...
[Traduction]
Notre code vise aujourd'hui à protéger le public. Si une personne est accusée d'une infraction criminelle et est présumée innocente, et si les tribunaux ont la preuve que la sécurité du public est en danger, et que le public doit être protégé contre cette personne, les tribunaux ont tous les pouvoirs et toute la latitude qu'il leur faut pour intervenir.
Lorsque l'affaire Morales a été plaidée, on a fait valoir auprès de la Cour suprême l'argument selon lequel les tribunaux avaient commencé à interpréter la notion d'intérêt public ainsi - pour reprendre les termes employés par Me Francis Brabant dans un article - s'il y a des drogues dures ici, pas de liberté sous caution. Si une personne était accusée d'une infraction où intervenaient des drogues dures, cette personne n'avait aucune chance d'être libérée sous caution même si elle ne présentait pas de risque pour la sécurité publique, même si cette personne ne présentait aucun danger pour le grand public, et même s'il n'y avait aucune raison de croire que cette personne se prêterait de nouveau à ce genre d'activité.
À notre avis, si cette notion d'intérêt public a été invalidée, c'est parce qu'elle était entre autres choses vague, trop générale, et qu'elle favorisait ce genre d'interprétation. Je crois savoir qu'on essaie ici de dire des choses, par exemple qu'il faut considérer les circonstances, qu'il faut savoir si l'accusation repose sur une preuve solide et ainsi de suite. J'espère pour ma part que toutes les accusations reposent sur des preuves solides.
Le problème ici, c'est qu'avec notre Code criminel, et depuis l'invalidation des aspects excessifs des dispositions régissant la liberté sous caution du Code criminel, nous ne voyons aucune raison de le modifier. Il n'y a pas eu une seule cause importante où l'on a accordé la liberté sous caution à des gens dans des situations où la sécurité publique était en danger ou la protection du public compromise d'une manière quelconque. Pour ces raisons, nous nous interrogeons sérieusement sur l'expansion des dispositions qui auraient pour effet de refuser la liberté sous caution.
N'oublions pas qu'il y a eu des cas où l'on a détenu des personnes afin de protéger l'intérêt public et que ces personnes ont fini par être acquittées. Il s'agit donc de personnes qui sont présumées innocentes. Il ne s'agit pas d'un récidiviste qui a enfreint une quinzaine de fois les conditions de sa liberté sous caution. Nous avons des dispositions pour contrer ce genre de choses. Il s'agit ici d'une situation où la confiance publique... Donc pour conserver la confiance du public, nous allons détenir quelqu'un qui pourrait être éventuellement acquitté. À notre avis, il faut des motifs plus graves que ceux-là pour priver quelqu'un de sa liberté au tout début des procédures.
Nous faisons état d'autres problèmes. J'ai tâché de me limiter à ceux que nous jugeons les plus importants. Il y a aussi des différences entre les versions française et anglaise du projet de loi. Les légistes ont parfois des expressions plus heureuses que les nôtres. Cela ne nous préoccupe pas. Mais il y a des différences et nous tenons à vous les signaler.
Si vous avez des questions, je suis à votre disposition.
[Français]
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Bellehumeur, avez-vous des questions?
M. Bellehumeur (Berthier - Montcalm ): Je n'ai aucune question relativement au projet de loi C-17. Votre mémoire est suffisamment clair. Nous avons discuté de ces sujets à plusieurs reprises et avons déjà exprimé nos préoccupations. J'ai également rencontré des gens du ministère de la Justice à Québec qui m'ont fait part de certains points. Je n'ai pas de questions.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Maloney.
[Traduction]
M. Maloney (Erie): J'ai une question au sujet de ce que vous avez dit sur les comparutions télévisées. S'il n'y a pas de consentement, pensez-vous qu'il y aura de nombreuses contestations?
Me Battista: Je pense que c'est fondamental. Je suis avocat de la défense, et d'après mon expérience, lorsque les gens comparaissent à la télévision, ils ne parlent jamais de leurs enfants ou des membres de leur famille. Je sais que lorsqu'une personne a un fils ou une fille, un frère ou une soeur accusé d'une infraction pour la première fois de sa vie et que ce membre de la famille est détenu, la personne veut savoir où se trouve son parent, comment il se sent, elle veut avoir l'assurance que tout est fait dans les formes et que le système fonctionne bien. Il est essentiel que l'avocat puisse rencontrer son client le plus vite possible, puisse lui parler, puisse rassurer tout le monde.
Le fait que la personne sera traduite devant un juge de paix dans les 24 heures est vraiment essentiel. Les avocats disent à leurs clients: «Ne vous inquiétez pas, il ne peut rien vous arriver. Vous serez traduits devant le tribunal demain à la même heure. Ne vous inquiétez pas.» On peut dire ça à la famille aussi. Mais si l'on instaure un système comme celui-là, ce ne sera plus le cas.
Maintenant ça ne veut pas dire que la liberté de cette personne est compromise, mais c'est ce qu'on peut penser, et le système doit s'adapter. C'est ce que je dis. Si le système s'adapte et que l'accusé trouve avantageux de recourir à cette procédure, alors ça va. Ça devient un outil de plus, qui est efficient et qui répond aussi aux besoins de tous les intéressés, dont l'accusé, la famille de l'accusé et le système judiciaire.
Mais si l'on procède sans consentement, il y aura sûrement des contestations judiciaires, parce que cela aura pour effet de nier à une personne un droit qui est aussi vieux que la Magna Carta; c'est l'habeas corpus - lorsqu'une personne est détenue par l'État. L'État doit motiver la détention devant un corpus judiciaire indépendant. C'est à cela que sert la comparution.
Nous pensons que cela peut être fait. Il n'y a pas qu'une seule façon de procéder, mais il existe une façon de procéder qui remonte à plusieurs centaines d'années, et dans toutes les démocraties, il existe des dispositions de ce genre. Et l'habeas corpus est le fondement de tout cela. Ce que nous disons, c'est que si vous voulez jouer avec ça, d'accord, mais ne procédez pas sans consentement. Si l'accusé y voit son profit, il donnera toujours son consentement.
