[Enregistrement électronique]
Le mercredi 4 décembre 1996
[Traduction]
Le président: La séance est ouverte.
Pendant que nous attendons le ministre des Finances, nous aurions une ou deux questions à régler. Après le témoignage du ministre des Finances, l'ébauche du rapport nous sera remise. Je voudrais que nous poursuivions la séance à huis clos pendant quelques minutes pour en discuter, et nous ajournerons ensuite nos travaux, peut-être pour le reste de la semaine.
Je vous souhaite la bienvenue au Comité des transports, monsieur le ministre. Comme vous le savez, nous discutons de la question du commerce, du transport et du tourisme.
Un sujet qu'un grand nombre de témoins ont abordé est celui du réseau routier national, c'est-à-dire le réseau qui sert aux échanges commerciaux entre les provinces ainsi qu'entre le Canada et les États-Unis. Je crois que les membres du comité s'entendent pour dire qu'il faut prendre des mesures pour accélérer la réfection du réseau. On craint que les provinces, si elles sont laissées à elles-mêmes, ne soient pas à la hauteur ou ne puissent pas agir aussi rapidement que l'exige l'état de l'infrastructure.
Il nous a été signalé notamment que, si le gouvernement fédéral intervient, il a des moyens de le faire sans compromettre la poursuite de notre objectif de maîtrise du déficit.
Je vous suis vraiment reconnaissant, monsieur le ministre des Finances, d'avoir bien voulu venir rencontrer le comité. Je vous invite à faire un exposé d'ouverture. Je sais que les membres du comité auront beaucoup de questions à vous poser ensuite.
L'hon. Paul Martin (ministre des Finances): Je vous remercie beaucoup, monsieur le président. Je vous prie de m'excuser d'être arrivé avec quelques minutes de retard. Je puis vous dire, à vous qui êtes président du Comité des transports, que, si l'ascenseur de cet immeuble était un peu plus rapide, je serais arrivé un peu plus tôt.
Je vais aborder la question précise que vous avez soulevée, mais je voudrais au préalable la situer dans un contexte un peu plus large.
[Français]
Monsieur le président, lorsqu'on m'a proposé de comparaître devant le Comité permanent des transports, j'ai accepté l'invitation avec plaisir.
Le thème que vous avez choisi pour vos audiences, c'est-à-dire le transport et son rapport avec le commerce et le tourisme, est très stimulant, et je dois dire que j'ai hâte d'obtenir les résultats de vos délibérations.
La stratégie financière et économique du gouvernement, comme je l'ai récemment indiqué au Comité permanent des finances, suscite vraiment trois tâches que nous estimons essentielles à l'atteinte de nos objectifs: d'abord, redresser les aspects fondamentaux des finances et de l'économie, ensuite s'assurer que nos programmes sociaux de base puissent être soutenus à long terme, et enfin offrir aux Canadiens et aux Canadiennes l'aide dont ils ont besoin pour tirer profit de l'économie moderne.
J'ai aussi précisé que la lutte contre le déficit et la dette n'était pas une fin en soi. C'est un moyen d'atteindre notre but ultime, c'est-à-dire l'avènement d'un pays dont l'économie est en pleine croissance, un pays où les perspectives d'emploi sont meilleures et une société fondée sur l'équité et sur la compassion.
[Traduction]
Monsieur le président, comme les membres du comité le savent pertinemment, le secteur des transports a joué un rôle important dans la poursuite des objectifs du gouvernement. Plus précisément, le secteur des transports a été à l'avant-plan des efforts de restructuration du gouvernement, l'objectif de base étant de transformer le rôle de Transports Canada, qui doit être non plus le propriétaire et l'exploitant de services de transports, mais le responsable de l'élaboration de la politique et de la réglementation, et un locateur.
Nous nous sommes retirés de domaines où la présence de l'État ne s'impose plus, et nous avons conçu de nouvelles approches, des manières nouvelles et meilleures de faire des affaires. Nous avons notamment privatisé le CN, commercialisé les services de navigation aérienne, en ce qui concerne tant la propriété que l'exploitation, cédé des responsabilités à d'autres niveaux de gouvernement et même cédé au secteur privé le transport et certains services régionaux et locaux comme des aéroports et des ports, et enfin restructuré les activités que le gouvernement conserve pour en améliorer l'efficience et l'efficacité.
Pour cette raison, parmi d'autres, nous avons la conviction que le comité a le droit de s'interroger sur l'orientation à venir du secteur des transports et ses relations avec les autres composantes de l'économie.
