[Enregistrement électronique]
Le vendredi 22 novembre 1996
[Traduction]
La présidente: Je voudrais ouvrir ce qui est je crois la plus grande réunion du Comité de la justice de la Chambre des communes que nous ayons jamais eue.
Je préciserai pour le procès-verbal et à l'intention des gens qui nous regardent à 3 h du matin, quand ils n'arrivent pas à dormir et allument CPAC, que nous organisons aujourd'hui un forum national sur la criminalité chez les jeunes et le système de justice. C'est le dernier grand chapitre de l'examen de la Loi sur les jeunes contrevenants par le Comité de la justice.
Je voudrais souhaiter la bienvenue à tout le monde et remercier les participants d'être venus de loin pour nous donner, dans certains cas, une nouvelle chance de profiter de leur sagesse et je souhaiterai également la bienvenue à certaines personnes que nous n'avons encore jamais entendues et à qui nous avons demandé de se joindre à nous.
Les raisons de ce forum sont multiples. En ce qui concerne les différents participants, il y a peut-être autant de raisons d'organiser ou non ce forum qu'il y a de personnes autour de cette table. Il y a toutefois une chose que nous avons apprise tout au long de cette étude, c'est la conviction - que, je crois, nous partageons tous - que, dans de nombreuses parties du pays, on a une connaissance remarquablement inexacte du système canadien de justice pour les jeunes.
Un tel forum peut servir à la sensibilisation de la population ainsi qu'à celle du monde politique puisque d'autres députés auront peut-être, en fin de compte, à se prononcer sur les recommandations émanant de ce comité.
Nous avons ainsi également l'occasion de réunir des gens que nous avons rencontrés dans l'ensemble du pays; ils ont en commun un intérêt pour la jeunesse et le système de justice pour les jeunes et leurs opinions sont variées. En tant que parlementaires, cela nous donne une occasion concrète de faire quelque chose que, à mon avis, nous devrions faire, c'est-à-dire encourager et promouvoir un dialogue national sur les sujets intéressant les Canadiennes et les Canadiens.
Je dirai enfin à l'intention des membres du comité que nombre d'entre nous ont adopté des points de vue assez tranchés sur certaines questions, mais pas sur d'autres. Ceci est, pour nous, la dernière occasion de voir sur quoi pourrait s'établir un consensus national.
Je voudrais donner quelques précisions quant à la façon dont nous allons procéder aujourd'hui.
Comme je l'ai dit, nous avons avec nous des gens représentant tous les secteurs du système de justice pour les jeunes, y compris plusieurs membres de la magistrature auxquels je signalerais que, vu leur rôle d'arbitre, si certaines questions les gênent, ils ne seront pas tenus de répondre, mais il serait important pour nous de savoir qu'ils ressentent une telle gêne. Nous continuerons ensuite tout simplement notre débat.
Nous voulons vraiment profiter de vos conseils parce que vous formez une partie importante du système. Certains d'entre vous possèdent des connaissances spécialisées incroyables dont nous aimerions que vous nous parliez.
Je dois dire également - et j'ai négligé de le dire plus tôt - que nous essayons également ici, en réunissant de nombreux participants, de montrer qu'il y a d'énormes différences culturelles et économiques dans le pays. Il est important que les parlementaires et tous les Canadiens comprennent que, quand on examine un texte de loi ou qu'on élabore des politiques, il faut comprendre ces différents aspects de notre personnalité nationale et en tenir compte.
Les parlementaires adorent la procédure, tout comme les juges et les avocats ainsi que peut-être certains autres parmi vous. Je me suis assuré de l'appui des trois partis politiques représentés ici. Contrairement à notre habitude, nous n'allons pas donner le même temps de parole à tous les partis politiques. Nous interviendrons plutôt chacun à titre individuel.
Je choisirai arbitrairement un parlementaire pour lancer chaque partie du débat. M. Gallaway est en train de dire: «Pas moi, pas moi!» Je me fierai pour cela à mon jugement personnel, sachant que chaque parlementaire présentera chaque thème sous un jour particulier. J'espère que cela nous animera tous.
Si vous avez un commentaire à faire, veuillez lever la main et j'essaierai de vous donner la parole. Si vous me trouvez inéquitable, je serais heureux que vous me le signaliez durant la pause et nous essayerons d'y remédier.
Comme je l'ai dit, nous avons trois thèmes et je voudrais indiquer officiellement en quoi ils consistent et comment nous les avons choisis.
Le thème de la première partie de la séance de ce matin est l'intervention précoce destinée à éviter aux enfants et aux adolescents de tomber sous le coup du système de justice pour les jeunes.
Paddy Torsney, qui est vice-présidente de notre comité et députée de Burlington, explique toujours de façon très perspicace quel devrait être, à son avis, notre but quand nous examinons le système de justice pour les jeunes. Pour elle et, je pense, pour beaucoup d'entre nous, ce but n'est pas de s'occuper des adolescents qui commettent des délits, mais d'empêcher la perpétration de délits et de faire en sorte qu'il y ait moins de victimes.
L'une des choses que, je pense, nous croyons tous et que nous avons apprises est que l'intervention précoce donne de bons résultats. Les enfants qui risquent de commettre des délits peuvent être identifiés; on nous l'a dit.
Nous voulons donc parler de la façon dont on peut constater l'existence de problèmes et intervenir et nous voulons entendre votre opinion à ce sujet. Quand des jeunes sortent du droit chemin, que pouvons-nous faire à part les placer dans ce qui constitue fondamentalement un système très coûteux de tribunaux et de prisons? Comment nous occuper d'eux, tout au moins au début de leur activité criminelle, de façon à intervenir pour essayer de les tenir à l'écart du système et de préserver leur santé?
Le deuxième thème concerne la façon de traiter ces enfants une fois qu'ils sont entre les mains du système de justice pour les jeunes. Dans le premier thème, nous parlerons de l'intervention précoce, et des mesures de rechange pouvant être prises avant l'inculpation. Au cours de la deuxième partie de la journée, nous aimerions parler de ce qu'il faut faire après l'inculpation ainsi que des mesures de rechange et des réactions du public en ce qui concerne la réinsertion sociale des délinquants et des suites à donner à leur délit.
Enfin, à la fin de la journée, nous parlerons d'un domaine qui nous cause des problèmes à tous, je le sais, celui des façons possibles de traiter des jeunes gens très nombreux que l'on pourrait considérer comme des délinquants dangereux ou des récidivistes.
Voilà les trois thèmes que nous vous demanderons d'examiner. Ce sont ceux qui sont ressortis et ceux à propos desquels nous continuons d'engager un dialogue et c'est donc d'eux que nous allons parler.
Pour commencer, je demanderai aux personnes assises autour de cette table, sans nécessairement présenter leur point de vue, de s'identifier en nous disant qui elles sont et quels sont leurs antécédents, c'est-à-dire qui elles représentent et quelle est leur opinion.
Vous avez une minute chacun. J'ai un chronomètre et je suis méchant. J'ai aussi un marteau et j'aime m'en servir.
Je m'appelle Shaughnessy Cohen. Je suis députée de Windsor - Sainte-Claire. Je suis libérale. J'ai été élue en octobre 1993. Auparavant, j'étais criminaliste à Windsor, en Ontario, le centre de l'univers.
Mme Leena Augimeri (directrice, Under 12 Outreach Project, Earlscourt Child and Family Centre): Bonjour. Je m'appelle Leena Augimeri et je représente un organisme de Toronto appelé Earlscourt Child and Family Centre. Le projet «under-12 outreach» que je dirige est un programme innovateur et dynamique destiné aux enfants de moins de 12 ans qui entrent en contact avec la police. Des recherches effectuées par le ministère de la Justice ont récemment prouvé que ce programme donne d'excellents résultats.
Merci.
[Français]
L'honorable juge Michel Jasmin (juge en chef adjoint, Tribunal de la jeunesse du Québec, et président du Groupe de travail chargé d'étudier l'application de la Loi sur les jeunes contrevenants du Québec): Je m'appelle Michel Jasmin. Je suis juge en chef adjoint à la Chambre de la jeunesse à Montréal depuis 15 ans. J'ai eu le privilège de présider un groupe de travail chargé d'étudier l'application de la Loi sur les jeunes contrevenants. C'est une étude qu'on a faite pendant deux ans, de 1992 à 1995. On a traversé la province de Québec et on a fait un rapport, dont une copie a été déposée chez vous.
[Traduction]
La présidente: Merci.
Madame Toutant.
[Français]
Mme Cécile Toutant (criminologue, responsable de l'Unité des adolescents, Institut Pinel): Je m'appelle Cécile Toutant et je suis de Montréal. Je suis criminologue de formation. Depuis déjà plusieurs années, je travaille avec des adolescents qui ont commis des délits violents dans un département sécuritaire d'un hôpital psychiatrique. Il s'agit de la catégorie d'adolescents violents dont on parle souvent et dont on veut s'occuper dans la Loi sur les jeunes contrevenants.
D'autre part, je me suis beaucoup intéressée ces deux dernières années à la prévention, qui sera sûrement un des thèmes qu'on va aborder aujourd'hui, à travers le travail de la Fondation Docteur Philippe-Pinel, travail au cours duquel on a voulu mettre l'accent sur la transmission des connaissances de façon à faire de la prévention. Merci.
La présidente: Merci, madame. Maître Bastien.
Me Normand Bastien (avocat, directeur, Division jeunesse, Centre communautaire juridique de Montréal): Je m'appelle Normand Bastien. Je suis avocat depuis 23 ans. J'ai été principalement directeur de la Division jeunesse de l'Aide juridique de Montréal depuis 1977. Auparavant, j'ai reçu une formation de criminaliste.
Depuis 1977, j'ai eu l'occasion de participer à presque toutes les nouveautés, notamment la Loi sur la protection de la jeunesse au Québec et la mise en place de la Loi sur les jeunes contrevenants en 1982-1984.
J'ai aussi eu le plaisir d'être membre du groupe de travail auquel faisait allusion M. le juge en chef Jasmin plus tôt. Au cours des années 1994 et 1995, j'ai aussi eu le plaisir de coprésider un comité du Barreau du Québec qui se penchait sur ce que devrait être la représentation des enfants par avocat. Je participe évidemment quotidiennement à tout ce qui a trait à la justice pour les mineurs.
[Traduction]
La présidente: Monsieur St-Laurent.
[Français]
M. St-Laurent (Manicouagan): Je m'appelle Bernard St-Laurent. Je suis le député de Manicouagan et je représente le Bloc québécois du Québec, le centre de l'autre univers dontMme Cohen parlait.
Avant d'être élu, j'ai travaillé pendant quelques années dans un centre de détention, ce qui me donne un point de vue assez particulier au sein du Comité permanent de la justice et des questions juridiques et qui fait que je m'intéresse davantage au sort des jeunes, y compris aux lois qui traitent de la prévention et du traitement. Je m'intéresse à la façon dont cela se passe et aux façons d'éviter qu'un enfant en arrive là.
[Traduction]
La présidente: Merci, Monsieur Henteleff.
M. Yude Henteleff (Solliciteur honoraire, Association canadienne des troubles d'apprentissage): Je m'appelle Yude Henteleff. Je suis avocat à Winnipeg et, après avoir été président de l'Association canadienne des troubles d'apprentissage, j'en suis maintenant le solliciteur honoraire.
Je voudrais faire une correction. Winnipeg n'est pas seulement le centre géographique du Canada, c'est aussi le centre de beaucoup d'autres choses, comme vous le savez bien.
La présidente: Certains d'entre nous ont des idées fixes, Monsieur Henteleff.
M. Henteleff: Depuis de nombreuses années, notre association se préoccupe du fait qu'on ne considère pas toute la question des échecs scolaires comme un facteur de corrélation important entre les enfants à besoins particuliers et ceux qui entrent en conflit avec la loi.
Une étude réalisée dans plusieurs centres d'éducation surveillée de l'Ontario a, par exemple, montré que 77 p. 100 de leurs élèves étaient considérés comme des enfants exceptionnels et que12 p. 100 d'entre eux avaient des troubles d'apprentissage. Une étude récemment effectuée dans le système pénitentiaire a révélé qu'environ 30 p. 100 des détenus souffraient de troubles d'apprentissage graves.
Nous trouvons très préoccupant qu'un tel facteur de causalité n'ait pas reçu l'attention qu'il mérite. Je profite de votre présence pour vous remettre une étude que nous avons réalisée ainsi que les statistiques que voici et d'autres études que, je l'espère, vous aurez l'occasion de lire.
La présidente: Merci.
Monsieur Trudell.
M. Bill Trudell (président du chapitre de Toronto, Conseil canadien des avocats de la défense): Je m'appelle Bill Trudell. Je travaille comme avocat de la défense dans une petite ville du nom de Toronto. Je suis vice-président de l'Association des criminalistes de l'Ontario et je me présente ici en tant que président du chapitre de Toronto du Conseil canadien des avocats de la défense, organisation nationale des avocats de la défense de l'ensemble du pays fondée en 1992. Je suis ici pour, je l'espère, défendre quelque peu le point de vue des avocats de la défense relativement à certaines des difficultés concrètes concernant la protection des enfants.
La présidente: M. Trudell a omis de signaler qu'il est diplômé de l'Université de Windsor.
Des voix: Oh, oh!
La présidente: Madame Torsney.
Mme Torsney (Burlington): Les deux centres de l'univers...
Je m'appelle Paddy Torsney. Je suis députée de Burlington. Je n'ai pas de formation juridique, mais il me semble que, comme la présidente l'a précisé, nous devons trouver un moyen pour que moins d'enfants sortent du droit chemin et qu'il y ait moins de victimes dans notre société. En ce qui concerne les enfants qui sortent du droit chemin, nous devons trouver une façon plus efficace de nous assurer qu'ils deviennent, en grandissant, des jeunes Canadiens productifs et en bonne santé.
Il me paraît également important de veiller à éliminer les mythes qui existent, de mieux cerner les réalités et de pratiquer un meilleur échange de renseignements afin que nous n'ayons pas tous à essayer de réinventer la roue, chacun de notre côté, et que nous puissions nous mettre mutuellement au courant des meilleures pratiques. J'ai trouvé merveilleux de voyager dans tout le pays et de rapporter ces renseignements chez moi, car cela nous donne à tous une meilleure chance de réussite.
La présidente: Docteur Keeling.
Dr Ken Keeling (psychologue en chef, Centre Syl Apps): Je m'appelle Ken Keeling. Je suis psychologue en chef au Centre de jeunes Syl Apps à Oakville, ville qui se trouve un peu à l'ouest de la rue Yonge. Je ne sais pas si c'est le centre de quoi que ce soit. J'y travaille depuis quatorze ans d'une façon ou d'une autre avec les jeunes contrevenants, que l'on appelait délinquants juvéniles quand j'ai commencé. Ma première expérience date de l'été 1968, quand j'étais étudiant.
Je me suis posé de nombreuses questions et je crois pouvoir encore résumer ma réponse en reprenant, sans les citer exactement, les propos de H.L. Mencken qui disait: «Pour tout problème complexe, il existe une solution simple et elle est erronée».
J'ai réfléchi à cela. Je suis ici pour apprendre. Après une vingtaine d'années d'expérience, je ne suis pas sûr d'avoir tant de réponses que cela. J'espère simplement que nous pourrons trouver certaines des questions pertinentes. Alors, quelle que soit la forme d'expérimentation sociale adoptée par le comité, je pense qu'elle sera choisie en connaissance de cause.
M. DeVillers (Simcoe-Nord): Je m'appelle Paul DeVillers. Je suis député de Simcoe-Nord en Ontario. Je suis secrétaire parlementaire du ministre des Affaires intergouvernementales. Dans la vie réelle, je suis avocat et membre du Comité permanent de la justice et des affaires juridiques.
La présidente: Le sergent d'État major Bouwman.
Le sergent d'état-major Jake Bouwman (GRC): Je m'appelle Jake Bouwman. Je suis membre de la GRC. Je suis responsable d'un petit détachement à Sparwood, ville d'environ5 000 habitants située à la frontière entre l'Alberta et la Colombie-Britannique à proximité des États-Unis.
En janvier 1995, un avocat de la défense locale, Glen Purdy, et moi-même avons lancé ce qu'on appelle le Sparwood youth assistance program, programme visant à déjudiciariser les jeunes avant leur comparution devant un tribunal; on réunit le jeune contrevenant, la victime et leurs entourages respectifs pour les amener à un consensus sur les suites à donner aux accusations portées contre lui.
La présidente: Merci. Monsieur Ramsay.
M. Ramsay (Crowfoot): Je m'appelle Jack Ramsay. Je suis député de Crowfoot. Je suis critique de la justice du Parti réformiste du Canada. J'habite à Camrose, en Alberta, avec mon épouse Glenna. Nous avons quatre enfants qui sont de jeunes adultes. Bien entendu, il y a plus de neige à Camrose qu'à n'importe quel autre endroit dans le monde aujourd'hui.
Des voix: Oh, oh!
M. Ramsay: J'ai passé quatorze ans dans la GRC et j'étais conseiller d'entreprise au moment de mon élection.
La présidente: Madame Martz.
Mme Liza Martz (Comité de la Division jeunesse du Tribunal de la famille de Vancouver): Je m'appelle Liza Martz. Je suis avocate à Vancouver. Pendant un certain temps, j'ai travaillé exclusivement comme avocate de la défense pour les adolescents qui étaient placés sous la tutelle du ministère des Services sociaux de Colombie- Britannique. Ce ministère a été récemment rebaptisé ministère des Enfants et des Familles.
J'ai également travaillé pendant un certain temps aux côtés du juge Gove dans l'équipe qui réalisait sous sa direction une enquête sur le ministère des Services sociaux de Colombie-Britannique.
Je suis ici toutefois aujourd'hui à titre personnel en tant que membre du Comité de la Division jeunesse du Tribunal de la famille de Vancouver. Je dirai simplement que, quand je représentais des jeunes gens, j'ai rarement constaté que, quand ils étaient exposés au système de justice pour les jeunes, celui-ci avait sur eux des conséquences à long terme. Je dis rarement parce que je veux me réserver le droit de faire des déclarations empreintes d'un certain espoir en m'adressant à au moins un juge de cour provinciale ici présent. J'ai toutefois toujours vu des lueurs d'espérance et des indications révélant quelles sortes de mesures pouvaient donner de bons résultats et j'espère que nous pourrons orienter le débat dans cette direction.
La présidente: Susan Reid-MacNevin.
Mme Susan Reid-MacNevin (vice-présidente, Questions de politique, Société John Howard du Canada): D'abord et avant tout, je suis professeur au département de sociologie de l'Université de Guelph où mes cours portent sur les questions touchant la criminalité et la déviance. Je m'acharne depuis longtemps sur la Loi sur les jeunes contrevenants pour que la population soit mieux informée.
Je suis ici aujourd'hui en tant que vice-présidente des questions de politique de la Société John Howard du Canada. Nous sommes intervenus à de nombreuses reprises devant le Comité permanent pour essayer de lui rappeler combien il est important de veiller à faire comprendre à la population l'écart qui existe entre la réalité de la délinquance juvénile et ce qui est considéré comme un milieu inspirant la crainte. Nous insistons également aussi fortement que possible sur la nécessité d'éviter d'envoyer des jeunes gens dans les pénitenciers fédéraux que nous considérons comme un milieu qui leur porte gravement préjudice.
La présidente: Chuck Cadman.
M. Chuck Cadman (la Fondation CRY (Crime Responsibility and Youth)): Je représente l'organisation appelée Crime Responsibility and Youth et on indique, je ne sais pourquoi, sur la liste des témoins que je viens d'un endroit qui s'appelle «Savoy» en Colombie- Britannique. Je viens, en fait, de la république de Surrey en Colombie-Britannique.
Des voix: Oh, oh!
