[Enregistrement électronique]
Le mardi 19 mars 1996
[Traduction]
Le président: La séance est ouverte.
Je souhaite la bienvenue à Mme Susan Cox, vice-présidente de l'Association canadienne des banques alimentaires. Comme vous le savez, madame Cox, nous étudions le projet de loi C-12, loi concernant l'assurance-emploi au Canada. Nous recevons volontiers les suggestions visant à améliorer le projet de loi.
Nous vous demanderons d'abord de résumer votre mémoire, après quoi il y aura une période de questions.
Merci et bienvenue.
Mme Susan Cox (vice-présidente, Association canadienne des banques alimentaires): Merci beaucoup d'avoir eu la patience de m'attendre et de m'avoir invitée.
J'aimerais d'abord vous expliquer en quoi consiste l'Association canadienne des banques alimentaires. C'est une coalition nationale à but non lucratif des banques alimentaires de tout le Canada qui collaborent en vue d'apaiser et, un jour, d'éliminer la faim. Ce sont là essentiellement nos objectifs.
De différentes façons, nous tentons de nous assurer que les Canadiens ont accès à des aliments nutritifs. Pour ce faire, nous lançons des campagnes de sensibilisation, nous recueillons des informations sur les raisons qui poussent les gens à faire appel aux banques alimentaires et nous disséminons cette information du mieux que nous le pouvons.
L'Association canadienne des banques alimentaires n'emploie qu'une personne à temps partiel dont les responsabilités sont surtout de voir à une redistribution équitable des aliments à l'échelle du pays grâce à des dons de services de transport par camions et autres moyens. Ce sont les employés et les bénévoles des banques alimentaires qui s'occupent du reste du travail et de notre programme ambitieux; c'est d'ailleurs pourquoi je suis ici aujourd'hui.
Je suis vice-présidente de l'Association canadienne des banques alimentaires, mais aussi directrice générale adjointe de la banque alimentaire Daily Bread de Toronto, la plus importante banque alimentaire du pays.
Les données les plus récentes indiquent qu'à l'heure actuelle, trois millions de Canadiens font appel aux banques alimentaires au cours d'une année - parfois une seule fois, parfois davantage. Cela représente environ 800 000 personnes qui vont chaque mois dans une banque alimentaire du Canada.
Les banques alimentaires sont des organismes de charité. Elles obtiennent rarement des fonds publics et, d'ailleurs, sont peu nombreuses à en vouloir. On les trouve généralement dans les églises et les centres communautaires. Elles distribuent des aliments dans des paniers, mais aussi par l'entremise des soupes populaires, des centres d'accueil et des clubs de petits déjeuners pour enfants. De plus en plus, elles font aussi de la prévention. Les entrevues de filtrage peuvent tout aussi bien aboutir en une intervention par les autorités locales du bien-être social ou par renvoi à un autre service. C'est ainsi que nous existons et fonctionnons.
Les banques alimentaires existent uniquement parce que les programmes sociaux et de soutien du revenu ne répondent pas aux besoins de millions de Canadiens à l'heure actuelle. Les banques alimentaires existent parce que les gens ne peuvent trouver d'emplois. Je crains que les banques alimentaires ne deviennent de plus en plus nombreuses à mesure que les différents paliers de gouvernement se déchargent de leurs responsabilités en matière de soutien du revenu, de programmes sociaux et de création d'emplois.
Nous avons examiné les changements proposés à l'assurance-chômage à la lumière de ce que nous savons sur les utilisateurs des banques alimentaires et leur recours au régime d'assurance-chômage dans le passé.
Les prestataires d'assurance-chômage ont toujours représenté une très petite minorité des clients de banques alimentaires. Ils constituent environ 3 p. 100 de tous ceux qui s'adressent aux banques alimentaires, par comparaison à 75 p. 100 ou 80 p. 100 des utilisateurs qui sont des prestataires d'aide sociale provinciale ou municipale.
Cela s'explique par le fait que l'assurance-chômage, traditionnellement, a procuré aux chômeurs un revenu suffisant, un revenu qui leur permet d'acheter la nourriture dont ils ont besoin, ce qui n'est pas le cas de l'aide sociale et ce l'est de moins en moins. Autrement dit, les prestations d'assurance-chômage suffisantes rendent inutiles les banques alimentaires. C'est la conclusion logique que nous avons tirée de notre expérience.
Nous applaudissons à certaines des mesures de réforme de l'assurance-chômage. Nous approuvons l'inclusion des travailleurs à temps partiel et autonomes. D'ailleurs, nous l'avions réclamé. Mais lorsque je vois le temps qu'il faudra pour devenir admissible à l'assurance-emploi, je me rappelle le vieil adage qui dit qu'il n'est pas toujours bon de voir son souhait exaucer. Je me demande combien de gens profiteront de cette mesure. Je me demande aussi si vous le savez. J'ai des doutes à ce sujet.
Cela modère notre enthousiasme, mais nous approuvons les mesures spéciales pour les familles à faible revenu avec enfants. Ce sont des gens qui manifestement nous préoccupent. Toutefois, ces mesures rendent le régime un peu plus semblable à un système d'aide sociale qu'à un système d'assurance.
Nous nous demandons aussi ce qu'on entend par mesures d'emploi actives sachant que 600 millions de dollars ont été supprimés du budget des ressources humaines et que 800 millions de dollars, je crois, alimentent le régime grâce aux cotisations. Je ne comprends pas très bien, mais c'est peut-être que je n'en sais pas suffisamment sur le sujet. Je vous signale seulement cette préoccupation. Je passe maintenant à nos inquiétudes concernant plus particulièrement le projet de loi.
Nous avons trois grandes préoccupations; la plus importante est celle qui touche la réduction de la durée des prestations et le relèvement des critères d'admissibilité. Dans les faits, ces mesures provoqueront une réaction de cause à effet qui entraînera une augmentation de la faim au Canada.
Les modifications et les réductions qui ont déjà été apportées au régime d'assurance-chômage ont forcé davantage des gens à demander de l'aide sociale des provinces. Parallèlement, la demande de services de banques alimentaires s'est accrue. Dorénavant, il sera plus difficile d'être admissible à l'assurance-chômage et les provinces, pour toutes sortes de raisons, se déchargent de leurs responsabilités en matière d'aide sociale.
La suffisance des prestations est manifestement cruciale, mais lorsque les prestations d'aide sociale sont insuffisantes, la demande de services des banques alimentaires augmente au point où celles-ci ne peuvent plus répondre aux besoins des nécessiteux. Toute une série d'événements reliés par une relation de cause à effet conduit à utiliser les banques alimentaires. En l'occurrence, la cause première est attribuable au relèvement des critères d'admissibilité à l'assurance-chômage.
