[Enregistrement électronique]
Le mardi 4 février 1997
[Traduction]
La présidente: La séance est ouverte. Nous reprenons notre étude du projet de loi C-55 et de la proposition de loi de Mme Meredith, c'est-à-dire le projet de loi C-254.
Nous recevons aujourd'hui, en direct, et en personne, ainsi que par vidéoconférence avec Vancouver, des témoins de l'Association du Barreau canadien.
Tamra Thomson, auriez-vous l'obligeance de nous présenter vos collègues?
Mme Tamra Thomson (directrice, Réforme des lois et du droit, Association du Barreau canadien): Oui, madame la présidente. Je voudrais faire quelques brèves remarques au sujet de notre exposé, et ensuite, je vais céder la parole aux professeurs Jackson et Manson.
La Section nationale de la justice criminelle est très heureuse d'avoir aujourd'hui l'occasion de présenter ses vues sur le projet de loi C-55. L'Association du Barreau canadien est une association nationale représentant plus de 34 000 juristes d'un bout à l'autre du Canada. Parmi ses principaux objectifs, notons l'amélioration des lois et l'amélioration de l'administration de la justice.
L'exposé que nous allons vous faire aujourd'hui a été préparé par le Comité sur l'emprisonnement et la libération, qui fait partie de la Section nationale de la justice criminelle de l'Association du Barreau canadien. Donc, cet exposé est fait au nom de ces deux groupes.
Pour présenter la majeure partie de nos remarques, je vais faire appel, par vidéoconférence, au professeur Michael Jackson, qui enseigne à l'Université de la Colombie-Britannique. De plus, je suis accompagnée du professeur Allan Manson, qui enseigne à l'Université Queen's. Les deux enseignent à la faculté de droit.
Ces deux messieurs sont membres du Comité sur l'emprisonnement et la libération de l'Association du Barreau canadien. Le professeur Manson m'a fait savoir qu'entre eux deux, ils ont presque 50 ans d'expérience, à titre non seulement d'avocats en exercice privé mais d'universitaires, du domaine de l'emprisonnement et de la libération.
Je vais donc demander au professeur Jackson de présenter la première partie de notre exposé sur le projet de loi C-55.
M. Michael Jackson (membre, Comité sur l'emprisonnement et la libération, Section nationale de la justice criminelle, Association du Barreau canadien): Merci, madame la présidente.
La dernière remarque de ma collègue, concernant le total de nos années d'expérience est une question sur laquelle je préfère ne pas m'attarder.
Je voudrais vous dire, d'entrée de jeu, que l'Association du Barreau canadien appuie vivement les initiatives prises par le gouvernement pour réserver un traitement différent aux personnes qui ont commis des infractions moins graves, par rapport à celles qui ont perpétré les infractions les plus graves, c'est-à-dire des actes violents à l'endroit des femmes et des enfants.
Nous comprenons fort bien que le projet de loi C-55 vise à régler un certain nombre de problèmes liés aux délinquants les plus dangereux qui sont touchés par le système de justice criminelle. Bien que nous appuyions cet effort, nous sommes d'avis que les propositions du projet de loi C-55 ne règlent pas ces problèmes de manière satisfaisante et créent au contraire des difficultés considérables sur le plan de l'efficacité et de la constitutionnalité.
Comme les membres du comité le savent certainement, le projet de loi C-55 a trois principales composantes: des modifications à la Loi sur les délinquants dangereux; l'introduction d'une nouvelle catégorie de délinquants à contrôler; et des modifications aux dispositions de l'article 810 concernant les engagements. Le thème qui sous-entend tous ces projets de modifications est celui de la détention préventive.
La détention préventive constitue une catégorie exceptionnelle d'interventions criminelles, en ce sens qu'elle met surtout l'accent sur la crainte ou le risque de récidive de la part d'un délinquant, plutôt que sur les actes criminels qu'il a commis par le passé. Elle soulève ainsi des questions déontologiques et morales importantes.
Je voudrais commencer, dans ce premier volet de cet exposé, par examiner nos expériences passées de la détention préventive au Canada. À notre avis, il est essentiel que le comité comprenne bien ces expériences historiques pour évaluer les propositions dont il est actuellement saisi.
Au Canada, la détention préventive existe depuis la fin des années 40, d'abord dans le cadre de la loi sur les repris de justice, et ensuite, par rapport aux catégories dites «psychopathes sexuels criminels» et «délinquants sexuels dangereux». L'existence de ces deux catégories offrait à un tribunal la possibilité d'imposer une peine à perpétuité d'une durée indéterminée. Voilà donc presque 30 ans que nous faisons l'expérience de cette formule. Ces deux catégories, comme les propositions actuelles, avaient pour objet de cibler un petit groupe de délinquants dangereux ayant tendance à commettre des crimes contre la personne qui présentent le risque le plus élevé pour la sécurité du public.
Notre expérience de cette loi entre 1947 et 1977, année où elle a été abrogée en faveur de l'actuelle Loi sur les délinquants dangereux, démontre que malgré les bonnes intentions des rédacteurs de la loi, les personnes qui étaient le plus souvent visées par la détention préventive étaient généralement des individus qui, tout en étant de graves nuisances sociales, ne risquaient pas de commettre des sévices violents graves à la personne.
En 1969, le Comité canadien de la réforme pénale et correctionnelle a analysé les résultats de l'application de cette mesure législative au cours des 20 premières années et a constaté que la plupart des individus qui y avaient été soumis n'étaient pas en réalité des délinquants dangereux.
En fait, j'ai fait une étude pendant les années 80 de 18 hommes qui sont restés en prison suivant l'abrogation de cette loi, et j'ai conclu que seulement l'un d'entre eux présentait un risque grave pour la sécurité du public, même si la plupart avait purgé des peines plus longues que des détenus qui avaient été reconnus coupables de meurtre. Donc, là vous avez un exemple de l'application de la détention préventive à des personnes jugées dangereuses au départ qui, nous l'avons déterminé plus tard, ne l'étaient pas en réalité, mais ont néanmoins purgé parmi les plus longues peines de toute la population carcérale.
À cause de ce rapport, le gouvernement - c'est-à-dire le solliciteur général et le ministre de la Justice - ont créé une commission sous la présidence du juge Stuart Leggatt, qui a examiné les dossiers de 87 détenus purgeant des peines d'une durée indéterminée et a recommandé la réhabilitation dans 73 cas - ce qui vous donne une idée de l'application démesurée de la détention préventive pendant ces 30 premières années d'existence.
En 1990, la Cour suprême du Canada a examiné le dossier d'un détenu qui avait reçu une peine d'une durée indéterminée, à titre de délinquant sexuel dangereux, en 1953, à l'âge de 18 ans, après avoir essayé de violer un jeune enfant. Il est resté 37 ans en prison et s'est vu refuser sa demande de libération conditionnelle par la Commission des libérations conditionnelles sur la foi des preuves présentées par le psychiatre de cette dernière, indiquant que le détenu en question présentait un risque de récidive. Cette décision a fait l'objet d'un pourvoi devant la Cour suprême du Canada. Des preuves avaient été présentées au nom de M. Steele par un psychiatre et psychologue engagé par l'avocat de la défense. Tous les juges qui ont été saisis de cette cause - y compris la Cour suprême, dont la décision fut unanime - ont déterminé qu'en fait, ce détenu ne présentait pas de risque de récidive, que son maintien en prison constituerait une peine cruelle et inhabituelle, et ont donc ordonné qu'il soit libéré.
Donc, notre expérience passée de cette loi démontre qu'elle a toujours présenté le risque que les personnes qui y sont soumises ne soient pas en réalité dangereuses. Et elle posait également d'autres problèmes.
Le Comité canadien de la réforme pénale et correctionnelle, encore une fois dans le cadre de son analyse des 20 premières années d'application de cette loi, a constaté qu'il y avait d'énormes différences d'application régionale - presque 50 p. 100 des demandes de détention préventive avaient été présentées en Colombie-Britannique, dont 80 ou 90 p. 100 dans la ville de Vancouver. Ayant pris connaissance de ces faits, feu Arthur Maloney, l'un des avocats criminels les plus réputés au Canada, a déploré l'exécution presque irrationnelle de cette loi, qui donnait lieu à une application inégale et arbitraire du droit. Le Comité canadien de la réforme pénale et correctionnelle a conclu qu'une loi qui était «susceptible d'être appliquée de façon aussi inégale était tout à fait déplacée dans le cadre d'un système correctionnel rationnel».
Ce sont les recommandations du Comité canadien de la réforme pénale et correctionnelle qui ont conduit à l'actuelle Loi sur les délinquants dangereux, qui visait à régler un certain nombre de ces problèmes. Mais quand nous analysons les résultats de son application au cours des 20 dernières années - c'est-à-dire depuis 1977 - nous constatons, une fois de plus, que l'application de cette loi a été inégale d'une région à l'autre du pays. Ce qui a changé, c'est que l'Ontario, plutôt que la Colombie-Britannique, est devenue la capitale de la détention préventive au Canada. Il reste que presque 50 p. 100 des demandes sont présentées en Ontario; 25 p. 100, en Colombie-Britannique; et jusqu'à l'année dernière, il n'y en avait jamais eu au Québec. Il s'agit là d'un fait très significatif, car cela laisse supposer que le système de justice criminelle au Québec a réussi à régler le problème de la dangerosité et des délinquants dangereux sans invoquer les dispositions actuelles de la Loi, et encore moins réclamer que ces dernières soient modifiées.
Si je peux maintenant passer de cette expérience historique aux raisons qui ont pu motiver le gouvernement à proposer le projet de loi C-55, d'après ce que nous avons pu comprendre, le mouvement en faveur des modifications législatives est issu d'une enquête de coroner en 1992 sur le cas d'un certain M. Fredericks, un cas qui représente un exemple atroce de ce qui peut arriver quand le système se détraque - qui avait été libéré dans le cadre du programme de liberté surveillée avant d'avoir purgé toute sa peine et, peu de temps après, avait assassiné un jeune enfant à Toronto. L'enquête a conclu que même si M. Fredericks avait commis des infractions qui auraient justifié qu'il fasse l'objet d'une demande... [Difficutés techniques]... et qu'il pourrait faire l'objet d'une demande de déclaration de délinquant dangereux. Par suite de cette enquête, certains ont commencé à exiger que la Loi soit modifiée, alors qu'en réalité, il aurait fallu réagir à l'affaire Fredericks - aussi atroce fut-elle - en assurant une meilleure application de la disposition actuellement en vigueur.
