[Enregistrement électronique]
Le jeudi 26 septembre 1996
[Traduction]
Le vice-président (M. Thalheimer): Bonjour, mesdames et messieurs.
Ce matin, nous avons avec nous Agnès J. Bishop, Pierre Marchildon et John J. McManus, de la Commission de contrôle de l'énergique atomique. Nous entendrons ensuite un second groupe de témoins, soit des représentants d'Énergie atomique du Canada limitée. Nous proposons d'accorder une heure au premier groupe, ce qui inclut les questions et les réponses.
Veuillez limiter vos observations liminaires à environ 15 ou 20 minutes, pour que nous puissions poser des questions. Vous avez la parole.
Mme Agnès Bishop (présidente, Commission de contrôle de l'énergie atomique): Merci, monsieur le président.
Tout d'abord, je vous remercie de l'occasion qui m'est offerte de m'adresser au comité et de répondre aux questions que vous voudrez me poser.
Je suis heureuse que ma première présence devant ce comité m'amène à discuter d'une question aussi importante pour la Commission de contrôle de l'énergie atomique que ce nouveau projet de loi. À l'approche de la fin du XXe siècle, nous pouvons affirmer que l'énergie nucléaire est une technologie bien établie au Canada et que son utilité n'est plus à démontrer. Une partie importante de notre économie en dépend directement ou indirectement. De plus, l'investissement fédéral dans ce domaine est important, tout comme celui de plusieurs provinces.
L'application pacifique la plus connue de l'énergie nucléaire, soit la production d'électricité, fait partie des sources d'énergie au Nouveau-Brunswick, au Québec et en Ontario. Dans tout le Canada, on tient presque pour acquis aujourd'hui les applications scientifiques, industrielles et médicales de l'énergie nucléaire, dont certaines ont des retombées importantes pour la sécurité et la santé des personnes.
Même si la responsabilité première en matière de sûreté doit toujours être assumée par ceux qui exploitent l'énergie nucléaire dans tous ses champs d'application, l'industrie nucléaire a sans cesse reconnu l'importance et la nécessité de pouvoir compter sur un organisme réglementaire crédible pour l'aider à atteindre ses objectifs de sûreté.
Par ailleurs, la population canadienne demande et s'attend à ce qu'on établisse des normes très élevées pour la réglementation des activités nucléaires, plus élevées encore que pour la plupart des autres domaines technologiques. De plus, elle s'attend à ce que l'organisme de réglementation fédérale soit en mesure de veiller à ses intérêts en matière de santé, de sûreté, de sécurité matérielle et de protection de l'environnement.
Toutefois, l'industrie nucléaire canadienne, une industrie à haute technologie tout à fait moderne, est régie par une loi qui date de 50 ans. La loi actuelle n'a pas suivi la croissance et l'évolution de l'industrie. Dire que le temps est venu d'apporter des changements serait, selon plusieurs, énoncer une évidence.
La Loi sur le contrôle de l'énergie atomique a été proclamée peu de temps après la Seconde Guerre mondiale, le 12 octobre 1946. À part une modification apportée en 1954 pour autoriser la création d'Énergie atomique du Canada limitée, la loi est demeurée inchangée pendant cinq décennies.
Le tribunal administratif créé par la loi, la Commission de contrôle de l'énergique atomique ou CCEA, est le plus vieil organisme indépendant de réglementation nucléaire au monde. Au fil des ans, la CCEA a atteint un niveau de succès élevé dans ses travaux. Cependant, depuis 1946, il y a eu des changements marqués dans la portée et la nature des activités nucléaires au Canada et à l'étranger, ainsi que dans les attentes de la société face à la réglementation gouvernementale.
Le mandat de la CCEA, qui s'attachait principalement à la sécurité, a évolué pour s'intéresser très fortement au contrôle des incidences des activités nucléaires sur la santé, la sécurité et l'environnement.
Les tribunaux, les médias, les groupes d'intérêts particuliers, le vérificateur général et les comités parlementaires ont tour à tour relevé les lacunes de la Loi sur le contrôle de l'énergie atomique. Ces lacunes comprennent notamment le manque de pouvoirs établis pour les inspecteurs de la CCEA, le plafond nettement insuffisant de 10 000 $ pour les amendes, l'absence de dispositions officielles pour la tenue d'audiences publiques, le manque de pouvoirs explicites pour le recouvrement des coûts de la réglementation auprès des usagers et l'inaptitude de la CCEA à tenir les pollueurs financièrement responsables de leurs actions ou à prendre des mesures correctrices et à en recouvrer les frais.
Afin de pallier à une loi inadéquate, le gouvernement a présenté au Parlement le projet de loi C-23, la Loi sur la sûreté et le contrôle nucléaires.
En vertu de la nouvelle loi, la CCEA deviendrait la Commission canadienne de sûreté nucléaire, un nom plus caractéristique.
Même si ce changement semble mineur, il n'en constitue pas moins un signal clair que les fonctions de promotion et de réglementation du nucléaire sont entièrement distinctes dans notre pays, et il en est ainsi en fait depuis 1954. De plus, la nouvelle désignation de l'organisme fédéral de réglementation nucléaire - Commission canadienne de sûreté nucléaire, CCSN, ou en anglais Canadian Nuclear Safety Commission, CNSC - ne pourrait plus être confondue avec la désignation de l'organisme national de recherche et de développement de l'énergie nucléaire - Énergie atomique du Canada limitée, EACL, ou en anglais Atomic Energy of Canada Limited, AECL. La possibilité de confusion entre AECL et AECB - Atomic Energy Control Board - est particulièrement marquée en anglais.
Le projet de loi C-23 fait référence directement à l'environnement comme secteur de préoccupation de l'organisme de réglementation, ce que la loi actuelle ne fait pas. Je m'empresse de vous rassurer: il ne s'agit pas de doubler les responsabilités des autorités fédérales et provinciales en matière d'environnement.
La formulation reflète plutôt une préoccupation légitime, tant publique que politique, de tenir compte de l'environnement, de même que des personnes, dans les activités réglementaires de la Commission. Les dispositions de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale continueraient notamment de faire partie du processus de prise de décision de la commission.
L'adoption du projet de loi C-23 permettrait à la commission d'obtenir la garantie d'assurances financières de la part des titulaires de permis pour le déclassement de leur installation, ce qui lèverait la responsabilité actuellement portée par les contribuables lorsqu'un titulaire de permis devient insolvable ou cesse d'exister en tant qu'entité pouvant être poursuivie pour des actions ou le remboursement de frais.
Je crois que la question des garanties financières est un élément particulièrement important de ce projet de loi. Ces garanties constituent un outil de poids pour s'assurer que l'État n'aura pas à assumer la charge «d'orphelins» nucléaires. Cette disposition pourrait aussi dissuader les entreprises marginales de s'intéresser au nucléaire. Les effets positifs s'appliquent aussi à l'environnement comme à la santé et à la sûreté.
