[Enregistrement électronique]
Le mardi 19 novembre 1996
[Traduction]
La présidente: La séance est ouverte. Nous sommes saisis d'une motion de forme, en regard de laquelle je me dois de céder ma place et de me faire remplacer par la vice-présidente.
Nous passerons ensuite à nos témoins.
La vice-présidente (Mme Torsney): Nous avons reçu une motion de M. Strahl.
M. Strahl (Fraser Valley-Est): Merci, madame la présidente.
En tant que whip du Parti réformiste, je suis troublé par le fait que je doive comparaître devant le comité pour traiter de cette question. Sachez que cela ne m'est jamais arrivé auparavant: cette affaire n'a rien de courant pour moi. J'hésite un peu à me lancer dans ces eaux-là, mais je le dois.
Nous sommes tous des adultes. Il me semble qu'il n'aurait pas dû être nécessaire pour moi de comparaître, mais j'y suis obligé à cause de ce qui se passe en comité et à l'extérieur du comité depuis quelque temps, et particulièrement par rapport à la présidence du comité.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Strahl, vous êtes en train de débattre la motion alors qu'elle n'a pas encore été déposée: puis-je vous demander de le faire?
M. Strahl: Veuillez me pardonner. Je pensais que vous l'aviez lue.
Je propose que le comité examine la conduite inappropriée récente de la présidente du comité et en fasse rapport à la Chambre.
Au commentaire 830(1) de Beauchesne, on peut y lire que: «C'est le président du comité qui est chargé d'y faire régner l'ordre et le décorum.». Le mot clé de ce règlement, et je m'y attarderai brièvement, c'est: «chargé». Assumer le rôle de président d'un comité est une tâche importante. Ce rôle n'est pas donné à la légère, il ne doit pas être pris à la légère, non plus. C'est le président d'un comité qui très souvent donne le ton aux débats, en fixe les balises et établit le comportement du comité.
Les présidents assument chacun à leur façon cette tâche, mais ils visent tous l'impartialité, tout comme le Président de la Chambre: celui-ci se doit d'être impartial et est perçu comme tel. Il ne doit pas participer aux débats; il doit agir raisonnablement à l'égard de tous les partis et de tous les députés de la Chambre; et lorsqu'il y a un problème de forme, quel qu'il soit, il doit rester calme et trouver une solution tout en faisant régner à la Chambre ordre et décorum. Voilà, en gros, le rôle du président, et je suis d'avis que le rôle de président d'un comité se rapproche beaucoup du rôle d'un Président de la Chambre.
Il s'agit, aujourd'hui, beaucoup plus que d'une question de règles; il s'agit de bon sens, de convenances, de décorum, comme on dit dans le Beauchesne. Or, dans le cas qui nous occupe, par décorum on entend tout simplement les convenances et la politesse.
Autrement dit, le président doit se retirer du débat politique, doit s'élever au-dessus de l'esprit de sectarisme politique qui risque à tout moment de menacer la présidence. Celle-ci se doit de rester indépendante pour qu'elle soit considérée par tous les partis comme légitime. Cette indépendance doit être maintenue en tous temps, faute de quoi, le comité ne peut poursuivre ses travaux.
À la lumière des procès-verbaux des délibérations du comité que j'ai relus, j'ai remarqué une tendance à la partialité de la part de la présidence. Il lui arrive - pas toujours, bien sûr - d'oublier quel chapeau elle porte et de garder parfois trop longtemps celui de ses couleurs. Elle oublie de laisser son chapeau à la consigne, mais le porte même lorsqu'elle occupe le fauteuil de la présidence. Cela va à l'encontre de l'esprit de la Chambre et à l'encontre des principes généreux de démocratie que nous tentons tous de maintenir à la fois à la Chambre et en comité.
J'étais au comité tout récemment lorsqu'il a été question de ce qui s'était passé le 7 novembre dernier, le jour où le Président de la Chambre a présenté sa décision - qui aurait dû être une décision tout à fait courante, d'après moi - à la suite de l'incident au cours duquel le député de Wild Rose, membre substitut du comité, s'était vu refuser les droits que l'on accorde aux membres à plein titre du comité. J'avais attiré l'attention de la présidence sur cette question. Elle n'a pas voulu reconnaître mon intervention, en disant simplement que c'était ainsi, qu'elle avait pris sa décision et que je devais interjeter appel devant la Chambre, au besoin.
Or, le 7 novembre, le Président de la Chambre avait jugé que le député de Wild Rose était effectivement un membre à plein titre du comité, le jour où il avait remplacé un autre député, et qu'on aurait dû lui reconnaître les pleins droits. Autrement dit, le Président de la Chambre critiquait la présidente du comité en lui signalant que c'était ce qu'elle devait faire désormais.
Je n'aurais pas dû être obligé d'agir ainsi, car c'est assez gênant de devoir demander au Président de la Chambre de se prononcer sur les affaires d'un comité.
Je pourrais vous donner d'autres exemples. J'hésite beaucoup à parler de ceci. À certains égards, c'est très embarrassant pour moi. Mais la présidence a eu tendance à engager le débat avec le député de Crowfoot, et à débattre de points des projets de loi dont le comité était saisi, dans un esprit partisan; si elle veut vraiment céder sa place, comme elle l'a fait aujourd'hui, c'est son choix; mais cette façon de faire est bouleversante.
Mais ce n'est pas tout. Il y a deux semaines, la présidente du comité, alors qu'elle présidait toujours, demandait au député de Crowfoot de sortir du comité pour qu'elle puisse lui parler. Si j'ai bien compris, elle vous a cédé la présidence et a demandé au député de Crowfoot de se joindre à elle à l'extérieur de la salle, où elle l'a accusé de miner, voire de saborder les travaux du comité et de détruire à lui seul toute tentative des députés d'étudier la Loi sur les jeunes contrevenants.
Le député de Crowfoot, ne se rendant pas compte qu'il possédait un tel pouvoir, lui a alors demandé comment il lui était possible de détruire à lui seul les travaux du comité; c'est à ce moment-là qu'elle l'a accusé dans le couloir d'user de tactiques sournoises et déloyales, et d'autres choses encore. Elle l'a d'ailleurs répété à la Chambre au cours d'un débat, il y a un ou deux jours.
À la Chambre, elle a même décrit la façon dont le Parti réformiste aurait essayé de saborder les audiences. Mais elle a bien sûr le droit de dire ce qu'elle veut à la Chambre. Je veux surtout parler des accusations qu'elle aurait proférées dans le couloir.
Lorsque le député de Crowfoot lui a demandé de retourner dans la salle du comité pour répéter devant les autres ce qu'elle lui avait dit, pour que cela se fasse officiellement, elle lui aurait répondu en termes peu polis d'aller «se faire f...», puis elle a tourné les talons.
Je ne vois pas exactement comment une présidente est censée faire régner dans un comité le décorum, les convenances et le respect, alors qu'elle-même invite un député à sortir de la pièce et lui dit abruptement d'aller «se faire f...», s'il n'est pas d'accord avec elle. Madame la présidente, cela ne suscite en rien le respect ni pour le poste de président ni pour les parlementaires.
Si l'on tient à porter des accusations à l'encontre du député membre du comité, il faudrait le faire officiellement devant le comité qui réglera la question, au besoin. Est-ce qu'on doit vraiment s'attendre à être convoqué par la présidente dans le couloir pour se faire dire de façon très directe, avec des termes que je n'ose même pas répéter... Comment pourrais-je décrire autrement ce qui a été dit? On ne peut pas faire semblant que cela n'a pas été dit.
Madame la présidente, rien de tout cela ne convient en comité, et il me semble que la présidente devrait présenter ses excuses, à tout le moins.