M. Cadman: La seule raison justifiant ma présence à cette table est que je suis le père d'un jeune homme qui a été assassiné il y a quatre ans.
Notre organisation souhaite que l'on impose des peines beaucoup plus sévères aux jeunes contrevenants auteurs d'actes de violence. Je travaille également beaucoup dans les écoles où je parle aux enfants de la violence et de ses ramifications et je collabore avec un programme de déjudiciarisation à Maple Ridge, en Colombie-Britannique, qui s'adresse aux contrevenants primaires.
La présidente: Janis Page.
Mme Janis Page (directrice, John Howard House): Je viens d'Edmonton et je représente la Société John Howard d'Edmonton où je dirige depuis dix ans Howard House, un foyer pour jeunes contrevenants. J'ai la conviction que la question de la délinquance juvénile et du système de justice pour les jeunes n'est pas seulement pour nous tous un sujet de préoccupation, mais aussi une responsabilité. Je m'intéresse beaucoup aux trois thèmes dont nous allons parler aujourd'hui.
La présidente: Priscilla de Villiers.
Mme Priscilla de Villiers (présidente, CAVEAT): Bonjour. Je m'appelle Priscilla de Villiers. Je suis présidente d'une organisation intitulée CAVEAT. CAVEAT est une organisation populaire nationale caritative et à but non lucratif. Mes qualifications, pour autant que j'en ai, sont le fait que j'ai enseigné dans une école secondaire de garçons en Afrique du Sud il y a bien des années. J'ai aussi donné des cours de pédagogie dans deux universités d'Afrique du Sud.
Il y a cinq ans, ma fille, Nina, a été assassinée par un homme qui avait commis plusieurs actes de violence contre des femmes depuis 11 ans. Comme j'ai pu participer officiellement à l'enquête, j'ai vu ses bulletins scolaires depuis qu'il avait cinq ans. Je pense qu'il a fréquenté 12 écoles différentes avant d'atteindre la sixième année et, dans chaque bulletin, on disait qu'il était sujet à de graves colères, qu'il avait de graves problèmes de comportement, des rages incontrôlables, etc.
Il avait été membre des cadets de l'armée et de la marine. Il avait reçu une formation poussée dans l'utilisation des armes à feu et, pourtant, ses camarades étaient tous terrifiés à l'idée de travailler avec lui et, en fait, ils refusaient de le faire. Il avait travaillé chez Dofasco où on n'avait rien à lui reprocher pour son travail, mais il y avait un énorme dossier sur lui parce que les autres employés de Dofasco étaient terrorisés de devoir travailler avec lui.
Ce qu'il faut signaler est que, pendant les 32 ans de sa vie, personne n'était jamais intervenu. En voyant le carnage qu'il avait commis - au moins huit femmes agressées très gravement, deux femmes tuées, une tentative d'enlèvement et, pour finir, il s'était suicidé en laissant quatre enfants ayant un meurtrier pour père - , j'ai été forcée de me rappeler les leçons que j'avais apprises de nombreuses années auparavant.
Nous avons alors formé, je ne sais pas trop comment, un groupe de défense des droits des victimes, mais, plus que cela, nous intervenons publiquement pour promouvoir la sécurité. Notre organisation aura cinq ans en janvier officieusement et en juin officiellement. Au cours de ces cinq années, j'ai voyagé dans tout le pays, généralement en tant que présidente de CAVEAT, mais également en tant que membre du Conseil national de prévention du crime et je dois préciser que les idées que j'exprime sont les miennes. Joan Pennell présentera le point de vue qui fait l'unanimité du groupe.
Il y a de nombreuses victimes. Ce sont les parents des enfants qui soit ne sont pas là, soit sont très gravement blessés. Ce sont les parents des jeunes contrevenants. Mais, plus que cela, les jeunes sont le seul groupe qui soit homogène, toutes catégories confondues, et qu'on regroupe en un seul ensemble. Les jeunes se fondent généralement dans ce groupe de gens de leur âge pendant une quinzaine d'années et les contrevenants et les victimes sont interchangeables au sein de ce groupe. En mettant seulement l'accent sur les gens qui attirent en fait l'attention du système de justice, nous ne créons pas seulement une atmosphère suscitant une plus grande violence contre laquelle doivent se protéger les enfants, mais nous sommes impuissants à donner aux autres jeunes, qui ont souvent la même origine sociale et les mêmes problèmes que les contrevenants, les outils permettant d'affronter une confrontation violente dont ils auront besoin dans le reste de leur vie. À mon avis, nous avons échoué sur tous les plans pour ce qui est de régler ce problème.
Au cours de mes voyages dans tout le pays, je n'ai rencontré personne qui trouve que la façon dont vont les choses est totalement satisfaisante. J'ai entendu des gens parler du succès qu'ils obtiennent dans leur domaine, mais je n'ai encore rien trouvé qui fasse l'unanimité.
Très franchement, j'ai l'impression, même si c'est une banalité, que la Loi sur les jeunes contrevenants contrevient à ses propres objectifs. Le manque de confiance envers le nom qu'elle porte, Loi sur les jeunes contrevenants, est si endémique maintenant chez les jeunes et dans les autres groupes d'âge que je pense qu'il faut la restructurer, l'examiner vraiment et changer son allure et son nom. Il faudrait en retirer ce qu'elle a de meilleur et se débarrasser de ce qu'elle a de pire.
Merci.
La présidente: Merci, madame de Villiers.
Monsieur Sharkey.
M. Neil Sharkey (Avocat de la défense, Iqaluit, Territoires du Nord-Ouest): Merci. Je m'appelle Neil Sharkey et je suis directeur juridique d'une clinique d'aide juridique de l'île de Baffin qui est située juste au nord de l'extrémité supérieure du Québec. Notre bureau s'appelle Maliiganik Tukisiiniakvik, c'est-à-dire, si on traduit plus ou moins littéralement cette expression de l'Inuktitut, un endroit où les gens peuvent aller pour trouver une aide juridique mais également pour comprendre les problèmes juridiques.
Je porte deux chapeaux. Je travaille comme criminaliste au tribunal où je dirige d'autres avocats et le personnel du tribunal. Je travaille également avec un conseil communautaire d'anciens Inuit qui s'intéressent beaucoup aux jeunes et constatent que leurs propres enfants connaissent les mêmes difficultés que les enfants qui vivent ici dans le sud et ces enfants leur échappent.
En tant que criminaliste, je connais et je partage les préjugés traditionnels de beaucoup de criminalistes pour qui la Loi sur les jeunes contrevenants n'a pas de défauts particuliers. Elle contient tout ce qu'il faut et prévoit toutes les formes d'intervention nécessaires.
En ce qui concerne les ressources et le mandat de votre comité, vous devriez influencer autant que vous pouvez les transferts de crédits fédéraux aux provinces pour favoriser l'intervention précoce. Consacrez plus d'argent à la probation individuelle et aux services de ce genre.
C'est un plaisir pour moi que d'être ici aujourd'hui avec les gens qui sont ici. Je suis particulièrement heureux de rencontrer pour la première fois le Sergent d'État major Bouwman de Sparwood dont j'ai tant entendu parler. Le mois dernier, ici, à Ottawa... les interventions réalisées dans le cadre du projet Sparwood sont parmi les plus fructueuses qu'on ait vues dans notre pays et j'aimerais pouvoir appliquer les leçons de ces expériences là où je vais.
Mon conseil d'administration à Maliiganik Tukisiiniakvik commence à s'occuper individuellement des jeunes contrevenants que nous confie le système judiciaire. Nous les amenons dans la nature, pour chasser, pour camper et pour aller dans des camps isolés. Cela transforme les gens.
Merci, madame la présidente.
La présidente: Merci, Neil.
Juge Lilles.
Son honneur le Juge Heino Lilles (juge de la Cour territoriale du Yukon): Je m'appelle Heino Lilles. Je suis juge dans le Territoire du Yukon depuis 10 ans. Par définition, cela veut dire que je siège une grande partie du temps dans de petites villes. En tant que juge, je porte trois chapeaux différents. Je siège au tribunal de la protection de l'enfance, au tribunal pour adolescents et au tribunal pour adultes.
Depuis 10 ans que je suis juge, j'ai vu les enfants passer du tribunal de protection de l'enfance au système judiciaire pour adolescents et ensuite au système judiciaire pour adultes - dans certains cas, c'était quasiment joué d'avance. Ce que je veux dire par là est que, dès que je voyais un jeune enfant pour la première fois au tribunal de protection de l'enfance, je savais souvent très clairement ce qui allait se passer plus tard.
L'expérience m'a enseigné un certain nombre de choses, notamment que, contrairement à ce à quoi s'attend la population, une loi à elle seule, qu'il s'agisse de la Loi sur les jeunes contrevenants ou du Code criminel, ne peut pas réduire de façon importante la criminalité dans notre société.
La présidente: Merci, votre honneur.
Jim Robb.
M. Jim Robb (conseiller juridique principal, bureau de l'Aide juridique, Division jeunesse, Edmonton, Alberta): Je m'appelle Jim Robb. J'enseigne à la faculté de droit de l'Université de l'Alberta.
Il y a environ trois ans et demi, j'ai obtenu un détachement pour mettre en place et administrer des bureaux d'aide juridique pour jeunes à Calgary et Edmonton. Ce projet avait pour but de mettre des avocats de la défense à la disposition des jeunes, mais vu la façon dont il a été conçu, il va en fait beaucoup plus loin que cela.
Notre attitude est très peu conventionnelle, tout au moins pour l'Alberta, dans le sens où nous sommes des avocats qui espèrent que leurs clients n'auront pas à nouveau recours à leurs services. Je veux dire par là que nous insistons fortement sur la nécessité d'offrir un traitement à ces enfants. Au cours des trois dernières années, nous avons placé un millier d'enfants dans des programmes de traitement de la Colombie-Britannique au Labrador.
En outre, nous partons du principe qu'il existe une énorme carence de ressources pour les jeunes, carence qui s'aggrave sans cesse. Nous collaborons avec d'autres organismes communautaires, dont certains sont représentés aujourd'hui à cette table, pour essayer de mettre sur pied des programmes très ciblés visant à répondre aux besoins des jeunes. Ils couvrent toute la gamme des programmes de prévention pour les jeunes, depuis ceux qui n'ont pas encore 12 ans jusqu'à ceux de 18 ans.
Dans notre bureau, nous ne fermons jamais le dossier d'un enfant. Le simple fait qu'une procédure juridique est terminée n'a pas d'importance pour nous. Il y a des enfants qui reviennent nous voir parce qu'ils ont besoin d'aide, même s'ils ont 20 ans. Nous voulons leur fournir un lieu sûr où trouver de l'aide avant de quitter à nouveau le droit chemin.
J'avoue que le système de lutte contre la délinquance des jeunes est pour moi une source de frustrations énorme, mais mes frustrations sont peut-être différentes de celles de certaines autres personnes ici. Lorsque j'étudiais le droit au cours des années 1970, j'ai entendu parler de la surreprésentation des Autochtones. Actuellement, en Alberta, 87 p. 100 des personnes incarcérées de moins de 15 ans sont autochtones. Les Autochtones représentent 65 p. 100 de l'ensemble de la population carcérale.
À mon avis, la Loi sur les jeunes contrevenants est plus que satisfaisante. Ce qui n'est pas satisfaisant est la façon dont nous tenons les promesses de cette loi selon lesquelles nous devions commencer à prendre au sérieux la guérison, le traitement et la réinsertion sociale.
La présidente: Merci, monsieur Robb.
Madame Church.
Mme Leslie Church (membre, Conseil de la jeunesse de la ville d'Edmonton): Bonjour. Je suis étudiante à l'Université de l'Alberta. Je projette d'étudier le droit plus tard et je suis donc contente de rencontrer ici M. Robb. Aujourd'hui, je représente toutefois le Conseil de la jeunesse de la ville d'Edmonton.
Pour situer un peu les choses, ce conseil a été créé par notre ancien conseil municipal dans le cadre de l'initiative sur la sécurité dans les villes. Nous occupons en règle générale des questions locales touchant la jeunesse mais nous touchons aussi un peu à certaines questions provinciales ou plus nationales.
En ce qui concerne la Loi sur les jeunes contrevenants, on me demande fréquemment, entre autres choses, ce que les jeunes pensent de cette loi; j'ouvre alors tout grands les yeux pour dire que nous sommes tout aussi perplexes... ou que nous avons de nombreuses opinions différentes, tout comme les adultes. Il y a beaucoup de divergences entre les idées et les opinions des jeunes sur cette question.
Toutefois, pour ce qui est du conseil, je pense que l'un de nos principes essentiels est que nous sommes là pour protéger les intérêts des jeunes et accorder la priorité à leur bien-être par rapport à celui des autres groupes de la société et à leurs intérêts. Je voudrais donc en particulier profiter de ma présence ici aujourd'hui pour m'assurer qu'on continue bien de mettre l'accent sur le bien-être des jeunes et qu'on prend grand soin de se pencher sur les problèmes qui sont à la source de la délinquance juvénile plutôt que sur les problèmes qui se posent une fois qu'un jeune contrevenant relève déjà de la justice. Je pense que, si l'on examine les raisons pour lesquelles des jeunes commettent des délits, on constate que cela est principalement dû aux circonstances qui prévalent avant la perpétration d'un délit: des choses comme la pauvreté au cours de leur enfance, le chômage des jeunes, l'instabilité familiale. Je pense que ce sont les vrais problèmes de société qu'il faut régler avant de pouvoir parler d'une réforme proprement dite de la loi.
La présidente: Merci.
Heather Kinnear.
Mme Heather Kinnear (agente de probation et de libération conditionnelle, Association des agents de probation de l'Ontario): Je suis membre de l'Association des agents de probation de l'Ontario, qu'on désigne généralement sous l'appellation AAPO, parce que c'est un nom un peu compliqué. L'AAPO a été créée en 1954 et elle représente les intérêts professionnels de quelque900 agents de probation et de libération conditionnelle de l'Ontario. C'est la seule organisation de ce type au Canada.
Notre association a énoncé un certain nombre d'objectifs. Nous voulons notamment parler de façon crédible des questions touchant la justice criminelle et présenter des points de vue représentatifs à divers décideurs au sujet des questions législatives. Nous avons préparé plusieurs rapports au fil des ans et nous avons apporté une contribution à des choses comme les modifications apportées récemment à la Loi sur les jeunes contrevenants, à l'examen du système de libération conditionnelle de l'Ontario et, plus récemment, à l'introduction de mesures disciplinaires strictes en Ontario.
Les agents de probation et de libération conditionnelle que représente l'AAPO sont ceux que le gouvernement de l'Ontario désigne comme délégués à la jeunesse aux fins de l'application de la Loi sur les jeunes contrevenants et je pense donc que nous sommes bien placés pour proposer une contribution et une méthodologie de première ligne et nous serions très intéressés aussi bien à essayer d'appliquer certains des commentaires et des renseignements que nous rapporterons de cette réunion qu'à parler, en nous fondant sur notre expérience, de ce qui nous paraît donner de bons ou de mauvais résultats au niveau des activités de première ligne.
La présidente: Merci.
Sandi Gleason.
Mme Sandi Gleason (Conseil des Premières nations du Yukon): Je représente le Conseil des Premières nations du Yukon. Je fais également partie du Conseil national de prévention du crime.
Je travaille dans le secteur de la justice au Yukon. Ces dernières années, nous avons surtout mis l'accent sur les adultes mais, depuis environ un an, nous essayons de nous occuper des jeunes. Le conseil pour lequel je travaille commence seulement à faire cela.
La présidente: Merci. Darren Winegarden.
M. Darren W. Winegarden (directeur de la justice, Fédération des nations indiennes de la Saskatchewan): Bonjour. Je suis directeur de la justice à la Fédération des nations indiennes de la Saskatchewan. J'exerce le métier d'avocat et je fais de très gros efforts pour essayer de créer de nouveaux modèles de justice pour les Premières nations de la Saskatchewan et pour les mettre en oeuvre. Je m'occupe beaucoup des cercles de détermination de la peine et y ai recours en collaboration avec les juges et les Premières nations. Je peux personnellement dire que j'ai tenu assez de gens à l'écart des prisons - et je pense seulement à trois personnes - pour économiser 1,5 million de dollars au système, si on considère qu'il en coûte 150 000 $ par an au système pour les garder en prison.
Je sais que ce concept judiciaire novateur peut permettre d'économiser de l'argent et qu'il donnera de bons résultats. Je sais toutefois qu'il faut le financer de façon réaliste pour qu'il donne ces résultats.
Je suis ici pour présenter ce document qui est le mémoire que nous avons préparé pour la commission. Il comprend 22 recommandations portant sur des modifications à apporter à la Loi sur les jeunes contrevenants ainsi que des modifications qui ne concernent pas cette loi, mais pourraient se traduire par des changements dans la politique du gouvernement. J'espère que de solides recommandations dans ces domaines pourront émaner de votre commission et de notre réunion d'aujourd'hui. Merci beaucoup.
La présidente: Merci.
Shannon.
M. Shannon Cumming (avocat, coordonnateur des projets spéciaux, Nation Métis, Yellowknife, Territoires du Nord-Ouest): Merci, madame la présidente. Je travaille comme avocat pour la Nation Métis à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest. Nous représentons approximativement 7 000 personnes d'origine métisse dans l'ouest des Territoires du Nord-Ouest.
Je vous suis reconnaissant de m'avoir permis de m'adresser à votre comité lorsque vous nous avez rendu visite à Yellowknife. Je crois que nous vous avons fait connaître à ce moment-là nos préoccupations relativement à la Loi sur les jeunes contrevenants.
Je crois que nous sommes ici aujourd'hui pour parler de solutions. Pour nous, dans notre milieu, les problèmes ne sont que trop apparents. Je vais notamment souligner la question de la démographie. Nos jeunes sont souvent surreprésentés dans le système judiciaire mais il faut également dire que, dans les villages autochtones, il y a aujourd'hui un très grand nombre de jeunes gens. Ce qui nous inquiète est que, si on ne règle pas ces problèmes aussi vite que possible, la situation ne fera qu'empirer.
Je serai heureux de faire part des connaissances que nous avons chez nous aux personnes réunies autour de cette table. Je suis vraiment impressionné par ce que j'ai entendu jusqu'à présent. Je mettrai peut-être l'accent plus tard sur l'une des initiatives en matière d'intervention précoce que nous avons entreprise à Fort Smith, dans les Territoires du Nord-Ouest, et qui s'appelle Challenge to Change. Elle s'adressera à environ 300 jeunes Autochtones à risque. Cela nous permettra peut-être de trouver des solutions permettant de maintenir nos jeunes en dehors du système judiciaire. Merci.
La présidente: Merci.
Michele Peterson-Badali.
Dr Michele Peterson-Badali (présentation individuelle): Je suis ici à titre personnel, mais je présenterai trois points de vue différents. Je suis psychologue du développement à l'Institut d'études pédagogiques de l'Ontario à l'Université de Toronto. Ces dix dernières années, mes recherches ont principalement porté sur les questions touchant le système de justice pour les jeunes - la façon dont les étudiants aussi bien que les jeunes contrevenants et les jeunes adultes voient le système, leurs perceptions du système.
Je suis également membre du conseil d'administration d'une clinique d'aide juridique de Toronto qui s'appelle Justice for Children and Youth; elle représente des jeunes de moins de 18 ans. Je suis également membre d'une organisation nationale du nom de Youth Justice Education Partnership, qui est parrainée par le ministère de la Justice et qui étudie de façon très générale les questions de justice et d'éducation en ce qui concerne les jeunes.
La présidente: Merci.
Le suivant est le Dr Leschied. Il habite à Windsor.
Dr Alan Leschied (directeur associé, London Family Court Clinic): J'y habitais avant.