L'organisme de réglementation nucléaire serait en mesure aussi de recouvrer des parties responsables les frais de décontamination et d'autres mesures correctrices et d'ordonner que des mesures soient prises dans des situations dangereuses. L'amende maximale qu'un tribunal pourrait imposer en cas de violation de la loi ou d'un règlement d'application serait cent fois plus élevée et atteindrait un million de dollars, ce qui correspond aux peines actuelles en vertu d'autres lois réglementaires.
Une des justifications majeures de la nouvelle législation est de permettre une plus grande coopération entre l'organisme fédéral de réglementation et les ministères et organismes provinciaux. La Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires donnera à la commission de nouveaux outils pour réduire le double emploi et les chevauchements et pour négocier de nouveaux programmes de réglementation conjoints avec les provinces. La loi donnerait à la commission un cadre général pour lui permettre de coopérer légalement avec les provinces en adoptant ou en prescrivant des références aux lois provinciales et en rémunérant les organismes provinciaux pour le travail exécuté au nom de la commission. Nous avons déjà utilisé cette approche dans certains domaines et nous aimerions qu'elle soit élargie et fondée en droit.
Un élément clé du projet de loi est l'article traitant des pouvoirs des inspecteurs. Les inspecteurs sont, pour ainsi dire, les yeux et les oreilles de la commission en ce qu'ils veillent à la conformité à la loi et aux permis que nous délivrons. Ils jouent divers rôles, dont celui de conseiller et celui d'agent de police, et ils sont notre lien le plus fréquent avec bon nombre de nos milliers de titulaires de permis. Actuellement, nous comptons 130 inspecteurs accrédités. Et nous devons leur procurer une assise juridique plus solide pour leur permettre de s'acquitter de leurs fonctions. Le projet de loi C-23 prévoit les dispositions nécessaires à cette fin. Cependant, il faudrait noter que les pouvoirs des inspecteurs s'accompagnent aussi de contraintes qui reconnaissent les droits de ceux qui sont soumis aux inspections.
En matière de droits, le projet de loi C-23 prévoit aussi de manière claire et officielle que l'on puisse en appeler des actions et des décisions de la commission et de ses agents. Il est rare que nous recevions des demandes d'appel et nous n'avons jamais refusé de les entendre, mais actuellement il existe peu de garanties juridiques dans ce domaine pour ceux qui sont soumis à la réglementation et aux conditions de permis.
Certaines dispositions du projet de loi, en apparence secondaires, sont en fait relativement importantes pour le processus réglementaire. Par exemple, un article prévoit la protection des employés dénonciateurs qui peuvent fournir à la commission des renseignements essentiels sur des dangers réels ou potentiels. On peut facilement dire que cette disposition accroît considérablement notre contingent d'inspecteurs.
Une autre disposition porterait le nombre de commissaires de cinq à sept et ferait en sorte que le président du Conseil national de recherches du Canada ne serait plus nommé d'office. Les divers présidents émérites du CNRC ont apporté une excellente contribution au fil des ans, mais il n'y a plus de motif réel ou lien automatique existant entre le CNRC et la CCEA.
L'élargissement du conseil d'administration permettrait de mieux représenter les régions géographiques du pays et les domaines de spécialisation requis pour assurer une bonne réglementation du nucléaire. Actuellement, il y a cinq commissaires et le quorum est de trois personnes; on peut comprendre que la maladie et les mauvaises conditions météorologiques qui perturbent les déplacements peuvent se combiner pour nuire à la capacité de la commission de prendre à temps les décisions attendues.
Le projet de loi C-23 prévoit aussi que les commissaires, plus nombreux, pourront se constituer en sous-groupes ou comités. À raison de un commissaire ou plus par comité, la commission pourrait traiter plus efficacement de divers dossiers en minimisant les contraintes temporelles ou géographiques.
Enfin, et relativement à la création de ces formations ou comités, le projet de loi C-23 contient des dispositions juridiques permettant à la commission de tenir des audiences publiques qui, en matière de protection environnementale et autre, sont devenues des instruments de base pour assurer la consultation et la participation du public à la prise de décisions.
Depuis 1988, la CCEA a déployé des efforts importants pour ouvrir ses réunions au public et pour visiter les collectivités qui sont situées près d'installations nucléaires, initiatives qui ont permis à beaucoup de personnes de se faire entendre. Toutefois, la commission actuelle n'est pas autorisée à tenir des audiences publiques officielles. En vertu du projet de loi, la nouvelle commission disposerait de pouvoirs similaires à ceux d'une cour d'archives et serait obligée de tenir des audiences publiques sur certaines questions. En outre, elle serait apte à tenir une audience officielle si l'intérêt du public le justifiait.
La Loi sur le contrôle de l'énergie atomique a été adoptée peu après la guerre, vers le milieu du siècle, pour régir une technologie prometteuse mais fondamentalement dangereuse. Le développement actuel de la technologie et ses multiples applications pacifiques surprendraient vraisemblablement même les plus visionnaires des parlementaires qui ont adopté la première loi.
La législation proposée guiderait l'organisme de réglementation nucléaire du Canada dans l'amorce du nouveau siècle avec une assise juridique nettement améliorée et actualisée, qui lui donnerait les pleins pouvoirs pour veiller à la santé et à la sécurité des travailleurs et du public, à la sécurité nationale et à la protection de l'environnement.
La CCEA célèbre cette année son 50e anniversaire. Nous croyons que les défis que le Canada et le monde devront relever au cours des 50 prochaines années en matière de sûreté nucléaire, de gestion des déchets radioactifs et de non-prolifération des armes nucléaires, accentuent l'importance pour le Parlement de continuer d'exercer une ferme influence réglementaire sur cette technologie comme il l'a fait au cours des cinquante dernières années.
Je vous remercie, monsieur le président. Je serai heureuse de répondre aux questions des membres du comité.
Le vice-président (M. Thalheimer): Merci, madame Bishop.
Monsieur Deshaies.
[Français]
M. Deshaies (Abitibi): Bonjour, madame Bishop.
Nous allons pouvoir continuer sur notre lancée d'hier. Sur ce sujet, notre ministre, qui a beaucoup de talent pour répondre aux questions, m'a laissé sur ma faim.
Donc, le nouveau projet de loi permet, après 50 ans, entre autres de séparer la Commission canadienne de sûreté nucléaire de la Commission de contrôle de l'énergie atomique, qui serait davantage liée au secteur industriel.
Est-ce que vous croyez qu'il est possible au point de vue structurel - parce que vous m'avez dit vous-même hier qu'il s'agissait de deux réalités bien distinctes - , que nous ayons deux ministres titulaires, l'un qui serait responsable de la sécurité, donc de ce qui touche en quelque sorte l'environnement, et l'autre qui serait responsable de la Commission de contrôle de l'énergie atomique?
[Traduction]
Mme Bishop: Merci. Je pense que c'est une question importante. Vous voulez savoir essentiellement si on fait une distinction entre les rôles de promotion et de réglementation de l'industrie nucléaire. La réponse est oui, et nous le faisons depuis un certain temps.
Regardons tout d'abord la commission et son rôle de réglementation. Lorsque la commission prend une décision relativement à l'octroi d'une licence ou d'un permis, le ministre qui est responsable de la commission devant le Parlement ne peut intervenir dans cette décision. Personne ne peut donc s'immiscer dans les décisions que prend la commission.