Je crois comprendre, pour revenir sur ce que vous avez dit, monsieur le président, que l'un des grands thèmes de votre travail a été le rôle des routes. Dans ce contexte, vous avez examiné, je crois, le travail qu'ont accompli les ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux pour définir les travaux de réfection qui s'imposent dans le réseau routier national. Nous sommes aussi au courant des instances présentées par l'Association canadienne des automobilistes, entre autres, pour que le gouvernement fédéral participe beaucoup plus au financement du réseau routier national au moyen de taxes d'accise sur le carburant dont les recettes seraient affectées au réseau routier, ou au moyen d'importantes dépenses directes.
Monsieur le président, je ne peux sans doute pas me départir de mon rôle de ministre des Finances. Lorsque nous étudions des questions comme celles-là, il ne faut pas perdre de vue que tous les gouvernements au Canada, fédéral, provinciaux et municipaux, font face à de lourdes contraintes financières. Le gouvernement fédéral, même s'il a accompli des progrès dans la réduction de son déficit, est dans une situation financière plus difficile que celle des provinces. Voici par exemple quelques chiffres auxquels je vous invite à réfléchir. Le rapport entre la dette fédérale et le PIB est trois fois plus élevé que ce n'est le cas pour la dette des provinces. Le rapport entre notre dette et le PIB est d'environ 75 p. 100. Dans le cas des provinces, le rapport est en moyenne inférieur à30 p. 100. Au niveau fédéral, les frais d'intérêt sur la dette absorbent 35 p. 100 des recettes, ce qui est bien supérieur aux 14 p. 100 des provinces.
[Français]
C'est pourquoi il est difficile de voir comment le gouvernement fédéral pourrait consacrer de nouvelles sommes importantes au secteur des transports, particulièrement aux routes.
Même si les routes sont principalement de compétence provinciale, les dépenses qui y sont actuellement consacrées par le gouvernement fédéral s'élèvent à environ 300 millions de dollars par année, auxquels s'ajoutent environ 100 millions de dollars par année pour la réfection des routes et des ponts appartenant au gouvernement fédéral.
[Traduction]
Sauf votre respect, les augmentations d'impôt ne sont pas la solution non plus. Un certain nombre de membres du comité ont signalé à d'autres tribunes que les Canadiens n'ont de toute évidence aucune envie de subir des augmentations d'impôt ou de taxe de quelque nature que ce soit. En outre, il existe une difficulté fondamentale à réserver des recettes fiscales à des fins précises comme les routes - ce qu'il est convenu d'appeler des impôts spécialement affectés - parce qu'elles limitent notre marge de manoeuvre budgétaire pour réaménager les activités en fonction de l'évolution des priorités.
Pour ces raisons, monsieur le président, je crois que le travail du comité est de la plus haute importance. Ce qui est clair, c'est que l'ancienne manière de faire les choses ne marche plus. Les anciennes méthodes qui consistaient à lever des impôts et à dépenser ne valent plus. L'avenir est du côté des approches nouvelles et innovatrices.
Depuis novembre 1993, nous avons fait la preuve d'une très grande créativité dans la recherche de solution pour soulager le système des transports de l'héritage du passé, un héritage qui a paralysé la croissance et entravé la compétitivité. Il nous faut désormais faire preuve de la même créativité pour relever les défis de l'avenir. Nous devons redécouvrir les vertus du partenariat et de l'innovation dans le secteur des transports tout comme nous devons le faire pour relever les défis qui se posent au Canada dans d'autres domaines, qu'il s'agisse de la recherche et du développement, des services de santé, des besoins des enfants ou de l'expansion des débouchés commerciaux.
L'une des idées les plus intéressantes - et je sais que cela préoccupe beaucoup les membres du comité - est la promotion de partenariats entre les secteurs public et privé, notamment des contrats de construction-exploitation-transfert. Dans le monde entier, on étudie de plus en plus les partenariats entre les secteurs privé et public. Ces arrangements présentent des avantages considérables sur les plans de l'efficacité et des coûts dans la prestation de services d'infrastructure.
Le fait d'établir les prix en fonction du coût de revient aide à modérer la demande et permet une affectation plus efficace des ressources. Les partenariats des secteurs public et privé peuvent donner aussi l'occasion de réaliser des économies. Au Royaume-Uni, où cette formule est largement utilisée dans tout un éventail de systèmes et de services d'infrastructure, on a signalé des économies d'au moins 15 à 20 p. 100 au cours des dernières années.
