[Enregistrement électronique]
Le mardi 16 avril 1996
[Traduction]
Le président: La séance est ouverte. Merci beaucoup.
Nous poursuivons aujourd'hui notre examen de la réglementation environnementale dans le secteur minier. Nous sommes heureux d'accueillir deux groupes - l'Institut canadien du droit et de la politique de l'environnement et l'Association canadienne du droit de l'environnement.
Nous entendrons trois témoins. Il s'agit de Paul Muldoon, Mark Winfield et Cathy Wilkinson. Je crois comprendre que les deux groupes présenteront d'abord leur témoignage, qui sera réparti entre les trois témoins. Nous passerons ensuite aux questions.
Bienvenue, mesdames et messieurs. Je crois que M. Winfield commencera. Vous avez la parole.
M. Mark Winfield (recherchiste en chef, Institut canadien du droit et de la politique de l'environnement): Merci, monsieur le président. Au nom de mes collègues, j'aimerais remercier les membres du comité de nous donner l'occasion de témoigner ici aujourd'hui.
Je m'appelle Mark Winfield. Je suis recherchiste en chef à l'Institut canadien du droit et de la politique de l'environnement. M'accompagnent aujourd'hui M. Paul Muldoon, conseiller juridique de l'Association canadienne du droit de l'environnement, et Mme Cathy Wilkinson, coordonnatrice du caucus des mines au Réseau canadien de l'environnement.
Puisque nous sommes le premier organisme écologiste non gouvernemental à comparaître devant le comité sur cette question, j'ai pensé que nous pourrions demander à Mme Wilkinson de donner un bref aperçu du travail du caucus des mines du Réseau canadien de l'environnement avant que M. Muldoon et moi-même ne présentions notre témoignage.
[Français]
Mme Cathy Wilkinson (coordonnatrice des caucus/consultations, Réseau canadien de l'environnement): Bonjour, je m'appelle Cathy Wilkinson et je suis coordonnatrice des caucus et des consultations au Réseau canadien de l'environnement.
Le Réseau regroupe à peu près 1 400 groupes écologistes au Canada. Au niveau national, le RCE comprend 16 caucus qui travaillent sur des questions environnementales telles que les substances toxiques, l'évaluation environnementale et les mines.
Le caucus des mines existe depuis 1993 et est composé de 75 groupes écologistes de chaque province et territoire du Canada.
Les membres du caucus travaillent aux niveaux local, régional, national et international sur chaque étape de la production minière, entre autres l'exploration de sites et l'exploitation minière. Le caucus a été très actif dans l'Initiative de Whitehorse.
Le caucus continue à travailler à la réalisation de l'accord avec d'autres partenaires de l'Initiative.
En novembre, des membres du caucus ont rencontré des représentants du ministère des Ressources naturelles du Canada pour examiner leurs documents de travail sur le développement durable ainsi que les minéraux et les métaux.
Le caucus participe actuellement au processus pluripartite pour évaluer les effets de la production minière sur le milieu aquatique et pour réviser les règlements sur les affluents liquides des mines de métaux.
De plus, d'autres caucus du Réseau travaillent à des questions relatives au travail du comité, entre autres l'évaluation environnementale et la Loi sur les pêches.
En ce moment, il y a une bonne volonté de la part du caucus de continuer à travailler avec le comité, le ministère et le ministre sur des questions importantes. Merci.
[Traduction]
M. Winfield: Merci.
M. Muldoon et moi-même traiterons de quelques sujets dans notre exposé d'aujourd'hui. Nous commencerons par une brève analyse des incidences environnementales de l'industrie minière au Canada. Suivra une analyse des rôles des gouvernements fédéral et provinciaux dans la réglementation environnementale des mines au Canada, principalement dans la perspective de la déclaration contenue dans le discours du Trône que le gouvernement fédéral se retirerait de cette fonction, et dans la perspective de l'harmonisation environnementale proposée par le CCME.
Nous aimerions aborder ensuite certaines questions précises soulevées dans votre rapport de décembre 1995, notamment les dispositions de la Loi sur les pêches relatives à la protection de l'habitat pour le poisson, les dispositions de la Loi sur les pêches relatives à la prévention de la pollution et plus particulièrement la réglementation sur les effluents liquides de l'exploitation minière, ainsi que l'analyse et les recommandations du comité concernant le rôle des mesures volontaires dans la réglementation environnementale des mines et d'autres industries.
Je suis malheureusement un peu déçu que le rapport provisoire du comité ne reconnaisse pas aussi vigoureusement que nous l'aurions espéré l'ampleur des incidences environnementales de l'industrie minière au Canada, qui sont assez considérables.
En ce qui concerne la production de déchets, l'industrie produit environ un million de tonnes de stériles par jour et environ 950 000 tonnes de résidus, ce qui représente quelque 650 millions de tonnes de déchets par année. Cette quantité est environ 20 fois plus élevée que les déchets solides municipaux produits par les ménages, les institutions, les entreprises et les établissements industriels et commerciaux au Canada.
De plus, l'industrie minière et l'industrie des métaux primaires, le smeltage et le raffinage, sont les principales sources d'un grand nombre de polluants atmosphériques au Canada, dont le plomb, le mercure, le cadmium, l'arsenic, le cuivre, le nickel, l'antimoine et le dioxyde de soufre, précurseur des pluies acides.
L'industrie est aussi une grande source de pollution de l'eau. Les principaux polluants comprennent le cyanure, les sulfates, le chlore, l'ammoniaque, les nitrates, divers métaux lourds, de grandes quantités de matières dissoutes et de matières en suspension et une forte demande d'oxygène chimique.
Dans notre mémoire, nous avons inclus un tableau illustrant les effluents de l'industrie minière ontarienne. Ces chiffres ont été obtenus dans le cadre de la Stratégie municipale et industrielle de dépollution en Ontario.
L'un des problèmes actuels les plus importants en ce qui concerne les mines et l'environnement au Canada est celui des mines et des résidus abandonnés. D'après les données obtenues par le ministère ontarien du Développement du Nord et des Mines, nous estimons qu'il y a environ 10 000 mines abandonnées au Canada, ou au moins 10 000. Selon une estimation d'Environnement Canada, il y aurait environ 6 000 zones de résidus abandonnées.
Les zones de résidus qu'il faut dépolluer au Canada contiennent 185 millions de tonnes de résidus miniers, qui sont considérés comme des déchets radioactifs de faible activité, dans le nord de la Saskatchewan, le nord de l'Ontario et les Territoires du Nord-Ouest, et 875 millions de tonnes de débris rocheux et de résidus au rebut pouvant causer un drainage minier acide.
Le drainage minier acide est l'un des problèmes les plus graves que présentent les opérations minières. Il s'agit du processus par lequel la roche exposée à l'atmosphère provoque une série de réactions chimiques et biologiques qui produisent de l'acide sulfurique. Ce processus entraîne un ruissellement très acide et dissout les métaux lourds et d'autres matières contenus dans la roche, qui se retrouvent alors dans le ruissellement.
L'Association minière du Canada a estimé à 6 milliards de dollars le coût de la dépollution des mines abandonnées au Canada et d'autres soutiennent que ces estimations sont conservatrices. Dans la conjoncture actuelle, il semble que la plus grande partie de ce coût devra être assumée par les contribuables fédéraux et provinciaux.
L'un des aspects les plus importants que nous aimerions soulever aujourd'hui est qu'il importe de reconnaître que ces problèmes environnementaux ne sont pas simplement le fruit de mauvais comportements du passé. Nous convenons que l'industrie a fait de grands progrès au cours des cinq ou dix dernières années pour régler les problèmes environnementaux, mais nous soulignons aussi qu'il y a depuis cinq ans des incidents très graves sur lesquels nous ne pouvons pas fermer les yeux. Le plus évident et le plus grave a été la catastrophe de la mine Westray en mai 1992, qui a coûté la vie à 26 mineurs.
Nous avons remarqué également qu'il y a eu en novembre dernier d'importantes émissions de trioxyde de soufre chez Inco à Sudbury. Ces émissions auraient affecté 10 000 personnes. Il a été particulièrement décevant de constater qu'Inco aurait qualifié de «braillards» les personnes qui sont allées à l'hôpital par suite de cette fuite.
Ailleurs en Amérique du Nord, nous devons aussi reconnaître qu'il y a encore des problèmes très importants. Nous attirons notamment l'attention du comité sur la situation à Summitville, au Colorado, où la mine d'or à lixiviation qui a été fermée en décembre 1992 est considérée comme le plus grand lieu visé par les subventions du Superfund aux États-Unis. Le gouvernement américain a dépensé jusqu'ici 110 millions de dollars pour dépolluer cette mine.
Nous devons aussi être conscients des incidents survenus ces derniers mois et mettant en cause les activités de sociétés minières canadiennes à l'étranger. Je souligne en particulier l'incident à la mine Omai en Guyane, en août 1995, où la digue à rejets s'est brisée, ainsi que les problèmes de la mine de Placer Dome à Marcopper aux Philippines le mois dernier.
En ce qui concerne le rôle du gouvernement fédéral dans la réglementation environnementale de l'industrie minière, nous avons noté avec intérêt la déclaration contenue dans le discours du Trône du 27 février selon laquelle le gouvernement fédéral a l'intention de se retirer des fonctions qu'il exerce à l'égard du secteur minier. Nous avons écrit au Premier ministre pour demander des éclaircissements sur les implications pratiques de cette déclaration. Nous croyons comprendre que la réponse à nos questions est en cours de rédaction, mais nous ne l'avons pas encore reçue.
Pendant ce temps, une initiative très importante est en cours au Conseil canadien des ministres de l'Environnement. Il s'agit de ce qu'on appelle «l'harmonisation environnementale». Cette initiative vise à arriver à une «entente-cadre canadienne sur la gestion environnementale», autrement dit une entente intergouvernementale entre le gouvernement fédéral, les dix provinces et les territoires.
Nous avons exprimé dès le début nos craintes au sujet de l'orientation de cette harmonisation. Nous avons joint en annexe à notre mémoire une analyse du projet d'entente effectuée par l'Institut canadien du droit et de la politique de l'environnement. Nous nous inquiétons des motifs invoqués pour justifier cette entente, en particulier l'affirmation qu'il y a des chevauchements importants en ce qui concerne les mesures de protection de l'environnement fédérales et provinciales.
Plusieurs études récentes, dont l'examen de la réglementation effectué par Environnement Canada en novembre 1993 et une étude réalisée par KPMG Management Consulting en août 1995 dans le cadre de l'initiative d'harmonisation, révèlent qu'il y a très peu de chevauchements entre les programmes fédéraux et provinciaux. L'étude de KPMG conclut d'ailleurs que la plupart des chevauchements ont déjà été éliminés.
Nous nous inquiétons aussi des propositions contenues dans l'entente au sujet de la délégation aux provinces et aux territoires des pouvoirs fédéraux en matière d'application du droit de l'environnement.
Nous craignons également que l'entente n'établisse dans les faits un processus décisionnel qui empêcherait presque complètement le gouvernement fédéral de prendre des mesures importantes au sujet d'une question environnementale sans le consentement des provinces. Il s'agirait par exemple des interventions dans le domaine des affaires internationales et même de la production de matériel pédagogique.
