[Enregistrement électronique]
Le jeudi 21 novembre 1996
[Traduction]
La présidente: Nous allons maintenant délaisser la sécurité automobile pour passer au projet de loi C-27.
Nous accueillons des représentants de l'Association canadienne des chefs de police, en l'occurrence le chef du Service de police de London, M. Julian Fantino, et M. Fred Schultz, directeur général de l'Association.
Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Je crois que vous voulez d'abord faire des observations, après quoi nous vous poserons des questions.
M. Julian Fantino (chef, Service de police de London; Association canadienne des chefs de police): Merci, madame la présidente.
M. Fred Schultz (directeur général, Association canadienne des chefs de police): Madame la présidente, je m'appelle Fred Schultz, et au nom de l'Association canadienne des chefs de police, je tiens à remercier encore une fois le comité de nous donner la possibilité de vous faire connaître notre position sur le projet de loi C-27.
La plupart d'entre vous, je crois, savent que notre association représente le niveau de direction des services de police au Canada. Nous représentons environ 90 p. 100 des agents de police du Canada.
Je suis accompagné aujourd'hui de M. Julian Fantino, qui est membre de notre comité chargé d'étudier les modifications apportées aux lois. Il a examiné le projet de loi et rédigé certaines observations à notre intention. Nous vous avons remis un mémoire, malheureusement à la dernière minute, compte tenu des contraintes de temps. Je demande donc maintenant à M. Fantino de passer ces observations en revue avec vous, après quoi nous répondrons à vos questions.
M. Fantino: Merci.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, je suis très heureux de représenter nos membres et de comparaître devant vous au sujet du projet de loi C-27 qui, de façon générale, constitue une très bonne mesure législative. Cependant, nous nous posons la question suivante: peut-on faire plus?
Mon exposé portera sur deux éléments du projet de loi C-27. Le premier concerne l'exploitation sexuelle des enfants, le second, les modifications législatives touchant le harcèlement criminel, que l'on appelle aussi le harcèlement avec menaces.
En ce qui concerne la prostitution juvénile, le projet de loi C-27 vise à modifier le paragraphe 212(4) du Code criminel; en effet, il serait illégal pour tout citoyen canadien ou résident permanent d'obtenir ou de tenter d'obtenir, à l'extérieur du Canada, les services sexuels d'une personne âgée de moins de 18 ans. Le Parlement propose cette mesure dans le but de s'attaquer au problème que représentent les citoyens canadiens qui se rendent faire ce que l'on appelle du tourisme sexuel dans des pays du tiers monde, et qui paient pour obtenir les services sexuels d'enfants.
Selon la députée fédérale de London, Mme Sue Barnes, qui a pris la parole dernièrement à la Conférence de l'Union interparlementaire à Beijing, il y a aussi des hommes de la région de London qui sont impliqués dans le tourisme sexuel mettant en cause des enfants, qui est souvent publicisé sur des sites Internet.
Peut-on nier que l'objectif du projet de loi C-27 est admirable? Absolument pas. Cependant, il reste à savoir si le gouvernement fédéral donnera suite à cette mesure législative en accordant les crédits nécessaires pour porter les accusations qui s'imposent.
Comme l'a signalé un avocat de Winnipeg, M. Sheldon Pinx, au nom de l'Association du Barreau canadien, dans le Toronto Star du 6 novembre 1996:
- «Il ne fait aucun doute que l'on doit trouver des moyens de décourager et de punir une telle
conduite. [...] Cependant, nous nous interrogeons sur l'applicabilité de cette réforme.»
- «Pour qu'une mesure de cette importance soit efficace, il faut l'assortir de crédits suffisants
pour en permettre l'application.»
- Les représentants du ministère de la Justice ont reconnu qu'il serait difficile d'intenter des
poursuites en vertu du projet de loi C-27. Les jeunes prostitués devraient venir en avion au
Canada pour y témoigner ou les fonctionnaires de la cour devraient se rendre à l'étranger pour y
recueillir leurs témoignages.
En outre, quelle est la situation de nos propres enfants ici même au Canada? Les enfants sont-ils des victimes dans notre pays? Malheureusement, la réponse est oui. D'un océan à l'autre, tant dans les petites villes que dans les grands centres urbains, sur le réseau Internet et par de nombreux autres moyens, des adultes prédateurs sont à la recherche d'enfants dont ils requièrent les faveurs sexuelles.
Dans son numéro du 18 novembre 1996, le magazine Maclean's faisait état de l'arrestation d'un individu de Kirkland Lake qui a été accusé de possession, d'importation et de distribution de matériel pornographique impliquant des enfants; on suppose qu'il faisait partie d'un réseau qui a d'abord été mis au jour par des policiers fédéraux des États-Unis. L'enquête s'est poursuivie et l'individu a été arrêté en Ontario par des membres du projet «P», qui s'intéressent aux questions liées à la pornographie juvénile, à la pornographie en général et à l'exploitation sexuelle.
Selon Jim Carroll, coauteur du Canadian Internet Handbook:
- Il existe mille et une façons de se cacher sur le réseau Internet, et le problème ne fera que
s'aggraver. Les forces policières estiment avoir un problème aujourd'hui, mais elles n'ont
encore rien vu.
On évalue le nombre d'internautes à environ 45 millions et, comme nous le savons déjà, un certain nombre d'entre eux sont des criminels qui utilisent le réseau pour s'attaquer aux enfants.
Sur la scène internationale, le Canada est connu depuis longtemps comme un ardent défenseur des droits de la personne. Faudra-t-il, dans nos nouvelles lois et dans nos lois renforcées, mettre davantage l'accent sur les causes de la criminalité pour empêcher que les gens ne s'impliquent dans des activités de cette nature? Le Conseil national de prévention du crime, lors d'une conférence tenue récemment à Montréal, en est venu à la conclusion que les crédits affectés à l'éducation des jeunes enfants et aux programmes de lutte contre la violence familiale constituent un meilleur investissement que l'argent utilisé pour engager des policiers et construire des prisons.
Le président, M. Ross Hastings, a déclaré ceci:
- Le Canada consacre annuellement 10 milliards de dollars aux services policiers, aux tribunaux,
à l'aide juridique et aux services correctionnels. Pourtant, le taux de criminalité en 1994 était de
8 p. 100 supérieur à celui qu'on avait enregistré il y a une décennie.
- Le Conseil a ajouté que les programmes de soutien des familles, d'éducation parentale et
d'intervention précoce avaient permis de réduire de la moitié le nombre de cas de violence faite
aux enfants. En retour, les enfants affichent moins souvent des comportements agressifs, qui
sont parfois à l'origine de difficultés scolaires et d'activités criminelles.
- Les collectivités sont alarmées par le nombre sans cesse croissant de jeunes qui s'adonnent à la
prostitution. La plupart des prostitués adultes disent qu'ils ont commencé ce genre d'activité au
cours de leur adolescence. Les travailleurs du sexe et les spécialistes estiment que l'âge moyen
auquel un jeune commence à s'adonner à la prostitution est 14 ans. Ces dernières années, l'âge
moyen a peut-être diminué. Il y a même eu des cas d'enfants de 8 ou 9 ans qui ont été payés pour
offrir leurs services sexuels.
Au Canada, on ne tolère aucunement que quelqu'un soutienne la cause de la violence faite aux femmes. La même norme ne devrait-elle pas s'appliquer à l'égard des enfants? D'après le journal étudiant de l'Université Western Ontario, la Gazette, cet individu a eu le culot de déclarer publiquement ceci:
- Certains jeunes de 10 ans lui ont dit qu'ils se sentent à l'aise lorsqu'ils ont des relations sexuelles
avec des adultes. Il a ajouté qu'il y a des choses pires que les relations sexuelles qui peuvent
arriver à un enfant.
- Comme le rapportait le London Free Press, l'individu a aussi déclaré au cours de la même
réunion:
- Les relations sexuelles entre adultes et mineurs ne sont pas nécessairement un abus de pouvoir
de la part de l'adulte.
Cette question a refait surface dernièrement, au moment où les conseils scolaires, aux prises avec des compressions budgétaires, sont forcés de compter de plus en plus sur des bénévoles pour aider les élèves dans les classes. Dans un article du Globe and Mail du 10 septembre 1996, Virginia Galt, une journaliste spécialisée dans les questions d'éducation, écrivait que le nouveau président de l'Association canadienne des commissions et conseils scolaires avait dit ceci:
- Les conseils scolaires devraient coordonner leurs efforts pour repérer les pédophiles, tant au
sein du personnel qu'au sein des bénévoles.
- La détective Wendy Leaver de l'unité de lutte contre les agressions sexuelles de la police de
Toronto a dit:
- Les pédophiles sont souvent des personnes très appréciées de leurs collègues, et la plupart
cultivent des relations d'amitié avec les parents de leurs victimes. Ils n'attaquent pas leurs
victimes, ils les enjôlent...
- ...par leur attention, par leur affection et par leurs cadeaux.