Je n'ai pas de données pour tout le pays, mais à Toronto, par exemple, 27 p. 100 des gens qui ont eu recours à nos services avaient perdu leur emploi au cours des 12 mois précédents. De tous ces gens, seulement 25 p. 100 avaient droit à l'assurance-chômage. Seulement 25 p. 100 étaient des gens qui avaient eu recours à l'assurance-chômage auparavant et qui devaient alors compter sur l'aide sociale. C'est inférieur à la moyenne, je crois, de la province ou du pays.
Je pense aussi à mentionner que les stéréotypes sur l'assurance-chômage que bon nombre de réformes semblent viser - je pense aux prestataires fréquents et aux prestataires à court terme - correspondent précisément aux profils des gens que nous voyons tous les jours. Les gens qui viennent nous voir luttent pour survivre dans cette économie et passent fréquemment d'un emploi à temps partiel ou à court terme à un autre.
Au pied levé je dirais que 9 p. 100 des clients des banques alimentaires, par exemple, sont des ouvriers du bâtiment, qu'ils travaillent ou non. C'est une tendance qui est très typique même pour les travailleurs de bureau ou du secteur des services, car il est pratiquement impossible de nos jours de trouver un emploi stable et permanent.
La réduction de l'accès aux prestations signifie en outre que, la lutte pour la survie étant plus difficile, les familles seront de plus en plus déstabilisées. Si vous devez mendier de la nourriture régulièrement, si votre famille est dans cette situation instable, il n'est plus raisonnable de croire que vous serez disposé ou en mesure de travailler. Il faut une certaine stabilité dans sa vie pour pouvoir réintégrer rapidement et facilement le marché du travail.
On semblait croire auparavant, et on semble le croire encore aujourd'hui, qu'il faut dissuader les gens de demander des prestations d'assurance-chômage, même si environ la moitié des prestataires actuels sont au chômage. Dans les banques alimentaires, par exemple, nous constatons qu'environ 4 à 6 p. 100 de nos clients attendent leurs premiers chèques d'assurance-chômage, ce qui signifie qu'une dizaine de milliers de Canadiens doivent faire appel aux organismes de charité pendant le délai de carence.
Autrement dit, si les prestations d'assurance-chômage et d'assurance-emploi sont réduites, il y aura davantage d'assistés sociaux et, du coup, de banques alimentaires.
Nous sommes de moins en moins en mesure de répondre aux besoins de nos clients, et cela a une incidence évidente sur leur santé. Les utilisateurs des banques alimentaires nous disent déjà qu'ils se considèrent comme n'étant pas en santé, et la plupart croient qu'ils iraient mieux s'ils pouvaient manger sainement.
Le contexte dans lequel on apporte ces changements nous inquiète aussi. Je sais que ce n'est pas vraiment le sujet de vos audiences, mais lorsque nous examinons les modifications proposées à l'assurance-chômage, nous ne pouvons nous empêcher de penser que le gouvernement fédéral s'est retiré de la protection des programmes sociaux au Canada.
Nous vivons à une époque où les chômeurs font l'objet d'une grande méfiance et de nombreuses critiques. Nous vivions à une époque où on semble être satisfait d'un taux de chômage de 10 p. 100. Honnêtement, nous estimons que le gouvernement fédéral a, de bien des façons - et cela n'en est qu'une - abandonné beaucoup de gens vulnérables et sans emploi.
Et cela nous amène aussi à aborder les compressions imposées à l'aide sociale. Je viens de voir ce qui s'est fait à cet égard récemment au Manitoba, où, pour la première fois, un gouvernement provincial semble fier d'avoir réduit une prestation destinée aux enfants. Nous avons vu ce phénomène en Ontario: le recours aux banques alimentaires de cette province a augmenté d'environ 50 p. 100 de septembre dernier à la fin de janvier. Cela se produit dans le contexte de la réduction imminente des paiements de transfert, mais aussi dans le contexte de la disparition de la compassion.
Dans toutes les régions du pays, des gens qui s'adressaient aux banques alimentaires peut-être quatre fois par an, comme c'était souvent le cas en Ontario et en Alberta, doivent maintenant obtenir de l'aide trois ou quatre fois par mois. Outre le nombre accru de nos clients, nous constatons que les besoins sont plus grands et plus fréquents. Nous ne pouvons plus répondre à cette demande, et nous ne prétendons pas pouvoir le faire, je tiens à le souligner.
Un tiers des enfants de familles qui font appel aux banques alimentaires ont faim parce que leur famille ne peut acheter de nourriture. La moitié des femmes enceintes qui vont dans les banques alimentaires ont faim au moins une fois par mois parce qu'elles ne peuvent s'acheter de nourriture. Près de 70 p. 100 des parents ont faim parce qu'ils donnent le peu de nourriture qu'ils ont à leurs enfants. C'est dans cette atmosphère que nous vivons. C'est le résultat de la relation de cause à effet dont je viens de parler.
À la lumière de tout cela, notre troisième préoccupation, c'est ce qu'on fera des économies qui seront réalisées. Lorsque je parle de la faim au Canada, je parle d'une question aux dimensions morales. Je crois savoir que les dernières réformes permettront d'économiser 2 milliards de dollars d'ici à l'an 2001. Je crois aussi savoir que cet argent servira surtout à combler le déficit.
Deux milliards de dollars, c'est environ 14 fois la valeur de tous les aliments qui sont distribués par l'entremise des banques alimentaires du Canada à l'heure actuelle. Avec un milliard de dollars, on pourrait probablement fermer toutes les banques alimentaires, du moins, pour quelque temps.
Il semble que le budget prévoit une réserve de 9 millions de dollars pour les temps durs; nous nous demandons ce qu'on entend par là. Le taux réel de chômage est de 15 p. 100. Plus d'un million d'enfants vivent dans des familles qui n'ont pas les moyens d'acheter les aliments nutritifs nécessaires.
Honnêtement, ça nous afflige. Que se passe-t-il? Pourquoi avons-nous besoin d'une réserve aussi importante alors qu'il y a tant de gens dans le besoin? Est-il moralement acceptable qu'un dollar sur les trois dollars qui sont prélevés pour aider les chômeurs serve à équilibrer le budget du pays? Jusqu'à quel point les gens devront-ils souffrir avant que nous agissions?
Nos recommandations sont probablement évidentes dans ce que je viens de vous dire. Nous aimerions que ces changements ne soient pas apportés, mais nous vous exhortons surtout à repenser la réduction de la durée des prestations et le relèvement des conditions d'admissibilité, si ce n'est que parce que ces mesures feront davantage d'affamés au Canada.