En ce qui concerne la réglementation qui est élaborée par la Commission de contrôle de l'énergie atomique ou qui sera élaborée par la nouvelle Commission canadienne de sûreté nucléaire, aucun ministre ne peut approuver ces règlements. Comme vous le savez, selon la loi, c'est le gouverneur en conseil qui doit les approuver.
Je pense que ce sont deux choses qu'il est extrêmement important de se rappeler: aucun ministre ne peut approuver un règlement et le ministre ne peut s'immiscer dans nos décisions concernant l'octroi de licences ou de permis.
Enfin, il est loisible, toutefois, au gouverneur en conseil de nous donner des directives, mais celles-ci doivent être rendues publiques et publiées.
Il y a effectivement séparation complète, depuis 1954, entre les fonctions de promotion et les fonctions de réglementation de l'énergie nucléaire. Le processus empêche de les mêler, même si elles relèvent du même ministre. La commission fait rapport au Parlement par le truchement d'un ministre.
J'espère avoir répondu à votre question.
[Français]
M. Deshaies: Non. Vous avez élaboré sur un point que je connaissais déjà. Effectivement, les ministres, en général, ne peuvent pas intervenir dans les décisions d'une commission indépendante de l'État
Plus précisément, ma question était: Ne croyez-vous pas qu'il serait plus correct politiquement qu'un ministre de l'Environnement soit responsable de la Commission, puisqu'on pourrait alors s'attendre à ce qu'il s'intéresse davantage à faire en sorte que la Commission soit à jour et respecte les objectifs publics?
[Traduction]
Mme Bishop: C'est une décision politique qui détermine par quel intermédiaire nous devons rendre compte au Parlement, une décision politique qui, vous le comprendrez aisément, n'est pas de ma compétence, mais quoi qu'il en soit, cela ne change pas grand-chose à notre perspective et au rôle que nous remplissons.
Quant à ce que vous affirmez sur l'environnement, la protection de ce dernier n'est qu'un des éléments de l'ensemble de la réglementation. Il n'existe pas, à vrai dire, de ministère qui s'occuperait de tous les importants aspects de sécurité, tant pour la santé que pour l'environnement, dont nous sommes chargés. Ce n'est peut-être pas ainsi qu'on le perçoit et dans ce cas-là, il s'agit d'une autre question.
[Français]
M. Deshaies: Effectivement, les perceptions des gens sont très importantes. À mon avis, le but n'est pas d'évincer la ministre qui gère indirectement notre comité ou de lui retirer un superministère. C'est plutôt de démontrer le souci et l'intérêt du gouvernement au moyen d'une nouvelle loi qu'on adopte après 50 ans.
Voici ma deuxième question, à laquelle on a commencé à répondre hier. Un intervenant, M. Berg, se posait la question suivante: Comment et où, dans le projet de loi, va-t-on préciser que les audiences publiques de la Commission pourront remplacer mais ne feront pas double emploi avec celles de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale?
[Traduction]
Mme Bishop: Nos audiences publiques ne remplaceront pas celles qui se déroulent dans le cadre de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, loi qui s'applique à nous mais à laquelle nous ne faisons pas de place dans nos audiences publiques.
Permettez-moi de vous donner un exemple. Si une province a l'intention de construire une nouvelle installation nucléaire, un tel projet déclenche automatiquement un examen du ministère fédéral de l'Environnement, examen auquel la province, dans la plupart des cas, devra participer. Le ministère de l'Environnement procédera à ces examens, mettra sur pied des comités spéciaux, et la commission sera obligée d'adresser les résultats de cet examen au ministère de l'Environnement.
Une fois que le ministère de l'Environnement a donné son feu vert, les questions touchant l'environnement n'en sont pas pour autant classés: la protection de l'environnement s'exerce pendant toute la durée d'existence de cette installation. La surveillance est en fait quotidienne, de sorte que la protection de l'environnement est assurée sur une base beaucoup plus permanente.
Il n'est pas toujours possible de séparer la protection de l'environnement de toutes les autres questions de sécurité, d'une importance primordiale, qui font l'objet de notre processus de réglementation de la sécurité. L'un des rôles de la commission, c'est de veiller à ce que la réglementation concernant les aspects environnementaux s'exerce tout au long de l'existence de l'installation ou de l'usine, voire jusqu'au-delà du déclassement et de la gestion des résidus.
La Loi canadienne sur l'évaluation environnementale s'applique donc à nous, et nous sommes tenus par elle de faire effectuer ces examens préliminaires.
[Français]
M. Deshaies: Je comprends qu'au départ, un certain dédoublement des évaluations environnementales soit normal et que, par la suite, votre organisme continue d'exercer une surveillance jusqu'à la fin du projet. Je le comprends.
Mais pourrait-on dès le point de départ, dans la première partie, dans l'étude environnementale, éviter quelques dédoublements? C'est la question que je posais. On verra peut-être à l'expérience.
Je vais poser une dernière question avant de céder la parole au Parti réformiste.
Une autre inquiétude se faisait jour en ce qui a trait à la participation du public. La Commission peut, par règlement interne, contrôler la participation du public. Ne serait-il pas plus sage de régler le problème dans le projet de loi, en créant l'obligation d'aviser le public lorsque les grandes étapes de projets exigeant un permis sont à venir?
[Traduction]
Mme Bishop: Effectivement, le renvoi à cette loi sur l'évaluation de l'environnement, qui est prévu dans le règlement... déclenche automatiquement, par exemple, ces examens publics. Quant à votre première question qui portait sur le double emploi des examens initiaux entre les gouvernements fédéral et provincial ou avec la commission, par exemple... Nous n'en voulons pas, nous n'y voyons aucun avantage. Nous sommes tout en faveur d'examens conjoints, dans la mesure du possible, et parfois les études provinciales nous paraissent tout à fait acceptables; nous sommes tout à fait d'accord avec vous sur le fait qu'il faut absolument éviter le double emploi.
[Français]
M. Deshaies: Quelle place réservez-vous au public à votre Commission? On vous y oblige par règlement. Quelle place ferez-vous au public dans votre Commission?
[Traduction]
Mme Bishop: Nous voulons nous assurer que ce que nous faisons actuellement est prévu dans la loi et qu'on peut aller au-delà, en organisant des audiences officielles. À l'heure actuelle, le public peut comparaître quand il le juge bon et présenter à notre commission des mémoires sur les décisions que nous prenons. Par ailleurs, tous nos documents, toutes nos décisions sont à la disposition du public, dès à présent. Nous nous efforçons, dans toute la mesure du possible, de tenir nos réunions dans les collectivités près desquelles nous avons des installations et qui sont donc concernées par nos décisions.
Telle est la situation à l'heure actuelle, telle est la façon dont nous agissons, mais nous voulons nous assurer que tout cela figure également dans la loi et que lorsque nous tenons des audiences... qui, aux yeux du public, et à juste titre, devraient être prévues par la loi, ces audiences auront plus de poids que des audiences qui ne sont pas prévues par la loi. Le projet de loi C-23 nous permet de constituer des formations, ce que nous ne sommes pas autorisés à faire à présent, même si nous faisons d'ores et déjà participer le public, mais rien dans la loi ne nous y autorise expressément.