Par suite de l'enquête sur Fredericks, le gouvernement du Canada a créé un groupe de travail et l'a chargé d'examiner toute la question des délinquants présentant un risque élevé de récidive; les recommandations de ce groupe de travail sont justement à l'origine du projet de loi C-55.
L'Association du Barreau canadien appuie bon nombre des principes posés par le groupe de travail - entre autres, la nécessité de s'assurer que les mesures prises dans le cadre du système de justice criminelle sont proportionnelles au degré de risque que présente le délinquant; la nécessité de fournir des ressources adéquates pour permettre d'identifier les délinquants dangereux, de leur offrir des traitements pour les rendre moins dangereux, et d'assurer leur surveillance dans la communauté.
L'enjeu est donc l'équilibre à établir entre la protection de la communauté, ce qu'exige l'application régulière de la loi, et les principes consacrés dans la Charte des droits et libertés.
Pour ce qui est des propositions précises du projet de loi C-55 relativement à la Loi sur les délinquants dangereux, nous sommes d'avis, que l'équilibre qu'assurent les dispositions actuelles a été infléchi d'une manière qui risque de compromettre la constitutionnalité de la Loi.
On a d'ailleurs contesté la constitutionnalité de la Loi sur les délinquants dangereux dans l'affaire Lyons. Après examen des dispositions actuelles, la Cour suprême a conclu qu'elles étaient bien conçues et maintenaient l'équilibre approprié entre la protection du public contre les personnes véritablement dangereuses et la nécessité de protéger les individus contre l'application arbitraire de la Loi, et ce, en garantissant que les détenus ne seraient pas gardés en prison plus longtemps que ne justifie leur dangerosité.
La Cour suprême du Canada a examiné différentes dispositions de fond et de procédure de la Loi et a conclu qu'elle était constitutionnelle. Le problème que soulève le projet de loi C-55, de l'avis de l'Association du Barreau canadien, c'est qu'il modifie l'équilibre qui existe actuellement. Il change certaines des dispositions qui, de l'avis de la Cour suprême du Canada, étaient essentielles pour assurer la constitutionnalité du régime actuel.
Permettez-moi d'aborder maintenant un certain nombre de ces dispositions. La première partie du projet de loi C-55 aurait pour résultat de retirer à un juge qui détermine qu'un détenu n'est pas un délinquant dangereux le pouvoir discrétionnaire de ne pas lui infliger une peine d'une durée indéterminée; il serait au contraire obligé de lui infliger une peine de durée fixe. Le projet de loi C- 55 forcerait un juge à infliger une peine à perpétuité de durée indéterminée à quelqu'un qui répondait aux critères de dangerosité.
Cette disposition, ou plutôt ce pouvoir discrétionnaire n'a été exercé que dans de rares cas, mais ceci ne saurait démentir l'importante orientation qu'elle a donnée à la loi. La Cour suprême du Canada a d'ailleurs précisé que ce pouvoir discrétionnaire représentait un moyen par lequel un juge pourrait adapter la loi à la situation particulière du délinquant.
Permettez-moi de vous citer l'exemple d'un cas où ce pouvoir a justement été exercé: il s'agit du cas d'un jeune homme de Colombie-Britannique, il y a une dizaine d'années, qui avait été emprisonné dans différents établissements entre l'âge de sept et 20 ou 25 ans. Après avoir été libéré conditionnellement, il a commis une autre infraction à l'aide d'une arme, et même si personne n'avait été blessé, la Couronne avait présenté une demande de déclaration de délinquant dangereux.
Il répondait aux critères. Il avait des antécédents violents. L'infraction qu'il avait commise était l'une de celles qui entraînaient une plus longue période d'inadmissibilité à la libération, et il y avait certaines indications qu'en l'absence d'une thérapeutique appropriée, il pourrait commettre d'autres infractions graves. Le juge l'a donc déclaré délinquant dangereux.
À ce moment-là, il s'agissait de savoir s'il y avait moyen d'éviter qu'il présente un risque pour la société sans lui infliger nécessairement une peine de durée indéterminée. Les témoignages détaillés et exhaustifs de différents psychiatres et psychologues indiquaient que s'il consentait de confronter ses problèmes, et qu'on lui dispense les traitements appropriés, il pourrait en fait se remettre dans le droit chemin en moins de sept ans.
Le juge lui a donc infligé une peine de sept ans, et ce fut une remarquable success story, du genre dont on entend rarement parler. L'individu en question a commencé à régler ses problèmes grâce au traitement qu'il a reçu. Il a commencé à courir des marathons pour réunir des fonds pour les personnes handicapées. Il s'est inscrit dans différents programmes d'éducation, a obtenu suffisamment de crédits pour obtenir un diplôme, a été libéré conditionnellement, et depuis se consacre à différentes activités qui consistent à aider les enfants qui vivent dans la rue, et d'autres personnes qui ont connu les mêmes problèmes que lui. En fait, il a fait un travail considérable, et un travail très positif, en aidant les gens à quitter la rue et à apprendre à vivre dans la société tout en respectant la loi.
Voilà donc l'exemple d'un cas où un juge qui a exercé ce pouvoir discrétionnaire que lui confère la loi a pu rendre justice, non pas seulement à la société... [Difficultés techniques]... du fait d'avoir fait déclarer quelqu'un délinquant dangereux. À quoi bon si vous écopez d'une peine de durée fixe, à la place d'une peine de durée indéterminée? On peut soutenir qu'ayant travaillé si fort, il convient de récompenser la Couronne de ses efforts.
La véritable question importante, toutefois, est celle de la proportionnalité. La disposition actuelle permet à un juge d'adapter la peine à l'infraction, et aucun argument convaincant en faveur de son abolition n'a encore été avancé. L'Association du Barreau canadien estime que le fait de l'abolir modifierait l'un des éléments importants de cet équilibre fragile que la Cour suprême du Canada juge essentiel à la constitutionnalité de la Loi actuelle.
La deuxième disposition du projet de loi C-55 aurait pour effet de modifier une partie de la procédure. À l'heure actuelle, lors de l'audition d'une demande de déclaration de délinquant dangereux, des preuves sont présentées par la Couronne et la défense. Chaque partie a le droit de nommer un psychiatre qui sera appelé à témoigner sur la question de la dangerosité. Le projet de loi C-55 éliminerait cette exigence. Le projet de loi propose à sa place une évaluation obligatoire qui est jugée neutre pour éviter la bataille des experts et pour pouvoir présenter au tribunal une évaluation neutre, qu'on espère aussi précise et détaillée que possible, et sur laquelle la Couronne et le tribunal pourront faire reposer en grande partie la détermination de la dangerosité du délinquant.
Encore une fois, cette solution présente un certain nombre de difficultés. Dans l'affaire Lyons, le tribunal a justement précisé qu'aux termes des dispositions actuelles, la Couronne et la défense ont la possibilité de nommer un expert. À notre avis, il s'agit là d'une disposition tout à fait critique.
À notre sens, le projet de loi C-55 repose sur un certain nombre d'hypothèses qui nous semblent douteuses.
Tout d'abord, nous doutons qu'il soit possible d'en arriver à une évaluation neutre de la dangerosité. Le groupe de travail a beaucoup insisté sur l'importance des évaluations multidisciplinaires, et de la nécessité de faire reposer la décision sur les meilleures preuves qu'il soit possible d'obtenir.
En réalité, les preuves analysées jusqu'à présent indiquent que toute prédiction de dangerosité est problématique. Ces prédictions comportent toujours un risque d'erreur. Les ressources qui sont disponibles pour préparer ces évaluations multidisciplinaires varient d'une région à l'autre du pays. Dans bon nombre de localités, elles n'existent tout simplement pas. Quand elles existent, elles se trouvent souvent dans des établissements, qui ont un certain préjugé en faveur de la détention.
L'Association du Barreau canadien estime qu'étant donné les problèmes que pose la demande de déclaration de délinquant dangereux, la fiabilité vivement contestée des jugements scientifiques en matière de dangerosité, les controverses que suscite la question de l'équilibre à établir entre le droit du public d'être protégé et le droit d'un individu de ne pas être détenu sans justification, le système judiciaire accusatoire constitue le système le plus adéquat.
Exiger que des preuves psychiatriques soient produites à la fois par la Couronne et la défense constitue en effet la meilleure solution. C'est dans le cadre de la joute qu'impliquent l'interrogation et la contre-interrogation qu'un juge - car c'est au juge que revient la décision en fin de compte - pourra déterminer si l'individu est vraiment dangereux et s'il devrait recevoir la peine la plus draconienne que prévoit notre régime.
Donc, nous appuyons les dispositions actuelles, et à notre connaissance, aucune raison probante n'aurait encore été avancée qui justifierait qu'on change un aspect aussi critique de l'équilibre actuel.
La troisième partie du projet de loi permettrait à la Couronne de présenter une demande de déclaration de délinquant dangereux dans les six mois qui suivent la condamnation d'une personne dans le cadre d'une procédure pénale normale, à condition qu'un avis de dépôt d'une telle demande ait été donné avant le prononcé de la sentence.
Cette disposition vise à permettre à la Couronne de compenser le manque d'enquête antérieure lorsqu'une affaire passe en justice pour la première fois. Mais encore une fois, nous doutons que ceci soit nécessaire, étant donné que d'autres mesures ont été mises en vigueur pour donner suite au rapport du groupe de travail.
Il est d'ailleurs ressorti du rapport du groupe de travail qu'entre les autorités policières et les avocats de la Couronne, il arrive fréquemment que certains individus passent au travers des mailles du filet. Quelqu'un qui commet une infraction à Vancouver peut avoir un casier judiciaire en Ontario, sauf que les autorités de la Colombie-Britannique l'ont peut-être su tardivement, de telle sorte que les autorités policières et les responsables correctionnels n'ont pas pris connaissance des informations pertinentes détenues par les uns et les autres avant qu'il ne soit trop tard pour déposer une demande de déclaration de délinquant dangereux.