Nous aimerions qu'on effectue une analyse de l'incidence de ces changements, une analyse à laquelle on consacrerait les mêmes ressources et la même attention qu'aux analyses sur les effets du déficit. Cela me semble raisonnable vu l'existence de ce que certains qualifient de déficit social.
Deuxièmement, nous recommandons que les économies provenant de l'excédent de la caisse d'assurance-chômage servent à réduire la faim et la pauvreté au Canada. Nous ne souhaitons que cet argent serve à financer les banques alimentaires. Toutefois, nous aimerions qu'il soit versé aux nécessiteux. Cela pourrait prendre la forme d'une prestation aux enfants ou d'une autre mesure quelconque servant à calmer la faim. Quoi qu'il en soit, nous aimerions que cette somme soit réaffectée.
Je sais que ce n'est pas sur ce sujet que portent vos audiences, mais nous vous recommandons le plus fermement possible qu'on instaure pour tout le Canada, des normes semblables à celles du Régime d'assistance publique, et que le gouvernement fédéral s'occupe des pauvres. Bien sûr, nous recommandons que les paiements de transfert aux provinces qui servent si souvent de prétexte pour les réductions de prestations qu'apportent les provinces, soient rétablis.
Enfin, nous vous recommandons d'établir des effectifs et de vous lancer dans des programmes dynamiques de création d'emploi. Vous devriez examiner différents secteurs. Je ne crois pas qu'il y ait une seule solution idéologique ou doctrinale. Nous avons besoin, pour régler ce problème, de meilleures ressources humaines et financières. Les clients des banques alimentaires veulent travailler. C'est ce qu'ils veulent.
J'ai été très étonnée, lorsqu'on a commencé à parler d'assistance-travail, de constater que les clients des banques alimentaires n'y voyaient pas d'objection. Pourquoi souhaitaient-ils la création d'un programme d'assistance-travail? Tout simplement parce que tout cela leu aurait donné un emploi. Comprenaient-ils vraiment qu'on les forçait à travailler en échange de leurs prestations? Non, ils voyaient simplement qu'on créerait ainsi des emplois. C'est ce qu'ils veulent tous, quelles que soient leurs compétences ou leur instruction. Les gens veulent un emploi, pas seulement de l'argent. Ils veulent travailler pour la fierté et la confiance qu'ils en retirent.
Il faut absolument cibler la création d'emplois, sinon ces changements n'auront aucun sens. Ils seraient peut-être justifiés dans un autre contexte. Ils seraient peut-être justifiés si on parvient à créer des emplois, si le gouvernement fédéral continue de protéger les pauvres, mais en l'absence de ces deux conditions, ces mesures n'ont aucun sens. Je le répète, quelques aspects du projet de loi nous satisfont, mais dans l'ensemble, nous sommes très inquiets de ce que l'avenir nous réserve. Je m'arrête ici.
Le président: Merci beaucoup de votre exposé. Vous avez soulevé des questions intéressantes.
Nous commençons la période de questions avec le Bloc québécois. Madame Lalonde.
[Français]
Mme Lalonde (Mercier): Ne trouvez-vous pas que si des aménagements devaient être faits à la Loi sur l'assurance-chômage, on devrait les faire sans coupures additionnelles? Il y a eu des coupures importantes en 1994, lesquelles représentent cette année, dans l'ensemble du Canada, 2,4 milliards de dollars. À la fin de 1996, sans qu'il y ait de nouvelles coupures, le surplus cumulatif, d'après les chiffres du gouvernement même et si on enlève les 700 millions de dollars que va retrancher cette année la nouvelle loi, sera d'au moins 4,3 milliards de dollars. Et c'est un chiffre conservateur. L'année prochaine, avec les coupures prévues dans C-17, ce fonds va atteindre des sommets qui dépassent largement celui annoncé pour la fin de 1996.
Dans ces conditions, et je reprends votre expression, ne trouvez-vous pas immoral qu'on profite d'une soi-disant réforme de l'assurance-chômage pour faire payer aux travailleurs et aux employeurs la lutte contre le déficit, alors qu'en réalité - c'est une chose qu'on ne dit pas assez souvent - , en abaissant le maximum du salaire assurable de 42 400 $ à 39 000 $, le gouvernement se prive, d'après les chiffres qu'on possède, de 900 millions de dollars par année?
On a réduit les cotisations des entreprises et des travailleurs gagnant entre 39 000 $ et 42 400 $ de 900 millions de dollars. Pour compenser, on est allé chercher des cotisations en bas. Ce sont des renseignements que nous avons obtenus au huis-clos auquel nous avons participé. Donc, ce sont des coupures additionnelles, des coupures mal ciblées. Pourquoi les personnes qui ont besoin de l'assurance-chômages et qui ne pourront pas l'obtenir devraient-elles être celles qui payent pour réduire le déficit?
[Traduction]
Mme Cox: J'abonde dans le même sens que vous, madame. J'estime que c'est une question morale.
Je vois mal comment je pourrais répondre à votre question, qui de toute façon ne demandait pas de réponse, mais de mon point de vue et du point de vue des banques alimentaires, il est tout à fait inconcevable qu'on impose ces compressions aux chômeurs.
Cela fait partie d'une série d'événements malheureux qui se produisent actuellement au Canada et que je ne saurais expliquer. J'ignore comment exprimer à quel point cela nous perturbe, et comment vous faire ressentir ce que je ressens devant les gens ordinaires, que je vois tous les jours. Ce sont des gens très ordinaires mais qui sont aussi très désespérés. Ils sont désespérés et ils ont peur parce qu'ils n'ont même pas de quoi manger et qu'ils n'ont aucun soutien.
En effet, c'est très difficile et c'est une question morale. Pourquoi prélever de l'argent à ces gens-là? Pourquoi réduire les sommes d'argent qui ont été mises de côté pour les chômeurs et s'en servir à d'autres fins? Je ne vois pas ce que je pourrais ajouter.
[Français]
Mme Lalonde: Vous dites que, d'après votre expérience, cette réforme va déstabiliser davantage les familles. J'aimerais vous entendre commenter là-dessus, parce qu'il me semble important que tout le comité sache que, lorsqu'on fait des coupures de cette façon, il en résulte des effets négatifs en termes économiques, sociaux, de santé, de santé mentale et de criminalité. Et ce n'est pas gratuit. Il y a des gens qui paient pour cela et la société peut payer lourdement.