Le vice-président (M. Thalheimer): Monsieur Ringma.
M. Ringma (Nanaïmo - Cowichan): Il y a un autre domaine qui m'intéresse, madame Bishop, un domaine qui est apparenté à celui-ci, à savoir l'éducation du public.
[Français]
Mon collègue mentionnait la participation du public mais toujours par rapport aux règlements et autres points de vue semblables.
[Traduction]
Ce que je constate, pour commencer, c'est qu'à la seule mention d'un mot comme «nucléaire» ou «énergie atomique», le public immédiatement prend peur et la panique menace. Certes, on commence à en savoir davantage là-dessus, en raison de l'utilisation, en médecine par exemple, de sources radioactives, de sorte qu'il y a une certaine accoutumance, mais il n'en reste pas moins qu'à mon avis, le public devrait être mieux renseigné sur ce sujet. À qui en revient la responsabilité? Puisque nous procédons ici à la constitution d'une nouvelle commission, vous pourriez peut-être nous faire part de vos réflexions sur la responsabilité éventuelle, en matière d'éducation, de cette commission ou de tout autre organisme, responsabilité qui s'impose pour aider au public à mieux comprendre de quoi il s'agit.
Mme Bishop: Il est indéniable que le mot «nucléaire» inspire une véritable phobie au public, ce qui est bien compréhensible, en particulier après l'accident de Chernobyl. Cette crainte est partiellement justifiée, en raison de l'ampleur catastrophique que peut avoir un accident nucléaire. C'est pourquoi je suis d'accord avec vous sur l'importance primordiale de l'éducation.
Nous nous efforçons effectivement, dans le rôle que nous jouons en matière de réglementation, d'introduire des éléments d'information et d'éducation; c'est ainsi que nous publions un bulletin intitulé Reporter, diffusé, si je ne me trompe, en 100 000 exemplaires.
Un témoin: Environ 5 000.
Mme Bishop: Mais au cours de l'année...
Une de nos initiatives, qui vous paraîtra peut-être simple, c'est d'indiquer, en termes graphiques et non scientifiques, pour chacune des régions où nous avons des installations, à combien se sont élevées les émissions à Pointe Lepreau, en comparant ce chiffre avec ce que produit, par exemple, une banale radiographie du poumon et avec le dégagement naturel.
Ce sont là des mesures que nous prenons régulièrement et nous sommes entièrement disposés, bien entendu, à répondre à toute demande de participation à l'éducation qui émanerait de toute organisation.
Enfin, il me semble qu'il y a un grand rôle éducatif à jouer pour les entreprises industrielles, et nous-mêmes sommes responsables de l'éducation en matière de réglementation.
M. John J. McManus (conseiller spécial auprès du directeur du Secrétariat, Commission de contrôle de l'énergie atomique): Une des caractéristiques importantes de projet de loi, c'est de nous investir de ce mandat d'éducation, mais uniquement sur les risques des processus en matière nucléaire ainsi que sur la réglementation, par exemple en faisant savoir que celle-ci est à leur disposition. Nous devons nous garder de jouer un rôle de promoteur. Il nous a été très difficile de trouver de l'argent pour l'éducation, parce qu'elle ne figure pas dans notre mandat actuel, alors qu'elle l'est dans le projet de loi.
Quand nous reviendrons au printemps avec le budget, la situation se présentera peut-être mieux.
Mme Bishop: Je voudrais m'associer à ce que vient de dire John. L'organisme de réglementation ne doit pas se transformer en promoteur de ce secteur, de sorte que nos programmes d'éducation doivent se limiter aux règlements.
M. Ringma: Mais ce comité pourrait peut-être explorer davantage cette question, afin de voir s'il ne serait pas désirable de nous engager dans cette voie.
Comme second volet à ma question je voudrais vous demander d'examiner la différence de responsabilités entre la CCEA ou la nouvelle commission, et le ministère de la Défense nationale. À titre d'exemple, je vous dirai que tout près de ma circonscription, il y a une installation de la Défense nationale appelée CF METR, pour Centre d'expérimentation et d'essais maritimes des Forces canadiennes. Des navires américains ainsi que canadiens y mouillent pour procéder à des exercices de prospection aérienne et de tir et autres exercices.
Les navires américains qui arrivent peuvent être à propulsion nucléaire ou avoir des armes nucléaires, ou l'un et l'autre, et le ministère de la Défense nationale, conjointement avec les Forces armées américaines, soutient qu'ils maîtrisent parfaitement la situation, ce que je veux bien croire. Les conditions de sécurité imposées par les militaires sont effectivement très strictes, mais on est toutefois obligé de s'en remettre pour cela à eux, car ils s'opposent à une enquête publique. Après les témoignages d'hier, j'ai appris qu'ils étaient maîtres chez eux et que leurs armes ne relevaient pas de votre responsabilité.
Avec l'établissement de cette nouvelle commission, nous créons ainsi une sorte d'autorité supérieure, mais vous ne pouvez toutefois pas pénétrer ce périmètre de défense. Y aurait-il moyen de surmonter cette résistance, par exemple... Je voudrais voir les militaires un peu plus disposés à dialoguer avec le public et à lui dire - toujours dans le cadre de l'éducation du public - ce qui se passe. Je comprends certes que le secret militaire s'impose, mais encore ne faudrait-il pas s'en servir comme prétexte.
Mme Bishop: Pour les navires étrangers en visite, à propulsion ou à capacités nucléaires, c'est la prérogative du Cabinet de les inviter qui l'emporte; c'est pourquoi la commission ne peut s'en mêler.
Quant aux aspects non militaires, ceux qui ne portent pas sur les armes, nous sommes effectivement chargés de la réglementation pour le ministère de la Défense. J'ajouterais que ce dernier et la Commission de contrôle de l'énergie atomique collaborent étroitement pour les programmes de sécurité. Ce n'est donc pas comme s'il n'y avait pas consultation.
Là encore, l'éducation du public est toujours importante, mais c'est au ministère de la Défense d'examiner dans quelle mesure il veut informer le public sur ce genre de navires; ce n'est pas notre rôle de veiller à cela.
M. Ringma: Pour en finir avec cette question, monsieur le président, j'ajouterais que le problème, là encore - pour revenir sur ce centre d'expérimentation et d'essais maritimes des Forces canadiennes - c'est que le public ne se rend souvent pas compte de ce qui se passe et se méprend certainement sur les règlements sévères et très exigeants qui existent.
Mais je comprends que je dois m'adresser ailleurs, car vous m'avez indiqué clairement que ce n'est ni la Commission de contrôle de l'énergie atomique, ni la nouvelle commission qui est chargée de cela, mais que c'est le ministère de la Défense nationale.
Mme Bishop: Oui, c'est exact.
Le vice-président (M. Thalheimer): Monsieur Reed.