Le groupe de travail a recommandé l'introduction - et le Solliciteur général y a donné suite l'an dernier - de réformes non législatives pour régler ce problème. Ainsi, grâce à un système, implanté par la Couronne, de marquage des dossiers de délinquants pouvant éventuellement être visés par une demande de déclaration de délinquant dangereux, il y a un échange d'information entre les autorités policières et correctionnelles et les organismes de la Couronne; par conséquent, il n'est plus nécessaire de prévoir un délai de six mois pour garantir l'efficacité non seulement des opérations des autorités policières mais des poursuites engagées.
Notre autre préoccupation concerne les graves difficultés que pose cette disposition du projet de loi du point de vue de sa constitutionnalité. Elle met en cause l'important concept de l'irrévocabilité et soulève des questions sérieuses relativement au principe de l'autorité de la chose jugée.
Le quatrième changement qu'opère le projet de loi C-55 concerne l'examen des dossiers par la Commission nationale des libérations conditionnelles, qui se fait actuellement après un premier délai de trois ans, et encore deux ans plus tard. Le projet de loi C-55 propose que ce premier examen par la commission se fasse après sept ans seulement, de sorte qu'un délinquant qui reçoit une peine de durée indéterminée serait obligé de passer sept ans en prison avant que son dossier puisse être examiné par la commission.
En réalité, cela ne changerait pas grand-chose dans la pratique, puisque à notre connaissance, personne n'a jamais été libéré conditionnellement au cours des sept premières années de sa peine d'emprisonnement. Toutefois, dans son analyse des dispositions actuelles, la Cour suprême du Canada a attaché une importance particulière aux dispositions relatives à l'examen du dossier par la Commission des libérations conditionnelles, et elle a conclu qu'en leur absence, les mesures législatives visant les délinquants dangereux risqueraient d'être déclarées inconstitutionnelles.
Mais c'était l'obligation, pour la Commission des libérations conditionnelles, d'examiner les dossiers des détenus tous les trois ans, et encore deux ans plus tard, qui garantissait que cette dernière soit renseignée sur tous ces individus en se posant les questions que voici: Est-ce qu'ils ont répondu au traitement? Sont- ils encore dangereux? Le risque qu'ils présentent peut-il être maîtrisé au sein de la collectivité?
Étant donné que le projet de loi C-55 prévoit d'exiger cet examen des dossiers après sept ans seulement, d'éliminer le pouvoir discrétionnaire du juge de ne pas infliger une peine de durée indéterminée, et d'élargir les possibilités de cette façon, l'Association du Barreau canadien estime, vu l'effet de toutes ces mesures réunies, que si la constitutionnalité des dispositions législatives visant les délinquants dangereux, une fois ces quelques modifications adoptées, était contestée devant les tribunaux, les conclusions de la Cour suprême du Canada seraient très différentes.
Mais en dehors de l'aspect constitutionnalité, on peut se demander si ces changements ont vraiment nécessaires. Pourquoi modifier un régime qui s'est révélé efficace et qui a récemment été amélioré grâce à l'introduction d'un certain nombre de mesures administratives? Pourquoi modifier une loi si les modifications proposées sont susceptibles de rendre le régime actuel inconstitutionnel, sans même offrir de véritables avantages du point de vue de la protection du public, et présentent le danger très réel - si l'on se fonde sur les expériences du passé - que certains individus se voient infliger des peines d'emprisonnement beaucoup plus longues que ne le justifient leurs crimes ou leur dangerosité supposée?
Le professeur Manson va maintenant aborder les autres dispositions du projet de loi C-55, relativement à la catégorie de délinquants à contrôler et de l'article 810.
La présidente: Merci, professeur Jackson.
Professeur Manson.
M. Allan Manson (membre, Comité sur l'emprisonnement et la libération de la Section nationale de la justice criminelle, Association du Barreau canadien): Je constate que nous avons un peu dépassé le temps qui nous était imparti, et par conséquent, je m'en remets à votre volonté, madame la présidente.
La présidente: Non, non; il n'y a pas de problème. Veuillez continuer.
M. Manson: Je vous encourage tous à lire notre mémoire. Michael vous l'a résumé, mais beaucoup de gens très experts en la matière ont consacré énormément de temps à sa préparation. À notre avis, il repose sur des recherches solides et exhaustives et nous vous encourageons donc vivement à le lire.
En général, l'Association du Barreau canadien est contre l'idée d'élargir l'application de la détention préventive. Nous disposons déjà d'un régime pour les délinquants dangereux; nous avons également l'article 810.1 du Code criminel. C'est sûrement suffisant.
John Monahan est une sommité aux États-Unis pour ce qui est de la capacité des scientifiques et des cliniciens de prédire la dangerosité. Son travail lui a récemment valu l'un des prix «MacArthur's Genius» - il s'agit d'une somme faramineuse - et il fait de la recherche sur la prédiction de la dangerosité. Au début des années 80, il a dit que c'était impossible, et que dans deux cas sur trois, les délinquants déclarés dangereux ne le sont pas.
Même s'il est à présent plus optimiste qu'il ne l'était il y a 15 ans, en ce sens qu'il reconnaît l'utilité de certaines techniques, notamment des prévisions actuarielles quand elles sont employées conjointement avec d'autres modèles - et je suis sûr que vous allez entendre les arguments de ceux qui préconisent l'utilisation de ces modèles - il estime que même si on arrive à obtenir de meilleurs résultats, on n'arrivera jamais à contourner les questions morales, déontologiques et légales profondes que pose la détention préventive. Telle est la position de l'Association du Barreau canadien. Nous avons déjà des mesures en place, et il n'est pas souhaitable que le Canada devienne le chef de file du monde entier pour l'usage qu'il fait de la détention préventive. Nous n'aurions aucune raison de nous en enorgueillir.
Examinons les statistiques actuelles pour les crimes violents. Le taux du meurtre a encore baissé. Il n'a jamais été aussi bas depuis 1974. Le taux de perpétration des crimes violents a baissé depuis 1992, et a chuté entre 1994 et 1995, soit de 4,1 p. 100 à l'échelle nationale.
C'est très intéressant, car au Québec où, comme Michael vient de nous le signaler, on a eu recours qu'une seule fois aux dispositions législatives visant les délinquants dangereux, le taux de perpétration des crimes violents a baissé de 7,5 p. 100, comparativement à une baisse de seulement 4,3 p. 100 en Ontario et de seulement 3,3 p. 100 en Colombie-Britannique.
Examinons la situation des groupes que ces mesures législatives sont censées protéger: les enfants et les femmes. Soyons très sérieux. Les enfants constituent un groupe à risque. Mais la source la plus importante des risques est leur famille immédiate, leur famille élargie et les connaissances. Le nombre d'enfants victimes d'actes violents qui sont perpétrés par des étrangers est infime. Examinons maintenant la situation des femmes. Les femmes risquent de faire l'objet de sévices au sein de leur collectivité, qu'on parle de la violence en général ou de violence sexuelle. Mais les sources les plus importantes des risques sont les conjoints, les ex-conjoints, les petits amis, et les connaissances.
Donc, même si nous nous accordons pour dire qu'il faut protéger les personnes les plus vulnérables au Canada, le fait est que ces mesures législatives n'atteignent pas cet objectif-là.
J'aimerais vous parler brièvement de la catégorie de délinquants à contrôler du projet de modification à l'article 810.2, et après, nous pourrons répondre à vos questions. Le régime prévu pour les «délinquants à contrôler» créera une nouvelle catégorie axée sur un seuil moins élevé que pour les délinquants dangereux, de sorte que les délinquants recevront une peine minimale d'emprisonnement de deux ans, et peut-être plus, et seront soumis à une période de surveillance qui sera toujours de 10 ans, même si le projet de loi précise qu'il s'agira «d'une période maximale de 10 ans». Par définition, cette période doit être de 10 ans. Si un juge estime qu'il existe un risque élevé de récidive, il ne va certainement pas vouloir limiter la période de surveillance. Si vous déterminez le 1er janvier 1997, mettons, que tel délinquant présente un risque élevé de récidive, vous n'allez pas supposer que ce risque disparaîtra un mois, six mois ou deux ans plus tard, et par conséquent, la période de surveillance sera toujours de 10 ans.
À notre avis, cette disposition n'est pas nécessaire tout en étant potentiellement inconstitutionnelle; or il y a d'autres moyens d'assurer la surveillance d'un délinquant pendant de plus courte période, quitte à faire reconduire régulièrement cette période par un juge. Voilà justement ce qui manque ici. On établit dans ce projet de loi une très longue période de contrôle et d'emprisonnement; on passe du régime actuel, c'est-à-dire des peines de durée fixe et des peines à perpétuité de durée indéterminée, à un régime infiniment plus sévère: non seulement des peines d'emprisonnement, mais 10 années supplémentaires de contrôle et d'emprisonnement potentiels.
Quant au projet de modification de l'article 810.2, nous estimons que l'article 810.1 est amplement suffisant pour les cas où ce genre de mesure est vraiment nécessaire. La disposition actuelle ne repose pas sur la perpétration d'une certaine infraction, ni sur l'existence d'une condamnation antérieure. Le seuil est très bas et la nature du risque n'est pas explicitée. Elle donne donc lieu à une obligation pour le délinquant de contracter un engagement qu'il devra honorer pendant 12 mois - engagement qui est assorti de conditions très astreignantes, y compris la surveillance électronique, une méthode qui constitue sans aucun doute une intrusion grave dans la vie privée d'un individu. Cela met nécessairement en cause certaines libertés, en ce qui nous concerne. Encore une fois, l'article 810.1, dont la constitutionnalité est actuellement contestée devant les tribunaux, répondra certainement à l'éventuel besoin d'une plus large application. Le projet d'article 810.2 n'est donc pas nécessaire, et risque, d'après nous, d'être déclaré inconstitutionnel.
Pour conclure, j'aimerais vous lire la conclusion de notre mémoire, car à mon sens, elle résume bien notre position.
Plutôt que de consacrer des ressources devenues rares à des mesures qui visent à prédire la violence et à contrôler un petit nombre d'individus, nous assurerions une meilleure protection du public en employant ces ressources pour réduire la pauvreté, améliorer les services de santé et les possibilités d'instruction, et contrer le dysfonctionnement des familles. Si de telles mesures socio-économiques étaient appliquées parallèlement à l'introduction de programmes de traitement et de réadaptation visant à réduire le récidivisme elles permettraient plus facilement de prévenir la criminalité. En attachant une attention disproportionnée à la détention préventive, nous employons mal nos ressources.