Comme il a été déclaré à la séance plénière de clôture du Congrès mondial contre l'exploitation sexuelle et commerciale des enfants, qui a eu lieu à Stockholm, en Suède, en août dernier:
- Les pédophiles, les exploiteurs sexuels extériorisent, rationalisent et justifient leur
comportement. Ce ne sont pas des monstres qui s'approchent des enfants, mais des hommes
gentils.
Le projet de loi renferme une autre lacune, à savoir le libellé du paragraphe 2(3), qui modifie l'article 212 du Code criminel. On crée ainsi le paragraphe 2.1 qui stipule qu'il est criminel de vivre des produits de la prostitution d'une autre personne âgée de moins de 18 ans, mais uniquement lorsque l'accusé «use de violence envers elle, l'intimide ou la contraint, ou tente ou menace de le faire».
Pourquoi est-il nécessaire d'inclure cette précision? Certes, l'exploitation sexuelle des enfants devrait a priori constituer un crime, qu'elle soit accompagnée ou non de violence. Rappelons-nous que dans les situations de ce genre, il existe un déséquilibre inhérent des pouvoirs en faveur du souteneur. N'oublions pas non plus que le désespoir économique entraîne souvent la victime dans la prostitution et que les pédophiles ne sont aucunement justifiés de rationaliser leur comportement.
Dans un article publié dans le Orange County Register du 5 mai 1996, et intitulé «Les bordels asiatiques victimisent les enfants», il est question du Dr Gavin Scott, un ressortissant britannique qui vit au Cambodge depuis 1992 où il pratique la médecine; il a purgé une peine d'emprisonnement de cinq mois dans une prison de Phnom Penh pour des accusations de viol après avoir payé cinq jeunes adolescents pour avoir des relations sexuelles avec lui.
Qu'invoque M. Scott pour justifier son comportement sordide?
- «Essentiellement, ce cas aurait dû être une affaire d'homosexualité, de dire M. Scott - qui est
homosexuel -, mais on en a fait à tort une cause sur les relations sexuelles avec des enfants, ce
qui n'était pas le cas.» Comment les clients considèrent-ils leurs actions? D'après une
conversation avec le Dr Scott, qui pratique toujours la médecine à Phnom Penh, et selon des
documents publiés par des organisations de pédophiles, il semble que les clients invoquent
parfois deux motifs pour leur défense. Premièrement, ils font remarquer que l'âge du
consentement dans la majeure partie des régions du monde est de 16 ans - il est en fait de 14 ans
en Pennsylvanie et à Hawaï - et soutiennent qu'il n'y a rien de mal à ce que des jeunes de cet
âge aient des activités sexuelles. Deuxièmement, ils laissent parfois entendre que les jeunes
prostitués, à tout le moins, gagnent des sommes substantielles pour aider leur famille, et que,
autrement, ils occuperaient des emplois éreintants qui seraient même plus humiliants et
dangereux.
La distinction entre l'exploitation commerciale et non commerciale est superficielle, puisque de nombreux enfants sont victimes d'exploitation bien avant qu'ils ne commencent à vendre leurs services sexuels. La prostitution juvénile ne se produit pas du jour au lendemain. Les enfants n'acceptent pas volontiers de vendre leur corps. Ils y sont forcés par des facteurs économiques, qui sont parfois jumelés à la violence sexuelle dont ils ont été victimes auparavant et qui a eu pour effet de les désensibiliser à la pratique de ce genre d'activités avec des adultes.
En ce qui concerne le harcèlement avec menaces, l'article 3 du projet de loi C-27 viendrait modifier l'article 231 du Code criminel en y ajoutant le paragraphe (6) qui définit comme un meurtre au premier degré le meurtre commis durant la perpétration ou la tentative de perpétration d'une infraction visée à l'article 264, lorsque la personne qui a commis l'infraction voulait faire craindre la victime pour sa sécurité ou celle d'une de ses connaissances.
L'Association du Barreau canadien n'est pas en faveur de cet aspect du projet de loi. En toute déférence pour cette dernière, l'Association canadienne des chefs de police appuie fortement cette mesure. À notre avis, même si, à certains égards, cette disposition empiète sur les droits conférés à l'accusé par la Charte, les droits de la victime rendent la mesure tout à fait justifiable dans le cadre d'une société libre et démocratique, pour reprendre les termes de l'article 1 de la Charte.
En résumé, notre but ultime devrait être l'élimination complète, à l'échelle mondiale, de l'exploitation sexuelle des enfants, que les enfants soient attirés par la ruse dans ces situations tragiques ou qu'ils soient contraints par la force, que ces activités se déroulent à Phnom Penh ou à Ottawa. Nous exhortons le gouvernement à ne pas exiger que l'exploitation sexuelle soit liée à des fins commerciales ou à la violence physique pour considérer qu'il y a eu infraction.
Nous exhortons en outre le gouvernement à mettre en place un service national de collecte et d'analyse de renseignements et d'évaluation des menaces, qui serait chargé de surveiller les activités et les déplacements des pédophiles connus et présumés; ce service servirait de centre de coordination pour repérer toutes les personnes qui postulent ou détiennent un poste de confiance et de responsabilité auprès d'enfants.
Enfin, eu égard au projet de loi C-27, nous exhortons le gouvernement fédéral à fixer à 18 ans l'âge du consentement pour les activités sexuelles avec des adultes. Aucun motif ne devrait justifier un contact sexuel entre un adulte et un jeune de moins de 18 ans. Il faudrait établir des lois et des procédures extraterritoriales efficaces pour poursuivre «sur place» les touristes et les visiteurs qui exploitent sexuellement les enfants. Il faudrait aussi faciliter l'extradition lorsque les circonstances le justifient.
Les enfants sont notre ressource nationale la plus précieuse. Nous prétendons les tenir en haute estime, vouloir les éduquer et les protéger. Or, il faut être disposé à consacrer les ressources nécessaires pour respecter nos promesses et nos obligations morales à leur égard.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, nous avons ajouté quelques recommandations qui découlent de notre exposé, auxquelles vous pourrez vous reporter facilement. Elles sont les suivantes:
- On devrait affecter des ressources financières suffisantes à l'application des dispositions du projet de loi C-27.
- On devrait créer un registre national sur l'exploitation des enfants.
- On devrait supprimer l'alinéa 212(2.1)b), où il est dit «use de violence envers elle, l'intimide ou la contraint, ou tente ou menace de le faire».
- Le gouvernement fédéral devrait considérer que tout citoyen canadien ou résident permanent du Canada qui commet un acte d'exploitation sexuelle ou de violence sexuelle à l'égard d'une personne de moins de 18 ans, à l'extérieur de nos frontières, enfreint les dispositions pertinentes du Code criminel, peu importe les circonstances.
- Le gouvernement fédéral devrait établir un service national de collecte de renseignements qui surveillerait les activités et les déplacements des pédophiles.
- Le gouvernement fédéral devrait fixer à 18 ans l'âge du consentement pour des activités sexuelles avec des adultes. Aucun motif ne devrait justifier le contact sexuel entre un adulte et un jeune de moins de 18 ans.
- Des lois et procédures extraterritoriales efficaces devraient être établies pour poursuivre «sur place» les touristes ou les visiteurs qui exploitent les enfants à des fins sexuelles, partout dans le monde; les procédures d'extradition devraient être facilitées.
- Enfin, on devrait consacrer davantage de crédits à l'éducation des jeunes enfants et aux programmes de lutte contre la violence familiale.
Dans l'ensemble, madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, nous souscrivons aux efforts que fait le gouvernement pour régler ces problèmes au moyen du projet de loi C-27. Notre intention est d'inciter le gouvernement à aller plus loin et à examiner la situation dans notre propre pays, laquelle exige une attention soutenue.
La présidente: Merci beaucoup.
Avant d'entamer la période des questions, je tiens à préciser une chose. En vertu du paragraphe 212.(2) du Code criminel, peu importe les circonstances, il est illégal de vivre des produits de la prostitution d'une personne âgée de moins de 18 ans. En ce qui concerne la modification, lorsque nous ajoutons la composante violence, une peine minimale de cinq ans est prévue.
Je suis certaine que les témoins, dans leur mémoire, ne nous ont pas induits intentionnellement en erreur à cet égard. Le Code renferme déjà une disposition prévoyant qu'il est criminel pour une personne de vivre des produits de la prostitution d'un jeune, et cette infraction est punissable d'un emprisonnement maximal de 14 ans.
De même, je veux souligner - et vous souhaiterez peut-être faire des commentaires sur ce point plus tard - qu'à ma connaissance, on utilise déjà le CIPC. Il existe une version ou un programme améliorés du CIPC permettant de maintenir un registre des délinquants qui s'en prennent à des enfants; les organismes qui s'occupent des enfants peuvent également avoir accès à ce registre par l'intermédiaire des services de police.