Si l'on peut garantir à l'accusé, par exemple, qu'il comparaîtra devant un juge de paix dans les quelques heures à venir - et imaginons que le procureur de la Couronne ne s'opposera pas à la libération sous caution si l'accusé comparaît devant un juge de paix mais qu'il voudra qu'on lui impose des conditions précises, et ce procureur voudra s'assurer que c'est un juge qui impose ces conditions de telle sorte que l'accusé voit bien que c'est un juge qui impose ces conditions - alors très bien. Si l'on peut procéder dans les trois heures qui suivent, pourquoi attendre 20 heures de plus parce qu'il faut transférer cette personne d'un centre de détention à un autre et de là au Palais de justice? D'accord, c'est ce qu'on fera, il n'y aura pas de problème. Je ne vois pas quelles objections on pourrait soulever ici. Il est définitivement dans l'intérêt de l'accusé et dans l'intérêt du système d'économiser tout cet argent.
À notre avis, c'est l'approche qu'il faut épouser. Rendons cette procédure intéressante afin que les gens y consentent, mais n'oublions pas le fait qu'à l'heure actuelle, l'État a l'obligation de traduire une personne détenue devant un arbitre indépendant dans les 24 heures. Toute la question est là, et c'est une question de principe; ce n'est pas une question de commodité administrative. Le vidéo est une commodité administrative. C'est simplement une méthode qui peut satisfaire les besoins de chacun.
Le juge Campbell a soulevé cette question. Il a dit: «Comment vais-je savoir où se trouve cette personne? Comment vais-je savoir si cette personne est bien là où les autorités m'ont dit qu'elle était?» C'est le genre de problèmes qui se posent. De toute évidence, nous ne sommes plus en 1984, nous sommes en 1996, et nous vivons en démocratie et personne n'est inquiet. Cependant, lorsqu'il s'agit de justice pénale et de libertés individuelles, les apparences sont souvent aussi importantes que la réalité.
Les dispositions selon lesquelles la personne doit être traduite devant un juge de paix dans les24 heures ont justement cet effet. Elles rassurent tout le monde et donnent à tous une image rassurante du système judiciaire.
Merci, madame la présidente.
La vice-présidente (Mme Torsney): Pouvons-nous passer à Me Boisvert?
[Français]
Me Anne-Marie Boisvert (Barreau du Québec): J'ai cru comprendre que j'étais la dernière d'une longue série d'intervenants et je me proposais de vous dire que je serais brève. Je serai brève tout de même.
Je vous dirai d'abord que le Barreau du Québec partage l'intérêt du législateur quant aux sujets traités dans le projet de loi C-27 et partage l'avis du législateur quant à l'importance des objectifs poursuivis.
Je me limiterai dans ma présentation à trois remarques qui nous apparaissent fondamentales.
Le paragraphe 2(3), qui se reporte à l'article 212, prévoit une peine minimale obligatoire de cinq ans dans des cas de manifestations graves de proxénétisme.
Le Barreau aimerait rappeler son désaccord quant à cet outil que sont les peines minimales obligatoires. C'est en partie une question de principe.
Puisque le législateur vient d'adopter ou de mettre en vigueur une nouvelle partie XXIII du Code criminel, qui établit les principes applicables en matière de condamnation et établit aussi pour la première fois une liste de facteurs aggravants dont les juges doivent tenir compte, le Barreau voit mal qu'à quelques mois d'intervalle, le législateur ne fasse pas confiance à la magistrature et lui impose dans tous les cas d'imposer une peine minimale obligatoire de cinq ans.
Il est vrai que la forme de proxénétisme qui est visée à l'article 212, celle qui entraîne une peine minimale obligatoire, est particulièrement grave. Il n'en demeure pas moins que cette disposition couvre quand même un vaste éventail de comportements, tout comme la notion de violence. On doit faire une distinction entre la violence extrême et une tape au visage. On enlève à la magistrature la possibilité de tenir compte des circonstances entourant une conduite particulière. Le Barreau ne voit aucun intérêt à la limitation de la discrétion du pouvoir judiciaire qui est proposée ici.
La peine minimale de cinq ans qui est prévue est particulièrement élevée. Cinq ans, ce n'est pas rien dans la gamme des peines. Par ailleurs, il y a matière à craindre que l'emprisonnement minimal de cinq ans soit contreproductif. Dans certaines circonstances, il ne faudra peut-être pas s'étonner de voir des négociations de plaidoyers et de voir peut-être même des juges acquitter des personnes en se servant de détails techniques, tout simplement pour éviter la peine minimale obligatoire sévère qui est prévue.
Le Barreau est d'avis qu'il serait préférable de laisser les tribunaux appliquer les guides que le législateur vient de lui donner aux termes des articles 718 et suivants du Code criminel. Parfois, à trop vouloir bien faire, il y a danger d'être finalement contreproductif. Je termine ainsi mon premier commentaire.
Un peu dans la même veine, à la page 7 de notre mémoire, il est question de l'article 3 du projet de loi C-27 qui propose d'ajouter à la liste des meurtres au premier degré les cas de meurtres commis alors que l'accusé s'était livré à de l'intimidation sur la personne de la victime. Encore ici, le fait de qualifier cette conduite de meurtre au premier degré touche en fait aux conséquences pénales ou à la peine et sa sévérité.
Le Barreau est d'avis que le fait d'inscrire cette nouvelle infraction à la liste des meurtres au premier degré ne poursuit dans le fond aucun objectif valide au point de vue de la peine. Par exemple, les homicides conjugaux sont souvent accompagnés de harcèlement ou d'intimidation, bien qu'ils soient commis dans des situations où il n'y a pas de préméditation. C'est souvent autre chose qui est en jeu.
Le Barreau est d'avis que la dissuasion qui justifierait peut-être cette inclusion dans la liste des meurtres au premier degré ne fonctionne tout simplement pas dans les situations visées. Le Barreau ne voit pas l'intérêt de cette chose. Nous parlons tout de même de meurtres et donc d'une infraction qui est déjà passible d'un emprisonnement à perpétuité et pour laquelle on prévoit déjà une large limitation et une longue période d'incarcération avant une possibilité de libération conditionnelle.
Il apparaît complètement superfétatoire d'ajouter cette infraction à la liste des meurtres au premier degré.