Si j'ai déposé cette motion, c'est pour attirer l'attention du comité sur ce genre de situation... Si la présidente a l'impression que le comité fonctionnera mieux parce qu'elle agit ainsi, elle a bien tort. Le comité ne fonctionnera certainement pas mieux, et c'est justement ce pourquoi je me dois d'être ici aujourd'hui. Si c'est le genre de situation qui doit se reproduire, je peux lui assurer que je vais m'incruster dans ce comité-ci et lui rendre la vie infernale. Mais cela ne devrait pas être nécessaire, et aucun président de comité ne devrait avoir recours à de telles tactiques. Si la présidente a des difficultés avec un membre de son comité, ou avec un parti ou avec quoi que ce soit d'autre, elle devrait en discuter ouvertement en comité pour que cela soit réglé ouvertement, car il est tout à fait inconvenant d'attaquer quelqu'un personnellement.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Kilger.
M. Kilger (Stormont - Dundas): Merci beaucoup, madame la présidente.
En premier lieu, j'aimerais dire au whip du Parti réformiste qu'il est venu ici débattre le fond de la motion et non pas la procédure. Ce qui se passe entre les députés dans les couloirs, à l'extérieur des salles de comité et à l'extérieur de la Chambre, les concerne eux seuls, et le comité n'est certainement pas en mesure d'en discuter. J'espère que l'intérêt que nous portons tous aux questions de justice devrait nous inciter tous à résoudre nos difficultés en tant que collègues et en tant que parlementaires.
Nous savons tous à quel point notre comité est chargé de travail, et que ce travail est très important. Ce comité-ci a fait de l'excellent travail jusqu'à ce jour, grâce à tous les députés des deux côtés de la Chambre, et on ne peut que féliciter le comité pour tout ce qu'il a accompli à plus d'une reprise.
Je voudrais clore le sujet, justement parce que nous avons beaucoup de travail et que nos témoins attendent. Je ne puis appuyer cette motion. En effet, ce qui se passe à l'extérieur de notre salle de comité doit rester privé, et les députés devraient résoudre leurs différends par eux-mêmes. Voilà ce que j'en pense. Je m'en tiendrai à cela, mais je crois que la motion est irrecevable et, de toute façon, je suis contre.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci.
Je vais céder la parole à deux autres personnes, mais je vous rappelle que nos témoins sont venus de loin, et je demande aux intervenants d'être aussi brefs que possible.
Monsieur Ramsay.
M. Ramsay (Crowfoot): Merci, madame la présidente.
Ceux d'entre vous qui étaient présents le 7 novembre au matin se rappelleront que la présidente m'a demandé de la rencontrer à l'extérieur de la salle, sans pour autant me dire de quoi elle voulait me parler. Dès que je suis sorti de la salle, elle m'a attaqué verbalement. Elle m'a accusé de vouloir mettre des bâtons dans les roues du comité et d'utiliser des tactiques déloyales pour parvenir à mes fins. Lorsque j'ai demandé à la présidence de se rétracter et de revenir en discuter en comité pour qu'elle porte ses accusations officiellement, elle m'a dit d'aller me «faire voir». En fait, elle a été beaucoup plus impolie que cela.
Au départ, ses accusations sont fausses. En tant que simple membre d'un comité, je n'ai pas le pouvoir de bloquer les travaux d'un comité. Cela me semble évident, et je n'ai jamais usé de tactiques sournoises...
La vice-présidente (Mme Torsney): Pardon, monsieur Ramsay, mais vous êtes encore une fois en train d'engager un débat. M. Strahl nous a donné les grandes lignes et vous ne faites que les répéter. Si vous vouliez parler spécifiquement de la motion...
M. Ramsay: J'invoque le Règlement. Je discute directement de la motion et de son fondement.
La vice-présidente (Mme Torsney): Dans ce cas, pourriez-vous ajouter plus de détails de fond plutôt que de répéter tout...
M. Ramsay: C'est exactement ce que je fais.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Ramsay, je vous prierais d'attendre un instant au lieu de m'interrompre, je vous demandais...
M. Ramsay: Mais c'est vous qui m'interrompez, madame la présidente. Mais allez-y, je m'en remets à la volonté de la présidence.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Ramsay, au lieu de répéter mot pour mot ce que vient de dire votre whip, je vous demande de parler de façon plus directe de la motion et d'ajouter de nouveaux renseignements, car nos témoins attendent. Allez-y.
M. Ramsay: Merci, madame la présidente.
Je répète que je n'ai jamais agi sournoisement ni en salle de comité, ni à l'extérieur du comité. Je me suis tout simplement opposé, madame la présidente, à des dépenses de 60 000$ en vue d'une table ronde composée du moins partiellement de témoins qui ont déjà comparu à l'occasion de l'examen de la Loi sur les jeunes contrevenants. J'ajouterai que le député du Bloc a lui aussi voté contre.
Je considère que le comportement de la présidente porte atteinte à mes droits et privilèges à titre de député au Parlement et de membre du comité. Cela reflète un degré inacceptable d'hostilité et de parti pris de la part de la présidence. À cela s'ajoute un langage grossier, que je trouve méprisable et inacceptable, avec le résultat que j'ai perdu toute confiance en l'impartialité et l'équité de la présidence et rien de ce qui s'est produit depuis lors n'est de nature à me faire changer d'avis.
Merci, madame la présidente.
La vice-présidente (Mme Torsney): J'aimerais obtenir une précision. La Chambre ne siégeait pas la semaine dernière et nous n'avons pas siégé à titre de comité depuis le 7 novembre. Y a-t-il quelque chose...? Laissez tomber.
Monsieur Telegdi, vous vouliez prendre la parole.
Merci, monsieur Ramsay.
M. Telegdi (Waterloo): Madame la présidente, je ne sais pas de quoi il a été question dans la conversation qui a eu lieu dans le couloir, mais l'incident présumé n'a pas eu lieu dans la salle de comité. Je ne pense vraiment pas que nous devrions nous préoccuper d'incartades, quelles qu'elles soient, mettant en cause des députés ou nous ériger en juge dans une situation comme celle-là. Ce n'est pas notre mandat.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Kilger.
M. Kilger: Madame la présidente, je vous demanderais de mettre la question aux voix.
M. Strahl: Madame la présidente, j'invoque le Règlement. Je ne veux pas m'étendre sur...
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Strahl, si vous pouviez attendre qu'on vous donne la parole avant d'intervenir, cela contribuerait au bon fonctionnement du comité.
Allez-y, monsieur Strahl.
M. Strahl: Merci, madame la présidente, pour votre...
La vice-présidente (Mme Torsney): Et ensuite, je donnerai la parole à M. Bellehumeur...
M. Strahl: Je vous prie de ne pas m'interrompre après m'avoir donné la parole. Voilà le genre de conneries qui causent énormément de friction au comité. Pour l'amour du ciel, vous n'avez aucun respect pour... Même la question de savoir s'il s'agit d'une motion sujette à débat... Vous accusez le député de vouloir engager un débat alors qu'il s'agit d'une motion sujette à débat. Oui, c'est un débat. Bien sûr, c'est un débat. Ce n'est pas une question de procédure. C'est une motion donnant lieu à un débat. Vous ne devriez pas faire tout un plat du fait que nous débattons d'une motion sujette à débat. Une motion sujette à débat est exactement ça - sujette à débat.
Que cela plaise ou non aux personnes qui sont ici, toute motion dont le comité est saisi est sujette à débat. Voilà pourquoi nous en débattons. Il n'y a pas de raison de s'offusquer du fait que nous en débattions. Le député expose les faits. La personne impliquée dans cette altercation veut consigner au compte-rendu ce qui s'est passé et vous ne voulez pas l'entendre. Tout ce que je dis, c'est que...