[Traduction]
Mme Cox: Ce sont des familles tout à fait normales qui ont toujours travaillé. Lorsque les prestations d'assurance-chômage s'épuisent et que ces familles se retrouvent prestataires de l'aide sociale, elles doivent faire face à des circonstances extraordinaire pour survivre. Elles disposent de très peu d'argent, et, dans certaines provinces, cet argent ne suffit pas pour subsister. Ceux qui ne mangent pas à leur faim, manifestement, ont des problèmes de santé. Souvent, c'est le soutien de famille qui s'abstiendra de manger pour que ses enfants puissent se nourrir et c'est donc sa santé à lui qui en souffre le plus parce que les parents ont tendance à se sacrifier pour leurs enfants.
En outre, la recherche d'un emploi devient impossible lorsqu'on n'a plus les moyens d'avoir un téléphone, de prendre le transport en commun et de faire toutes ces choses tout à fait normales, comme les loisirs, qui nous permettaient de conserver une certaine estime de soi. Nous constatons que les familles des chômeurs ont tendance à s'éloigner de leur groupe d'amis. Pour bon nombre d'entre elles, la normalité de leur vie était axée sur le lieu de travail qui n'existe plus.
Les effets se font sentir à bien des chapitres. Les effets sont peut-être plus grands sur la santé mentale et la confiance en soi, qui sont très importants lorsqu'on cherche un emploi, ou sur la santé physique, ou peut-être sur les deux puisque tenter de vivre sans manger à sa faim est une lutte féroce et quotidienne.
Je sais que certains d'entre vous avez vu cela dans votre bureau de comté, mais j'aimerais que vous puissiez prendre ma place pendant une journée pour voir tous ces gens qui viennent dans les banques alimentaires. Les bénévoles eux-mêmes sont souvent des sans-emploi et des assistés sociaux. Qui d'autre est disponible toute la journée?
Je pourrais vous faire pleurer en vous racontant l'histoire de gens travailleurs, décents et tout à fait normaux qui viennent mendier de la nourriture. Les banques alimentaires rendent cela un peu moins pénible. C'est ce qu'elles font. Nous faisons ce que nous pouvons pour aider ces gens, mais c'est de la mendicité.
Le président: Monsieur McClelland.
M. McClelland (Edmonton-Sud-Ouest): Tout le monde s'entend pour dire que, lorsque les cotisations d'assurance-chômage versées par les employés et les employeurs sont trop élevées, elles deviennent une taxe qui fait obstacle à la création d'emplois, particulièrement dans un marché en déclin où la plupart des petites et moyennes entreprises ne font pas beaucoup de profits. Lorsque les charges sociales augmentent, l'emploi diminue. C'est généralement reconnu.
Cela dit, j'aimerais savoir ce que vous pensez du fait que, depuis le dépôt du rapport Forget sur l'assurance-chômage, depuis la création du régime d'assurance-chômage, on souhaite en fait en faire un véritable régime d'assurance en cas de chômage et non pas un système de remplacement du revenu. Il est plus facile de faire des prestations d'assurance-chômage un complément du revenu, même si ce n'est pas pour cela que le régime a été créé et même si cela entraîne une augmentation des cotisations.
À votre avis, ne serait-il pas préférable de prévoir un régime de revenu minimal distinct du programme d'assurance-chômage - autrement dit, de ne pas mêler les deux dans un seul et même système - afin que nous puissions régler ce problème honnêtement?
Mme Cox: Parlez-vous d'un revenu annuel garanti?
M. McClelland: Oui, précisément. Pourquoi ne pourrions-nous pas parler honnêtement d'un revenu annuel garanti et se servir de cela comme fondement pour aider les chômeurs à réintégrer le marché du travail et à briser le cycle de la dépendance systémique? Pourquoi ne parlons-nous pas de cela? Pourquoi n'avez-vous pas soulevé la question?
Mme Cox: Je n'ai pas soulevé la question parce que j'ai encore des doutes à ce sujet, en toute honnêteté. Il est toujours facile d'esquiver une question, mais je crois que le revenu annuel garanti est une arme à double tranchant.
Je dirais simplement que l'Association canadienne des banques alimentaires n'a pas adopté de position à cet égard, mais, pour ma part, j'y vois des avantages et des inconvénients. À mon avis, on risquerait d'encourager le versement de très faibles salaires que le gouvernement devrait supplémenter et de permettre aux employeurs de ne verser aux gens qu'un faible salaire.
Par contre, l'idée de créer un revenu annuel garanti est tentante. Je me souviens que Richard Nixon a été l'un des derniers à préconiser un revenu annuel garanti, et c'est peut-être cela qui m'inquiète. Évidemment, cela dépendrait des niveaux, ainsi que des autres formes de protection qui seraient prévues pour les travailleurs et pour les chômeurs.
J'imagine que c'est donc une façon polie de dire que je ne sais pas. Je ne suis tout simplement pas certaine.
Le président: Mme Augustine.
Mme Augustine (Etobicoke - Lakeshore): Sue, je tiens à vous remercier d'être venue cet après-midi et de nous avoir fait connaître le point de vue des banques alimentaires.
Je me désespère de plus en plus, non seulement lorsque je rencontre des gens dans ma circonscription, mais aussi lorsque des gens comme vous me racontent le vécu des personnes à qui vous venez en aide.
Il y a des choses importantes dans ce que nous voulons faire ici par cette réforme, et je tiens à souligner le mot «réforme». L'une des choses que nous voulons, c'est être équitable envers les personnes qui éprouvent des difficultés. Notre examen de la loi nous amène à entendre des gens qui la critique, qui parle d'assurance directe, etc., et qui en oublie la substance même de cette loi.
Comment pouvons-nous nous servir de ces mesures pour nous assurer que les familles à faible revenu aient non seulement la possibilité de travailler, mais cessent aussi de recourir aux banques alimentaires?
J'ai remué tout cela dans ma tête. Quand je lis ce texte de loi, je me dis qu'il y a là des éléments qui sont très durs. Je pense qu'il faut exempter les personnes à faible revenu, et particulièrement les familles monoparentales, des mesures qui sont trop dures.
Il faut également que vous sachiez que nous avons fait une analyse des rôles masculins et féminins. Vous voulez une étude d'impact. Nous l'avons faite: nous savons l'effet que cette loi aura sur les hommes, l'effet que cette loi aura sur les femmes. Tenant compte de tout cela, nous pouvons vous donner des chiffres, des pourcentages, nous pouvons vous fournir un tas de renseignements. Mais je persiste à croire que la règle de l'intensité est une solution. Il y a une foule de secteurs où nous pourrions trouver matière à exemption, mais il me semble que la règle de l'intensité est justement l'une des mesures qui pourrait favoriser les familles pauvres ou les familles dont le revenu est inférieur à 26 000 $.