Comme dernière remarque, je me reporte aux pages 8 et 9 de mon mémoire et je parlerai de l'article 5 du projet de loi. Je vous surprendrai peut-être en vous disant que cette fois-ci, le Barreau est d'avis que le projet de loi ne va pas assez loin. Nous comprenons que, par la modification qui est faite à l'article 268, on veut s'assurer qu'un parent ou un tuteur ne puisse consentir à des mutilations génitales pour un jeune. Le Barreau est parfaitement d'accord sur cette disposition. Toutefois, compte tenu de l'état de la jurisprudence, le Barreau se demande s'il ne serait pas opportun de prévoir également qu'une personne qui a plus de 18 ans ne puisse consentir à ce genre de mutilation.
Le projet, tel qu'il se lit, en prévoyant explicitement le cas de consentement donné pour les personnes de moins de 18 ans, pourrait être interprété comme laissant entendre qu'à partir de 18 ans, les personnes sont libres de consentir aux mutilations génitales dont il est question.
On sait que la jurisprudence a, dans la décision Jobidon c. La Reine, reconnu qu'il y avait des limites d'ordre public à la faculté de consentir à ce que certaines blessures soient infligées. Les limites de l'arrêt Jobidon ne sont toutefois pas claires. On sait que l'arrêt Jobidon laisse ouverte la possibilité que des gens puissent consentir à des opérations chirurgicales valables. Mais qu'est-ce qu'une opération chirurgicale valable?
On sait aussi qu'on peut consentir à des blessures pour une production culturelle socialement utile. Compte tenu de ce dont il est question ici, il nous apparaît qu'il serait opportun de préciser qu'en tout temps, peu importe l'âge de la personne, il n'est pas possible de consentir aux mutilations dont il est question dans le projet de loi, et que le projet de loi ne devrait pas être lu comme une licence au consentement après l'âge de 18 ans.
Je vous avais dit que je serais brève. Je m'arrêterai ici, à moins, bien entendu, que vous ayez des questions.
La vice-présidente (Mme Torsney): Je pense que vous avez des questions, monsieur Bellehumeur.
M. Bellehumeur: Oui, je vais commencer puis je céderai la parole à ma collègue Christiane Gagnon qui, j'en suis sûr et certain, a été très heureuse d'entendre vos propos. En tout cas, ce fut très rafraîchissant pour un député du Bloc québécois de vous entendre sur cette position puisque nous étions à peu près les seuls à dire ce que vous dites présentement. Mais je sens que le vent va changer de direction. Je vois M. Roy qui est ici. Je pense que le vent va changer de bord.
Au niveau du consentement et au niveau de l'interprétation que vous avez donnée de l'arrêt Jobidon, c'est davantage un commentaire qu'une question que j'aimerais formuler. Je partage entièrement votre point de vue à cet égard et j'apprécie aussi ce que vous dites dans votre mémoire lorsque que vous précisez que s'il y a un message à donner, et je pense que c'est ce que le gouvernement voulait aussi faire, c'est en matière d'éducation. Je pense qu'on doit aller plus loin dans cette disposition précise de l'article.
Je vous poserai une question, bien que je pense qu'on me l'a déjà expliquée assez précisément. J'aimerais vous entendre à titre d'experte en cette matière qui s'est penchée sur le sujet. Au paragraphe 5(3) du projet de loi, où on fait de l'excision une infraction, on prévoit spécifiquement une exception dans le cas d'une opération chirurgicale pratiquée par une personne qui a le droit d'exercer la médecine. Jugez-vous qu'il était opportun d'inclure cette exception à l'article et pourquoi?
Me Boisvert: Je pense que oui. Je puis m'imaginer un cas où une excision aurait déjà été pratiquée à moitié par une personne qui n'était pas autorisée à pratiquer la médecine. Certaines excisions se font dans le fond de la cuisine avec des tessons de bouteille. Il peut arriver qu'il soit nécessaire de terminer l'opération dans les conditions appropriées.
Il ne faut pas oublier non plus qu'au Canada, et c'est une situation que je peux imaginer, il y a une certaine proportion de femmes qui ont déjà été en tout ou en partie excisées et qui peuvent présenter des problèmes gynécologiques ou qui encore devront littéralement se faire découdre, ouvrir ou je ne sais quoi, pour pouvoir accoucher. Je pense qu'il faut conserver l'exception qui est prévue. Elle me semble particulièrement bien rédigée puisqu'il est question de santé, de la santé physique de la personne.
Vous vous rappellerez peut-être l'époque où il y avait un débat sur les dispositions en matière d'avortement et où on prévoyait la possibilité d'avortement thérapeutique en cas de nécessité au plan de la santé. Tout un débat s'était engagé pour savoir si la santé psychologique entrait dans la notion de santé. Ici, l'exception est très circonscrite à des cas où c'est la santé physique qui le nécessite. Je ne vois donc pas de difficulté avec l'exception.
M. Bellehumeur: Je vous comprends et je suis d'accord sur ce que vous avez dit, et surtout sur les exemples que vous donniez. Je pense que ça couvre cela.
Vous me répondrez probablement non, mais je voudrais savoir si vous considérez qu'on fait un duplicata en précisant cette exception puisqu'au début du Code criminel, un des articles généraux protège les médecins qui pratiquent légalement une intervention chirurgicale ou quoi que ce soit. Est-ce faire double emploi?
Me Boisvert: Je ne le pense pas, puisqu'un comportement précis est visé. L'article 45 du Code criminel n'aurait pas nécessairement réussi à protéger des médecins qui faisaient des avortements à l'époque où l'avortement était interdit. Je pense que pour le corps médical, il peut être important de conserver cette exception.
M. Bellehumeur: D'accord. Ma dernière question porte sur l'emprisonnement minimal de cinq ans sur lequel j'étais à première vue d'accord. J'ai depuis entendu à deux reprises des témoignages à cet égard et il semble y avoir un message contradictoire de la part du législateur, pour reprendre le terme que vous utilisiez.
Si je vous comprends bien, vous suggérez de supprimer tout simplement cette période minimale de cinq ans dans le paragraphe 2(3) et de conserver la période maximale.
Me Boisvert: Traditionnellement, le législateur exprime son avis quant à la gravité des infractions par le maximum qu'il établit.