Telle est la position de l'Association du Barreau canadien, et nous profitons de cette visite pour vous inciter à faire preuve de leadership dans ce domaine. Quelles que soient vos affiliations politiques, n'ayez pas peur de faire preuve de leadership.
La présidente: Merci.
Monsieur Crête.
[Français]
M. Crête (Kamouraska - Rivière-du-Loup): Merci pour la qualité de la présentation. Vous faites une démonstration intéressante de l'efficacité du système actuel. Cependant, j'aimerais que vous nous précisiez, à la lumière des connaissances spécifiques que vous avez à titre de spécialistes du secteur, ce qui vous apparaîtrait le plus approprié pour éviter le problème qu'on rencontre comme députés, c'est-à-dire la question des cas particuliers qui peuvent passer à travers les mailles du système.
Dans ce domaine d'action, il est évident que s'il y a neuf réussites sur dix, c'est le dixième cas qui fait les manchettes des journaux et attire l'attention. On doit viser un système qui permette de tendre vers une tolérance zéro dans ce secteur.
J'aimerais que vous nous fassiez part de votre expertise et que vous nous parliez dans la perspective des expériences que vous connaissez et qui sont menées dans d'autres pays. Avez-vous des exemples de pays qui ont adopté une approche telle que celle que vous préconisez et qui ont des résultats plus intéressants? Et, à l'inverse, quel genre de résultats obtiennent ceux qui ont une approche plus punitive par rapport aux résultats globaux et aussi aux résultats particuliers dans les cas difficiles qui peuvent se présenter?
[Traduction]
M. Manson: Il va sans dire qu'il y a un certain nombre de cas tragiques qui focalisent l'attention. Le cas Stephenson en est un bon exemple. Je suis convaincu que les procureurs n'étaient pas aussi agressifs au début des années 80 qu'aujourd'hui. Le Service correctionnel n'a pas fait un bon usage des dispositions en matière de détention que prévoit la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition tout simplement parce que ses responsables ne les comprenaient pas bien à l'époque. Mais je suis convaincu qu'ils sauraient à présent en profiter au maximum.
Donc, grâce à l'échange d'informations, au marquage des dossiers dont parlait le professeur Jackson et à tout ce qui a été recommandé par le groupe de travail fédéral-provincial, il y a tout lieu de croire que les autorités seront informées des cas les plus graves et qu'elles y consacreront les ressources adéquates.
Par contre, je crains qu'on ne puisse jamais concrétiser le principe de la tolérance zéro, notamment dans une situation comme l'affaire Bernardo. Bernardo n'avait pas de condamnations antérieures pour des infractions de même nature. Il serait d'ailleurs impossible d'élaborer un système de prédiction des risques qui permette de mettre la main sur ce genre de personne. À mon avis, il serait tout simplement impossible d'en arriver à un tel système.
Vous avez parlé de la situation dans d'autres pays. Certains pays investissent énormément de ressources dans les régimes thérapeutiques. Ces derniers partent du principe que la pédophilie, par exemple, est incurable mais contrôlable. Il existe par conséquent différentes thérapeutiques qui ont connu un degré de succès variable. Il conviendrait par conséquent de consacrer des ressources à ce genre de programmes. Certains pays ont déjà commencé à implanter de tels régimes thérapeutiques.
En ce qui concerne la détention préventive, l'expérience australienne est très différente. Comme l'Angleterre, l'Australie a rejeté depuis longtemps une formule de détention préventive semblable au régime touchant les délinquants dangereux au Canada. Dans les États de Nouvelle-Galles du Sud et Victoria, où cet incident atroce a eu lieu, ils ont adopté une loi spécifique qui vise cet individu-là, c'est-à-dire qui permet au procureur général de se présenter devant un tribunal et de convaincre ce dernier que l'individu en question répond à des critères extrêmement rigoureux qui justifient qu'il reste en détention, la période de détention devant être reconduite régulièrement par le tribunal.
De cette façon, les politiques - en la personne du procureur général - et les tribunaux sont tous les deux responsables de l'intrusion très grave qu'implique cette mesure. Quand on parle d'intrusion grave, on fait allusion au fait qu'une personne est incarcérée en raison du risque qu'elle pose, plutôt que des actes qu'elle a commis.
Donc, la réponse à votre question, c'est qu'il existe d'autres solutions. On ne peut pas s'attendre à ce que le monde devienne parfait, mais il existe néanmoins d'autres possibilités, et plutôt que de passer par le système de justice criminel pour composer avec les gens psychologiquement cassés, nous ferions mieux d'assurer un usage plus fructueux de nos ressources.
La présidente: Merci, monsieur Crête.
Madame Meredith.
Mme Meredith (Surrey - White Rock - South Langley): Merci, madame la présidente.
Monsieur Jackson, je voudrais revenir sur quelques-unes de vos remarques précédentes. Vous avez dit que l'Association du Barreau canadien appuie les efforts déployés pour protéger les femmes et les enfants. Vous avez également dit que la cible des mesures législatives visant les délinquants dangereux qui sont actuellement en vigueur ce sont les délinquants qui abusent des gens, c'est-à- dire non pas des délinquants qui commettent des actes de violence familiale - un conjoint, un père ou un beau-père - mais un abuseur qui cherche à assouvir ses besoins de violence.
Vous avez également dit qu'en ce qui vous concerne, les mesures législatives actuelles sont suffisantes parce qu'elles offrent la possibilité d'imposer des peines de durée fixe et de durée indéterminée.
J'aimerais donc vous poser la question suivante: Le projet de loi C-254 que j'ai présenté prévoit l'imposition de peines de durée à la fois fixe et indéterminée. Il prévoit également que le procureur et l'avocat de la défense puissent présenter des témoignages d'experts ou des évaluations psychiatriques. La grande différence, bien entendu, c'est que le projet de loi C-254 prévoit cette possibilité après le prononcé de la sentence, lorsqu'un individu est déjà en prison et que d'autres renseignements surgissent à son sujet ou au sujet de son comportement, indiquant qu'il présente un véritable risque pour la société. Ce projet de loi prévoit également que le délinquant participe à l'audience sur la demande de déclaration de délinquant dangereux; ainsi il aurait toujours accès au processus judiciaire dans le cadre duquel deux parties rivales s'efforcent de présenter les faits.
J'ai l'impression que c'est surtout la possibilité que cela se fasse après le prononcé de la sentence, par opposition au processus lui-même, qui vous préoccupe. Est-ce que je me trompe?
M. Jackson: Pour répondre à votre question, madame Meredith, je devrais préciser que les propositions qu'on retrouve dans votre projet de loi, si je comprends bien, ont été examinées par l'Association du Barreau canadien il y a quelques années au moment où le solliciteur général de l'époque, M. Lewis, a déposé un projet de loi fort semblable au vôtre. À l'époque, nous étions d'avis que ce projet de loi posait des problèmes considérables sur le plan de la constitutionnalité.
Encore une fois, il était bien intentionné. Il visait à répondre à une préoccupation claire, impérieuse et importante, soit de protéger le public contre les délinquants ayant un risque élevé de récidive. Mais nous trouvions problématique que cette intervention se fasse à la fin de la peine d'emprisonnement, après qu'un délinquant a déjà purgé toute sa peine parce qu'à notre avis, cette formule soulevait d'énormes difficultés du point de vue du principe de l'autorité de la chose jugée et présentait également le risque que ces individus qui pourraient éventuellement faire l'objet d'une demande de déclaration de délinquant dangereux purgent toute leur peine sans jamais recevoir le moindre traitement, et sans parler à quiconque, de sorte qu'on ne dispose pas d'information qui permette d'évaluer le risque de récidive.
On a d'ailleurs vécu ces problèmes précis dans l'État de Washington.
M. Manson: Il était sur le point de dire que la loi visant les prédateurs sexuels en vigueur dans l'État de Washington a été déclarée inconstitutionnelle... [Inaudible - Éditeur]...
De plus, le groupe de travail fédéral-provincial a examiné en détail cette proposition et l'a jugée impossible à appliquer, inefficace et extrêmement coûteuse.
La vice-présidente (Mme Torsney): Quand M. Manson parlait, son micro n'était pas allumé. Peut-on savoir si les gens ont entendu ce qu'il a dit...
M. Manson: Je présente mes excuses à Mike. Je suis intervenu uniquement quand je me suis rendu compte que la technologie nous avait fait faux bond.
La vice-présidente (Mme Torsney): C'est que vous avez oublié de prononcer la parole magique. Il suffit de dire «Jackson» pour le faire revenir.
M. Manson: Jackson.
Mme Meredith: Madame la présidente, je trouve d'ailleurs un peu préoccupant que nous recevions des témoins de la Colombie- Britannique de cette façon. Je peux difficilement avoir le sentiment de profiter de l'expertise de cette délégation si les communications ne cessent d'être interrompues.
Sur le même sujet - et là je présume que M. Jackson va nous revenir à un moment donné - c'est-à-dire l'inconstitutionnalité du projet de loi d'initiative parlementaire et du projet de loi C-55, j'aimerais vous poser la question que voici: Comment proposez-vous que nous protégions les Canadiens, entre autres les femmes et les enfants canadiens, contre des délinquants qui sont déjà en milieu correctionnel et qui, pour une raison ou une autre, n'ont pas attiré l'attention des autorités au moment du prononcé de la sentence, qui ont indiqué, par leur refus de suivre un traitement et leur comportement en prison, qu'ils présenteraient un risque considérable pour les femmes et les enfants, et même les hommes, s'ils étaient réintégrés dans la société? Comment feriez-vous pour garantir aux femmes et enfants canadiens, ainsi qu'aux autres, que leur droit à la liberté et à la sécurité de la personne, droit qui est reconnu dans la Constitution, sera respecté et maintenu?
M. Manson: Les autorités policières ont... si ces personnes existent vraiment et si on peut les trouver et, si l'exemple classique est celui de Boudreau, eh bien, je peux vous dire que j'ai moi-même assisté, avec la permission du président de la Commission nationale des libérations conditionnelles, aux audiences de cette dernière à son sujet, et je suis outré de voir la façon dont les médias et les politiques l'ont dépeint comme un véritable monstre; c'est tout à fait injustifié, étant donné les infractions qu'il a commises et les preuves mises à la disposition de la Commission des libérations conditionnelles à l'époque.
