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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 26 novembre 1996

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[Traduction]

La présidente: Nous sommes de retour, comme vous le voyez.

Un juge de Windsor, M. le juge McMahon, m'appelait toujours «the late Mrs. Cohen» parce que j'arrivais toujours en retard pour mes plaidoiries. J'ai un peu de mal à maîtriser la situation, mais nous nous occupons toujours du projet de loi C-27.

Nos témoins d'aujourd'hui sont Claire Dubé, du Service d'information en contraception et sexualité de Québec, et Lorraine Dion, coordonnatrice de ce programme. Du Comité juridique communautaire sur la mutilation des organes génitaux de la femme, nous recevons Fadumo Dirie, de la section d'éducation en matière de santé communautaire, et Wumbui Gaitho, membre de l'organisme. Nous recevons également Jasna Teofilovic-Bugarski, du Conseil multiculturel des femmes professionnelles. De l'organisme La santé des femmes dans les mains des femmes, nous accueillons Khamisa Baya, qui est éducatrice en santé communautaire du Programme d'éradication de la mutilation des organes génitaux de la femme, et Mary Beny, membre du conseil d'administration de l'organisme.

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Je vous souhaite à tous la bienvenue. Vous avez observé nos travaux, vous savez donc comment nous procédons. Je voudrais demander à Claire Dubé et à Lorraine Dion de commencer. Je vous remercie.

[Français]

Mme Claire Dubé (coordonnatrice, Service d'information en contraception et sexualité de Québec): Bonjour. Je vais vous présenter tout d'abord notre organisme qui est le Service d'information en contraception et sexualité de Québec. C'est un organisme communautaire qui oeuvre dans le domaine de la santé reproductive depuis 1963.

L'organisme poursuit deux grands objectifs: sensibiliser et informer la population en matière de santé reproductive - contraception, fertilité, ménopause, syndrome prémenstruel, etc. - et de sexualité. Nous avons aussi le rôle d'appuyer les intervenants oeuvrant dans le domaine. Dans notre présentation, nous nous en tiendrons à notre domaine d'expertise qui est la santé reproductive. On sait que les mutilations sexuelles touchent énormément la santé reproductive des femmes.

D'autres témoins seront plus habilités que nous pour parler des questions juridiques. Nous sommes deux infirmières ayant une expertise en santé reproductive et c'est à ce titre que nous vous proposons notre réflexion. Dans le cadre d'un cours universitaire sur la culture et la sexualité, j'ai fait une recherche sur cette réalité.

Dans le cadre de notre travail à Québec, nous avons occasionnellement côtoyé des femmes africaines. Avec elles, nous avons pu aborder la contraception, la ménopause et, jusqu'à un certain point, la violence faite aux femmes, mais aborder le sujet des mutilations sexuelles était impossible. On aurait dit qu'il se dressait un mur entre elles et nous. Ce n'est pas un sujet facile. J'en ai discuté avec des femmes de la région de Québec, et plusieurs d'entre elles sont incapables d'en parler.

Excision, circoncision et infibulation sont autant de termes pour désigner les mutilations sexuelles dont sont victimes de 80 à 115 millions de femmes dans plus de 30 pays. Nulle part n'existent de statistiques de mortalité ou d'études systématiques des conséquences de ces pratiques, ce qui permet aux responsables de nier leur existence. On peut voyager dans toute l'Afrique sans obtenir un seul éclaircissement sur cette coutume dont sont victimes des millions de femmes. Chacun, alors, vous répondra que «cela n'existe pas ici».

Pourtant, l'ancienneté de l'excision n'est mise en doute par personne, même si les hypothèses divergent quant à son origine. Certaines font remonter cet usage aux Égyptiens. On a retrouvé en effet de nombreuses momies excisées et parfois même infibulées. De toute façon, l'ablation du clitoris est bien antérieure à l'Islam, et même si Mahomet n'a rien fait pour y mettre fin, il serait injuste de l'attribuer aux seuls pays musulmans. Il est évident qu'elle reste plus grandement implantée dans les pays coraniques, où la femme n'a pratiquement pas d'existence indépendante.

Les mutilations sexuelles touchent actuellement - et je le répète parce que cela m'apparaît très important - de 85 à 115 millions de femmes à travers le monde. C'est un problème qui existe depuis presque la nuit des temps, peut-on dire. La première fois où il en est fait mention remonte à l'époque ptolémaïque dans un texte égyptien. La première mention de l'infibulation serait attribuable à un voyageur et remonterait au XVe siècle.

Pratiquées depuis les premiers jours de la vie jusqu'à l'âge adulte, les mutilations génitales se présentent schématiquement selon deux modalités:

- En milieu animiste, on retrouve souvent des excisions ritualisées qui s'inscrivent dans des rites d'initiation. Elles sont collectives et se font selon un calendrier rigoureux, juste avant la puberté.

- En milieu musulman, l'excision et l'infibulation se pratiquent individuellement sans calendrier particulier et se font de la période postnatale, c'est-à-dire chez le bébé, jusqu'à la veille de la puberté.

On retrouve trois variétés de circoncision féminine. Je reprends le terme dont il est souvent question dans la littérature. Je pense qu'il n'y a pas de commune mesure entre la circoncision masculine et ce qu'on appelle la circoncision féminine.

La première d'entre elles est l'excision a minima ou «circoncision Sunna». En arabe sunna signifie «tradition». Elle consiste en l'ablation du capuchon et de la pointe du clitoris. On la rencontre surtout dans les pays musulmans.

La seconde forme, qu'on appelle «excision-clitoridectomie», comporte l'ablation du clitoris, des annexes et des petites lèvres en tout ou en partie. Elle est répandue dans les sociétés animistes, musulmanes et même chrétiennes d'Afrique intertropicale.

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La dernière variété est l'infibulation qu'on appelle «circoncision pharaonique». Après l'ablation du clitoris, des petites lèvres et des grandes lèvres, on ne laisse subsister qu'un petit trou pour permettre à l'urine et au flux menstruel de s'écouler.

Ces mutilations ne sont pas sans apporter leur lourd tribut de complications. Les complications immédiates que l'on rencontre le plus souvent sont le choc opératoire, l'hémorragie et la gêne urinaire.

L'infection toucherait 25 p. 100 des filles infibulées. Des complications tardives sont des cicatrices vulvaires, des abcès vulvaires, des kystes clitoridiens, des infections urogénitales et des fistules, cela sans compter les douleurs lors du coït, c'est-à-dire lors de la relation sexuelle, et les déchirures au moment de l'accouchement. Ces complications sont de l'ordre de 33 p. 100 chez les infibulées.

L'aire géographique, tel que démontré au tableau en annexe, n'a pas vraiment varié depuis des siècles. Presque exclusivement africaine, elle se situe dans une vaste zone subsaharienne comprise entre le Tropique du Cancer et l'Équateur. Les deux localisations asiatiques correspondent à des sociétés musulmanes tandis que l'unique îlot sud-américain se situe en milieu animiste partiellement christianisé.

Il existe également d'autres formes de marquage sexuel. Qu'on pense au tatouage chez les Inuit et aux femmes girafes de Birmanie du Nord dont la tête culmine sur une tour d'anneaux de cuivre de 40 ou 50 cm. Et la liste pourrait sûrement s'allonger de plusieurs autres exemples.

J'aimerais maintenant vous présenter certaines pratiques dans trois pays particuliers: l'Égypte, le Soudan et la Somalie.

En Égypte, depuis des millénaires, on pratique la mutilation sexuelle sous toutes ses formes. En Égypte méridionale, l'infibulation est une pratique traditionnelle qui reste vivace encore aujourd'hui. Chez les Coptes, qui représentent 15 p. 100 de la population, on pratique chez la plupart des petites filles l'excision. Selon une enquête faite à Alexandrie, la plupart des opérations ont lieu au domicile des parents. On opère en général une seule enfant à la fois, parfois des soeurs ou des cousines ensemble. L'opération est pratiquée par une «daya», sage-femme traditionnelle, mais on peut faire appel à une sage-femme diplômée ou encore à un barbier.

Au Soudan, l'opération la plus sévère, l'infibulation, appelée aussi circoncision pharaonique, est très répandue dans le pays, y compris dans les deux villes jumelles de Khartoum et d'Omdurman. Ces opérations sont profondément ancrées dans la vie et les traditions soudanaises. La famille fête l'opération avec la participation active des parents et des amis. Le jour venu, la jeune fille soudanaise revêt ses plus beaux habits, se pare de bagues, de bijoux et on l'appelle «la fiancée». On offre également à la jeune fille des cadeaux. Un seul terme sert à désigner tous les effets secondaires: on dit de la jeune fille qu'elle a été «sammahpaha», c'est-à-dire embellie.

Après l'opération et avant qu'on permette aux petites filles de se reposer, la coutume veut qu'on les amène au bord du Nil ou du cours d'eau le plus près pour leur laver rituellement les mains et le visage. On croit ainsi faciliter la menstruation et permettre à la fillette de trouver rapidement un mari. Après ces ablutions, on lie fermement leurs jambes. Elles resteront ainsi pendant 15 à 20 jours ou jusqu'à la guérison complète de la plaie. Les sages-femmes soudanaises jouent un rôle très important. Elles excisent, elles infibulent et, lors des accouchements, elles pratiquent les opérations dues aux mutilations sexuelles. L'ouverture des jeunes mariées est souvent de leur ressort.

On trouve également au Soudan des femmes qui ont le visage défiguré par des cicatrices rituelles.