Peut-être voudrez-vous faire des commentaires à ce sujet, monsieur Fantino, ou quelqu'un souhaitera-t-il vous interroger sur cette question. Mis à part le cadre législatif, je crois savoir que le gouvernement fédéral a adopté certaines mesures à cet égard. Comme je le dis, je ne pose pas de questions, je tiens simplement à ce que mes collègues soient informés. Ils vous poseront peut-être des questions à ce propos.
Monsieur Ramsay, vous avez dix minutes.
M. Ramsay (Crowfoot): Merci, madame la présidente.
Je vous remercie beaucoup de votre exposé. Je suis d'accord avec vous quand vous dites, en conclusion, que les dispositions du projet de loi concernant le tourisme sexuel impliquant des enfants seront très difficiles, sinon impossibles à appliquer. Le problème, c'est que nous ne sommes pas capables de bien appliquer les lois ici.
J'ai avec moi une copie du journal The Ottawa Citizen du 6 mai 1995 dans lequel Kimberly Daum n'accepte pas du tout l'orientation qu'a prise le ministre de la Justice. Voici ce qu'elle dit:
- Selon le ministère du Procureur général, seulement huit hommes de la Colombie-Britannique
ont été accusés d'avoir retenu les services sexuels d'une personne mineure depuis 1988. En
comparaison, 215 accusations ont été portées contre des souteneurs entre 1988 et 1993.
Qu'en pensez-vous, messieurs? Croyez-vous, comme le précise Kimberly Daum, que nous devrions nous attaquer à la source du problème, c'est-à-dire à ceux qui sont disposés à retenir les services sexuels de ces prostitués juvéniles?
M. Fantino: À maints égards, je crois que c'est ce que vise le projet de loi C-27. Bien sûr, il existe déjà des infractions, comme l'a signalé Mme la présidente, qui ont trait à l'obtention de services sexuels de mineurs, et ainsi de suite. Nous pouvons également intenter des poursuites contre une personne qui communique avec une autre à des fins de prostitution.
Le problème, c'est que le projet de loi C-27 met notamment l'accent sur le commerce illicite et l'exploitation sexuelle des enfants à l'étranger. Il prévoit également des sanctions, qui sont même portées à un minimum de cinq ans si vous voulez, lorsque l'adulte utilise la violence à l'égard d'un mineur.
Je crois que le projet de loi va dans la bonne direction, mais nous devons faire beaucoup plus. Dans bien des cas, nous avons affaire à des infractions très bien dissimulées. On s'attaque aux jeunes. On les poursuit activement dans le monde entier, dans notre propre pays. À notre avis, le projet de loi C-27 est un bon départ, mais nous devons faire davantage.
En outre, nous avons de la difficulté à comprendre pourquoi il devrait y avoir une différence au niveau des composantes de l'infraction, des traumatismes, des conséquences, selon qu'il y ait rémunération ou non. L'exploitation sexuelle est la même, qu'elle soit le fait d'un parent, d'un ami, d'un professeur ou d'un étranger n'importe où au monde, que la victime soit rémunérée ou non.
M. Ramsay: Croyez-vous que ce projet de loi aidera la police à porter des accusations contre ceux qui recourent aux services de prostitués juvéniles?
M. Fantino: Oui, je le crois. Toutes les nouvelles mesures législatives, si on nous donne les ressources nécessaires pour les appliquer et s'il y a une volonté politique, sont utiles. Nous appuyons le projet de loi C-27, mais nous ajoutons certaines recommandations et les observations que j'ai énoncées dans mon exposé. Je ne veux pas discréditer le projet de loi C-27, car il est d'une certaine utilité, mais nous avons besoin d'autre chose si nous voulons que son objectif limité soit atteint.
M. Ramsay: Bien sûr, dans mon esprit, il n'est pas question de discréditer le projet de loi C-27 parce que notre groupe parlementaire l'approuvera.
Je voudrais plutôt savoir ce que vous pensez de ceci: il semble très étrange que nous ayons actuellement des lois qui visent les personnes qui sollicitent les services de prostitués juvéniles, et qu'en Colombie-Britannique des accusations aient été portées contre huit hommes seulement. Y a-t-il quelque chose qui ne va pas avec la loi, telle qu'elle existe actuellement, et le projet de loi C-27 permettra-t-il de régler ce problème, si on reconnaît qu'il existe un problème?
M. Fantino: Je ne connais pas les détails de la situation en Colombie-Britannique, mais je peux vous dire, par expérience personnelle, que nous poursuivons activement les adultes qui s'en prennent à des enfants, qui les exploitent à des fins sexuelles, en Ontario par exemple. Ça, je peux vous en parler.
Je ne connais pas la situation que vous décrivez, mais je peux vous affirmer qu'en tant que responsables de l'application de la loi, nous nous attaquons énergiquement à la question de la victimisation des enfants, car ceux-ci constituent un groupe vulnérable qui mérite beaucoup plus d'attention et de soins de la part de la société.
Je voudrais revenir à la réunion qui a eu lieu à l'Université Western Ontario où un individu a parlé entre autres des avantages des relations sexuelles entre adultes et mineurs, disant qu'il n'y a pas nécessairement d'abus de pouvoir de la part de l'adulte et que des enfants de 10 ans sont des agresseurs. En fait, les rôles sont renversés, ce sont les brebis qui poursuivent les loups et pourtant personne ne s'en formalise.
Je pense donc, monsieur Ramsay, que le Canada n'a pas encore reconnu la gravité du problème; nous n'y avons pas encore trouvé de solution, nous ne l'avons pas encore imaginé sous l'angle de la vie des enfants qui est ruinée, des enfants que l'on prive de leur enfance. Que ce soit à la maison, à l'école, peu importe, il devrait être interdit de se faire le défenseur de l'exploitation sexuelle des enfants.
Les enfants doivent être protégés. On ne devrait pas donner de tribune à des pédophiles ou à des personnes qui vantent les avantages des relations sexuelles entre adultes et enfants. Personne au Canada ne devrait avoir la possibilité de dire de telles choses.
Aucun d'entre nous ne pourrait parcourir le pays et prôner publiquement les avantages de la violence faite aux femmes ou de la violence conjugale et s'en tirer à bon compte; pourtant, nous n'intervenons pas quand il s'agit des enfants.
Donc, nous ne sommes pas assez vigilants. Nous nous mettons encore la tête dans le sable. Les 1 300 participants à la conférence de Stockholm ont entendu parler clairement, y compris notre ministre Lloyd Axworthy et d'autres, de la gravité de ce problème. Mais ce n'est pas la peine d'aller en Suède, on peut trouver ce genre de cas à London, à Ottawa, ou n'importe où ailleurs.
M. Ramsay: Je pense que ce que la journaliste se demande, c'est pourquoi on n'amène pas devant les tribunaux un plus grand nombre de personnes qui s'en prennent aux enfants en recourant aux services de prostitués juvéniles.
J'accepte votre conclusion, aux pages 6 et 7, dans laquelle vous exhortez le gouvernement à supprimer l'alinéa b) qui fait de la violence une composante nécessaire de cette infraction. Je pense que nous ne devrions pas nous préoccuper uniquement du problème des enfants qui sont forcés de se prostituer sous la menace de l'intimidation ou de la violence, etc. Cela est un problème très grave, mais le fait d'attirer les enfants dans la prostitution avec de belles promesses est tout aussi grave.
Vous n'êtes pas d'accord avec l'Association du Barreau canadien à propos de la modification à l'article 231 du Code criminel prévue à l'article 3, mais cette disposition crée en fait une nouvelle définition du meurtre, n'est-ce pas? Votre position m'étonne un peu. Pourriez-vous l'expliquer plus en détail?
M. Fantino: Il y aura en effet une nouvelle composante en ce qui concerne le meurtre au premier degré.
M. Ramsay: N'êtes-vous pas d'accord que cela crée une nouvelle définition également?
M. Fantino: Bien sûr, du seul fait qu'elle est modifiée, c'est certain.
M. Ramsay: Et cela ne vous inquiète pas?
M. Fantino: L'Association du Barreau canadien n'est pas en faveur de cette nouvelle mesure de protection, si vous voulez, alors que nous le sommes. Nous voulons que cette disposition soit ajoutée.
M. Ramsay: Il n'est plus question d'intention coupable et ça ne vous inquiète pas?
M. Fantino: Monsieur Ramsay, l'intention coupable peut être établie grâce à toute une série d'événements et de situations concernant l'intention d'une personne... Il pourrait s'agir d'intentions constructives.
M. Ramsay: Je vais y revenir, madame la présidente. Mon temps est écoulé.
La présidente: Merci.
Monsieur Maloney.
M. Maloney (Erie): J'aimerais d'abord obtenir des éclaircissements au sujet de vos commentaires, madame la présidente, en ce qui concerne la catégorie spéciale de recherches que l'on peut faire dans le CIPC par opposition au registre national des cas d'enfants maltraités.
La présidente: Merci.