M. Bellehumeur: D'accord. Si on en fait une infraction de ce genre, selon ce que je peux comprendre de votre témoignage, le juge sera automatiquement plus enclin à donner des sentences plus élevées, en tenant compte de toutes les circonstances et du contexte et en invoquant les articles 718 et suivants du Code criminel.
Me Boisvert: Oui. En un sens, c'est déjà couvert. Nous craignons qu'en enlevant au juge la discrétion et en lui précisant une peine minimale de cinq ans, on pourra parfois avoir recours à des manipulations afin de contourner ce minimum qui est quand même sévère.
M. Bellehumeur: C'est cela. Vous craignez que les procureurs et même les juges aient recours à un détail technique pour s'en sortir, estimant qu'une peine de cinq ans n'a pas d'allure. On finit toujours par trouver une disposition technique quelconque.
Me Boisvert: C'est un des motifs que le juge Lamer invoquait dans l'arrêt R. c. Smith de la Cour suprême pour soutenir l'inconstitutionnalité d'une peine minimale de sept ans pour l'importation de stupéfiants.
Je pourrais ajouter que cinq ans, ce n'est pas très loin de sept ans dans la gamme de peines qu'on connaît. Il ne faudrait pas s'étonner que des attaques constitutionnelles et des litiges soient soulevés sur la constitutionnalité de la peine minimale de cinq ans.
M. Bellehumeur: De cinq ans au minimum.
Je vous remercie. Je n'ai pas d'autres questions, mais plutôt une remarque. J'aurais souhaité que vous disiez ces commentaires-là devant mes amis du Parti réformiste, parce que pour eux, ce n'est jamais assez. J'aurais aimé que vous puissiez les convaincre de collaborer en ce sens.
La vice-présidente (Mme Torsney): Vos amis?
M. Bellehumeur: Mes amis, oui, effectivement. Disons plutôt les collègues d'à côté; c'est plus juste.
La vice-présidente (Mme Torsney): Madame Gagnon, je pense pouvoir vous accorder trois minutes.
Mme Gagnon (Québec): J'aimerais ajouter quelques commentaires et je vous remercie d'être venus ici aujourd'hui.
Je suis tout particulièrement heureuse que nous discutions de ce projet de loi qui me tient à coeur. J'ai d'ailleurs déposé un projet de loi sur le même sujet. En même temps que nous nous penchons sur le projet de loi du ministre, nous étudions mon projet de loi. Je l'avais déposé dans un but précis, soit d'envoyer un message clair à tous les intervenants, tant ceux du domaine juridique que ceux des communautés culturelles concernées. Vous constaterez que je ne faisais pas de distinction entre un citoyen canadien d'origine ethnique qui adopte de telles pratiques et un citoyen canadien. Je jugeais important qu'il n'y ait pas de double langage. La question du consentement était aussi une de mes préoccupations. Vous avez mentionné avec juste raison que vous avez des réserves à ce que les gens perçoivent qu'après 18 ans, un consentement serait possible.
J'aurais aussi souhaité que ce projet de loi comprenne le principe de l'extraterritorialité. Vous savez que souvent les citoyens canadiens dont on parle sont d'autres origines et ont finalement adopté les valeurs et la culture du pays, du Canada. Ils retournent parfois dans leur pays d'origine et vont pratiquer l'excision sur une jeune fillette canadienne qui souvent est née ici. J'aurais souhaité que cette portée soit incluse dans le projet de loi, tout comme l'est la question du tourisme sexuel. Qu'en pensez-vous?
Me Boisvert: Si ces dispositions étaient adoptées en partie, je souhaiterais que le Code criminel couvre un peu la situation qui vous inquiète, dans la mesure où cela constitue un crime au Canada. On parle de complot pour aller commettre un crime ailleurs.
Mme Gagnon: Je le sais. Mais pourquoi est-il alors nécessaire de préciser la portée extraterritoriale du tourisme sexuel dans le texte de ce projet de loi tandis que les mutilations relèvent des dispositions générales qui sont déjà prévues dans le Code criminel?
Si on veut envoyer un message clair, il ne faut pas que subsiste une possibilité d'interprétation. Pourquoi ne pas le préciser à ce moment-ci, tandis qu'il n'y a pas de poursuites, puisque nous savons que cela se pratique? De jeunes fillettes nées ici partent et vont se faire exciser ailleurs puis reviennent déjà excisées.
Je me dis que si nous n'en sauvions que quelques-unes, si les mères qui ne veulent pas que leur enfant soit excisée étaient conscientes qu'au moins le Code criminel leur donne assez d'assise pour justifier leur position, nous aurions accompli quelque chose.
Me Boisvert: Il y a quand même une petite différence puisque lorsqu'on amène ainsi une fillette, vous pouvez être pas mal sûre qu'il y a un complot autour de ce comportement, tandis que quand on parle du tourisme sexuel, on parle d'un adulte qui va faire ailleurs ce qu'il ne voudrait pas faire chez lui. Là on a peut-être un peu plus besoin d'un élastique.
Je pense que le message est déjà clair ici. Personnellement, avant de faire une autre exception au principe de la territorialité, j'essaierais d'abord de voir quel est l'impact de cette loi.
Mme Gagnon: Merci.
La vice-présidente (Mme Torsney): Maintenant, monsieur DeVillers.
M. DeVillers (Simcoe-Nord): Maître Boisvert, j'aimerais parler de l'objection du Barreau du Québec relativement aux peines minimales. Notre comité entendait hier les mêmes objections et les mêmes recommandations de la part de l'Association du Barreau canadien. Toutefois, vous précisiez que dans les cas où sont fixées des peines minimales, il est plus difficile de déclarer l'accusé coupable. Est-ce que vous avez des études ou des recherches qui pourraient appuyer votre affirmation?
Me Boisvert: Des études ou des recherches, je n'en connais pas personnellement.
M. DeVillers: Est-ce que du travail a été fait dans le domaine?
Me Battista: Ma collègue vous a parlé du fait que le juge Lamer avait invoqué cet aspect dans l'affaire Smith.