En Somalie, les petites filles sont opérées entre cinq et huit ans. Les opérations peuvent être individuelles ou collectives. La petite fille doit s'accroupir sur un tabouret ou sur une natte. Une femme la tient par derrière, immobilisant ses bras. Deux autres femmes tiennent ses jambes pour l'empêcher de résister. L'opératrice s'assied devant la petite fille et lui coupe le clitoris, les petites lèvres et les parois internes des grands lèvres avec un rasoir. À l'aide de trois ou quatre épines, elle perce les bords opposés des grandes lèvres, puis attache les épines entre elles avec un chiffon ou une ficelle. Elle enduit la plaie d'un mélange de sucre, de gomme et de myrrhe. Le sang se mélange à cette pâte qui colle au chiffon et aux épines, et finit par former une croûte qui enraye le saignement.

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Les jambes de la petite fille sont ensuite attachées, des pieds jusqu'aux hanches. On la fait étendre sur le côté. On cautérise la plaie et on applique des herbes qui sont censées avoir des vertus hémostatiques et curatives. Pour éviter que la petite fille n'aille trop souvent à la selle, on lui impose un régime alimentaire strict. De même, elle n'a le droit de boire que quelques gorgées à la fois. On fait des fumigations pour chasser aussi bien les mauvais esprits que les mauvaises odeurs.

Le médecin ethnologue et psychiatre Michel Erlich explique que cette opération «ferme» la vulve jusqu'au mariage et nécessite, à cette occasion, une ouverture sanglante des voies génitales, appelée défibulation, et traditionnellement dévolue à l'époux lors de la nuit de noces, mais effectuée le plus souvent par une matrone ou par un médecin. Il n'est pas rare qu'une femme subisse, au cours de sa vie, plusieurs infibulations partielles successives. Ces sutures vulvaires réalisées par les matrones immédiatement après l'accouchement laissent subsister un orifice vaginal rétréci, qualité hautement appréciée par les hommes, et je cite M. Erlich.

Voyons maintenant les conséquences que peuvent avoir ces mutilations. Les mutilations sexuelles ont des conséquences graves et immédiates pour la santé des femmes et des filles: choc opératoire, hémorragie, gêne urinaire, infection. Des fillettes et des jeunes filles meurent quelquefois à la suite de ces opérations. Les conséquences tardives sont des cicatrices vulvaires, des abcès, des kystes et des infections urogénitales.

Dans le cas de l'infibulation, les femmes ont à vivre des douleurs qui peuvent être importantes lors de la relation sexuelle et une fréquence accrue de problèmes lors de la grossesse et de l'accouchement dus au mauvais état du périnée. Il n'est pas possible de connaître le nombre des femmes qui sont décédées suite à ces pratiques.

Au Soudan, lors d'une enquête tenue par l'OMS en 1983, certains médecins estimaient qu'un tiers des femmes excisées, dans les régions où les antibiotiques ne sont pas disponibles, mouraient à la suite de l'intervention. Presque toutes les femmes interrogées ont déclaré avoir souffert de troubles urinaires avant que leurs lèvres soient ouvertes, lors du mariage. Celles qui étaient encore vierges ont dit qu'il leur fallait de 10 à 15 minutes pour uriner et certaines ont mentionné mettre deux heures pour vider leur vessie.

Lorsque la femme excisée se marie, son mari doit ouvrir le passage, ce qui est habituellement difficile. Les femmes soudanaises ont déclaré que le processus de pénétration progressive, qui pouvait durer jusqu'à deux mois, était extrêmement douloureux. Le déchirement des tissus environnants, les hémorragies et les infections étaient choses courantes. Parmi les femmes interrogées, 15 p. 100 ont dit que la pénétration était impossible. Lorsque ces femmes deviennent enceintes, la plupart ont besoin d'une intervention chirurgicale au cours du travail pour permettre la naissance de l'enfant, car les cicatrices de l'excision empêchent la dilatation normale.

On imagine que les conséquences physiologiques et morales de cette opération sont graves et vont bien au-delà de la frigidité. On a peu d'études sur les effets des mutilations sur la sexualité de ces femmes. Des entrevues réalisées en Sierra Leone auprès de 130 femmes révèlent toutefois que plus la mutilation est importante, plus grande est la perte de sensations sexuelles. Aucune des femmes interrogées n'éprouvait de stimulations intenses pendant les relations sexuelles.

Comme le dit Benoîte Groult, toute la vie de la femme infibulée se déroulera désormais sous le signe du couteau: elle devra être «rouverte» le soir de ses noces, juste assez pour laisser le passage à son mari, rouverte plus largement lors des accouchements car le tissu cicatriciel refuse de se dilater, puis refermée à nouveau pour favoriser le plaisir de son partenaire.

Les mutilations féminines constituent une forme de violence. Elles ont pour fonction de marquer le rôle social inférieur des femmes chez certains peuples. L'excision était autrefois considérée comme une épreuve d'initiation avant le mariage. La jeune fille devait apprendre à supporter la douleur pour se préparer à celle que sa vie de femmes mariée lui réservait.

Selon des croyances encore tenaces, le clitoris qui est la partie mâle de la femme doit être supprimé. Les femmes se font dire que ces pratiques sont essentielles «pour préserver la pureté et la virginité avant le mariage, et ainsi préserver l'acceptation par la communauté», constate Khady Koeta, qui vit en France et qui a été excisée à l'âge de sept ans. On dit également que ces pratiques favorisent la fécondité et permettent une meilleure hygiène.

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Des raisons religieuses sont aussi mentionnées, bien qu'aucun texte sacré ne les prescrive. Plusieurs auteurs sont d'avis que ces mutilations sont faites surtout pour rendre les femmes moins gourmandes sur le plan sexuel.

Selon la culture soudanaise, on dit que les individus ont deux sexes à la naissance. Le clitoris est comme un prépuce collé au vagin de la femme. Alors, pour redonner à la femme sa pleine féminité, il faut lui enlever ce vestige de sexe masculin. D'après l'ethnologue Suzanne Faizang, cela signifie aussi la suppression du pouvoir dont le clitoris est le siège: les femmes qui ont un clitoris porteraient la culotte et leur mari n'aurait pas d'autorité. D'après certaines cultures, les femmes qui ne sont pas excisées auraient du mal à se trouver un mari.

D'autres justifications de ces pratiques sont également mentionnées: la nécessité de purifier la femme, de contrôler ses pulsions sexuelles ou tout simplement le maintien de la tradition. Le marquage social des femmes par les mutilations sexuelles est le plus souvent effectué par d'autres femmes. Celles-ci, gardiennes de la tradition dans leur société, se font ainsi, selon l'expression de Winter, complices de leur propre oppression et de celles de leurs filles.

En accord avec le Conseil du statut de la femme du Québec, nous pensons qu'aucune coutume ou tradition ne peut justifier les mutilations sexuelles des femmes et des filles. Des associations de femmes africaines luttent dans leur pays pour faire disparaître ces pratiques. Quelques chefs d'État africains ont pris position publiquement contre les mutilations génitales. Plusieurs États ont adopté des lois les interdisant, mais ces lois ne sont pas accompagnées de sensibilisation en profondeur et ont peu d'effet.

La Grande-Bretagne, la Suisse et la Suède ont adopté des lois interdisant explicitement les mutilations génitales féminines. Ces lois n'ont cependant pas été appliquées jusqu'à présent parce qu'on a préféré recourir à l'information et à la sensibilisation des communautés.

En France, il n'y a pas de loi particulière, mais plusieurs poursuites pénales ont été intentées pour mauvais traitement d'enfants contre des exciseuses et contre des parents.

D'après une recherche sur les mutilations génitales des femmes, le Conseil consultatif canadien sur la situation de la femme rappelle que près de 40 000 personnes originaires des régions de l'Afrique continentale où se pratiquent ces mutilations se sont établies au Canada en 1986 et 1991. Toujours selon le Conseil, le risque est grand de voir ces coutumes transplantées au Canada.

Avec notre mentalité de Québécoises de souche, ces pratiques nous semblent inacceptables. Il nous apparaît important d'informer la population afin que cessent les mutilations du corps des femmes. Pour ce faire, l'information et la sensibilisation nous semblent des moyens privilégiés. En outre, la sensibilisation pourrait mettre l'accent sur les conséquences néfastes des mutilations sur la santé physique et psychologique des filles et des femmes, et ce, dans le respect de ce qu'elles sont.

Compte tenu de notre expertise en santé reproductive, nous pensons qu'il devrait être mis sur pied des programmes de sensibilisation en étroite collaboration avec les communautés concernées.

De plus, nous croyons que l'adoption d'une loi précise interdisant les mutilations peut également contribuer à lutter contre ces atteintes à l'intégrité des femmes. L'entrée en vigueur de cette loi pourrait favoriser la mise sur pied de services de santé adaptés pour les femmes qui ont été excisées ou infibulées.

Nous croyons toutes les deux qu'il s'agit d'un fléau qui accable les femmes et, comme femmes, nous sommes concernées. Nous sommes convaincues qu'il faut éduquer les femmes et les hommes afin de les amener à changer d'attitude. Nous sommes bien conscientes que ce processus sera long, mais il en vaut la peine. Merci.

[Traduction]

La présidente: Merci.

Pouvons-nous maintenant entendre l'exposé du Comité juridique communautaire sur la mutilation des organes génitaux de la femme?

Mme Wumbui Gaitho (membre du Comité juridique communautaire sur la mutilation des organes génitaux de la femme): Merci, madame la présidente, et bonjour à vous ainsi qu'aux membres du comité permanent.

La présidente: Je voudrais vous demander une faveur avant que vous ne commenciez. Croyez-moi, je ne veux priver personne de la possibilité de communiquer avec le comité. Nous voulons véritablement entendre votre point de vue, mais je pense que le comité connaît bien la question de la mutilation des organes génitaux de la femme sous ses diverses formes. Ce que nous voulons entendre, c'est votre point de vue sur le projet de loi. Si vous pouvez mettre l'accent sur ce sujet, vous nous permettriez de gagner du temps.

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Mme Gaitho: Merci. Je voudrais également prendre une minute pour remercier Mme Gagnon de son appui.