M. Maloney: Est-ce que quelqu'un peut éclairer ma lanterne?
M. Fantino: Madame la présidente, si vous me le permettez, nous avons actuellement accès, grâce au CIPC - une base de données nationale sur les crimes -, à toutes sortes de données qui concernent les activités criminelles, les condamnations et ainsi de suite. Ce que nous préconisons, c'est un registre de pédophiles, pas nécessairement ceux qui ont été condamnés ou, par exemple, qui sont en libération conditionnelle, mais ceux qui sont considérés comme dangereux. Nous voulons que soit créée une banque de données sur les pédophiles qui voyagent à l'étranger, qu'ils aient été reconnus coupables ou non, ce qui nous permettra de surveiller leurs déplacements.
M. Maloney: Y a-t-il une différence entre la première et la quatrième recommandations à la page 9, ou s'agit-il de la même chose?
M. Fantino: Non, la base de données à laquelle nous avons accès actuellement a été établie en fonction des condamnations criminelles. Nous voulons qu'il y ait un registre qui inclue également les pédophiles présumés et leurs déplacements.
M. Maloney: Qu'ils aient été reconnus coupables ou non.
M. Fantino: C'est exact.
M. Kirkby (Prince Albert - Churchill River): Ces personnes ne seraient-elles pas recherchées?
M. Fantino: Oui.
La présidente: Je ne veux pas vous interrompre et prendre de votre temps - je ne le fais pas normalement - , mais il est important, je pense, de clarifier les termes que nous utilisons parce que je connais bien la situation, par expérience professionnelle.
Il existe en Ontario, et dans toutes les provinces je crois, un registre des cas d'enfants maltraités qui contient des noms de personnes qui n'ont jamais été reconnues coupables, et la police a accès à ce registre. Je ne crois pas qu'il soit juste, monsieur Fantino... et je sais que vous n'agissez pas à dessein, mais je pense qu'il faut donner à nos collègues, MM. Ramsay et Leblanc, l'information nécessaire. Il est important pour nous de connaître les faits, et les faits sont qu'en Ontario, le ministère des Services sociaux et communautaires, par exemple, tient un registre des enfants maltraités auquel vous avez accès.
M. Fantino: Oui, c'est exact. Mais nous parlons ici du projet de loi C-27 précisément. Nous parlons d'un registre ayant une portée internationale plus vaste. Par exemple, nous faisons des enquêtes, pour le compte d'Interpol, sur des personnes qui sont au Canada et nous demandons à Interpol d'enquêter sur des personnes qui sont à l'étranger. Madame la présidente, notre intérêt porte sur le projet de loi C-27.
La présidente: Mais on a l'impression qu'il n'y a pas d'information, alors qu'il y en a.
M. Fantino: Oui, vous avez raison.
La présidente: Désolée, monsieur Maloney, vous pouvez poursuivre.
M. Maloney: Y a-t-il d'autres pays qui ont un registre international, comme les États-Unis, la Grande-Bretagne ou d'autres - Interpol, etc.?
M. Fantino: Pas encore. Interpol songe à établir un registre de ce genre.
M. Maloney: Merci, madame la présidente.
La présidente: Monsieur Collins.
M. Collins (Souris - Moose Mountain): Merci beaucoup, madame la présidente.
Monsieur Fantino, à la page 3, on trouve un commentaire tiré d'un livre. J'aimerais que vous me disiez ce que vous en pensez. Cela concerne la déclaration du Conseil national de prévention du crime:
- [Nous] en sommes venus à la conclusion que les crédits affectés à l'éducation des jeunes enfants
et aux programmes de lutte contre la violence familiale constituent un meilleur investissement
que l'argent utilisé pour engager des policiers et construire des prisons.
M. Fantino: Cela nous permettrait d'empêcher que de nombreuses personnes se retrouvent devant les tribunaux ou que des enfants soient victimisés. Si nous faisons un bon travail de prévention dans tous ces domaines - soutien de la famille, soutien des jeunes - et si nous protégeons les jeunes contre tous ceux qui peuvent s'attaquer à eux, je pense que l'on peut s'attendre à obtenir de meilleurs résultats.
Les études que nous avons consultées semblent toutes conclure que le cycle de la violence, par exemple, se répète, que l'on en ait été témoin ou victime, même à la maison. Les enfants sont vulnérables. Manifestement, ce sont des proies faciles, et si nous pouvons trouver de meilleures façons de les protéger et de les aider au cours de ces années très formatrices, je suppose, comme semblent l'indiquer tous ceux qui ont fait des recherches sur la question, que nous pourrons alors obtenir de bien meilleurs résultats que si l'on ne fait que gérer le problème, comme c'est le cas actuellement.
M. Collins: Êtes-vous d'accord avec ceux qui disent que les programmes de soutien des familles, d'éducation parentale et d'intervention précoce réduisent de la moitié le nombre de cas de violence faite aux enfants?
M. Fantino: C'est un chiffre que j'ai tiré d'un rapport. Oui, que ce soit de 50 ou de 45 p. 100, je pense qu'on peut réduire ces cas de façon considérable.
M. Collins: C'est quand même beaucoup, cependant.
M. Fantino: Oui, je suis d'accord.
M. Collins: Dans votre résumé, où vous énumérez vos recommandations, j'ai trouvé intéressant de constater que la dernière semblait avoir une très grande importance pour vous. Je me demandais si vous souhaiteriez la déplacer au début de la liste afin que nous puissions nous pencher...
M. Fantino: Je lui accorde une très grande importance. Même du point de vue de la pratique, si vous voulez, nous consacrons beaucoup de ressources, même dans le cadre de l'application de la loi, à la prévention du crime et aux programmes nous permettant de prévenir certaines situations. Il s'agit de mesures et de programmes proactifs qui sont efficaces. Le problème, c'est que tant que nous n'aurons pas obtenu les résultats escomptés, il faudra toujours conserver un équilibre entre l'application de la loi et la suppression de ces activités - et ainsi de suite, certainement.
M. Collins: Enfin, diriez-vous qu'environ 95 p. 100 du travail policier consiste à établir de bonnes relations publiques ou du moins qu'un bon pourcentage de ce travail est lié à l'établissement de bonnes relations publiques?
M. Fantino: Je suppose que tout ce que nous faisons, monsieur, a trait à l'établissement de bonnes relations publiques. Notre travail doit être profitable à la collectivité et répondre à ses besoins. Notre mandat principal, c'est la sécurité, mais j'aime toujours y ajouter le volet «qualité de vie». Je pense que cela est tellement important en matière de prévention. C'est l'une des raisons pour lesquelles les services de police, un peu partout, ont adopté comme philosophie des notions assimilées à la police communautaire, c'est-à-dire la résolution des problèmes. Nous travaillons de concert avec les collectivités et nous établissons des partenariats avec tous les secteurs pour nous attaquer aux causes des crimes, les crimes dont nous n'aurons pas à nous occuper si nous faisons un bon travail de première ligne.
Permettez-moi d'ajouter, monsieur, que nous participons à de nombreux programmes auprès des enfants, et nous constatons que la réaction des enfants est extraordinaire lorsqu'on crée pour eux un milieu positif et qu'on leur offre des possibilités, un bon encadrement, toutes ces choses. Nous croyons vraiment que la société peut faire beaucoup plus, mais les policiers, le système de justice et le système d'éducation ne peuvent pas tout faire.
M. Collins: J'ai enseigné pendant 32 ans, et ce qui m'étonne entre autres à cet égard - et je pense que vous avez vraiment mis le doigt sur le problème dans le document que vous avez présenté -, c'est que nous n'avons pas consacré... J'ai été président du Bureau des commissaires de la police. J'ai eu beaucoup de mal à convaincre nos collègues policiers que nous devions entretenir des relations suivies avec le Ministère et les écoles. Il faut voir les deux côtés de la médaille, parce que du point de vue de l'éducation, maintenant que nous avons décelé les problèmes - et c'est bien ce que vous avez fait -, je pense que nous devons nous dépêcher de nous attaquer au coeur du problème.
Comment pouvons-nous, au niveau national, nous assurer que les enseignants s'intègrent dans cette composante qui protège les intérêts des élèves, et qu'ils ne deviennent pas eux-mêmes une partie du problème? J'aimerais vraiment le savoir.
Je vous félicite. Je trouve votre observation excellente.
Je ne suis pas membre du comité - je ne fais que remplacer un membre aujourd'hui - mais j'aimerais bien savoir comment nous, du gouvernement, vous venons en aide, pour faire en sorte que tous les jeunes, qu'ils soient de la ville, de la campagne ou d'ailleurs, aient une certaine assurance que nous avons abordé... Nous enseignons aux jeunes à pouvoir compter sur...
Mais en ce qui concerne le rôle des parents - je parie que vous ne pouvez pas me dire si, dans toutes les écoles du Canada, nous consacrons beaucoup de temps à l'enseignement sur le rôle du parent. Vous savez que nous ne le faisons pas, et Dieu le sait, les élèves terminent leur 12e année et la seule chose qu'ils ne connaissent pas, c'est comment élever des enfants.
Je m'excuse, je m'éloigne du sujet...