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Strahl, était-ce là un rappel au Règlement? Est-ce là la teneur de votre rappel au Règlement?
M. Strahl: Nous sommes en présence d'une motion sujette à débat et, par conséquent, nous pouvons en débattre.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci, monsieur Strahl. J'avais compris qu'on en débattait. J'ai simplement demandé à M. Ramsay de ne pas répéter tout ce que vous aviez dit et de nous fournir de plus amples informations au lieu que chacun répète tout ce qui a déjà été dit.
M. Strahl: C'est déplacé.
La vice-présidente (Mme Torsney): Je n'ai pas dit que la motion n'était pas sujette à débat, monsieur Strahl. Je vous invite à vérifier au compte rendu.
Je vais maintenant donner la parole à M. Bellehumeur.
[Français]
M. Bellehumeur (Berthier - Montcalm): Je sais qu'on pourrait revenir si des choses inadmissibles avaient été faites par la présidente. On n'a pas à se prononcer sur ce qui a été fait à l'extérieur du comité. On a entendu la version de la présidente et celle du représentant du Parti réformiste. Cela s'est produit à l'extérieur du comité.
Aujourd'hui, on perd un temps précieux. Des témoins qui viennent de l'autre bout du pays se sont présentés ici afin de témoigner sur un projet de loi extrêmement important, et là on niaise, parce que c'est vraiment du niaisage qu'on fait ce matin. C'est de l'enfantillage. C'est une question de 60 000$ et j'étais contre. J'ai contesté comme me le permettait le Règlement et je n'ai rien eu à reprocher à Mme Cohen. On ne partage pas toujours les mêmes opinions, mais c'est le jeu de la démocratie et le jeu de la politique.
Je ne sais pas s'il est opportun de le faire tout de suite, mais s'il faut tenir un vote, je demande qu'on se prononce immédiatement sur cette motion pour qu'on en finisse au plus vite.
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Strahl.
M. Strahl: Le député vient de mentionner que la présidente du comité... nous avons entendu une version, mais nous n'avons pas entendu celle de la présidente. Peut-être voudra-t-elle nous éclairer sur ce qu'elle a dit dans le couloir.
Madame la présidente, il y a constamment des conversations en cours dans les couloirs. Elle assumait la présidence et elle a dit au député qu'elle allait quitter son poste et qu'elle souhaitait le rencontrer à l'extérieur. L'incident ne s'est peut-être pas produit dans la salle de comité même, mais c'est à titre de présidente du comité qu'elle a demandé au député de Crowfoot de la rencontrer à l'extérieur pour lui parler, et il l'a fait de bonne foi. Peut-être souhaiteriez-vous savoir si elle accepte cette version des faits ou non.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci, monsieur Strahl.
J'ai donné la parole à toutes les personnes qui ont fait savoir qu'elles souhaitaient intervenir sur le sujet. Je vais maintenant mettre la question aux voix.
Que tous ceux qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui?
M. Strahl: Pouvons-nous procéder par appel nominal?
La vice-présidente (Mme Torsney): Oui. Le greffier aurait-il l'obligeance de procéder au vote?
La motion est rejetée par 8 voix contre 2
La vice-présidente (Mme Torsney): La motion est rejetée. Je demanderais à la présidente de reprendre son poste pour que nous puissions entendre nos témoins.
Merci.
M. Strahl: Madame la présidente.
La vice-présidente (Mme Torsney): Oui, monsieur Strahl.
M. Strahl: Je propose que nous fassions rapport des conclusions du comité à la Chambre.
La vice-présidente (Mme Torsney): Voulez-vous présenter une motion à cet effet, monsieur Strahl?
M. Strahl: Oui.
La vice-présidente (Mme Torsney): Tous ceux qui sont en faveur de la motion?
Des voix: Appliquez le résultat du vote précédent.
La vice-présidente (Mme Torsney): Je vais appliquer le résultat du vote précédent à celui-ci.
M. Ramsay: Madame la présidente, j'invoque le Règlement.
La vice-présidente (Mme Torsney): Oui, monsieur Ramsay.
M. Ramsay: Cette motion n'est-elle pas assujettie aux mêmes règles que les autres, c'est-à-dire qu'elle exige un préavis de 48 heures?
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci, monsieur Ramsay. Cela serait effectivement la bonne façon de procéder. Si vous pouviez mettre la motion sur papier, nous considérerons cela comme un avis de motion. Merci.
La présidente: Nous allons maintenant passer à l'étude du projet de loi C-27, et je suis très heureuse d'accueillir Rosalind Prober de Winnipeg et son fils Charles J. Prober.
Vous nous avez fourni un résumé de votre mémoire. Madame Prober, voulez-vous le lire aux fins du compte rendu?
Mme Rosalind Prober (témoignage à titre personnel): Oui, j'aimerais le lire.
La présidente: Très bien. Comme c'est ainsi que nous procédons d'habitude, nous sommes tout ouïe.
Mme Prober: Merci beaucoup. Je suis très heureuse d'être venue comparaître de Winnipeg. Les chutes de neige y étaient très abondantes, de sorte que j'ai de la chance d'être ici. Mais à la défense de Winnipeg, je tiens à dire que le soleil brillait.
La présidente: Le soleil ne peut briller en même temps qu'il neige à plein ciel. Faites attention, car votre crédibilité est très importante aujourd'hui.
Mme Prober: Avant de commencer, je tiens à remercier publiquement Lloyd Axworthy et sa femme, Denise, pour l'appui et l'encouragement qu'ils m'ont offerts, ainsi qu'à ma famille, au cours des dernières années.
Je vous remercie de m'avoir invitée, ainsi que mon fils, à comparaître devant vous aujourd'hui. Nous sommes ici pour discuter de la nécessité et de l'urgence pour le Canada d'adopter une législation efficace et exhaustive pour protéger tous les enfants, notamment protéger les enfants canadiens à l'étranger de prédateurs sexuels canadiens.
Le projet de loi C-27 reconnaît cette nécessité à l'égard des enfants qui sont rémunérés contre leurs services sexuels. Malheureusement, le projet de loi ne tient pas du tout compte des enfants, étrangers comme canadiens, comme mon fils en parlera, qui sont victimes d'agressions sexuelles perpétrées par des Canadiens à l'étranger et qui ne sont pas rémunérés.
Il m'apparaît inutile de donner des exemples détaillés des crimes sexuels perpétrés contre des enfants dans le monde. On peut aisément imaginer ce qui se passe dans ces pays qui offrent un réservoir infini de très jeunes enfants pour satisfaire les besoins sexuels des touristes de pays riches.
L'industrie de la prostitution enfantine est cyclique et elle se perpétue indéfiniment. Il n'y a aucune sortie possible, sinon par le sida et la mort.
Les propriétaires de bordels féminins en Inde sont toutes d'anciennes jeunes prostituées elles-mêmes. Des enfants qui, à très bas âge, sont obligés de se prostituer, sont les proxénètes et les agresseurs de demain, étant donné qu'ils ne connaissent pas d'autre mode de vie. Par conséquent, c'est une industrie en constante croissance.
Le projet de loi C-27 envoie un message clair, soit que toute relation sexuelle rémunérée avec des enfants à l'étranger est répréhensible. Que l'agresseur soit quelqu'un qui ait, ne serait-ce qu'une seule fois, embauché une jeune prostituée à l'étranger ou un pédophile qui voyage régulièrement à l'étranger pour obtenir les faveurs sexuelles d'enfants, il est susceptible d'être arrêté au Canada.