Nous nous inquiétons aussi parce que l'entente ne règle pas vraiment la question du rôle des peuples autochtones dans la prise de décisions nationales au sujet de l'environnement. Pour une entente qui se veut nationale, c'est une lacune qui nous étonne beaucoup. Nous sommes aussi très inquiets parce que, selon nous, on ne règle pas les vrais problèmes, c'est-à-dire, de l'avis de nos organisations et de nombreuses autres, les écarts et les lacunes qui sont en train de surgir en ce qui concerne la protection de l'environnement par les autorités fédérales et provinciales dans une conjoncture de réduction des ressources fédérales et provinciales.
Nous croyons qu'un rôle fédéral important dans la protection de l'environnement au Canada se justifie pleinement. Ce rôle est lié aux obligations environnementales internationales. Le Canada a signé une foule de traités internationaux et, en vertu du droit international, le gouvernement fédéral est responsable, envers les autres parties aux traités, de l'exécution des obligations prévues par ces traités.
Nous croyons aussi qu'il faut un rôle fédéral important pour assurer l'équité régionale et tout particulièrement pour que les problèmes de pollution dans une province ne s'étendent pas aux autres provinces ou pour que certaines provinces ne deviennent pas des refuges pour pollueurs afin d'attirer l'investissement, car cela peut provoquer un nivellement par le bas dans les provinces.
Nous nous inquiétons aussi parce que, dans certains domaines, il est difficile d'imaginer comment les provinces, individuellement ou collectivement, pourraient être aussi efficaces ou efficientes que le gouvernement fédéral. L'un de ces domaines qui nous paraît particulièrement évident à cet égard est l'évaluation des nouvelles substances au Canada. Il serait très logique que chaque province et territoire ait son mécanisme d'évaluation des nouveaux produits chimiques et des nouveaux pesticides, par exemple, ce qui créerait des chevauchements énormes, nous semble-t-il. Il y a donc des raisons de donner un rôle au gouvernement fédéral.
Je m'en tiendrai là et je cède maintenant la parole à mon collègue, M. Muldoon.
M. Paul Muldoon (conseiller juridique, Association canadienne du droit de l'environnement): Merci. Je m'appelle Paul Muldoon et je suis conseiller juridique à l'Association canadienne du droit de l'environnement. Ma tâche aujourd'hui consiste à vous exposer quelques-unes de nos observations sur les recommandations contenues dans le document intitulé: «Rationalisation de la réglementation environnementale régissant l'exploitation minière - Un rapport provisoire».
Avant d'entrer dans les détails, j'aimerais vous exposer quatre grandes raisons qui situent nos remarques. Notre réaction générale au document est qu'il constitue, selon nous, au pire une tentative de déréglementation et au minimum une diminution ou un relâchement des obligations du secteur minier relatives à la protection de l'environnement. C'est très décevant, pour les quatre raisons que je vais vous décrire.
La première raison est que les règlements fédéraux qui s'appliquent au secteur minier sont relativement peu nombreux. Aucun nouveau règlement sur les émissions n'a été adopté depuis la promulgation de la réglementation des effluents liquides des mines de métaux en vertu de la Loi sur les pêches en 1977. De plus, ces règlements ne s'appliquent pas aux mines ouvertes avant 1977 ni aux mines d'or.
Deuxièmement, trois sondages menés récemment au Canada révèlent que la tendance vers la déréglementation, dans le domaine environnemental tout au moins, va à l'encontre des attentes du public. Le public s'attend clairement à une intervention gouvernementale plus musclée, pas plus faible, afin de protéger l'environnement.
En juin 1995, un sondage effectué par Ekos Research, par exemple, a indiqué que la population en général plaçait l'environnement au deuxième rang, tout juste derrière la liberté, dans la hiérarchie des valeurs du gouvernement fédéral.
Le Conseil canadien des ministres de l'Environnement commande deux fois par année depuis 1988 des sondages pour déterminer les attitudes du public. Dans le dernier sondage, la plupart des répondants croyaient que le Canada n'a parcouru que 30 p. 100 du chemin vers un environnement sans danger; 78 p. 100 déclaraient que la réglementation environnementale devrait être appliquée rigoureusement, même en période de récession. Quand on leur a demandé quel était le meilleur moyen de réduire la pollution industrielle, 48 p. 100 ont déclaré des lois sévères et de lourdes amendes pour punir les sociétés. Les mesures volontaires venaient au bas de la liste.
Des sondages récents auprès des chefs d'entreprise ont confirmé l'importance des lois et des règlements sévères pour protéger l'environnement. En 1994, puis de nouveau en 1996, KPMG Management Consulting a effectué des sondages auprès de plus de 300 entreprises, conseils scolaires et municipalités sur leurs programmes de gestion environnementale. Dans ces deux sondages, plus de 90 p. 100 des répondants ont déclaré que l'observation des règlements est la principale raison qui les pousse à établir des systèmes de gestion environnementale.
La troisième raison pour laquelle nous sommes déçus par la tendance vers la déréglementation ou le relâchement des obligations environnementales est que les préoccupations actuelles au sujet de la réglementation environnementale fédérale dans l'industrie minière canadienne sont étonnantes quand on la compare à d'autres régimes réglementaires, en particulier aux États-Unis. Nous soutenons que le régime réglementaire canadien est plus souple que celui de nos voisins du Sud et le raisonnement précis qui nous fait tirer cette conclusion est exposé dans notre mémoire. Je me contente de le souligner en passant et nous pouvons certainement en discuter plus tard.
La quatrième raison pour laquelle nous sommes déçus touche au lien entre la réglementation environnementale et la compétitivité. Un document de Ressources naturelles Canada intitulé «State of Development in Mines and Minerals» contient une brève analyse de la relation entre les exigences de la protection de l'environnement et l'innovation et la compétitivité. Ce document traduit le point de vue classique selon lequel il y a toujours un gagnant et un perdant dans la relation entre la protection de l'environnement et le rendement économique. Selon cette théorie, les obligations supplémentaires relatives à la protection de l'environnement imposent aux sociétés réglementées des coûts non productifs et constituent des obstacles et des entraves à l'innovation, à l'investissement et à la création d'emplois.
Nous soutenons que cette position traduit une perspective économique ancrée dans le passé et ne tient pas compte du consensus grandissant quant à la convergence entre la prévention de la pollution et l'efficience économique. Nous vous signalons un article récent publié dans le Harvard Business Review qui décrit, selon nous, la nouvelle vision, plus réaliste, de cette relation:
- Des normes environnementales bien conçues peuvent déclencher des innovations qui abaissent
le coût total d'un produit ou en rehaussent la valeur. ...Au bout du compte, cette productivité
accrue des ressources rend les sociétés plus compétitives et non le contraire.
Nous voudrions donc situer nos remarques dans ce contexte. En ce qui concerne les recommandations, nous avons constaté que le comité permanent en a fait quelques-unes sur le régime fédéral d'évaluation environnementale dans son rapport de décembre 1995. Nous ne les examinerons pas en détail mais nous ferons ressortir les grandes lignes de certaines questions qui nous préoccupent.
Premièrement, nos deux organismes jugent essentielle une évaluation environnementale complète des activités minières pour prendre une décision intégrée, tenant compte des aspects environnementaux, économiques et sociaux de ces projets. Dans ce contexte, nous nous inquiétons tout particulièrement de la recommandation du comité de créer un guichet unique aux niveaux fédéral et provincial pour les procédures d'évaluation environnementale.
Fait plus important encore, il faudrait établir comme principe fondamental que les mécanismes, procédures et normes d'évaluation environnementale ne devraient pas être abaissés pour favoriser un guichet unique. Le principe de base devrait plutôt être que le guichet unique applique les exigences les plus contraignantes des régimes fédéral et provinciaux d'évaluation environnementale. À souligner que la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale prévoit déjà des évaluations environnementales fédérales et provinciales.
Le Comité permanent des ressources naturelles a fait deux recommandations sur l'administration des dispositions relatives à la protection du poisson contenues dans la Loi sur les pêches. La deuxième recommandation du comité permanent, la recommandation n« 9, propose de déléguer formellement la gestion de l'habitat du poisson d'eau douce aux provinces qui gèrent déjà leurs pêches en vertu de la loi fédérale ou aux offices de cogestion régionaux. Cette proposition soulève de graves préoccupations, pour plusieurs raisons.
Premièrement, le bilan de la plupart des provinces à qui ce pouvoir a été délégué officieusement depuis l'adoption des dispositions actuelles sur la protection de l'habitat contenues dans la Loi de 1977 sur les pêches n'est pas très impressionnant. Cette conclusion a été étayée avec soin dans un rapport présenté récemment au ministre de Pêches et Océans par le Centre québécois du droit de l'environnement au nom du groupe de travail sur la Loi sur les pêches du Réseau canadien de l'environnement.
Deuxièmement, à cause du libellé de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, la délégation aux provinces du pouvoir de décision prévu par l'article 35 de la Loi sur les pêches éliminerait la possibilité que les autorisations prévues par le paragraphe 35(2) déclenchent une évaluation environnementale fédérale en vertu de la réglementation. Il s'agirait là d'une modification importante au régime fédéral d'évaluation environnementale. La décision de prévoir que les autorisations découlant du paragraphe 35(2) puissent déclencher une évaluation résultait de vastes consultations et négociations avec les intéressés. Son abrogation par la modification de la Loi sur les pêches, afin que le pouvoir de décision relatif à l'habitat soit délégué aux provinces, menacerait l'intégrité des consultations prévues par la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale auxquelles l'industrie minière a participé à part entière.
Troisièmement, seules quelques provinces prévoient des dispositions pour la protection de l'habitat du poisson semblables à celles du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches. D'ailleurs, dans la plupart des provinces et territoires, les dispositions concernant la protection de l'habitat prévues dans la Loi sur les pêches et l'obligation d'obtenir une autorisation fédérale avant de modifier l'habitat sont les seules protections légales permettant de maintenir l'intégrité des marais, des ruisseaux, des rives et d'autres régions écologiquement sensibles.
J'aimerais passer à la recommandation no 12. Le comité permanent recommande que la réglementation des effluents liquides des mines de métaux prévue par la Loi sur les pêches soit harmonisée avec la réglementation provinciale sur les effluents. À notre avis, cette recommandation ne devrait pas être appuyée.
Premièrement, l'un des principes de la rédaction et de l'administration des lois dans le régime fédéral devrait être le développement d'un ensemble clair, prévisible et cohérent de lois et de règlements. À notre avis, l'harmonisation ne permettrait pas de respecter ce principe. À l'heure actuelle, seule l'Ontario impose des plafonds sur les effluents qui se comparent assez bien aux règlements fédéraux. La plupart des provinces n'ont pas fixé de plafonds pour les effluents des mines. Elles comptent plutôt sur les plafonds fédéraux prévus par la Loi sur les pêches. J'ajoute en passant que les règlements provinciaux font l'objet d'un examen.
Deuxièmement, le processus appelé AquaMin, qui désigne l'évaluation des effets de l'exploitation minière sur le milieu aquatique au Canada, se poursuit depuis quelques années. Ce mécanisme qui regroupe divers intéressés a été lancé pour donner suite à l'engagement d'Environnement Canada de mettre à jour et de renforcer la réglementation sur les effluents des mines. Au cours de ces consultations, nous avons eu l'impression qu'il y avait eu un consensus général parmi les intervenants quant à la nécessité d'une réglementation fédérale pour promouvoir les principes de la cohérence et de l'application prévisible que je viens de mentionner.