L'expérience du gouvernement fédéral à cet égard a été, bien que limitée, généralement bonne. Le pont de la Confédération qui reliera l'Île-du-Prince-Édouard au Nouveau-Brunswick et sera inauguré au début de l'été prochain a été conçu et construit, et sera exploité par le secteur privé dans le cadre d'un contrat de construction-exploitation-transfert. On peut également considérer comme des exemples de cette approche les nouveaux partenariats que nous avons conclus avec les autorités aéroportuaires locales pour exploiter et gérer les aéroports, ce qui comprend aussi les nouvelles immobilisations et la commercialisation intégrale de NAVCAN.
Au niveau provincial, on trouve des exemples intéressants dans le domaine des transports routiers. On remarque en Ontario la conception, la construction et l'exploitation de la route 407 et, en Nouvelle-Écosse, le prolongement de la route 104.
Je vais conclure là-dessus, monsieur le président. Les partenariats entre les secteurs public et privé ne sont pas une panacée. Mais ils ont de bonnes chances de donner de bons résultats lorsqu'il s'agit de projets précis dans lesquels le secteur privé entrevoit des possibilités de rendement suffisantes pour qu'il assure le financement. Cette approche présente donc ses difficultés propres, comme l'imposition, parfois, de frais aux usagers ou plus particulièrement de péages sur les routes ou une participation immédiate du secteur public par le financement des immobilisations ou le versement de paiements.
Ce sont des défis qu'il ne faut pas hésiter à relever. En somme, étant donné les besoins, dans le secteur des transports, de gouvernements à court d'argent et de contribuables fatigués des impôts, ces arrangements avec le secteur privé méritent d'être envisagés sérieusement et encouragés.
Le comité a pris l'initiative de cette étude, et je tiens à en féliciter son président et ses membres. Merci.
Le président: Je vous remercie, monsieur le ministre des Finances. Vous avez semblé presque sympathique, malgré une remarque que vous avez faite à mi-chemin. Nous allons maintenant voir de quoi il retourne.
Monsieur Crête.
[Français]
M. Crête (Kamouraska - Rivière-du-Loup): Je suis d'accord avec vous, monsieur le ministre, sur le fait que l'étude que nous menons nous permet d'apprendre de façon plus nette et plus claire que des choix stratégiques importants sont faits en matière de transport, dont les répercussions seront importantes dans 10, 15 ou 20 ans, particulièrement au niveau des axes de développement nord-sud et est-ouest et également au niveau de la relation entre les axes routiers et ferroviaires.
Dans le passé, il me semble que nous n'avons pas eu de politique intégrée des transport au Canada. Je sais que les lois rendent tout cela un peu compliqué, mais je voudrais savoir si vous seriez prêt à faire une analyse sérieuse des différentes possibilités de financement, privées et publiques.
On a eu des présentations intéressantes à ce sujet qui nous ont permis de faire la différences entre le mode de financement des années 1970, alors qu'on mettait massivement de l'argent public, et un mode de financement actuel où il y aurait une participation privée et publique. Il faut d'ailleurs faire une distinction très claire entre les deux. J'aimerais savoir s'il est possible de faire avancer ces idées-là au niveau du gouvernement.
Je voudrais aussi vous demander ce que vous pensez de la campagne du CAA, qui vise à fixer un pourcentage des taxes recueillies sur l'essence qui serait consacré à l'entretien des routes.
M. Martin: En ce qui concerne votre première question, monsieur Crête, la réponse est sans équivoque très positive. C'est oui. C'est d'ailleurs pour cela qu'on anticipe sur votre rapport. Je vous assure qu'aussitôt que nous l'aurons reçu, le ministre des Transports l'examinera. Soyez également assuré que nous l'examinerons aussi au ministère des Finances et que nous sommes prêts à revenir devant le comité, une fois que le ministre des Transports aura donné son opinion, pour faire avancer les travaux.
En ce qui concerne votre deuxième question, la réponse n'est pas aussi positive, malheureusement. Le gouvernement fédéral a beaucoup de difficultés, comme tous les autres gouvernements, et cela limiterait énormément notre flexibilité. Nous sommes certainement prêts à écouter quiconque veut proposer cette idée d'une taxe consacrée à l'entretien et à la réfection des routes, mais je dois vous dire que nous ne sommes pas vraiment favorables à cette idée.
M. Crête: Une autre petite question.
On nous a fait une démonstration tout à fait intéressante, particulièrement pour les régions éloignées des grands centres, où il y aurait des possibilités de financement pour ce type d'autoroute. Cela pourrait se faire dans des endroits où il y a peu de population parce que le transport routier créerait un volume de circulation suffisant. Est-ce que vous êtes sensible à cet aspect-là des choses? Il est important de se rendre compte que le problème des transports, ce n'est pas simplement de permettre à des gens de se déplacer dans les endroits où il y a beaucoup de monde; il faut aussi trouver un moyen de donner une nouvelle vitalité aux régions éloignées des grands centres.