Vous vous rappelez peut-être l'affaire Smith. Une personne était passible d'une peine d'emprisonnement minimale de sept ans pour toute accusation d'importation de stupéfiants au Canada. Qu'elle ait importé un joint de marijuana ou un kilo d'héroïne au Canada, c'était sept ans au minimum dès le départ. Si vous étiez juge au procès d'une personne accusée d'avoir importé un joint de marijuana, votre doute serait peut-être plus raisonnable que dans un autre cas. Le juge Lamer y faisait allusion en disant en anglais: pick your own reasons - people being acquitted for pick your own reasons.
Nous parlions beaucoup de cette doctrine au niveau des acquittements en Angleterre au moment où la peine de mort s'appliquait à une foule d'accusations. Les jurys acquittaient les gens pour ne pas avoir à les faire exécuter. Nous disons qu'il peut bien y avoir des cas où une peine de cinq sera la seule peine qui sera justifiée selon les circonstances, mais nous sommes convaincus que chaque cas ne mérite pas la même sentence. Le principe des sentences repose sur le fait qu'elles doivent être individualisées.
Je pense à l'exemple que citait plus tôt votre collègue, l'exemple du procureur qui se disait qu'il n'était pas vrai qu'il ferait en sorte qu'une personne soit condamnée à cinq ans. L'accusé a peut-être commis un tel geste, mais d'autres renseignements dont le procureur est saisi font en sorte qu'il serait injuste de le condamner ainsi. Devant quelle situation est placée cette personne, si ce n'est de changer l'accusation, de trouver une autre accusation qui répondrait aux mêmes objectifs de répression, mais qui ferait en sorte que l'accusé ne soit pas obligé d'écoper d'une peine de cinq ans? Cette situation se présente chaque fois qu'il y a des peines minimales.
Je suis un praticien dans le domaine du droit criminel et nous sommes témoins de cette situation. Il arrive trop souvent que le législateur songe peut-être à un très méchant criminel qui mérite cinq ans. En réalité, certaines personnes ne méritent peut-être pas ce châtiment, mais elles méritent tout de même d'être condamnées et elles se retrouvent dans le système qui va devoir s'adapter. Il serait difficile de vous donner des statistiques de gens qui ont été acquittés, bien que la pratique et le raisonnement nous amènent à cette conclusion.
M. DeVillers: Et votre expérience comme praticien. Merci.
Me Boisvert: J'aimerais ajouter que tout ceci a un effet pervers parce que selon l'opinion publique, pour éviter une peine minimale obligatoire, on «tripote», si vous me permettez cette expression, les accusations. On a un problème de peines et de lignes. On se retrouve avec une personne qui a commis une certaine infraction et qui, pour des raisons qui nous échappent, est accusée d'un délit qui ne correspond pas à celui qu'elle a commis. Toute cette situation finit par faire une spirale qui entraîne la désaffection du public, et parfois un réflexe législatif qui se traduit par une répression plus apparente et un accroissement de la peine minimale, ce qui augmente le problème. C'est contre cela que nous voudrions vous mettre en garde.
M. DeVillers: D'accord, merci beaucoup. Merci, madame la présidente.
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Maloney.
M. Maloney: Au sujet de ce que vous avez dit sur l'article 3, vous dites que lorsqu'il y a homicide conjugal, il n'y a souvent pas de préméditation; c'est seulement dans le feu du moment qu'un incident malheureux se produit. Selon votre expérience, cependant, des menaces de mort sont souvent faites avant qu'un tel incident ne se produise. Est-ce que cela n'aurait pas un effet dissuasif sur de telles personnes? Ne voyez-vous pas des situations familiales où la femme se plaint que son mari a menacé de la tuer et qu'il finit vraiment par la tuer? Est-ce que cet article n'aurait pas un effet dissuasif?
Me Battista: Le Code criminel y voit déjà. Il y a des dispositions sur le harcèlement criminel; il y a des dispositions sur les menaces de mort; et si le procureur de la Couronne fait bien son travail au procès, il pourra prouver qu'il y a eu préméditation, qu'il s'agissait d'un meurtre au premier degré.
Mais l'effet de cette disposition est telle que dans un cas où nous savons qu'il ne s'agit pas d'un meurtre au premier degré - il ne s'agit pas d'un meurtre dans la mesure où la personne a délibérément causé la mort d'une autre personne, et l'on se retrouve devant ce que l'on appelle un meurtre au second degré - nous allons maintenant juger ce meurtre différemment parce qu'on a la preuve qu'il y a eu auparavant comportement de harcèlement, et ce comportement fait intervenir toute une gamme d'activités.
Dans les exemples que vous donnez d'une personne qui a dit: «Je vais te tuer; fais attention!», on a ce que l'on appellerait une base prima facie pour établir qu'il y a bel et bien eu préméditation. Donc cet article n'ajouterait rien. Il n'a pour effet que de modifier le châtiment d'une personne qui a délibérément causé la mort d'une autre personne, et comme l'on tient compte de son passé, nous allons maintenant considérer qu'il s'agit d'un meurtre au premier degré. Mais avec ces dispositions sur la sentence, un juge peut dire maintenant: «Dans votre cas à vous, le défendeur, vous êtes reconnu coupable d'un meurtre au second degré, mais je dispose de preuves qui me disent que vous avez usé de violence extrême envers cette personne, donc au moment de prononcer ma sentence, parce que j'ai la discrétion voulue pour vous imposer une peine dépassant le minimum de dix ans, je vais invoquer les dispositions du Code criminel et vous rendre moins admissible à la libération conditionnelle qu'une autre personne, parce que je dispose de cette preuve.»
Donc, il y a déjà dans le Code criminel des dispositions qu'il faut respecter pour punir les gens qui commettent ce genre de meurtre dans de telles circonstances, et il existe aussi des dispositions qui dissuadent les personnes de harceler leur conjoint et d'user de violence envers eux. Cette disposition est simplement une disposition punitive. Elle n'a que pour effet de hausser la barre de la sentence.
Mon collègue faisait valoir que cette disposition ne va pas dissuader la personne qui ne peut pas se contrôler et qui est engagée dans ce cycle violent. La perspective de cette sentence ne va pas la faire changer d'avis.