Donc, il y a une sorte d'hystérie collective qui s'installe dans la population quand on lui fait croire qu'il est possible de mettre la main sur ces individus, que nous savons qui ils sont et qu'il n'y a absolument rien d'autre à faire. D'abord, nous n'avons pas du tout cette possibilité-là.
Mme Meredith: C'est du moins votre impression.
M. Manson: Oui.
Deuxièmement, nous avons des autorités policières qui ont la possibilité d'assurer cette surveillance. Nous avons l'article 810.1, qui permet aux autorités policières de faire passer quelqu'un en justice et de lui faire contracter l'engagement, assorti de conditions très astreignantes, qu'il devra honorer pendant un an. Nous avons également d'autres ressources que nous devrions utiliser pour permettre aux gens de subir un traitement de prévention du récidivisme et les encourager à le faire. On n'y arrive pas en harcelant quelqu'un au point de le faire entrer dans la clandestinité.
Sans vouloir vous contredire, si vous voulez vraiment protéger les femmes et les enfants, je vous conseillerais d'aller voir le chef de votre parti et de lui proposer d'aller parler au ministre Martin des paiements de transfert, afin que les provinces et les territoires disposent de ressources adéquates pour régler les problèmes des familles, des jeunes enfants, et de nos institutions. Bon nombre de ces individus moralement cassés ont grandi dans nos propres institutions. On ne leur fournit pas de ressources, et plus tard, les gens réclament à cor et à cri qu'on les mette en prison, alors que c'est déjà trop tard. À mon avis, c'est exactement cela que vous vous proposez de faire.
Mme Meredith: Sans vouloir en faire un débat politique, je me permets de vous faire remarquer que c'est le gouvernement libéral qui a réduit les paiements de transfert qui permettraient aux provinces de faire face à ce problème.
M. Manson: Oui, j'en suis conscient. C'est justement la raison pour laquelle j'ai proposé que vous en parliez à votre chef et que lui-même en parle avec le ministre Martin.
Mme Meredith: Quoi qu'il en soit, je ne pense pas qu'il soit approprié de faire intervenir la politique dans notre discussion aujourd'hui.
Par contre, j'aimerais vous demander de m'expliquer quelque chose: vous nous parlez des ressources que requièrent les autorités policières pour surveiller les individus qu'ils soupçonnent de présenter un risque de récidivisme, et vous nous parlez des économies à réaliser, sur le plan des ressources, en appliquant différentes mesures, mais comment pouvez-vous prétendre faire des économies en évitant de faire surveiller ces individus après le prononcé de la sentence, alors que vous préconisez la surveillance avant qu'ils puissent faire d'autres victimes?
M. Manson: Je ne pense pas que nous ayons jamais dit cela.
Mme Meredith: Si vous regardez le compte rendu, je pense que vous allez constater que quelqu'un ici a dit que les coûts du programme de surveillance sont tels qu'il vaudrait mieux utiliser ces ressources...
- Plutôt que de consacrer des ressources devenues rares à des mesures qui visent à (...) réduire la
pauvreté, améliorer les services de santé et les possibilités d'instruction, et contrer le
dysfonctionnement des familles.
Là-dessus, je vais céder la parole à quelqu'un d'autre.
M. Manson: On peut toujours débattre la question de la composition de notre population carcérale, mais je peux vous assurer que la très grande majorité des détenus sont justement des pauvres et des malades mentaux.
Mme Meredith: Et les avocats qui commettent des actes de fraude ou de détournement de fonds? Non, je n'accepte pas votre thèse.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci. Vous avez épuisé vos 10 minutes de parole.
[Français]
Monsieur Telegdi, vous avez dix minutes.
M. Telegdi (Waterloo): Merci, madame la vice-présidente.
[Traduction]
Monsieur Manson, j'aurais préféré que vous ne fassiez pas intervenir la politique dans cette discussion. Mais c'est trop tard. Je vous fais remarquer, toutefois, que la dette nationale est deux fois plus élevée que la dette de l'Ontario par habitant. Par ailleurs, dans la mesure où nous versons des paiements de transfert aux provinces, il nous est impossible d'empêcher - ailleurs comme dans la province de l'Ontario - que ces crédits servent à réduire les impôts des contribuables, au lieu d'être consacrés à des programmes.
J'ai beaucoup aimé bon nombre de vos remarques, notamment sur cette question-là, car quand je regarde la situation dans ma province d'origine, je constate que bon nombre des programmes de prévention mis en place au fil des ans, tels que les programmes visant à aider les victimes du crime, à aider les conjoints qui ont commis des actes violents en milieu familial, à aider les femmes dans les refuges... dans la province de l'Ontario, on nous a récemment annoncé que les programmes de mise en liberté sous caution vont bientôt être éliminés, et je sais que cette décision va finir par revenir très cher à la population ontarienne. C'est plus tard, évidemment, que nous allons recevoir les factures et être appelés à les payer.
Je suppose que le problème auquel je me trouve confronté est, à bien des égards, celui de notre système judiciaire. Comparativement aux Européens, nous nous en tirons très mal. Mais comparativement aux Américains, nous nous en tirons assez bien. Les Américains ont évidemment la peine de mort, des mesures beaucoup plus punitives, des prisons, etc., mais ils commencent à comprendre qu'il n'est pas possible de garder tout ce monde en prison, parce que cela coûte trop cher. Beaucoup de gens ne devraient pas aller en prison, et ils commencent à se rendre à cette évidence.
Quand vous dites que nous devons nous assurer de bien utiliser des ressources précieuses - et vous avez soulevé l'affaire Bernardo - j'avoue que je ne peux m'empêcher de penser à la période où la police avait prélevé du matériel génétique qu'ils avaient au laboratoire mais ne disposaient pas de suffisamment de ressources pour faire faire les analyses d'empreintes génétiques. Si ces analyses avaient pu se faire en temps voulu, peut-être aurions-nous pu couper court la carrière criminelle de Bernardo et l'empêcher de commettre tous ces meurtres. Il s'agissait en fin de compte d'une question de ressources - de ressources affectées au bon endroit. Il s'agissait simplement d'avoir plus de personnel au laboratoire chargé de faire les analyses d'empreintes génétiques, pour que ces analyses puissent se faire.
Cela m'inquiète de voir les pressions accrues que nous semblons exercer sur notre magistrature. Nous limitons son pouvoir discrétionnaire d'infliger des peines appropriées. Liant les mains des juges, je crains que nous employions mal les crédits disponibles. Au lieu de nous en servir pour affronter directement ce problème en essayant de prévenir le crime, nous nous en servons mal, puisque cet argent sert à garder les gens en prison.
Quant aux taux de criminalité, la perception du public, c'est que la criminalité est beaucoup plus répandue qu'elle ne l'est en réalité. Quand nous parlons des peines infligées par les juges, si nous nous fondons sur les médias pour juger du caractère approprié ou non des peines infligées, il semble que les juges ne fassent pas bien leur travail, mais si les gens forment leur opinion en lisant les transcriptions, eh bien d'après ce qu'on peut voir, le public est d'avis que le système judiciaire est un peu trop sévère. À certains égards, c'est une simple question de perception.
Selon la nature de la société dans laquelle nous vivons, nous ne pouvons pas nécessairement garantir qu'il n'y aura de risque pour personne. Mais il me semble que nous devrions envisager d'appliquer des modèles qui donnent lieu à moins d'infractions violentes et moins de violence en général, au lieu de suivre l'exemple de nos voisins américains, qui ont le pire système qui soit, qui est également celui qui a donné les pires résultats jusqu'à présent.
Pourriez-vous donc essayer d'aborder ces quelques points: d'abord, l'affectation des ressources; deuxièmement, la possibilité que nous liions les mains de la magistrature; et troisièmement, ce que nous pouvons faire pour contrer la perception du public que le taux de criminalité est beaucoup plus élevé qu'il ne l'est en réalité?
M. Manson: Avec plaisir. Je vais commencer par la question des ressources.
Si j'ai mentionné le ministre Martin, c'est parce que je voulais que la discussion porte sur ce qui se fait dans la sphère fédérale, puisque telle est votre sphère d'activité, mais il va sans dire que la situation que vous décrivez pose problème à tous les paliers de gouvernement. Ce que vous dites au sujet de l'Ontario est tout à fait exact. Si nous étions à Queen's Park, au lieu d'être à Ottawa, mes remarques auraient été différentes, et je les aurais adressées à des gens différents.
La question des ressources revêt une importance critique dans tout le Canada. Bon nombre des ressources que requiert le système de justice criminelle doivent être fournies par la province. Les services de probation, de même que les services de santé et thérapeutique, sont assurés par les provinces et territoires. Il y a d'énormes écarts d'une province ou d'un territoire à l'autre, mais il est certain que les ressources diminuent partout.
En ce qui concerne la perception du public, vous avez raison de dire que le public pense que le nombre de crimes violents commis au Canada est beaucoup plus élevé qu'il ne l'est en réalité. Mais je dois vous signaler un fait important. Depuis 1980, notre population carcérale a augmenté de 50 p. 100. Depuis 1990-1991, l'augmentation a été de 11,1 p. 100 au niveau provincial, et de 23 p. 100 au niveau fédéral. Et pour la plus récente année de vérification, il semblerait que le nombre d'admissions se soit stabilisé au niveau fédéral.
Donc, si les admissions sont stables mais les chiffres augmentent, en moyenne, que faut-il en conclure? Eh bien, il faut en conclure qu'on inflige des peines de plus en plus longues et que le nombre de libérations conditionnelles est à la baisse. Donc, il ne fait aucun doute que notre système de justice criminelle, du point de vue de son application, devient plus sévère - même si la perception du public est tout autre - alors que les taux de criminalité, et surtout le nombre de crimes violents, diminuent.
Il est donc essentiel que les gens qui sont à Ottawa et qui occupent des postes de direction au sein de leur collectivité soient francs avec leurs concitoyens et leur présentent les faits tels qu'ils sont. Vous avez tout à fait raison de dire que nous ne pouvons garantir à la population des collectivités sans risque. Partout où les gens vivent ensemble, en société ou en collectivité, il y aura des risques.