Je remercie beaucoup la présidente. Je travaille comme psychologue à la London Family Court Clinic et c'est avec une immense fierté que je présente son travail. Cette clinique est un centre de santé mentale pour enfants partiellement subventionné, mais le gouvernement provincial réduit presque de minute en minute les crédits que nous recevons.
Depuis une vingtaine d'années, nous avons beaucoup travaillé dans tous les secteurs touchant les jeunes contrevenants. Il y a plusieurs dizaines d'années, nous avons commencé à évaluer les répercussions de la Loi sur les jeunes contrevenants. Ce travail nous a rapidement incités à mettre l'accent sur la prévention. Beaucoup d'entre vous sont peut-être au courant des travaux que mes collègues ont réalisés au sujet de la violence familiale et qui établissent les liens de causalité existant entre la délinquance, plus particulièrement les actes de violence criminelle, et ce qui se passe dans le milieu où vivent les jeunes et dans leur famille.
Deuxièmement, nous avons récemment collaboré à la rédaction d'un plan d'action pour la prévention pour le Conseil national pour la prévention du crime. Il a été publié en juin dernier. Il conclut, ce qui ne surprendra personne, que, pour être équilibré, un enfant doit grandir dans un milieu favorable. Nous essayons d'insister constamment sur ce fait.
Notre clinique se consacre à la réalisation des évaluations prévues par l'article 13 de la Loi sur les jeunes contrevenants. C'est cet article qui autorise les juges à demander l'établissement de rapports médicaux et psychologiques.
Nous participons également aux audiences de renvoi. Nous participons activement à l'évaluation de jeunes gens lorsque des demandes de renvoi sont présentées en vertu de cet article non seulement en Ontario, mais également dans d'autres parties du pays. Je pense qu'il est important que, dans la procédure de renvoi... Nous pourrons discuter de cela plus tard. La procédure de renvoi se déroule quand les responsables locaux décident que le système de justice pour les jeunes ne peut plus rien changer au destin d'un contrevenant, non seulement en ce qui concerne son délit, mais également ce qu'il va advenir de lui enfin de compte. Je pense que c'est un élément important de notre système de justice pour les jeunes.
Une autre activité importante de notre clinique est sa participation au travail d'évaluation de la recherche, surtout quand on se penche sur la minorité de jeunes gens qui échouent dans le système de justice pour les jeunes. Que faut-il faire pour obtenir des résultats? Je pense que si nous sommes donnés une mission dans ce domaine, c'est de faire en sorte que tout ce que nous faisons soit conforme aux meilleures connaissances et aux meilleures pratiques de ce domaine afin que nous ne finissions pas par faire des choses qui non seulement ne semblent pas très fructueuses, mais qui peuvent en fait aggraver nos problèmes en renforçant le comportement social de certains jeunes.
Je répéterai que je suis très fier de représenter le travail de notre clinique ici à ce comité.
La présidente: Merci, Dr Leschied.
Monsieur Lonar.
M. William Lonar (directeur, établissements pour jeunes contrevenants, Division des services correctionnels, ministère de la Justice de Nouvelle-Écosse): Merci, madame la présidente. Je suis directeur intérimaire des établissements pour jeunes contrevenants en Nouvelle-Écosse et j'étais auparavant surintendant du Centre jeunesse de la Nouvelle-Écosse.
Au cours des dix dernières années, le Centre jeunesse de Nouvelle-Écosse étant un grand établissement de garde en milieu fermé, j'y ai vu passer beaucoup de jeunes hommes, de jeunes garçons, qui ne devraient pas nécessairement être placés dans ce système. C'est nécessaire pour un certain pourcentage d'entre eux, mais si différents organismes gouvernementaux étaient intervenus auprès d'eux quand ils étaient encore très jeunes, un grand nombre d'entre eux auraient pu éviter l'incarcération. Ce en quoi je place mes espoirs, et c'est ce dont j'entends parler ici aujourd'hui, c'est l'intervention précoce. Du point de vue institutionnel et du point de vue de la justice, je pense que c'est important.
En Nouvelle-Écosse, ces derniers mois, cinq ministères différents se sont efforcés de partager leurs ressources. Nous constatons que certains services font double emploi. Nous n'avons pas assez d'argent et nous commençons donc maintenant à partager avec d'autres les ressources et les connaissances spécialisées dont nous disposons dans notre établissement en créant des programmes communautaires pour aider à régler les problèmes des enfants de tous âges.
On a déjà mentionné un autre facteur qui me paraît important. Lorsqu'il y a des auteurs de délits graves qui doivent passer par le système, une fois que le tribunal a déterminé leur peine, ils réintègrent la société où rien n'est prévu pour eux. Il n'y a pas d'assistance postpénale. C'est aussi extrêmement important pour cette catégorie de gens. Nous relâchons beaucoup de jeunes qui sont dans nos établissements en Nouvelle-Écosse parce que la question de leur sentence a été réglée par le tribunal et ils se retrouvent dans le même environnement, la même situation et le même milieu. Nous les préparons simplement à entrer plus tard dans les établissements provinciaux et fédéraux pour adultes.
La présidente: Merci, monsieur Lonar.
Monsieur Discepola.
[Français]
M. Discepola (Vaudreuil): Je suis ici pour entendre les commentaires qui seront émis aujourd'hui. Je suis le député fédéral de la circonscription de Vaudreuil au Québec, mais il est peut-être plus important de souligner que je suis le secrétaire parlementaire du solliciteur général du Canada, l'honorable Herb Gray qui, comme on le sait, habite la région de Windsor. Cela me qualifie peut-être pour siéger à ce comité, madame la présidente.
[Traduction]
La présidente: C'était très bien.
[Français]
M. Discepola: Je suis également le père de quatre enfants qui m'ont laissé croire que les jeunes d'aujourd'hui étaient plus sévères à l'égard des jeunes contrevenants que nous le sommes.
[Traduction]
Je m'assieds très souvent avec eux pour discuter des jeunes contrevenants, parce que j'ai été jadis maire de la ville de Kirkland, qui est située à la pointe ouest de l'île de Montréal. Quand je rentre chez moi chaque soir, je repense constamment à la tragique affaire Toope, parce que j'ai maintenant toujours tendance, quand je tourne à droite pour rentrer chez moi, à regarder à gauche, là où vit et vivait à l'époque le meurtrier de 13 ans.
Notre ville a été ébranlée par cette tragédie. Toute la collectivité a été touchée et nous avons dû nous rendre compte collectivement que, notre secteur étant très riche par rapport au reste du Canada, le système de justice pénal pour les jeunes ne connaît pas de frontières, qu'elles soient de nature culturelle, linguistique ou autre.
J'ai été très affecté par cette affaire, notre ville aussi. J'espère tirer des leçons de la masse de renseignements et de connaissances que possèdent les personnes présentes autour de cette table afin que les législateurs que nous sommes puissent empêcher la répétition de tragédies de ce genre, si nous le pouvons.
Nous devons discuter des options possibles et faire en sorte que nos villes deviennent beaucoup plus sûres. J'écouterai donc avec intérêt les contributions de tout le monde.
La présidente: Merci.
Monsieur Maloney.
M. Maloney (Erie): Merci, madame la présidente. Je m'appelle John Maloney. Je suis député de la circonscription d'Erie, qui se trouve dans la péninsule du Niagara, dans le sud de l'Ontario.
Avant d'être député, j'étais avocat dans une petite ville. J'ai acquis une certaine expertise, ou peut-être pas, en élevant cinq enfants qui ont entre 10 et 20 ans.
J'ai eu la chance de voyager dans tout le pays et de siéger ici, à Ottawa, au Comité de la justice. On nous a présenté des points de vue parallèles ou parfois opposés et nous avons remarqué certaines différences selon les régions. J'espère que nous pourrons aujourd'hui régler certaines de ces différences.
Cela bénéficiera, bien entendu, à notre Comité de la justice, mais aussi aux citoyens de notre pays, plus particulièrement à nos jeunes. C'est pour cette raison que nous vous remercions d'être ici aujourd'hui.
La présidente: Merci.
Monsieur Doob.
M. Anthony Doob (Centre de criminologie, Université de Toronto): Je m'appelle Tony Doob et je viens du Centre de criminologie de l'Université de Toronto.
Il y a deux choses sur lesquelles je voudrais particulièrement insister aujourd'hui. Je veux, premièrement, vous inviter à être sceptiques vis-à-vis de l'idée qu'en apportant des modifications à la Loi sur les jeunes contrevenants, on lui gagnera le soutien de la population. J'ai entendu dire cela. Je suis assez vieux pour avoir entendu dire cela en 1986, puis à nouveau en 1992 et à nouveau en 1995. Nous avons constaté que de petits changements cosmétiques ne contribuent nullement à accroître l'appui de la population à cette loi. Deuxièmement, je dirais que les modifications qu'on lui apportera n'auront, au mieux, que peu d'effets sur notre sécurité dans nos villes.
La deuxième chose importante pour moi est d'inviter le comité à discuter et examiner les principes sur lesquels repose la justice pour les jeunes, et les objectifs que nous cherchons réellement à atteindre avec le système de justice pour les jeunes et la Loi sur les jeunes contrevenants. Dans ce contexte, je pense qu'il vous faudra soit faire plus que ce qu'a proposé le groupe de travail fédéral-provincial-territorial ou rejeter ses recommandations selon lesquelles vous devriez, en fait, apporter de petites retouches ponctuelles à cette loi; vous pourrez ensuite partir de là pour établir vos principes.
L'énorme contribution que ce comité pourrait faire serait de se pencher sur les vrais problèmes avec rigueur sans choisir la solution de facilité consistant à apporter des modifications cosmétiques, inutiles et injustifiées à la Loi sur les jeunes contrevenants.
Merci.
La présidente: Merci.
Monsieur Bala.
M. Nicholas Bala (doyen associé, faculté de droit, Université Queen's): Je m'appelle Nick Bala. Je suis professeur de droit à l'Université de Queen's et j'ai quatre enfants.
Mon enseignement et mes recherches portent principalement sur les questions touchant les enfants et les familles. J'ai notamment effectué récemment des recherches comparatives d'où il ressort clairement que le droit n'est pas le facteur le plus important en ce qui concerne la façon dont il faut réagir face à la criminalité juvénile et aux niveaux qu'elle atteint.
Nous pouvons voir ce qui se passe aux États-Unis où les dispositions légales sont très répressives et le taux de criminalité est très élevé. Quand on y réfléchit, le type de coupures qu'on pratique actuellement dans nos systèmes de services sociaux, de santé et d'éducation doivent susciter d'énormes inquiétudes. Nous sommes peut-être en train d'effectuer une expérience de politique sociale qui nous montrera les effets que ces réductions auront sur la criminalité juvénile.
Les lois ont une certaine importance et il faut examiner les régimes juridiques. J'ai fait, par exemple, des recherches sur la question des enfants de moins de 12 ans. Je trouve personnellement un peu inquiétant que nous n'ayons aucune disposition de droit criminel concernant le groupe des enfants de 10 à 12 ans et j'ai recommandé dans certains écrits que l'on utilise de façon très limitée la Loi sur les jeunes contrevenants pour ce groupe.
J'ai travaillé pour le programme de déjudiciarisation des jeunes de Frontenac, dont je suis membre. Les diverses formes de mesures de déjudiciarisation sont très importantes et, si on veut y changer quelque chose, il faudrait en étendre l'application et y avoir plus largement recours. D'autres ont écrit des choses à ce sujet ou en ont parlé et je suis tout à fait en faveur du travail qu'ils ont réalisé.
J'ai également fait des recherches sur les renvois. La possibilité de voir le comité recommander une augmentation du nombre de renvois m'inquiète vivement. On vient juste d'apporter une série de modifications que vous avez sagement jugé bon de présenter. Nous devrions attendre d'en voir les résultats au lieu de modifier immédiatement cette loi.
Je ne pense pas que nous devrions modifier cette loi et continuer de le faire constamment. Quand on le fait, évaluons les résultats obtenus.
La présidente: Merci.
Monsieur Gallaway.
M. Gallaway (Sarnia - Lambton): Je m'appelle Roger Gallaway et je représente Sarnia - Lambton, qui se trouve dans les profondeurs du sud de l'Ontario. Je suis membre du Comité de la justice depuis environ deux ans et je suis très content de voir ici aujourd'hui tant de visages familiers. Au début de la réunion, nous avons joué à essayer de nous rappeler où nous avions déjà vu chacun d'entre vous.
Pour ce qui est de mes antécédents, je suis moi aussi avocat. Je suis diplômé de l'Université de Windsor, mais comme M. Trudell, mon ami d'en face, et le docteur Leschied, je ne suis pas assez provincial pour penser que Windsor est le centre de toutes choses.
Je suis moi aussi parent. J'ai quatre enfants. Je dois dire que je suis marié à une femme qui est institutrice de prématernelle et elle me parle chaque jour de l'importance essentielle du dépistage et des interventions précoces.
Merci.
La présidente: Juge King.
Son honneur la juge Lynn King (juge du tribunal de la famille, Toronto, Ontario): Je suis juge du tribunal pour adolescents et du tribunal de la famille depuis plus de dix ans et - je ne voudrais pas être huée - , je viens de Toronto.
J'ai réfléchi à ce que je pourrais dire aujourd'hui en une minute et j'ai décidé que le mieux serait de vous expliquer ce que je pense après avoir siégé plus de dix ans à un tribunal pour adolescents.
Chaque jour, je suis frappée par l'idée que ces enfants sont nos enfants. Ils sont nos enfants au propre et au figuré. Il se trouve que je suis mère de deux enfants, dont l'un est adolescent et en est malheureux. Il y a aussi les enfants de nos amis, ceux de nos voisins, ceux du quartier. Ce ne sont pas des gens d'ailleurs, des étrangers.
S'ils commettent des erreurs quelconques, c'est parce que nous en avons commis à leur endroit. Ces enfants sont souvent désespérés; ils sont tristes. Comme l'a dit M. Henteleff, les mots me manquent pour vous dire combien d'entre eux ont de graves troubles d'apprentissage et, surtout, on ne les respecte tout simplement pas. Personne ne les respecte et, quand ils arrivent, ils s'attendent à ne pas être respectés.
Il y a énormément de façons de décrire les choses qu'on peut faire pour ces enfants et il y a ici beaucoup de personnes qui peuvent le faire. On fait beaucoup de choses pour eux et on peut faire beaucoup de choses pour eux. L'une des choses qu'il ne faudrait pas faire pour eux est de les mettre en prison. Cela n'a pas marché jusqu'à présent et c'est vraiment une solution désespérée qui dénote un manque d'imagination.
La présidente: Votre honneur - vous êtes nombreux ici aujourd'hui à porter ce titre.
Son honneur le juge Thomas Gove (Cour provinciale de Colombie- Britannique): Je m'appelle Tom Gove. Je suis juge en Colombie- Britannique. J'ai commencé à pratiquer le droit en 1974. Tout au long de ma carrière, j'ai beaucoup travaillé dans le domaine du droit des enfants et des jeunes. En 1990, je suis devenu juge en Colombie-Britannique. Je siège aussi à la cour pénale et au tribunal des familles, ce qui inclut aussi bien la protection des enfants que celle des jeunes.
En 1994, la province de Colombie-Britannique m'a chargé de diriger une commission d'enquête sur la protection de l'enfance. Cela faisait suite au décès d'un jeune garçon qui s'appelait Matthew Vaudreuil et dont le nom est devenu célèbre dans tout le pays. À la fin de ses travaux, cette enquête a présenté des recommandations qui incluaient une transformation fondamentale des méthodes employées pour assurer la protection de l'enfance en Colombie-Britannique.
À la suite de cela, il y a deux mois, en Colombie-Britannique, nous avons radicalement modifié la façon dont nous abordons toute la question de la protection de l'enfance. Nous avons maintenant un nouveau ministère, le ministère des Enfants et des Familles, qui assume la responsabilité de tous les services de protection de l'enfance, y compris les services correctionnels pour jeunes. Le message que je vous adresserai est que les services destinés aux jeunes qui se trouvent en conflit avec la loi font partie d'un système plus vaste de protection de l'enfance et qu'il faut les considérer dans cette optique.
Merci.
La présidente: Merci, votre honneur.
David MacDonald.
M. David MacDonald (directeur, The Learning Centre, Sydney, Nouvelle-Écosse): Merci. Bonjour. Je m'appelle David MacDonald et je viens de Sydney Mines, en Nouvelle-Écosse. Je suis directeur du Learning Centre; c'est officiellement et théoriquement une école mais, en fait, nous fournissons toute une gamme de services aux jeunes, des services très variés dont certains sont de nature académique, mais aussi les services nécessaires et essentiels dont ont besoin nos jeunes gens.
Je travaille avec les jeunes en état de crise, à pratiquement tous les niveaux et toutes les étapes des crises. Nous portons bien entendu nos efforts sur l'intervention précoce. Néanmoins, le fait est que nous avons des élèves et des jeunes gens qui sont en état de crise à tous les niveaux possibles.
Nous travaillons avec des jeunes qui ont affaire au système de justice et nous travaillons aussi avez eux à toutes les étapes et à tous les niveaux de leurs rapports avec le système de justice, aussi bien pendant qu'après.
Nous avons récemment mis sur pied une école satellite dans le centre correctionnel local pour assurer une continuité aux élèves qui arrivent à ce centre ou en partent afin qu'ils puissent suivre les mêmes programmes qu'ils soient au centre ou à notre école.
Nous essayons en gros de coordonner les ressources communautaires existantes et de les axer sur les besoins des élèves. Nous essayons réellement de traiter à la source les difficultés que connaissent nos jeunes. Qu'il s'agisse d'un trouble d'apprentissage, d'un problème social ou affectif, nous essayons d'en traiter les causes. Mais ce que nous faisons réellement est donner à nos jeunes des raisons d'espérer.
S'il faut citer un seul symptôme qui brise réellement nos jeunes, c'est le sentiment qu'ils n'ont plus rien à espérer. Quand des gens ont perdu toute espérance, qu'ils soient jeunes ou vieux, plus rien n'a réellement d'importance. Quand nous leur donnons des raisons d'espérer, nous les amenons à rêver qu'ils ont de l'importance et que la vie a de l'importance et c'est à partir de là que nous construisons quelque chose.
Merci.
La présidente: Monsieur Garber-Conrad.
M. Martin Garber-Conrad (directeur exécutif, Edmonton City Centre Church Corporation): Je m'appelle Martin Garber-Conrad, je travaille pour un organisme de services sociaux de taille moyenne appelé Edmonton City Centre Church Corporation, qui, entre autres choses, réalise des programmes de logement et d'emploi pour les jeunes, surtout les jeunes qui vivent dans la rue et se livrent à la prostitution. Nous coordonnons également plusieurs programmes d'intervention précoce pour les enfants à risque d'âge préscolaire.
À mon avis, le système de justice pour les jeunes a de graves défauts, mais ce n'est pas la Loi sur les jeunes contrevenants qui pose un problème et absolument aucun changement qu'on lui apportera ne constituera la solution nécessaire.
La présidente: Madame Pennell.
Mme Joan Pennell (présidente, Comité de la justice chez les jeunes, Conseil national de la prévention du crime, Terre-Neuve): Merci, madame la présidente. Je m'appelle Joan Pennell; je viens de la province de Terre-Neuve et du Labrador. Nous ne prétendons pas être le centre du pays, mais plutôt son commencement. Chez nous, je suis directrice de l'école de travail social de l'Université Memorial.
Comme plusieurs d'entre nous l'ont dit également, j'ai des enfants. Je suis mère de trois garçons qui ont tous atteint l'adolescence. Eux et leurs camarades m'imposent certainement une courbe d'apprentissage très raide.
Je représente ici le Conseil national de la prévention du crime. Je préside son Comité sur la justice et les jeunes en même temps qu'Anne Sherman. Ce comité, de même que le Conseil, est d'avis que si nous voulons assurer la sécurité de nos enfants et des jeunes, si nous voulons les empêcher de sombrer dans la délinquance, nous devons nous appuyer sur le développement social pour prévenir la délinquance. Nous pensons là à certaines choses très simples. Il leur faut une sécurité du revenu, des possibilités satisfaisantes d'apprentissage, des possibilités réelles d'emploi et de formation et des limites clairement définies.