Nous avons beaucoup apprécié votre invitation à comparaître devant vous pour vous présenter un mémoire sur ce sujet délicat et pénible, ainsi que nos recommandations concernant les modifications envisagées. Notre exposé comporte quatre parties, une qui fera l'historique et la présentation de notre organisme, une autre consacrée au témoignage personnel d'une femme, une troisième consacrée à nos préoccupations et la dernière présentant nos recommandations.

Le Comité juridique communautaire sur la mutilation des organes génitaux de la femme est un groupe de défense des droits des femmes dont les membres, d'origine africaine, moyenne-orientale et asiatique, sont installés dans la région de Toronto. Nous sommes des Canadiennes qui militent en faveur de la prévention et de l'éradication de la mutilation des organes génitaux de la femme par l'éducation et la revendication. Nous avons pour mandat d'élaborer des stratégies par l'intermédiaire d'un comité conjoint réunissant la communauté et le gouvernement afin de revendiquer une loi interdisant la mutilation des organes génitaux de la femme et qui pourrait servir d'outil éducatif et de mesure de dissuasion dans l'optique d'une éradication totale de cette pratique. Nous sommes en train d'élaborer des stratégies de revendication portant sur la publication et la mise en oeuvre du rapport du groupe de travail ontarien sur la prévention.

Le comité a été constitué en janvier 1996, lorsque le ministre fédéral de la Justice a publié un projet de modification concernant la mutilation sous la forme du projet de loi C-119, qui est devenu par la suite le projet de loi C-27. Le ministre ontarien responsable des questions féminines n'a pas jugé bon de publier le rapport du groupe de travail ontarien sur la prévention de la mutilation, présenté en juillet 1995, et c'est notamment pour cette raison que notre organisme s'est constitué. Le Comité juridique communautaire et l'ensemble de la communauté qui s'intéresse à cette question, qui comprend des militantes, des travailleuses communautaires, des infirmières, des mères, des médecins, des éducatrices en garderie, des ingénieurs et des citoyens concernés, n'ont pas été consultés par le ministère de la Justice avant la rédaction du projet de loi C-119, devenu entre-temps le projet de loi C-27.

La mutilation des organes génitaux de la femme est l'ablation ou la mutilation de toute partie des organes génitaux de la femme - et on en vient ici à l'historique du phénomène, ainsi qu'à sa définition. Il y a différents types ou méthodes de mutilation des organes génitaux de la femme, et cette pratique est réalisée à différentes périodes de la vie, entre l'enfance et l'âge adulte.

En tant que membres de la communauté concernée, nous avons entrepris des démarches en vue d'obtenir l'éradication de la mutilation des organes génitaux de la femme au Canada et dès 1990, nous avons demandé une nouvelle loi de prévention et d'éradication. Nos premiers efforts ont réussi à convaincre l'Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario de signaler à tous les médecins ontariens qu'en effectuant une mutilation des organes génitaux, ils s'exposaient à une accusation pour faute professionnelle. Nos revendications auprès du gouvernement fédéral ont amené le ministre de la Justice à déclarer en 1994 que la mutilation des organes génitaux de la femme était considérée comme une infraction aux articles 267, 268 et 269 du Code criminel.

Au cours de cette période, la communauté a constitué un groupe de prévention en Ontario; c'était un groupe de travail mixte, le premier du genre dans le monde occidental. Le gouvernement fédéral y était représenté d'office par les ministères de la Justice et de la Santé, par le Comité d'action sur le statut de la femme et par le Conseil consultatif canadien sur la situation de la femme. Notre souhait est que vous puissiez avoir accès pour consultation au rapport de ce groupe de travail.

Mme Fadumo J. Dirie (Éducation en matière de santé communautaire, Comité juridique communautaire sur la mutilation des organes génitaux de la femme): Vous allez entendre le témoignage d'une femme qui raconte son histoire et ses souffrances. Il est très difficile et très douloureux, pour une femme, de décrire l'expérience intime que constitue la mutilation des organes génitaux. Pour vous faire comprendre la douleur et la complexité profonde des questions sociales, économiques, éducatives, culturelles et politiques auxquelles les femmes ont à faire face, nous vous demandons d'écouter l'expérience d'une femme.

Voici le témoignage de Badria - c'est un nom fictif. Il s'agit d'une femme d'âge mûr, mère de six enfants, dont le témoignage a été traduit.

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Mme Gaitho: Notre groupe formule des critiques et des recommandations concernant les modifications envisagées dans le projet de loi C-27.

La mutilation des organes génitaux de la femme est une atteinte aux droits de la personne. C'est une atteinte aux droits fondamentaux de la femme, à son droit à l'intégrité corporelle. Ce droit reconnaît que l'organisme féminin est programmé génétiquement et qu'il est reproduit de façon identique chez tous les embryons et dans toutes les races, pour reprendre les propos d'un scientifique.

La mutilation des organes génitaux de la femme est une forme de violence contre l'intégrité physique et sexuelle de la femme. La perte éventuelle des fonctions sexuelles constitue une atteinte au droit à la santé physique et mentale. Cette mutilation est une question de santé publique essentielle, à cause de ses effets à long terme sur la santé des fillettes et des femmes.

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Cette mutilation est une atteinte aux droits des enfants. En vertu de la Convention internationale sur les droits de l'enfant, chaque enfant a droit à l'égalité des sexes et doit être protégé contre toutes les formes de violence mentale ou physique. L'article 24.3 de la convention oblige explicitement les États membres à prendre toutes les mesures appropriées pour abolir les pratiques traditionnelles préjudiciables à la santé des enfants.

La mutilation des organes génitaux de la femme est aussi une forme de discrimination contre les femmes dans la vie publique et privée. Elle est enracinée dans la structure politique, sociale, culturelle et économique des sociétés où elle est pratiquée.

Tous les droits susmentionnés sont protégés par plusieurs déclarations universelles, comme l'indique le préambule du projet de loi C-27, mais ils n'apparaissent pas actuellement dans le corps même de la modification législative. Notre communauté recommande au gouvernement de modifier la loi ou d'en rédiger une nouvelle pour interdire sans équivoque et sans exception la mutilation des organes génitaux de la femme. L'intégrité sexuelle des femmes doit être respectée et proclamée en tant que droit fondamental de la personne, et l'importance de ce droit devrait apparaître dans la modification législative. La santé est un droit fondamental et aucune excuse thérapeutique ne devrait pouvoir être invoquée pour justifier la mutilation des organes génitaux. Il faudrait aussi modifier l'article 273.3 du Code criminel où apparaissent les dispositions concernant les passages d'enfants à l'étranger, pour y ajouter les mots «à tout âge».

Comme l'indiquait la présidente, nous avons tous entendu une définition de la mutilation des organes génitaux de la femme. Nous recommandons la définition suivante, car même s'il est question de mutilation, comme nous l'avons tous remarqué, le projet de loi n'en donne pas de définition:

... La mutilation des organes génitaux de la femme est l'ablation ou la lésion de toute partie des organes génitaux de la femme.

... L'infibulation est une forme rare de mutilation des organes génitaux de la femme où le clitoris est parfois partiellement enlevé ou percé de façon à provoquer un saignement, puis la vulve est cousue.

... La réinfibulation est la suture de la vulve après un accouchement par le vagin, de façon à diminuer l'ouverture vaginale dans le but d'augmenter le plaisir sexuel de l'homme, en prévision d'une absence prolongée du mari, pour cause de divorce ou à des fins cosmétiques.

Ces définitions et descriptions précises ne laissent aucune place à l'ambiguïté et aux lacunes dans l'application de la loi, mais elles sont utiles à des fins d'éducation et d'éradication de cette pratique. En ce qui concerne la codification des prétextes thérapeutiques de la mutilation, compte tenu de l'attitude passée et actuelle de la profession médicale face à l'intégrité sexuelle des femmes, nous craignons que l'inclusion de l'exception thérapeutique spécifique ouvre la porte à une pratique médicalisée et, par conséquent, normalisée de cette mutilation. Le monde entier s'est engagé à protéger la vie des femmes et des enfants et à promouvoir leur santé, y compris leur santé génitale et sexuelle. Il ne faut pas institutionnaliser la mutilation des organes génitaux des femmes, et aucun professionnel de la santé ne doit la pratiquer, quelles que soient les circonstances. Il ne doit pas y avoir de codification des moyens de défense fondés sur des motifs thérapeutiques spéciaux, car une telle codification ouvre la porte à une pratique largement répandue et juridiquement protégée de la mutilation des organes génitaux de la femme - et pour plus de détails, vous pouvez vous reporter à notre mémoire.

Sur la question du consentement, il est totalement inacceptable de prétendre qu'une personne de plus de 18 ans puisse consentir à sa mutilation. Personne ne peut consentir à une atteinte à ces droits fondamentaux. La violence faite aux femmes et aux enfants ne peut pas comporter d'âge de consentement - et encore une fois, vous trouverez tous les détails dans notre mémoire.

L'ambiguïté de la législation britannique et américaine contre cette forme de mutilation n'a pas réussi à en prévenir l'usage. Le Canada va être le premier pays du monde occidental à s'écarter de la formule malencontreuse de la Grande-bretagne et des États-Unis pour suivre l'orientation définie par les Nations Unies et l'Organisation mondiale de la santé, en élaborant un ensemble de lois et de politiques d'éducation contre la pratique de la mutilation et dans un but de prévention et d'éradication de cette pratique au Canada.

Nous demandons instamment au comité permanent de tenir compte de nos recommandations. Nous demandons au gouvernement de constituer un comité conjoint formé de représentants du gouvernement et des groupes communautaires qui envisagera des mesures législatives appropriées susceptibles de protéger les droits des femmes et des enfants à l'intégrité sexuelle, à la santé et à l'égalité des sexes, rompant ainsi le cycle de la violence faite aux femmes et aux fillettes.