Il faudrait peut-être intervenir davantage plus tôt. Il faut peut-être accorder une plus grande aide financière aux centres de femmes, par exemple. Je sais que ce n'est pas une chose populaire à dire ces jours-ci, mais c'est peut-être là qu'il faut investir nos ressources si nous voulons des effets plus dissuasifs et si nous voulons aider davantage les personnes qui sont victimes de ce genre de choses.
Le fait d'alourdir simplement la sentence, à notre avis, ne servira aucunement à dissuader la personne qui a déjà décidé de tuer parce que c'est ce dont il s'agit ici.
Il s'agit d'un meurtre au premier degré lorsque le meurtre est commis dans certaines circonstances. Donc, pour être reconnue coupable de meurtre, il faut que cette personne ait voulu causer la mort. Si cette personne est prête à aller jusque-là, alors 10, 15, ou 20 ans, peu importe, rien ne la dissuadera. Cette personne a pris la décision la plus brutale qui puisse se prendre. Elle a décidé de tuer. C'est ce que nous disons.
Me Boisvert: Dans votre exemple, il y avait préméditation, et il s'agit déjà d'un meurtre au premier degré.
M. Maloney: Ce n'est peut-être pas toujours prémédité. Il peut s'agir d'une chose qu'on dit simplement sous l'empire de la colère la première fois, la seconde fois, et la troisième fois et encore là, c'est une chose qu'on dit sans y penser. Puis sous l'empire de la colère - pan! - ça éclate.
[Français]
La vice-présidente (Mme Torsney): Madame Gagnon.
Mme Gagnon: J'aimerais préciser vos propos et confirmer que je les ai bien compris. Le projet de loi que présente le ministre relativement à la mutilation d'organes génitaux ne s'adresse qu'aux personnes qui pratiquent l'intervention. Mon projet de loi avait une beaucoup plus grande portée. Il s'adressait à toutes les personnes qui y participent, puisque nous savons très bien que c'est un crime par association. J'aurais souhaité que toute personne qui participe directement ou indirectement à l'opération puisse faire l'objet de poursuites. Je pense que vous êtes d'accord sur ce point.
Me Boisvert: Ces personnes sont déjà visées par les articles 21 et 22 du Code criminel.
Mme Gagnon: Je voulais que ce soit précisé dans ce projet de loi de façon spécifique parce que le projet de loi avait un but. Il devait être assez clair, particulièrement pour ceux et celles qui auront à interpréter la loi.
Le texte de certaines lois reprend ce qui figure déjà dans la partie générale. Pourquoi ne pas le faire dans ce projet de loi, surtout s'il a une portée très spécifique et qu'il se doit d'être clair et précis? J'ai déjà cité, bien que je n'en aie pas la liste ici avec moi, certains autres cas de projets de loi très spécifiques où des directions générales sont aussi incluses.
La portée aurait, à mon avis, été beaucoup plus claire puisque c'est une pratique culturelle devant laquelle on se retrouve souvent quelque peu désoeuvré. Il est important d'être clair. C'est une loi spécifique sur les mutilations génitales. Je sais qu'on l'a déjà fait ailleurs. Il y a des cas qu'on avait soulevés ici.
Me Boisvert: Je ne sais pas tellement comment vous répondre puisqu'il m'apparaît suffisamment clair de dire qu'il s'agit d'un crime. Pourquoi le spécifier alors qu'on s'entend bien à cet égard? La portée de l'arrêt Jobidon n'est pas particulièrement claire, mais on peut déjà supposer que de toute façon, peu importe le projet de loi, ce genre de mutilation est contraire à l'ordre public.
Cette loi n'était peut-être pas nécessaire, si ce n'est pour diffuser un message. Serait-il utile de passer le message dans toutes ses variantes et de rappeler que la complicité et telle autre chose s'appliquent aussi dans ce cas?
On l'a déjà fait pour d'autres projets de loi. On a déjà repris la portée générale dans des articles de loi très précis. Étant donné que ce projet de loi est très symbolique, pourquoi ne pourrait-on pas le récrire? Ce ne sont que deux petites lignes.
Me Brosseau: Si vous me le permettez, je vous ferai brièvement part de l'attitude que le Barreau a toujours eue au niveau des règles particulières alors que des règles générales s'appliquaient déjà.
En règle générale, le Barreau a toujours tenu pour acquis - et là je le prends sous toute réserve parce que vous savez que nous n'en n'avons pas du tout discuté, comme le disait Me Boisvert - qu'il n'était pas nécessaire de dénaturer de façon régulière le Code criminel pour arriver à des spécificités. Si une règle générale peut s'appliquer, par définition, on fait toujours confiance au système de justice tel qu'on le connaît actuellement et aux tribunaux. C'est dans cette mesure qu'on évite de dénaturer le Code criminel. Je pense qu'en relisant les dispositions des articles 21 et 22, vous constaterez qu'elles sont assez précises à cet égard.
L'objectif était de créer une infraction de voie de fait grave spécifique et de la nommer. C'est dans un but d'intégration, sociologiquement parlant. Cela dit, si le Barreau avait à se prononcer et à l'étudier, je crois qu'il éviterait d'arriver à des spécificités.
Si vous examinez attentivement le projet de loi C-17, vous constaterez que les spécificités suggèrent souvent de se reporter à la partie générale. Des dispositions existent déjà; pourquoi en créer de nouvelles?
À force de légiférer, on ne s'y retrouve plus. Nous avons par ailleurs noté que le projet de loi C-17 venait modifier des dispositions qui n'existent plus depuis les récents amendements.
Il faut éviter de légiférer pour légiférer. L'objectif - et c'est ce que nous avons compris du législateur - semble atteint. La seule précision qu'on demande est au niveau du consentement de la personne, puisqu'elle fait l'objet de pressions familiales. C'est dans cet esprit qu'on arrive à ce commentaire.
Je pense que de façon générale, on éviterait d'arriver dans des spécificités quand la disposition est générale et qu'il y a des dispositions générales adéquates. Nous avons un bon système de justice. Nous avons des tribunaux qui ont bien jugé jusqu'à maintenant. Nous avons une jurisprudence parfois lapidaire, bien que souvent assez précise. Je pense qu'il faut faire confiance à notre système.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci beaucoup. Monsieur Kirby.