Comme nombre d'autres personnes ici aujourd'hui, nous sommes d'avis que le problème ne tient pas à la Loi sur les jeunes contrevenants. Son application pose certains problèmes, mais ce qui est encore plus important est d'essayer de créer des processus communautaires permettant de protéger la sécurité de nos enfants et de nos jeunes et d'éviter qu'ils ne sombrent dans la délinquance.
Je viens de la province où le taux de délinquance est le plus faible au pays et je sais donc bien ce que les familles et les villes peuvent faire en agissant de façon très proactive et comment elles peuvent collaborer avec les services de protection pour maintenir la criminalité à un bas niveau. Notre conseil est d'avis que les tribunaux et l'incarcération ne devraient être qu'un tout dernier ressort et que les véritables options sont les choses que nous faisons avant d'en arriver là.
La présidente: Merci.
Monsieur Jeffers.
M. Ken Jeffers (Association Harriet Tubman): Je ne suis ni avocat ni juge. Toutefois, j'ai deux filles adolescentes.
Je travaille dans la communauté afro-canadienne depuis plus de vingt ans. Je suis l'un des principaux fondateurs de l'Association Harriet Tubman, organisation active au sein de la population noire, surtout parmi les jeunes. J'ai également participé à la préparation du rapport de l'étude entreprise par quatre paliers de gouvernement après les émeutes de la rue Yonge et j'ai eu beaucoup de contacts avec certaines des émotions et des passions que le système de justice criminelle suscite chez les jeunes et plus particulièrement chez les jeunes noirs.
J'ai mis au point, à Toronto, le programme de travailleurs judiciaires dans le cadre duquel nous avons formé plusieurs personnes pour qu'elles puissent travailler dans les tribunaux en aidant les jeunes à comprendre le système de justice criminelle et les options qui leur sont offertes.
J'ai aussi conçu un programme spécial de counselling pour la population noire dans lequel on tient compte des éléments racistes existant dans le système de justice criminelle et des façons d'y faire face.
Je fais également partie depuis plusieurs années du groupe de travail sur les drogues créé par le maire et j'ai aussi dirigé un certain nombre de programmes dans des zones comme Regent Park,St. James Town et Alexandra Park, où la criminalité est assez élevée. Ces programmes ont donné des résultats réellement bons et je connais donc bien la question.
Je suis très préoccupé par l'espèce de colère que ressentent certains des jeunes avec lesquels je traite, ainsi que par leur frustration et leur désespoir qui me rappellent un peu trop ce qui se passe chez nos voisins du Sud. Nous échangeons des renseignements avec des gens des États-Unis au sujet de beaucoup de modèles d'intervention qui donnent d'excellents résultats là-bas.
Aujourd'hui, j'espère vous faire part de certaines de mes expériences et examiner des façons créatives de faire face au fait que, en dix ans, le taux d'incarcération des jeunes noirs a augmenté de 204 p. 100 d'après l'étude réalisée par le comité sur le racisme systémique présidé par le juge Cole. Je trouve cela très inquiétant et je suis ici pour en parler avec vous.
La présidente: Merci. Je remercie tout le monde pour cette brève présentation de ce qui vous intéresse.
Quand la sonnerie s'est arrêtée, je me suis rendu compte que certains d'entre vous ne savent peut-être pas ce qu'elle signifie. Elle nous interrompra peut-être de temps en temps. Cette sonnerie appelle les députés à la Chambre et nous n'en tenons pas compte à moins que le whip n'arrive ici en criant.
Il y a d'autres gens dans la salle qui sont ici à titre d'observateurs, mais qui peuvent être d'excellentes personnes- ressources pour nous. Je suis heureuse qu'il y ait plusieurs représentants du ministère de la Justice. Il y a également le coprésident fédéral du groupe de travail fédéral-provincial- territorial sur la Loi sur les jeunes contrevenants qui a récemment présenté un rapport. Il y aura aussi des représentants du bureau du ministre et de quelques autres groupes.
À midi, le ministre de la Justice nous recevra pour le déjeuner; vous savez donc que vos besoins physiques seront satisfaits et il se joindra à nous de façon informelle à ce moment- là.
Il y a donc beaucoup de personnes ressources ici, en plus de vous-mêmes, beaucoup de gens avec lesquels j'espère que vous aurez l'occasion d'entrer en contact.
Je vais maintenant vous présenter moi-même le Sergent d'état- major Neal Jessop de la police de Windsor. Vous ne serez sans doute pas étonnés qu'il vienne de Windsor, mais il est aussi président de l'Association canadienne des policiers et membre du Conseil national de la prévention du crime. Je ne vous laisserai pas vous présenter plus longuement pour le moment, Neil.
Je vais maintenant passer au premier thème que nous avons indiqué pour la journée, c'est-à-dire l'intervention précoce pour tenir les enfants et les jeunes à l'écart du système de justice pour adolescents.
Je vais demander à M. Ramsay d'ouvrir cette partie du débat. Nous ne nous sommes pas entendus sur ce qu'il allait dire. Il va simplement... je ne sais pas, soit poser des questions soit faire une déclaration. Si vous avez envie de faire part de vos réactions, levez la main et je vous donnerai la parole. Si je ne vous remarque pas quand vous signalez, vous feriez bien d'observer les signes que fera le greffier et je suis sûre que Patricia nous aidera également.
Monsieur Ramsay. Vous avez cinq minutes.
M. Ramsay: Merci, madame la présidente. Je parlerai nettement moins de cinq minutes.
Comme je ne pourrai pas rester ici toute la journée - je dois partir avant la fin de l'après-midi - , je voudrais aborder très brièvement les trois thèmes et revenir ensuite au premier.
Je pense que nous devons nous pencher sur ces trois domaines. Premièrement, il faut que nous mettions au point et appliquions des politiques plus dynamiques en matière de prévention de la criminalité, incluant le dépistage et l'intervention auprès des enfants qui manifestent progressivement un comportement agressif ou déplacé. Des témoins nous ont prouvé qu'un comportement agressif menant à la violence apparaît dès la maternelle. Priscilla de Villiers nous l'a expliqué très clairement ce matin, je pense.
Deuxièmement, il faut que nous mettions au point et appliquions des programmes de déjudiciarisation préalables à la mise en accusation analogues au programme Sparwood de Colombie- Britannique qui permet de régler avec succès des cas de délinquance juvénile non violents et dans le cadre duquel les victimes bénéficient d'une restitution totale dans 100 p. 100 des cas, ce qui me paraît être une statistique phénoménale.
Il faut aussi que nous mettions de l'avant et utilisions beaucoup plus souvent des programmes de déjudiciarisation ou des mesures de rechange chaque fois que quelqu'un commet pour la première fois un délit non violent.
Je pense enfin que nous devons continuer de mettre l'accent sur les moyens d'assurer la protection de la société sans reculer devant la nécessité d'envoyer en prison tous les jeunes contrevenants violents qui prouvent qu'ils constituent une menace pour la vie ou la sécurité des citoyens de notre pays.
Cela doit s'accompagner de programmes de réinsertion sociale efficaces. Il faut faire de la protection de la société la principale priorité dans la déclaration de principes de la Loi sur les jeunes contrevenants.
Je pense que si notre examen de ces trois domaines est couronné de succès, nous atteindrons l'équilibre nécessaire entre les besoins de prévention et de réinsertion sociale des jeunes contrevenants et la protection de la société, celle-ci restant notre préoccupation primordiale.
À mon avis, la Loi sur les jeunes contrevenants ne permet pas aujourd'hui d'atteindre cet équilibre. Je demande à toutes les personnalités éminentes présentes ici aujourd'hui de nous aider à atteindre cet objectif en proposant des modifications à cette loi ou des suggestions sortant du cadre de celle-ci de façon à atteindre cet équilibre afin que nos dispositions législatives concernant les jeunes contrevenants ne soient pas seulement efficaces, mais qu'elles puissent elles aussi jouir du respect et de l'appui de la société canadienne. À mon humble avis, ce n'est pas actuellement le cas de la Loi sur les jeunes contrevenants existante.
Pour revenir au paragraphe 15(1), des témoins nous ont expliqué par écrit ou oralement qu'on peut remarquer un comportement agressif chez certains enfants dès l'âge de 18 mois. Il est hors de doute qu'on nous a prouvé qu'il existe un lien direct entre l'analphabétisme et la délinquance juvénile. Ce n'est pas la seule cause de cette délinquance ni le seul facteur qui y contribue, mais c'est quelque chose d'extrêmement important, surtout en cette période de réduction des budgets provinciaux et fédéraux. Il me semble qu'on n'accorde pas au système d'éducation la priorité qui devrait être la sienne et on pourra constater les effets de ces réductions budgétaires sur la délinquance juvénile.
L'un des programmes les plus efficaces que nous connaissons est celui du Québec, qui possède la Loi sur la protection de la jeunesse. Lorsque des enseignants ou d'autres membres de la société observent des signes montrant qu'un enfant a des difficultés, il existe des programmes vers lesquels ils peuvent orienter ces enfants vers un service qui peut intervenir auprès des parents; on peut aider l'enfant et porter assistance aux parents. Je pense que les statistiques prouvent très clairement la réussite de ce programme dans le domaine de la prévention.
Je pense que tous les gens avec qui j'ai parlé ou que nous avons entendus souhaitent que le système de justice pour les jeunes meure de sa belle mort et disparaisse. Je citerai quatre excellents programmes: le programme de Sydney Mines, celui de Sparwood, le projet Earlscourt et le camp de pleine nature que nous avons visité près de Prince George, en Colombie-Britannique. Je pense que ce sont des programmes excellents pour s'occuper des gens qui sont passés à travers les mailles du filet ainsi que des jeunes qui sont entrés dans le système de justice et qui ont besoin non seulement d'être incarcérés, mais aussi d'avoir d'accès à des programmes de réinsertion sociale solides, bien conçus et efficaces.
Madame la présidente, coupez-moi la parole si je parle trop longtemps.
La présidente: C'est déjà le cas, mon gars.
M. Ramsay: Je terminerai simplement en vous remerciant tous beaucoup pour votre présence ici. J'écouterai avec beaucoup d'intérêt vos commentaires au sujet de chacun de ces trois thèmes.
La présidente: La première personne qui veut répondre est M. St-Laurent. Je ne laisserai pas les députés monopoliser la parole, mais allez-y. M. Trudell pourra intervenir ensuite.
[Français]
M. St-Laurent: Je ne prendrai peut-être pas cinq minutes puisque je devrai vous quitter pour assister à la période des questions tout à l'heure.
Il est important de préciser aux participants que nous, les membres de ce comité, avons fait notre tournée et nous sommes déplacés pour rencontrer l'ensemble des intervenants qui sont ici. À mon avis et comme le mentionnait madame la présidente, chaque député a son opinion personnelle, tout comme vous naturellement.
Les grandes lignes qui en ressortent, c'est que nous nous dirigeons enfin vers une déjudiciarisation qui se penchera sur le problème et non pas sur la punition; du moins, j'ose le croire.
J'aimerais entendre ce que les participants en pensent. Nous avons entendu plus tôt quelques personnes tirer des grandes lignes. Vous savez qu'on est ici pour concocter un rapport ou un document qu'on devra remettre au ministre, lequel devra se pencher sur ce rapport pour formuler une nouvelle loi si besoin est. C'est donc le temps de parler et de dire carrément ce qu'on a à dire. C'est un peu ce que les gens ont fait quand nous les avons rencontrés chez eux.
On parle beaucoup d'intervention précoce. C'est un secteur très important et je crois que nous devrions y investir en vue de protéger la société, comme vient de le mentionner mon collègue de Crowfoot. Je suis entièrement d'accord. J'estime qu'à l'heure actuelle, l'utilisation des prisons est excessive et je crois que la majorité des gens autour de la table en sont conscients. En investissant dans la prévention et la détection précoce, on investit à long terme dans la vraie protection de la société, ce qui n'est pas le cas lorsqu'on envoie des gens en prison, puisque les prisons sont des stationnements pour les indésirables. On les emprisonne parce qu'on ne veut pas en entendre parler et non pas parce qu'on veut régler leur cas. Il faut savoir faire la distinction. Il faut se pencher un peu sur cette question.
Il nous faut mettre sur pied des programmes dans le cadre de la perception précoce. Dites-nous si vous désirez cette protection précoce et quelle sorte de programmes vous souhaiteriez voir en ce domaine.
Les policiers auront un nouveau rôle à jouer, bien qu'ils l'aient déjà partiellement assumé. On prend toujours l'exemple du jeune garçon qui vole une tablette de chocolat dans un dépanneur. La majorité du temps, ce n'est pas parce qu'il a faim, mais plutôt en raison d'un autre problème social. Vous connaissez tous, je pense, le suivi qu'on veut apporter. Nous suggérons que le policier n'ouvre pas un dossier criminel, mais qu'il se rende auprès des parents et joue le rôle d'un intervenant plutôt que celui d'un policier. J'aimerais entendre vos commentaires à cet égard puisqu'il y aura des gens dont le rôle va devoir changer, y compris les avocats de la défense. Beaucoup de ces gens sont réunis autour de cette table. Il va falloir nous pencher sur cette question.
On voit déjà, et c'est heureux, des juges qui se sont penchés sur cette question et fait des essais. Je fais allusion à un essai mené au Yukon, et vous me corrigerez si je me trompe. C'est intéressant et je pense qu'il va en ressortir quelque chose d'important. Mais il faut que les gens s'expriment clairement. Nous sommes capables d'en prendre; nous sommes habitués à cela à la Chambre des communes: nous nous en lançons à tous les jours. Nous sommes capables d'en prendre, mais nous avons besoin de savoir où nous en aller et c'est pourquoi vous êtes ici aujourd'hui.
Je terminerai sur ce point. Le cercle de détermination de la peine est une question qui m'intéresse particulièrement, à l'excès peut-être, mais j'aime ça. Ne devrait-on pas profiter du contexte des jeunes contrevenants pour expérimenter dans un milieu qui nous est plus proche, dans les centres urbains? Les cercles de détermination de la peine sont formés dans des régions où les gens se connaissent davantage, ces régions qu'on qualifie de régions éloignées. Je viens d'une région éloignée où on pourrait le faire. Ce serait peut-être une nouvelle approche à envisager dans d'autres régions. Le taux de réussite des cercles de détermination de la peine est sans équivoque. On y évalue le taux de réussite à 80 ou 85 p. 100, tandis qu'à l'heure actuelle, on constate un taux de 80 p. 100 de récidive dans le système des prisons. J'aimerais entendre votre point de vue à cet égard. Je vous remercie beaucoup.
[Traduction]
La présidente: Merci, monsieur St-Laurent. Je signalerai simplement à propos des cercles de détermination de la peine que je sais bien que vous allez devoir vous absenter un moment, mais nous pourrons peut-être réserver cette question pour la deuxième partie. Nous aurons alors de multiples possibilités d'en parler à ce moment-là.
Monsieur Trudell.
M. Trudell: Merci, madame la présidente. Je pense que nous vivons dans un bien beau pays où nous pouvons nous rencontrer pour examiner ces questions importantes. L'avenir de notre pays et celui de n'importe quel autre pays est entre les mains des enfants. C'est la façon dont nous traitons les enfants qui déterminera notre avenir.
Je dis à chaque client qui vient me voir dans mon bureau que défendre un dossier pénal est comme faire une opération. Je ne commence pas avant d'avoir reçu les radios. Je pense que ce que vous faites ici et ce que nous devons faire est obtenir les radios. Je crois que c'est réellement important.
Je ne pense pas que qui que ce soit ici présent pourrait aller maintenant avec moi à la salle d'accouchement d'un hôpital et dire qui parmi les nouveau-nés est un futur contrevenant et qui est une future victime. Ces enfants viennent au monde et ils sont placés dans un certain milieu. Au fur et à mesure qu'ils grandissent, ils apprennent la discipline. C'est une question de discipline.
De la même façon que je dis à mes clients qu'il faut attendre d'avoir les radios, nous disons aux enfants, quand ils grandissent, qu'ils ne peuvent pas se prévaloir de certains droits avant de pouvoir prouver qu'ils sont assez disciplinés pour vivre dans la société et accepter des responsabilités. Je vous demande de faire preuve de discipline dans le cadre de nos activités ici parce que c'est de cela qu'il s'agit.
Une des principales préoccupations que je voudrais présenter au comité est le manque d'information de la population au sujet du rôle et de la nature de la justice criminelle. Nous n'examinons pas et nous n'expliquons pas les radios de cette justice et des jeunes contrevenants à la population. Nous réagissons dans certains cas de façon à trouver une façon immédiate de satisfaire un besoin, exactement comme le font les enfants. Nous réagissons en fonction des souhaits de nos électeurs qui ne connaissent pas tous les tenants et aboutissants; nos réactions répondent aux titres des journaux qui donnent l'impression qu'il y a des enfants qui échappent à tout contrôle, qui abusent du système de justice criminelle et qui lui font des pieds de nez. Si on mettait la population au courant des mesures existant pour les jeunes contrevenants et du rôle que joue la loi, elle comprendrait la situation et, à mon humble avis, nous n'aurions pas à réagir de façon indisciplinée.
Il est hors de doute que nous ne pouvons pas accepter - il faut que quelqu'un ait le courage de le dire - que le moment est venu de diminuer les dépenses consacrées aux enfants. À ma connaissance, tous les partis politiques représentés ici disent qu'il faut accorder plus d'attention et de ressources à la déjudiciarisation, au dépistage et aux cercles de détermination de la peine. Oublions la détermination de la peine. Parlons des cercles. Faisons simplement venir les enfants et discutons avec eux.
Si c'est la solution, nous ne pouvons pas accepter, au niveau fédéral, que le gouvernement provincial empêche le système de fonctionner en réduisant ses crédits. Quelqu'un doit assumer la responsabilité de placer les enfants au-dessus des considérations politiques. À mon humble avis d'avocat de la défense, il est temps que nous débarrassions de nos oeillères et que nous rendions compte que, si elles ne sont pas financées, ces mesures ne donneront aucun résultat.
Je pense que c'est vraiment un problème sur lequel il faut se pencher ici dès sa phase initiale. Nous voulons tous prévenir la délinquance. Nous voulons tous aider ces enfants à s'épanouir dans la société. Mais si on applique des politiques de tolérance zéro dans les cours des écoles, les enfants se retrouvent devant les tribunaux et finissent par être mis en prison parce qu'ils ont enfreint les conditions de leur cautionnement pour des choses que nous faisions tous quand nous étions jeunes. Si vous n'êtes pas d'accord avec moi, je dirai que c'est pour des choses que je faisais quand j'étais jeune. Il y a un nombre absolument incroyable d'enfants qui tombent sous le coup du système de justice criminelle à cause des politiques de tolérance zéro et parce que quelqu'un a pratiqué des coupures.
Les enfants de notre pays vont s'épanouir si nous dégageons des ressources financières suffisantes et si nous avons le courage d'aller de l'avant. Si les provinces ne le font pas, je mets le gouvernement fédéral au défi de dire: «Confiez-nous les enfants.»
La présidente: Merci.
Monsieur Henteleff.
M. Henteleff: Il ne fait pour moi aucun doute que la Loi sur les jeunes contrevenants est un échec retentissant. Il suffit de voir le pourcentage de jeunes gens qui récidivaient du temps de la Loi sur les jeunes délinquants. Le taux de récidive était alors de 27,5 p. 100, alors qu'avec la LJC, il est passé à 56 p. 100. Vous voyez bien. En ce qui concerne les jeunes qui n'étaient pas considérés comme ayant des besoins spéciaux aux termes de la LJD, le pourcentage de récidivistes était de 20,5 p. 100. Avec la LJC, il atteint 60,5 %. En fait, la London Family Court Clinic a, bien sûr, effectué ces études sous la direction du Dr Leschied. On n'a pas constaté une augmentation parallèle de la délinquance en général. Ce qui se passe est simplement qu'on augmente dans des proportions énormes le nombre d'enfants qu'on met en prison.