Une mesure comme le projet de loi C-27 est essentielle pour réprimer ces crimes. La pédophilie est un trouble psychopathique et compulsif qui, comme bien d'autres dépendances, est de nature progressive et exige davantage et davantage de victimes. Les pédophiles et les touristes sexuels canadiens quittent le Canada pour se rendre dans des pays où ils estiment pouvoir pratiquer toutes formes d'activités sexuelles avec des enfants sans qu'ils puissent être tenus responsables de ce comportement criminel. S'ils sont arrêtés dans le pays étranger, il leur suffit de se soustraire à la justice après avoir payé la caution ou de verser les pots-de-vin qu'il faut pour quitter le payer et rentrer chez eux, au Canada, pays qui devient alors leur refuge.
Le recours aux traités et à l'extradition pour contrer ces crimes a été un échec. Judy Steed, dans son ouvrage intitulé Our Little Secret: Confronting Child Sexual Abuse in Canada, consacre un chapitre aux touristes sexuels canadiens. Il n'est pas facile de lire le compte rendu des activités de cet homme à l'étranger. Pas étonnant qu'une fois de retour dans son pays, il récidive.
Il n'est pas étonnant non plus qu'aucune des victimes canadiennes n'ait signalé leur agression à la police. Lorsqu'un pays permet à ses citoyens de commettre des crimes sexuels à l'étranger et de rentrer chez eux sans être inquiétés, ils sont plus que susceptibles d'y commettre les mêmes crimes. Par conséquent, il est dans notre propre intérêt et dans l'intérêt des enfants canadiens d'adopter une loi sur le tourisme sexuel.
On ne saurait ignorer l'ampleur du problème de l'exploitation sexuelle des enfants, la rapidité avec laquelle il se propage et les profits considérables réalisés sur le dos d'enfants qui, la plupart du temps, sont kidnappés, apatrides et forcés par les mauvais traitements à se plier à une vie de rapports sexuels avec des étrangers, avec la menace constante de la maladie.
En fait, bon nombre des délégués au Congrès mondial contre l'exploitation sexuelle commerciale des enfants, tenu en Suède, estiment que les crimes perpétrés contre les enfants dans le monde de la prostitution enfantine devraient être considérés comme des crimes contre l'humanité. Et lorsqu'on songe aux millions d'enfants prisonniers tous les ans de ce qui est en fait la forme la plus odieuse du travail juvénile, soit la prostitution de fillettes et de garçonnets prépubères, je pense qu'ils ont tout à fait raison.
L'Australie et la Nouvelle-Zélande ont été les premiers pays du Commonwealth et de régime de common law à adopter des lois extraterritoriales pour mettre un terme au tourisme sexuel et la Grande-Bretagne leur a emboîté le pas. En tant que pays hautement développé, le Canada a le devoir international de faire de même. Le projet de loi C-27 est certainement un pas dans la bonne direction.
La mesure stipule que quelqu'un qui, à l'étranger, obtient les services sexuels d'un mineur moyennant rétribution, peut être arrêté au Canada. Malheureusement, les agresseurs sexuels canadiens qui ne paient pas leur victime, même lorsque ces victimes sont nos propres enfants canadiens, ne tombent pas sous le coup du projet de loi. Le Canada est le seul pays appliquant l'extraterritorialité au tourisme sexuel qui traite autrement les enfants qui ne sont pas exploités à des fins commerciales.
Au Congrès mondial tenu en Suède, je me suis entretenue avec de nombreux représentants gouvernementaux et d'ONG du monde entier et lorsque je leur disais que la nouvelle loi extraterritoriale du Canada permettrait uniquement des poursuites à l'endroit des personnes ayant payé pour les services sexuels, la réaction générale était la surprise. On me demandait: pourquoi ne pas englober les enfants qui ne sont pas payés? En faisant de l'argent un paramètre, on met l'accent sur les moyens et non sur l'acte lui-même.
Voici ce qu'avaient à dire deux personnes qui sont sur la ligne de front dans la lutte contre le tourisme sexuel. Le premier est le père Shea Cullen, des Philippines. Selon lui, toute loi canadienne renfermant des dispositions ou exigences limitatives ou restrictives deviendrait de ce fait inefficace et contraire à l'objectif visé, privant ainsi les victimes de toute justice.
Quant à Wanchai Roujanavong, directeur adjoint de la Coopération internationale à la Division des questions criminelles de Bangkok, il pose la question suivante: un Canadien qui viole et qui agresse un enfant devrait-il demeurer impuni? Pourquoi compliquer inutilement la législation en ajouter à l'odieux de l'infraction le fardeau supplémentaire de la preuve?
En mettant seulement l'accent sur certains crimes sexuels commis contre des enfants, à l'étranger, ceux pour lesquels il y a rétribution, le projet de loi C-27 se révèle très décevant. Il n'applique le principe de l'extraterritorialité qu'à l'une des nombreuses lois canadiennes qui protègent les enfants contre l'exploitation sexuelle.
J'espère que le comité, dans l'intérêt de tous les enfants canadiens et étrangers, demandera au ministère de la Justice d'améliorer ce projet de loi.
Le Canada doit se joindre aux pays qui ont criminalisé toute forme d'exploitation sexuelle des enfants dont leurs citoyens se rendent coupables à l'étranger. J'exhorte le comité à modifier le projet de loi C-27 afin que les Canadiens sachent que ce genre de choses ne sera toléré nulle part au monde.
Merci beaucoup.
La présidente: Merci. Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Prober?
M. Charles J. Prober (témoignage à titre personnel): Oui. Merci.
Bonjour à tous. Je m'appelle Charles J. Prober. Je suis en deuxième année de droit à l'Université McGill, et vous remarquerez tous que je ne suis pas ici à titre de futur avocat. Je suis plutôt venu pour discuter avec vous de l'avenir du projet de loi C-27, à la fois en tant que Canadien qui tient à protéger les enfants au Canada et dans le monde entier, et en tant que victime, lorsque j'étais enfant, de sévices qui se sont passés à l'étranger, mais qui ont été commis par un Canadien.
Le projet de loi C-27 ne réglera pas, sur le plan juridique, la situation des enfants qui se font maltraiter à l'étranger par des Canadiens, si c'est en dehors de la prostitution enfantine. À mon humble avis, il ne faut pas limiter l'application du projet de loi C-27 aux situations qui sont considérées comme des infractions aux termes du paragraphe 212(4) du Code criminel. Il faut élargir l'application du projet de loi C-27 de façon à inclure tous les cas où un Canadien se livre à des sévices contre un enfant à l'étranger.
Voici quelques-unes des raisons de le faire.
D'abord, comme vous le savez, le Canada a ratifié la Convention des Nations unies sur les droits de l'enfant. Par cette ratification, le Canada s'est engagé à protéger les enfants contre toutes les formes d'exploitation sexuelle. Sans vouloir offenser les rédacteurs du projet de loi C-27, cette mesure est un pas dans la bonne direction, mais les cas d'exploitation sexuelle auxquels elle s'appliquera seront trop limités. Le projet de loi C-27 est loin de protéger les enfants contre toutes les formes de mauvais traitements et d'exploitation sexuelle.
Deuxièmement, il n'y a pas véritablement de différence entre les enfants qui sont exploités en tant que prostitués et ceux qui le sont dans d'autres circonstances. La plupart des enfants qui se livrent à la prostitution, à l'étranger, le font parce qu'ils n'ont pas vraiment d'autres choix. Ils sont trop jeunes pour pouvoir prendre ce genre de décision et ils sont parfois vendus à des proxénètes par leurs familles, qui ignorent quel est le sort réservé à leur enfant.
Pourquoi faudrait-il limiter le projet de loi C-27 à ces cas d'exploitation sexuelle? Comme je vais l'expliquer, il y a de nombreux enfants canadiens qui se font exploiter, à l'étranger, par des Canadiens, et ces enfants n'ont pas de recours juridiques au Canada. En quoi ces victimes diffèrent-elles de celles qui se font exploiter dans le cadre de la prostitution enfantine? Dans les deux cas, les enfants n'ont pas vraiment le choix. Le crime est le même. Ce sont tous des enfants.