M. Martin: Là encore, monsieur Crête, ma réponse sera certainement positive, pour les mêmes raisons que les vôtres. Il faut redonner vie aux régions éloignées des grands centres urbains. Mais cela soulève aussi des questions. Je dois vous dire que je ne suis pas ici simplement pour répondre à des questions, mais aussi pour poser des questions parce que vous avez des experts autour de la table.
La seule chose qui m'inquiète dans tout cela, c'est l'exemple de la grande route à péage près de l'aéroport Dulles à Washington qui marche très mal parce qu'il y a une route parallèle concurrente. Nous ne voudrions pas nous retrouver dans une telle situation.
M. Crête: Je peux répondre à cela en vous disant que nous avons eu une très bonne présentation sur les conditions qu'il faut remplir pour assurer le succès de l'opération. Il faut d'abord s'entendre avec les usagers et avec la province pour que tout le monde s'engage à passer par cette route, en particulier les camions. La première condition est donc d'obtenir un accord.
M. Martin: Dans ce cas-là, je suis très ouvert à cette idée. Mais M. Crête doit comprendre qu'il n'est peut-être pas facile d'obliger un transporteur à faire quelque chose ou de s'immiscer dans un domaine de compétence provinciale.
M. Crête: J'ai très bien compris que tous ces changements devront se faire un peu dans l'esprit de l'entente sur le programme d'infrastructure. Je vais poser ma dernière question.
Est-ce que vous pensez que ces décisions pourront être prises dans le respect des compétences des provinces comme du fédéral dans ce domaine-là? Quelles sont les meilleures modalités qui nous permettront de réaliser tout cela dans la cohésion et la bonne entente?
M. Martin: Je pense que vous venez de le dire vous-même. Vous avez répondu à votre question, à savoir qu'au début, il va falloir que les deux niveaux de gouvernement s'assoient et s'entendent sur les modalités. D'ailleurs, je pense qu'on a assez d'ententes fédérales-provinciales pour penser avec confiance que cela pourra se faire.
M. Crête: C'est un beau domaine pour le partenariat, quel que soit le statut du Québec.
[Traduction]
Le président: D'accord, monsieur Gouk.
M. Gouk (Kootenay-Ouest - Revelstoke): Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur le ministre, d'avoir accepté de comparaître. C'est la première occasion qui m'est donnée de m'entretenir avec vous dans un contexte à peu près exempt d'esprit de parti.
Réglons tout de suite une chose: je suis favorable à l'idée de partenariats entre les secteurs public et privé dans certaines situations. Ils peuvent être très bénéfiques pour nous tous.
Mon sujet favori, c'est cependant la taxe sur le carburant spécialement affectée. Nous avons effleuré le sujet aujourd'hui en parlant du carburant d'aviation. Mais je vais laisser de côté ce carburant pour le moment. Nous y reviendrons plus tard d'une manière ou d'une autre.
Venons-en aux routes. Dans les travaux de n'importe quel comité, je me suis toujours dit que, si on tient des audiences et que presque tous les témoins disent la même chose, le comité a au moins l'obligation d'en faire rapport et de fonder là-dessus certaines de ses recommandations. Or, l'affectation spéciale d'une taxe sur le carburant est justement une chose que tout le monde réclame.
Vous avez vous-même dit aujourd'hui que le gouvernement fédéral consacrait environ 300 millions de dollars par année à l'infrastructure routière, mais, dans ma seule province, la Colombie-Britannique, le gouvernement fédéral perçoit près du triple de ce montant en taxes sur les carburants. Les gouvernements provinciaux ont leur rôle à jouer aussi, mais notre fonction à nous est de nous interroger sur le rôle des pouvoirs fédéraux.
Je crois que ce que vous avez dit est juste. Nous ne pouvons pas dire du jour au lendemain: désolés, mais nous allons verser dans un fonds spécialement réservé à peu près 5 milliards de dollars. Pourtant, il faut commencer à le faire. Je crois que c'est la solution. Si l'économie tournait mieux, je serais en faveur d'une transition rapide. Vous avez toutefois raison de dire que l'économie est très fragile et que la transition devra se faire lentement. Je n'en pense pas moins que c'est la bonne solution, et qu'il faut commencer à mettre en oeuvre des mesures qui vont en ce sens.