Enfin, il y a la question de l'application de la loi. À quelques exceptions près, les provinces n'ont pas obtenu des résultats impressionnants à cet égard. D'ailleurs, dans son rapport de 1990 au Parlement, le vérificateur général du Canada a démontré l'effondrement des taux d'observation dans l'industrie. Le taux d'observation de la réglementation minière a chuté, passant de 85 p. 100 en 1982 à 48 p. 100 en 1988, après que la responsabilité de l'application de la loi a été déléguée aux provinces.
Les normes fédérales que peuvent faire appliquer les fonctionnaires fédéraux favorisent le maintien d'une capacité provinciale d'application de la loi. De plus, la présence fédérale sert de renfort ou de filet de sécurité contre l'inaction provinciale et contribue à empêcher la création de refuges pour pollueurs au Canada.
Vu l'heure, j'aimerais passer à la recommandation n« 15, concernant les mesures volontaires. Le comité permanent recommande que le gouvernement fédéral envisage des approches autres que la réglementation classique, notamment des mesures volontaires, pour accroître l'efficacité du système réglementaire. À notre avis, même s'il y a une place pour les mesures volontaires, ces mesures ne devraient pas viser à saper ou à remplacer le régime réglementaire actuel. Nous pensons qu'au lieu de chercher d'autres mécanismes que la réglementation, il faudrait plutôt s'efforcer d'améliorer le régime réglementaire.
L'une des grandes constantes qu'il faut maintenir tout en cherchant à améliorer le cadre réglementaire est le respect de la règle du droit. Cette règle prévoit que les droits et devoirs du gouvernement et des citoyens ainsi que l'interprétation de ces droits et devoirs relèvent du pouvoir judiciaire, par l'entremise des recours judiciaires. L'importance fondamentale de ces recours tient au fait qu'ils reposent sur plusieurs principes clés.
Sans tenter d'en donner une liste exhaustive, disons que les principes clés aux fins de la discussion d'aujourd'hui comprennent des décisions justes et cohérentes, l'obligation de rendre des comptes au public, et les recours proprement dits. Selon nous, la tendance vers les mesures volontaires sape ces principes fondamentaux de notre système légal mais aussi de la démocratie. Nous vous demandons donc de considérer avec beaucoup de soin toute mesure volontaire qui remplace ou supplante le régime réglementaire.
À notre avis, les défenseurs de l'autoréglementation et de la réglementation volontaire laissent souvent entendre que le régime réglementaire ne fonctionne pas. Mais il y a peu d'analyses de la nature du problème. Un rapport préparé à l'intention du Comité mixte d'examen de la réglementation définit le problème comme suit, et je cite, étant donné la pertinence de la citation:
- Ceux qui critiquent l'utilisation de la réglementation comme instrument de politique qualifient
souvent les règlements de rigides, difficiles à modifier et donc d'inefficaces.
Il n'y a aucune raison pour laquelle le processus réglementaire ne pourrait pas être plus sensible à l'évolution de la situation. Au bout du compte, tout processus, y compris le processus réglementaire, ne peut être efficace que dans la mesure où ceux qui en sont responsables sont eux-mêmes efficaces. Faire en sorte que le régime réglementaire fonctionne mieux sert mieux l'intérêt public que concevoir d'autres systèmes qui risquent d'être aussi imparfaits, voire davantage, que le régime actuel.
En conclusion, l'industrie minière et ses défenseurs disent aux Canadiens que le Canada fait concurrence à d'autres pays où les normes environnementales sont moins élevées et qui accordent un traitement fiscal plus favorable à l'investissement dans les mines. Ils invitent en réalité le Canada à s'engager dans une course vers le plus bas dénominateur commun avec des pays de l'Amérique latine et de l'Asie, afin de savoir qui permettra à l'industrie d'externaliser le plus possible ses coûts et qui accordera le rendement le moins élevé aux citoyens du pays hôte. Étant donné les coûts environnementaux énormes que représente cette industrie, ainsi que les emplois, par définition, les Canadiens doivent se demander s'ils veulent participer à cette course.
Dans bien des provinces, la réglementation environnementale fédérale et les exigences qui s'appliquent au secteur minier sont les seules mesures de protection en place. Ces normes et exigences doivent être renforcées et mises à jour plutôt que de les rationaliser et de les harmoniser jusqu'à ce qu'elles disparaissent.
Les Canadiens accordent sans aucun doute une priorité élevée au rôle environnemental du gouvernement fédéral. Il incombe maintenant au gouvernement fédéral de répondre à cette marque de confiance.
Merci beaucoup.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Muldoon.
M. Canuel posera les premières questions.
[Français]
M. Canuel (Matapédia - Matane): Il semble y avoir énormément de réglementation. Je me demande si c'est la réglementation qui est déficiente ou si ce n'est pas plutôt l'application de cette réglementation. En écoutant certaines compagnies et certaines personnes, je suis porté à croire que c'est au niveau de l'application qu'il y a une lacune.
On parle très souvent des dédoublements. Comme il existe des normes fédérales et provinciales, ne devrait-on pas, un peu comme le disait le gouvernement dans le Discours du Trône au sujet des secteurs forestier et minier, remettre cela aux provinces?
Quant aux normes et à la réglementation, ne devrait-on pas remettre tout cela aux provinces? À quoi servent ces normes si on a de la difficulté à les appliquer à cause de chevauchements entre le fédéral et le provincial? J'aimerais entendre vos commentaires là-dessus.
[Traduction]
M. Winfield: En ce qui concerne le nombre de règlements, il n'y a en réalité que trois règlements fédéraux sur les émissions applicables à l'industrie minière. Le règlement sur les effluents liquides des mines de métaux est entré en vigueur en 1977, une série de règlements sur les smelteurs secondaires de plomb est entrée en vigueur en 1976 et une série de règlements applicables à l'industrie de l'amiante est entrée en vigueur en 1977.
Il y a une espèce de vide dans le domaine. On s'est inquiété du niveau d'application de la loi ou de l'ampleur des efforts déployés pour faire appliquer la loi au niveau fédéral et au niveau provincial au fil des années. Les efforts du gouvernement fédéral dans ce domaine sont loin d'être exemplaires. Nous soulignons en particulier le rapport de 1990 du vérificateur général et les remarques concernant les efforts du gouvernement fédéral dans le Grand Nord, dans l'Arctique.
Le bilan n'est guère mieux au niveau provincial. Il y a eu une certaine amélioration en Colombie-Britannique et en Ontario ces dernières années, mais dans bien d'autres provinces, on applique essentiellement des politiques qui excluent les poursuites; les poursuites en vertu des lois sur l'environnement sont extrêmement rares.
En théorie, il peut sembler évident que déléguer la responsabilité de l'application de la loi aux provinces pourrait comporter certains avantages. Le problème c'est que lorsque cette théorie est confrontée à la réalité pratique et aux résultats obtenus par la plupart des provinces, elle est loin d'inspirer confiance.
À notre avis, la présence de règlements fédéraux et leur application active crée une espèce de base nationale au-dessous de laquelle personne ne peut descendre - on peut l'espérer tout au moins - si les règlements sont administrés et appliqués efficacement. Les provinces peuvent fixer des normes au-dessus de ce plancher fédéral, mais il y a une espèce de norme minimale pour tous les Canadiens et cette norme minimale contribue à empêcher que certaines provinces essaient d'attirer des investissements en permettant aux investisseurs de faire ce qu'ils veulent.
Je pense à ma propre province, l'Ontario, où c'est précisément ce que le gouvernement provincial propose actuellement.
M. Muldoon: Permettez-moi de répondre à la deuxième partie de la question, à savoir si les pouvoirs relatifs aux mines devraient être délégués aux provinces. J'ai quatre éléments de réponse.
Premièrement, on présume qu'il y a des chevauchements et des dédoublements inutiles. Franchement, les preuves sont minces. Au cours des travaux du CCME concernant l'harmonisation, les groupes non gouvernementaux n'ont cessé de demander des preuves que les prétendus chevauchements et dédoublements nécessitaient cette réforme du fédéralisme en ce qui concerne la protection de l'environnement. Ces études ne se sont jamais matérialisées.
Nous estimons que, s'il y a des chevauchements et des dédoublements, il faut régler le problème au cas par cas, en fonction de chaque disposition, plutôt que d'essayer de transformer la délégation de pouvoirs en panacée. Ce n'est pas une panacée. De nombreuses raisons, que je vais vous expliquer, démontrent que le fédéralisme dynamique qui existe chez nous dans le domaine de la protection de l'environnement est la bonne route à suivre.
Donc, en fin de compte, nous ne sommes pas d'accord avec l'affirmation que les dédoublements sont un fait acquis. Il faut établir qu'il y a des chevauchements et des dédoublements. Il faut examiner la nature de ces chevauchements et dédoublements. Puis, il faut trouver des solutions en fonction de chaque problème.
Deuxièmement, l'idée que déléguer aux provinces les pouvoirs concernant les mines sera une bonne chose pour l'industrie minière est aussi contestée. Avec le temps, il y aura une douzaine de régimes miniers différents au Canada. Par conséquent, l'objectif de la cohérence et de l'application prévisible, ainsi que d'une certaine uniformisation des règles du jeu, ne pourra certainement pas être atteint sans la présence fédérale.
Troisièmement, il faut considérer la capacité des provinces ces temps-ci et se demander si elles peuvent assumer une délégation de pouvoirs dans un autre domaine. Il faut se rappeler que la délégation des pouvoirs ne s'accompagne pas d'un accord de transfert de ressources ni de ressources supplémentaires. Songeons aux provinces qui font actuellement un examen complet de la réglementation dans l'espoir de se décharger d'une partie du fardeau réglementaire.
La question est donc la suivante: premièrement, existe-t-il une capacité au niveau provincial? Existe-t-il une volonté politique au niveau provincial d'adopter et d'appliquer des normes environnementales, surtout dans l'industrie minière, pour défendre l'intérêt public? Troisièmement, tout compte fait, existe-t-il une capacité d'appliquer ces normes et de les mettre à jour? Je pense que dans la plupart des provinces, la réponse est non.
Enfin, je pense qu'il faut considérer l'histoire du droit de l'environnement au Canada. L'histoire démontre qu'il y a toujours eu une interaction entre la réglementation fédérale et provinciale. Cette interaction n'a pas toujours été sans heurt. Mais elle signifie que chaque palier de gouvernement tient compte de ce que fait l'autre et que, au fil de son évolution, ce fédéralisme dynamique uniformise un peu les règles du jeu ou assure une espèce de protection minimale aux Canadiens.
Je pense que faire disparaître ce dynamisme en supprimant la présence fédérale nuira non seulement à l'industrie minière en longue période, mais aussi au régime de protection de l'environnement au Canada.
[Français]
M. Canuel: Si certaines provinces sont en mesure d'assumer complètement leurs responsabilités, êtes-vous d'accord que l'on devrait leur remettre ces responsabilités? Si une autre province n'était pas prête à accepter cette responsabilité, on ne la lui remettrait pas.
[Traduction]
M. Winfield: À certains égards, je pense que si on effectuait ce genre de délégation de pouvoirs, il faudrait mettre en place un mécanisme d'examen très rigoureux pour s'assurer que tout va bien. Une province peut avoir la capacité et la volonté de faire quelque chose au moment de la délégation, mais la situation peut changer avec le temps. Il faudra donc un mécanisme d'examen pour qu'il s'agisse d'une délégation administrative et non d'une délégation légale permanente.
À d'autres égards, plusieurs raisons pourraient justifier, selon moi, qu'on maintienne certains aspects du rôle fédéral actuel, pour assurer l'efficacité et la rentabilité. De plus, afin de maintenir une certaine équité régionale, il est important que ces aspects continuent de relever du gouvernement fédéral.