Troisièmement, comme ma mère l'a mentionné, il y a 11 pays qui ont légiféré pour protéger leurs enfants, et les enfants du monde entier, contre leurs propres pédophiles qui maltraitent les enfants à l'extérieur de leurs frontières. Aucun de ces pays n'a limité l'application de la loi aux situations dans lesquelles il y a rétribution, comme le propose le projet de loi C-27 de notre pays. Pourquoi le Canada devrait-il être le premier à laisser tomber les enfants victimes de Canadiens à l'étranger, lorsqu'il n'y a pas rétribution?
Enfin, de nombreux enfants, qui ne se livrent pas à la prostitution, se font maltraiter par des Canadiens à l'étranger. À l'heure actuelle, le seul recours dont disposent ces victimes est de faire poursuivre le prédateur sexuel dans le pays où le délit a été commis.
Comme vous le savez peut-être, cela peut être très difficile, voire souvent impossible. Les accusations doivent être portées dans le pays où les sévices ont eu lieu. Il se peut que les autorités du pays en question ne veuillent pas collaborer ou que les actes commis ne soient même pas considérés comme des infractions dans ce pays.
Si des accusations sont portées, l'inculpé sera tenu de se rendre dans le pays où l'infraction a été commise. Étant donné que, le plus souvent, la personne ne voudra pas quitter le Canada pour aller subir un procès dans un autre pays, il faudra l'obliger à se présenter à son procès. Naturellement, la victime aurait intérêt à ce que le Canada ait une entente d'extradition avec le pays en question; sinon, il n'y aura jamais de procès. Même quand une entente d'extradition existe, le processus est long et imprévisible. Il comporte aussi de nombreuses autres lacunes.
À titre d'exemple, je vous décris ce qui m'est arrivé à moi. En 1992, j'ai déposé auprès de la GRC une plainte contre un Canadien qui m'avait agressé à l'occasion d'un voyage en famille dans les Bahamas. Il y a maintenant quatre ans de cela et j'ai très peu d'espoir que justice soit faite. D'une certaine façon, il est presque malheureux que cette personne n'ait jamais eu la possibilité de m'agresser au Canada. Ma famille aurait au moins pu faire en sorte que justice soit faite.
Le projet de loi C-27, tel qu'il est libellé, perpétuera la situation actuelle qui ne permet pas de protéger les victimes comme moi qui, sans participer à la prostitution enfantine, n'en sont pas moins exploitées à l'extérieur du Canada par des Canadiens.
Il est inacceptable selon moi qu'aux termes du projet de loi C-27, la personne non canadienne qui est agressée à l'extérieur du Canada par un Canadien dans le cadre de la prostitution enfantine a des recours juridiques contre son agresseur au Canada, tandis qu'un Canadien comme moi qui est agressé à l'extérieur du territoire canadien se voit refuser ces recours. Il en est ainsi simplement parce qu'il n'y a pas eu de rétribution ni de contribution financière en contrepartie de l'abus sexuel.
Si le projet de loi C-27 avait été en vigueur quand j'ai moi-même été agressé et que j'ai porté plainte, j'aurais trouvé offensant de constater que je n'avais aucun recours juridique parce que je n'avais reçu aucune rétribution pour l'abus que j'avais subi.
Étant donné que les Canadiens passent de plus en plus de temps à l'étranger, il est de plus en plus possible qu'ils exploitent des enfants en territoire étranger. Beaucoup d'adultes canadiens, enseignants, entraîneurs sportifs ou amis de la famille, voyagent à l'étranger avec des enfants canadiens qui ne sont pas les leurs.
Sandra Kirby, sociologue à l'Université du Manitoba, a réalisé une étude sur l'exploitation sexuelle dans le monde athlétique. L'étude a permis de conclure qu'un certain nombre de cas d'agression sexuelle sur la personne d'athlète se produisaient à l'étranger. À l'heure actuelle, ces enfants n'ont aucun recours juridique au Canada à l'égard des agressions qu'ils subissent à l'étranger, même s'ils sont canadiens et qu'ils ont été agressés par un Canadien.
Le projet de loi C-27 ne corrige pas ce problème. Je soutiens que cela est injuste. Je sais bien qu'il n'est pas facile d'étendre la compétence canadienne à l'étranger en vertu du projet de loi C-27. À mon humble avis, cependant, je ne crois pas qu'il y ait d'autres motifs d'objection à ce qu'on étende la portée du projet de loi afin qu'il s'applique aux Canadiens qui agressent des enfants, peu importe qu'il y ait rétribution en contrepartie. Les problèmes d'extraterritorialité demeurent.
Quand on agresse un enfant, le crime est le même peu importe qu'il y ait rétribution ou qu'il n'y en ait pas. Il faut faire cesser l'exploitation sexuelle des enfants dans le monde. Les dommages causés aux enfants qui sont agressés sont énormes et irréversibles.
J'exhorte le comité à profiter de l'occasion pour faire en sorte que les règles du jeu en ce qui concerne les sévices contre les enfants soient les mêmes pour tous. Je vous supplie d'étendre la portée du projet de loi C-27 afin qu'il s'applique aux Canadiens qui agressent des enfants à l'extérieur du Canada, qu'il y ait rétribution ou qu'il n'y en ait pas. Je vous remercie de votre temps et de votre attention.
La présidente: Merci beaucoup. Y a-t-il des questions?
[Français]
Madame Gagnon.
Mme Gagnon (Québec): J'ai des questions à poser et quelques commentaires à faire. Vous savez que j'ai aussi déposé un projet de loi sur le tourisme sexuel et que le Bloc québécois sera en faveur du projet de loi qui est devant nous. Cependant, il y aurait peut-être certaines modifications à y apporter. D'ailleurs, vous êtes ici pour apporter un certain éclairage. Il y a une disposition qui me surprend un peu, soit la poursuite qu'on pourrait intenter contre des personnes qui auraient abusé sexuellement des enfants par rapport à ceux qui se font payer pour ce service. C'est une distinction du projet de loi qui m'avait échappé.
Vous avez apporté une dimension que je n'avais pas vue et qui est très restrictive dans le projet de loi. J'avais préparé un autre amendement que j'aurais voulu intégrer dans le projet de loi. Il s'agirait de criminaliser, par ce projet de loi, les agences et les réseaux de pédophilie. Je voulais que ce soit une des dispositions spécifiques du projet de loi. Je ne sais pas encore si on débattra de cet amendement. Quant à nous, nous allons proposer un amendement sur le tourisme sexuel. Donc, c'est un projet de loi qui mérite d'être appuyé par tous les partis, parce qu'on sait que cette chose est un fléau.
Lorsque j'ai fait des démarches en vue de présenter un projet de loi à cet égard, on s'est opposé en disant que ce serait difficile d'application. Pensez-vous qu'un tel projet de loi serait difficilement applicable et pourquoi? Dans d'autres pays, certains témoins sont entendus par le biais d'un vidéo. Lorsque je parlais de mon projet de loi, l'objection principale était qu'il serait difficile d'application. Le pensez-vous aussi?
M. Prober: Je vais essayer de répondre en français. Si j'ai des problèmes, je passerai à l'anglais.
Les difficultés qui ont trait à l'application de la loi sont les mêmes pour toutes les situations. J'ai proposé
[Traduction]
d'inclure les cas d'agression sexuelle, qu'il y ait rétribution ou pas... ces problèmes sont toujours manifestes.