La vice-présidente (Mme Torsney): J'occupe déjà le secteur du marché sur l'art d'être parent. Vous ne pouvez pas m'emprunter mon thème.
M. Collins: Désolé. J'aimerais simplement savoir, monsieur Fantino...
La vice-présidente (Mme Torsney): Je plaisantais.
M. Fantino: Tous ces commentaires sont très pertinents. Je peux parler au nom de tous mes collègues. Nous souhaitons ardemment en faire plus en tant que groupe. Si nous pouvons réussir à canaliser cet élan... Je répète constamment à mes collègues que j'aimerais simplement, pendant un an, qu'on interrompe les procédures, qu'on coupe les dépenses somptuaires et tape-à-l'oeil et quoi encore, et qu'on concentre notre énergie sur la ressource la plus vulnérable et la plus précieuse de notre pays, de notre monde: les enfants. Tout consacrer aux enfants, pendant une année entière.
J'aimerais mesurer les résultats. Je crois que nous pouvons faire beaucoup mieux. Je ne présente pas d'excuses, et je n'ai pas l'intention d'en présenter au nom des services policiers. Je pense que la loi nous confère des responsabilités de base. Nous aimerions consacrer plus d'efforts à ce que les gens qualifient de programmes «doux».
Un grand nombre de nos membres sont engagés à fond dans le travail avec des groupes de personnes vulnérables dans nos collectivités - avec les personnes âgées, les aînés, sûrement avec les femmes et les enfants - pour essayer de résoudre des problèmes. Mais lorsque les budgets sont coupés et charcutés, ces programmes, qualifiés de «doux», sont les premiers à être éliminés. C'est regrettable.
M. Collins: Je suis d'accord. Merci beaucoup.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci, monsieur Collins.
Je vais suivre la liste.
[Français]
Monsieur Leblanc, dix minutes, s'il vous plaît.
M. Leblanc (Longueuil): Dans le passé, il y a eu de longs débats pour savoir si on devait criminaliser ou réglementer la prostitution. On sait que dans plusieurs pays, la prostitution est réglementée plutôt que criminalisée. On sait aussi que, si on criminalise la prostitution, ce sont généralement des criminels qui la gèrent alors que si elle est réglementée, ça fait partie de la vie. Je ne dis pas que je suis pour ou contre, mais je dis qu'il y a eu de longs débats là-dessus. Il y a différentes positions. Il y a différents pays qui fonctionnent de différentes façons.
Si la prostitution était réglementée et permise pour les personnes majeures et si elle était criminalisée et très sévèrement réprimée quand il s'agirait de mineurs, croyez-vous que ça pourrait diminuer la prostitution chez les mineurs?
[Traduction]
M. Fantino: Votre question est l'une de celles qui reviennent constamment. Il est très difficile pour moi d'y répondre. Tout ce que je puis vous dire, c'est que la position adoptée par les chefs de police canadiens est de s'opposer à la légalisation de la prostitution. Nous croyons que cette légalisation aurait certainement des répercussions préjudiciables.
Nous croyons également qu'il y aurait encore du crime organisé et d'autres activités de ce genre. Nous croyons que la lutte pour le pouvoir et le contrôle continuerait. Les pays qui l'ont légalisée n'ont pas eu de succès. Nous pouvons vous raconter des histoires d'horreur.
Sans vouloir être moralisateurs, nous croyons que légaliser une telle activité équivaut à oublier que la prostitution - je suis désolé que tous ne soient pas de cet avis - est essentiellement la victimisation des femmes; c'est la dégradation des femmes, et ainsi de suite.
Si certains veulent promouvoir cette idée, nous ne sommes pas d'accord. Nous considérons qu'il s'agit d'une dérobade. Cela signifie que nous ne pouvons pas résoudre le problème, nous ne pouvons pas nous en occuper, alors, légalisons-le.
À titre de comparaison, en Suisse, on avait isolé une partie d'une ville pour en faire un endroit où les gens peuvent aller consommer des drogues. J'ai parlé récemment au chef de cette collectivité. Cette section de la ville a été fermée parce que c'était un désastre. C'était un endroit où les gens se détruisaient et étaient détruits.
Par contre, je suis d'accord avec vous: nous devons porter une attention toute particulière à l'exploitation des enfants - à l'exploitation sexuelle des enfants, à la victimisation des enfants. À cet égard, il faut plus particulièrement envisager - comme le mentionne le projet de loi C-27 - la protection requise, les peines imposables et ainsi de suite.
Nous ne croyons tout simplement pas, par exemple dans le cadre du projet de loi C-27, qu'il soit nécessaire qu'une femme ou qu'en enfant soit battu pour que l'infraction soit qualifiée de voies de faits graves. Il n'est pas nécessaire qu'il y ait effusion de sang pour traumatiser quelqu'un. Les gens subissent des traumatismes graves sans effusion de sang.
Je n'ai pas d'autre réponse que notre réponse officielle: nous ne sommes pas en faveur de la légalisation de la prostitution, pour de multiples raisons.
[Français]
M. Leblanc: Croyez-vous que, si la prostitution était réglementée, la prostitution des mineurs s'en trouverait diminuée?
[Traduction]
M. Fantino: Non, monsieur. Avec tout le respect que je vous dois, madame la présidente, je n'en crois rien, et je vous explique pourquoi. Aujourd'hui, une grande partie du tourisme à caractère sexuel se dirige vers des endroits tels les pays du tiers monde, à la recherche d'enfants de plus en plus jeunes. De plus, le crime organisé est impliqué dans des activités de prostitution, en général. Il y aura toujours des façons illégales de faire de l'argent et d'utiliser les gens. C'est ce que nous avons constaté avec la contrebande de l'alcool et des cigarettes. Ces activités se poursuivront, tout comme la lutte pour le pouvoir et le contrôle. Il y aura toujours des souteneurs et des exploiteurs qui exerceront ce pouvoir et ce contrôle parce que ces activités leur rapporteront de l'argent, et la situation continuera à se détériorer.
Je me plais à penser que nous sommes une société moderne et que nous ne sommes pas prêts à abandonner le navire, si on veut, sans tenter de résoudre le véritable problème: la victimisation des femmes par la prostitution et la victimisation des enfants de moins de 18 ans. Je ne crois pas que ça changerait cette situation. Voyez ce qui s'est produit, par exemple, avec la contrebande - c'est une question d'argent, de pouvoir et de contrôle. Les humains sont devenus un produit, une denrée.
[Français]
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci beaucoup, monsieur Leblanc.
Il y a un article très intéressant au sujet de l'individu qui choisit des enfants. On y explique pourquoi il choisit les enfants et non d'autres adultes.
[Traduction]
Monsieur DeVillers.
M. DeVillers (Simcoe-Nord): Merci, madame la présidente.
Je remarque, monsieur Fantino, que deux de vos recommandations ont trait au financement: l'une demande des ressources financières suffisantes pour appliquer les dispositions du projet de loi, l'autre demande que des fonds plus considérables soient consacrés à l'éducation des jeunes enfants et aux programmes de lutte contre la violence familiale. Je remarque que l'une est la première de vos recommandations, et l'autre, la dernière. Les avez-vous volontairement placées dans cet ordre, ou si ces recommandations ont la même force?
M. Fantino: Vous êtes très observateur. Je crois bien que nous voudrions tenter de résoudre ces deux problèmes. Je suppose que le plus pressant est le premier. À long terme, les ressources nécessaires pour appliquer les modifications proposées dans le projet de loi C-27 me semblent plus pressantes, mais la plus bénéfique, à long terme, est sans doute la seconde recommandation.
M. DeVillers: C'est ma seule question.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Grose.
M. Grose (Oshawa): Madame la présidente, je devais remplacer M. DeVillers, mais puisqu'il est ici, je ne le remplace plus, et je suis un visiteur, ce qui signifie que je serai le dernier à prendre la parole sur ce sujet.
M. Kirkby: Allez-y, prenez la parole. Vous êtes surnuméraire. Cela veut dire que vous êtes vieux.
M. Grose: Monsieur Fantino, je sais que vous n'êtes pas un sociologue; vous êtes un officier chargé d'appliquer la loi. Mais vous exercez votre profession depuis longtemps, et il y a un point qui me préoccupe.
Nous continuons à punir ceux qui sont reconnus coupables d'infractions sexuelles, et la punition se résume à les emprisonner pendant un certain temps, puis à les relâcher.
Je me demande si vous croyez, en vous basant sur votre expérience, que cette punition a un impact sur les infractions sexuelles. Devrions-nous traiter ces infractions comme une maladie sociale, comme une aberration mentale? Ces personnes devraient- elles être tenues à l'écart jusqu'à ce que leur maladie ou leur problème, quel que soit le mot employé, ne puisse plus nuire à la société? J'ai l'impression que nous sommes coincés dans une porte tournante et que nous n'arrivons pas à trouver de solution. Avez- vous la même impression?