Pourriez-vous nous parler un peu plus de la règle de l'intensité? Y avez-vous réfléchi? Et qu'en est-il des utilisateurs fréquents?
Mme Cox: Je serai franche avec vous, je n'y ai pas vraiment songé. Et je n'ai pas vraiment mesuré la façon... C'est très complexe. J'ai bien peur de m'en être tenue uniquement au secteur auquel j'ai bien réfléchi.
Par contre, je dois dire que j'ai la certitude que le gouvernement veut aider les gens à retourner au travail. Cela ne fait aucun doute. Mais je ne vois pas comment il va y arriver, surtout s'il retire de l'argent du système pour l'affecter ailleurs. De la même façon, comme je l'ai dit, je pense que ce serait peut-être tout à fait justifiable si le contexte était différent, si l'on n'abolissait pas le RAPC, si l'on n'abolissait pas les autres mesures de protection à compter du 1er avril.
Jean, ce que j'aimerais faire, c'est y regarder de plus près et vous en reparler plus tard.
Mme Augustine: Monsieur le président, je crois important de dire que si cette réforme vise à aider les gens à se sortir du cercle vicieux de l'assurance-chômage et à reprendre leur place sur le marché du travail, nous devons alors leur donner toute l'aide voulue pour le faire. Le comité devrait peut-être se pencher sur la règle de l'intensité. Voyons si nous pouvons apporter ici un amendement qui serait utile.
Mme Cox: La seule chose qui va sortir les gens de ce cercle vicieux, c'est l'emploi. C'est la seule solution. Je n'en connais pas d'autre. Je ne suis pas du tout d'accord avec ceux qui disent que l'assurance-chômage décourage la vaste majorité des gens de travailler. Je n'y crois tout simplement pas. J'ai la certitude qu'on pourra toujours trouver des gens pour qui c'est vrai, mais ce n'est pas vrai pour la majorité des chômeurs. Pour la vaste majorité d'entre eux, l'assurance-chômage offrait simplement un accès à l'emploi. C'est le cas dans plusieurs secteurs du marché du travail et dans différentes régions.
Le président: Madame Cox, je vous remercie vivement de notre exposé. Soyez assurée que tous les membres de notre comité, quelle que soit leur affiliation, sont conscients du fait que la création d'emplois est une tâche prioritaire des gouvernements et à vrai dire de tout membre de la société. Vous avez fait d'excellentes observations qui ont été dûment notées, et au nom du comité, je tiens à vous exprimer notre reconnaissance la plus sincère pour votre exposé.
Mme Cox: Merci beaucoup, monsieur le président.
Le président: Je tiens seulement à informer les membres du comité que j'ai fait quelques demandes au cours des derniers jours. L'une avait trait à la question des prestations de maternité qui a été soulevée par la Fédération des femmes du Québec et qui demande à être élucidée. J'ai prié le ministère du Développement des ressources humaines de nous en informer d'ici demain.
J'ai également demandé à M. Scott de me faire connaître ses idées au sujet de l'écart, et aujourd'hui, j'aimerais donner suite à l'observation soulevée par Mme Augustine au sujet de la règle de l'intensité qui s'appliquera aux bénéficiaires du supplément du revenu familial.
Madame Augustine, j'aimerais que vous me disiez d'ici mercredi, s'il y a moyen de convertir votre proposition en un amendement au projet de loi. Je tiens à mentionner cela, et je m'attends à ce que les membres fassent leur travail dans le délai imparti. J'ai la certitude que vous le ferez. Merci beaucoup.
Nous allons maintenant entendre les représentantes de la Commission canadienne de mise en valeur de la main-d'oeuvre. Nous recevons Lenore Burton, directrice exécutive; Jean Andrea Bernard, co-présidente - Affaires; et Janet Dassinger, directrice, programmes et politique de formation.
Bienvenue. Nous sommes heureux de vous recevoir. Comme vous le savez, nous étudions le projet de loi C-12, Loi concernant l'assurance-emploi au Canada. Le comité tient à écouter les sages avis des Canadiens qui ont de l'expérience dans ce domaine afin d'améliorer le projet de loi. Je sais que vous disposez d'une vaste expérience, et les membres du comité tiennent à entendre votre point de vue sur le projet de loi.
Ce que nous faisons ici traditionnellement, c'est vous laisser tout le temps voulu pour faire votre exposé, mais nous préférons avoir un bref résumé de vos observations au sujet de ce projet de loi et en débattre ensuite. Encore une fois, bienvenue et merci beaucoup d'être venues.
Mme Jean Andrea Bernard (coprésidente - Affaires, Commission canadienne de mise en valeur de la main-d'oeuvre): Merci, monsieur le président.
Permettez-moi d'abord de vous dire brièvement en quoi consiste la Commission canadienne de mise en valeur de la main-d'oeuvre. Elle a été créée en 1991 pour donner suite à un consensus croissant selon lequel les intervenants du secteur privé devraient avoir un plus grand rôle consultatif à jouer auprès du gouvernement en ce qui a trait aux priorités de formation, à la répartition des ressources et aux mesures de responsabilité.
La Commission est un partenariat réunissant les principaux acteurs du marché du travail, les milieux d'affaires, les syndicats, ainsi que des dispensateurs d'enseignement et de formation, les femmes, les personnes handicapées, les minorités visibles et les autochtones.
Comme vous l'avez dit, monsieur le président, je m'appelle Jean Bernard et j'en suis la coprésidente - Affaires. Le coprésident - Syndicat est Jean-Claude Parrot. Malheureusement, il ne peut être des nôtres aujourd'hui. Il se trouve à Genève où il assiste à une réunion du conseil d'administration de l'OIT. Notre représentante syndicale, Janet Dassinger, de l'Union internationale des travailleurs et des travailleuses unis de l'alimentation et du commerce, le remplace aujourd'hui.
Lenore Burton, notre directrice exécutive, jouera un rôle important dans la présentation de nos vues, qui sont explicitées dans le mémoire que nous avons remis aujourd'hui.
Je tiens tout d'abord à vous remercier de cette occasion que vous nous donnez de faire valoir nos points de vue, et nous espérons que nos suggestions constructives vous aideront dans votre entreprise.
[Français]
Pourquoi sommes-nous ici aujourd'hui? La Commission canadienne de mise en valeur de la main-d'oeuvre a le mandat de conseiller le gouvernement et de développer un engagement envers la formation et la mise en valeur de la main-d'oeuvre au Canada. La Commission fournit aussi aux partenaires du marché du travail la possibilité d'entreprendre un véritable dialogue et de former des consensus.