Dans mon cas, cependant, - un des principaux motifs d'opposition au projet de loi de manière générale concerne, comme vous l'avez dit, la difficulté d'obtenir des preuves - dans mon cas, j'étais au Canada. Tous les témoins qui auraient été appelés à comparaître dans mon cas - exception faite d'une ou deux personnes - étaient déjà au Canada. Ainsi, d'une certaine façon, en étendant la portée de la loi, on fait disparaître beaucoup des problèmes d'application à des cas comme le mien.
Ma mère serait peut-être plus en mesure de vous expliquer la situation. Comme je l'ai indiqué, je ne suis pas ici en tant qu'avocat, et je ne comprends pas parfaitement tous les problèmes qu'il y aurait à étendre la compétence du Canada à l'étranger. Cependant, plus le projet de loi sera formulé de façon précise, plus il y aura de ressources qui seront consacrées à son application et plus les tribunaux recevront de directives quant à la façon d'intenter des poursuites dans des cas comme ceux-là, plus il sera facile d'appliquer le projet de loi.
Comme je l'ai dit, je ne suis pas sûr de pouvoir répondre complètement à la question.
Mme Prober: Je tiens tout d'abord à dire qu'il n'y a rien dans le projet de loi qui dit que les autorités d'un autre pays ne peuvent pas porter des accusations contre un Canadien dans leur pays.
Ainsi, les autorités thaïlandaises peuvent certainement porter des accusations contre un Canadien qui aurait agressé sexuellement des enfants en Thaïlande. Le problème se pose quand les agresseurs s'empressent de rentrer au Canada et que le Canada les protège. Nous parlons ici de protéger des pédophiles. Le projet de loi C-27 dit que nous ne protégerons plus les pédophiles; nous allons porter des accusations contre eux au Canada.
La difficulté tient au fait qu'il y a manifestement des problèmes pour ce qui est de faire venir les témoins et de les retourner. Certains pays l'ont fait, c'est sûr. Ils ont porté des accusations contre des présumés agresseurs. Ils ont fait venir des témoins chez eux. Dans d'autres pays, on prévoit la possibilité de procéder par liaison vidéo.
Le projet de loi C-27 ne précise pas encore les modalités d'application.
[Français]
M. Bellehumeur: Je viens de toucher à deux paragraphes du projet de loi C-27 dont vous avez parlé tantôt. Faites-vous allusion au paragraphe 212(4) proposé? Je vais vous en donner lecture, car ce sera plus facile:
(4) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque, en quelque endroit que ce soit, obtient ou tente d'obtenir, moyennant rétribution, les services sexuels d'une personne qui est âgée de moins de dix-huit ans ou qu'il croit telle.
Vous dites qu'à l'heure actuelle, il n'y a rien qui protège contre une situation comme celle que vous avez vécue. Avec le projet de loi C-27, il n'y aura rien non plus, parce qu'on précise que c'est en vertu d'une rétribution. En ce qui vous concerne, c'était carrément une agression sexuelle. La présomption qu'on a par rapport à cet article, c'est le paragraphe suivant. On crée une présomption, à savoir que la personne qui est accusée a obtenu des services sexuels ou a tenté d'en obtenir d'une personne qui lui a été présentée comme ayant moins de 18 ans. Tout cela est relié à la preuve à faire, à savoir qu'on a obtenu ces services moyennant une rétribution.
Vous dites que si on voulait tout couvrir ou couvrir davantage, il faudrait modifier le projet de loi C-27 afin d'inclure non seulement la personne qui paie quelqu'un pour obtenir des faveurs sexuelles, mais aussi celle qui tente d'obtenir des faveurs sexuelles moyennant rétribution et toute personne qui tente d'obtenir des faveurs sexuelles ou agresse sexuellement une personne à l'extérieur du pays. On pourrait alors faire la présomption de culpabilité de cette personne. Ai-je bien compris votre témoignage?
[Traduction]
M. Prober: Oui, tout à fait. Au Canada, je ne sais pas exactement comment le paragraphe 212(4) - celui que vous venez de me signaler - est appliqué. Après avoir lu l'article, il me semble toutefois qu'il s'agit d'un cas bien précis où il est question de prostitution enfantine.
Comme vous l'avez très bien dit, il se trouve que je suis canadien. Quand un Canadien va à l'étranger et qu'il agresse un enfant, il me semble que le paiement ou le non-paiement ne devrait pas entrer en ligne de compte, car, comme je l'ai indiqué, les prostitués infantiles n'ont pas leur mot à dire. Ils ne choisissent pas d'être prostitués. Quand on a quatre ou cinq ans, on ne peut pas dire non. On ne sait même pas ce qui se passe.
Oui, je crois qu'il faudrait étendre le projet à tous les cas d'exploitation sexuelle.
Mme Prober: Je voudrais simplement ajouter que les autres pays qui ont une loi semblable - l'Australie, la Nouvelle-Zélande, etc. - incluent les agressions sexuelles. Il n'est pas question dans leur loi de paiement; la loi est rédigée de façon très générale de façon à protéger tous les enfants. C'est ainsi que la loi devrait être rédigée, sinon le bon sens se trouve trahi.
Ce qu'on a fait, c'est qu'on a pris une loi canadienne - celle qui concerne la rétribution ou le recours aux services de prostitués - et qu'on a fait en sorte qu'elle s'applique à l'étranger, au lieu de prendre toutes les lois que nous avons au Canada relativement à l'exploitation sexuelle et de faire en sorte qu'elles s'appliquent toutes à l'étranger.
S'agissant de nos enfants canadiens à nous, pensez à tous ces enfants canadiens qui se trouvent à l'extérieur du Canada avec un autre Canadien avec qui ils ont une relation de confiance. Ces enfants-là ne viendront pas au Canada déclarer qu'ils ont été victimes d'agression sexuelle.
Tout d'abord, il y a la question du décalage, qui est une dimension de l'agression sexuelle. En règle générale, les enfants qui sont victimes d'agression sexuelle grave ne viendront pas immédiatement dénoncer leur agresseur. Il leur faut beaucoup de temps pour faire face à la chose et venir ensuite dénoncer leur agresseur.
Quand ils se présenteront finalement, si le projet de loi C-27 est adopté tel quel, personne ne pourra rien faire. Je trouve même assez offensant - et c'est le mot qu'a utilisé mon fils - qu'un enfant canadien soit obligé d'aller dire à la GRC: quand j'étais à l'étranger avec mon entraîneur sportif, mon chef religieux, un ami de la famille, un conseiller scout ou je ne sais trop qui encore, j'ai été victime d'agression sexuelle. La police serait alors obligée de chercher à prouver qu'il aurait reçu un paiement afin que la loi puisse être appliquée, étant donné qu'il n'y a pas d'autres lois que celle-là. En fait, même l'idée que la victime d'agression sexuelle, qu'elle soit prostituée ou qu'elle ne le soit pas, soit obligée de témoigner au sujet de la rétribution est offensant. Il y a quelque chose qui ne va tout simplement pas, à mon avis.
La nouvelle loi devrait donc être d'une application très générale. Elle ne permettra manifestement pas d'attraper tous les touristes sexuels. Elle devrait toutefois bien faire comprendre aux Canadiens qu'il n'est pas acceptable d'avoir des rapports sexuels avec des enfants, que ce soit au Canada ou à l'étranger.
La présidente: Merci, monsieur Bellehumeur et madame Gagnon.
Madame Torsney.
Mme Torsney (Burlington): Il a notamment été question des ressources. Les gens ont indiqué à juste titre qu'il existe des cas de sévices contre des enfants au Canada et que nous ne réussissons pas à poursuivre les présumés agresseurs. Or, il y a beaucoup de cas d'exploitation sexuelle par des touristes, et nous consacrerons des ressources à ces cas-là. Il appartiendra finalement aux pays concernés de retrouver tous les entraîneurs sportifs, tous les amis de la famille et tous les autres qui auront commis des sévices contre des enfants canadiens. Alors, que dites-vous à ces personnes qui soutiennent qu'il s'agit d'un problème de ressources?