Convenez-vous que nous devrions au moins examiner la possibilité d'amorcer la mise en oeuvre de cette idée, même si on ne conserve au départ que un ou deux cents sur dix?
M. Martin: Je dois dire que, ayant été ministre des Finances pendant trois ans, j'ai sans doute beaucoup plus de mal à accepter l'idée de taxes spécialement affectées que lorsque je siégeais dans l'opposition. Il est probable que, lorsqu'on prend un poste comme celui-là, la façon de penser change.
M. Gouk: Je me suis toujours demandé ce qui se passait.
M. Martin: Oui, mais il est concevable, monsieur Gouk, que vous n'aurez jamais à vivre cette expérience.
M. Gouk: Vous avez raison. Je n'ai pas l'intention de devenir ministre des Finances.
M. Martin: Néanmoins, votre question demeure très valable, et vous la formulez très bien. Ce n'est pas vraiment une solution que nous envisagerions d'appliquer maintenant, simplement parce que le plus important - et je sais que vous êtes d'accord - est de régler notre problème financier fondamental et que nous ne devrions pas en ce moment réduire notre marge de manoeuvre.
Si je vous ai bien compris, ce que vous proposez, étant donné ce problème, c'est de commencer à appliquer ce genre de mesure de façon très modeste et d'en étendre progressivement l'application.
M. Gouk: C'est juste.
M. Martin: Ce que je dois vous répondre, monsieur Gouk, c'est que vous avez très bien posé la question. Un jour viendra où nous aurons une plus grande marge de manoeuvre, et nous pourrons peut- être alors envisager votre proposition. Mais, selon moi, nous devrions dégager des excédents raisonnablement importants avant que je puisse envisager cette idée. Permettez-moi d'être très clair avec vous, car vous avez posé la question dans l'esprit qui convient, et c'est dans le même esprit que je tiens à répondre.
M. Gouk: Nous nous sommes interrogés entre autres choses sur la relation de cause à effet. La question a été soulevée par les témoins et nous l'avons nous-mêmes examinée. Si nous dépensons un dollar maintenant, si difficile puisse-t-il être de trouver ce dollar, vu toutes les dépenses que nous avons à faire, nous pourrions réaliser des économies supérieures à ce dollar majoré des frais d'intérêt, car c'est toute la situation financière qui est transformée, si nous faisons des réparations mineures à des infrastructures qui exigeront plus tard des travaux très importants. C'est là un message qui est ressorti très clairement de beaucoup de témoignages.
Transposons la problématique dans un autre mode de transport, le chemin de fer. Beaucoup de marchandises sont transportées par la route alors que, de l'avis de bien des gens, le train conviendrait mieux. Mais les chemins de fer sont aux prises avec les mêmes problèmes, bien entendu. Ils ont des frais généraux. Dans le cas des compagnies ferroviaires, on ne demande pas que le produit des taxes sur le carburant soit spécialement affecté à l'infrastructure ferroviaire, parce qu'elles se chargent elles-mêmes de leurs infrastructures. Ce qu'elles demandent par contre, c'est pourquoi au juste, dans ces conditions, elles paient ces taxes sur le carburant.
Je sais que vous ne pouvez pas vous passer du moindre dollar. Je le comprends. Mais, de la même manière, si la perception d'un dollar entraîne des difficultés qui coûteront le triple, nous devrions peut-être réexaminer ces choses dans l'ensemble de ces contextes - la taxe spécialement affectée au réseau routier, et une réduction éventuelle des taxes sur le carburant pour le réseau ferroviaire.
M. Martin: Dans ma première réponse à votre question, j'ai dit que nous serions peut-être en mesure - ce qui n'est pas le cas en ce moment - d'envisager votre proposition lorsque nous dégagerions d'importants excédents. Ce n'est pas que vous ayez tort de dire que, si on dépense un dollar maintenant, on pourrait fort bien réaliser par la suite des économies de cinq dollars. Vous n'avez pas du tout tort. Le problème, c'est que cela ne vaut pas que pour les routes, mais aussi pour une multitude de projets dont les gouvernements devraient s'occuper.
Je dirais que, si nous adoptons cette idée, nous allons devoir dresser une longue liste de priorités, et nous n'avons pas en ce moment l'argent nécessaire pour procéder de cette manière.