Travailler par consensus, c'est quoi? Les partenaires du marché du travail de la Commission travaillent par consensus. Nous sommes arrivés au contenu de ce rapport par consensus et nous espérons que vous reconnaîtrez que ce fait rend nos conseils spéciaux et uniques.
[Traduction]
Quand je parle consensus ici, il faut se rappeler que même si les milieux d'affaires, les syndicats et les groupes d'équité en matière d'emploi sont des partenaires au sein de cette Commission, ce consensus ne veut pas dire que nous exposons le point de vue du Congrès du travail du Canada. En fait, nous avons nous-mêmes articulé notre propre vision des choses, et nous avons tâché de parvenir à un consensus.
[Français]
L'assurance-emploi est un programme dont les fonds proviennent des employeurs et des employés et, en tant que payeurs de primes, nous croyons que nous devrions avoir un mot à dire sur la façon dont les programmes d'emploi actifs sont gérés. Nous croyons qu'une main-d'oeuvre qualifiée est la clé de la croissance économique et de notre compétitivité au niveau mondial.
Nous croyons également en la valeur de la formation. Nous sommes d'avis que la formation est probablement la meilleure politique pour créer et maintenir une main-d'oeuvre qualifiée.
Le projet de loi sur l'assurance-emploi propose des changements significatifs à la Loi sur l'assurance-chômage. Cependant, nos commentaires d'aujourd'hui ne viseront que la Partie II, qui traite des prestations d'emploi qui sont proposées.
En 1994, la Commission a fait une présentation sur la réforme de la sécurité sociale devant votre comité. Nous sommes heureux de constater que certaines de nos recommandations ont été incorporées dans le projet de loi sur l'assurance-emploi.
Je vous donne trois exemples de dispositions du projet où on a inclus ce qu'on avait proposé ou suggéré.
La coopération avec les provinces: La Commission appuie la proposition sur la coordination et la coopération avec les provinces parce qu'elle est la clé d'un accès et d'une flexibilité supérieurs dans la livraison des programmes et des services aux individus. La Commission reconnaît cependant que le gouvernement fédéral continue à avoir un rôle important à jouer sur le marché du travail.
Prise de décisions au niveau local: Parce que les besoins et services peuvent le mieux être évalués au niveau régional, la Commission est heureuse qu'on mette l'accent sur la prise de décisions au niveau régional. Nous soulignons cependant que le marché du travail canadien est un ensemble interrelié de marchés du travail régionaux, provinciaux et nationaux, ce qui exige des stratégies cohérentes et coordonnées qui permettent la mobilité de la main-d'oeuvre. Nous reviendrons sur ce point de façon plus détaillée un peu plus tard.
La Commission appuie l'ensemble de programmes et de services intégrés proposés dans le projet de loi. Nous sommes satisfaits que nos recommandations sur un ensemble de services intégrés, incluant une approche de gestion cas par cas comprenant le counselling individuel et une banque d'information pour les individus, aient été mises en valeur dans le projet de loi.
Je vais demander à Janet de poursuivre notre présentation.
[Traduction]
Le président: Merci.
Mme Janet Dassinger (directrice, Programmes et politique de formation, Commission canadienne de mise en valeur de la main-d'oeuvre): Nous avons une série de préoccupations d'ordre général dont je parlerai très brièvement, après quoi je céderai la parole à Lenore, qui vous dira quel est notre consensus.
La première de ces préoccupations tient au fait qu'on ne prévoit aucun rôle pour les intervenants sur le marché du travail. La nouvelle Loi sur l'assurance-emploi n'accorde aucun rôle véritable aux partenaires non-gouvernementaux. Ces partenaires, comme nous l'avons déjà dit, sont bien placés pour comprendre les répercussions des programmes sur les milieux de travail et sur les individus. Il faudrait activement solliciter leur avis et leur participation en leur qualité de cotisants.
La deuxième préoccupation est l'absence apparente de priorité à la formation. Il n'y a rien dans le texte de loi qui dit que la formation doit être une stratégie dans la création d'emploi. La proposition du projet de loi qui vise à assurer la formation seulement là où il y a accord de la province, ne devrait pas empêcher le gouvernement fédéral d'insister sur l'importance qu'il attache à la formation professionnelle. À notre avis, le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer dans le financement de la formation dans le cadre du fonds d'assurance-emploi, et le gouvernement fédéral doit dire le rôle important qu'occupe la formation dans l'économie.
Les marchés du travail sont un champ de compétence partagé, et pour de bonnes raisons. Le Canada a une économie nationale. Il faut établir une politique de travail nationale qui sera liée à la politique économique nationale, par exemple, une politique nationale relative aux marchés du travail découlant de la participation canadienne à l'Accord de libre-échange Nord-Américain.
Notre quatrième préoccupation a trait à la mobilité. Une économie nationale ne peut bien fonctionner qu'avec la libre circulation des travailleurs d'une province à l'autre. La mobilité de la main-d'oeuvre profite autant aux employeurs qu'aux travailleurs lorsque les travailleurs quittent les secteurs où le chômage est élevé pour aller dans les secteurs où il existe une demande de main-d'oeuvre mieux. Des normes nationales faciliteront la circulation des travailleurs.
Notre cinquième préoccupation tient à l'abaissement de la participation du Trésor. La Commission a toujours dit que l'accès à la formation devrait être fonction du besoin et non de l'admissibilité à l'assurance-chômage. En outre, la Commission s'inquiète de la baisse de la participation du Trésor. Bon nombre de personnes qui ont besoin de formation mais qui ne sont pas admissibles à l'assurance-emploi n'y auront pas accès. Certaines catégories d'emplois désignées, surtout les femmes et les minorités visibles, vont en souffrir.
Je cède maintenant la parole à Lenore Burton, notre directrice exécutive, qui vous dira quel est notre consensus.
Mme Lenore Burton (directrice exécutive, Commission canadienne de mise en valeur de la main-d'oeuvre): La Commission s'est penchée sur les programmes d'assurance-emploi et sur les outils que propose le projet de loi. Je me propose de passer tout cela en revue et de vous dire les préoccupations de la Commission et le consensus auquel elle est parvenue.