Le président: Monsieur Strahl.
M. Strahl (Fraser Valley-Est): Simplement pour me faire un peu l'avocat du diable, je me demande si l'une des raisons pour lesquelles l'observation de la loi a laissé à désirer au Canada n'est pas le fait que les sociétés minières ont parfois réussi à diviser pour régner. Elles affirment simplement que c'est une question fédérale et qu'elles s'en occupent. Puis, la province intervient et déclare que ceci relève de la province et cela du gouvernement fédéral. Et on se retrouve avec un beau méli-mélo qui, au lieu d'être la source de dynamisme que vous avez décrite, permet plutôt de s'en tirer à bon compte. Tout le monde est responsable, mais personne n'est responsable. Et les gens réussissent parfois à profiter de cette confusion.
Je me demande donc si ce n'est pas comme l'oeuf et la poule. Les provinces ne font pas appliquer la loi parce que ce n'est pas leur travail, à leur avis, et qu'il faut donc laisser le gouvernement fédéral s'en occuper. Et le gouvernement fédéral ne fait pas appliquer la loi parce que, selon la Constitution, les mines relèvent des provinces. Tout le monde tourne en rond et c'est l'affaire de tout le monde et de personne. On se retrouve donc avec une réglementation sévère tous azimuts, mais que personne ne fait respecter.
Qu'arriverait-il si on disait à l'Ontario, ou à n'importe qui, que c'est son bébé, sa pollution et qu'il faut rendre des comptes à ses électeurs? La province devrait agir parce que ce sont ses rivières et si elle n'agissait pas, elle subirait les foudres de l'électorat et détruirait l'environnement. Il faudrait en payer le prix politiquement, à l'échelle internationale, etc. Qu'arriverait-il si nous disions cela aux provinces? À l'heure actuelle, c'est la faute de tout le monde et de personne, de sorte qu'on peut ouvrir une nouvelle mine sans difficulté.
M. Winfield: Un de mes collègues de l'Université de la Colombie-Britannique a justement écrit une étude sur la façon dont le gouvernement fédéral et les provinces se renvoient la balle en ce qui concerne la gestion de l'environnement.
Oui. Je pense que les deux paliers se sont pointés du doigt de temps à autres et ont jeté le blâme sur l'autre. Je pense que le problème que pose la délégation de tous les pouvoirs aux provinces est que, si une province n'intervient pas, des conséquences se feront sentir à l'extérieur de la province. L'une des conséquences les plus évidentes est la pollution transfrontalière. La pollution dans une province a des conséquences dans une autre province, parce que les dommages à un système fluvial ou à quelque chose dans une province ont des répercussions dans une autre province.
L'autre problème - et cela nous ramène au rôle fédéral qui consiste à assurer une espèce de minimum national - est le danger que, si une province commence à abaisser et à affaiblir ses normes, les investisseurs éventuels chercheront à inciter les autres provinces à suivre cet exemple. Elles pourraient affirmer qu'une autre province leur permet d'exercer des activités plus polluantes, ce qui leur coûtera beaucoup moins cher et qu'elles choisiront l'autre province pour cette raison. Ce genre de dynamique à la baisse dans les refuges pour pollueurs est une grande source de préoccupation.
Je pense que c'est l'une des principales raisons pour lesquelles il est utile de maintenir la présence fédérale dans ce domaine. Là encore, lorsqu'une province abaisse ses normes, les conséquences sont doubles. Non seulement, la pollution dans cette province risque-t-elle de s'étendre à une autre, mais les autres provinces peuvent aussi commencer à se sentir poussées à abaisser leurs normes pour attirer l'investissement.
D'ailleurs, j'ai entendu des ministres provinciaux déclarer en privé qu'ils ont constaté ce genre de dynamique par rapport à d'autres provinces. Ils estimaient ne pas pouvoir hausser leurs normes et être plutôt incités à les abaisser parce qu'une autre province l'avait fait.
M. Strahl: D'accord, je comprends. D'ailleurs, j'aimerais vous parler plus tard pour voir si je peux obtenir copie de cette étude. Je pense que c'est très fréquent à l'heure actuelle. Lorsque les compagnies minières se présentent devant nous, elles déclarent en brandissant une pile de règlements qu'elles ne sont pas intéressées à abaisser les normes. Elles acceptent volontiers les normes, peu importe lesquelles, et tout ce qu'elles veulent c'est ne faire affaire qu'avec un palier de gouvernement afin que, peu importe les normes, il suffise de consulter une personne pour obtenir une réponse sur une procédure particulière. Elles affirment n'avoir besoin que d'un oui ou d'un non, et qu'elles accepteront la décision. Je pense que c'est très fréquent.
Je me demande si votre institut s'inquiète des éventuels compromis que vous avez évoqués entre ce qui arrive en Colombie-Britannique, pour être précis, ma province d'origine, et un troisième palier de gouvernement, à cause des revendications territoriales des Autochtones...
En vertu de l'accord conclu avec les Nisga'a, le premier de ce qui sera peut-être une soixantaine d'accords sur les revendications territoriales en Colombie-Britannique, le contrôle total des mines et de la gestion des ressources naturelles est cédé aux Nisga'a. On suppose évidemment que tout ira bien.
Avez-vous vu cet accord? Vous parlez de trois paliers de gouvernement. Allons-nous nous retrouver avec trois, quatre, 50 ou 60 paliers? Quel rôle devrait maintenir le gouvernement fédéral ou le gouvernement provincial dans l'environnement lorsque nous déléguons des pouvoirs? Il y a une délégation massive des pouvoirs en vertu de l'accord conclu avec les Nisga'a.
M. Muldoon: Je n'ai pas étudié cet accord. Vous faites ressortir une question importante qu'il faudrait examiner, mais je ne peux pas me prononcer actuellement.
J'aimerais revenir sur le blâme jeté sur les autres. L'industrie minière veut peut-être qu'on réponde simplement par oui ou non à une question complexe, mais quand on analyse la Constitution, en réalité les provinces et le gouvernement fédéral ont des responsabilités différentes.
Le gouvernement fédéral doit s'occuper du poisson et de l'habitat du poisson. C'est clairement un pouvoir fédéral. Et les mines menacent le poisson et son habitat. À mon avis, il est donc impossible de déléguer certains pouvoirs et de continuer à assumer le rôle fédéral fondamental prévu par la Constitution.
Le but visé ne devrait pas être des réponses claires et simples, mais plutôt des règles claires. Si nous pouvons essayer de viser un régime réglementaire plus prévisible et plus clair et maintenir des normes élevées, je pense que tout le monde gagnerait au change.
Ce qu'il faut - et c'est ce que nous avons demandé - c'est qu'on comprenne plus clairement le problème. Le problème est-il lié à une confusion quant à la façon dont les règles devraient être administrées ou appliquées? Dans ce cas, il faudrait étudier la question et apporter des éclaircissements. Ou la déréglementation fait-elle plutôt partie du programme politique?
Si nous pouvions éclaircir cette question et en discuter, l'intérêt public serait bien servi. Nous appuyons évidemment des règles claires, plus prévisibles tant qu'elles maintiennent le principe fondamental que la protection de l'environnement est une priorité d'intérêt public.
M. Strahl: Beaucoup d'entre nous en Colombie-Britannique - et je pense que c'est prouvé actuellement, certainement par nos normes sur les émissions atmosphériques, par exemple - estiment que nous avons probablement les normes les plus élevées au pays, parfois plus élevées que les normes fédérales. Je ne connais pas bien le secteur minier, mais il est certain qu'en Colombie-Britannique, un gouvernement qui approuverait des normes inférieures aux normes nationales courrait à sa perte.
Pour prendre l'exemple de la mine Huckleberry en Colombie-Britannique, même Moe Sihota, qui est probablement le meilleur des meilleurs ministres de l'Environnement au pays, a donné son autorisation. Il a jugé que le gouvernement fédéral lui mettait les bâtons dans les roues, sans aucune raison. Il a estimé que sa province appliquait les normes les plus sévères au pays, que les évaluations avaient été faites et qu'il pouvait donner son aval. La Colombie-Britannique possède certainement les ressources nécessaires pour faire ce genre d'étude. Et ils attendaient la décision du gouvernement fédéral. Que répondez-vous à une compagnie minière dans ce cas?
M. Winfield: Je ne connais pas très bien le dossier Huckleberry. On me l'a présenté sous un autre jour, en indiquant que tout s'était déroulé assez facilement dans le système fédéral et qu'il n'y avait pas eu de retard indu. J'ai entendu cette version de la bouche de personnes qui connaissaient bien le dossier.
M. Strahl: En tous cas, ce n'est pas ce qu'on a raconté dans les journaux, mais...
M. Winfield: Oui.
Nous affirmons qu'il y a peut-être effectivement des possibilités d'interaction plus aisée entre les exigences fédérales et provinciales afin de s'assurer que des normes minimales sont observées dans ce processus et qu'il est possible de maintenir un minimum même si la volonté provinciale évolue. C'est le principe de base qui nous intéresse.
Je veux revenir à votre remarque sur l'industrie minière et ses objectifs. J'aimerais croire que tout ce qu'elle veut c'est rationaliser et devenir plus efficace, mais je dois tenir compte de ce qui se passe en Ontario depuis six mois en ce qui concerne le droit de l'environnement et les mines.
Il est évident que le gouvernement provincial se laisse mener par l'association minière. L'Ontario Mining Association était si confiante d'obtenir ce qu'elle voulait du projet de loi 26, le projet de loi omnibus, que c'est la seule association non gouvernementale ou industrielle qui n'a pas témoigné devant le comité législatif chargé d'étudier le projet de loi. Ce projet de loi vidait pour ainsi dire de leur sens les exigences concernant la fermeture et la dépollution des mines dans la province.
Vendredi dernier, nous avons reçu copie du mémoire de l'association à la commission sur la bureaucratie provinciale dans le domaine de la réglementation environnementale. Ils demandent que tous les règlements environnementaux de la province s'appliquant au secteur minier soient abrogés ou dilués.
M. Strahl: Et ils ne proposent pas de solution de rechange?
M. Winfield: Non.
M. Muldoon: Quand on combine cette attitude provinciale - il s'agit de toute évidence d'un programme de déréglementation - à des questions comme les intentions de fermeture, les assurances financières, les régimes de responsabilité, et à la délégation des pouvoirs fédéraux sur les mines aux provinces, nous pensons qu'il en résulte de graves conséquences pour la réglementation du secteur minier. Nous sommes donc très inquiets quand nous entendons et lisons que le gouvernement fédéral veut déléguer ses pouvoirs. Et quand on regarde ce qui se passe dans les provinces qui ont des règlements sur les mines, on constate une délégation de pouvoirs et une déréglementation à ce niveau également. Les deux ensemble, cela donne un tableau qui a de quoi effrayer.
Le président: Monsieur Wood.
M. Wood (Nipissing): J'ai une question pour M. Winfield au sujet de ce qu'il vient de mentionner à propos de l'Ontario.
Étant donné que vous venez de Toronto, vous savez sans doute que le premier ministre Harris a annoncé récemment des compressions massives au ministère des Ressources naturelles. En vue de mettre fin aux chevauchements et aux dédoublements, nous avons recommandé qu'une grande partie de l'évaluation et de la surveillance soit prise en charge par les provinces, le gouvernement fédéral établissant et appliquant les normes nationales. En ce qui concerne l'Ontario, pensez-vous qu'il y aura des ressources suffisantes au niveau provincial pour s'occuper de ces tâches? Deuxièmement, y a-t-il une situation semblable dans d'autres provinces que nous connaissons moins bien?