Ce que je voudrais toutefois vous dire, au fond, et je crois que ce sera très important, c'est qu'il y aura une deuxième étape dans le débat sur la situation financière au Canada. Nous dépasserons alors la question du déficit pour nous interroger sur le rapport entre la dette et le PIB, sur le pourcentage du PIB que la dette représente. À ce moment-là, l'argument que vous présentez deviendra très important. Nous nous demanderons alors quel est le meilleur usage que nous puissions faire de notre argent. Est-ce qu'il vaut mieux réduire les impôts? Rembourser une partie de la dette? Ou le meilleur usage sera-t-il ce que vous avez proposé, c'est-à-dire réparer des éléments importants de l'infrastructure parce que cela permettra d'améliorer beaucoup plus le rapport entre la dette et le PIB?
Je suis désolé de prendre tant de temps, monsieur le président, mais les questions de M. Gouk me paraissent excellentes. Le problème consiste à choisir le moment opportun.
M. Gouk: Je suis d'accord. À propos de moment opportun, il me sera beaucoup plus facile de traiter avec le ministre si j'attends qu'il y ait des excédents budgétaires.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Gouk. Je suis tenté de répondre, mais, pour la gouverne de tous ceux qui sont ici présents, je signale que le timbre est en train de sonner. Nous allons y veiller et nous ferons en sorte que vous puissiez partir à temps pour aller voter sur la modification de la clause 17.
Monsieur Jordan.
M. Jordan (Leeds - Grenville): Je pensais que vous alliez dire que vous seriez mort avant que les excédents budgétaires ne se matérialisent.
Monsieur le ministre, je suis très reconnaissant du bien que vous avez dit de notre comité, car je suis convaincu de la grande importance du Comité des transports dans un pays tel que le nôtre. Le Canada est un pays exportateur très vaste, et nous devons assurer pour les personnes et les marchandises des moyens de transport sûrs.
Nous avons entendu à peu près tous les points de vue possibles se rattachant aux transports, au tourisme et au commerce. Nous avons entendu la plupart des intéressés. Invariablement, on en venait à une opinion commune sur l'état de nos routes, qui est catastrophique et va en empirant. Je crois que vous êtes au courant et qu'il faudra probablement agir sans trop tarder.
Je pense toutefois que nous faisons une erreur, lorsque nous parlons de partenariat entre les secteurs privé et public. Il ne faudrait pas financer toutes les routes de cette manière. Nous pourrions financer la plupart d'entre elles comme nous le faisons maintenant. Je songe plutôt à une route nationale, à une route transnationale ou à quelque chose du genre, ce qui aurait toutes sortes d'effets bénéfiques dans l'édification de notre pays. Tous s'entendent pour dire qu'il faut y aller, mais nous en arrivons inévitablement à la conclusion que personne n'a l'argent nécessaire. C'est ce que vous nous dites.
Pour cette raison, si le besoin est réel et s'il est aussi important que nous le disons d'agir, nous devons commencer à chercher d'autres moyens de financer ces projets. À mon sens, c'est ce que nous essayons de faire ici. Ce comité est en train de se demander s'il ne serait pas préférable de cesser de faire appel aux gouvernements fédéral et provinciaux pour avoir de fortes sommes, et aux municipalités aussi, pour avoir une contribution modeste. Je crois que nous ne ferons jamais rien si nous attendons des résultats de ce côté. Nous devons chercher une autre façon d'aborder toute la question de la construction. Il ne me paraît pas inconcevable que le comité soit disposé à se lancer dans cette direction.
Il ne suffit pas d'être conscient du problème. Il est temps de faire quelque chose de concret. Tout n'a pas à se faire en un jour. Les efforts peuvent s'échelonner sur une certaine période, avec un plan de financement à long terme de la construction routière.
Nous avons parlé d'une taxe sur le carburant, mais vous avez exclu cette possibilité. Elle n'est probablement pas envisageable. La solution à privilégier est sans doute d'affecter à ces travaux une partie des recettes que vous percevez déjà. En ce moment, vous recueillez des milliards auprès des usagers des routes. Pourquoi ne pas en réinjecter une partie dans le réseau routier? Sauf erreur, vous dites qu'il y a tellement de secteurs où on peut dépenser cet argent qu'il est fort peu probable qu'il sera injecté dans le réseau routier.
Nous pourrions revenir au principe du paiement par l'usager. Je ne suis pas sûr de ne pas pouvoir dire le contraire de M. Gouk là-dessus. Je peux voir les représentants des chemins de fer sourire.
J'ai l'impression pour ma part que les routes n'ont pas été construites pour les lourdes charges qu'on y transporte aujourd'hui. Je ne sais pas trop ce que nous pouvons y faire, parce que toutes les entreprises s'occupent du transport des marchandises et disent qu'elles doivent livrer concurrence. Qui paie? Je l'ignore, mais je pense que les compagnies ferroviaires seront heureuses de constater que l'idée de... Les lignes ferroviaires sont la plupart du temps inutilisées. Mais les routes parallèles à ces lignes sont tellement encombrées qu'on a du mal à y avancer. Quelque chose a déraillé quelque part, si on peut dire.