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En tant que membre du Comité juridique communautaire sur la mutilation des organes génitaux de la femme, qui a pour mandat d'éradiquer cette forme de mutilation, nous voulons faire valoir notre droit civique de participer au processus décisionnel et de mettre à profit nos connaissances et notre expérience dans l'élaboration d'une loi sur la mutilation des organes génitaux de la femme qui aura des conséquences fondamentales pour chacune d'entre nous.

La consultation de la communauté est un droit démocratique. Le gouvernement qui nous représente devrait avoir un programme de consultation des communautés. Jusqu'à maintenant, le processus n'a pas reconnu ce droit et le gouvernement n'a pas rendu compte de son action devant la communauté. De telles lacunes portent atteinte au principe du développement communautaire, à l'esprit de participation communautaire et en définitive, à l'essence même du processus démocratique.

La présidente: Merci. Je remarque que vous avez joint le rapport du groupe de travail ontarien sur la prévention de la mutilation des organes génitaux de la femme dans votre mémoire. C'est la première fois que je vois ce document.

[Français]

Mme Gagnon (Québec): Vous avez le rapport?

[Traduction]

La présidente: Oui, il est joint au mémoire.

Mme Gagnon: C'est parfait.

La présidente: Nous accueillons ensuite le Conseil multiculturel des femmes professionnelles.

Mme Jasna Teofilovic-Bugarski (membre du Conseil multiculturel des femmes professionnelles): Madame la présidente, mesdames et messieurs, bonjour.

J'aimerais vous décrire brièvement notre organisation et nos activités. Nous sommes une organisation de femmes qui ont été formées et qui ont vécu dans divers pays, y compris le Canada. Nous comptons parmi nos membres actuels des femmes de diverses origines ethniques qui exercent diverses professions. Nous comptons environ 200 membres de toutes les régions du monde, y compris le Canada.

Notre principal objectif consiste à offrir les ressources qui permettront aux femmes de diverses cultures de surmonter les obstacles systémiques du marché du travail et ainsi de trouver les emplois qui correspondent à leurs compétences et participer activement à la société canadienne. Nous nous intéressons principalement à la reconnaissance professionnelle. C'est là notre principale raison d'être, mais nous sommes très heureuses d'avoir été invitées à appuyer le projet de loi à l'étude, par le truchement de Mme Gagnon.

D'une certaine façon, nous avons manqué de professionnalisme dans notre démarche. Nous cherchions à voir quels avantages nous pourrions tirer de cette mesure législative. Elle traite d'une tradition que peu d'entre nous connaissent. J'ai passé cinq ans en Afrique sans jamais en entendre parler. C'est à la lecture du livre de Leon Uris intitulé Haj que j'ai été sensibilisée pour la première fois, par la description de l'auteur, à la mutilation des organes génitaux de la femme. Je n'ai jamais pu m'astreindre à terminer la lecture de ce livre.

Nous avons des membres en Afrique et en Asie, mais personne ne s'est porté volontaire pour nous donner des explications. Nous avons dû nous informer nous-mêmes et nous efforcer de déterminer quelles sont les possibilités d'intervention sur le plan juridique. Nous sommes tout à fait d'accord pour dire qu'il s'agit d'une forme de harcèlement sexuel et psychologique à l'égard des enfants.

Nous avons dû également nous renseigner sur la portée de la législation canadienne. La question de la responsabilité inquiète bien des gens. Le fait qu'il soit nécessaire de déterminer la responsabilité suscite des inquiétudes à l'égard de membres de la famille qui risquent d'être punis ou condamnés, étant donné que ce genre de comportement implique habituellement des membres de la famille.

Notre principal sujet de préoccupation est le consentement de la personne adulte. Nous sommes très inquiets du fait qu'il soit possible d'invoquer le même argument dans le cas de l'avortement. Je pense aux personnes qui ne sont pas favorables au libre choix... Dans le cas de l'avortement, on peut prendre au sérieux le consentement d'une femme adulte. Nous ne pouvons protéger la personne d'elle-même. Dans le cas d'une adulte de plus de 18 ans à laquelle on a bien expliqué l'intervention qu'elle va subir, j'estime que personne n'a le droit de priver cette personne adulte du droit de consentir. L'intervention est-elle faite dans son intérêt ou non? Voilà la question.

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Cette mesure risque de porter atteinte au droit de consentir, qui est menacé par ailleurs de diverses façons. Pour ce qui est des dispositions pénales ou de celles qui ont trait à la juridiction, nous sommes satisfaites. Nous convenons également du fait que de telles pratiques visent essentiellement les enfants. C'est donc l'aspect du consentement de la personne adulte qui nous inquiète véritablement. D'après nous, il faut expliquer aux femmes sexuellement actives qu'une telle pratique n'est pas acceptable sur le plan médical. Les femmes doivent être bien conscientes de ce qu'elles s'apprêtent à faire. Nous sommes d'accord pour dire qu'il faut une loi et qu'il faut punir ce genre de pratique à l'endroit des enfants. Par contre, l'aspect du consentement est très délicat.

Le président: Merci.

De l'organisation La Santé des femmes dans les mains des femmes, nous accueillons Khamisa Baya et Mary Beny.

Mme B. Khamisa Baya (éducatrice de santé communautaire, Programme d'éradication de la mutilation des organes génitaux de la femme, La Santé des femmes dans les mains des femmes): Tout comme ma collègue, je tiens à remercier Mme Gagnon de l'intérêt qu'elle porte pour la question de la mutilation des organes génitaux de la femme et d'avoir proposé cette mesure, le projet de loi C-27 qui a débouché sur le processus auquel nous participons.

Bon nombre des aspects que je voulais souligner ont déjà été abordés. Même si je demande que notre mémoire soit annexé au procès-verbal, je vais en aborder certains passages.

Nous nous réjouissons du fait que le gouvernement du Canada ait enfin proposé une mesure législative visant à criminaliser la mutilation des organes génitaux de la femme, grâce aux dispositions du projet de loi C-27, et nous applaudissons au principe général de la modification proposée. Nous félicitons le gouvernement de l'intérêt qu'il porte à la question de la violence faite aux femmes et aux enfants en général et, plus particulièrement, à celle de la mutilation des organes génitaux de la femme au Canada.

Je ne m'attarderai pas sur la question de la mutilation des organes génitaux de la femme. D'autres ont déjà parlé abondamment de la définition et d'autres aspects. Je tiens tout simplement à dire qu'il s'agit d'une pratique qui ne connaît pas de frontières géographiques, religieuses, ethniques et culturelles. Il s'agit d'un problème social dont nous aurions tort de sous-estimer la complexité.

Je vais maintenant aborder brièvement les aspects du projet de loi qui, à notre avis, posent problème et vous faire part de nos propositions à cet égard. Permettez-moi tout d'abord de vous signaler que l'organisme La Santé des femmes dans les mains des femmes a consacré des ressources considérables à la question de la mutilation des organes génitaux de la femme, comme vous pouvez le constater à la lecture de notre mémoire. Nous sommes, à ma connaissance, le seul centre de santé communautaire à s'être doté d'un poste désigné aux fins de l'éradication de cette pratique.

Nous fondons essentiellement notre travail sur le fait que la mutilation des organes génitaux de la femme constitue une forme particulière de violence faite aux femmes qui porte atteinte à leurs droits fondamentaux, qu'il s'agit d'un grave problème de santé pour les fillettes et les femmes et qu'une telle pratique viole le droit à la santé tel qu'il a été défini dans divers codes internationaux concernant les droits de la personne. La mutilation des organes génitaux de la femme constitue une forme de mauvais traitement des enfants qui va à l'encontre de l'esprit aussi bien que de la lettre de la convention sur les droits de l'enfant, ainsi qu'une violation de l'intégrité physique, mentale, sexuelle et reproductive de la femme. Voilà notre position. Je tenais à vous le préciser.

Nous nous sommes rapidement rendu compte, dans le cadre de nos activités communautaires, que même si la mutilation des organes génitaux de la femme est une réalité complexe, diverse et multiforme, elle est vécue différemment selon le milieu où elle se pratique. Or, il semble que le processus de consultation qui a mené à la formulation du projet de loi à l'étude n'a pas sondé suffisamment les divers milieux concernés et tenu compte de la diversité de leurs intérêts et de leurs opinions. La modification proposée comporte donc certaines lacunes qui, si elles ne sont pas comblées, risquent de miner une mesure par ailleurs généralement valable.

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Notre premier commentaire porte sur la définition de la mutilation des organes génitaux de la femme comme infraction dans le projet de loi C-27. Le fait de préciser dans le paragraphe 3 proposé de l'article 269 que «l'excision, l'infibulation ou la mutilation» constituent une «blessure» ou une «mutilation» implique que l'excision et l'infibulation ne constituent pas une mutilation. En réalité, l'excision et l'infibulation constituent des formes particulières de mutilation. De plus, les méthodes de mutilation des organes génitaux de la femme varient considérablement. Il y en a trois grandes catégories, mais chacune d'entre elles comporte de nombreuses variations.

Il nous semble extrêmement important de tenir compte de ce qui précède dans toute définition de cette pratique aux fins de poursuites criminelles. La formulation doit être structurée de telle sorte que la définition englobe toutes les diverses formes de mutilation. À cet effet, nous proposons de substituer au libellé proposé «il demeure entendu que l'excision, l'infibulation ou la mutilation», le libellé suivant: «il demeure entendu que l'excision, l'infibulation, la réinfibulation ou toute mutilation». Cette formulation devrait permettre d'englober les diverses variations des trois grandes méthodes de mutilation, qui ne sont pas définies de façon explicite.