Pour ce qui est du nombre d'enfants que l'on identifie comme souffrant de troubles d'apprentissage pendant qu'ils relèvent du système de justice pour les jeunes, il représente approximativement 12 p. 100 des 77 p. 100 de cas d'enfants exceptionnels que j'ai mentionnés. Il saute à 30 p. 100 pour ce qui est des enfants incarcérés, mais ce qui est réellement intéressant est que, sur les 407 jeunes hommes récemment entrés dans le système pénitentiaire et identifiés comme ayant des troubles d'apprentissage, près de 50 p. 100 avaient déjà comparu devant les tribunaux pour adolescents. Pensez simplement à ce que ça veut dire. En d'autres termes, ce qui se passe est qu'on enferme plus d'enfants. Il y a moins d'enfants sur les problèmes particuliers desquels on se penche et devinez où ils finissent par se retrouver.
Je ne pourrai jamais comprendre pourquoi nous sommes tellement prêts à dépenser 100 000 $ par an pour enfermer des enfants, mais pas à dépenser 44 000 $ par an pour s'assurer qu'ils reçoivent une assistance appropriée. Cela me laisse perplexe. Indépendamment de toute considération morale et éthique, et d'un point de vue purement commercial et économique, cela paraît évidemment très logique, surtout comme je vais l'expliquer dans un moment.
Pour ce qui est de l'intervention précoce et même de l'intervention tardive, l'une des études récemment effectuées dans les pénitenciers a révélé une réduction extraordinaire du taux de récidive chez plus de 3 000 détenus présentant un déficit cognitif. Ce qui était réellement intéressant dans un des sous-ensembles de la population carcérale, les personnes accusées de diverses sortes de délits sexuels, était que, rien que parmi eux, le taux de récidive était la moitié de celui que l'on constatait pour toutes les autres catégories de délits.
Je pense que pour que la Loi sur les jeunes contrevenants fasse la juste part des choses entre les besoins et les droits des jeunes contrevenants, d'une part, et le droit de la société à être protégée, d'autre part, il faudrait énoncer comme stratégie principale dans ce domaine qu'il faut considérer les jeunes contrevenants en premier lieu comme des personnes handicapées et seulement en deuxième lieu comme des contrevenants.
Je pense que nous ne cessons d'oublier ce que dit la Charte des droits et libertés. Elle est très claire. L'idéal fondamental du système d'égalité que garantit la Charte canadienne des droits et libertés repose sur certains principes universels qui s'appliquent de la même façon à tous les Canadiens, peu importe qui ils sont. Hors, à en juger par les statistiques que je viens de citer, on fait preuve d'une plus grande discrimination envers les enfants qu'envers tout autre membre de la société. Pourquoi? Nous le faisons parce qu'ils sont sans défense et qu'ils n'ont pas le droit de vote.
Il me semble donc qu'il nous faut examiner ce que l'on peut faire d'efficace. Comme je l'ai indiqué, j'ai profité de cette rencontre pour vous remettre un mémoire. Si vous passez aux pages 56 à 64, en commençant à la page 54, je vous dirai quelles sont les pages pertinentes et je vous citerai un programme. Vous remarquerez qu'il existe des techniques tout à fait adéquates pour identifier les enfants à risque ou les précontrevenants avant qu'ils ne deviennent des contrevenants.
Plusieurs programmes sont cités de la page 74 à la page 94. Celui dont je veux vous parler très brièvement est le programme MAPP, un programme de prévention mis en oeuvre conjointement par plusieurs organismes à Brandon, au Manitoba. Il est mentionné page 75. Chaque organisme chargé de s'occuper des enfants présentant des risques élevés a identifié les enfants qui présentent les plus grands risques. Ces organismes ont entamé la mise en oeuvre de programmes pour intervenir auprès de ces enfants avant qu'ils ne deviennent contrevenants et, dans certains cas, après coup.
Leur taux de réussite est phénoménal. Les sommes investies sont extraordinairement modestes par rapport à ce qu'aurait coûté leur incarcération. Mais nous oublions toujours que cela a des retombées. Quand on pense aux jeunes contrevenants qui enfreignent la loi, il ne faut pas les envisager isolément. Il ne faut pas les envisager isolément de leurs parents et des conséquences qui en résultent pour leur famille. Il ne faut pas les considérer isolément de leurs frères et soeurs et des conséquences qui en résultent pour ces derniers. Il ne faut pas seulement penser aux conséquences qui en résultent pour le reste de la société. Pensez aux répercussions extraordinaires qui cela a sur tous les gens qui font partie non seulement de leur famille immédiate, mais également de leur famille étendue.
On peut donc faire certaines choses. Toutefois, il faut changer les éléments sur lesquels on met l'accent dans la Loi sur les jeunes contrevenants pour tenir compte du fait que 75 p. 100 des enfants en prison ont des besoins spéciaux qui nécessitent une éducation spéciale ou une intervention sociologique ou physiologique. Que faisons-nous avec ces 75 p. 100? Nous rejetons la faute sur eux et nous les enfermons à cause de cela. Cela se fait à leurs dépens et aux dépens de nous tous.
La présidente: Merci, monsieur Henteleff.
Madame Toutant. Ce sera ensuite le tour de M. Doob puis de Mme Augimeri.
[Français]
Mme Toutant: J'aimerais vous parler de l'expérience que vivent les intervenants avec des adolescents violents pour essayer de vous convaincre qu'une loi ne change rien. À la lumière de ce que certains autres témoins mentionnaient plus tôt, une loi ne viendra pas modifier les difficultés que vivent les jeunes dont on parle.
Lorsqu'on travaille avec des adolescents qui ont commis des gestes violents, on remarque assez rapidement qu'à peu près seuls les médias peuvent écrire des choses comme «un meurtre dans un beau ciel bleu» ou «un acte violent alors que rien ne semblait le présager». C'est un peu comme si ces adolescents faisaient des gestes gratuits qui venaient de nulle part.
Je travaille avec des adolescents à l'Institut Pinel depuis 1972, soit depuis 24 ans. Nous avons accueilli quelque 600 adolescents violents au cours de ces années. J'ai vu des délits violents qui semblaient venir de nulle part et qui n'étaient pas visibles, mais ils avaient été en production pendant plusieurs années. Ces années comprennent toute l'histoire de l'adolescent et on doit souvent remonter très loin pour cerner les difficultés qu'il éprouvait.
Pourquoi n'a-t-on rien fait? On se dit souvent qu'il y a des raisons pour lesquelles on n'a pas agi plus tôt. On se penche premièrement sur la famille. Quand on rencontre les parents de ces adolescents, on constate qu'ils ne sont pas tous inconscients et irresponsables, contrairement à l'image qu'on essaie parfois de donner d'eux. Certains parents se sont habitués tranquillement à une violence de plus en plus importante au sein de leur famille de la part de leurs enfants, se disant parfois qu'elle allait se résorber, que l'adolescence en était la cause.
C'est un peu semblable à la violence conjugale. Il n'y a pas de violence extrême au début. Elle commence par de petits gestes, par des comportements de plus en plus inacceptables, mais auxquels on s'habitue. On a ainsi vu des parents qui se sont habitués à une violence qui devenait inacceptable aux yeux de toute autre personne.
Deuxièmement, je crois que l'éducation que les parents donnent à leurs enfants vient souvent de leur propre éducation. Ils sont donc peu capables de se critiquer. Qui va les critiquer? Le moment charnière, c'est l'école. De nombreux problèmes sont décelés à la maternelle par des professeurs, qui ne sont pas des gens irresponsables ou incapables de voir les problèmes. Bien souvent, ils voient ces problèmes mais ne savent que faire. Ils ne se sentent pas habilités à agir, sauf à dire qu'ils ont le pressentiment que ces enfants se dirigent vers de plus grands problèmes.
Aujourd'hui, je porterai un autre chapeau que celui que j'ai toujours porté au cours de ma carrière d'intervenante et affirmerai que je suis en faveur de la prévention. J'aimerais que les gens soient habilités à intervenir sans blâmer, sans chercher des coupables et sans stigmatiser.
Je préciserai mes propos si j'ai encore du temps, madame la vice-présidente. Je vous prie de m'arrêter puisque je ne m'arrête pas facilement; je n'ai pas encore appris cette notion de contrôle. L'institut Pinel n'a pas réussi à me guérir. Vous savez que les institutions ne guérissent pas tout le monde.
Une loi a tendance à vouloir trouver des coupables et jeter le blâme. On fait souvent de la prévention en stigmatisant.
Je crois qu'on doit installer, au niveau des maternelles, des mécanismes d'appui à l'intention de toutes les familles, dont celles qui en ont le plus besoin profiteront davantage.
J'ai toujours été énormément agacée qu'on stigmatise des gens en les appelant des prédélinquants. Cette tendance à stigmatiser et identifier ainsi les gens fait en sorte que ceux qui en ont le plus besoin ne se servent pas des services parce qu'ils ont l'impression d'aller en quelque sorte ramper devant les gens dits «normaux».
Je ne veux pas décrire ce matin la foule de programmes de prévention qui existent. De nombreux programmes de prévention superintelligents existent partout au Canada et certains témoins en ont déjà parlé. Quand viendra le jour où nous les mettrons ensemble et les partagerons? Par exemple, au Québec, la Fondation de la visite a pairé des familles monoparentales avec d'autres familles du même quartier et de la même classe sociale qui s'aident et s'appuient. Il y existe des programmes qui fonctionnent, mais on n'en parle pas. Quand on a des problèmes, on se dit que la loi va changer ça.
C'était l'essentiel de mon message. Je suis en faveur de la prévention et d'une approche qui ne stigmatise pas et qui ne jette pas le blâme.
[Traduction]
La présidente: Monsieur Doob.
M. Doob: Après avoir entendu les commentaires présentés jusqu'à présent ce matin, je pense qu'il ne doit pas être difficile de justifier l'intervention précoce. Je ferai cependant une mise en garde: en tant que criminologue, je trouve inquiétant que les gens justifient des interventions précoces au sujet des problèmes que connaissent les enfants en parlant seulement de la délinquance. Le problème est que, si des enfants ont des troubles d'apprentissage, s'ils ont différentes sortes de problèmes affectifs, il me paraît positif de chercher à remédier directement à ces difficultés. On sait très bien qu'elles ont des répercussions sur la délinquance et c'est un avantage supplémentaire de ces programmes. Je dis simplement, à titre de mise en garde, qu'il ne faudrait pas évaluer ces programmes simplement du point de vue de la prévention de la délinquance.
La question dont, je pense, tout le monde a parlé est celle de savoir comment utiliser nos ressources différemment. Selon moi, le problème est beaucoup plus vaste que la simple question de l'utilisation de ces ressources.
La difficulté est que, chaque fois que je parle de prévention, les gens cherchent un remède miracle, comme quelqu'un l'a signalé tout à l'heure. Ils me disent généralement que, d'accord, c'est très bien à long terme, mais ils veulent savoir ce qu'il faut faire immédiatement. Cela se traduit ensuite par l'alternative méthode douce ou méthode dure.
La difficulté est que nous créons en réalité une fausse dichotomie selon laquelle on pourrait faire quelque chose à long terme ou quelque chose à court terme et il faudrait choisir entre les deux. Le problème est que nous savons parfaitement bien maintenant que les modifications qu'on pourrait apporter à la Loi sur les jeunes contrevenants ou les légères modifications qu'on pourrait même apporter au fonctionnement du système de justice pour les jeunes n'auront, en réalité, que des répercussions minimes sur le nombre de délits commis.
Je pense que nous ne devons donc pas passer d'une méthode douce à une méthode dure ou l'inverse ou encore passer du long terme au court terme, mais plutôt choisir des méthodes efficaces. En fait, ces méthodes ont une importante caractéristique commune: elles se situent généralement à l'extérieur du système de justice pour les jeunes, ou si ce sont des programmes réalisés à l'intérieur de ce système, ils mettent l'accent sur les problèmes individuels qu'ont ces jeunes.
Pour ce qui est du rapport que présentera le comité, il me semble qu'il y a deux ou trois choses importantes. La première est que les recommandations que vous ferez seront interprétées en fonction de l'optique selon laquelle vous présentez non pas les jeunes contrevenants, mais les jeunes gens en général. Cette question ne concerne pas seulement les jeunes contrevenants. Nous ne devrions pas réfléchir à ces questions comme si elles concernaient seulement le système de justice pour les jeunes.
Deuxièmement, si votre comité veut avoir des répercussions durables ne se limitant pas aux modifications qu'il pourrait recommander que l'on apporte à la Loi sur les jeunes contrevenants, il faut qu'il crée une ambiance permettant de discuter des façons raisonnables d'aborder les questions concernant la délinquance juvénile et le système de justice pour les jeunes. Ce faisant, le comité doit, en fait, dire d'emblée quelles sont les limites de la loi et quelle est la meilleure façon concrète de faire face à ces problèmes. Si le comité croit que les modifications de la loi n'auront que des répercussions minimes sur la délinquance, il doit le dire. D'autres comités ont déjà fait des déclarations de ce genre. Je pense que, s'il le faisait, cela aurait d'importantes répercussions.
La difficulté actuelle est que, lorsque les gens se préoccupent de la délinquance et de la violence, ils se tournent vers la loi et vers les tribunaux. Ce que le comité doit faire est rompre ce lien entre la délinquance, la loi et les tribunaux et parler du lien qui existe entre la délinquance dans nos villes et la société dans laquelle nous vivons. En présentant une telle déclaration d'emblée, le comité légitimerait le travail des personnes présentes autour de cette table qui essaient d'obtenir des ressources pour la prévention et également d'attirer l'attention de la population sur cette question.
Merci beaucoup.
La présidente: Merci.
Madame Augimeri, puis madame de Villiers et monsieur Winegarden.
Mme Augimeri: En fait, mon intervention portera seulement sur les enfants de moins de12 ans, car c'est le secteur dans lequel je suis spécialisée.
Au cours des 11 dernières années, j'ai travaillé avec des centaines d'enfants de moins de 12 ans. Comme l'a indiqué Mme de Villiers, c'est sur le dépistage qu'il faut mettre l'accent. Il est essentiel d'identifier les jeunes enfants qui se mettent à avoir des problèmes dès l'âge de 4 ou 5 ans. Nous commençons à travailler avec les enfants quand ils ont 6 ans, mais on nous a déjà confié le cas de nombreux enfants de 4 ou 5 ans - des élèves de maternelle - qui commettaient des actes tout à fait violents.
Je pense qu'il ne faut pas oublier, comme le juge King et M. MacDonald l'ont souligné, que ce sont des enfants qui ont besoin d'espérance. Ils ne comprennent pas du tout le système judiciaire. Nous emmenons les enfants visiter le poste de police parce que nous voulons leur donner l'occasion de rencontrer des agents de police en dehors de tout problème.
Lorsqu'on dit pour la première fois à ces enfants qu'ils vont aller au poste de police, ils sont absolument terrorisés. Nous leur demandons pourquoi, nous cherchons à résoudre le problème, nous parlons des raisons pour lesquelles ils sont terrorisés et de ce qui est important et nous leur expliquons pourquoi nous allons au poste de police. Beaucoup sont très nerveux parce que leurs contacts avec la police sont le plus souvent tout à fait négatifs. Toutefois, ce qui est intéressant, c'est que, à la sortie du poste de police, beaucoup d'entre eux veulent devenir agents de police parce qu'ils les voient maintenant sous un jour différent.
Je suis donc fortement convaincue qu'en se donnant la peine de procéder à un dépistage et à des interventions auprès des enfants à risque, on pourrait contribuer fortement à résoudre de façon efficace le problème de la prévention du crime.
Les personnes présentes autour de cette table nous ont dit qu'il n'y a pas qu'une façon de sombrer dans la délinquance et les recherches nous ont appris que de nombreux facteurs entrent en jeu, comme l'âge auquel un enfant commence à commettre des agressions - parfois dès 4 ou 5 ans et parfois même avant. Nous savons également que de mauvaises pratiques de gestion familiale... Nous ne voulons pas toujours rejeter la responsabilité sur les familles dans ces cas-là, mais les recherches nous ont appris qu'il y a des parents qui ne savent pas éduquer leurs enfants, les contrôler et agir de façon cohérente. Il y a aussi des problèmes scolaires, surtout pour la lecture. La majorité de nos enfants ont des troubles de lecture. Il y a encore beaucoup d'autres facteurs, comme le rejet par les pairs, la délinquance parentale et la psychopathologie.
Le fait de travailler avec des enfants à risque élevé et leur famille nous apprend beaucoup de choses. Nous savons que les programmes multisystémiques, comme ceux dont M. Ramsay a parlé aujourd'hui, permettent de minimiser les facteurs qui risquent de pousser les enfants vers la délinquance. Nous savons aussi que plus nous intervenons tôt auprès de ces enfants en leur fournissant divers types de service, meilleures sont nos chances de les empêcher de se retrouver un jour devant les tribunaux.
Nous savons également que ces services doivent être fournis rapidement. Combien de fois avons-nous entendu dire que des enfants sont inscrits sur une liste d'attente? Ou, s'ils sont traduits devant les tribunaux, ce n'est souvent que très longtemps après le moment où ils ont commis un délit.
Nous savons également que quand un programme est multisystémique... Notre projet visant les enfants de moins de 12 ans est multisystémique. Nous essayons de cibler tous les secteurs différents de la vie de l'enfant et de sa famille. Nous organisons des groupes non seulement pour aider les enfants à apprendre à se contrôler et à résoudre des problèmes, mais également pour apprendre aux parents comment éduquer leurs enfants et nous intervenons en cas de crise. Nous participons à la vie scolaire et nous offrons aux enfants une assistance pour faciliter leur apprentissage de la lecture. Nous occupons aussi de la restitution; c'est le dernier élément que nous avons ajouté parce que nous sommes d'avis que les enfants doivent assumer la responsabilité de leurs actes.
Comme on l'a déjà signalé, il n'y a pas assez de choses prévues pour les enfants et leurs familles et nous avons également entendu parler des services qui font défaut. Ce que nous avons constaté tout récemment grâce à nos recherches - et je voudrais simplement vous en faire part très rapidement - concerne les facteurs conditionnant l'efficacité de la prestation des services. Les programmes doivent être souples, multiformes, continus et personnalisés en fonction des besoins de chaque client. Il faut s'assurer que le traitement est fourni intégralement et de façon uniforme, entrer en contact avec les parents et l'enfant et les faire participer à un traitement aussi rapidement que possible et, enfin, mettre l'accent sur les attitudes antisociales et les idées fausses de l'enfant qui lui font croire qu'un comportement antisocial est acceptable. Nous devons lui enseigner comment faire pour résoudre des problèmes et se contrôler efficacement. Nous devons également lui offrir la possibilité de se livrer à des activités sociales et récréatives. Il y a tellement d'enfants qui habitent peut-être juste en face d'un centre communautaire bien structuré, mais ne l'utilisent pas pour toutes sortes de raisons.
Il faut aussi que nous enseignions aux parents, soit en groupe soit au cours d'entrevues individuelles, comment éduquer efficacement leurs enfants et il faut également que nous abordions les problèmes concernant la rivalité entre les enfants au sein de la famille et leurs difficultés scolaires d'ordre académique et comportemental. Il faut également que nous puissions fournir nos services en tout temps et en tout lieu en fonction des besoins et des préférences de nos clients. Il faut aussi que nous leur donnions la possibilité de participer de façon durable au programme. Il ne suffit pas d'offrir un programme à un enfant pendant trois mois. Nous devons être toujours prêts à accueillir les enfants qui pourraient vouloir revenir nous voir... Si un enfant participant à mon programme devait ultérieurement entrer en contact avec le tribunal pour jeunes, j'espère qu'on pourrait nous le confier à nouveau pour que nous puissions continuer à travailler auprès de lui et de sa famille.