Je suis heureux de vous entendre dire que notre comité est important. Je pense qu'il est aussi important que le Comité des finances, et peut-être plus.
Le président: Voulez-vous répondre, monsieur le ministre? Le temps presse.
M. Martin: Je ne vais rien dire du Comité des finances. Je risque d'avoir des ennuis. Je vais me contenter de dire que, à entendre MM. Crête, Gouk et Jordan, il y a visiblement une assez grande unanimité. Ce n'est pas une situation agréable pour le ministre des Finances.
Le président: Je ne vais certainement pas dire le contraire.
Monsieur Cullen.
M. Cullen (Etobicoke-Nord): Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur le ministre, d'avoir accepté de comparaître. Je vous en suis personnellement très reconnaissant. Cela va nous donner la confiance nécessaire pour étudier ces questions difficiles et complexes au cours des prochains moins.
J'ai un certain nombre de questions à poser, mais je vais commencer par deux. De l'avis de certains, ce sont les emprunts du gouvernement fédéral qui sont le moyen le plus économique d'obtenir les capitaux nécessaires au financement. Au cours de nos discussions sur le partenariat entre les secteurs privé et public, d'autres ont fait ressortir un certain nombre d'avantages sur le plan de l'exploitation, en ce qui concerne la valeur de rendement de l'argent et son actualisation. En réalité, si on examine le partenariat entre les secteurs privé et public, le coût réel du capital pourrait dans bien des cas être inférieur. Voudriez-vous commenter?
M. Martin: Oui, je crois que vous avez raison. Il y a deux éléments. Premièrement, cela peut dépendre du taux d'escompte. Cela dépend des garanties de recettes qu'on peut obtenir du secteur public. Il y a eu aussi, bien entendu, des projets où le secteur privé s'est chargé de la conception et de la construction, mais où la garantie a été donnée par le secteur public, en fin de compte. Il est donc possible d'assurer le financement. Par ailleurs, il peut y avoir des avantages si appréciables qu'ils compensent le coût plus élevé des capitaux. Je crois que c'est un problème qui peut se régler, monsieur Cullen.
M. Cullen: Merci. Comme j'ai un peu d'expérience en finances publiques, je peux comprendre vos hésitations à accepter une taxe spécialement affectée. Pour ma part, je n'y vois pas une panacée. C'est pourquoi nous envisageons le partenariat entre les secteurs privé et public. Je suis heureux de vous entendre dire qu'il y a des possibilités du côté de ce type de partenariat.
Vous avez fait remarquer, monsieur le ministre, que le partenariat entre les secteurs privé et public n'est pas une panacée. Divers facteurs sont en cause comme la densité de la circulation dans différentes zones, l'intérêt privé et le bien public. Vous semble-t-il possible d'aborder la question sous un angle plus régional? Autrement dit, il faudrait voir si le secteur privé peut mettre en place et financer ce qui semble être dans l'intérêt privé. Il pourrait être nécessaire que les zones à forte circulation interfinancent certaines zones où il y a moins de circulation.
La question pourrait être abordée de façon plus globale. Comme Jim l'a dit, nous pourrions envisager une sorte de réseau routier national. Serait-il possible d'envisager une approche comme celle- là? Au bout du compte, il faudrait peut-être que le gouvernement fédéral et les provinces interviennent quand même pour participer au financement des éléments que le secteur privé ne peut pas financer. Croyez-vous qu'il y a des possibilités de cet ordre?
M. Martin: Oui, je le crois, mais je serai très brutal. Nos seules limites sont celles de notre imagination. En ce qui me concerne, je suis ouvert à toutes les idées, et c'est pourquoi je suis aussi enthousiaste. Je crois que le comité est peut-être en train de défricher de nouveaux territoires, et cela explique l'empressement avec lequel j'ai accepté votre invitation.
Le président: Monsieur Fontana.
M. Fontana (London-Est): Merci, monsieur le président. Merci d'être là, monsieur le ministre.
Permettez-moi de revenir à notre thème. Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites que les limites sont celles de notre imagination. Nous sous-estimons peut-être le public. Si je le dis, c'est parce qu'il peut faire la différence entre une taxe, des frais d'utilisation et un investissement public. Je crois que nous rendons un mauvais service lorsque...