[Traduction]
M. Kirkby (Prince Albert - Churchill River): Je n'ai qu'une toute petite question.
Vous dites que la loi est telle aujourd'hui que l'on ne peut pas consentir à se faire infliger des blessures corporelles, et que l'article qu'on propose dit bien qu'un adulte ne peut pas consentir à ce que l'on inflige des lésions corporelles à quelqu'un qui a moins de 18 ans. Vous dites que l'on pourrait interpréter cet article de telle manière que des gens de plus de 18 ans pourraient consentir à ce genre de traitement. À votre avis, c'est une possibilité ou une probabilité?
Me Boisvert: Je dis qu'il y a une forte possibilité. Vous avez ici une question de logique. Vous avez le législateur qui dit que le consentement à l'agression est une excuse, mais vous avez aussi le législateur qui dit que le consentement d'un parent pour une personne de moins de 18 ans n'est pas une excuse - on peut en déduire que le consentement d'un adulte de plus de 18 ans est une excuse. Pourquoi pas?
M. Kirkby: Mais vous pensez vraiment que les juges de notre pays rendraient ce genre de jugement?
Me Boisvert: Avant que l'on propose cette modification, j'aurais pensé que le tribunal aurait dit qu'une personne ne peut consentir si le législateur a dit qu'une personne de moins de 18 ans ne peut pas consentir. J'imagine que la question va se compliquer davantage si le législateur a décidé que l'on ne peut pas donner son consentement si l'on a pas 18 ans. Le débat en sera plus chaud.
Me Battista: J'ajoute aussi que cette disposition aura pour effet d'encourager les poursuites. Si vous faites quelque chose, il faut aller jusqu'au bout. Si vous vous rendez à mi-chemin, vous allez permettre à des gens d'invoquer le consentement de l'adulte, alors que s'il est clair que... Si vous ne légifériez pas en ce domaine, pour faire suite à ce que disait plus tôt maître Brosseau, nous étions d'avis de manière générale que cette mesure n'était pas nécessaire. Le Code criminel y voit déjà.
Si le législateur a pour objectif de prendre position, alors qu'il le fasse. Mais si vous voulez prendre position, faites-le clairement. Autrement dit, on pourrait susciter la confusion ici et l'on pourrait se retrouver avec des poursuites sur des questions où il ne devrait pas y en avoir.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Maloney.
M. Maloney: Je n'ai qu'une question sur le tourisme sexuel impliquant des enfants. Avez-vous des réserves quant à l'applicabilité extra-territoriale de nos lois concernant le tourisme sexuel impliquant des enfants?
Me Boisvert: Je vais faire une observation personnelle. J'aime bien que le gouvernement prenne position ici, mais je pense qu'en matière d'application, on rêve en couleurs. Il est déjà difficile d'obtenir la coopération interpolicière en matière de trafic de drogue, en matière de blanchiment d'argent aussi. Alors comment pensez-vous appliquer une loi qui concerne l'exploitation sexuelle des enfants dans des pays qui en vivent? Soyons francs. Cela n'aura aucun...
Mais je pense qu'on pourra changer des choses ici. En Suisse, par exemple, je sais que ce genre de loi existe. Ils n'ont pu intenter beaucoup de poursuites contre des gens qui ont fait des choses à l'extérieur du pays. Cependant, les autorités suisses ont pu prendre des mesures contre des agences de voyages et certaines transactions qui se font en Suisse avant que les gens partent, ce qui est une bonne chose.
M. Maloney: Merci.
La vice-présidente (Mme Torsney): Si le comité n'y voit pas d'inconvénient, j'ai une ou deux questions à poser.
À propos du dernier sujet abordé, notre Code criminel couvre déjà, je crois, l'organisation de ce genre de voyage - vous pouvez être condamné. Curieusement, un bon nombre des pays qui bénéficient, sur le plan économique, de ce genre de tourisme, disent que c'est notre problème et que c'est à nous de le résoudre. Vous avez raison. J'ai l'impression que nous sommes coincés, car ces pays rejettent la responsabilité sur quelqu'un d'autre. Espérons qu'avec un accord international quelconque, on pourra consacrer des ressources à ce problème et trouver des solutions.
Je trouve intéressant que vous mentionniez également l'exploitation sexuelle des enfants. Je me demande si vous avez réfléchi à la possibilité de parler dans la loi uniquement d'exploitation sexuelle plutôt que d'exploitation sexuelle commerciale. Par exemple, quand deux Canadiens se retrouvent à l'étranger et commettent ce délit sans qu'il y ait d'échange d'argent, de cadeaux, ou autre rémunération, nous pourrions ainsi les poursuivre au Canada avec le consentement de l'autre pays. Seriez-vous pour ou contre, ou y avez-vous réfléchi?
Me Boisvert: Je ne serais pas contre, mais comment voulez-vous poursuivre? Comment allez-vous recueillir la preuve? Nous avons là un problème pratique. Je suis d'accord avec le principe.
La vice-présidente (Mme Torsney): Pour ce qui est de mes autres questions - et c'est en rapport avec ce qu'a dit Me Battista - j'ai écouté très attentivement les arguments concernant le meurtre au premier degré. J'avais tendance à être d'accord avec vous jusqu'à ce que je me dise que, dans certains cas, la Couronne pourrait ne pas prouver qu'il s'agit d'un meurtre au premier degré et que le harcèlement n'a pas conduit à ce meurtre.
Je me demande s'il y a eu des cas de ce genre au Canada, et si cette disposition ne vise pas à l'empêcher. En fait, si la Couronne n'a pas pu établir cette preuve, tout le monde pourrait être d'accord quant au fait que le meurtrier a harcelé la victime et qu'il a commis, bien entendu, un meurtre au premier degré, mais s'il a un bon avocat de la défense, il pourra s'en tirer.
Me Battista: Mais ce sera la même chose pour les meurtres au deuxième degré, si l'accusé a un bon avocat de la défense et s'il n'est pas possible de prouver le meurtre au second degré.
Quand vous légiférez, vous supposez deux choses: que le fait A est prouvé de même que le fait B; où cela me conduit-t-il?