M. Reed (Halton - Peel): Je vous remercie, monsieur le président.
Je voudrais appuyer ce que disait M. Ringma sur la nécessité d'une éducation impartiale du public. Ce n'est pas vraiment aux promoteurs de l'énergie nucléaire de le faire car même s'ils s'efforcent d'être crédibles, leur rôle, c'est la promotion des ventes. Dans l'intérêt, à long terme, de l'énergie nucléaire et des avantages qui en dériveront, je pense que l'éducation s'impose de plus en plus, et je vous demande instamment d'y réfléchir.
Vous avez mentionné dans votre déclaration d'ouverture, madame Bishop, les engagements financiers que vous prenez pour le déclassement, par exemple. Vous avez certainement prévu, au nombre de ces engagements, la gestion à long terme de déchets nucléaires fortement radioactif, n'est-ce-pas?
Mme Bishop: Certainement.
M. Reed: Pouvez-vous me donner une idée de la situation actuelle? Que se passe-t-il quand une installation nucléaire est en construction? Comment prévoit-on le stockage de déchets dangereux et le déclassement final? Ces dépenses sont-elles prévues dans le plan d'affaires?
Mme Bishop: Vous savez certainement que ce projet de loi liera la Couronne, tant provinciale que fédérale. Nous n'avons pas de réacteurs qui soient propriété privée, tous appartiennent aux provinces. Je ne sais donc pas si ces dépenses de déclassement figurent à leur passif ou non. Chose certaine, cette responsabilité est énoncée dans le projet de loi C-23.
Mais je vais revenir sur l'autre partie de votre question, à savoir ce que nous faisons à présent pour les déchets fortement radioactifs.
John, avez-vous quelque chose à ajouter à propos des coûts?
M. McManus: Oui, madame Bishop. Les installations ont toutes trois prévues, dans leurs plans budgétaires, des dépenses à long terme pour se débarrasser des déchets fortement radioactifs, mais le projet de loi exigera d'elles des plans concrets et des dispositions financières à cet effet. C'est une des idées maîtresses du projet de loi.
Mme Bishop: Que faisons-nous actuellement avec les déchets provenant du combustible épuisé? La gestion intérimaire de déchets - ce qui n'est pas la même chose que l'élimination - est fondée essentiellement sur ce que nous appelons le silo, où sont stockés les déchets consumés provenant des piscines des réacteurs. Au bout de quelques années, ils sont retirés de là et emmagasinés dans un genre de silo au-dessus du sol. C'est là la forme intermédiaire de stockage des déchets la plus universellement acceptée, pas simplement au Canada, mais dans la plupart des pays. C'est donc là la façon primaire dont on traite, à l'heure actuelle, le combustible épuisé.
Toutes les installations ont prévu suffisamment de place pour ce stockage, pour quelque temps tout au moins. Ce stockage se fait sur les lieux mêmes, non en dehors du site.
M. Reed: Si je vous pose cette question concernant le stockage à long terme de matières fortement radioactives, c'est qu'elle nous a fortement préoccupés il y a une quinzaine d'années. On m'a amené à Whiteshell et on m'a montré ce qui allait être fait d'ici deux ans, vers 1978, mais il semblerait que cela ne s'est pas concrétisé.
Vous vous souvenez sans doute quelle agitation politique cela a causée, lorsque la CCEA et Ontario Hydro étaient à la recherche, pour ce stockage à long terme, d'un massif pluton - de la roche étanche. Ce projet ne s'est toutefois pas réalisé. Je m'inquiète de ce que le stockage intérimaire que nous avons à l'heure actuelle dépend de la stabilité de notre pays.
Je ne sais ce que font les pays dont la stabilité laisse à désirer et comment ils conçoivent la sécurité de ces matières. J'ai visité plusieurs installations nucléaires, et j'ai pu me rendre compte que si l'intention y était vraiment, ce serait relativement facile de percer la paroi d'une de ces piscines et d'en évacuer le contenu.
Notre sécurité est suspendue au fil de notre civilisation et je me demande où en sont nos plans en matière d'élimination, à long terme, de ces déchets.
Mme Bishop: Ce sera bien entendu au gouvernement de décider quelle voie il souhaite suivre pour les déchets fortement irradiés, et quel sera le choix entre la gestion permanente et l'élimination définitive à long terme.
Lorsque la décision aura été prise, la commission devrait examiner toute proposition à cet effet, afin de veiller à ce que cette élimination se fasse dans des conditions sécuritaires tant pour l'environnement que pour la santé. La commission n'est pas habilitée à prendre une décision d'ordre stratégique - c'est au gouvernement que revient ce rôle - mais je peux vous assurer que chaque pays se demande ce qu'il devrait faire en matière d'élimination à long terme.
Au Canada, vous ne l'ignorez pas, il est question de stocker ces matières sous le bouclier de granite, et dans d'autres pays on envisage d'enterrer profondément ces matières, mais dans l'argile. C'est là une décision qui revient au gouvernement.
Je crois qu'il n'y a pas urgence immédiate à prendre cette décision, mais nous devons tenir compte du fait que si la décision était prise aujourd'hui même, il faudrait au moins 25 ans pour sa mise en oeuvre.
J'insiste sur le fait que ce n'est pas le rôle de la commission de prendre cette décision, mais que notre responsabilité consiste à veiller à une gestion sécuritaire des déchets ou à une élimination sécuritaire à long terme.
M. Reed: Je vous remercie.
Le vice-président (M. Thalheimer): Y a-t-il une autre intervention?
Reg?
M. Bélair (Cochrane - Supérieur): Non. Le ministre nous a fait hier un excellent exposé, de même que notre groupe de ce matin, et je ne vois plus rien à ajouter.
Il s'agit d'une modernisation majeure de la loi, il va sans dire. Je crois que le projet de loi correspond tout à fait à la position du gouvernement en matière de réglementation de l'énergie nucléaire.
Pour conclure, monsieur le président, je dirai qu'il sera très intéressant d'entendre le point de vue d'autres témoins, qui donneront peut-être un autre son de cloche, et qui nous diront en quoi le projet de loi pourrait être amélioré. Nous aviserons en temps et lieu.
Le vice-président (M. Thalheimer): D'autres interventions?
[Français]
M. Deshaies: Une petite question, madame Bishop.
Le nombre de membres de la Commission va passer de trois à cinq. Certains groupes ont naturellement plus peur de l'énergie nucléaire. Le projet de loi accorde à la Commission des pouvoirs et stipule qu'elle peut prendre des décisions, peut tirer profit de parties considérables des recettes de droit réglementaire et peut forcer des personnes au retour au travail. On utilise à maintes et maintes reprises le verbe «pouvoir». Ne serait-il pas souhaitable qu'un des cinq membres de la commission provienne du grand public?
[Traduction]
Mme Bishop: L'ennui, c'est qu'un organisme décisionnaire de type réglementaire, comme la CCEA, qui décide d'accorder un permis sur des considérations techniques et scientifiques doit s'assurer que les commissaires n'ont aucun préjugé, dans un sens ou dans l'autre. Qu'un citoyen ordinaire qui n'a aucun lien avec le milieu scientifique et qui représenterait les profanes... il n'y a aucune restriction de ce genre dans le projet de loi.
Tous les commissaires viennent du grand public. Aucun d'eux ne vient de l'industrie. Mais le projet de loi ne précise en rien qui peut être commissaire. Le nombre passera toutefois de cinq à sept.