Comme vous le savez, monsieur le ministre, notre pays est grand, et il dépend beaucoup du commerce. Ce que le Comité des transports essaie de faire, depuis un an et demi, c'est de voir comment nous pouvons devenir plus concurrentiels en abaissant les coûts du transport. Nous avons donc essayé de voir quels étaient les coûts du transport ferroviaire, du transport maritime et du transport aérien pour que nous soyons concurrentiels lorsque nous essayons de vendre nos produits.
Il me semble que nous devons chercher comment les transports peuvent servir notre compétitivité. Si cela veut dire que le secteur public, c'est-à-dire les gouvernements, en partenariat ou non, doit chercher des moyens d'améliorer la compétitivité, je crois qu'il nous incombe de trouver les moyens d'injecter des fonds dans ce secteur.
Nous avons peut-être employé le mot «taxe» en lui donnant une connotation très négative. J'aime à penser que les investissements dans l'infrastructure, soit l'infrastructure des transports, sont justement des investissements, car nous allons devoir payer à un moment donné, d'une façon ou d'une autre. Lorsqu'on parle d'investissement, on suppose qu'il y a un rendement. Dans notre histoire, chaque fois que nous avons aménagé des infrastructures, nous avons pu, grâce à ces dépenses, recueillir beaucoup plus de recettes fiscales. Vous parlez de taxe, mais je parle d'investissement parce que des travailleurs auront des emplois, que la croissance sera stimulée, qu'il y aura plus d'activité dans notre économie et nos entreprises.
Comme Jim et Roy l'ont dit tous les deux, si on place l'argent dans un secteur où il y aura de la croissance et des retombées favorables, on ne peut pas dire que ce sont des dépenses, mais des placements qui permettent de recueillir pour chaque dollar, deux, trois ou cinq dollars de plus en recettes fiscales.
Et je crois que les Canadiens sont prêts à accepter ce genre de proposition. Dites-moi quelle différence il y a entre les frais versés par les usagers à une société privée pour utiliser une route et une taxe spécialement affectée de 1¢ ou 1,5¢ le litre pour, en partenariat avec une province, construire une route qui sera utile au même entrepreneur, au même voyageur, au même touriste. C'est incroyable.
Je ne suis pas sûr que le simple citoyen puisse percevoir une distinction entre les frais aux usagers et une taxe. Nous devrions peut-être employer un mot différent, et le gouvernement devrait peut-être parler d'«investissement» plutôt que de «dépense fiscale». Je crois que le public pourra accepter une mesure s'il voit l'intérêt de l'investissement, surtout s'il s'agit de l'infrastructure des transports.
M. Martin: Je ne suis pas en désaccord. Nous pouvons reprendre exactement la même analogie, Joe, celle qu'a utilisée aussi M. Gouk, l'investissement qui donne un rendement. On pourrait dire la même chose au sujet de l'ouvrage de Fraser Mustard sur les enfants pauvres. Un dollar dépensé aujourd'hui pour aider les enfants pauvres dès maintenant rapportera beaucoup d'argent dans vingt ans et nous donnera une population en bien meilleure santé. Il y a une foule de possibilités comme celle-là.
Le grand avantage, et je pense que vous en discutez tous ici, c'est en fait que vous pouvez essentiellement vous dissocier de la foule et dire que le même raisonnement s'applique dans votre domaine, mais proposer des moyens de financement, ce qui témoignerait d'une grande imagination. Je crois que c'est ce que vous êtes en train de faire.
Le président: Merci.
Messieurs, nous allons lever la séance bientôt pour nous rendre voter à la Chambre.
Monsieur le ministre, je crois que vous avez réussi à couvrir tous les domaines dont le comité s'occupe. Je vous remercie d'avoir pris le temps de venir. Je vous remercie aussi de vos observations. Nous travaillons fort sur cette question du partenariat entre les secteurs public et privé. Nous allons réunir quelques personnes en janvier pour préciser les détails. J'espère que nous allons pouvoir vous présenter des recommandations avant le prochain budget.
M. Martin: J'ai hâte d'en prendre connaissance.
Je félicite de nouveau le comité. Vous êtes en train d'ouvrir de nouvelles avenues. Je vous remercie.
Le président: Merci.
Si je puis me permettre, nous allons remettre à tous les membres du comité un exemplaire du document de travail. Nous nous réunirons lundi, à 15 h 30, pour étudier le projet de loi C-58. Nous terminerons alors l'étude de ce document. Dès que nous l'aurons, il sera envoyé par messager aux bureaux des membres.
Une voix: Y a-t-il quelque chose de prévu demain?
Le président: La journée est libre. Nous nous reverrons à 15 h 30 lundi.
La séance est levée.