Ce que dit la loi c'est qu'on suppose qu'il n'est pas possible de prouver le meurtre au premier degré, faute de preuves. Alors allons plus loin. Nous savons que ce n'est pas un meurtre au premier degré parce que notre preuve nous indique qu'effectivement il la harcelait, mais sans jamais menacer de la tuer. Il était totalement obsédé et ne pouvait pas comprendre. C'était un individu très déprimé et très possessif. Il avait de très mauvais traits de caractère, etc. Mais nous savons qu'il n'avait pas l'intention de causer la mort de cette personne, mais il la tue. Cela finit par arriver. C'est donc un meurtre au deuxième degré.
Je dis seulement que, quand nous savons qu'il ne s'agit pas d'un meurtre au premier degré - et c'est à quoi se rapporte cette loi - nous considérerons quand même qu'il s'agit d'un meurtre au premier degré pour la détermination de la peine. En fait, nous changeons la peine minimum.
En réalité, la loi actuelle le prévoit déjà. Si la Couronne peut présenter, au tribunal, la preuve que cette personne s'est rendue coupable de harcèlement, même si cette activité n'est pas reliée au meurtre en soi, autrement dit, quand nous savons que ce n'est pas relié, je ne veux pas... Ce sont là des questions très délicates et je le comprends. La violence ou le harcèlement sont injustifiables. Toutefois, il faut faire des distinctions. Dans certaines situations, il existe un lien et quand ce lien peut être établi, il s'agit certainement d'un meurtre au premier degré, personne ne le contestera. Mais la loi actuelle permet déjà de le faire.
Cela se rapporte uniquement aux dispositions visant la détermination de la peine. Quand un juge prononce la sentence pour un meurtre au deuxième degré, il peut imposer de 10 à 25 ans, si bien qu'il a cette latitude. Avec les amendements apportés au Code criminel à l'égard de la violence commise dans ce genre de circonstances, la loi oblige les juges à tenir compte de ces considérations.
Nous nous demandons en quoi cela dissuadera quelqu'un qui a décidé de tuer. C'est le crime le plus grave. Quand vous êtes prêt à le commettre, allez-vous vous demander s'il vaut mieux vous en abstenir parce que vous vous êtes rendu coupable de harcèlement? C'est là que nous voyons une objection. Il n'y a pas d'explication rationnelle. Tout cela est punitif et c'est une façon de punir les gens.
Me Boisvert: Tout ce à quoi j'ai fait allusion, à propos du minimum de cinq ans, est puni plus sévèrement. Que feront les gens, selon vous, pour éviter une peine minimum de 25 ans? Ne pensez-vous pas qu'il y aura négociation de plaidoyer si les gens pensent qu'il y a lieu d'imposer un minimum de 12 ou 15 ans et non pas de 25 ans? C'est une mesure tellement extrême que les gens vont y penser à deux fois.
La vice-présidente (Mme Torsney): J'ai trouvé intéressant d'apprendre d'où venait cet amendement. Il vient de la Conférence sur l'uniformisation et je signale que les membres n'étaient pas d'accord à ce sujet. Treize étaient pour, dix contre et il y a eu quatre abstentions.
Comme dernière question, maître Boisvert, si les juges ne voulaient pas imposer la peine minimum de cinq ans pour la prostitution infantile, pourraient-ils quand même recourir au paragraphe 212(2) et imposer le maximum de 14 ans? N'auraient-ils pas la possibilité d'appliquer le paragraphe (2.1) ou (2) proposé pour la détermination de la peine?
Me Boisvert: Ils n'ont pas le choix. Si l'accusation est...
La vice-présidente (Mme Torsney): La Couronne aurait le choix de poursuivre en vertu du paragraphe (2) ou du paragraphe (2.1) proposé.
Me Boisvert: Mais si elle le fait, cela nous ramène au problème que j'ai mentionné. Pour contourner le minimum de cinq ans, elle fera abstraction de la violence, étant donné que l'accusation sans peine minimum ne fait pas mention de violence. Cette accusation ne sera peut-être pas celle qui convient, ce qui est encore plus intéressant.
Me Battista: Si vous me permettez d'ajouter quelque chose, votre exemple illustre ce qui se passera, car c'est effectivement ce qui se passera... Le Barreau est aussi intervenu, je crois, à propos de la peine minimum de quatre ans pour les vols qualifiés.
La vice-présidente (Mme Torsney): Commis au moyen d'une arme à feu.
Me Battista: Le problème est le même, parce que vous pouvez plaider coupable pour vol et agression. Il n'y a pas de minimum pour ces actes. Ou vous pourriez plaider coupable pour vol ou vol qualifié sans mentionner qu'une arme à feu a été utilisée et éviter ainsi le minimum de quatre ans. Le coupable est alors condamné à deux ou trois ans, car c'est la sentence appropriée dans les circonstances.
Vous dites que nous avons un article, mais qu'il y a en a un autre auquel nous pouvons recourir. C'est exactement ce qui se passe lorsqu'on impose une peine minimum. En tant qu'êtres humains, nous nous trouvons devant des situations où nous savons que la peine n'est pas celle qui convient. Pour l'éviter, nous trouverons un autre article à appliquer.
Par conséquent, nous préconisons qu'on se débarrasse tout simplement de la peine minimum de cinq ans. Vous pourriez alors appliquer la peine maximum lorsqu'il y a violence, auquel cas la peine sera plus longue qu'en l'absence de violence. Le législateur dira ainsi clairement que c'est un crime jugé plus grave par notre société et qu'il doit être puni plus sévèrement. Les tribunaux suivront cette indication.
La vice-présidente (Mme Torsney): D'accord, merci. Merci de votre témoignage et de nous avoir amenés à réfléchir davantage. Comme d'habitude, nous avons eu un grand plaisir à vous entendre. C'était également un défi intéressant de recevoir votre mémoire uniquement en français. Personne ne l'a mentionné de notre côté, mais quelqu'un l'aurait mentionné si nous ne l'avions reçu qu'en anglais. Quoi qu'il en soit, merci beaucoup et bon après-midi.
Nous allons suspendre la séance pendant cinq minutes environ. Nous passerons ensuite directement à l'étude article par article du projet de loi C-17. Par conséquent, si les témoins veulent bien se préparer...
Merci. La séance est suspendue.