M. Winfield: La réponse à votre question est oui. Mon institut est en train d'effectuer un examen assez détaillé des effets de la «révolution du bon sens» sur la gestion de l'environnement en Ontario. Certaines tendances deviennent plus claires au sujet des compressions au ministère des Ressources naturelles et au ministère de l'Environnement et de l'Énergie.
L'un des aspects visés clairement est la capacité des organismes provinciaux dans les domaines de l'évaluation, la surveillance et la recherche scientifique. En examinant les postes de dépenses dans les divers états financiers qui proviennent de M. Eves et de M. Johnson, il est évident que ces aspects sont visés. Il est assez évident en Ontario que la capacité n'existera plus.
Nous connaissons aussi un peu la situation en Alberta. Le ministère de la Protection de l'environnement de l'Alberta a perdu tout près de 50 p. 100 de son budget et l'un des grands moyens de faire face à ces compressions a été l'adoption de régimes d'autosurveillance et d'autodéclaration. Au lieu de faire les déclarations et les évaluations elle-même, la province a demandé aux compagnies de s'en charger.
M. Wood: Est-ce que cela fonctionne en Alberta?
M. Winfield: Non, il y a des preuves assez nombreuses que cela pose de graves problèmes, allant de la qualité des données... Nos collègues du centre du droit de l'environnement en Alberta nous informent qu'au cours de poursuites, on s'est demandé si les données de l'autosurveillance constituent une auto-incrimination, ce qui les rendrait inadmissibles en vertu de la Charte des droits et libertés. Il semble donc que de graves problèmes soient en train de surgir là-bas et nous apprenons de diverses sources que même certains membres de l'industrie sont perturbés par l'orientation que prennent certains aspects du dossier et par l'absence totale de règles ainsi que par les conséquences qui pourraient en découler. Je pense donc qu'il y a certainement de graves problèmes.
M. Wood: Alors vous craignez que cela arrive en Ontario?
M. Winfield: D'après les budgets qui sont publiés actuellement et les postes visés dans le secteur de l'environnement et au ministère des Ressources naturelles, il est clair que c'est ce qui va arriver.
M. Muldoon: Puis-je ajouter quelque chose? Pour donner un ordre de grandeur, il s'agit de 752 emplois sur les 2 000 du ministère de l'Environnement et de l'Énergie et les 2 180 du ministère des Ressources naturelles. Environ le tiers de ces ministères doit donc disparaître en un an, et ce n'est qu'un début. Si l'on ajoute à cela les autres réductions et l'absence de capacité ainsi que l'examen non seulement de la base réglementaire en Ontario... Il y a actuellement un examen des 80 règlements du ministère de l'Environnement ainsi qu'un examen à l'échelle provinciale effectué par une commission d'examen de la bureaucratie, ainsi qu'un examen de certaines lois telles que la Loi sur l'évaluation environnementale.
Autrement dit, malgré une tendance à la délégation des pouvoirs fédéraux fondée sur l'hypothèse qu'il y a un régime strict d'évaluation environnementale dans des provinces comme l'Ontario, cette hypothèse est contestée, parce que la ministre a déclaré qu'elle annoncera bientôt son programme relatif à l'évaluation environnementale.
Encore une fois, on en revient à se demander à qui certains pouvoirs fédéraux sont délégués? Il se pourrait bien, tout au moins dans une des provinces qui possédait par le passé un cadre réglementaire solide, que ce cadre n'existera plus ou qu'il sera nettement affaibli.
M. Wood: Il y a eu des progrès récents en ce qui concerne la signature d'accords bilatéraux entre le gouvernement fédéral et les provinces afin de coordonner les évaluations environnementales. Le plus récent est évidemment celui qui a été signé avec la Colombie-Britannique. Je suis curieux de savoir si vous appuyez le processus bilatéral, si vous pensez qu'il peut réussir à l'échelle nationale ou si des entraves politiques ou au niveau du partage des pouvoirs pourraient l'en empêcher.
M. Winfield: Si l'on a le choix entre le type d'ententes-cadres globales, telles que l'entente-cadre sur la gestion environnementale du CCME, qui tentait de tout régler en même temps avec les 13 provinces et territoires et le gouvernement fédéral, et une série d'ententes bilatérales, je pense que les ententes bilatérales sont préférables, pour plusieurs raisons.
La première raison est que si l'on tente de régler des problèmes particuliers dans des domaines où les exigences administratives pourraient se chevaucher ou pour lesquels les exigences relatives aux déclarations pourraient être consolidées, il faudra essentiellement y aller au cas par cas. Les ententes bilatérales sont donc logiques. On ne peut pas tout mettre dans le même sac.
Deuxièmement, les ententes bilatérales ont l'avantage de permettre au gouvernement fédéral d'adapter son rôle dans chaque province à ce qui convient à la province. La capacité et la volonté politique varient beaucoup d'une province à l'autre. Dans certaines provinces, le gouvernement fédéral devra peut-être intervenir davantage et dans d'autres, il pourra s'effacer un peu. On peut imaginer que le rôle du gouvernement fédéral à l'Île-du-Prince-Édouard sera très différent de celui qu'il faudra jouer en Colombie-Britannique.
Le troisième avantage des ententes bilatérales est qu'elles évitent la dynamique du douze contre un à l'oeuvre dans la proposition d'harmonisation du CCME, par laquelle le gouvernement fédéral se trouvait d'un côté et devait toujours faire valoir sa position devant les douze provinces et territoires en face de lui. La négociation est beaucoup plus égalitaire dans un contexte bilatéral et les exigences peuvent être adaptées aux besoins de la province visée.
Cela dit, nous avons exprimé dans notre réponse aux propositions du gouvernement concernant l'examen de la LCPE quelques réserves au sujet de la façon d'aborder les ententes bilatérales afin qu'elles prévoient des mécanismes pour rendre des comptes, qu'il y ait des dispositions prévoyant des examens périodiques de ces ententes, que les parties s'acquittent de leurs obligations et que, si le rôle du gouvernement fédéral doit changer, ce changement puisse se réaliser.
Il y a eu plusieurs de ces ententes bilatérales sur l'évaluation environnementale et aussi ce qu'on appelle des ententes d'équivalence ou des ententes administratives en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement.
Certains commencent à s'inquiéter au sujet de ces ententes et de leur efficacité. Un groupe de la Colombie-Britannique a publié il y a quelques mois un rapport sur l'entente bilatérale conclue entre le Canada et la Colombie-Britannique à propos de la réglementation du secteur des pâtes et papiers en vertu de la LCPE, et on se demande si les deux gouvernements remplissent toutes leurs obligations. Par conséquent, même si en principe nous préférons les ententes bilatérales, je pense qu'il faut aussi effectuer une évaluation sérieuse des ententes en place et se demander dans quelle mesure elles fonctionnent bien.
M. Muldoon: Nous vous remettrons un exemplaire de notre réponse à la réaction du gouvernement face aux modifications proposées à la Loi canadienne sur la protection de l'environnement. Nous y décrivons une série de questions à considérer lors de la négociation d'ententes bilatérales et de réformes du processus, afin de trouver de meilleures solutions que l'approche globale proposée par le CCME.
M. Wood: Êtes-vous en train de dire qu'il y a des entraves politiques ou des obstacles liés au partage des pouvoirs?
M. Winfield: Le seul obstacle de ce genre auquel on finit par se buter est celui de la délégation illégale. Le gouvernement fédéral ne peut pas donner aux provinces le pouvoir de légiférer sur les pêches et vice versa. C'est le seul obstacle réel en ce qui concerne les compétences.
Le facteur politique dont il faut tenir compte, en particulier du point de vue du gouvernement fédéral lorsqu'on conclut de telles ententes, est si la province est capable et a la volonté politique de remplir les obligations. C'est la question cruciale.
Le président: Monsieur Reed.
M. Reed (Halton - Peel): La réglementation n'est pas un grand souci de l'industrie minière, à en croire son témoignage. Comme l'a indiqué M. Strahl, l'industrie minière a indiqué clairement qu'elle n'a pas d'objection à ce qu'il y ait des règles du jeu. Elle s'inquiète seulement que les règles changent en cours de route. Autrement dit, il arrive souvent que, après qu'une proposition a été acceptée et mise en oeuvre, la réglementation soit modifiée et oblige le promoteur à reprendre son travail.
L'un des objectifs du guichet unique est de fixer les règles de façon à ce que, lorsque quelqu'un entreprend un projet, il connaît les règles, parce qu'elles ont été établies au départ. Il faut être assuré que le but ne sera pas déplacé en cours de route. Avez-vous déjà vécu une expérience de ce genre?
M. Muldoon: L'industrie minière n'est pas la seule à se plaindre, la plupart des industries le font. Nous entendons sans cesse cette critique. Je ne veux pas diminuer la portée de leurs inquiétudes, mais je pense qu'on exagère un peu. Dans presque tous les secteurs qui essaient d'obtenir des autorisations, que ce soit pour une boutique qui veut vendre des beignes ou dans le secteur minier, ces problèmes se posent et sont inévitables.
Cela dit, nous appuyons l'idée de règles claires et prévisibles, d'un régime réglementaire sur lequel les promoteurs peuvent se fier. Mais nous croyons qu'il y a une différence entre une réforme administrative, qui rend le processus plus prévisible et plus aisé, et une réforme de fond qui abaisse les normes. L'une des objections que nous faisons valoir est qu'en tentant de clarifier la situation, on abaisse les normes.
Si nous voulons un guichet unique, par exemple, nous devrions parler de réformes administratives qui facilitent le processus. Mais quand on regarde les propositions sur la table, c'est différent. Il est question d'abaisser les normes et de déréglementer l'industrie minière et c'est cela qui nous préoccupe beaucoup. Je pense donc que le problème posé et la solution proposée sont différents.
M. Reed: Prétendre que déplacer le but est un phénomène exagéré... Je ne peux que parler de mon expérience personnelle. Je ne suis pas un mineur et je ne connais pas grand-chose aux mines mais je m'intéresse à l'interaction avec le processus d'approbation, le gouvernement et le droit de l'environnement tel qu'il s'applique en Ontario. Je peux vous garantir - et je le déclare publiquement ici - que j'ai des souvenirs terribles de buts qui se sont déplacés durant l'évolution d'un projet.
Le coût pour le promoteur est si élevé que beaucoup d'entre eux n'auraient même pas déclenché le processus s'ils avaient su qu'ils se buteraient à une réglementation qui change à tout bout de champ. Pour aggraver la situation en Ontario, les politiques ont été décentralisées du cabinet du ministre aux régions, comme vous le savez, de sorte que l'interprétation subjective devient monnaie courante et qu'il est presque impossible d'agir.
Je pense que ceux d'entre nous qui exercent des activités dans des industries ayant des incidences environnementales comprennent et acceptent les règles du jeu, mais nous devons être assurés que les règles resteront constantes. Sinon, comment peut-on effectuer des investissements risqués et prendre des décisions?
M. Winfield: Je conviens que l'idéal - et je pense que nous devrions chercher à l'atteindre - est une structure qui dit aux entreprises: voici les règles du jeu. Voici certaines choses qui sont interdites, alors n'y pensez même pas.