M. Prober: Je voulais simplement dire que, si le Canada s'inquiète des ressources... dans mon cas, des dépenses considérables ont dû être engagées parce que l'inculpé a dû être arrêté au Canada. Il a fallu prendre des dispositions en vue de son extradition. Dans mon cas en particulier - je laisserai à ma mère le soin de répondre à l'autre préoccupation qui se pose quand il s'agit d'un non-Canadien - , il en aurait coûté bien moins cher si, au lieu que ce soit la GRC qui passe par INTERPOL, le Canada avait pu enquêter sur l'affaire et intenter des poursuites au Canada. L'homme en question a de toute évidence agressé des enfants au Canada aussi, puisqu'il a toujours vécu ici. Il en aurait coûté moins cher de le poursuivre au Canada.
Mme Prober: Exactement. Le temps et les ressources qui doivent être consacrés quand il faut demander l'extradition sont énormes. Mon fils a absolument raison.
Quant aux pédophiles canadiens qui partent à l'étranger et qui commettent des sévices sexuels contre des enfants, nous avons certaines valeurs en tant que Canadiens et il en coûte quelque chose pour les faire respecter. Nous croyons notamment que nos citoyens ne devraient pas être autorisés à aller commettre des crimes contre des enfants à l'étranger. Pour cela, il faut bien sûr des ressources, mais la question est importante.
Mme Torsney: L'autre élément intéressant qui ressort de votre cas et de celui d'autres personnes, c'est que ces cas sont parfois simples, mais que la loi vient compliquer les choses. Dans votre cas, que vous a-t-on dit au gouvernement bahamien quant à la possibilité d'intenter des poursuites contre deux Canadiens aux Bahamas?
Mme Prober: Naturellement, il n'y avait absolument aucun intérêt de la part des autorités. Elles savaient que cela leur coûterait beaucoup d'argent. Elles savaient que cela leur prendrait aussi beaucoup de temps. Elles savaient bien qu'en demandant l'extradition d'un Canadien elles s'engageraient dans une bataille juridique très longue car les gens ne veulent généralement pas qu'on les extrade.
Les choses se sont passées exactement comme l'avaient prévu les autorités bahamiennes. Des années se sont écoulées. L'affaire traîne devant les tribunaux, de sorte que nous protégeons ni plus ni moins les pédophiles au Canada. Nous ne pouvons pas mettre la main sur l'individu en question, et je trouve cela absolument immoral étant donné, comme je l'ai dit tout à l'heure, le nombre d'enfants canadiens qui se trouvent à l'extérieur du Canada avec des personnes avec qui ils ont une relation de confiance.
M. Prober: Je tiens à insister sur le fait que j'avais quand même la bonne fortune d'être d'une famille assez nantie. Mon père est avocat au criminel. Il connaît bien le domaine. Nous avons des relations avec des personnes haut placées dans le milieu politique bahamien, sinon l'affaire n'aurait jamais été poursuivie.
Nous avons tiré beaucoup de ficelles pour nous rendre jusqu'où nous sommes arrivés. Quelqu'un qui n'aurait pas eu la même chance, dont la famille n'aurait pas eu les moyens d'aller aux Bahamas pour porter des accusations, dont la famille n'aurait pas eu les moyens d'aller dans l'autre pays pour persuader ses amis d'exercer des pressions sur le gouvernement bahamien et qui n'aurait pas eu les ressources voulues au Canada pour demander l'extradition de la personne, n'aurait eu aucun espoir.
Mme Prober: Il n'y a qu'à penser aux frais d'interurbain quand on essaye de persuader un gouvernement étranger d'arrêter un citoyen canadien ou d'en demander l'extradition; ces frais sont faramineux. Les parents sont réduits aux supplications. Si vous avez l'argent voulu pour vous aider dans vos démarches ou si vous avez... Mon mari est avocat. Il avait les connaissances juridiques voulues. Si vous pouvez réunir tout cela, vous avez peut-être une chance d'amener le pays concerné à demander l'extradition de l'individu. Les Canadiens moyens qui n'ont toutefois pas les ressources nécessaires ou ne connaissent pas assez bien la loi s'adresseront plutôt à la GRC et ne tarderont pas à abandonner.
Mme Torsney: Je suis convaincue que c'est largement à cause de votre détermination, et non pas seulement à cause de ressources financières, que vous vous êtes rendus jusque-là.
Mme Gagnon a déjà effleuré l'autre aspect. Les tribunaux canadiens peuvent déjà faire appel aux services de vidéoconférence, même pour les témoignages, de sorte que cela ne pose pas grand problème. Nos lois le prévoient déjà et, dans votre cas, nous aurions pu prévoir un certain nombre de témoins... ce qui aurait coûté moins cher que vos frais d'interurbains et ceux de la GRC.
Mme Prober: La criminalité a une envergure mondiale et non plus simplement nationale. Le phénomène de la criminalité mondiale fait en sorte que les systèmes judiciaires ne peuvent s'en tenir à leurs propres frontières. La criminalité ne connaît pas de frontières - nous le savons tous - et il faut donc trouver des solutions lorsque la criminalité franchit les frontières.
La solution de la Nouvelle-Zélande me plaît beaucoup. Dans ce pays, on a donné un caractère extraterritorial à l'ensemble du Code criminel. C'est stupéfiant, mais on l'a fait. Ainsi, les Néo-Zélandais savent qu'ils ne peuvent quitter le pays, commettre des crimes à l'étranger, et s'attendre à revenir chez eux sans être inquiétés. S'ils ne sont pas poursuivis ailleurs, ils le seront en Nouvelle-Zélande.
Mme Torsney: Le Canada s'est opposé en principe à l'extraterritorialité dans un certain nombre de cas. Lorsque les divers pays du monde sont d'accord, comme dans le cas du terrorisme, nous le sommes également.
Mme Prober: Tout à fait.
Mme Torsney: Pour protéger nos enfants et les enfants du monde, je suppose que l'extraterritorialité pourrait être justifiée dans le cas qui nous intéresse.
Mme Prober: C'est exact. Les enfants ne vont pas appeler la police. Lorsqu'il arrive quelque chose à un adulte à l'extérieur du Canada, qu'il s'agisse d'un vol de portefeuille ou d'autre chose, ce dernier appelle la police du pays en question. Ce n'est pas ce que font les enfants; ils attendent plutôt de revenir chez eux pour dire ce qui leur est arrivé.
Si le projet de loi C-27 n'est pas amendé, une autre famille canadienne pourrait se retrouver dans les mêmes difficultés, que je ne souhaite à personne par ailleurs.
M. Prober: Je me bornerai à dire que le paragraphe 212(4) proposé occasionne un fardeau additionnel à la poursuite. Sans être du tout un expert, je me demande pourquoi on impose ce fardeau à la poursuite. Il faut prouver que la personne a versé de l'argent. Supposons qu'un enfant ait été soumis à des sévices terribles et que l'affaire soit soumise à un tribunal aux termes du projet de loi C-27, dans sa forme actuelle. Qu'adviendra-t-il alors si on ne peut prouver que la personne a cherché à verser de l'argent? Il se peut que la personne se soit emparée de l'enfant et l'ait violé dans une ruelle. Va-t-on dire à cet enfant qu'on ne peut lui venir en aide parce qu'il n'a pas été rémunéré pour sa peine? Je ne vois pas du tout à quoi cela rime.