[Français]
M. Deshaies: Les membres qui forment la Commission sont nommés indirectement par le gouvernement.
Le projet de loi pourrait prévoir une place pour une personne qui n'a pas de lien avec l'industrie, mais plutôt un lien avec le public en général. Il pourrait s'agir du représentant d'un organisme qui se voue à la protection de l'environnement. Parmi ces cinq membres du comité, cette personne pourrait avoir le mandat de s'attarder aux choses plus délicates. Elle serait peut-être de prime abord minoritaire parmi ces cinq membres, mais elle ne le demeurerait peut-être pas puisque les quatre autres membres pourraient aussi se vouer entièrement à l'environnement. Ne serait-il pas souhaitable d'avoir un peu de transparence?
[Traduction]
Mme Bishop: Comme je l'ai dit, même si l'on fait passer le nombre de commissaires de cinq à sept, le projet de loi n'impose aucune restriction sur les candidats possibles. La façon dont le gouvernement procède à ces nominations, ou qui les fait, cela ne relève pas de la commission. Je dirai cependant que les commissaires actuels s'intéressent beaucoup à l'environnement et qu'ils traitent constamment de dossiers qui ne sont pas exclusivement scientifiques ou techniques. On aurait donc tort de penser que les commissaires actuels ou futurs ne s'intéressent pas à ces choses.
Le vice-président (M. Thalheimer): J'aimerais poser une question. Nous n'avons plus de temps.
Quand nous vendons un réacteur CANDU à un pays étranger, qui s'occupe du déclassement?
Mme Bishop: Je n'ai pas entendu votre question?
Le vice-président (M. Thalheimer): Lorsque nous vendons un réacteur CANDU à la Roumanie, par exemple, comment contrôlez-vous le déclassement du réacteur? Qu'est-ce qui est prévu? Une fois le marché conclu, vous en lavez-vous les mains?
Mme Bishop: Pour commencer, la commission ne vend rien du tout.
Le vice-président (M. Thalheimer): Non, mais quel contrôle exercez-vous?
Mme Bishop: Quel pouvoir de contrôle la commission a-t-elle?
Le vice-président (M. Thalheimer): Oui.
Mme Bishop: Nous n'exerçons aucun contrôle sur la vente d'un CANDU à tel ou tel pays. Par contre, en vertu des politiques nationales, nous avons certaines responsabilités concernant ce qui peut ou non être vendu ou exporté à certains pays. Nous nous référons donc à la politique canadienne. De ce point de vue, l'organisme de réglementation a son mot à dire.
Toutefois, notre rôle... Je sais que cela a été dit hier, mais cela vaut peut-être la peine de le répéter. Les questions de réglementation nucléaire ne sont plus uniquement d'ordre national; beaucoup de choses se font à l'échelle internationale. Les pays travaillent étroitement entre eux.
Les pays qui achètent des réacteurs CANDU, et la plupart des pays qui achètent un réacteur, quel qu'il soit, ne pourront le faire que si l'organisme de réglementation du pays vendeur les assure que l'installation obtiendrait un permis au Canada. Autrement dit, avant d'acheter une nouvelle version du réacteur CANDU, comme le CANDU 9, la Corée, par exemple, voudra savoir si le réacteur obtiendrait un permis au Canada. Il nous arrive donc à nous, comme organisme de réglementation, de faire du travail de cette nature. Nous nous occupons aussi beaucoup de la formation des organismes de réglementation étrangers, et pas uniquement ceux qui s'occupent du CANDU.
À part cela, nous n'avons aucun contrôle.
M. McManus: La question a été posée dans un autre sens hier, à propos de la façon dont nous garantissons la sûreté, et nous avons dit que nous n'avons aucun pouvoir en Roumanie ou ailleurs, mais que nous faisons beaucoup d'efforts pour conclure une convention internationale sur la sûreté nucléaire. Nous sommes très avancés sur ce front et elle devrait entrer en vigueur prochainement.
Il en va de même pour la gestion des déchets. Il se fait actuellement beaucoup de travail sur la scène internationale, et nous y participons. L'objectif est de dégager un consensus sur les normes applicables à la gestion des déchets dans les pays industrialisés. Nous espérons continuer à travailler à cette convention. Nous espérons aussi encourager à y participer tous les pays qui se livrent à des activités nucléaires.
Le vice-président (M. Thalheimer): Il est maintenant midi. Je vous remercie d'être venus et d'avoir éclairé notre lanterne.
Nous entendrons maintenant les représentants d'Énergie atomique du Canada limitée: M. William Hancox, vice-président à la mise au point stratégique, et M. David Torgerson, vice-président à la recherche et au développement des produits.
Comme je l'ai dit, nous avons prévu une heure pour l'exposé et les questions. Nous vous serions reconnaissants de faire votre exposé en une quinzaine ou une vingtaine de minutes.
M. William Hancox (vice-président, mise au point stratégique, Énergie atomique du Canada limitée): Merci, monsieur le président. Nous sommes heureux de la possibilité qui nous est offerte de prendre la parole devant le comité dans ce dossier important pour vous exposer notre point de vue.
Mon exposé sera bref. Le texte de certains tableaux vous a été remis, je crois. Je vais m'y reporter.
Voyons d'abord quel est l'intérêt de EACL dans cette affaire.
Comme Mme Bishop l'a dit ce matin, la EACL et la CCEA relèvent toutes les deux de la Loi sur le contrôle de l'énergie atomique. Elle a aussi bien montré que cela a créé de la confusion entre le rôle de l'organisme de réglementation et celui du concepteur. Elle a aussi rappelé que la similitude des sigles en anglais a ajouté à cette confusion. Nous sommes donc très satisfaits des modifications que le projet de loi apportera à cet égard.
Comme chacun le sait, EACL est le concepteur des centrales nucléaires et des réacteurs de recherche CANDU et le chef de file de l'industrie nucléaire canadienne. Le premier objectif de l'industrie aujourd'hui est de maintenir le rendement élevé des installations nucléaires canadiennes et de continuer à vendre de nouvelles centrales, surtout à l'étranger. Dans les 10 prochaines années, nous prévoyons réaliser une dizaine de ventes, surtout dans la région de l'Asie-Pacifique, ce qui apportera entre quatre et cinq milliards de dollars à l'économie canadienne.
Comme on l'a dit précédemment, il faut que ces nouveaux réacteurs puissent obtenir un permis d'exploitation avant d'être vendus à l'étranger, ce qui suppose évidemment que la réglementation canadienne doive être conforme aux pratiques internationales, ne serait-ce que pour pouvoir rivaliser avec nos concurrents étrangers. EACL s'intéresse donc au projet de loi d'abord pour des raisons commerciales.
EACL est aussi l'exploitant d'installations nucléaires dotées d'une licence, comme le laboratoire nucléaire de Chalk River, qui fournit des renseignements indispensables à l'exploitation en toute sécurité des 22 centrales CANDU du Canada et à la conception de nouveaux modèles CANDU. J'ajouterai que les réacteurs que nous vendons à l'étranger entrent dans cette catégorie.