Le deuxième aspect qui nous inquiète considérablement tient au fait que nous voyons dans la modification proposée au Code criminel l'intégration au Code d'une défense d'ordre thérapeutique, d'où la possibilité d'une médicalisation de la mutilation des organes génitaux de la femme. Selon nous, l'exception proposée ouvre la voie à l'interprétation et est fondée sur l'absence d'une distinction claire entre la mutilation des organes génitaux de la femme qui, par définition et dans la pratique, a trait à la mutilation d'organes génitaux féminins normaux et sains et des interventions médicales ou chirurgicales justifiées en raison de pathologies des organes génitaux féminins. Or, il nous semble qu'une telle distinction est cruciale puisqu'elle rend superflue l'intégration au Code des dispositions particulières prévues dans le projet de loi.

Il s'agit, selon nous, d'un très grave problème. Tout d'abord, la disposition est superflue, compte tenu de ce qui est déjà prévu à l'article 45 du Code criminel visant les opérations chirurgicales. Je le cite:

a) l'opération est pratiquée avec des soins et une habilité raisonnables;

b) il est raisonnable de pratiquer l'opération, étant donné l'état de santé de la personne au moment de l'opération et toutes les autres circonstances de l'espèce.

Ainsi, puisqu'il existe déjà au Code criminel une disposition particulière qui vise les opérations chirurgicales, nous ne voyons pas la nécessité d'y revenir de façon très précise dans le cadre de la modification à l'étude, et nous recommandons donc que la disposition soit supprimée de l'article. Nous avons également invoqué d'autres arguments à cet égard et vous pourrez en prendre connaissance dans notre mémoire.

Puisque certaines interventions chirurgicales visant les organes sexuels ou génitaux sont pratiquées de façon licite à l'heure actuelle, nous nous sommes inquiétés du danger que ne s'estompe dans la pratique la distinction dont nous avons parlé. Nous ne souhaitons pas voir intégrée dans cet article du Code criminel une exception déjà prévue ailleurs. Pour cet aspect également, vous pourrez prendre connaissance de nos arguments en consultant notre mémoire.

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Un troisième aspect a suscité notre inquiétude. C'est celui du consentement. Selon le paragraphe 268(4) proposé, aucune personne ayant moins de 18 ans ne peut consentir à la mutilation de ses organes génitaux. Nous voyons dans une telle disposition le danger réel d'une interprétation du Code criminel selon laquelle toute femme adulte pourrait consentir à la mutilation de ses organes génitaux. Selon nous, une telle possibilité soulève plusieurs problèmes.

Tout d'abord, selon les codes internationaux en matière de droits de la personne, dans une telle perspective, la mutilation des organes génitaux constitue une violation des droits fondamentaux des femmes et un acte de violence à l'endroit de toute fillette et de toute femme, quel que soit leur âge. C'est d'ailleurs ce que l'on reconnaît dans le préambule du projet de loi C-27. «La violence faite aux femmes constitue une violation des droits de la personne humaine et des libertés fondamentales et empêche partiellement ou totalement les femmes de jouir de ces droits et libertés», peut-on y lire.

Nous soutenons donc que, de la même manière que les victimes de violation de droits de la personne ne peuvent être réputées consentantes, les femmes ne peuvent consentir légalement à la mutilation de leurs organes génitaux puisque cette pratique constitue une violation de leurs droits fondamentaux comme personnes humaines.

D'ailleurs, selon la common law canadienne, le consentement n'est pas une défense dans le cas de lésions corporelles qui ne sont pas de nature passagère. Par exemple, la common law ne permet pas aux adultes de consentir à des voies de fait. Or, la mutilation des organes génitaux de la femme implique, à divers degrés, des dommages irréversibles ou permanents aux organes génitaux des jeunes filles ou des femmes, qui entraînent généralement pour elles des conséquences permanentes pour la santé. Selon la common law, il est contraire à l'intérêt public que des personnes soient mutilées ou blessées avec leur consentement, et les tribunaux ont statué qu'aucune personne ne peut consentir à subir des lésions corporelles qui ne sont pas que de nature passagère. Selon un tel raisonnement, les femmes ne peuvent consentir à la mutilation de leurs organes génitaux puisqu'elle entraîne des lésions corporelles graves et parfois fatales.

Nous citons dans notre mémoire divers précédents de la common law canadienne dont vous pourrez prendre connaissance. Nous faisons notamment état d'une affaire de relations sexuelles sadomasochistes où la femme a été grièvement blessée. Dans cette affaire, le tribunal a décidé, sans égard au fait qu'elle ait donné ou non son consentement, que, compte tenu de la gravité des blessures, le consentement ne pouvait être invoqué comme défense. Notre mémoire contient donc certains précédents de common law dont vous pourrez prendre connaissance.

Nous proposons donc que le paragraphe 268(4) proposé soit remplacé par ce qui suit:

Ainsi, nous proposons pour l'article 268 le libellé suivant:

Le consentement à la mutilation des organes génitaux de la femme suscite d'autres problèmes, et nous en avons traité dans notre mémoire. Dans ce cas également, vous êtes priés d'en prendre connaissance au besoin.

Nous avons beaucoup de difficulté à envisager le postulat implicite selon lequel les femmes peuvent consentir à une telle violation de leurs droits fondamentaux - d'autant plus que divers témoins nous ont expliqué de quoi il s'agit au juste. Au mieux, il fournit une défense fondée sur le consentement aux personnes accusées de voies de fait graves pour avoir mutilé les organes génitaux de femmes adultes. Au pire, il décriminalise la mutilation des organes génitaux dans le cas des femmes adultes, étant donné que la mutilation effectuée avec le consentement de la femme ne serait pas un crime.

.1205

Nous tenons à signaler la possibilité d'un précédent dangereux à cet égard, étant donné que les parents pourraient chercher à contourner la loi en attendant tout simplement qu'une fille soit âgée de 18 ans avant de l'obliger à choisir de se soumettre à une mutilation de ses organes génitaux en clinique médicale. Au lieu de décourager une telle pratique sociale, l'échappatoire ainsi créée pourrait au contraire la favoriser davantage. Les parents pourraient tout simplement attendre que l'enfant ait 18 ans. Nous savons bien que les pressions sociales et familiales seraient alors considérables. La disposition proposée fournit donc une échappatoire possible.

Nous avons également des inquiétudes au sujet des poursuites criminelles et de la détermination de la peine. À notre avis, la peine maximale de 14 années de prison pour toute personne reconnue coupable de mutilation des organes génitaux d'une femme ne pose pas problème. La peine est celle qui convient pour une personne qui mutile les organes génitaux d'une femme pour en tirer un bénéfice et qui ne se soucie nullement du tort irréversible causé à l'enfant ou à la femme sur les plans physique, sexuel et mental. Nous tenons cependant à exprimer de graves réserves pour ce qui est des répercussions d'une peine si lourde si elle est infligée à ceux qui sont les complices, ce qui veut généralement dire les parents ou les gardiens. À notre avis, il importe de tenir compte de l'intérêt de l'enfant.

J'estime que l'État a intérêt à assurer la stabilité et l'unité de la famille. La mutilation des organes génitaux de la femme a ceci d'inhabituel qu'elle est une forme de mauvais traitement de l'enfant qui ne se répète pas. Lorsque c'est fait, c'est fait. Les cas de mutilation d'organes génitaux féminins surviennent dans des familles qui sont par ailleurs accueillantes et chaleureuses et ils ne sauraient servir à juger de l'aptitude des parents. Par conséquent, nous devons bien tenir compte de l'intérêt de l'enfant en déterminant la nature des poursuites criminelles et des peines à prévoir pour les parents. Dans ce cas également, je vous prie de prendre connaissance de notre mémoire.

Par rapport aux diverses questions que nous avons jugées importantes, nous avons estimé que les recommandations que je viens de formuler améliorent le projet de loi C-27 mais qu'il manque encore quelque chose. Il nous semble que la disposition relative aux voies de fait graves de l'article 268 du Code criminel ne règle pas la question des conséquences pour les enfants des poursuites criminelles et des peines d'emprisonnement qui pourraient viser leurs parents. Nous estimons en toute logique que, en raison du fait que la mutilation des organes génitaux de la femme constitue un crime de nature particulière, elle doit faire l'objet d'une initiative législative particulière et bien adaptée. Nous souhaitons donc proposer que soit introduite dans le Code criminel une infraction particulière ayant trait à la mutilation des organes génitaux de la femme. Dans notre mémoire, nous avons décrit certains des éléments qui caractérisent ce crime de nature particulière.

Nous jugeons cet aspect important du fait de la dimension éducative considérable du droit pénal. À cet égard, une disposition particulière serait plus utile qu'une disposition liée aux voies de fait graves. Encore une fois, nous présentons les arguments pertinents dans notre mémoire et, notamment, les avantages d'une mesure législative particulière visant la mutilation des organes génitaux de la femme.

Nous demandons donc au gouvernement d'amorcer un processus consultatif visant à aborder les questions soulevées dans notre mémoire. La mutilation des organes génitaux de la femme est, selon nous, une question très complexe. Nous sommes convaincues que, en raison de cette complexité même, il est opportun d'élaborer une mesure législative particulière en collaboration avec les divers milieux qui sont touchés par la question. Si j'emploie le pluriel, c'est que la problématique varie selon les milieux.

.1210

Grâce à des consultations à la basse, il sera possible d'explorer plus à fond les formules permettant de définir les infractions de cette nature, les régimes de détermination de la peine et les solutions de rechange en la matière pour les complices, surtout les familles, et la mise au point de stratégies d'information visant les divers milieux et les intervenants.

Il serait extrêmement avantageux, d'après nous, qu'une telle démarche s'inspire de la structure et du processus qui ont caractérisé les activités du groupe de travail de l'Ontario sur qui s'est penché sur cette question. Je crois que le mémoire soumis par le Comité juridique communautaire concernant la mutilation des organes génitaux de la femme contient en annexe le rapport de ce groupe de travail, la description du processus, etc.