Mme Prober: Cela dit, le projet C-27 constitue un pas décisif dans la bonne direction. Sur le plan international, nous avons l'obligation de promulguer des lois judicieuses, rigoureuses et applicables pour contrer le tourisme sexuel. La pratique du tourisme sexuel doit prendre fin. Tous les pays développés de la planète s'accordent à le dire.
Mme Torsney: Je crois que certains membres du comité sont disposés à proposer un amendement. Je suis du nombre. Nous allons tenter de le faire au moment opportun.
Merci de votre comparution. Mon temps doit être écoulé.
La présidente: Pas tout à fait, mais nous allons laisser M. Telegdi prendre la relève.
M. Telegdi: Merci, madame la présidente, et merci à vous, collègues.
Je vous remercie de vous être présentés devant le comité. Je crois que vous avez signalé une omission flagrante. Je crois que nous allons devoir étudier la question pour chercher à formuler un amendement qui rendra la disposition plus pratique. Ce qui me touche tout particulièrement, c'est le fait de vous entendre dire que, même si nous protégeons les enfants dans d'autres pays, nous n'accordons pas la même protection aux enfants canadiens qui vivent le genre de situation que vous avez décrite.
Merci beaucoup, j'apprécie votre témoignage.
La présidente: Je crois que vous vous tirez bien d'affaire puisque vous avez obtenu deux votes.
Aviez-vous d'autres questions, madame Gagnon?
[Français]
Mme Gagnon: J'aimerais revenir sur la question de la rétribution et de la non-rétribution. Personnellement, je verrais un problème dans ce projet de loi, parce qu'il vise la prostitution infantile. C'est vrai que le projet de loi veut viser les cas d'abus sexuels, mais je me demande si ce sera possible. Lorsqu'on essaie, avec d'autres projets de loi, de présenter des modifications au Code criminel, c'est assez difficile. Souvent, on ne peut y apporter les amendements que l'on souhaiterait. Quand il y a prostitution, il y a rétribution. Pourrait-on parler dans cet article précis de non-rétribution, parce qu'il s'agit là de cas d'abus sexuels, d'agressions sexuelles?
Vous avez touché un point important. Vous nous avez sensibilisés à une pratique. Bien que le projet de loi prétende viser les cas d'abus sexuels, il n'y parvient pas en ce qui a trait à la prostitution des enfants à l'étranger. Je ne sais pas comment cela va pourra se faire. Faudrait-il un autre projet de loi modifiant le Code criminel? Je ne le sais pas. Nous en discuterons avec nos juristes et nos avocats. Mais vous avez soulevé un bon point.
Je voudrais aussi revenir sur un point que vous avez soulevé et auquel j'avais déjà pensé, soit que la plaidoirie se fasse dans le pays où l'acte a été commis. Je vois là un petit problème. On sait très bien que dans certains pays, la police et tout le système judiciaire ferment les yeux sur les cas d'abus sexuels et sur la vente d'enfants, parce que c'est un marché assez lucratif. Tous les pays ne sont pas sensibilisés à cette question. De toute façon, ils n'ont pas adopté de lois à cet égard. S'ils avaient vraiment voulu protéger leurs enfants et faire cesser ce trafic d'enfants et les abus, ils auraient adopté des lois très sévères. Ils approuvent tacitement cette forme de tourisme sexuel. Le projet de loi a de bons objectifs, mais je me demande comment on va faire pour qu'il ait des dents afin qu'on puisse enrayer le fléau et se conformer à nos obligations internationales en matière de défense de l'intégrité de la personne et des droits de l'enfant.
J'aimerais que vous nous expliquiez comment vous voyez la défense et quel serait l'avantage d'aller plaider dans le pays où cela se passe. Si ces pays-là n'ont pas les lois nécessaires, ce sera difficile. On ne peut tout de même pas transporter notre Code criminel en Thaïlande ou dans un autre pays.
[Traduction]
M. Prober: Je ne suis pas certain de comprendre. Quels amendements devraient être apportés au projet de loi?
[Français]
Mme Gagnon: Vous avez dit que vous souhaiteriez que la défense se fasse dans le pays où l'acte s'est passé. Je ne sais pas si j'ai bien entendu, au tout début, quand madame a fait sa présentation.
[Traduction]
Mme Prober: C'est possible. Par exemple, si un Canadien se rend à l'étranger et commet des crimes sexuels à l'endroit d'un enfant, le projet de loi ne prévoit pas que des accusations puissent être portées contre lui à l'étranger. Elles peuvent l'être et de telles accusations ont d'ailleurs déjà été portées. Certains prédateurs sexuels canadiens sont emprisonnés à l'étranger à l'heure actuelle. C'est le retour qui pose problème. Si ces personnes se dérobent de la justice ou encore, si elles ne sont pas accusées à l'étranger, alors elles ne devraient pouvoir revenir au Canada et se sentir à l'abri des poursuites.
À la lecture du chapitre sur le tourisme sexuel du livre de Judy Steed, on a l'impression générale que certaines personnes vont passer quelques semaines aux Philippines où elles y agressent sexuellement de nombreux enfants. Nous parlons d'une personne qui a agressé sexuellement des centaines de garçons. Il faisait l'aller-retour régulièrement. Les autorités philippines ne l'ont pas arrêté mais, si elles l'avaient fait, il aurait pu tout simplement revenir au Canada.
Si vous tentez de faire valoir que les habitants de certains pays exploitent beaucoup eux-mêmes de leurs enfants, vous avez tout à fait raison. Le tourisme sexuel n'est qu'une petite partie du problème. Le tourisme sexuel n'explique que de 2 à 5 p. 100 du problème de la prostitution enfantine. Les enfants prostitués sont exploités largement par les habitants des pays où ils vivent. Évidemment, cela ne veut pas dire que nous pouvons permettre à nos citoyens d'aller à l'étranger en faire autant.
Dans les milieux de la médecine, on fait appel aux liaisons vidéo internationales. Je l'ai vérifié avant ma comparution. Alors, pourquoi notre système judiciaire ne pourrait-il pas en faire autant. Si la liaison vidéo peut permettre de résoudre la criminalité à l'échelle planétaire, alors il faut adopter cette technologie.
Il serait intéressant d'envisager un tribunal international de la justice pour les enfants, pour éviter les problèmes de cette nature entre pays. En attendant, les Canadiens ne devraient pas pouvoir commettre des crimes d'ordre sexuel à l'étranger - particulièrement à l'endroit d'enfants canadiens - et revenir chez eux en étant à peu près à l'abri des poursuites.
Le projet de loi C-27 est un pas dans la bonne direction. Malheureusement, on y prévoit au paragraphe 212(4) que le fait d'avoir des relations sexuelles avec un enfant moyennant rétribution constitue un délit mais, pour tous les autres crimes, toutes les autres lois qui visent à réprimer l'exploitation sexuelle, il n'y a pas d'application extraterritoriale. Ce n'est pas ce qui se passe dans l'ensemble des autres pays.
J'aimerais signaler que l'Allemagne a tout d'abord cherché à protéger ses propres enfants dans des situations où ils se trouvaient à l'extérieur de l'Allemagne avec un Allemand. Par la suite, les Allemands ont jugé que les autres enfants du monde étaient tout aussi dignes d'être protégés. Or, dans le projet de loi à l'étude, on semble dire que les enfants canadiens méritent moins la protection que les autres enfants du monde, ce qui n'est pas du tout acceptable.
En règle générale, les enfants canadiens qui sont à l'extérieur du pays ne sont pas protégés. Il s'agit d'enfants qui sont à l'extérieur du pays sous la garde d'une personne en position de confiance, comme c'était le cas pour mon fils.
La présidente: Merci, madame Gagnon.
Y a-t-il d'autres questions de la part des ministériels?
Merci beaucoup, à vous deux, de votre contribution. Nous allons veiller à ce qu'elle porte fruit.
La séance est levée.