La première chose dont je veux parler, c'est de la formation, et Janet a déjà abordé le sujet. Nous croyons tout simplement que la formation donne des résultats. Nombre d'évaluations et d'études confirment amplement cette conviction. Par le passé, lorsqu'une personne perdait son emploi chez Stelco, elle n'avait qu'à traverser la rue et elle trouvait chez Westinghouse un emploi très semblable. Cela ne se voit plus. Quand une personne perd aujourd'hui un emploi traditionnel et stable, elle doit faire certaines choses pour réintégrer le marché du travail dans un secteur différent. Et la formation est l'une des stratégies essentielles de l'adaptation de la main-d'oeuvre.
Nous savons que la formation a un effet positif sur l'employabilité. C'est particulièrement le cas lorsque la formation est liée au counselling, lorsqu'elle est liée à l'expérience pratique en milieu de travail, et lorsque le secteur privé ou les partenaires communautaires y prennent part. Nous savons aussi que la formation a des effets très positifs qui dépassent l'employabilité parce que la formation aide les gens dans le milieu où ils sont, en fait des membres productifs de la famille et du milieu où ils vivent.
Les études tout à fait préliminaires qui ont été faites sur le programme de prêts et subventions de perfectionnement que propose le projet de loi se fondent sur le programme canadien de prêts aux étudiants. La clientèle de l'assurance-chômage est bien sûr complètement différente. On se demande vraiment si une personne au chômage, qui a charge de famille et une hypothèque, ira prendre le risque de contracter un prêt avec la promesse qu'il y aura un emploi au bout, même si les autorités s'inquiètent du risque que ces personnes au chômage présenteraient pour la banque prêteuse, nous craignons vivement pour notre part que ces personnes ne songeront même pas à demander ces prêts de formation. Ils n'y songeront même pas.
Dans de nombreux rapports ayant fait l'objet d'un consensus, les milieux d'affaires et les syndicats se sont souvent mis d'accord pour dire que les particuliers ne doivent pas être les seuls à faire les frais de l'adaptation à la nouvelle réalité économique. Le discours du Trône le dit bien, et nous avons l'obligation d'aider les personnes au chômage à réintégrer le marché du travail.
Le programme de prêts et subventions de perfectionnement nous préoccupe aussi du fait que l'assurance-chômage est un droit individuel fondé sur le revenu de la personne. Mais le programme de prêts et subventions de perfectionnement sera fondé sur le revenu familial. Cela nuira tout particulièrement aux femmes et supprimera leur pouvoir décisionnel et leur admissibilité personnelle.
Nous nous préoccupons aussi de l'étendue du droit à l'assurance-chômage. Par le passé, la période de soutien du revenu était prolongée pour les prestataires en formation, et se poursuivait aussi longtemps qu'ils étaient en formation ou jusqu'à la fin de leur programme. Mais en vertu du projet de loi C-12, le soutien du revenu ne dépassera pas la période initiale de réclamation, même pour ceux qui sont en formation. Ce qui signifie que les décisions ayant trait à la formation et toutes les décisions qui ont trait au counselling, aux choix de cours, etc, devront être prises au tout début de la période de réclamation.
L'importance du counselling et des autres services initiaux est reconnue dans tous les documents publics, mais nous croyons qu'il y a confusion ici. D'un côté, toute la législation et tous les documents publics sont favorables à une prise en charge individualisée du chômeur et, comme Jean l'a dit, d'une approche axée sur la gestion de chaque cas. D'un autre côté, nous savons qu'on se propose de réduire les effectifs des centres d'emploi du Canada, et l'on a d'ailleurs réduit le nombre des centres eux-mêmes. Nous savons aussi que l'approche communautaire de l'emploi est aujourd'hui chose du passé.
De même, nous nous préoccupons de l'administration du programme de prêts et de subventions de perfectionnement. Étant donné que cela nécessitera de nouveaux accords de financement, le ministère du Développement des ressources humaines n'a pas le mandat - et ne voudra pas non plus l'avoir - pour administrer ces prêts. Il faudra qu'intervienne ou bien l'administration provinciale ou des accords avec des tiers, et nous craignons de voir le gouvernement consacrer plus de fonds de l'assurance-chômage à l'administration alors qu'on pourrait s'en servir pour créer des programmes de formation destinés aux chômeurs. Nous croyons qu'il faut mettre en place des lignes directrices nationales.
Le supplément de rémunération est un nouveau programme. Il a été mis à l'essai dans le cadre de projets pilotes comme le Projet sur l'autonomie financière des bénéficiaires d'aide sociale au Nouveau-Brunswick et en Colombie-Britannique. Les évaluations initiales montrent que ces clients y gagnent, mais nous aimerions tout de même vous faire quelques observations à ce sujet.
Pour commencer, c'est un programme dont l'administration est très coûteuse. De même, il s'adresse à une clientèle tout à fait différente des prestataires de l'assurance-chômage. Les études américaines, particulièrement celles qui font intervenir des bénéficiaires d'aide sociale, montrent que les programmes de suppléments de rémunération fonctionnent le mieux lorsqu'ils sont combinés à la formation. La Commission recommande donc la plus grande prudence dans l'administration de ce programme.
Parlons maintenant des subventions salariales. Toutes les évaluations et toutes les études qui ont été faites montrent que les programmes de subventions salariales fonctionnent le mieux lorsqu'ils desservent une clientèle bien ciblée, dans plusieurs cas les personnes handicapées, et lorsque ces programmes fonctionnent - et c'est important - c'est parce qu'ils sont combinés à la formation.
La Commission a deux préoccupations ici. La première, c'est que le programme de subventions salariales pourrait inciter les employeurs à recruter des travailleurs subventionnés qu'ils engageraient de toute façon. Les études de l'OCDE ont montré que les programmes de subventions salariales causent de grands déplacements de population. La plupart des ces emplois auraient été créés de toute façon. La deuxième, c'est que les employeurs préfèrent recruter des travailleurs subventionnés, ce qui a pour effet de déplacer les travailleurs qui ne sont pas subventionnés.
La Commission ne croit pas au scénario optimiste de création d'emplois qu'on attribue au programme de subventions salariales. Nous ne croyons pas que le programme de subventions salariales va favoriser la création d'emplois.
Il y a deux autres outils: la création d'emplois et le travail indépendant. La Commission croit que le gouvernement fédéral a un rôle essentiel à jouer dans la création d'emplois. Cela va sans dire. Mais la Commission ne croit pas que l'article 25 de la Loi concernant l'assurance-chômage doit être la seule source de financement de la création d'emplois.
Par le passé, lorsque la Commission faisait des recommandations sur l'utilisation à des fins de développement de l'assurance-chômage, elle limitait toujours le fonds de création d'emplois à environ 120 millions de dollars et ne croyait pas que les programmes de création d'emploi, comme ceux que prévoit l'article 25 de la Loi concernant l'assurance-chômage, avaient des répercussions à long terme sur la création d'emplois stables.