Grâce à ce genre de processus consultatif, le gouvernement pourrait traiter cette question de façon distincte dans le cadre d'un nouveau projet de loi. Étant donné que l'éducation est la pierre angulaire de la lutte contre la mutilation des organes génitaux féminins, une initiative législative adaptée au problème aurait le grand avantage de permettre une exploitation beaucoup plus efficace de la loi comme instrument d'éducation en matière de prévention et d'éradication de la mutilation des organes génitaux féminins.

Merci.

Le président: Merci beaucoup. Je vous remercie, en passant, d'avoir écourté vos exposés. C'est très utile pour nous.

[Français]

Madame Gagnon, vous avez cinq minutes.

Mme Gagnon: Je remercie tous les représentants des différents organismes d'avoir apporté leur témoignage. J'aimerais aussi dire à Mme Dirie que c'est dans le respect, la compassion et l'émotion que j'ai reçu son témoignage qui nous a démontré les différentes conséquences de cette pratique.

J'aimerais également dire que le but de mon projet de loi était justement de faire prendre conscience de la violation des droits et de l'intégrité physique des femmes. Il était important de défendre cette idée, mais je sais très bien que c'est un projet de loi qui n'est pas facile à discuter et à mettre en place, comme vous l'avez dit vous-mêmes. Il est très difficile d'avoir des témoignages et on sent une certaine gêne que je peux comprendre. Il y a différentes raisons pour lesquelles il est difficile d'aborder une telle problématique.

Personnellement, je voulais faire un lien entre cette pratique et la violence faite aux femmes. Je me souviens qu'au début, quand on a commencé à en parler, les femmes elles-mêmes ne voulaient pas en parler. Présentement, on entend toutes sortes de témoignages de femmes, même plus âgées. Il faut penser à la culture, à la tradition et à toutes les raisons qui faisaient que ce sujet était tabou. Nos grands-mères ne nous ont jamais dit que nos grands-papas avaient tapé sur elles quand elles étaient jeunes. C'est un petit peu dans cet esprit que j'ai voulu qu'on en discute.

La discussion permet aussi l'ouverture, et je suis certaine que dans une dizaine d'année, nous aurons évolué, ne serait-ce qu'au Québec. Je ne fais aucune distinction entre les Québécoises d'origine et les Québécoises d'origine ethnique ou étrangère, parce que je suis pour la défense de tous les Canadiens et Canadiennes, de tous les Québécois et Québécoises. Quand on a décidé de venir vivre dans un autre pays, il y a certaines traditions et cultures qui sont inacceptables parce qu'elles ne se pratiquent pas dans notre société. Maintenant, vous faites partie de notre société, et c'est dans cet esprit, tout en respectant vos valeurs et vos cultures, qu'il faut travailler. Je sais d'ailleurs que vous-même y travaillez très fortement.

Vous m'avez remerciée d'avoir présenté un projet de loi privé. Je pense que cela a fait bouger le gouvernement sur cette question. C'est la raison pour laquelle on en discute aujourd'hui. C'est aussi grâce à vous, parce que j'ai fait appel à tous les organismes qui étaient concernés de près ou de loin par ce problème, et vous y avez répondu en très grand nombre. J'ai fait suivre au ministre toutes les lettres de soutien que vous m'avez adressées au sujet du projet de loi.

Je ne reprendrai pas tous les aspects du consentement, de la défense thérapeutique et de l'élargissement de la définition. J'en suis cependant très consciente et je pense qu'aujourd'hui, il y a des gens qui vont pouvoir acheminer vos différents soucis quant à cette loi. Je voudrais dire également qu'il ne faudrait pas adopter la loi telle qu'elle est proposée par le ministre parce qu'elle est insuffisante du fait qu'elle n'envoie pas un message suffisamment clair aux communautés concernées quant à l'aspect juridique et à l'aspect médical. Je pense que tout cela forme un tout.

.1215

Mon projet de loi voulait justement inclure tout cela. Il aurait aussi pu être modifié. Quand on dépose un projet de loi, il y a des facettes qui nous échappent, et c'est la raison pour laquelle nous demandons votre contribution.

Je ne poserai aucune question parce que je pense que vous avez suggéré des amendements précis dans les mémoires que vous nous avez présentés. Sur le consentement, je ne céderai pas.

L'Association canadienne des gynécologues et obstétriciens nous a expliqué pourquoi il fallait élargir et permettre le consentement après 18 ans. Je pense qu'on doit apporter à ce projet de loi une vision qui pourrait tenir compte de tout ce que vous avez mentionné ici ce matin et dont je vous remercie. Ce matin, vous nous apportez un autre éclairage, tout comme les représentantes d'autres organismes, et le comité va se pencher là-dessus. Je pense qu'avec la loi, nous faisons un pas dans la bonne direction.

Vous faites aussi état de tout l'aspect éducatif et je pense que vous devez être consultés. Je vous remercie pour le rapport que je vais lire attentivement. Par vos expertises sur le terrain, vous pouvez largement contribuer à bonifier le projet de loi. Je vous remercie.

[Traduction]

Mme Dirie: Puis-je ajouter un commentaire?

Le président: Absolument.

Mme Dirie: Nous avons commenté le projet de loi tel qu'il a été formulé; autrement nous ne serions pas venues ici. Nous avons dû réagir à la mesure législative proposée.

Cependant, compte tenu des nombreuses insuffisances du projet de loi, de nos inquiétudes et du fait que la mesure ne tient pas compte de certains aspects culturels et de certaines autres dimensions complexes de la mutilation des organes génitaux féminins, nous souhaiterions que la consultation d'aujourd'hui débouche sur la recommandation d'un nouveau projet de loi, d'une nouvelle disposition. À cet égard, une consultation des milieux intéressés s'impose. Nous avons d'ailleurs formulé des propositions à cet égard. Nous ne sommes pas des juristes, mais nous tenions à venir ensemble dire au gouvernement pourquoi nous souhaitons un projet de loi particulier, quels en sont les avantages, et quel devrait en être le contenu.

Nous souhaitons donc, en réalité, que le comité accepte notre proposition de projet de loi tout en sachant lire entre les lignes. Même si nous avons fait des propositions relatives à la modification du Code criminel, ce n'est pas ce que nous souhaitons. Nous voulons un nouveau projet de loi et nous souhaitons être consultés à cet égard. Il s'agit là d'une consultation qui va au- delà des consultations sporadiques menées par le gouvernement auprès des milieux concernés. Nous envisageons une consultation conjointe avec la participation du gouvernement et des milieux intéressés. C'est ce que nous tenons à dire de la façon la plus claire possible.

Mme Torsney a demandé de quelle consultation nous voulions parler au juste. Nous avons déjà été consultées de façon sporadique. Je suis venue l'automne dernier prendre la parole devant des parlementaires lorsque le ministre de la Justice nous a invitées, mais il s'agissait d'une séance d'information à l'intention des parlementaires. Elle visait à donner certaines pistes. Il ne s'agissait pas d'une consultation des milieux concernés.

Nous reconnaissons que des consultations ont eu lieu, mais il s'agit d'autres choses. Il s'agit de concevoir un nouveau projet de loi. Si un tel projet n'est pas acceptable, alors nous devons tout au moins participer conjointement à l'amendement du projet de loi à l'étude, selon le processus de consultation que nous avons proposé dans les recommandations du groupe de travail, dont vous avez le rapport. J'espère que nous avons été bien compris.

Le président: Merci.

Monsieur Ramsay, vous disposez de cinq minutes.

M. Ramsay (Crowfoot): Merci. Je tiens à remercier les témoins de leurs exposés concernant cette pratique plutôt barbare.

J'ai horreur des incohérences et je vois ici un conflit d'intérêts. D'une part, on répudie très clairement la pratique de la mutilation d'organes génitaux féminins. D'autre part, et par conséquent, le gouvernement avec l'appui de tous les députés de la Chambre, je crois, adopte une mesure visant à criminaliser cette pratique. Pourtant, par ailleurs, on semble exhorter le gouvernement a`ne pas être trop sévère envers les parents. Or, c'est justement sur le plan de l'autorité parentale où l'on pourra réussir à éliminer et éradiquer cette pratique.

.1220

Ainsi, si la peine prévue dans le projet de loi à l'étude n'est pas appliquée aux parents de manière à les dissuader, je vois difficilement comment la mesure permettra d'atteindre tous les résultats que ses auteurs, le ministre de la Justice et ses fonctionnaires escomptaient.

J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus et aussi à propos de ce qui suit. Puisque l'éducation revêt une grande importance, seriez-vous disposées à recommander que, par rapport à cette pratique, il soit prévu dans le cadre de notre politique d'immigration d'informer les parents des pays où cette pratique est répandue du fait qu'ils risquent des sanctions criminelles s'ils la poursuivent une fois admis au Canada? Estimez-vous qu'une telle initiative serait constructive?

J'aimerais avoir vos commentaires sur cette dernière question et sur la question du conflit des valeurs par rapport aux sanctions pénales qui visent les parents.

Mme Baya: D'après moi, il n'y a pas nécessairement de conflit de valeurs. Ce que j'envisageais, ce n'était pas tant de faciliter les choses aux parents, mais plutôt de tenir compte de l'intérêt de l'enfant ou des enfants. En règle générale, ce sont des enfants qui proviennent de foyers où ils sont aimés. L'aptitude des parents n'est pas en cause. Une fois que ce genre de crime a été commis, l'enfant n'est plus exposé à un risque et la société doit se soucier avant tout de l'intérêt de l'enfant.

Quelle importance au juste allons-nous accorder à l'intérêt des enfants? Voilà la question qu'ils nous faut étudier et revoir dans l'optique des poursuites criminelles et des peines qui peuvent viser les parents. Allons-nous envisager d'emprisonner les parents à l'encontre de l'intérêt des enfants? Comment donc agir au mieux des intérêts des enfants? Voilà la question. Elle mérite d'être posée et elle mérite d'être étudiée.