Je n'ai pas d'objection à ce qu'il en soit ainsi. Il y aura des moments où les règles devront changer à cause de nouveaux renseignements, de nouveautés scientifiques, etc. Il faut avoir établi des mécanismes pour faire face à ces situations.
Il me semble qu'il s'agit davantage d'un problème provincial que fédéral. La réglementation fédérale sur les mines n'a pas vraiment changé depuis une vingtaine d'années.
L'une des préoccupations que nous avons soulevées au sujet de ce qui se passe actuellement en Ontario est liée à ces examens réglementaires tous azimuts, tels que le régime de planification de l'utilisation des terres qu'on vient de jeter par la fenêtre, en bloc.
Les sociétés effectuaient déjà des investissements pour tenir compte de la réglementation qui était en vigueur mais qui est remise en question actuellement, de sorte que c'est la pagaille. On l'a reconnu clairement lorsque la Déclaration des droits de l'environnement de l'Ontario a été adoptée, parce qu'une disposition prévoyait qu'on pouvait demander un examen d'une loi, d'une politique ou d'un règlement existant. On a ajouté une disposition stipulant qu'il n'est possible de demander un tel examen qu'après cinq ans, précisément parce qu'on ne veut pas revenir constamment sur ce qui existe déjà. Il faut mettre un point final et aller de l'avant.
L'un des problèmes qui se pose actuellement en Ontario est que tout est remis en question dans cette pagaille. Après avoir commencé à investir, certaines entreprises sont obligées, par exemple, d'observer les règlements de la SMLD. D'autres pas. C'est un vrai fouillis. D'ailleurs, on entend même dire que, dans d'autres provinces, comme l'Alberta, on s'inquiète que l'un des aspects qui revient souvent dans la réforme réglementaire de certaines provinces est qu'on prévoit des dispositions de temporisation dans la réglementation pour s'assurer que les règlements expirent après cinq ans.
Des gens nous disent que cela ne les aide pas beaucoup. De fait, cela empire la situation, parce qu'on ne sait pas si la règle sera encore là plus tard.
Nous convenons qu'il faut une certaine stabilité. Je pense que la règle de la Déclaration des droits de l'environnement prévoyant que l'examen ne peut être demandé tant qu'une mesure n'existe pas depuis cinq ans, à moins qu'il y ait une raison convaincante d'agir autrement, je pense, dis-je, que cette règle a du bon. C'est un moyen d'essayer d'instaurer une certaine stabilité. Je pense que nous sommes conscients du problème.
Le président: Merci, monsieur Reed. Monsieur Bélair.
[Français]
M. Bélair (Cochrane - Supérieur): J'ai écouté avec beaucoup d'attention votre exposé et, d'une façon générale, je souscris aux vues que vous nous avez exposées. Je crois que les distances qu'a prises votre organisation sont pleinement justifiées.
Mes collègues du comité savent que je me fais énormément de souci pour l'avenir de l'industrie minière au Canada face aux investissements étrangers, et toutes les statistiques confirment aujourd'hui cette inquiétude.
Lorsqu'on regarde l'envers de la médaille, il est évident que l'industrie minière investit à l'étranger beaucoup plus qu'au Canada, tout d'abord à cause des chevauchements avec les provinces au niveau des évaluations environnementales et, deuxièmement, à cause de la réglementation trop sévère.
Les statistiques ayant trait à l'exploration minière au Canada sont très alarmantes. En 1995, nous en sommes à 12 p. 100 de ce que nous investissions en 1987 et 1988. C'est là une statistique très éloquente, car après l'exploration, il y a la découverte et ensuite le développement de nouvelles mines. On parle de croissance économique au Canada et surtout du nombre d'emplois qui seront créés.
Madame et messieurs, nous du comité tentons toujours de concilier ces deux positions et nous aurons des recommandations à faire à Mme la ministre. J'aimerais entendre un commentaire de votre part, surtout sur les effets de la réglementation, qui est peut-être trop sévère.
[Traduction]
M. Winfield: Je pense qu'il faut un peu... Je ne sais pas dans quelle mesure il peut être prouvé que la réglementation environnementale détermine où l'industrie minière va investir. Les coûts sont assez faibles ou peuvent l'être par rapport au coût global d'une mine et la nature de l'investissement. Les coûts en main-d'oeuvre et d'autres facteurs entrent aussi en jeu.
En ce qui concerne la comparaison du régime réglementaire canadien et ceux d'autres pays, quand on fait une comparaison avec les États-Unis, ce qui est remarquable c'est que le régime fédéral canadien est vraiment très limité.
Nous avons annexé à notre mémoire un exemplaire d'une étude réalisée par un de nos collègues de l'Environmental Law Institute de Washington. C'est un excellent document qui décrit le régime réglementaire américain et qui démontre que le régime américain est beaucoup plus contraignant que les règles actuelles au Canada.
En ce qui concerne les comparaisons avec d'autres pays, en particulier en Asie et en Amérique latine, je pense qu'il faut faire preuve de beaucoup de prudence. Je ne pense pas que nous voulons entrer en concurrence avec des pays qui n'ont pas l'infrastructure juridique et institutionnelle nécessaire pour faire face aux incidences environnementales, sociales ou autres que pourrait avoir l'industrie.
M. Bélair: Mais n'est-ce pas exactement pour cette raison que nos grandes sociétés minières investissent à l'étranger plutôt qu'au Canada? N'est-ce pas parce qu'il y a moins de bureaucratie, moins de lignes directrices, moins d'obstacles et plus d'allégements fiscaux?
M. Winfield: Pour prendre la question à l'envers, ils déclarent qu'ils veulent aller là où ils peuvent externaliser le plus possible leurs coûts environnementaux et autres et où ils doivent partager le moins possible les redevances sur leurs activités avec le pays hôte. En réalité, ils demandent des subventions. Je pense que, compte tenu de l'ampleur des coûts environnementaux et des autres coûts, comme nous l'avons indiqué, nous devons nous demander si nous voulons participer à cette course.
On me dit que d'autres facteurs entrent en jeu dans l'exploration ainsi qu'en ce qui concerne l'existence de bons sites à haute teneur en minerai au Canada. Si Voisey Bay fascine tellement, c'est en grande partie parce que c'est l'un des rares endroits où il y a du vrai bon minerai.
C'est donc un facteur qui joue aussi un certain rôle. Mais mon grand souci c'est que nous ne nous engagions pas dans une course avec des pays latino-américains ou asiatiques en ce qui concerne l'investissement minier, parce que je pense que nous la perdrions ou tout au moins qu'elle nous coûterait très cher.
En ce qui concerne l'évaluation environnementale, je pense qu'il est vraiment essentiel pour nous de faire des évaluations environnementales, afin que, lorsque nous prenons des décisions sur des projets miniers, nous ayons une solide compréhension des aspects économiques, sociaux et environnementaux de ce qui est proposé et que nous soyons convaincus que ce qui est proposé procure un avantage net au Canada et aux collectivités visées. Je pense que c'est tout simplement essentiel pour prendre de bonnes décisions. Je m'en tiendrai là.
Je pense qu'une foule de facteurs entrent en jeu. De plus, comme nous l'avons déjà déclaré, le régime réglementaire fédéral n'a pas vraiment beaucoup changé depuis vingt ans, sauf pour l'évaluation environnementale. Je ne sais pas trop pourquoi cela devient si important tout à coup. Je pense que d'autres facteurs entrent en jeu. Je crois donc qu'il faut être très prudents.
M. Muldoon: J'ajouterai simplement que nous sommes venus ici pour défendre la nécessité de protéger l'environnement et de conserver les ressources naturelles. Mais un autre point de vue que nous exprimons toujours est que la protection de l'environnement ne touche pas seulement à l'environnement, elle comporte aussi une dimension économique.
Il y a deux dimensions économiques, en réalité. La plus évidente est que si une mine n'est pas mise en valeur comme il faut et qu'elle tourne mal, les contribuables doivent payer la note. Nous avons indiqué dans notre exposé que le coût de la dépollution liée aux activités minières est estimé actuellement à 6 milliards de dollars. Je vous pose la question suivante: si nous avions eu dès le départ de bonnes lois environnementales, quel serait le prix à payer actuellement? Je soutiens qu'il ne serait pas de 6 milliards; il serait beaucoup moins élevé.
M. Bélair: Le fonds d'assainissement doit vous intéresser au plus haut point.
M. Muldoon: En effet.
M. Bélair: C'est un grand pas en avant pour nous.
M. Muldoon: Oui. Mais l'essentiel, c'est que nous voulons prévenir plutôt que guérir. Une réglementation environnementale sévère présente cet avantage.
Nous sommes donc ici pour dire qu'il y a une perspective environnementale, mais aussi une perspective économique parce que, au bout du compte, c'est surtout le contribuable qui doit payer la facture. Il s'agit d'une subvention dont on ne tient pas compte habituellement et qui s'élève à 6 milliards de dollars. C'est beaucoup d'argent pour dépolluer. Nous affirmons qu'il existe des techniques, des méthodes et des moyens pour que cela ne se reproduise plus à l'avenir. Voilà ce que nous soutenons.
Deuxièmement, il y a cette tendance vers ce qu'ils appellent des technologies propres. J'ai cité, par exemple, le professeur Porter dans son article publié dans le Harvard Business Review. Il parle des avantages économiques d'une bonne réglementation environnementale, d'une réglementation sévère.
Il ne s'agit pas de théories abstraites. C'est une espèce de mouvement de pensée général, qui consiste à considérer les avantages économiques de la réglementation environnementale. C'est documenté en Europe et aux États-Unis. Nous proposons à votre comité et aux autres comités d'examiner la situation en tant que nation, de définir les avantages économiques de la réglementation environnementale, afin de ne pas traîner de l'arrière mais d'être plutôt dans le peloton de tête. Notre position, qui est étayée dans notre mémoire, est qu'à l'échelle internationale le Canada semble traîner de l'arrière, il s'oppose à des mesures qui procurent non seulement un avantage environnemental mais aussi un avantage économique. Nous ne savons pas trop pourquoi certains pays européens courent si fort et si vite, tandis que nous restons à l'arrière.
Je pensais que le Canada était toujours en tête en ce qui concerne le mouvement vert. Ce n'est pas le cas. Nous vous demandons donc de peser avec soin ces arguments - les analyses d'universitaires et les études qui les appuient. Examinez ces liens. Nous sommes d'avis qu'au bout du compte, vous verrez que de grands arguments économiques appuient notre position.
Mme Cowling (Dauphin - Swan River): Vous avez déclaré clairement dans votre exposé de ce matin que vous êtes en faveur de règles claires, ce qui m'amène à l'évaluation environnementale. Je me demande si vous pouvez être plus précis, parce que je pense que cela pourrait aider le comité.
Comment devrait se faire l'évaluation environnementale, selon vous? Devrait-il y avoir une évaluation provinciale? Devrait-il y avoir une évaluation fédérale? Devraient-elles se dérouler en même temps? Une avant l'autre? Devrions-nous travailler ensemble? Pouvez-vous apporter des précisions? Je pense que cela nous aiderait beaucoup.
M. Winfield: De toute évidence, à moins de circonstances exceptionnelles, on ne voudrait pas voir des évaluations séparées ou deux évaluations différentes effectuées en parallèle. À notre connaissance, il n'y a jamais eu d'évaluations simultanées. Il est parfois arrivé qu'on fasse deux évaluations séparées, mais jamais en même temps.