Pour finir, il est également essentiel que nous continuions de nous fonder sur des éléments concrets et d'incorporer des conclusions empiriques afin de fournir le meilleur service possible à tous les enfants et à leurs familles en Ontario et dans l'ensemble du Canada. L'intervention précoce est notre meilleur espoir que les enfants en train de glisser vers la délinquance pourront être sauvés, ce qui servira les intérêts mutuels d'eux- mêmes et de la société. Là encore, il faut insister pour dire que ce sont, après tout, des enfants qui ont besoin d'aide et non pas d'une peine criminelle.
Pour finir, je répéterai ce que dit M. Henteleff au sujet des coûts. Maintenir un enfant en prison ou un jeune dans le système de justice coûte 100 000 $ par an, mais si on peut permettre à un enfant participant à nos programmes d'échapper à la prison, cela couvrira le coût total du programme. Voilà où nous devons investir nos ressources.
Merci.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci, madame Augimeri. Combien votre programme coûte-t-il par enfant chaque année?
Mme Augimeri: Par enfant, environ 2 500 $.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci.
Madame de Villiers.
Mme de Villiers: Merci.
Je pense que l'avantage que j'ai sur tous les autres est que mes connaissances à propos d'un certain nombre de choses sont réellement très limitées. La toute première chose qui m'a frappée quand j'ai commencé à examiner toute cette question de la jeunesse, de la justice et de la LJC était la suivante: pourquoi cette étude est-elle menée seulement par le ministère de la Justice? Où sont les ministères de la Santé et du Bien-être, des Services communautaires ou je ne sais quoi, de l'Éducation, etc.?
Chaque personne que je vois autour de cette table parle apparemment, avant tout, de la prévention primaire. Eh bien, il m'en coûte beaucoup de le dire, mais cela n'a absolument rien à voir avec les juges, avec les avocats de la défense et avec les psychologues. On peut espérer que, si la prévention primaire est mise en place, nous n'aurons jamais à nous adresser à vous et vous retrouverez au chômage, ce qui serait merveilleux.
Le deuxième point est que - et je ne veux pas vous faire honte, mais cela me paraît extraordinaire - je ne vois personne ici qui représente l'éducation préscolaire. Si j'ai bien compris, vous occupez d'enfants qui ont besoin...
Mme Augimeri: Nous travaillons dans les systèmes scolaires, nous collaborons directement avec le personnel enseignant et nous établissons toutes sortes de contacts avec toutes les écoles de Toronto.
Mme de Villiers: C'est exact, mais vous occupez des gens qui ont déjà été identifiés, n'est-ce pas?
Mme Augimeri: Non, ils ont été identifiés, mais nous rendons aussi dans les écoles pour enseigner aux enfants, dans leurs classes, comment faire pour se contrôler et résoudre des problèmes en commençant à la base, tout au début.
Mme de Villiers: Mais je dois dire que dans la plupart des écoles que j'ai vues dans notre pays, on s'en remet pour cela aux enseignants. S'ils ont de la chance, il y a un programme comme le vôtre qui envoie quelqu'un dans les classes, mais combien de jours par semaine êtes-vous là? Des enseignants de tout le pays m'ont dit qu'ils doivent réagir sur-le-champ en cas de problème. Une élève de maternelle, une petite fille de 5 ans, avait ravagé une classe et causé pour 6 000 $ de dégâts. Toute l'école était en état de choc, mais la maîtresse a dû s'occuper des enfants dans la classe. Elle a dû faire face au fait qu'ils étaient terrifiés par cette violence et elle a dû faire face à un enfant violent. Mais, dans la région, on avait encore réduit les crédits destinés à payer un psychologue scolaire ou une forme quelconque d'intervention.
Ce que je veux donc dire est que, une fois qu'on peut disposer de quelqu'un pour identifier le problème, c'est très bien, mais cela n'arrive que très rarement. En général, les gens qui sont directement concernés sont les enseignants de première ligne.
Deuxièmement, j'ai entendu dire, dans tout le pays, que le financement est mal organisé, qu'il y a des chevauchements, qu'on procède au petit bonheur la chance. On lance un programme, puis on le supprime et on le remplace par un autre. Personne ne semble avoir la moindre idée de la façon d'effectuer ces interventions primaires. Oui, il y a des programmes, mais ils sont éparpillés et ne touchent que peu d'enfants. Ce qu'il faut, c'est un programme universel, mais j'y reviendrai.
Je pense réellement que si nous voulons nous attaquer non pas à la justice pour les jeunes... La justice pour les jeunes entre en scène lorsqu'un délit a été commis et qu'il y a donc une ou plusieurs victimes. C'est à ce moment-là qu'on fait appel à la LJC et au système de justice. Il faut faire une distinction entre ces deux niveaux; l'intervention primaire a lieu avant l'entrée en scène de la justice.
Ce qui me paraît frustrant est que j'ai participé à nombre de réunions comme celle-ci et j'ai constaté qu'on tergiversait en parlant d'intervention primaire ou tertiaire, de contrevenants violents et d'intervention secondaire. En fait, chaque niveau doit appliquer une méthode intégrée et tous les niveaux doivent pouvoir se combiner pour que l'on puisse passer au suivant sans heurts. Hors, ce n'est pas le cas.
Deuxièmement, il y a les énormes réductions de financement que l'on constate dans l'ensemble du pays. Il n'y a pas un seul endroit où je sois allée dans tout le pays où je n'aie pas entendu parler de cela ad nauseam. En tant que bénévole, je ne suis pas au courant de cette situation, mais j'en entends tout le temps parler. Je crois qu'il faut que nous commencions à intégrer le contrôle du financement. Lors d'une des conférences nationales que nous avons organisées, j'ai même dit à certains gouvernements provinciaux que si chacun des ministères concernés utilisait 0,05 p. 100 de son budget pour traiter cette question de façon intégrée, nous n'aurions pas besoin de crédits supplémentaires. Mais une intégration est nécessaire. On ne peut pas financer tout cela à partir des fonds des services sociaux communautaires en ajoutant une petite contribution du ministère de l'Éducation et de celui de la Justice.
Donc, la chose en faveur de laquelle je plaide est la nécessité d'une approche intégrée avec, à chaque niveau, des gens qui savent de quoi ils parlent.
Une chose qui me gêne considérablement est qu'on ne semble pas savoir par où commencer. On a quelqu'un qu'on identifie comme ayant désespérément besoin d'assistance, généralement quand son comportement est déjà très prononcé. En fait, cependant, c'est réellement seulement quand l'enfant entre dans le système de justice qu'on peut appliquer la loi. Jusque là, on ne peut faire qu'une identification. Certains parents refusent et certains ne veulent pas participer. Il n'y a pas d'approche cohérente.
Je dois dire que le modèle québécois, la Loi sur la protection de la jeunesse - que je ne connais pas à fond, j'ai juste lu certaines choses à son sujet - semble permettre au système de justice de jouer un rôle important en établissant un lien entre les interventions primaires et secondaires. C'est ce qu'il faut faire lorsqu'on juge cela nécessaire pour l'enfant. À l'heure actuelle, il me semble que l'on procède tout à fait à tâtons.
En outre - et cela fait écho à ce que j'ai dit précédemment - nous nous occupons de ces jeunes, de ces enfants de façon globale. Ils ont, selon le cas, 5, 6 ou 7 ans et l'argent, les interventions concrètes sont destinés à ceux qui ont déjà des problèmes caractérisés. Nous avons besoin de programmes universels pour tous les enfants couvrant les choses comme la façon de faire face à la violence, les techniques de médiation, la gestion du comportement, une bonne compréhension des règles de comportement, etc. Ensuite, quand ceux que cela n'influence pas se sont fait nettement remarquer, nous pouvons commencer à leur donner de l'aide.
L'un des problèmes est que l'on consacre tant de temps, d'efforts et d'activités académiques aux problèmes de comportement, mais très peu d'attention et de temps aux enfants de la classe qui se débattent également avec nombre de ces problèmes contre lesquels nous devons lutter. Je pense que c'est une cause perdue puisque nous tournons vers la justice. Nous intéressons donc à ceux qui ne sont pas conformes à la norme. Mais il faut que nous enseignions certaines de ces stratégies de prévention de la violence à tous les élèves.
Nous sommes en train de travailler sur un modèle. Nous avons reçu une grosse subvention du département de santé publique de Hamilton-Wentworth et nous avons un rapport qui va bientôt être publié.
Ce modèle est un exemple de prévention primaire; il a été testé en pratique dans six écoles. On l'applique maintenant dans plusieurs autres écoles et on l'évalue progressivement. Ce programme existe depuis deux ans. Il s'adresse à l'ensemble de la population, c'est-à-dire, dans ce cas-ci, aux enfants d'âge scolaire avant que les problèmes ne fassent vraiment leur apparition.
On considère les écoles comme un endroit idéal pour réaliser toute une série de programmes de prévention, notamment parce que tous les enfants vont à l'école. Les programmes de prévention primaire recommandent que l'on mette en place des milieux scolaires qui permettent aux enfants et aux jeunes de sentir qu'ils sont les bienvenus et qu'ils sont des membres importants de la communauté scolaire et qui leur fassent acquérir des habiletés personnelles et sociales. Le programme de prévention secondaire devrait être destiné aux enfants présentant un risque élevé. Nous avons tous ces renseignements et je peux vous les communiquer.
Le programme tertiaire est en fait le traitement. Quand on parle d'intervention, je pense qu'il faut être très clair. J'ai été invitée à prendre la parole devant tant d'organisations d'enseignantes et d'enseignants dans l'ensemble du pays parce que le personnel enseignant a l'impression d'être tout à fait dépassé par les événements. On ne lui apprend pas à faire face à ces situations. Il ne sait pas comment faire.
Je dois vous dire que le problème de la divulgation au moment où on s'y attend le moins est l'une des choses les plus épouvantables à quoi aient également à faire face les enseignants. J'en suis maintenant arrivé à un point tel que, dans une salle, je peux pressentir quand quelqu'un va venir me voir pour me raconter quelque chose de vraiment épouvantable et de très intime. Cela peut avoir eu lieu il y a 30 ans et c'est terrible. Cela arrive maintenant tous les jours dans nos écoles et les enseignants doivent faire face à cette situation sans avoir reçu une formation coordonnée. On n'enseigne pas les habiletés nécessaires au personnel. Donc, si on parle de prévention primaire, parlons-en, mais appliquons la à tout le monde.
La présidente: Merci.
Mme de Villiers: Puis-je ajouter une chose?
Nous sommes une organisation de base qui investit son argent où elle le juge nécessaire et nous jouissons de l'appui de nombreux secteurs de la collectivité. J'ai entendu beaucoup de gens parler de la collectivité ou des programmes communautaires et je ne sais pas combien d'entre eux sont vraiment engagés dans de telles activités communautaires. Nous avons mis un terme à au moins huit programmes tout à fait couronnés de succès dans le cadre desquels nous appuyons d'autres niveaux d'intervention et nous sommes en train de préparer un programme complet pour des groupes communautaires de l'ensemble du pays qui se sont adressés à nous afin de leur permettre de créer cette sorte de village dont nous avons parlé au Conseil national de la prévention du crime et où l'enfant pourra recevoir une éducation adéquate.
Pour finir, il me semble que nous parlons un peu à la légère de la collectivité et nous ne précisons pas en quoi elle consiste. Je peux vous dire qu'il n'y a pas d'argent qui descend petit à petit jusqu'au niveau communautaire. Nous sommes tous bénévoles et le secteur communautaire reçoit très peu d'appui. Je ne parle pas des programmes communautaires subventionnés, mais des gens du coin, qui sont désireux et capables d'offrir leur aide si on leur montre comment faire. Alors, quand nous parlons des méthodes de prévention, je vous en prie, voyons comment nous allons organiser les activités communautaires étant donné qu'aucun financement n'est prévu pour elles.
Merci.
La présidente: Merci, madame de Villiers.
Monsieur Winegarden, puis le Dr Peterson-Badali et ensuite le Dr Leschied.
M. Winegarden: Merci. Je comprends bien ce que nous dit Priscilla, surtout en ce qui concerne les interventions auprès des jeunes enfants. Je voudrais dire quelques mots à ce sujet, mais je voudrais premièrement aborder certaines des préoccupations qui ont été exprimées autour de cette table. L'une d'entre elles est que la Loi sur les jeunes contrevenants est un échec est l'autre est que c'est une réussite mais que c'est le système qui est un échec.
Je me situerai à mi-chemin entre ces deux opinions et dirai que cette loi est un document conçu pour conseiller notre société quant à la façon de contrôler notre comportement et elle ne nous est pas réellement de bon conseil. Elle ne nous fournit pas les conseils dont nous avons besoin.
En Saskatchewan, 77 p. 100 des jeunes qui passent par le système de justice pour jeunes sont des Indiens. C'est un chiffre impressionnant. Ce qui est peut-être encore plus impressionnant est qu'ils ne représentent que 10 p. 100 des enfants qui bénéficient des programmes de déjudiciarisation. C'est la société John Howard qui fournit les services de ce genre et elle est débordée. Il n'existe donc rien pour assurer la déjudiciarisation des enfants indiens.
En conséquence, les Indiens ont l'impression qu'ils se retrouvent en prison à cause du système, de la société blanche, parce que, en Saskatchewan, les enfants indiens représentent, je crois, 67 p. 100 des jeunes qui sont incarcérés. Les faits semblent montrer et donner l'impression que la société blanche nous met en prison et je pense qu'il faut remédier à ce problème. On peut le faire en incluant nos valeurs dans le document qui nous sert de guide - tel est en effet le rôle de la Loi sur les jeunes contrevenants, c'est notre guide, et on n'y trouve malheureusement aucune trace des valeurs indiennes.
À Saskatoon, nous faisons maintenant de gros efforts pour obtenir la création d'un comité de justice communautaire. À titre d'information, je vous indiquerai brièvement comment il va fonctionner: quand un délit est commis, la police est avertie et intervient et c'est alors que le jeune contrevenant est peut-être interpellé. À ce moment-là, la police peut lui donner un avertissement ou décider d'aller plus loin et elle devrait alors porter l'affaire devant ce que nous allons appeler le comité d'évaluation. Chaque jeune contre lequel des accusations vont être portées doit être présenté à ce comité, composé de membres de la population autochtone, de représentants de l'aide juridique et de la Couronne ainsi que de la police. C'est ce comité qui va décider quoi faire et déterminer si des accusations doivent être portées contre cette personne.
Je connais une infinité de cas de jeunes Indiens qui ont été accusés de délits insignifiants. Un enfant qui avait mangé un oeuf de Pâques a passé sept jours en prison avant de se retrouver finalement devant le tribunal. Sept jours - c'est tout simplement ridicule quand on y pense. Le juge a bien entendu prononcé un non- lieu à ce moment-là.
Ce comité d'évaluation prendrait à ce moment-là des décisions de ce genre et dirait, par exemple, que cela n'est pas du ressort du tribunal, que cet oeuf valait 1,50 $, qu'il ne faut pas envoyer cet enfant dans le système de justice criminelle. Il pourrait alors décider quelles suites donner à cette affaire.
Tout le monde conviendra que, dans certains cas, l'enfant doit être envoyé dans le système de justice criminelle. J'ai travaillé sur le dossier d'un garçon de treize ans qui avait frappé une femme à coup de marteau et l'avait violée. Dans une telle situation, il est clair qu'une intervention est nécessaire pour protéger la société. Mais l'exemple de l'oeuf est l'autre extrême et il ne faudrait alors pas porter d'accusation. Il faut donc passer par les tribunaux dans certains cas et on pourrait aussi envisager le recours à un cercle de détermination de la peine ou quelque chose comme ça.
Nous allons créer pour cela un projet de déjudiciarisation des jeunes auquel pourraient s'adresser ceux qui ne méritent peut-être pas d'être poursuivis, mais qui ont besoin d'une forme d'intervention et on pourrait organiser un cercle, une autre sorte de cercle, pas un cercle de détermination de la peine. Ce cercle pourrait faire des recommandations au sujet de ce qu'il faut faire avec cette personne et cela se fera avec la participation de la famille de la personne concernée.
Certains ont dit tout à l'heure qu'il est difficile d'adapter le cercle de détermination de la peine aux villes, mais je ne suis pas d'accord. Je pense qu'il serait tout à fait à sa place parce que c'est la nature du délit qui définit le milieu concerné. Il y a la victime et son milieu de vie ainsi que le délinquant et son milieu de vie à lui et voilà... C'est cela, le milieu concerné.
On fait donc participer à ce moment-là les gens qui vivent dans ce milieu à la décision à prendre à propos de cette personne. Dans certains cas, aucune accusation ne sera même portée contre elle, mais on pourrait prendre des mesures novatrices à son endroit. On nous a dit que le maintien d'un jeune en prison pendant un an coûte 100 000 $. On pourrait acheter un bon équipement de hockey pour cet enfant pour 100 000 $. On pourrait lui faire pratiquer la gymnastique ou le hockey et dépenser cet argent intelligemment - parce que c'est tout simplement ridicule. On enrichit le système, mais pas cet enfant.
C'est idiot à dire, parce que cela devrait être tellement évident: le rôle d'un parent est d'élever son enfant. Au niveau collectif, la Loi sur les jeunes contrevenants devrait contribuer à l'éducation des enfants au lieu de les faire passer par le système de justice criminelle. Je ne sais pas si nous en sommes tous conscients ou non, mais on ne donne pas une bonne éducation à un enfant à coup de gifles, parce qu'il est alors en proie à la colère et refuse de faire quoi que ce soit. Hors, c'est précisément ce que la Loi sur les jeunes contrevenants fait aux enfants, aux enfants Indiens - elle leur assène des gifles.
Je dirais qu'il faut prendre l'argent qu'on utilise pour mettre ces enfants en prison et fermer tous ces lits - vous savez, tous ces lits de prison. Commencez à réorienter cet argent pour permettre à ces enfants du hockey et de la gymnastique. Faites leur faire quelque chose qui leur permettra peut-être de s'épanouir.
C'est tout ce que j'ai à dire. Merci.
La présidente: Merci beaucoup.
Docteur Peterson-Badali, Docteur Leschied et Jim Robb.
Dr Peterson-Badali: Merci. Je commencerai par faire des commentaires généraux et j'essaierai ensuite de placer quelques idées précises. Étant psychologue, je ne peux parfois pas m'empêcher d'identifier ce que me paraissent être les termes généraux qui sous-tendent certaines des questions principales.
Pour ce qui est de la façon dont j'ai commencé à m'intéresser à ce système et pour ce qui est également des recherches que j'ai faites au cours des dix dernières années, quand je vois à quel point le système de justice est terriblement mal connu par les enfants, les jeunes délinquants et la population, quand j'entends le mécontentement qui se fait jour et quand j'essaie de comprendre à quoi cela tient, l'une des choses qui me frappent est un sentiment général d'aliénation. On se rend compte que les enfants se sentent aliénés par rapport à leurs parents, à leur famille, au milieu qui les entoure. On entend parler d'aliénation à propos des jeunes délinquants qui ont le sentiment qu'ils ne peuvent pas se faire entendre dans le système et qu'ils sont assujettis à une procédure qui ne manifeste aucun respect à leur endroit. J'ai entendu des jeunes délinquants dire que, par exemple, au moment du procès, le juge ne leur a jamais demandé pourquoi ils avaient fait ce qu'ils avaient fait et ils disaient qu'ils voulaient qu'on leur donne l'occasion de se faire entendre et d'apporter leur contribution.