À cet égard, le gouvernement et les milieux concernés doivent travailler ensemble pour déboucher sur un consensus susceptible de concilier les divers intérêts.

Pour ce qui est de l'autre question, l'aspect de l'éducation, je vois la chose d'un bon oeil. Il s'agit d'un aspect extrêmement important. Nous savons bien que de nombreuses personnes ne savent pas qu'une telle pratique est considérée comme un acte criminel. Il serait utile d'éduquer les gens. Il le serait d'autant plus qu'une initiative en ce sens s'appuierait sur une collaboration entre les milieux concernés et les divers ministères du gouvernement. C'est ce que je recommanderais.

M. Ramsay: Seriez-vous favorables à l'idée d'informer les immigrants à leur point d'entrée au Canada?

Mme Gaitho: Les membres de notre groupe sont toujours du mauvais côté du manche chaque fois qu'il est question de statut et de quota d'immigration, il nous est donc très difficile de vous répondre oui catégoriquement. Nous craignons que cela fasse un point de moins.

Ne nous leurrons pas. La législation régissant l'immigration est loin d'être parfaite. Ces lois, bien entendu, sont un microcosme d'une société dans son ensemble qui repose sur des éléments racistes et il faut donc bien faire attention à ne pas permettre que des immigrants africains soient refusés pour ce motif. Ceci posé, nous pouvons discuter.

M. Ramsay: Non, je parlais d'éducation...

Mme Gaitho: Écoutez-moi un instant.

Il faut qu'il soit clair que cela ne serve pas à refuser toute immigration en provenance d'Afrique. Il y a une autre chose qu'il faut savoir quand on parle de mutilation des organes génitaux féminins et de cette pratique au Canada: ceux qui procèdent ou qui participent à ces opérations ne sont pas des médecins nés en Afrique. Ce sont des médecins mâles blancs, de Toronto. Ce sont des médecins mâles blancs, nés au Canada, élevés au Canada depuis des années, et des siècles. Il faut bien faire attention à ne pas porter de jugement condescendant et dire: «ces barbares qui perpètrent cet acte barbare - nous allons désormais leur dire que la loi sur l'immigration leur interdit l'entrée au Canada». C'est la raison pour laquelle nous insistons sur l'éducation.

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M. Ramsay: Je m'excuse, mais ce n'était pas ma question.

Mme Gaitho: D'accord, non; mais je dis que c'est la raison pour laquelle nous insistons sur l'éducation.

Pour revenir à l'immigration, dire à ceux qui arrivent dans ce pays, de la même manière qu'on leur dit que battre sa femme n'est pas acceptable au Canada, du moment que c'est intégré à un processus d'éducation - c'est la raison de tout ce préambule - disant qu'au Canada il n'est pas question de violer, de battre sa femme, d'avoir des contacts sexuels avec des enfants, que la mutilation des organes génitaux féminins est un crime et qu'il n'est pas question d'un âge de consentement quelconque, alors nous serons d'accord.

M. Ramsay: Merci.

La présidente: Madame Torsney.

Mme Torsney: Merci. Il est facile de voir comment les choses peuvent déraper et comment de bonnes intentions peuvent parfois être mal interprétées. Ce que j'ai trouvé d'intéressant dans votre intervention, c'est que vous avez lié ce problème à une partie de la population qui s'y croit totalement étrangère, la communauté blanche anglo-saxonne - enfin, anglo-saxonne, c'est un peu restrictif, mais peu importe.

J'ai trouvé intéressante votre citation de cet article de septembre 1996, de Flare, car il nous ramène à cette question de consentement d'une certaine manière, à toute cette question de relativité. D'après ce qu'on nous a dit, il y a différents degrés de mutilation des organes génitaux féminins et notre objectif est de l'interdire purement et simplement. Cependant, que faire quand il s'agit, par exemple, d'une simple circoncision rituelle du clitoris.

Les professionnels de la santé nous ont parlé de tatouages, de lèvres percées, etc., en un mot, d'actes consentis en toute connaissance de cause. Que faire alors? Si nous supprimons toute notion de consentement pour les plus de 18 ans, devrons-nous poursuivre toute personne...? Des magazines comme Flare ou d'autres magazines trouvent tout à fait acceptable de se faire percer des trous un peu partout, ce que je n'approuve pas, bien que je m'aperçoive que j'ai les oreilles percées. C'est une question de degré, n'est-ce pas?

Comment régler ce genre de problème? C'est la question que je vous pose. Nous ne voulons pas qu'on puisse dire: vous êtes blanche, d'origine européenne, vous avez donc tout à fait le droit de vous faire percer le clitoris pour y mettre un anneau; par contre, vous, vous êtes d'origine africaine, ou vous appartenez à une des communautés les plus touchées, vous n'avez donc pas le droit de faire la même chose, parce que c'est considéré comme une mutilation d'organes génitaux. En fonction du groupe auquel vous appartenez, le traitement serait différent, donc plus ou moins ouvertement raciste. Vous voyez le genre de dilemme dans lequel nous nous trouvons parfois?

Mme Gaitho: Oui, et devant moi-même... Je vous comprends très bien. Mais c'est en partie la raison pour laquelle nous aimerions une disposition qui donne à cette pratique le sens donné par les communautés touchées.

Sur le plan médical, je veux dire, que quelqu'un... L'ablation d'un organe sein est absolument absurde. Le consentement? L'idée que je puisse consentir à ce que mon mari me batte et qu'au tribunal je dise que j'ai accepté qu'il me batte - est-ce que dans ce cas...? J'ai 18 ans, pas de problème? L'idée que je puisse demander à un médecin de m'enlever le clitoris, de me modifier complètement le vagin - est-ce qu'il peut le faire parce que j'ai plus de 18 ans? On finit par jouer avec le droit. Comme ma collègue vous l'a signalé, nous ne sommes pas juristes et par conséquent nous ne pouvons pas faire de démonstration juridique par l'absurde, pour rester poli.

L'idée qu'il puisse y avoir des variétés de consentements, des lacunes... Donnez-nous une disposition définissant ces mutilations et stipulant que ce sont des actes violents contraires à la loi.

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Mme Torsney: Donc pour la personne qui veut simplement une mutilation traditionnelle - pas traditionnelle, mais symbolique - une simple circoncision du clitoris...

Mme Gaitho: Vous avez parlé de mutilation et c'est contre la loi.

Mme Torsney: D'accord, mais ne pourrait-elle pas dire en guise de défense: «Un instant, ce n'était pas du tout ça, en fait je ne faisais que suivre une mode très prisée dans certaines communautés canadiennes»?

Mme Dirie: J'aimerais intervenir et...

Mme Torsney: Excusez-moi, j'aimerais terminer ce point: autrement on interdirait ce genre de pratique dans certaines communautés, à cause de ce contexte de mutilation, alors qu'on l'autoriserait dans d'autres. Il y aurait deux normes et cela ne nous plaît pas du tout.

Mme Gaitho: S'infliger soi-même des sévices corporels...? Il y a le Code criminel qui interdit de s'infliger des sévices corporels. Si pour être à la mode, je ne sais pas, il faut n'avoir qu'un bras, est-ce que j'ai le droit de me faire amputer?

Mme Torsney: On se fait percer toutes les parties du corps, la langue, le clitoris, le pénis, le bout des seins, tout y passe. C'est horrible.

Mme Gaitho: Les responsables de la santé citent toutes sortes de cas d'infection et se demandent si on ne devrait pas envisager de l'interdire.

Je crois qu'il faut considérer ce que nous entendons par libertés individuelles et décider à partir de quel moment nous pouvons dire que tel ou tel acte est absurde et qu'il est contraire à la loi. Un des témoins a parlé de rites sadomasochistes pendant les rapports sexuels - il arrive un moment où il faut dire: d'accord, vous étiez consentants, mais malheureusement c'est contraire à la loi. Mes excuses à Pierre Trudeau qui disait que nous n'avions rien à faire dans les chambres à coucher de la population mais il n'en reste pas moins que même si vous étiez consentant, la loi l'interdit.

Je crois qu'il faut être clair car nous ne pouvons pas dire que tel cas d'ablation du clitoris est tout à fait acceptable parce qu'elle est latino-américaine, par exemple. Il faut aussi que la justice fasse son travail et protège les gens contre eux-mêmes.

Mme Dirie: C'est un sujet de discussion très délicat. Nous avons essayé de l'aborder dans notre mémoire à la page 11, «la mutilation des organes génitaux féminins et la prédisposition culturelle». Nous espérions qu'en parlant de percement des oreilles... Lors de nos recherches nous avons constaté que cette forme de mutilation n'avait pas commencé au temps des pharaons mais au temps d'Hypocrate en Grèce où clitoris voulait dire: «serviteur qui invite les hôtes» - c'est la définition et le sens de clitoris en grec. C'était le père de la médecine. C'est à partir de cette époque qu'ils ont commencé à couper le clitoris de la femme. Nos recherches nous ont aussi appris que plus tard percer les oreilles était une forme de punition des petites filles. Ce n'étaient pas les aristocrates qui se faisait percer les oreilles, c'étaient les esclaves à qui on perçait les oreilles - encore une fois, punition de femme, sous forme de mutilation.

C'est ce dont nous parlons ici. Nous disons - surtout après avoir vu l'article dans Flare - que rien n'a changé depuis il y a je ne sais plus combien de siècles. Nous utilisons simplement une nouvelle théorie moderne. Dans Flare le médecin parle de «réduction des lèvres». Réduction des lèvres signifie excision et mutilation des lèvres. Coudre le vagin et ne laisser qu'une toute petite ouverture, pour nous c'est une deuxième infibulation.