Vous avez parlé de l'affaire Bernardo. Je devrais peut-être vous signaler que les autorités ontariennes, par l'entremise du juge Archie Campbell, ont fait une analyse approfondie de l'ensemble des procédures policières et judiciaires, et elles ont justement découvert le genre d'erreurs dont vous avez parlé. Certaines sont attribuables au manque de ressources, d'autres, à d'autres causes, mais nous ne parlons pas uniquement des ressources policières; nous parlons aussi des ressources qui sont disponibles dans la collectivité. Voilà ce qui nous préoccupent.
Permettez-moi de vous en donner un exemple: la recherche a clairement démontré que si vous prenez des enfants âgés de six à neuf ans et que vous cherchez à isoler ceux qui ont trois caractéristiques - des problèmes de comportement à l'école, des problèmes de fonctionnement cognitif et intellectuel et des problèmes sur le plan des rapports parents-enfant - eh bien, ces enfants-là vont sans doute manifester des signes de comportement antisocial par la suite et risquent de mal tourner.
En même temps, les experts nous disent que si nous souhaitons régler ces problèmes, il faut s'attaquer aux trois facteurs simultanément, car sinon on ne réglera rien. Autrement dit, nous disposons déjà d'énormément d'expertise quand il s'agit de savoir ce qui va nous permettre de produire de meilleurs citoyens à l'avenir: nous savons qu'il faut des ressources adéquates dans les écoles, à la maison, dans les hôpitaux et dans nos institutions publiques. Ces ressources disparaissent progressivement.
Pour nous, cet exercice revient à mal orienter les ressources. Au lieu d'avoir toutes ces discussions, au lieu de gaspiller des ressources à force de discuter et d'établir de nouvelles procédures, comme celles qui visent les délinquants dits «à contrôler», etc., affectons ces ressources là où nous en avons réellement besoin: dans les écoles, à la maison, et dans nos institutions publiques.
C'est un message simple et je sais qu'il peut même vous sembler naïf, mais si nous adoptions un certain nombre de principes fondamentaux comme celui-là, et si nous nous efforcions de les appliquer au cours des 30 prochaines années, je serais prêt à parier que notre pays serait bien différent à la fin de cette période - nous nous retrouverions avec un pays bien supérieur, un pays plus sûr, un pays qui offre le genre de protection que Mme Meredith et tous les autres membres du comité souhaitent avoir.
Excusez-moi si je n'ai pas bien répondu à votre question, ou si ma réponse était incomplète, mais j'ai essayé.
M. Telegdi: Pourriez-vous parler un peu du pouvoir discrétionnaire des juges?
M. Manson: C'est-à-dire le point soulevé par le professeur Jackson?
M. Telegdi: Oui.
M. Manson: Je vois que nous revenons aux questions techniques.
Michael, peut-être pourriez-vous étoffer un peu vos arguments concernant le pouvoir discrétionnaire exercé par les juges relativement aux délinquants dangereux...
La vice-présidente (Mme Torsney): On devrait peut-être demander à M. Jackson tout d'abord s'il a entendu la question.
Monsieur Jackson, avez-vous entendu?
M. Jackson: J'ai entendu une question au sujet du pouvoir discrétionnaire des juges. Est-ce qu'il y avait un contexte particulier à considérer, en plus de ce que j'ai entendu?
M. Telegdi: J'ai dit que j'étais préoccupé par le fait que le pouvoir discrétionnaire des juges s'amenuise de plus en plus. C'est en rapport avec les résultats de l'étude d'Anthony Doob, qui démontre que le public appuie beaucoup plus une décision judiciaire si l'information lui vient des transcriptions, plutôt que des médias.
Du moment qu'il est question de crime, il y a toujours un risque de sensationnalisme. Les reportages des médias laissent souvent à désirer, et par conséquent, le public se fait certaines idées. Évidemment, une façon d'y réagir, c'est de limiter le pouvoir discrétionnaire des juges. Mais à mon avis, cela ne nous avantage pas en fin de compte, parce que nous retirons cette discrétion à quelqu'un dont le rôle est justement d'imposer une peine appropriée.
M. Jackson: Je suis entièrement d'accord avec vous. L'une des plus graves préoccupations de l'Association du Barreau canadien, et notamment du Comité sur l'emprisonnement et la libération, après avoir analysé les initiatives prises par le gouvernement au cours des 10 dernières années, est justement le fait que ces initiatives sont souvent prises en réaction à la perception du public, perception engendrée par les reportages médiatiques qui ne cadrent pas avec les réalités du système de justice criminelle. L'étude du professeur Doob et le rapport Archambault, de la Commission canadienne sur la détermination de la peine, en ont d'ailleurs longuement parlé.
En ce qui concerne les dispositions visant les délinquants dangereux, nous estimons - et je pense que la Cour suprême du Canada est du même avis - que la capacité d'un juge, qui a pris connaissance des meilleures preuves possibles, de décider si l'ultime sanction - et j'utilise ce terme à bon escient... une peine de durée indéterminée est à bien des égards la mesure la plus draconienne que nous puissions prendre à l'égard d'un détenu. Elle implique souvent une peine à perpétuité ou une peine d'emprisonnement beaucoup plus longue que celle infligée aux gens trouvés coupables de meurtre. Un juge devrait être en mesure d'évaluer toutes les preuves et de déterminer s'il a affaire à un de ces êtres exceptionnels qui est tellement dangereux qu'il convient de prendre une telle mesure.
Je pense que la perception que les juges abusent de leur pouvoir discrétionnaire n'est pas étayée par des preuves documentées, en ce qui concerne les mesures législatives visant les délinquants dangereux. Relativement peu de personnes ont bénéficié de l'exercice de ce pouvoir, mais dans le cas des quelques rares personnes qui en ont profité, les juges concernés estimaient que leurs peines devaient être en rapport avec les infractions qu'elles avaient commises et le risque de récidive qu'elles présentaient, mais qu'il n'était pas nécessaire de leur infliger une peine à perpétuité de durée indéterminée.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci, monsieur le professeur. Nous avons déjà dépassé de loin le temps de parole qui aurait dû être accordé, mais je dois dire que nous sommes tous très contents d'avoir repris contact avec vous à Vancouver.
[Français]
Monsieur Crête, vous avez cinq minutes.
M. Crête: Je dois vous dire au départ que je suis assez d'accord sur l'approche que vous mentionnez. Lorsque je parlais de tolérance zéro plus tôt, c'était justement par rapport à tout l'aspect subjectif de ces choses, par rapport aux gens qui sont déjà identifiés dans le système comme étant des candidats susceptibles de poser des actes criminels. Nous obtiendrons une adhésion sociale aux mesures en autant que nous pourrons démontrer qu'il y a des réussites, mais aussi qu'il n'y a pas de cas qui passent à travers les mailles du filet.
Ma question, qui est assez pointue, vise à voir s'il y a des choses qui pourraient s'ajouter en termes de mesures adéquates pour diminuer le nombre de situations malheureuses. Je parle évidemment ici de criminels qui font déjà l'objet d'une condamnation et non pas de personnes qui n'ont aucun casier judiciaire. Évidemment, de ce côté-là, je ne pense pas qu'on puisse demander au système de prévoir plus que cela. Je parle de cas où il y a des résurgences afin d'éviter que ces échecs servent d'argument facile au public.
[Traduction]
M. Manson: J'aimerais vous dire deux choses dans cet ordre d'idées. D'abord, l'expérience et l'approche québécoises peuvent nous apprendre bien des choses, car au lieu de mettre l'accent sur la détention préventive à long terme, cette province a décidé de consacrer la majorité de ses ressources aux établissements de traitement en passant par la procédure de détermination de la peine et les établissements de traitement déjà en place.
Deuxièmement, il convient que je vous dise que l'une des choses qui me convainc toujours qu'élargir l'application de la détention préventive serait une mauvaise décision, c'est de me poser la question que voici: Quel groupe de la collectivité risque le plus de faire du tort à la société à l'avenir? À mon avis, la réponse à cette question est facile: Les alcooliques qui ont des permis de conduire. Voilà le groupe qui risque le plus de faire du tort à l'avenir, alors que le Code criminel ne prévoit qu'une peine obligatoire de 14 jours dans le cas d'une nouvelle condamnation. Si je vous disais que nous devrions au contraire prévoir dans ce cas une période de détention à long terme, soit une peine à perpétuité ou une peine d'emprisonnement minimale, plus 10 ans de surveillance, tout le monde s'arrêterait et dirait: Non; là il y a quelque chose qui cloche.
Pourquoi réagiriez-vous de cette façon? Eh bien, parce que vous avez peut-être connu quelqu'un qui s'est retrouvé dans cette situation-là. Vous l'avez peut-être vécu vous-même. Mais quand nous parlons de ce tout petit groupe de délinquants sexuels, c'est tellement facile de les faire passer pour des monstres, de déclarer qu'ils ne sont pas comme les autres, de pointer du doigt et de dire que la solution est donc claire.
En fait, la solution n'est pas si claire. Nous ne sommes pas en mesure de prédire le risque. Quand nous arrivons à le faire dans un petit nombre de cas, nous nous retrouvons avec 120 délinquants dangereux qui purgent une peine à perpétuité de durée indéterminée. Voilà sans doute la totalité des cas où nous sommes vraiment en mesure de prédire un risque de récidive. Dans tous les autres cas, c'est fort douteux.
Mais vous n'allez pas vouloir le faire pour les gens qui conduisent avec facultés affaiblies, parce que cela vous gêne. À mon avis, vous devez analyser cette distinction, et là vous commencerez à comprendre les raisons pour lesquelles la possibilité d'élargir l'application de la détention préventive nous préoccupe tant. Ce n'est pas parce que nous ne craignons pas qu'il y ait d'éventuelles victimes. C'est parce que ce serait contraire à l'éthique et à la morale de le faire, alors que vous n'avez pas suffisamment de ressources, comme le disait Mme Meredith il y a quelques minutes, pour vous intéresser à la personne concernée? Moi, je prétends que nous ne sommes pas à même d'identifier ces personnes.
[Français]
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur DeVillers, je vous donne la parole pour cinq minutes.