Les victimes et leur famille ressentent certainement une aliénation. Elles ont l'impression qu'elles ne sont pas prises en considération dans le système, qu'elles ne sont pas associées à ce qui se passe et qu'on ne tient pas compte des horreurs qu'elles ont vécues.
Ensuite, de façon plus générale, à plusieurs niveaux du milieu immédiat et de la société dans son ensemble, il y a des écoles qui appliquent une politique de tolérance zéro; elles se sentent aliénées par rapport aux élèves et elles s'en débarrassent donc en les confiant au système de justice en prétextant toutes sortes de comportements. Je peux certainement comprendre ce que dit M. Winegarden à propos de certains des actes vraiment insignifiants pour lesquels ces enfants se retrouvent maintenant dans le système de justice alors que ce n'aurait vraisemblablement pas été le cas il y a un certain nombre d'années. On a l'impression qu'on ne veut tout simplement plus tolérer cela et qu'on ne sait pas quoi faire.
En matière de cadre de référence, cela me fait penser que ce que nous devons faire - et je pense que je l'ai entendu exprimer ce matin de nombreuses façons différentes - est d'amener les gens à se retrouver ensemble. On parle, par exemple, du principe de la justice réparatrice que l'on peut pratiquer aussi bien au niveau de l'intervention que pour les enfants qui sont dans le système. Lorsqu'on parle des cercles de détermination de la peine à l'intérieur du système, on peut aussi, avant de porter des accusations, mettre en place des programmes de déjudiciarisation mettant l'accent sur le fait de réunir les gens - réunir les victimes et les délinquants.
L'une des choses auxquelles je pense est un projet pilote réalisé depuis quelques temps par un groupe de Toronto, Justice for Children and Youth, et qui donne de très bons résultats; c'est la médiation par les pairs, dans le cadre de laquelle on forme des élèves - des enfants - à la médiation. Je pense qu'à Toronto, cela fait office à la fois de programme de déjudiciarisation et de programme de mesures de rechange appliquées après la mise en accusation - je fais peut-être erreur - ; en cas d'incident, on peut appeler la police, mais celle-ci peut accepter qu'on ait recours à la médiation par les pairs. Ces élèves médiateurs réunissent le délinquant et la victime et essaient d'élaborer une solution qui peut impliquer une intervention de la justice.
La médiation peut être infructueuse, mais l'idée est qu'on réunit des gens qui doivent surmonter certains problèmes au lieu de tout rejeter vers le système de justice en disant: «Cela ne nous regarde pas.» Nous avons entendu des gens dire que ces enfants sont les nôtres. Je pense que c'est une aliénation qu'expriment les gens qui... Il y a assurément la façon dont les médias dépeignent un public qui ne les considère pas comme nos enfants, mais comme des étrangers.
Je pense qu'un programme comme la prémédiation peut aider à rétablir les liens entre les enfants. Il peut, de toute évidence, leur enseigner des habiletés très importantes pour ce qui est de la résolution des conflits et des problèmes.
L'autre chose dont je voulais parler brièvement est le fait qu'on entend à nouveau beaucoup parler de programmes. On entend aussi des gens dire qu'ils s'occupent de programmes qui donnent peut-être de bons résultats dans leur ville, mais, ailleurs, les gens n'en entendent pas parler. L'une des choses dont nous avons besoin est une sorte de centre de coordination ou d'endroit central où l'on peut envoyer des renseignements sur les programmes et les faire connaître.
Au lieu de réinventer la roue, les gens peuvent ainsi utiliser localement des modèles qui fonctionnent. Ils peuvent les reprendre, en élargir l'application et les adapter à leurs propres besoins. Au Partenariat d'éducation sur la justice pour adolescents, nous avons constaté que c'est un besoin et une priorité. On peut regrouper les renseignements de ce genre pour les communiquer aux gens afin que les groupes communautaires, qu'ils soient ou non subventionnés, soient à même de mettre en place certaines de ces choses, espérons- le, à partir de la base.
Enfin, vu mon expérience du monde de l'éducation et ma réflexion à propos de ce que les enfants connaissent du système et des questions en jeu dans l'éducation, je pense qu'il y a des gens qui croient que, si le public connaissait mieux le système, il le trouverait plus satisfaisant. Il y a encore quelque chose en moi qui me fait espérer que c'est vrai, mais, en fait, je n'en suis pas sûr. Je pense certainement que cette loi a été un catalyseur pour toutes sortes de fortes convictions qui vont bien au-delà de ce que les gens savent ou ne savent pas.
Je pense que l'éducation peut jouer un rôle en amenant les enfants plus particulièrement, mais aussi les adultes, à penser qu'ils font partie intégrante de leur communauté et d'un processus. Si les gens savent comment fonctionne le système, s'ils en comprennent la nature et s'ils ont une idée de ses principes et de ses pratiques, ils peuvent alors, en fait, s'y sentir beaucoup plus étroitement associés.
Il en va de même pour les jeunes contrevenants. S'ils ont une idée des grands principes du système et de la raison pour laquelle on fait telle ou telle chose et s'ils ont l'impression de pouvoir se faire entendre, ils auront peut-être un sentiment plus fort d'appartenance, au lieu de se sentir aliénés et déconnectés.
Ce sont simplement des considérations très générales, mais j'avais besoin de les exprimer. Merci.
La présidente: Merci. Monsieur Leschied.
Dr Leschied: Je dirai d'abord que, puisque cette période de l'année est placée sous le signe de l'espoir, c'est en fait un signe très prometteur qu'on peut voir dans les propos de M. Ramsay au sujet de l'importance de la réadaptation.
Je pense souvent que les discussions et les débats portent sur la nécessité de choisir entre la réadaptation des jeunes et la protection de la société. Je pense que le comité surmonterait un obstacle important s'il soulignait l'importance de considérer que ces deux objectifs coïncident. Il ne faut pas avoir à choisir entre la réadaptation et la protection. Quand on fait une chose, on fait également l'autre. Je pense que c'est un principe extrêmement important auquel le comité devrait souscrire.
Je pense qu'il faut dépasser l'idée selon laquelle le simple fait de mettre quelqu'un hors d'état de nuire crée une impression de sécurité. À mon avis, la société dans son ensemble se trompe si elle croit qu'on obtiendra des résultats en se débarrassant de quelqu'un pendant un certain temps.
Le temps n'a pas d'effet magique dans la vie d'un enfant et il faut que nous fassions quelque chose de plus important que simplement enfermer des jeunes gens. Or, quand je voyage à travers le pays, je constate que, si des fonds sont prévus pour offrir à un enfant un endroit où dormir et trois repas par jour, on ne met souvent pas d'argent de côté pour s'occuper de questions comme la gestion de la colère, les habiletés sociales et les besoins particuliers en matière d'éducation. Voilà donc quelque chose d'important.
Mais je viens de l'Ontario où, au moment où je vous parle, on prévoit, au printemps prochain, l'ouverture d'un camp disciplinaire. Ce programme est réservé à 40 ou 50 auteurs d'actes de violence. Ce n'est pas un véritable camp de type militaire - on ne le désigne pas ainsi en Ontario - , mais il reproduira peut-être en fait nombre des principes qu'on y applique.
Le financement de ce programme n'est pas contesté. Il semble donc paradoxal qu'alors qu'on encourage la création de camps disciplinaires en Ontario et dans d'autres provinces, on remet en cause en Ontario le financement des centres d'accueil où les femmes victimes d'agressions peuvent vivre en sécurité. Soit dit en passant, les premières choses qu'on élimine dans ces centres sont les programmes destinés aux enfants qui ont été exposés à la violence familiale.
Comme vous l'avez entendu dire, les comportements violents des enfants sont souvent l'effet d'un phénomène d'apprentissage social. La violence est fondamentalement un comportement appris qui peut être désappris si l'on met en place des programmes appropriés. Or, ces programmes-là sont les premiers à être éliminés.
Deuxièmement - Mme de Villiers en a parlé - , l'éducation doit jouer un rôle important pour la prévention de la violence. La clinique a réalisé un programme appelé ASAP qui est destiné à mettre un terme à la violence et a reçu l'appui de plusieurs commissions scolaires de l'ensemble du pays.
Or, la mise en oeuvre de ce programme nécessite des ressources. Devinez lesquelles les commissions scolaires réduisent en premier? Ce sont les ressources consacrées à assurer la sécurité des enfants, non seulement dans les familles ou à l'école, mais dans l'ensemble de la collectivité.
Je finirai donc en disant la chose suivante. On entend prononcer de belles phrases autour de cette table. Soit dit en passant, je trouve rassurant, quand je suis assis à cette table, d'entendre cette convergence d'opinion au sujet de l'importance de l'intervention précoce, de la prévention et de la réadaptation, mais ces belles phrases sonnent creux si nous en tenons là et n'essayons pas de faire quelque chose de concret.
Ce comité a beaucoup d'influence. Au lieu de replâtrer la loi, comme le dit Tony Doob, nous devons faire quelque chose de plus important. Notre province, l'Ontario, peut, par exemple, se permettre d'adopter un programme disciplinaire et de réduire ensuite les subventions accordées aux programmes de prévention pour les jeunes gens violents. Nous devons faire quelque chose à ce sujet. Je mets le comité au défi de prendre au sérieux les propos qui sont tenus ici et de participer activement à ce qui se fait. Je ne sais pas vraiment si c'est un problème de paiement de transfert ou s'il s'agit d'un code plus strict en matière de déclaration.
En fait, nous devons faire plus. Nous avons entendu les belles phrases. Les conclusions sont convergentes. La littérature nous permet de savoir ce qui donne des résultats. On doit retrouver cela dans les recommandations que le comité présentera aux provinces.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci, Dr Leschied. Les trois prochains intervenants sont Jim Robb, le Dr Pennell et M. Garber-Conrad.
M. Robb: Je ne vais certainement pas critiquer l'intervention précoce. Comme beaucoup de gens qui s'occupent des jeunes - je préfère ce terme à l'expression «jeunes contrevenants», parce que je suis d'accord avec quelqu'un qui a dit tout à l'heure que l'une des choses que nous devons cesser de faire est d'étiqueter et stigmatiser nos jeunes - , je suis sûr que nous connaissons tous des exemples de la façon dont on peut travailler de façon efficace auprès d'eux à l'extérieur du système de justice.
Un exemple très simple de ma province est un groupe de counselling sur la gestion de la colère que nous avons contribué à mettre sur pied. On a aiguillé des jeunes gens vers nous. La grande majorité d'entre eux avaient commis des infractions contre les biens. Il ressortait toutefois clairement de leurs antécédents familiaux qu'ils avaient énormément de mal à maîtriser leur colère.
Nous avons suivi les deux premiers groupes qui ont participé à ce programme. Parmi ceux qui l'ont suivi en entier, 10 p. 100 ont ensuite récidivé et 80 p. 100, non. Soixante-quinze pour cent de ceux qui ne l'ont pas terminé ont récidivé. Parmi eux, 67 p. 100 ont commis des délits accompagnés d'actes de violence.
Nous connaissons tous des exemples de choses très simples et très naturelles que l'on peut faire. On constate qu'on obtient les mêmes résultats quand on s'en prend à l'alcoolisme et à la toxicomanie. Il existe un programme de traitement extrêmement efficace en Alberta. Il s'agit d'une organisation autochtone, ce qui ne paraît pas être une coïncidence, parce que ce sont les Autochtones qui prennent la guérison au sérieux dans notre pays.
Dans le groupe des gens ayant participé à ce programme, pour toutes les catégories d'âge, on constate que 80 p. 100 ne récidivent pas. Il y a des différences stupéfiantes. Tous les gens qui travaillent dans le cadre de ce système peuvent le constater aisément.
L'un des problèmes que je remarque est cependant qu'on replace toujours les changements nécessaires dans le contexte de la Loi sur les jeunes contrevenants. Vous trouvez peut-être que je suis un drôle d'avocat, mais je dis qu'il ne faut pas assujettir des enfants de plus en plus jeunes à cette loi pour leur donner accès à des programmes de prévention précoce.
Je constate que les programmes d'intervention précoce, de déjudiciarisation ou de mesures de rechange posent un certain nombre de problèmes. C'est peut-être simplement à cause de ce que j'ai vu en Alberta, mais je crois toutefois que non. Pour ce qui est des mesures de remplacement, on constate souvent que les enfants qui participent à ces programmes appartiennent aux classes moyennes. Les critères choisis excluent les autres enfants. Voilà pourquoi en Alberta, par exemple,8 p. 100 seulement des enfants participant à des programmes de mesures de remplacement sont des Autochtones. À l'autre extrême, 65 p. 100 des jeunes incarcérés et 87 p. 100 des détenus de moins de 15 ans sont des Autochtones.
On trouve souvent des critères d'exclusion qui rejettent les enfants difficiles. Personne n'en veut. Nous voulons tous nous en débarrasser en les envoyant dans le système mis sur pied pour les jeunes contrevenants qui est actuellement massivement surpeuplé. Alors, nous avons des politiques de tolérance zéro. Les écoles les envoient dans ce système pour s'en débarrasser. Il y a des foyers pour les enfants qui présentent des troubles de comportement et ils rejettent dans le système les enfants le plus gravement atteints... les politiques de tolérance zéro. Ils y vont tous.
Je trouve que ce qui se passe normalement dans les programmes de mesures de remplacement, c'est qu'un enfant surpris à voler dans un magasin fera quelques heures de service communautaire et rédigera une lettre d'excuse, mais il ne se retrouvera jamais devant le tribunal. Je dois poser la question suivante: n'est-il pas vraisemblable qu'il ne s'y serait jamais retrouvé de toute façon? Il y a des chances que ce soit le genre d'enfant à qui ses parents ont interdit de sortir ou qu'ils ont privé de certains avantages.
Nous devons commencer à examiner la situation. Je reviens à une question posée précédemment: quel type d'intervention faut-il pratiquer si l'on veut réellement faire quelque chose pour les enfants qui ont le plus de chance de commettre constamment de nouveaux délits jusqu'à ce qu'ils atteignent l'âge adulte et encore après?
À mon avis, cela veut dire qu'il faut faire des choses comme la gestion de la colère ou, de toute évidence, le traitement de l'alcoolisme et de la toxicomanie. Nous rencontrons environ 3 000 enfants chaque année dans nos bureaux de Calgary et d'Edmonton et environ 90 p. 100 d'entre eux sont plus ou moins alcooliques ou toxicomanes; cela va de l'inhalation de colle aux principales... Nous avons dans notre bureau des alcooliques de 12 ans qui ont commencé à boire à l'âge de 6 ans. C'est auprès de ces enfants qu'il faut pouvoir intervenir de façon efficace. Nombre de ces problèmes, je le sais bien, sont reliés à la pauvreté, mais nous devons commencer là où nous le pouvons.
Je pense qu'un élément critique - et je ferai une réserve à ce sujet - est le caractère confidentiel du counselling. Il est intéressant de constater que, pour ce qui est de la gestion de la colère, l'un des principaux groupes qui n'a pas suivi le programme de counselling jusqu'au bout était composé des enfants que nous avaient envoyés le tribunal ou les services de probation. La raison en est que le modèle judiciaire ne prévoit pas la confidentialité. Les enfants restent fermés sur eux-mêmes et l'on ne peut pas lancer le processus thérapeutique. Il est donc essentiel que les services psychologiques soient confidentiels.
À mon avis, on dispose des ressources nécessaires. Ce qui nous empêche véritablement de progresser dans ce domaine est, en premier lieu, la prépondérance qu'on accorde à la Loi sur les jeunes contrevenants, ce qui ne devrait pas être le cas, et, en deuxième lieu, le fait que l'on croit qu'il faudrait consacrer des milliards de dollars de plus au système existant. Ce n'est pas vrai. Il faut réorienter l'argent vers les endroits appropriés et cesser de mettre sur pied des programmes qui servent simplement à dire «Admirez notre réussite», alors que cela aurait sans doute aussi bien marché en l'absence de tout programme. Il faut commencer à utiliser l'argent et les ressources disponibles là où un besoin existe. Il faut commencer à envisager de recourir à un modèle de guérison.
Dans la ville d'Edmonton, en une année, 667 jeunes dont certains n'avaient que trois ans, on fait l'objet d'enquêtes à cause de délits qu'ils avaient commis - ils avaient entre trois et 12 ans. Si je prends le groupe qui n'est pas couvert dans la Loi sur les jeunes contrevenants, il reste 400 jeunes qui ont fait l'objet de telles enquêtes.
Il est intéressant de noter que la majorité des délits en question avaient été commis par seulement 60 des jeunes faisant partie de ce groupe. Ce n'est donc même pas un nombre très élevé. Comme plusieurs autres intervenants l'ont signalé, presque tous les organismes connaissent ces60 enfants.
Nous procédons de façon ponctuelle au lieu d'adopter une approche holistique pour déterminer ce qui permettra de faire sortir les enfants de cette spirale ou les empêchera d'y tomber.
Le modèle judiciaire, le modèle juridique, sera toujours réactif. Il faut attendre qu'un délit soit commis et essayer ensuite d'y réagir. Nous pouvons nous montrer beaucoup plus créatifs que cela et il n'y a même pas besoin d'une loi pour le faire.
Nous avons besoin qu'on nous donne des indications en ce qui concerne le partage des coûts et l'utilisation qui sera faite des fonds disponibles. Pour dire vrai, il ne faudrait pas les utiliser pour des gens comme moi. Je suis d'accord avec ce qu'a dit quelqu'un d'autre. Il ne faudrait pas. Mais c'est ce qui se fera. C'est presque garanti parce qu'on s'appuie sur la Loi sur les jeunes contrevenants. Cet argent devrait aller aux enfants qui ont réellement besoin d'aide.
Nous savons tous que l'on peut faire certaines choses. Dans le milieu scolaire, on veut exclure des écoles les enfants qui ont des troubles de l'attention parce qu'on considère qu'ils dérangent la classe. Avec les politiques de tolérance zéro, combien d'enfants qui ont des difficultés d'apprentissage sont-ils jetés hors des écoles? Combien d'enfants ont des troubles de l'attention?
On peut réellement faire preuve de créativité. Regardez le groupe d'Edmonton. On commence à faire certaines tentatives. Nous avons organisé un programme en collaboration avec une école élémentaire qui aiguille vers notre bureau - un bureau d'avocats de la défense, c'est incroyable - des jeunes qui présentent des signes d'alcoolisme et de colère et qui sont loin d'avoir12 ans. Peu nous importe leur âge. L'idée est de leur venir en aide avant qu'ils ne commencent à commettre les délits qui nous inquiètent tous.
Ce travail donne des résultats. Si nous n'y portons pas remède, la colère que ressentent les jeunes aujourd'hui finira par éclater et cette colère est très grande. C'est là que les choses commencent à devenir effrayantes.
La présidente: Merci.
Je vais simplement vous demander de penser au temps dont nous disposons. Il nous reste20 minutes avant la première pause. J'admire réellement certains d'entre vous qui n'ont pas fait un geste. Je m'agite beaucoup; il faut toujours que je trouve des raisons de me lever et de me déplacer; je vous admire donc.
Il reste 10 personnes sur ma liste, alors essayez de tenir compte du fait que d'autres personnes veulent participer à ce débat. Je pourrais peut-être cesser de parler de cela et vous redonner la parole.
Dr Pennell.
Dr Pennell: À titre de porte-parole du Conseil national de la prévention du crime, je voudrais mentionner brièvement que nous sommes en train de préparer une page d'accueil sur la justice pour les jeunes, ce qui est une façon de diffuser des renseignements dans tout le pays. Je sais que tout le monde n'a pas accès à un ordinateur, nous avons donc beaucoup de documents imprimés portant sur divers programmes couronnés de succès.
Le groupe de travail fédéral-provincial-territorial a également réalisé un excellent ouvrage sur les programmes couronnés de succès. Je voulais d'abord signaler cela parce qu'on a posé une question au sujet de l'information.