Aujourd'hui, le coût de l'octroi des licences est un élément important et croissant de nos frais annuels d'exploitation. C'est donc un facteur qui doit être considéré.
Quelle est la situation actuellement? Depuis une dizaine d'années, EACL et d'autres membres de l'industrie nucléaire évoluent dans un cadre réglementaire incertain et de plus en plus exigeant et, j'ajouterai, de plus en plus coûteux. J'en prends à témoin l'imposition récente du recouvrement des frais, la complexité et le raffinement technique accrus des demandes de licence et l'assujettissement de nos activités à la réglementation provinciale.
D'abord et avant tout, il nous faut un organisme de réglementation fort et indépendant. Toutefois, l'industrie nucléaire a aussi besoin d'un régime de réglementation moderne, fixe et équilibré aussi bien pour l'organisme qui réglemente l'industrie que pour l'industrie elle-même.
À cet égard, nous voudrions qu'on se serve des facteurs avantage-coût pour évaluer l'efficacité et la portée des nouveaux règlements. J'ajouterai que EACL et d'autres membres de l'industrie collaborent actuellement avec la CCEA pour voir comment ces considérations pourraient être incluses dans le cadre réglementaire. Nous espérons ardemment que ces discussions aboutiront.
En ce qui concerne le projet de loi C-23 lui-même, il est clair pour nous que ce texte distingue nettement entre le rôle de l'organe de réglementation et celui du concepteur. C'est à nos yeux une amélioration importante.
La Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires crée la Commission canadienne de sûreté nucléaire et définit clairement son rôle. Je précise que le changement de désignation fera beaucoup pour lever la confusion qui existait entre la CCEA et EACL. EACL continuera d'être régie par la Loi sur le contrôle de l'énergie atomique, qui définit aussi clairement son rôle.
S'agissant des avantages du projet de loi, nous estimons qu'il vient moderniser le régime réglementaire nucléaire canadien et qu'il devrait créer des conditions plus certaines et plus prévisibles pour l'avenir. Grâce à sa définition claire du rôle de la commission, le nouveau texte va permettre de mieux faire comprendre le processus réglementaire et de consacrer son autonomie.
Comme on l'a dit ce matin, l'augmentation du nombre de commissaires et la création des formations sont des changements structurels qui amélioreront l'efficacité du processus réglementaire. Une petite mise en garde, toutefois. Il se pourrait que ces formations jouissent des mêmes pouvoirs que la commission mais soient composées d'un plus petit nombre de membres. En outre, aucun mécanisme de recours ne semble avoir été prévu pour en appeler des décisions des formations.
Même si à de nombreux égards le projet de loi semble refléter et incorporer la pratique réglementaire actuelle, il est évident qu'il augmente aussi considérablement le pouvoir de l'organe de réglementation. On jugera évidemment l'arbre à ses fruits, c'est-à-dire la réglementation à ses effets.
Certains facteurs doivent être pris en compte à notre avis. On peut sans doute affirmer que le bilan de l'industrie nucléaire canadienne en matière de sécurité est excellent. Cela tient en bonne part à la tangente prise lors de l'élaboration de la réglementation dans les premières années d'existence de la commission. En effet, on a insisté sur les exigences et les comptes à rendre et reconnu que c'était en demandant le meilleur des concepteurs, des exploitants et des autorités de réglementation que la sûreté serait la plus élevée. Ces principes devraient selon nous continuer à présider à la sûreté. On y parviendra, selon nous, en freinant la tendance actuelle à la méthode prescriptible, c'est-à-dire en remplaçant les exigences par des instructions précises sur la façon dont ces exigences peuvent être respectées. Cette formule placerait les autorités de réglementation dans le rôle de concepteur et d'exploitant.
Il faut absolument que la conception et l'exploitation sans danger de l'installation nucléaire continuent d'être l'apanage du concepteur et du propriétaire exploitant. L'organisme de réglementation, lui, devrait continuer de fixer les règles qui permettront au concepteur et au propriétaire exploitant d'atteindre cet objectif. L'équilibre entre les exigences à fixer et la méthode prescriptible sera atteint grâce à un processus efficace de consultation et d'arbitrage.
Il y a également lieu de justifier comme il se doit les droits imposés et les mesures prises par les inspecteurs et de protéger les renseignements de nature commerciale, surtout de la curiosité de nos concurrents étrangers.
Voilà un échantillon seulement des facteurs à considérer.
En résumé, je dirai que le projet de loi reflète la pratique actuelle et l'actualise. Les règlements qui restent à élaborer détermineront la voie à suivre. Il faut selon nous un processus d'arbitrage qui permettra de mettre en équilibre ces nouveaux pouvoirs.
Voila qui met fin à notre exposé. Nous serons heureux de répondre à vos questions.
Le vice-président (M. Thalheimer): Merci, monsieur Hancox.
Monsieur Deshaies.
[Français]
M. Deshaies: Merci.
Monsieur Hancox, en général, comment pouvez-vous situer le niveau de sécurité ici, au Canada, ainsi que les exigences qu'on vous impose par rapport à celles qui ont cours d'autres pays? Quel pays est le plus sécuritaire, d'après vous?
[Traduction]
M. Hancox: D'après ce que nous savons, il y a une grande uniformité entre la sécurité et la sûreté au Canada et dans les autres pays nucléaires; il n'y a pas beaucoup de différence. Bien sûr, on procède différemment pour atteindre le même résultat. Comme je l'ai dit dans mon intervention, la CCEA envisage la réglementation sous l'angle des exigences et cela a été très efficace. En revanche, aux États-Unis, on a plutôt adopté une formule éminemment prescriptible en matière de sécurité. Il ne nous semble pas y avoir de différence notable de sécurité selon que l'on emploie l'une ou l'autre formule.
[Français]
M. Deshaies: Mais quand même, on a de l'information sur les pays de l'Est, l'URSS en particulier ou la Roumanie, et on peut comparer ces installations-là avec les installations canadiennes, qui ont parfois eu des problèmes, elles aussi. Est-ce qu'on ne peut pas situer le Canada dans une échelle?
[Traduction]
M. Hancox: Si vous parlez de l'ancienne Union soviétique, oui, il est évident que la manière était très différente là-bas, aussi bien en ce qui concerne la conception des installations que pour le mode d'exploitation. Je pense qu'ils prennent des mesures qui se rapprochent de la manière occidentale. C'est une exception.
En Roumanie, où la première centrale CANDU vient d'être mise en route et fonctionnera prochainement à 100 p. 100 de ses capacités, nous avons fourni un réacteur qui, comme Mme Bishop l'a dit tout à l'heure, recevrait une licence au Canada. La Roumanie a beaucoup fait pour mettre en place un organe de réglementation compétent et collabore énergiquement avec la CCEA pour assurer l'excellence de son régime réglementaire. C'est donc une exception dans l'ex-monde soviétique.
[Français]
M. Deshaies: Avez-vous l'impression que le nouveau projet de loi vous rendra moins compétitifs? Quelle est votre évaluation de ce projet de loi? Vous avez dit qu'il faudrait peut-être une certaine latitude. Quelle latitude vous faudrait-il pour que vous soyez compétitifs?