[Traduction]
M. DeVillers (Simcoe-Nord): Merci, madame la présidente.
Je regarde votre mémoire, et je lis les remarques que vous avez faites au sujet de la constitutionnalité sous la rubrique «Délinquants dangereux». Je me demande si ces remarques concernent également les autres dispositions qui touchent les délinquants à contrôler, ou les modifications à l'article 810, qui traitent des engagements et de la surveillance électronique. Sinon, quelle est la position de l'Association du Barreau canadien concernant la constitutionnalité de ces dispositions? Je remarque également dans votre mémoire que vous ne parlez pas des délinquants présentant un faible risque de récidive. L'Association du Barreau canadien a-t- elle pris position sur ces autres dispositions du projet de loi?
M. Manson: D'abord, en ce qui concerne la constitutionnalité, je crois que la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Lyons jugée en 1987 présente l'analyse générale des juges de la Cour suprême sur la question de la détention préventive. Par conséquent, notre évaluation de l'affaire Lyons, du point de vue de son application aux délinquants dangereux et de notre crainte que ces projets de modification au régime visant les délinquants dangereux chambardent complètement ce dernier, à tells enseigne que la Cour suprême adopte une position très différente... disons que la plupart de nos commentaires visent également les autres dispositions, en ce sens qu'il s'agit de seuils moins élevés. Je veux dire par là que la Couronne aurait désormais à répondre à des critères moins rigoureux pour ce qui est de démontrer le risque futur de récidive et la dangerosité future d'un détenu. Aux termes du projet d'article 810.2, on ne parle même pas d'infractions antérieures. Il suffirait que le procureur général ait des motifs raisonnables de craindre que des personnes soient victimes de sévices graves à la personne.
En général, nos préoccupations concernant l'article 7 et l'application démesurée de ce genre de disposition concernent non seulement les délinquants à contrôler mais aussi le projet d'article 810.2. Il en va de même pour nos craintes relativement à la possibilité de décisions arbitraires, et à l'absence d'un mécanisme bien conçu et bien adapté aux circonstances. À notre avis, la constitutionnalité de ces deux mécanismes fera l'objet d'un examen minutieux. Les arguments avancés dans l'affaire Lyons seront très difficiles à faire valoir ici, surtout qu'il n'existe absolument aucune preuve empirique concernant la nécessité d'élargir l'application de la détention préventive. Rien n'indique que les crimes auxquels on semble songer dans ces dispositions sont à la hausse ou seraient devenus tout d'un coup plus fréquents.
M. DeVillers: Votre mémoire déclare que pour toutes ces raisons, la loi risque d'être déclarée inconstitutionnelle. Pourriez-vous nous donner une idée de l'importance de ce risque? Est-elle gravement menacée?
M. Manson: Si vous me permettez de parler brièvement des délinquants à contrôler, M. le juge LaForest attachait une très grande importance au fait que l'application de cette disposition serait déclenchée par la Commission de sévices graves à la personne. Il n'en va pas de même pour les délinquants à contrôler. On énumère une liste d'infractions, avec des peines maximales beaucoup moins élevées, qui sont de toute évidence considérées comme des infractions moins graves. Donc, cet élément qui militait en faveur de sa constitutionnalité n'existe plus.
Il ne sera pas non plus possible de déterminer la pondérance de la preuve psychiatrique présentée par les deux parties, dans le cas du délinquant à contrôler, parce qu'encore une fois, cette nouvelle disposition impose un autre genre d'évaluation - l'évaluation multidisciplinaire, à la place des témoignages divergents des experts.
Les différentes garanties procédurales qui s'appliquent à l'actuelle disposition visant les délinquants dangereux ne s'appliqueront pas aux délinquants à contrôler. Donc, les arguments que les procureurs de la Couronne pouvaient faire valoir précédemment, c'est-à-dire que cette disposition ne ciblait qu'un petit groupe de personnes, et que le processus était ainsi conçu qu'il serait possible de l'appliquer à ce petit groupe de délinquants probablement dangereux - autrement dit, toute cette approche générale - ne peuvent plus être avancés, pour diverses raisons, dans le cas des délinquants à contrôler.
Donc, quand vous faites la comparaison avec l'analyse des articles 7, 9 et 12 du jugement dans l'affaire Lyons, vous devez nécessairement vous dire qu'il y a de fortes chances pour que cette nouvelle disposition soit jugée inconstitutionnelle. On ne peut rien prévoir, mais si elle ne respecte pas les conditions prévues pour ces articles-là et que c'est à la Couronne de justifier son application, quelles preuves cette dernière pourra-t-elle présenter à titre de justification, alors qu'il n'existe aucune donnée empirique indiquant la nécessité de mesures de ce genre?
L'argument qu'on retrouve dans le rapport du groupe de travail concernant la nécessité d'une catégorie de délinquants à contrôler est le suivant: Que se passe-t-il quand la Couronne ne réussit pas à présenter des arguments convaincants en faveur d'une déclaration de délinquant dangereux? Les auteurs du rapport essaient de nous faire croire qu'il conviendrait peut-être alors de lui accorder quelque chose, mais c'est un argument un peu bancal pour justifier la création d'un régime entièrement nouveau, à notre avis, étant donné que le résultat est l'imposition d'une peine de durée fixe. Il y a toujours une peine de durée fixe, et les peines infligées devraient toujours être appropriées et de durée fixe seulement. Si la peine d'emprisonnement est longue, et que les circonstances le justifient, très bien. Elle est au moins de durée fixe.
M. DeVillers: Il me semble vous avoir entendu dire que c'était très risqué. Est-ce que vous voulez dire par là...
M. Manson: À notre avis, oui, mais personne ne peut prévoir ce qui arrivera.
M. DeVillers: Très bien.
Mon autre point concernait les délinquants présentant un faible risque de récidive et les dispositions du projet de loi qui...
M. Manson: De quelles dispositions parlez-vous au juste?
M. DeVillers: Je voulais parler de certaines mesures - c'est- à-dire qu'à mon avis, le projet de loi réussit à établir un certain équilibre grâce aux modifications qu'il propose concernant les délinquants qui présentent un faible risque de récidive... Je constate que vous n'en avez pas parlé dans votre mémoire. Quelle est la position de l'Association du Barreau canadien à ce sujet?
La vice-présidente (Mme Torsney): C'est-à-dire que dans le cas des délinquants non violents présentant un faible risque de récidive, l'examen se fait après qu'un sixième de la peine a été purgé, plutôt qu'après un tiers.
M. Manson: Vous parlez des changements relatifs à l'admissibilité à la libération conditionnelle.
La vice-présidente (Mme Torsney): C'est exact.
M. Manson: La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit déjà une procédure d'examen expéditif. En fait, c'est plus long en vertu de cette disposition; cela peut être un sixième ou six mois, selon la plus longue de ces deux périodes, parce que certains se demandent si un sixième est vraiment approprié si vous avez été condamné à 24 mois de prison, par exemple. Un sixième de 24 mois est quatre mois. Donc, cette disposition va faire en sorte que ce soit après un sixième ou six mois, selon la plus courte de ces deux périodes. Elle va avoir pour résultat de relever le seuil pour la procédure d'examen expéditif.
L'Association du Barreau canadien est tout à fait en faveur de l'examen expéditif des dossiers des délinquants. Nous sommes d'avis qu'il n'est pas nécessaire d'incarcérer un grand nombre de personnes, et encore moins, pendant de longues périodes.
M. DeVillers: Merci.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci.
Madame Meredith.
Mme Meredith: Merci, madame la présidente.
Si l'on se fonde sur votre résumé de recommandations, serait- il juste de dire qu'à votre avis, le projet de loi C-55 devrait être mis à la poubelle?
M. Manson: Oui.
Mme Meredith: Tout à l'heure vous avez parlé de la prévention du crime, notamment par rapport aux enfants. À mon avis, personne dans cette salle ne nierait qu'il faut affecter plus de ressources à ce secteur et mettre davantage l'accent sur ce genre d'initiatives.
Mais je voudrais vous demander votre avis sur une toute autre question. Vous avez dit que le nombre de détenus n'est pas justifié et que bon nombre des personnes qui sont actuellement en prison ne devraient pas y être. Au cours de cette période de 30 ans, c'est-à- dire pendant que ces programmes plus efficaces agissent sur les problèmes et changent non seulement la façon dont la société se présente mais aussi le comportement des individus, qui faudrait-il incarcérer au juste? Y a-t-il des gens qu'on devrait retirer de la société, d'après vous?
M. Manson: Oui. Pour neutraliser les personnes qui commettent des actes de violence et qui présentent un danger pour la société.
Mme Meredith: Et pendant combien de temps faut-il garder en prison une personne qui a déjà commis de tels actes?
M. Manson: Nous parlons nécessairement de quelqu'un qui a déjà commis de tels actes.
Mme Meredith: Ah! bon; c'est-à-dire quelqu'un qui est susceptible, en raison de son comportement et de sa personnalité, de commettre des actes de violence. Pendant combien de temps faudrait-il le garder en prison?
M. Manson: Le 3 septembre 1996, l'actuel Parlement a promulgué sa propre loi, le projet de loi C-41, et en vertu de l'article 718.1, un principe fondamental de notre régime de détermination de la peine consiste désormais à faire intervenir la proportionnalité, c'est-à-dire de tenir compte de la gravité de l'infraction et de la situation du délinquant. Je suis d'accord avec les remarques faites plus tôt au sujet du pouvoir discrétionnaire des juges. Nous avons des juges très expérimentés qui n'hésitent aucunement à infliger une très longue peine d'emprisonnement quand c'est justifié pour des raisons de proportionnalité.
Un autre élément du projet de loi C-41 était le principe de la modération, c'est-à-dire le pendant de l'autre; autrement dit, l'idée d'infliger les sanctions pénales avec modération et seulement lorsque c'est nécessaire. Voilà ce que prévoit actuellement l'article 718 du Code criminel. Ce sont des amendements très récents, et j'espère que nos juges les prennent tous les deux très au sérieux.
Mme Meredith: Alors d'après vous, une décision judiciaire consistant à imposer à un violeur qui a violé deux enfants prostitués une peine d'emprisonnement... Je pense qu'on l'a condamné à une peine de deux ans moins un jour. Ces deux enfants prostitués pensaient qu'elles allaient être assassinées, mais comme elles étaient prostituées, il y avait un degré de consentement. L'individu en question a été condamné à une peine d'emprisonnement de deux ans moins un jour. Quelque temps plus tard, il a tué une jeune fille.