Depuis ce temps rien n'a changé. Nous nous servons simplement de mots modernes adaptés aux temps modernes, surtout en Occident. Nous espérons arriver à éduquer nos soeurs partout: réveillez-vous, c'est une mutilation.

Au temps d'Hippocrate en Grèce ou au temps des pharaons, il n'y avait pas de code criminel pour dire aux médecins ce qu'ils pouvaient ou ne pouvaient pas faire... Nous vous invitons à la prudence. N'accompagnez pas l'inscription dans le Code criminel d'exceptions, car cela revient à les légaliser. Dans les temps anciens aucun document n'en parlait. C'était un acte culturel. Si vous décidez de l'inscrire dans le Code criminel et que vous ajoutez des clauses d'exception médicale et de consentement, cela revient littéralement pour la première fois à institutionnaliser cette pratique. C'est le feu vert de la justice et de la médecine, les femmes peuvent se mutiler. Nous essayons d'arrêter nos soeurs, de les réveiller.

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Nous sommes dans une position très délicate. Peu importe que dans les hôpitaux on parle de réduction des lèvres...

Mme Torsney: Ou de tatouage.

Mme Dirie: ...ou de tatouage, oui. C'est une mutilation. C'est un danger pour la santé. Ce sont les femmes vues et définies par les hommes. Il faut que cela cesse. Si le Code criminel ne peut pas le faire, qui le fera?

Des voix: Bravo!

Mme Torsney: Je crois que je devrais jeter mes boucles d'oreilles.

Des voix: Oh!

Mme Baya: Les questions que vous soulevez sont très délicates. C'est une des raisons pour lesquelles nous insistons sur l'importance de consulter le maximum de communautés où la mutilation est une pratique courante pour que la proposition finale réponde aux attentes des différents groupes.

J'ai trouvé intéressant que vous souleviez la question de ces circoncisions rituelles. Nous avons eu comme clientes une jeune fille qui avait subi ce rite. Elle avait environ 17 ou 18 ans et on le lui avait fait quand elle en avait sept. Elle continuait à pleurer chaque fois qu'elle en parlait. Elle s'effondrait. Elle se souvenait encore de sa douleur.

Nous parlons de circoncision traditionnelle, mais c'est beaucoup plus que cela. Je crois qu'elle n'est toujours pas arrivée à surmonter l'impact psychologique. Les conséquences sont durables; même si elles ne le sont pas physiquement, elles le sont mentalement.

Mme Torsney: Exactement. C'est une question de pouvoir et il faut faire la part des choses.

Je suis inquiète car ce sont des problèmes réels dont on nous a parlé. Est-ce que nous allons vraiment dire aux propriétaires de boutiques le long de la rue Queen à Toronto ou de toute autre rue dans n'importe quelle ville canadienne qui percent et qui tatouent, s'il n'y a plus de clause de consentement, vous serez désormais passibles d'être inculpés par le Code criminel?

J'espère sincèrement que les consultations se poursuivront au niveau de l'application et de l'éducation, mais je ne suis pas certaine que ces consultations aboutissent forcément à un accord. Certaines femmes pensent que s'épiler les jambes avec de la cire est une forme de mutilation, d'autres ne sont pas du tout d'accord. Nous n'arriverons jamais à un accord complet. Il faut essayer de corriger la situation actuelle... surtout sur le plan médical, si j'en crois nos témoins du Québec. Je n'ai pas la réponse à ces questions.

On nous a dit qu'une loi serait utile, qu'il faut absolument faire quelque chose maintenant. Ce ne serait pas une fin en soi mais c'est nécessaire. Il y aura peut-être d'autres affaires.

Mme Baya: L'important est de donner la priorité à ces questions de mutilation. Les preuves médicales sont irréfutables et c'est un bon point de départ.

La présidente: Merci, madame Torsney.

Mme Dirie: J'ai une question à poser à Mme Torsney, madame la présidente.

La présidente: Allez-y.

Mme Dirie: Avez-vous participé à la rédaction de ce projet de loi?

Mme Torsney: Pas précisément. Je ne suis pas juriste, non plus, mais j'ai fais partie du groupe de consultation auquel vous vous êtes adressée en août 1995 et nous avons entendu toutes sortes de représentants des communautés, à titre individuel et en groupe. Le ministre nous en a certes parlé.

Mme Dirie: Parce que j'ai trouvé bizarre que vous disiez avoir consulté les médecins et que le monde médical dise cela.

Mme Torsney: Il sont venus témoigner.

Mme Dirie: Oh, ils sont venus témoigner. Ce n'était pas pendant la rédaction.

Mme Torsney: Non. C'était un genre de consultation analogue à celle d'aujourd'hui.

Mme Dirie: Ce n'est donc pas la procédure pour toute nouvelle mesure législative, pendant sa rédaction, vous faites venir les spécialistes de la collectivité pour qu'il vous disent...

Ce n'est pas la procédure?

Mme Torsney: Si.

La présidente: Je crois que c'est la procédure suivie. Il y a des gens dans la salle du ministère de la Justice, par exemple, qui étaient membres adjoints du groupe de travail de l'Ontario. Cette rédaction ne s'est donc pas faite dans le vide, comme vous le dites, mais j'accepte vos commentaires. Je ne veux pas contester vos propos mais il reste clair pour nous que ce projet de loi a fait l'objet de nombreuses consultations.

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Comme je crois que ce sont nos derniers témoins d'aujourd'hui sur cette question, et queMme Gagnon a déposé un projet de loi d'initiative parlementaire, je la chargerai de résumer en deux minutes notre audience d'aujourd'hui. Je lui donne le dernier mot.

[Français]

Mme Gagnon: Je ne récapitulerai pas parce que ce serait trop long, mais je voudrais demander à Mme Baya d'élaborer sur un point supplémentaire qu'elle a soulevé et auquel j'ai été sensible. Ce point concerne toute personne qui accompagne ou qui commet l'acte, et le problème qui existe entre celle qui le favorise et celle qui le pratique.

Dans mon projet de loi, il y avait une disposition spécifique à ce sujet. Je favorise la criminalisation de cet acte, sans faire de distinction entre la mère, la cousine ou la tante, parce que je fais un lien avec d'autres pratiques, notamment la pédophilie quand elle est pratiquée par l'oncle. Vous avez amené toute la problématique du bien-être de l'enfant et je suis tout à fait d'accord avec vous, mais je voudrais que vous nous précisiez si vous êtes contre la criminalisation quand c'est une mère ou une grand-mère qui le fait à ses enfants ou si vous voudriez que des mesures soient prises pour que l'enfant ne soit pas laissé à lui-même dans le cas où sa mère serait poursuivie en justice. Je pense personnellement que le propre d'une loi, c'est de criminaliser un acte. Par conséquent, j'aimerais avoir quelques précisions supplémentaires, d'autant plus que mon collègue du Parti réformiste a également soulevé ce point-là.

[Traduction]

Mme Baya: C'est un problème très réel. C'est un problème auquel nous sommes confrontés depuis l'ouverture de notre centre de santé communautaire - comment faire la part des choses.

Quand une mère est une bonne mère à tous les autres égards et que vous l'envoyez en prison, quelles sont vos responsabilités envers son enfant? Qu'en faire? Est-ce bien servir son intérêt? Comment faire pour que les aspects éducatifs et dissuasifs de la loi soient respectés sans sacrifier l'enfant en faisant un exemple des parents?

Je ne sais pas si je m'exprime au nom de mon centre, mais personnellement j'estime que les intérêts de l'enfant devraient avoir la priorité et que chaque cas devrait faire l'objet d'une décision individuelle. Je ne pense pas pouvoir faire de recommandation générale. Nous nous servons des diverses dispositions de la Loi sur les enfants et de je ne sais quelle autre loi pour porter un jugement ponctuel et je ne suis pas certaine qu'on puisse faire une recommandation générale. C'est une affaire de cas par cas.

Mme Dirie: J'aimerais ajouter à ce que vient de dire Khamisa que nous ne demandons pas que les parents ne soient pas punis, mais une certaine indulgence au niveau de la peine pour le bien de l'enfant.

Il y a eu des lois dans lesquelles des dispositions analogues étaient prévues, tout particulièrement dans l'ancienne loi sur l'avortement. Nous savons tous que cette loi a été invalidée en 1988. Nous avons la même intention...la pression de la société avait abouti à des châtiments différents pour le médecin et l'avortée. Le châtiment était plus indulgent pour cette dernière.

Ce n'est pas ce que nous préconisons. Nous ne voulons pas que l'on adopte une approche tout à fait nouvelle. Nous demandons un châtiment différent et une certaine indulgence au niveau de la peine pour le bien de l'enfant.

Comme l'a dit Khamisa et comme nous le disons dans notre mémoire, il ne s'agit pas de familles que l'on pourrait qualifier de violentes où les enfants sont maltraités ou négligés, mal nourris et mal vêtus. Ce sont des parents qui aiment leurs enfants. Ils pensent que s'ils ne suivent pas cet usage, ils ne s'acquittent pas de leur devoir de parents comme l'entend leur société. Il s'agit du même genre de pression sociale qu'à l'époque où la Loi sur l'avortement a été adoptée.

Il ne faut donc pas mal comprendre la situation. C'est un effectivement un délit qu'il faut criminaliser. Mais nous voudrions que la peine soit différente selon qu'il s'agit de la personne qui accomplit l'acte et celle qui le fait faire. C'est pour cette raison que nous proposons une loi provisoire tout à fait nouvelle compte tenu de la complexité de la situation, et la nécessité de prévoir une campagne d'éducation qui devrait représenter le plus gros de notre effort.

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La présidente: Je vous remercie. Nous vous remercions tous d'avoir contribué à un échange très fructueux.

Nous allons lever la séance pendant quelques minutes pour permettre aux prochains témoins de s'installer. La séance est levée.

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