M. Fantino: J'ai toujours cru qu'une punition n'a qu'un résultat: elle punit. J'ai parlé avec de nombreux criminels déjà. Ce que l'expérience m'a appris, entre autres, c'est que la majorité des criminels croient qu'ils ne se feront jamais prendre. Donc, la punition n'est un facteur que lorsqu'elle les touche directement.
Toutefois, le domaine où nous ne réussissons pas très bien, dans notre pays, c'est la réhabilitation... l'importance primordiale d'assurer la protection de la société et de ne pas lui faire courir de risques en laissant ces individus dangereux en liberté. Il devrait y avoir un autre mécanisme. D'autres projets de loi traitent de la surveillance à long terme et d'autres activités relatives à ce problème.
Pour répondre directement à votre question, à mon avis, si nous ne faisons que punir, nous perdons notre temps.
M. Grose: Merci beaucoup.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Maloney, il reste un peu de temps.
M. Maloney: Vos commentaires sur le prostitué qui prône depuis longtemps les relations sexuelles entre adultes et enfants, et votre comparaison avec la tolérance zéro dans le cas de la violence faite aux femmes sont intéressants. Vous n'y faites pas référence dans vos recommandations. Y a-t-il une raison? Croyez-vous que nous devrions aussi nous engager dans cette direction?
M. Fantino: Il faut régler ces problèmes. En tant que société moderne, adulte et démocratique, nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre de laisser en circulation des gens qui récoltent les profits d'actes qui sont clairement des infractions criminelles.
M. Maloney: Je ne vous contredis pas, mais cela ne fait pas partie de vos recommandations.
M. Fantino: Je crois que c'est là, monsieur. Je crois que c'est à la page 4. Nous parlons d'une politique de tolérance zéro dans le cas d'incitation à la violence contre les femmes... les mêmes normes ne devraient-elles pas s'appliquer aux enfants?
Tant que la société ne se ressaisira pas et ne réalisera pas que nous ne pouvons pas nous permettre de laisser en liberté des gens qui prêchent et encouragent la violence, et qui en vantent les mérites, pas plus que nous pouvons dire à quel point il est merveilleux d'avoir eu certains chefs d'États tyranniques et oppresseurs, dont certains d'ailleurs sont encore en place... Nous parlons de la victimisation des enfants.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Fantino, en toute déférence, M. Maloney faisait allusion au fait qu'aux pages 8 et 9, on ne trouve aucune recommandation particulière sur les limites à la liberté d'expression ni sur les poursuites à intenter, pour crime haineux, contre ceux qui sèment la haine envers les enfants.
M. Fantino: Je m'excuse, madame la présidente. C'est évidemment notre opinion, mais nous ne pouvons pas, à titre d'association, faire autre chose que d'éveiller la conscience du Parlement et du comité. Mais j'ajouterais certainement ce point.
Nous devons mettre en place les moyens de contrôle requis pour réfuter ce genre de rhétorique. Ce n'est d'ailleurs pas que de la rhétorique, et c'est très décourageant. C'est une situation où il y a deux poids, deux mesures.
Permettez-moi de vous citer un extrait d'un article écrit par cet individu, daté du 8 juillet 1994. Il n'a d'ailleurs pas changé d'opinion. Il écrivait:
- Je n'ai encore jamais compris la différence entre le hockey juvénile et un réseau organisé
d'exploitation sexuelle des enfants. Dans les deux cas, il s'agit d'enfants et d'adultes. Dans les
deux cas, il s'agit d'activités physiques intenses (l'entraîneur adulte jouant le rôle de l'amant
adulte). Dans les deux cas il y a un risque. Dans les deux cas il y a le plaisir. Pourtant, nous
approuvons le hockey juvénile et réprouvons les réseaux d'exploitation sexuelle des enfants.
La vice-présidente (Mme Torsney): Désirez-vous approfondir la définition du mot «haine»?
Monsieur Ramsay.
M. Ramsay: Monsieur, je ne peux m'empêcher de ressentir un sentiment de frustration. Nous avons devant nous un projet de loi en vertu duquel le fait de quitter notre pays pour avoir des relations sexuelles avec un enfant dans un autre pays constituera une infraction. Pourtant, si je me reporte aux faits mentionnés précédemment, presque rien n'est fait pour poursuivre ceux qui achètent les faveurs sexuelles de jeunes enfants dans notre pays.
Vous avez dit ne pas être très au fait de ce qui se passe en Colombie-Britannique. Qu'en est-il de votre propre service de police? Pourriez-vous nous fournir des statistiques, les statistiques des trois, quatre ou cinq dernières années, sur le nombre d'individus contre qui votre service a porté des accusations, pourriez-vous nous dire si ces individus ont été condamnés pour avoir payé des jeunes de moins de 18 ans pour obtenir des faveurs sexuelles? Pouvez-vous faire cela pour nous?
M. Fantino: Oui, monsieur Ramsay, je peux vous parler d'une enquête qui a duré plusieurs années. Certains dossiers sont toujours devant les tribunaux, alors je ne peux vous donner de détails - et je ne le ferai pas.
Dans ce cas particulier, nous avons jusqu'à maintenant 64 accusés et 85 victimes, dont certaines âgées d'à peine 8 ans. Et cette enquête porte uniquement sur les deux dernières années, à London et ailleurs dans la province, parce que notre enquête, monsieur Ramsay, nous a amenés partout. Vous pouvez me croire, le travail est fait.
Toutefois, madame la présidente, ce qu'il nous faut faire, c'est sensibiliser la population. Il faut en faire une priorité. Nous devons sensibiliser le pays à ce problème dévastateur, à cette victimisation de personnes vulnérables, de la même façon que nous avons mené des campagnes d'éducation sur le tabac, sur la conduite avec facultés affaiblies, sur la violence conjugale. Il a fallu du temps avant que tous ces problèmes soient connus mais nous y sommes aujourd'hui sensibilisés, nous en sommes conscients et nous nous en inquiétons.
Je suis désolé d'avouer que nous n'avons toujours pas réussi à bien saisir toutes les ramifications de cette situation désastreuse de la victimisation des enfants. Tout est bien dissimulé. Ils sont la proie d'adultes dont l'intelligence est de loin supérieure à la leur. Ils sont très vulnérables, et ils subissent des dommages d'une ampleur incroyable.
Dans ce cas précis, nous procédons également à une étude sur la victimisation de ces enfants, pour en connaître les raisons. Comment cela a-t-il pu se produire? Alors nous tentons de trouver les réponses nous-mêmes.
Je peux vous dire que la pornographie... toutes ces questions sont intimement liées. Tout cela fait partie de la victimisation. De fait, la pornographie est souvent utilisée comme appât, comme moyen de vaincre les inhibitions des enfants, par des adultes prédateurs très sophistiqués et très rusés, dont certains occupent des postes de confiance auprès d'enfants dont ils sont chargés d'assurer le bien-être.
C'est là le coeur du problème, monsieur: nous en nions l'existence. Les cris de ceux qui osent l'aborder ne sont pas entendus. On se heurte à des difficultés extrêmes dès que l'on tente de soulever ce problème, de le mettre à l'avant-plan pour le traiter comme il doit l'être. Ce sont des difficultés de taille.
M. Ramsay: Vous avez parlé de punition. Croyez-vous que la punition soit un moyen de dissuasion dans ce domaine?
M. Fantino: C'est un moyen de dissuasion, parce que je persiste à croire que si on réussit à garder les pédophiles à l'écart, comme ils sont des prédateurs, ils ne pourront pas faire de victimes. Dans ce contexte, c'est approprié.
M. Ramsay: À la protection de la société?
M. Fantino: Oui, monsieur.
M. Ramsay: C'est sans doute la dernière occasion que j'ai de vous poser une question ou de faire un commentaire.
Au début des années 1980, l'Edmonton Journal a mené une enquête de trois ou quatre semaines sur la prostitution juvénile à Edmonton. Cette enquête a révélé qu'il existait dans cette ville un grave problème de prostitution juvénile. Un organisme avec lequel j'avais des liens s'est adressé au commissaire de police et a soulevé ce problème parce que, évidemment, l'Edmonton Journal l'avait fait connaître au public. On a nié l'existence du problème.
Je peux comprendre que vous éprouviez de la frustration lorsque les gens refusent de se lever et d'exprimer leur inquiétude devant de telles situations. Je ne sais pas s'il vous faut plus de ressources, plus de policiers dans les rues ou des lois plus sévères. Je ne le sais pas, mais quand je me rappelle la dénégation d'alors - j'ai moi-même témoigné devant cette commission - et quand je vois cet article, alors que seulement huit personnes sont accusées d'avoir eu des relations sexuelles avec des jeunes prostitués, je me demande où est le problème? Que peut faire le législateur fédéral pour aider les forces policières à régler ce problème? Faut-il plus d'argent? Faut-il plus de main-d'oeuvre? Faut-il changer la loi?