[Traduction]
M. Hancox: Si l'on considère la situation aujourd'hui, nous n'estimons pas que la réglementation nous rend non concurrentiel. Mme Bishop l'a dit, la tendance est très forte sur la scène internationale en faveur de l'harmonisation de la réglementation. Il s'agit plus d'une mise en garde pour l'avenir que pour la situation actuelle; c'est davantage l'évolution du régime réglementaire et la façon dont il s'adapte par rapport à notre régime. Nous pensons que s'il y a un bon processus de consultation - ce qui a été le cas jusqu'ici et continuera de l'être, je l'espère - et s'il y a un mécanisme quelconque d'arbitrage, il devrait être possible de faire face à ces questions.
Voulez-vous ajouter quelque chose à cela, Dave?
[Français]
M. Deshaies: Croyez-vous qu'à des fins de transparence, au moins un poste du conseil d'administration devrait être occupé par l'industrie et un autre par le public?
[Traduction]
M. Hancox: L'expérience des dernières dizaines d'années montre que la CCEA a bien fonctionné et donné de bons résultats. Je ne crois pas qu'il soit particulièrement nécessaire d'avoir des représentants de l'industrie à la commission.
Le vice-président (M. Thalheimer): Monsieur Ringma.
M. Ringma: Monsieur Hancox, excusez-moi si je vous pose une question toute simple - je suis nouveau au comité. Dans quelle mesure l'EACL a-t-elle été consultée pour la préparation du C-23?
M. Hancox: On a consulté divers ministères au début de la préparation de la nouvelle loi, et nous avons été invités lors de ce processus.
M. Ringma: Vous estimez-vous satisfaits de l'ampleur de la consultation?
M. Hancox: Oui. Je crois que cela a été suffisant.
M. Ringma: Estimez-vous que la loi sous la forme où elle sera sans doute adoptée est satisfaisante?
M. Hancox: La perfection n'est pas de ce monde, évidemment.
M. Ringma: Bien sûr. Quelles sont vos réserves? N'avez-vous pas parlé d'un processus d'arbitrage?
M. Hancox: Ce sont des questions qui seront importantes lorsqu'on commencera à appliquer la loi. Les résultats dépendront beaucoup de l'ampleur des consultations lors de la préparation des nouveaux règlements. Un processus d'arbitrage efficace, à notre avis, sera très important. Cela reste à voir. Nous espérons que l'on tiendra sérieusement compte de cette suggestion plus tard.
M. Ringma: Très bien, merci.
M. Hancox: Mon collègue voudrait ajouter une dernière chose.
M. David Torgerson (vice-président, Recherche et développement des produits, Énergie atomique du Canada Limitée): Une chose dont il faut tenir compte ici, et qui est prévue, c'est le coût de la réglementation, puisque c'est plus ou moins le principe de l'utilisateur-payeur. Normalement, c'est l'acheteur qui fixe le prix, mais ici c'est le vendeur qui fixe le prix - le coût de la réglementation. C'est pourquoi nous tenons évidemment à ce qu'il y ait un processus de consultation avec le nouvel organisme, la commission, pour l'établissement des frais et pour veiller à ce qu'ils soient fixés de façon rentable.
Le vice-président (M. Thalheimer): Monsieur Reed, voulez-vous intervenir?
M. Reed: Merci, monsieur le président.
Vous avez dit que vous alliez passer au recouvrement des frais. Pourriez-vous dire de quel ordre ils sont et quels sont les secteurs touchés?
M. Hancox: Le coût de la réglementation est composé de deux éléments. Il y a d'abord les droits qui sont imposés aux installations pour l'octroi de permis. Il s'agit d'un coût que l'on n'avait pas à payer par le passé. Ensuite, il y a un élément qui est beaucoup plus difficile à quantifier - ce sont les coûts encourus pour répondre aux questions, pour faire des présentations, pour mener les activités quotidiennes se rapportant aux inspecteurs, à l'organisme de réglementation. Il est certain que depuis plusieurs années, nous constatons une augmentation très importante des coûts associés aux permis que doivent obtenir nos différentes installations.
M. Reed: Il y a quelques années, on a repéré un défaut de conception de la calandre du CANDU pour ce qui est du dudgeonnage. À Pickering, ce défaut s'est manifesté par la flexion des tubes, et on a dû installer de nouveaux tubes à Pickering, ce qui a coûté très cher. À la suite de cela, lorsque j'ai été autrefois membre d'un comité spécial d'Hydro Ontario, l'on nous a dit que le défaut de conception avait été corrigé. Par conséquent, on est allé de l'avant avec Bruce A. Apparemment, il n'y a pas eu de flexion des tubes à Bruce A; ils ont tout simplement pris de l'expansion au bout.
J'en arrive à ma question. Il y a probablement eu d'autres générations du CANDU depuis ce temps. Pouvez-vous nous dire si le problème a été corrigé?
M. Hancox: Je vais demander à mon collègue, qui est expert dans ce domaine, de bien vouloir répondre à la question.
M. Torgerson: Certainement. Au début, les tubes utilisés à Pickering I et II étaient fabriqués avec un alliage différent de celui qui est utilisé aujourd'hui, qui est beaucoup plus solide, plus résistant à la corrosion et qui dure plus longtemps. Cet alliage amélioré est le fruit de nos programmes de recherche. À Pickering I et II, l'ancien alliage a été remplacé par le nouveau, lorsqu'on a installé les nouveaux tubes dans ces réacteurs. Nous sommes persuadés que la composition et la conception de ces tubes de force sont très solides. Nous sommes persuadés que ces tubes vont durer 30 ans.
M. Reed: J'ai une autre question, monsieur le président. Des représentants d'Hydro Ontario ont déjà dit - et je ne sais pas si c'est toujours le cas - qu'ils n'ont pas l'intention de renouveler les licences pour les réacteurs à Bruce. Autrement dit, ces centrales nucléaires seront fermées graduellement. Voulez-vous faire un commentaire à cet égard?
M. Hancox: Je pense qu'il n'y a qu'une unité qui a été fermée à Bruce. Il s'agit de l'unité II de la première centrale.
M. Reed: Oui.
M. Hancox: Que je sache, c'est la seule unité qui a été fermée.
Il y a plusieurs années, lors des travaux d'entretien à Bruce, on a laissé une couverture de plomb dans un générateur de vapeur, ce qui a provoqué la corrosion et des fissures de certains des tubes du générateur de vapeur. Pour réactiver ce réacteur, il faudrait remplacer ces chaudières ou ces générateurs de vapeur. Hydro Ontario n'a pas encore décidé de le faire.
Que je sache, c'est le seul réacteur pour lequel l'on pose la question de savoir si oui ou non les tubes seront remplacés.
M. Reed: Merci, monsieur le président.
Le vice-président (M. Thalheimer): Y a-t-il d'autres questions? Non.
Je vous remercie, messieurs, d'être venus et de nous avoir donné tant de renseignements.
M. Hancox: Merci.
Le vice-président (M. Thalheimer): La séance est levée. La prochaine réunion du comité aura lieu à 11 heures mardi prochain.