Je pense qu'il faudrait songer à intégrer le processus provincial et le processus fédéral. La loi fédérale sur l'évaluation environnementale prévoit des processus conjoints. Ce qui est crucial, toutefois, c'est que le processus conjoint respecte les exigences minimales du processus fédéral afin qu'il définisse le contenu minimum de l'évaluation, la participation minimale du public à la prise des décisions, le financement minimal des intervenants, etc.
De plus, même si nous espérons que cela ne sera jamais nécessaire, il faut laisser au gouvernement fédéral la possibilité d'effectuer sa propre évaluation si, pour une raison quelconque, l'évaluation provinciale ne convient pas ou si on ne peut s'entendre sur le mode de fonctionnement. Ce choix doit exister. Il faut espérer qu'on n'aurait jamais à l'exercer, mais je pense qu'il faut une mesure de précaution, afin de s'assurer qu'une norme minimale est appliquée dans le processus. Je pense que c'est ainsi que nous envisagerions la situation.
M. Muldoon: Ce que nous cherchons, c'est un système très coordonné qui permet de répondre aux exigences provinciales et fédérales, mais par un processus efficient et efficace.
Permettez-moi de vous donner un exemple provincial. Ce n'est probablement pas le seul et il n'est pas sans problème, mais c'est un exemple. En Ontario, lorsqu'un promoteur a obtenu des autorisations en vertu de la Loi sur l'évaluation environnementale et qu'il est question d'utilisation des terres, les audiences sont consolidées. Une loi appelée Loi sur la jonction des audiences a été adoptée à cette fin en 1981. Essentiellement, on se présente à une audience et toutes les autorisations nécessaires y sont combinées, les comités s'unissent. Des membres de chaque comité se réunissent au même endroit. C'est donc un guichet unique dans ce contexte.
Il y a donc des exemples qui démontrent que, dans l'ensemble, cela fonctionne. Il y a toujours des critiques des deux côtés à propos du processus, mais dans l'ensemble, c'est un exemple de situation où l'on craignait un dédoublement des processus. On les a combinés et consolidés. Le mot est intéressant; il s'agit de consolidation plutôt que de délégation ou d'harmonisation, ce qui veut dire qu'on obtient le meilleur des deux systèmes. Voilà notre principal argument.
Mme Cowling: Merci.
Le président: Monsieur Thalheimer.
M. Thalheimer (Timmins - Chapleau): Il est question de réglementation environnementale et nous sommes évidemment tous d'accord qu'il faut réglementer l'industrie. Si je comprends bien le problème, l'industrie accepte qu'il y ait une réglementation. Trois paliers de gouvernement réglementent le même domaine. Il y a le gouvernement fédéral, le gouvernement provincial et, bien souvent, les administrations municipales. Souvent, les règlements se contredisent, ils ne sont pas uniformes, etc.
Si je comprends bien votre témoignage d'aujourd'hui, vous ne voudriez pas que le gouvernement fédéral se retire des mines et des forêts. Je vous suggère qu'un organisme, un gouvernement, que ce soit le gouvernement provincial ou le gouvernement fédéral, réglemente ce domaine. Alors, plus personne ne pointerait les autres du doigt, n'est-ce pas? Le problème, tel que je le comprends aujourd'hui, c'est que trois gouvernements réglementent le même domaine, les mines et les forêts. Pour reprendre l'exemple que vous venez de nous donner, il me semble que nous pouvons les amener à s'entendre tous, mais c'est très coûteux et il y a des dédoublements. N'est-il pas plus logique qu'un gouvernement prenne la situation en main et déclare qu'il réglementera les mines et les forêts? C'est ce que propose notre gouvernement. Il propose de dire aux provinces qu'elles devraient réglementer l'industrie et qu'il se retirera. Qu'y a-t-il de mal à cela?
M. Winfield: Il y a plusieurs aspects à considérer. Premièrement, l'incidence réelle lorsque les exigences fédérales et provinciales se chevauchent est plutôt limitée. Les deux paliers de gouvernement ont peut-être des règlements qui touchent l'industrie minière, mais les règlements fédéraux et les règlements provinciaux se rapportent à des aspects différents des activités. Dans certains cas, on comble donc les lacunes entre les efforts des deux paliers de gouvernement.
Je le répète, l'examen réglementaire effectué par Environnement Canada en 1992 et 1993 et l'étude de KPMG effectuée pour le CCME ont révélé tous les deux que l'incidence réelle, lorsqu'il y a chevauchement et dédoublement des exigences, est extrêmement limitée. De fait, d'après ces études, ce phénomène n'existe que pour cinq des 36 règlements administrés par Environnement Canada. Dans trois cas sur cinq, le chevauchement était partiel seulement et portait en grande partie sur des règlements presque archaïques. Les effets réels sont donc très minces.
Il y a des avantages à ce que les deux paliers jouent un rôle, en ce sens que les deux comblent des lacunes et s'assurent que grâce à leurs efforts combinés, tous les aspects essentiels sont couverts. Il y a des avantages au niveau du renfort et de la surveillance: si un palier ne fait pas son travail, il se peut que l'autre prenne la relève. C'est très important, comme nous l'avons indiqué, pour dissiper les craintes que nous pourrions avoir si les pouvoirs étaient délégués entièrement aux provinces. Si une province ne faisait pas bien son travail, il pourrait y avoir des répercussions directes dans d'autres provinces, la pollution pourrait se répandre d'une province à l'autre. Il y a aussi un danger d'un nivellement vers le bas lorsqu'on se fait concurrence pour attirer des investissements - les investisseurs essaient de voir qui a les normes les plus souples. Il y a donc des avantages à ce niveau.
Il y a aussi des avantages au niveau de la créativité. La dynamique du fédéralisme est telle que l'intervention des deux paliers de gouvernement dans un domaine peut susciter l'innovation. D'ailleurs, un grand nombre d'études sur la politique environnementale au Canada et la politique publique en général font ressortir ces avantages.
Cela ne veut pas dire que l'interaction entre les exigences fédérales et provinciales ne peut pas devenir plus efficiente ni plus ordonnée. Nous ne sommes pas ici pour préconiser d'augmenter la paperasserie. Il existe des domaines où l'on pourrait probablement intégrer les exigences fédérales et provinciales en matière de déclaration et, si on savait s'y prendre, on ne réduirait pas l'obligation de rendre des comptes ni l'application de la loi mais on réduirait la paperasserie. Mais il faut probablement prendre chaque situation individuellement.
Dans chaque province, on déterminerait les liens entre les règles de la province et les règles fédérales. On aboutirait à une structure où le gouvernement fédéral fixerait une espèce de plancher qui serait intégré aux normes provinciales, puis la province serait libre, si elle le souhaitait, d'ajouter d'autres exigences qu'elle jugerait nécessaire pour tenir compte de sa situation particulière.
M. Muldoon: J'ajouterai seulement que nous reconnaissons que le fédéralisme crée parfois une situation plus complexe en ce qui concerne l'évaluation environnementale et les autorisations environnementales. À notre avis, cependant, la délégation des pouvoirs à un seul palier de gouvernement n'est pas la solution.
Il ne s'agit pas de savoir ce qui est plus facile, mais ce qu'il faut faire pour que le système fonctionne. Le gouvernement fédéral a une responsabilité, en vertu de la Constitution, dans certains domaines, tels que la protection de l'habitat du poisson. La délégation des pouvoirs concernant les mines, sans savoir quelles en seraient les implications empêcherait, selon moi, le gouvernement fédéral de remplir ses obligations constitutionnelles.
Deuxièmement, le processus de délégation des pouvoirs - et vous devriez en être conscients, à notre avis - signifie que vous déléguerez les pouvoirs à des paliers qui ne sont pas capables de s'occuper de la réglementation du secteur minier ou qui n'ont pas la volonté politique de le faire.
Oui, en un sens, c'est une solution de se laver les mains et de dire aux provinces qu'elles doivent s'occuper d'un domaine. Nous soutenons que, ce faisant, vous devez réfléchir à votre responsabilité constitutionnelle et à qui vous cédez les pouvoirs. Encore une fois, les provinces ne sont pas toutes en mesure de réglementer ce secteur ou ne veulent pas toutes le faire. Autrement dit, il y a une responsabilité fédérale que nous vous demandons d'exercer, pour ces raisons.
Le président: M. Deshaies veut poser une question.
[Français]
M. Deshaies (Abitibi): Vous avez dit qu'il n'y avait pas tellement de chevauchement entre les provinces et le fédéral alors que, dans certains cas, il faut deux ans pour faire des demandes d'ouverture de mine. En fait, il faut faire près de 30 demandes de permis différentes. S'il n'y a pas de chevauchement, il y a sûrement des problèmes de fonctionnement.
Le comité ne veut pas diminuer la qualité de l'environnement, mais étudier la quantité de règlements. Je crois que le mouvement environnemental a dit qu'il avait participé à l'Initiative de Whitehorse. Vous avez peut-être vu qu'au cours des dernières années, l'industrie minière a fait de grands efforts pour s'améliorer, mais peut-être pas suffisamment pour atteindre le «0 pollution». L'agriculture doit elle aussi polluer pour qu'on puisse s'alimenter. Il faut chercher à améliorer toutes les industries, y compris l'industrie minière.
Il y a, d'un côté, les emplois et, de l'autre, la qualité de vie. Le mouvement environnemental ne devrait-il pas promouvoir une diminution de la réglementation, non pas en qualité, mais en nombre, ce qui serait compensé par une augmentation de la qualité environnementale? L'industrie demande qu'il se fasse un échange. Pourrait-elle obtenir un permis en six mois si elle se fixait des objectifs plus élevés au point de vue environnemental? L'industrie dit: «Comme on nous a fait des concessions en termes de temps, de paperasse, etc., on va se fixer des objectifs plus élevés en termes de qualité environnementale». C'est à cela qu'il faudra en venir.
Certaines personnes autour de la table se demandent si différents niveaux de gouvernement touchent à cela. Est-il nécessaire que le fédéral soit un verrou de sécurité au cas où...? Peut-être, mais on sait que moins il y aura de gens autour du papier, plus vite les choses se feront, mais sans négliger le niveau environnemental.
Le mouvement environnemental devrait promouvoir cela. Il y aurait peut-être des concessions à faire en termes de temps, de paperasse, de quantité de règlements sur les virgules et les points virgules, mais il faut que cette diminution de la réglementation se traduise par une qualité environnementale accrue.
La deuxième phase de l'Initiative de Whitehorse devrait être de s'attaquer à cette problématique économique. Le Canada peut-il produire encore des mines? Possiblement. La réponse devrait être «oui», mais comment? L'opération minière n'est pas une opération plus polluante que certaines autres, mais elle pourrait améliorer son efficacité écologique si on lui accordait des concessions en matière d'efficacité administrative.
Pensez-vous qu'on pourrait entrevoir un meilleur futur pour l'industrie en exerçant des pressions auprès des différents niveaux de gouvernement pour qu'il y ait une plus grande efficacité du point de vue de la paperasse, mais aussi du point de vue de l'écologie?
[Traduction]
M. Winfield: Il y a de nombreux volets à votre question et j'essaierai de ne rien oublier.
En ce qui concerne la question des autorisations de projets miniers, l'un des facteurs importants dont il faut se souvenir à propos des délais est que certains projets miniers peuvent avoir des répercussions phénoménales sur l'environnement.