M. Fantino: Monsieur Ramsay, c'est un problème de société. Appliquer la loi plus strictement, consacrer plus de fonds à ce problème, augmenter le nombre de policiers, ce n'est pas ce que nous demandons ici. Ce que nous voulons, c'est que notre société, la société canadienne, prenne conscience du problème, qu'elle y soit sensibilisée et qu'elle s'inquiète de l'exploitation sexuelle des enfants, de l'exploitation des personnes vulnérables, du problème de la victimisation.
Nous continuons de nier. Nous nions. Nous nous sommes heurtés à toutes sortes de difficultés au cours de l'enquête dont je vous ai parlé. Pourtant, notre taux de condamnations - et j'imagine qu'il s'agit là d'une certaine forme de mesure - devant les tribunaux criminels est d'environ87 p. 100. Mais nous avons été attaqués de tous bords, de tous côtés pour avoir osé nous occuper de ce problème.
M. Ramsay: De qui viennent ces attaques?
M. Fantino: Oh, de tout le monde. Énumérer toutes les difficultés que nous avons dû surmonter serait bien long.
Me permettez-vous de vous citer deux phrases qui, je crois, traduisent bien mes sentiments et les sentiments de la communauté policière à l'égard de ce problème? Il n'est question ni de peines plus sévères, ni d'augmentation du nombre de policiers. Il n'est même pas question d'augmentation du nombre de lois. George Bernard Shaw a écrit:
- La pire faute commise envers nos semblables, ce n'est pas de les haïr, mais de les traiter avec
indifférence; c'est là l'essence de l'inhumanité.
- Le monde est un endroit dangereux - non pas à cause de la méchanceté de certains, mais à cause
de ceux qui ne font rien contre cette méchanceté.
Dans notre pays, nous ne sommes pas encore pleinement conscients de la vulnérabilité des enfants, de leur victimisation, des traumatismes et des autres misères qu'ils subissent. Croyez- moi, ceux qui osent se pencher sur ce problème sont attaqués de partout. J'en ai personnellement fait l'expérience.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci, monsieur Ramsay.
M. Ramsay: Merci, monsieur Fantino.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Kirkby voudrait poser une question. J'en aurai ensuite une moi-même, si vous n'y voyez pas d'objection.
M. Kirkby: Je veux simplement aborder un point rapidement. Je crois que l'un des objectifs du projet de loi est de faciliter l'application de la loi par la police. L'ancienne formulation de la loi créait certains problèmes. Il était très difficile d'obtenir la preuve qu'un individu tentait d'obtenir les services d'un ou d'une prostituée juvénile. Maintenant que le Code criminel a été modifié, il suffit de croire que la personne est mineure, ce qui permet aux services de police de substituer des policiers majeurs aux jeunes prostitués; se faisant passer pour des prostitués, ces policiers peuvent ainsi obtenir une présomption de preuve qui leur permet de porter des accusations. C'est là une partie du problème que nous avions, monsieur Ramsay, mais ce projet de loi vise à le régler.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci, monsieur Kirkby.
Monsieur Fantino, je me demande si vous pourriez nous décrire les pratiques, particulièrement celles du corps policier que vous dirigez, ou la façon dont les chefs de police s'y prennent. Je comprends, de mes conversations avec des gens qui travaillent auprès des enfants des rues à Toronto, que même dans une ville comme Toronto, il y a évidemment un certain nombre de districts policiers. D'un côté de la rue, on est dans un district, de l'autre côté de la rue, dans un autre district. Aussi incroyable que cela puisse paraître, chaque district emploie des méthodes différentes, même à l'intérieur du même corps policier. D'un côté de la rue, on arrête les clients; de l'autre, on arrête les enfants.
Que dites-vous à vos officiers sur la façon de traiter les enfants qui font de la sollicitation dans la rue? Ce n'est pas vraiment de cela que traite le projet de loi, mais c'est un point intéressant parce qu'il fait partie du débat. Comment vous assurez- vous de l'uniformité, pour que ce ne soit pas le modèle de punition que vous suggérez, pour que les enfants ne soient pas encore plus victimisés par les policiers, mais que ce soient les criminels qui soient arrêtés?
M. Fantino: C'est une excellente question, parce que nous avons tellement appris, même pendant ce projet auquel nous avons participé pleinement.
L'une des premières choses que l'on apprend, c'est que dans les causes de ce type, on doit essentiellement s'occuper des victimes. En d'autres mots, les victimes ne prennent pas les devants pour porter plainte automatiquement. Il faut travailler, creuser la situation et étudier toute l'affaire en fonction des faits communiqués par les victimes et des récits qu'elles font des événements.
Je crois que vous parlez des lieux de prostitution et autres endroits du même genre, dans la région métropolitaine de Toronto.
La vice-présidente (Mme Torsney): La rue Jarvis...
M. Fantino: Oui.
La vice-présidente (Mme Torsney): ...s'ils sont dans le district de l'avenue Pape ou dans celui du Musée des beaux-arts. Il semble que dans le district du Musée des beaux-arts, ces enfants soient traités avec beaucoup plus de respect, et les problèmes résolus beaucoup plus efficacement que de l'autre côté de la rue Jarvis.
M. Fantino: Il y a deux aspects. Il y a les activités qui se passent au grand jour, celles que tous peuvent voir. On sait où elles se produisent, la scène est des plus explicites, et on sait immédiatement que c'est un lieu de prostitution, garçons, filles, tout y est.
C'est un problème. C'est évidemment un problème très grave pour les collectivités. C'est une nuisance. Vous devez croire - prenez-en ma parole - que ces enfants sont sous la coupe de souteneurs. Il y a toujours un souteneur, il y a toujours la question d'argent, et c'est toujours une question de contrôle.
Nous tentons de nous en prendre aux souteneurs, parce que ces enfants sont eux-mêmes des victimes. Même les enfants qui se prostituent sont des victimes. Nous tentons d'enseigner à nos membres à traiter ces enfants comme des victimes et de s'en prendre à la cause, au pouvoir et à la base. C'est l'un des points.
L'autre point, évidemment, c'est la face cachée du problème, celle qu'on ne voit pas: la victimisation à la maison, la victimisation dans d'autres milieux où on croit que les enfants sont à l'abri...
La vice-présidente (Mme Torsney): Les écoles et les églises.
M. Fantino: C'est exact.
Selon moi, il s'agit de deux aspects différents, et nous devons être beaucoup plus sensibilisés aux problèmes de victimisation.
Nous incitons nos membres à considérer ces jeunes prostitués comme des victimes, et je sais qu'ils sont des victimes. Je sais que certains préfèrent ne pas entendre ça, qu'ils n'aiment pas être considérés comme des victimes, mais s'ils avaient le choix, je suis sûr qu'ils ne seraient pas dans la rue à vendre leur corps ou à offrir des services sexuels.
Peu importe comment nous voyons cela...
La vice-présidente (Mme Torsney): Alors, si nous prenions, par exemple, le corps policier de London, nous ne verrions pas d'enfants accusés de prostitution ni de sollicitation?
M. Fantino: Vous en verriez très peu. Vous verriez un grand nombre de témoins, si vous comprenez ce que je veux dire.
La vice-présidente (Mme Torsney): Quand on parle aux jeunes, il semble que ce soient les enfants de 12 ou de 13 ans qui, dans les rues de Toronto, ont des souteneurs. Ceux de 16 et de 17 ans sont souvent autonomes ou travaillent avec des amis. Ils n'ont pas vraiment de souteneurs, et ils ont un sentiment de pouvoir. Les états d'esprit sont parfois différents.
Je trouve curieux qu'au sein d'un même corps policier, il semble difficile de concerter les interventions et de traiter le problème plus efficacement. Les jeunes sont beaucoup plus intelligents qu'on ne le croit... Ils savent quel côté de la rue Jarvis fréquenter pour qu'on arrête les clients plutôt qu'eux.
M. Fantino: Vos remarques ne tombent pas dans l'oreille d'un sourd. Je sais également, par expérience, que nous avons adopté une attitude quelque peu désinvolte face à certaines situations.
Alors, monsieur Ramsay, lorsque je parle de dénégation du problème ou de refus de voir le problème, je parle de nous tous, y compris les policiers, les tribunaux et les législateurs.
Nous devons adopter une attitude nouvelle. Nous devons faire face à tout cela. Pardonnez-moi de me répéter, mais il n'y a pas si longtemps, il était socialement acceptable de conduire en état d'ébriété; plus maintenant. Fumer était une activité comme une autre.
C'est l'une des frustrations que nous éprouvons, devoir modifier nos priorités, même dans nos services de police, si on veut, et c'est ce que nous essayons de faire. Mais de fait, nous nous laissons porter par les événements, comme si nous étions sur une chaîne de production. Nous recevons sans cesse des appels demandant notre intervention. Ça ne ralentit jamais, et nous ne pouvons pas les laisser sans réponse. Nous disposons de ressources limitées, mais à long terme, nous devons consacrer beaucoup de temps et d'énergie à certains de ces graves problèmes parce qu'il ne s'agit pas simplement de procéder à une arrestation, d'enfermer un souteneur et de demander à ces enfants de témoigner. Nous avons appris que nous devons être très attentifs, établir des contacts avec les organismes qui aident ces enfants, aider les enfants à s'adapter à leur nouvelle situation lorsqu'ils quittent la rue, qu'ils ne sont plus... Nous devons offrir un choix à ces enfants. Les jeter en prison ou les faire entrer dans le système judiciaire ne fait pas partie de ce choix.