Madame la présidente, sans vouloir vous offenser, je voudrais faire une proposition. J'ai remarqué que les gens souhaiteraient qu'on leur énonce des principes ou qu'on les éclaire au sujet de la façon d'aborder la criminalité juvénile et je me demande s'il nous serait possible aujourd'hui de mettre plus particulièrement l'accent sur l'élaboration de ce que j'appellerais un énoncé de principes à ce sujet.
Nous avons parlé, entre autres choses, de l'image que nous faisons des jeunes. Je sais que quelqu'un ici - je crois que c'était Bill - a reconnu avoir commis des délits dans sa jeunesse. Je pense que nous pourrions tous avouer des choses comme cela. Nous devons nous faire une image des jeunes qui tienne compte du fait qu'ils ne sont pas simplement mauvais ou handicapés, mais que ce sont des personnes comme les autres. Ce serait un premier principe.
Un autre principe que j'ai entendu mentionner porte sur les notions concernant la justice. Certains se sont demandés si nous étions dans un contexte approprié pour même simplement parler de tout cela. Devrions-nous parler de la santé, des services sociaux, de l'éducation, etc.? Je crois que Priscilla a particulièrement fait ressortir cela.
Je pense également que ce que d'autres ont souligné est que si nous avons une conception trop étroite de la justice, cela nous limitera. Personnellement, je trouve très prometteur que le Comité de la justice et des affaires juridiques ait une conception beaucoup plus large de la justice qui correspond à ce que certains pourraient appeler la justice curative ou la justice transformative. Je ne veux pas utiliser le terme «réparatrice», parce que je crois qu'il donnerait l'impression qu'on peut revenir à quelque chose qui n'a jamais existé.
Je veux également dire qu'il me paraît positif d'examiner ces questions en termes de justice parce que cela fait appel aux intérêts personnels des gens. Je veux dire par là que, si on se contente de parler de certains enfants pauvres ou de certaines femmes battues ici ou là, cela suscite une certaine commisération, mais les gens ne se disent pas: «C'est ma propre vie.» Par contre, quand on commence à parler de la criminalité, les gens se rendent compte que c'est quelque chose d'important pour eux. Je pense donc que l'utilisation du mot «justice» est une façon importante de mobiliser la volonté politique.
La troisième chose dont on a parlé porte sur les notions concernant la collectivité ou les activités communautaires et on peut en parler de façon très abstraite ou en fonction des expériences concrètes que nous avons vécues. Ce qu'on appelle collectivité ou communauté est, à mon avis, un sujet que nous n'avons fait qu'effleurer. Ce n'est pas quelque chose de préexistant, qui est tout simplement là, et on ne peut pas simplement venir y puiser; c'est quelque chose qu'il faut créer, nourrir et cultiver.
Au lieu de cela, au Canada, nous avons maintenant beaucoup de personnes déplacées, qu'elles viennent d'autres pays ou, comme dans ma province, qu'on leur ait imposé une réinstallation. Un exemple que je connais bien, parce que j'ai fait beaucoup de recherches dans le Labrador, est la réinstallation forcée des Inuit de Hebron à Nain avec les répercussions incroyables que cela a eu sur ce groupe, mais je pourrais dire la même chose au sujet de multiples groupes d'habitants de Terre-Neuve et du Labrador.
Donc, si nous voulons aborder la question des collectivités humaines, il faut que nous parlions de la façon dont elles se créent et des stratégies qui peuvent contribuer à cette création.
Une que je connais très bien est la conférence du groupe familial parce que j'ai réalisé un projet pilote dans ce domaine. Ce que j'ai constaté est qu'on peut travailler avec des familles qu'on pourrait qualifier de dysfonctionnelles ou des familles dans lesquelles ont été commises des agressions sexuelles intergénérationnelles ou dont plusieurs membres ont été reconnus coupables de différents délits; on peut néanmoins les réunir avec leur famille étendue et le reste de leur entourage immédiat pour créer des collectivités où les gens sont en sécurité.
Je veux mentionner une autre chose - et je n'oublie pas que je n'ai que peu de temps. J'ai récemment participé à un certain nombre de débats télévisés. On y apprend toujours beaucoup de choses et, où que je sois dans le pays, j'en retire toujours des enseignements quelque peu différents. En général, les émissions commencent - et je parle de celles qui portent sur la criminalité juvénile et la justice pour jeunes - par des interventions en faveur du recours à des méthodes punitives; on recommande de fouetter les jeunes comme à Singapour, de publier leurs noms sur toutes les stations de radio et de télévision et dans tous les journaux ou de punir leurs parents. Ce que je constate, cependant, si je reste en ligne avec les gens, est que leur attitude est sous- tendue par l'impression réelle que la société a perdu quelque chose. Les gens parlent de la façon dont les choses se passaient autrefois dans les familles, de la façon dont les voisins empêchaient les enfants de faire des bêtises, alors qu'aujourd'hui ils ont peur de faire cela.
Donc, si nous élaborons des principes - et je pense que la loi est utile à cet égard - , comment peut-on établir une sorte d'orientation générale favorisant cette approche communautaire? Ensuite, comment - et c'est encore une question de loi - les deniers publics et le financement de l'éducation, de la santé, etc. peuvent-ils favoriser ce processus? Ensuite, quelle politique faut- il adopter pour amener tous ces groupes différents à travailler ensemble?
La présidente: Merci, Dr Pennell.
Nous entendrons d'abord M. Garber-Conrad, puis le Dr Bala.
M. Garber-Conrad: Je suis heureux d'avoir l'occasion d'essayer de revenir au premier sujet. Peut-être sommes-nous déjà passés au deuxième ou au troisième pendant que j'étais sorti.
Je suis certainement en faveur du programme de déjudiciarisation et des autres choses de ce genre, mais je pense que nous avons consacré peu de temps à parler des vrais contacts directs, c'est-à-dire, en d'autres termes, des programmes de développement social impliquant une intervention précoce auprès des jeunes enfants. Je pense que cela est dû en partie à l'ambiguïté qui existe quant au fait de savoir si cette tribune convient à une telle discussion et s'il est justifié de faire intervenir la justice?
J'ai participé pendant cinq ans aux activités du groupe de travail pour la sécurité urbaine du maire de notre ville qui cherchait à prévenir la criminalité en s'appuyant sur le développement social. L'élément fondamental est en effet le développement social. C'est cela qui compte. La prévention de la criminalité est comme un petit cadeau en plus. N'est-il pas bien que le fait d'aider les enfants à risque et leur famille nous rapporte en fait quelque chose à nous: personne ne force plus les serrures de nos automobiles, nos quartiers sont plus sûrs, nous allons au centre-ville à pied avec plaisir.
Quand on en arrive ensuite au niveau concret, celui du marketing, je trouve absolument merveilleux que le Comité de la justice s'intéresse à cela parce que cela rend ces idées plus acceptables. Dans ces conditions, si nous pouvions faire preuve de détermination et montrer que la prévention de la criminalité donne de bons résultats, ce serait bien. C'est beaucoup plus facile à faire accepter par le public que d'aider les enfants pauvres ou les familles défavorisées. Je regrette qu'il en soit ainsi, mais il faut utiliser les méthodes qui marchent.
Il est absolument clair et indéniable que les programmes sociaux ciblés qui portent sur les véritables facteurs de risque affectant la vie de chacun, celle des enfants d'âge préscolaire ou scolaire, des jeunes et des familles, ne font pas que profiter aux familles et aux gens individuellement, mais préviennent également toutes les formes de délinquance y compris la délinquance juvénile. Ils profitent donc à l'ensemble de la société.
Quand je parle d'intervention précoce, je pense au moins aux activités préscolaires, aux programmes du type Bon départ, aux bons services de garderie, aux programmes d'assistance parentale, aux programmes d'alimentation prénatale ou infantile, aux soins de santé mentale pour enfants, aux activités organisées dans le cadre de projets comme Success by 6, ou 1, 2, 3 GO!, à la prévention des mauvais traitements, aux soins à prodiguer aux enfants qui ont été témoins d'agressions commises contre leurs parents. C'est là qu'on constate réellement les avantages de l'intervention précoce et de la mise en pratique de la philosophie ou de la méthodologie de la prévention.
En fait, ces programmes sont ciblés plutôt qu'universels, mais je suis d'accord avec la première chose qu'on a dite ici, la nécessité d'éviter de stigmatiser les gens. Étiqueter et stigmatiser les gens qui ont des problèmes n'est pas une bonne solution. Pour éviter cela, il faut adopter une approche communautaire.
Beaucoup d'enfants, de jeunes et de familles à risque vivent dans des milieux à risque, des milieux dysfonctionnels, des milieux fortement défavorisés; il faut donc pouvoir aller à l'hôpital, regarder le nouveau-né et déterminer s'il risque ou non de devenir délinquant; on s'appuie pour cela sur des statistiques. On travaille avec les gens de ces milieux, avec ceux des milieux fortement défavorisés, et on leur fournit les programmes sociaux ciblés qui vont aider les enfants à grandir, les familles à guérir et les collectivités à se développer. En plus, il se trouve que cela profite à nous tous en permettant de prévenir la délinquance.
Pour finir, c'est ce que fait précisément le programme d'action communautaire pour les enfants, une des initiatives incroyables et merveilleuses entreprises par le gouvernement fédéral sous l'égide de Santé Canada. Ce programme est axé sur les enfants qui ont de zéro à six ans et assure ce type d'intervention précoce primaire ou secondaire. Il a subi des compressions de 54 p. 100, ce qui est le genre de chose qu'il ne faudrait pas faire si nous pensons que ce genre de programme est vraiment utile. Même si nous trouvons des choses qui donnent des résultats encore meilleurs, nous devrions faire celles qui donnent déjà de bons résultats. Merci.
La présidente: Merci.
Monsieur Bala. N'oublions pas que nous avons peu de temps.
M. Bala: Je suis tout à fait d'accord avec les commentaires concernant la valeur de l'intervention précoce et des efforts en matière d'activités bénévoles et d'éducation. Je voudrais revenir brièvement sur un élément mineur, mais qui a au moins une importance symbolique, de ce que nous faisons vis-à-vis des jeunes contrevenants, c'est la question de l'âge minimum.
Il y a un petit nombre d'enfants de moins de 12 ans qui commettent des délits violents, y compris des délits sexuels, et récidivent. Je pense que le cas qui s'est produit à Toronto n'est pas unique. De nombreuses recherches montrent que la fréquence des délits sexuels commis par des enfants de moins de 12 ans est inquiétante. Ceux qui commettent les délits les plus graves et récidivent le plus courent un risque très élevé de continuer après l'âge de 12 ans.
Nous réagissons actuellement à cela en prenant des mesures axées sur la protection de l'enfance. Elles sont très valables et il ne faudrait absolument pas négliger cela, mais nous le faisons depuis 12 ans et certains problèmes se posent. Il est inévitable que, comme les organismes de protection de l'enfance subissent des compressions budgétaires, les cas concernant des délits sont placés en bas des listes de priorité par les travailleurs sociaux qui s'intéressent d'abord aux enfants victimes de mauvais traitements. L'intervention volontaire a certainement un rôle important à jouer, mais ceux qui en ont le plus besoin ont tendance à s'y refuser. Nous avons entendu parler de la question des ressources. Je pense qu'au Canada, à l'heure actuelle, le fait est qu'on finance plus facilement les activités liées à la justice pour les jeunes que les programmes de prévention.
Il se pose un problème en ce qui concerne la dissuasion relativement aux enfants de moins de12 ans. Je ne pense pas que les mesures de dissuasion comme des peines plus longues ou des renvois plus nombreux devant les tribunaux pour adultes aient la moindre influence sur le comportement des contrevenants. Je pense que certains enfants de moins de 12 ans, surtout les récidivistes, savent qu'il ne se passe rien. Ce que vous avez lu dans le journal n'est pas unique. Il est mauvais de faire comprendre aux gens que rien ne va se passer.
C'est également très mauvais pour ce qui est de la confiance de la population envers le système de justice pour jeunes. Comme beaucoup d'entre vous, j'ai participé à des émissions de ligne ouverte. Je trouve très difficile de dire que, quel que soit le délit commis, si son auteur a moins de12 ans, on prendra seulement des mesures relevant de la protection de l'enfance - c'est surtout, mais pas uniquement, gênant en ce qui concerne les victimes et même la police.
Les victimes, et c'est tout à fait légitime, ne jouent aucun rôle dans les procédures de protection de l'enfance. Dans un tel cas, on dit qu'on ne veut pas entendre le point de vue des victimes; ces procédures ne les concernent pas. Je pense que le public doit savoir que le contrevenant aura des comptes à rendre et que la société est protégée dans une certaine mesure.
Je ne plaide certainement pas en faveur de faire intervenir les services de justice pour les jeunes quand les contrevenants ont moins de 12 ans. Cela devrait vraiment se faire seulement en dernier recours et il faudrait imposer des restrictions concernant le renvoi devant la justice et le placement. Il ne faut certainement pas envoyer des enfants de 10 ou 11 ans en prison et cela devrait également s'appliquer aux enfants de 12 et 13 ans. Mais je pense que c'est une erreur de dire qu'à notre avis, ces enfants ne doivent pas rendre compte de leurs actes et cela compromet la confiance que la population accorde à l'ensemble du système de justice pour les jeunes.
La présidente: Merci, monsieur Bala.
Juge Gove, je vais vous donner le dernier mot dans cette partie du débat. Auparavant, j'ai les noms de cinq autres personnes que je ne vais pas laisser tomber. Nous trouverons une façon de vous faire une petite place. Allez-y, juge Gove.
Le juge Gove: En tant que juge, j'hésite un peu à prendre la parole devant un forum aussi nombreux, étant donné que je m'occupe pratiquement tous les jours de cas impliquant des jeunes gens. Toutefois, après avoir entendu ici ce matin toutes les personnes présentes autour de cette table, je pense que, puisque je siège depuis deux ans au sein d'une commission qui s'occupe de la question sociale très importante de la protection de l'enfance, je peux prendre la parole à ce titre. Donc, si vous voulez, je ne m'exprimerai pas en tant que juge.
J'ai été très content d'entendre nombre des points de vue qui ont été exprimés ce matin par certains des intervenants précédents. J'ai particulièrement apprécié les commentaires deM. St-Laurent qui, je crois, est déjà parti; il a parlé de l'importance du dépistage puisqu'il permet une prévention précoce - j'aime aussi cette expression - que, soit dit en passant, je considère comme très différente de l'intervention. Je pense que celle-ci ne doit se faire que beaucoup plus tard.
J'ai aussi apprécié plusieurs autres choses: les commentaires de Mme Toutant, qui a déclaré que l'acte criminel ne définit pas la nature du problème alors que, là encore, c'est souvent cet acte criminel qui entraîne une intervention, précoce ou non; les références du Dr Doob au fait que nous intervenons auprès de la famille à cause de nos préoccupations concernant la délinquance; et, enfin, le commentaire de M. Winegarden selon lequel nous devrions consacrer de l'argent à aider les familles à élever leurs enfants et mettre l'accent là-dessus.
On s'est demandé comment le comité pourrait aider à réaliser le processus de prévention, ce qui semble faire tout à fait l'objet d'un consensus au sein de ce groupe. Je suis d'accord avec la recommandation selon laquelle vous pourriez envisager de faire une déclaration de principes. Il est peut-être nécessaire de replâtrer la loi, mais j'oserais dire qu'une déclaration de principes peut aller beaucoup plus loin.
Si vous décidez de faire une déclaration de principes, je vous demanderais, ce faisant, d'envisager le concept ou le principe de l'inclusion de tous les enfants et de leur famille dans la catégorie des gens qui peuvent avoir besoin d'aide. Mme de Villiers en a parlé tout à l'heure et j'ai certainement apprécié la façon dont elle a formulé cela.
Il existe différents modèles, mais je ne vais pas en dresser la liste parce qu'ils sont mentionnés dans vos documents de recherche. Il y en a un en particulier, à Hawaï, qui m'a beaucoup intéressé, le Healthy Start Program. J'ai recommandé au gouvernement de Colombie-Britannique de l'examiner, et on m'a dit qu'il le faisait.
Par ailleurs, ce matin, en prenant mon café, j'ai lu le dernier numéro d'une publication de la sénatrice Pearson, Children and the Hill. J'y ai remarqué un article qui correspond exactement à ce dont nous avons parlé ce matin. Cette publication ne porte peut-être pas sur le système de justice, mais elle traite de la question sur laquelle nous penchons. Cet article a pour titre «Safe Homes, Safe Streets: Preventing Crimes by Investing in Families». Je vous recommande de le lire, parce qu'il traite de ce dont vous avez entendu parler ce matin.
Comme l'a dit le Dr Pennell, il faut replacer la justice pour jeunes dans un contexte social plus vaste et elle a mentionné la santé et l'éducation. Je signalerai en passant que je suis venu ici à Ottawa pour participer au forum d'aujourd'hui, mais je vais également prendre la parole lors d'une conférence qui commence dimanche et qui s'appelle Canada's Children... Canada's Future. Notre réunion aurait très bien pu être un atelier de cette conférence.
Après cet aperçu général, je ferai très rapidement quelques commentaires. Comme je l'ai dit il y a un instant, je vous inviterais à prêter assistance aux familles dès que le dépistage a révélé un problème potentiel au lieu d'intervenir seulement quand ce problème s'est déjà concrétisé. Je pense que cette assistance devrait être offerte même avant la naissance et, à coup sûr, une fois que l'enfant est né.
Elle devrait être universelle. Elle ne devrait pas être limitée à un groupe identifié comme posant des problèmes. Que l'on réagisse ou intervienne de façon précoce, par exemple dans le cas d'enfants victimes de mauvais traitements, ou plus tard, lorsqu'un jeune a un comportement violent à l'école ou qu'il a peut-être volé une automobile, ma conclusion est certainement que cela revient à offrir une assistance quand le problème est déjà devenu aigu. Cela ne protège ni l'enfant ni la société et cela coûte tout simplement trop cher.
Une assistance précoce dès la naissance contribuera dans une large mesure à maintenir la plupart des enfants en dehors du système de justice. Cela rendra nos villes plus sûres et, franchement, économisera beaucoup d'argent aux contribuables.
Merci.
La présidente: Merci.
Avant de lever la séance pour le déjeuner - j'ai d'autres noms sur ma liste et je vous donnerai l'occasion d'intervenir plus tard - , nous voulons vous faire savoir qu'à la fin de la réunion d'aujourd'hui, le greffier remettra à chacun d'entre vous un exemplaire du rapport qu'a récemment publié le groupe de travail fédéral-provincial-territorial, son résumé ainsi qu'un profil statistique du système de justice pour les jeunes du Canada. Nous avons trouvé ce rapport très intéressant et nous avons essayé de le lire cette semaine. Il contient beaucoup de statistiques et d'informations brutes qui peuvent vraiment être utiles.
Je vous invite maintenant à étirer un peu vos muscles. Ceux d'entre vous qui sont fumeurs devront sortir de l'édifice, mais si vous avez vos laissez-passer, cela ne devrait pas poser de problème. Nous allons déjeuner dans la salle 237-C, de l'autre côté du couloir, et le ministre se joindra à nous. C'est aussi lui qui nous invite. Il a accepté de payer la facture. Les autres personnes présentes dans cette salle sont également les bienvenues.
Je dois aussi vous dire que la sénatrice Landon Pearson, dont le juge Gove vient de citer le nom et qui va participer à la même conférence que lui cette fin de semaine, était dans la salle. Elle est partie, mais elle reviendra peut-être après le déjeuner. Vous pourrez tous constater que c'est aussi une personne très intéressante avec qui discuter.
Veuillez donc vous joindre à nous maintenant pour le déjeuner. Merci.
La séance reprendra ici à 13 h 30.