Il importe de prendre le temps de s'assurer qu'avant d'approuver quelque chose, nous savons exactement quelles seront les conséquences et comment nous pourrons y faire face et y remédier. Nous devrions aussi prendre le temps de nous demander si les activités sont justifiées quand on tient compte de tous les coûts. Si un projet ne peut fonctionner qu'à condition d'obtenir des subventions énormes payées par le contribuable, grâce à l'externalisation d'un coût environnemental énorme, alors il faut se demander si c'est vraiment une bonne idée.
Quant à la question de l'administration et de la paperasse, d'un côté je conviens que, s'il est possible dans certains cas de consolider les rapports et tout ce qui peut être consolidé, ce serait très utile. Mais en même temps, je suis très conscient de la position défendue par l'Ontario Mining Association devant le ministère de l'Environnement et de l'Énergie de l'Ontario au sujet de l'examen réglementaire. Ce à quoi ils s'attaquent c'est précisément ce qu'ils qualifient de paperasse, les déclarations qu'il faut produire pour permettre une surveillance en vertu des divers règlements qui s'appliquent à l'industrie en Ontario.
Essentiellement, si on supprime ou affaiblit ces exigences relatives aux déclarations, on abroge le règlement tout aussi efficacement que si on avait supprimé le règlement complètement. C'est une abrogation de fait, parce qu'au mieux le règlement devient impossible à appliquer. Les données et les données de surveillance nécessaires pour appliquer le règlement n'existent plus.
Je pense donc que les autres domaines où c'est possible - et ce n'est pas une mauvaise chose - doivent faire l'objet d'un examen attentif. Il faut faire bien attention de ne pas nous débarrasser de choses essentielles, pour devenir plus efficients.
Le président: Avant de terminer, je vais demander à mes collègues de faire preuve d'un peu de patience, pour que je puisse poser quelques questions.
Monsieur Muldoon, j'ai quelques questions philosophiques; je veux m'assurer de comprendre clairement votre position.
Vous avez parlé de l'observation volontaire. Je n'ai pas le document devant les yeux - je ne le cite peut-être pas textuellement - je pense que vous l'avez qualifiée d'antidémocratique. Je suppose donc que, du point de vue théorique, vous vous opposez à tout régime qui prévoit une observation volontaire.
M. Muldoon: Non. Le mémoire décrit les divers types de mesures d'autoréglementation et de mesures volontaires, et chacune d'elles présente des avantages et des inconvénients.
Nous vous demandons d'examiner cet aspect, parce qu'il est très difficile de définir exactement ce qui est volontaire. Cela se manifeste par divers moyens, chacun d'eux ayant des aspects qui nous préoccupent.
Ainsi, dans d'autres domaines, des accords volontaires de prévention de la pollution ont été négociés entre diverses industries et la province et le gouvernement fédéral. Un grand nombre de groupes d'intérêt s'efforcent depuis 20 ans d'avoir leur mot à dire dans l'élaboration des règlements, lois et autorisations, afin que les intérêts du public auxquels portent préjudice certaines de ces autorisations ou certains de ces règlements soient sur la table ou tout au moins que le public puisse donner son opinion. Mais un grand nombre de ces accords sur la prévention de la pollution sont conclus dans le secret. Autrement dit, il y désormais une espèce de structure parallèle.
Pour beaucoup de mesures volontaires, l'accès du public à l'information, à la négociation des ententes et à la conception des mesures proprement dites fait défaut. Selon nous, ce n'est pas juste.
Le président: Donc, ce n'est pas le fait qu'il existe un régime volontaire. Vous ne vous opposez pas à l'observation volontaire tant qu'elle est conçue d'une manière que vous jugez transparente.
M. Muldoon: C'est un aspect du problème. Là encore, je n'appuie pas les mesures volontaires lorsqu'elles tentent de supplanter ou de remplacer la réglementation. Si l'industrie veut prendre des mesures volontaires de son propre chef, nous sommes d'accord. Le problème - et nous le décrivons dans notre mémoire - c'est que, la plupart du temps, ces mesures volontaires sont prises au détriment de règlements actuels ou futurs. Voilà ce qui nous inquiète.
Les mesures volontaires comme instrument de politique pour amener l'industrie à bien se comporter avec le temps sont une bonne chose. Les mesures volontaires qui visent à remplacer, supplanter ou empêcher des mesures réglementaires sont un problème et nous ne les appuyons pas.
Le président: J'ai une deuxième question philosophique. Je crois vous avoir entendu dire qu'il n'est pas déplacé pour le gouvernement fédéral de déléguer le pouvoir administratif à un organisme provincial, afin de remplir nos responsabilités constitutionnelles. Ai-je bien entendu?
M. Muldoon: Je crois qu'une bonne façon de décrire la situation consiste à dire que des pouvoirs ont été délégués avec le temps. Certaines de ces délégations de pouvoirs ont bien fonctionné, d'autres pas. Il y a évidemment des limites à ce qu'on peut faire du point de vue constitutionnel.
Le président: Oublions cela pour un instant, simplement pour...
M. Muldoon: Il y a des domaines où la délégation a du bon - par exemple dans un accord bilatéral. Là encore, en principe, nous ne sommes pas contre les accords bilatéraux, notamment pour certains aspects de la délégation des pouvoirs.
Le président: J'ai une autre question, puis je laisserai M. Reed poser la dernière.
Puis-je résumer votre témoignage en disant que, selon vous, il n'y a pas de dédoublements ni de chevauchements dans le régime réglementaire qui s'applique aux mines? Est-ce votre position?
M. Muldoon: Notre position est qu'aucune étude n'a démontré clairement la nature précise des dédoublements et des chevauchements. Notre hypothèse est qu'on en exagère l'importance, comme vous l'avez probablement entendu durant les audiences du comité.
Le président: Donc, vous n'affirmez pas qu'ils n'existent pas, simplement qu'on n'a pas démontré qu'ils existent.
M. Winfield: On n'a pas démontré qu'ils existent. Les preuves dont nous disposons, en fonction de notre expérience et des études menées par le gouvernement du Canada, par les experts dont les services ont été retenus par le CCME, par des chercheurs universitaires indépendants, est que l'incidence réelle des dédoublements et des chevauchements est grandement exagérée.
Le président: Merci.
M. Muldoon: J'aimerais ajouter simplement que, dans le cas des dédoublements qui existent, la solution ne consiste pas à réécrire les règlements et à déléguer tous les pouvoirs, mais plutôt à régler ces problèmes individuellement.
Le président: D'accord. Monsieur Reed, vous pouvez poser la dernière question.
M. Reed: Merci beaucoup, monsieur le président, je vous suis très reconnaissant.
Je ne veux pas terminer sur un ton de provocation, mais j'aimerais demander à votre organisme de vous regarder un peu dans le miroir.
Vous savez, au fil des années j'ai entendu toutes sortes de choses sur le mouvement écologiste. Je me considère et je considère ce que je fais en dehors de mon rôle de parlementaire comme un élément du mouvement écologiste, mais on ne le reconnaît pas comme tel.
Ce que j'entends du mouvement écologiste, c'est tout ce qui est négatif. Quand j'ai mis les organisations au défi de chercher un peu les éléments de notre entreprise qui sont écologiques, elles ont refusé. Je n'entrerai pas dans les détails et je ne donnerai pas de noms, mais je vous en parlerai en privé.
Si un grand nombre de ces entreprises vertes voyaient effectivement le jour, certains éléments du mouvement écologiste disparaîtraient, parce que plus personne ne les appuierait. Votre travail serait fini.
J'ai entendu l'affirmation que le Canada devrait être un chef de file du mouvement écologiste. Je suis tout à fait d'accord. Mais être écologiste ne veut pas dire s'opposer à tout. Cela veut dire aussi appuyer et chercher les activités pour lesquelles le mot «profit» n'est pas tabou, les activités humaines qui peuvent être considérées bonnes et avantageuses.
Je vous lance donc un défi. En ne cherchant pas les aspects positifs de l'environnement et de ce qui arrive, n'êtes-vous pas un élément du problème?
Le président: C'est une bonne façon de conclure.
M. Winfield: Je tiens à signaler publiquement que mon organisation a publié de nombreuses études sur une foule de questions touchant à l'environnement et à l'économie, notamment les industries écologiques et les types de changements qui doivent survenir dans notre économie pour qu'elle devienne plus respectueuse de l'environnement, en faisant ressortir les débouchés économiques et les coûts connexes.
Franchement, je pense que c'est un cliché d'affirmer que nous sommes uniquement négatifs et que nous n'avons aucun point de vue sur l'économie ou les questions économiques. Je ne suis vraiment pas d'accord. Je pense que certains éléments du mémoire d'aujourd'hui prouvent le contraire.
Je pense qu'il y a des points de vue différents sur ce qui constitue une économie respectueuse de l'environnement. Il y a probablement des points de vue différents sur la place de l'industrie minière dans cette économie - en fait, j'en suis sûr. Mais nous sommes très conscients des efforts déployés par certaines entreprises. Nous serions fous de les critiquer et nous ne le ferons pas; nous les félicitons.
Nous avons fait des études sur les débouchés économiques que présente la transition vers une économie durable, et nous avons fait ressortir ces débouchés.
En général, le mouvement écologiste est devenu beaucoup plus complexe ces dernières années en ce qui concerne son point de vue sur la relation entre l'environnement et l'économie. Il y a eu aussi des études plus vastes menées par les universitaires et les gouvernements à ce sujet.
Je vous signale par exemple les renvois que nous faisons dans notre mémoire aux travaux d'organismes comme le Worldwatch Institute aux États-Unis, l'Institut Wuppertal en Allemagne, les travaux réalisés par le service de l'environnement de l'OCDE, ceux de l'Office of Technology Assessment aux États-Unis, les travaux récents de l'EPA et certains travaux universitaires récents que nous signalons à ce sujet.
Des points de vue beaucoup plus complexes et raffinés sont en train de se dessiner sur ces questions. Les gens doivent en être conscients et en tenir compte, en particulier dans les futurs travaux de votre comité.
M. Muldoon: J'ajoute simplement que j'aimerais relever votre défi. Je pense que c'en est un que nous acceptons. Nous voulons être positifs. Nous voulons dire de bonnes choses. Nous voulons affirmer que les industries se dirigent vers le développement durable. Dans certains secteurs, je pense qu'elles le font. Dans le secteur minier, malheureusement, nous pensons qu'il y a place à beaucoup d'amélioration.
Quand on regarde l'histoire de l'évolution de la réforme des politiques et de la réforme environnementale, au niveau provincial et au niveau fédéral, vous constaterez, je crois, que les organisations non gouvernementales abattent beaucoup de besogne. Elles sont à l'origine d'un grand nombre des idées et des mesures qui ont fini par être transposées dans ces lois et dans ces politiques. Bien souvent, on ne reconnaît pas leur rôle au pays.
J'aimerais également souligner le travail de ces groupes qui s'efforcent vraiment d'être positifs, non seulement pour cerner les problèmes mais aussi pour proposer des solutions.
Nous espérons que, dans notre mémoire d'aujourd'hui, nous avons non seulement dégagé des sources de préoccupation, mais signalé également à votre comité des aspects positifs que vous pouvez examiner et que vous pourrez considérer, nous l'espérons, comme une contribution positive au débat.
Le président: Merci, madame Wilkinson, monsieur Muldoon et monsieur Winfield. Je vous remercie de nous avoir consacré du temps aujourd'hui. Vous avez apporté à notre comité un point de vue important pour nos délibérations. Au nom du comité, je vous remercie.
Le comité suspend ses travaux jusqu'à nouvelle convocation du président.