Le cas précis dont je vous ai parlé, celui de London, a exigé beaucoup de temps; c'est un cas difficile parce que nos enquêteurs doivent non seulement s'occuper des infractions et du côté pénal du dossier, mais également de toutes sortes d'autres questions: collaboration avec les services de santé, avec la société d'aide à l'enfance, avec les victimes qui témoigneront. Il faut garder le contact avec ces enfants et appuyer les efforts qu'ils déploient pour reprendre leur vie en main.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Schultz, avez-vous des commentaires?
M. Schultz: Oui, je n'ai qu'un court commentaire. À titre d'organisme, nous nous sommes beaucoup occupés de violence conjugale, d'études sur la violence faite aux enfants et ainsi de suite, pendant de nombreuses années.
Il y a trois ans, lors de notre conférence tenue à Halifax, nous avons souligné les diverses situations dont M. Fantino fait état, la victimisation des jeunes exploités comme prostitués. Nous n'avons aucun contrôle sur nos membres - nous ne pouvons pas leur dicter leur conduite - mais nous tentons de mettre en évidence les secteurs problématiques. À l'époque, nous avons soulevé ce point à cause de certains événements dans la région de Halifax où une jeune prostituée courait des risques et avait dû être placée en garde préventive. Il y avait tout un réseau de jeunes prostitués sous la coupe de souteneurs; à l'époque, certains étaient même envoyés à Toronto.
Nous avons donc préparé, au cours des dernières années, une série de rapports traitant de la violence conjugale et suggérant aux membres de nos divers corps policiers des façons de répondre aux demandes d'agences et de collaborer avec d'autres organismes pour trouver des solutions à ces problèmes.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci, monsieur Schultz.
Peut-être pourrions-nous voir certains de ces documents ou, s'ils contiennent des directives ou font état de discussions, peut- être serait-il intéressant pour nous d'en recevoir des exemplaires, surtout si nous voulons les partager avec les corps policiers.
[Français]
Monsieur Leblanc, vous n'avez pas de questions? Je cède la parole à M. Rideout.
[Traduction]
M. Rideout (Moncton): Je veux poser deux questions, dont l'une n'est qu'une précision. Dans votre rapport, vous mentionnez que le taux de criminalité a augmenté de 8 p. 100 au cours de la dernière décennie. Les informations dont nous disposons sur les taux de criminalité indiquent qu'ils sont à la baisse. Je me demande simplement d'où ces renseignements sont tirés. C'est à la page 3 de...
M. Fantino: Ils viennent de la conférence à Ottawa dont j'ai parlé. De toute façon, je crois que lorsqu'on cite des chiffres, on s'arrête souvent à comparer une année à une autre.
Je vous ferai simplement part de ceci, madame la présidente, si vous me le permettez. À côté de ces chiffres, nous avons entre autres le taux de crimes avec violence commis par des jeunes. Ce taux a augmenté beaucoup plus rapidement que les crimes avec violence commis par des adultes. Entre 1986 et 1994, le nombre de jeunes accusés de crimes avec violence a connu une croissance annuelle moyenne de 13 p. 100.
Il s'agit donc de la situation sur une longue période, mais il est vrai de dire qu'il y a eu un certain déclin dans quelques secteurs.
À titre indicatif seulement, je vous mentionne que cette année, à London, il y a jusqu'à maintenant une diminution de 8 p. 100 sur les chiffres de l'an dernier. Je me plais à penser que c'est grâce au bon travail de la police.
M. Rideout: Oui, et nous nous attribuons le mérite pour la diminution des taux d'intérêt.
M. Fantino: C'est du pareil au même.
J'ajouterai simplement ceci. Il est évident que si nous pouvons consacrer plus de temps à des méthodes dynamiques - résoudre des problèmes, travailler avec les enfants et avec les groupes vulnérables - je suis sûr que nous obtiendrons des résultats positifs.
M. Rideout: Il s'agit peut-être d'une subtilité de langage, mais mon autre question a trait à votre suggestion de retirer l'alinéa 212(2.1)b) du projet de loi C-27. À la lecture de cet alinéa, il est évident qu'il traite de violence, mais il traite également d'intimidation et de coercition. Si nous retirons cet alinéa, nous retirerons peut-être aussi les notions d'intimidation et de coercition, et on ne pourra pas invoquer ces motifs.
M. Fantino: Monsieur, ce que nous voulons dire, c'est qu'il ne devrait pas y avoir de conditions. Si quelqu'un victimise un enfant, il doit être puni.
M. Rideout: D'accord. Lorsque vous dites de retirer cet alinéa qui fait de la violence un élément nécessaire, il est aussi question d'intimidation et de coercition.
M. Fantino: Oui. Nous voudrions nous occuper uniquement de l'infraction, sans autres conditions. C'est défendu, point à la ligne.
M. Rideout: D'accord.
La vice-présidente (Mme Torsney): Quand vous parlez de punition, vous ne prêchez pas le recours à la violence, n'est-ce pas?
Des voix: Oh, oh!
M. Rideout: On pourrait toujours faire des menaces de violence.
La vice-présidente (Mme Torsney): Simple précision. Nous pourrions devoir invoquer cette liberté d'expression...
M. Rideout: Je ne poserai pas d'autre question.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Ramsay, si vous avez une question, il nous reste du temps.
M. Ramsay: Merci, madame la présidente. Il ne s'agit que d'une ou deux choses.
J'ai rangé vos recommandations, mais vous recommandez que l'âge du consentement soit porté à 18 ans. Quiconque âgé de moins de 18 ans... Évidemment, les personnes de moins de 18 ans qui sont mariées ou qui vivent en union de fait seraient exemptées?
M. Fantino: Oui, monsieur Ramsay. Nous avons assumé que les activités légales sont consensuelles et qu'elles...
M. Ramsay: Seraient exemptées?
M. Fantino: Oui.
M. Ramsay: D'accord. D'après votre expérience en la matière, toute la question du commerce de la prostitution juvénile, et le cas de ceux qui non seulement voyagent dans le pays mais qui franchissent des centaines de milliers de milles pour se rendre dans d'autres pays pour satisfaire leurs désirs, croyez-vous qu'ils le font à cause de leur orientation sexuelle?
M. Fantino: Ils sont motivés par le besoin de s'adonner à cette activité. Ils se rendent dans ces endroits parce qu'il y a disponibilité et qu'il n'y a presque pas de conséquences.
Il y a de nombreuses raisons pour cela. Certains pays ne prêtent presque aucune attention à ce problème. Dans d'autres, les autorités sont corrompues.
On vend des enfants. Nous l'avons appris en Suède. Il s'agit de la commercialisation de certaines infractions, des bénéfices réalisés. Il s'agit de pays du tiers monde qui vendent leurs enfants. Ces enfants sont vendus sur le marché et exploités sexuellement.
Une autre affirmation que nous avons entendue à maintes reprises est que les pédophiles croient que plus les enfants sont jeunes, moins il y a de risques de contracter le virus du VIH.
M. Ramsay: Il est impossible de vendre quelque chose si personne ne veut l'acheter, alors je vais parler des acheteurs. Croyez-vous qu'ils sont poussés par leur orientation sexuelle? Peuvent-ils être guéris? Peuvent-ils être traités?
La vice-présidente (Mme Torsney): Il y a des connotations psychologiques...
M. Fantino: Je ne peux pas discuter de cela, monsieur Ramsay. Je peux vous dire qu'à cet égard, je n'ai que la connaissance d'un profane. Je ne voudrais absolument pas influencer les honorables membres du comité en leur donnant les vues d'un profane.
M. Ramsay: Je ne faisais que demander. Merci.
M. Fantino: Par contre, les pédophiles m'effraient.
La vice-présidente (Mme Torsney): Mais vous avez plus de 18 ans, alors...
Monsieur Ramsay, en ce qui a trait aux prédateurs sexuels, je peux vous recommander un document préparé pour la conférence de Stockholm. Je crois qu'il se trouve à la bibliothèque. C'est un document fascinant, parce que diverses catégories de gens ont des motifs différents. C'est un document assez exceptionnel.
S'il ne se trouve pas à la bibliothèque, vous pourriez communiquer avec le bureau de la sénatrice Pearson. Je suis sûre qu'elle en a un exemplaire qu'elle pourrait vous prêter. C'est un document fascinant. Les motifs sont beaucoup plus nombreux qu'on pourrait le croire.
M. Ramsay: Merci beaucoup, madame la présidente.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci beaucoup aux témoins qui ont comparu devant le comité pour cette présentation au nom des chefs de police. Nous vous souhaitons un bon voyage de retour.
Merci à tous nos collègues d'avoir participé à cette séance. La séance est levée.