M. Manson: J'ai appris une leçon en 1975, peu de temps après avoir été appelé au Barreau, et ce que j'ai appris, c'est qu'il ne faut jamais commenter les sentences à moins d'en connaître tous les détails, parce qu'il y a souvent des facteurs extrêmement complexes et importants à considérer.
Mme Meredith: C'est ce que pensait le juge aussi.
M. Manson: Je ne suis pas au courant de l'affaire dont vous parlez.
Mme Meredith: Le juge pensait que parce qu'elles étaient prostituées, même si elles n'avaient que 14 et 17 ans, qu'il y avait un degré de consentement, et que par conséquent, il ne serait pas justifié d'imposer à l'auteur du crime une peine d'emprisonnement dans un établissement fédéral.
À mon avis, quand on examine ce genre de problèmes et les actes de ces individus, on doit reconnaître que certaines personnes présentent un risque pour la société, qu'on ne devrait pas leur permettre de faire du mal à des innocents, et qu'il faut donc trouver des moyens de régler ce problème.
M. Manson: Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que ceux qui font du mal aux autres et présentent un danger devraient pouvoir faire l'objet d'une sanction pénale, lorsque c'est nécessaire, pour les neutraliser.
Mme Meredith: Merci.
La vice-présidente (Mme Torsney): Madame Meredith, il vous reste environ une minute, et je sais que vous...
Mme Meredith: Non, ça va.
La vice-présidente (Mme Torsney): Je pensais que vous vouliez absolument entendre le point de vue des représentants qui sont à Vancouver.
Mme Meredith: J'avais l'occasion tout à l'heure mais je l'ai perdue en raison des difficultés techniques.
La vice-présidente (Mme Torsney): Mais il est encore là.
M. Manson: Je serais ravi d'entendre le point de vue de M. Jackson.
Mme Meredith: Monsieur Jackson, voulez-vous intervenir?
La vice-présidente (Mme Torsney): Il est là depuis environ deux minutes.
Monsieur Jackson.
M. Jackson: Je ne sais pas au juste à quel moment, pendant que je répondais à la question de Mme Meredith, la liaison a été coupée. Est-ce bien à celle-là que vous voulez que je réponde?
Mme Meredith: Non. Voulez-vous réagir à mes commentaires et à ceux de votre collègue au sujet des personnes qui devraient être incarcérées? Si vous refusez d'affronter le problème des délinquants dangereux en établissant un mécanisme quelconque pour les empêcher de courir nos rues, comment allez-vous faire pour protéger des gens innocents qui pourraient être leurs éventuelles victimes?
M. Jackson: Je dirais que nous avons déjà un système qui nous permet de prendre des mesures exceptionnelles à l'égard de personnes qui sont considérées dangereuses.
Par rapport à l'exemple que vous avez cité, je suis d'accord avec M. Manson pour dire qu'on peut difficilement commenter un cas particulier sans en connaître tous les faits.
Mais évidemment, face à vos propres préoccupations au cours des années, et à celles de groupes comme CAVEAT (Canadiens contre la violence partout recommandant sa révocation) et d'autres organismes de victimes, la magistrature est devenue plus sensible aux graves torts infligés par des délinquants qui précédemment étaient considérés moins importants, étant donné qu'il n'y avait pas de dommages ou de lésions corporelles. Mais nous sommes maintenant très conscients des graves traumatismes psychologiques que peuvent occasionner les actes commis par les pédophiles, et des graves traumatismes dont souffrent les femmes victimes d'agression sexuelle, peu importe qu'elles aient été battues ou subi d'autres actes dégradants ou humiliants.
Je sais que dans mon cas, tout cela était incorporé dans les cours dispensés aux apprentis avocats à la faculté de droit, pour qu'ils comprennent qu'il y a des traumatismes invisibles qui dépassent les aspects physiques de la criminalité. Je pense que les juges y sont de plus en plus sensibles, et c'est l'une des raisons pour lesquelles ceux qui commettent des infractions sexuelles représentent une proportion grandissante des détenus dans nos établissements fédéraux, et ils reçoivent des peines de plus en plus longues.
Vous pouvez évidemment parler de cas exceptionnels, mais la Couronne peut interjeter appel d'une sentence qu'elle juge inadéquate, et à ce moment-là, le tribunal d'appel va l'examiner. Si une erreur de principe a été commise et la peine imposée dépasse la longueur appropriée, compte tenu de la proportionnalité, - c'est-à-dire le degré de responsabilité de l'individu et la gravité de l'infraction - les tribunaux d'appel peuvent critiquer la décision et corriger l'erreur.
Notre régime tolère de moins en moins le genre d'infractions que les citoyens trouvent les plus odieuses. Donc, par rapport à la question posée tout à l'heure par votre collègue au sujet de la tolérance zéro, il me semble que le système de justice criminelle devient de plus en plus intolérant vis-à-vis d'actes qui autrefois n'auraient pas été considérés aussi graves.
Nous avons des mesures législatives qui visent les délinquants dangereux. Au cours des deux dernières années, grâce à de bonnes recherches et une bonne coordination, les procureurs de la Couronne commencent à coopérer. Ils se renseignent sur un individu auprès du Service correctionnel. Ils se renseignent également auprès des autorités policières provinciales et fédérales pour disposer de tous les éléments d'information qui vont leur permettre de déterminer si un dossier devrait suivre la procédure normale, ou s'il devrait faire l'objet des mesures exceptionnelles que prévoient les dispositions législatives visant les délinquants dangereux.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Telegdi, vous avez quelques minutes pour poser des questions.
M. Telegdi: Merci, madame la présidente.
Si ma collègue d'en face veut bien me procurer une transcription pour le cas dont elle parle - je présume qu'elle en a une - je serais très intéressé à la lire pour voir de quoi elle parle. Si elle n'en a pas, je lui conseillerais de se méfier des informations qu'elle tient d'autres sources.
Il ne fait aucun doute que nous étions tous horrifiés d'apprendre que Clifford Olson aurait même osé présenter une demande de libération conditionnelle. La plupart des Canadiens ont exactement la même réaction d'horreur. De même, il ne fait aucun doute que Paul Bernardo et des gens de son acabit ne devraient jamais être mis en liberté. Mais ce n'est pas de cela qu'on parle ici.
Nous réagissons de façon tellement démesurée dans le cas de certains détenus que nous finissons par gaspiller des ressources qui pourraient être mieux utilisées ailleurs. Le cas le plus intéressant et le plus inadmissible que j'ai pu trouver dans ma localité est celui d'une personne qui vivait dans un certain canton et qui avait décidé, pour des raisons de principe, de refuser de payer 25 $ pour faire immatriculer son chien. En fin de compte, cette personne a fini par passer quatre ou sept jours en prison pour une raison de principe.
Certains vont dire que l'individu en question avait refusé de respecter la loi et qu'il était normal qu'il passe ces quelques jours en prison, mais le fait est qu'en fin de compte, tout cela a dû coûter Dieu sait combien de milliers de dollars au gouvernement. Il aurait plus utile de traîner cette personne devant un tribunal et de saisir les 25 $ plus tous les autres frais connexes.
À mon sens, l'idée de réserver toutes ces places coûteuses dans nos prisons à ceux qui présentent un danger pour la population est fort louable. Quant à ceux qui n'ont pas besoin d'être en prison, à condition qu'ils se conforment aux conditions qu'on leur impose dans la collectivité, telles que les ordonnances de probation et les accords des libérations conditionnelles, s'il y a moyen de traiter ces cas au sein de la collectivité, tout le monde y gagne. À mon sens, c'est une formule qui nous permettrait de mieux utiliser nos ressources.
La vice-présidente (Mme Torsney): Quelqu'un voudrait-il intervenir?
M. Manson: L'Association du Barreau canadien s'est toujours préoccupée du fait qu'un grand nombre de personnes sont mises en prison pour défaut de paiement d'amendes, par exemple. À notre avis, on peut passer par une procédure civile pour recouvrer ces sommes. C'est cette méthode-là qui devrait être privilégiée. Grâce à de récentes modifications, on peut espérer que beaucoup moins de gens seront envoyés en prison pour défaut de paiement. Si l'on estime que l'imposition d'une amende est la solution appropriée, on devrait recourir à la même procédure pour la recouvrer, c'est-à- dire une procédure civile. Il ne faut surtout pas infliger de longues peines d'emprisonnement pour défaut de paiement.
Nous sommes certainement d'accord avec vous pour dire qu'il existe toutes sortes de sanctions communautaires qui peuvent entraîner des résultats très positifs et constructifs pour le délinquant, les victimes, et les collectivités. Il faut y recourir plus fréquemment. C'est justement pour cela que le principe de la modération qu'engloblent les amendements actuels est si important. Un juge doit envisager toutes les solutions avant de décider d'incarcérer quelqu'un. Nous espérons que tous les juges vont appliquer ce principe et feront preuve d'imagination pour assurer la meilleure utilisation possible des ressources.
Le problème qui se pose dans bon nombre de provinces, c'est que les ressources sont de moins en moins importantes, et il arrive souvent qu'elles disparaissent du jour au lendemain - notons, à titre d'exemple, les ressources affectées aux programmes de probation; les solutions de rechange communautaires; et le programme de surveillance des personnes en liberté sous condition, dont vous avez parlé plus tôt et qui est extrêmement économique, puisqu'il ne coûte que 4,50 $ par personne par jour. Mais les ressources revêtent une importance clé pour les juges qui font preuve d'imagination en décidant de la peine à infliger, et qui ont le courage de ne pas envoyer quelqu'un en prison. Donc, nous sommes tout à fait d'accord avec vous.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci. Voilà qui termine notre réunion.
Chers collègues, je voudrais simplement vous rappeler que nous nous réunissons à nouveau dans cette salle demain après-midi, de 16 h 30 à 18 heures, qui est une heure un peu inhabituelle pour nous.
J'aimerais également dire à M. Jackson que nous sommes très contents d'avoir pu reprendre contact avec lui et d'avoir pu obtenir son opinion.
Merci infiniment de votre présence également. Je compte sur les membres de l'Association du Barreau canadien pour faire un peu plus de promotion de ce côté-là. Il ne suffit pas que les députés expriment publiquement les sentiments dont vous parliez. Il faut absolument transmettre ce message au public.
M. Manson: Merci beaucoup de nous avoir invités.
La vice-présidente (Mme Torsney): La séance est levée.