Je parlerai en dernier lieu de l'activité indépendante. Nous avons fait une étude exhaustive du programme d'activité indépendante et nous sommes parvenus à la conclusion que le gouvernement doit se montrer prudent ici.
La dernière évaluation faite par le ministère montrait des résultats positifs au niveau de l'emploi et de la survie des entreprises, mais il y a lieu de faire quelques observations. La première, les résultats positifs étaient associés à des travailleurs du sexe masculin qui avaient une expérience professionnelle, qui étaient instruits et qui avaient une expérience diverse du marché du travail, et qui étaient mariés. Leur conjoint travaillait, il y avait donc un autre revenu familial, ou alors le conjoint n'était pas sur le marché du travail et constituait par conséquent une source d'aide non rémunérée.
La Commission recommande une évaluation à long terme du programme d'activité indépendante.
En conclusion, une observation. Nous recommandons, relativement à toutes les prestations d'emploi prévues, que l'on oriente le gros du financement de l'assurance-chômage vers les subventions de formation, et que les programmes permettent aux provinces, aux localités et aux travailleurs à titre individuel d'acquérir les compétences dont ils ont besoin pour assurer la transition vers un emploi stable.
Nous vous remercions de votre attention. Nous répondrons à vos questions.
Le président: Merci.
Nous allons commencer avec M. Dubé. M. McClelland, vous poserez votre question après.
M. Allmand (Notre-Dame-de-Grâce): Pardon. Puis-je obtenir une clarification?
Vous venez de dire: «le gros». Vous voulez dire le gros des prestations d'emploi.
Mme Burton: Les prestations d'emploi, oui.
M. Allmand: Vous avez parlé des prestations d'assurance-chômage. Ce n'est pas ce que vous vouliez dire.
Mme Burton: Je parlais des prestations d'emploi.
M. Allmand: Bien.
Le président: Monsieur Allmand, je crois que l'exposé portait sur la partie II.
Mme Burton: La partie II, les prestations d'emploi.
M. Allmand: Je sais, mais vous avez dit que le gros de l'assurance-chômage devrait servir à la formation. Vous parliez du gros des prestations d'emploi...
Mme Burton: Qui devrait être utilisé pour les subventions de formation.
M. Allmand: Oui.
Le président: Vous êtes content, monsieur Allmand?
M. Allmand: Oui.
Mme Burton: Merci
Le président: Merveilleux. Nous allons passer à M. Dubé.
[Français]
M. Dubé (Lévis): Madame Bernard, dans un premier temps, vous avez déploré ne pas avoir eu accès à des données adéquates pour procéder à une évaluation plus en profondeur. Nous avons eu le même problème du côté de l'Opposition officielle. Nous avons eu beaucoup de difficulté à nous procurer des données statistiques adéquates, surtout concernant l'impact de ces mesures sur certains secteurs et surtout sur les clientèles. Nous nous posons aussi des questions sur certaines données qui nous ont été fournies in extremis. Mais ce n'est pas là le sens de mon propos.
Au début de votre présentation, vous avez beaucoup mis l'accent sur le mot «consensus», ce qui a attiré mon attention. Saviez-vous qu'au Québec, ce mot est beaucoup utilisé au niveau de la formation de la main-d'oeuvre? On parle du consensus québécois qui réunit tous les intervenants qui sont actuellement regroupés au sein de la Société québécoise de développement de la main-d'oeuvre.
Les Québécois qui sont arrivés à ce consensus ne souhaitent qu'une seule chose: que tout l'argent disponible au niveau fédéral pour la formation de la main-d'oeuvre soit transféré au Québec parce que la formation, tout comme l'éducation, est de compétence provinciale.
J'imagine que ma question ne vous étonne pas. Vous me voyez venir à 100 milles à l'heure. Vous vous prononcez en faveur de normes nationales. Vous parlez, bien sûr, d'une approche intégrée, mais vous tenez également à ce qu'elle se fasse par le gouvernement fédéral. Vous parlez également de coopération avec les provinces.
Je vais vous lire un extrait d'une lettre, non pas d'un député bloquiste ou d'un ministre souverainiste, mais d'un ancien ministre libéral, M. Bourbeau, qui, il y a trois ans, disait, en parlant de la coopération entre le fédéral et le Québec:
- Les succès de ces tentatives ont toujours été mitigés, même pendant les périodes de grande
coopération entre les deux ordres de gouvernements. Les mécanismes de coordination
fédérale-provinciale ont contribué eux-mêmes à rendre la gestion des programmes de la
main-d'oeuvre sur le territoire du Québec plus lourde et plus complexe encore.
C'est vous qui avez utilisé le mot «consensus». En quoi rejoignez-vous le consensus québécois en matière de formation de la main-d'oeuvre?
Mme Bernard: Je me suis servi du mot «consensus» en parlant de la Commission canadienne de mise en valeur de la main-d'oeuvre.
M. Dubé: Il y a sûrement des gens du Québec qui en font partie. Avez-vous consulté les gens du Québec? Comment pouvez-vous dire que vous avez dégagé un consensus alors que vous savez qu'au Québec - et je suis persuadé que vous le savez - , il y a un consensus très, très fort en faveur d'une décentralisation? J'ai du mal à comprendre votre position.
Mme Bernard: J'ai peut-être un peu de mal à discuter de votre point de vue.
Mon expérience dans le monde d'affaires me porte à utiliser des mots pour me faire comprendre. Quand j'ai parlé de consensus, c'était plutôt pour dire qu'on devrait avoir un système où toutes les parties travaillent dans le but d'obtenir un résultat qui sera bénéfique aux individus affectés par les changements. Le débat politique peut nous intéresser grandement en tant qu'individus, mais il ne devrait pas affecter le travail de notre commission. Quant à nous, tous les gouvernements ont un rôle à jouer dans le système de formation au Canada.
Il faut avoir des énoncés de vision, de direction, de stratégie. Il faut avoir un système intégré qui fonctionne, etc. Et il faut que les opérations et les processus soient efficaces.
[Traduction]
Excusez-moi, je perds le fil lorsque je parle français. Puis-je passer à l'anglais?
Le président: Absolument.
Mme Bernard: Ce que je dis, c'est que lorsqu'il s'agit de processus et d'administration, tout devrait être harmonisé. Notre commission, qui se compose de Canadiens représentant tous les partenaires, croit que tous nos gouvernements ont un rôle à jouer. Il appartient aux autorités politiques de dire où ce rôle commence et se termine.
Le président: Merci, monsieur Dubé. Monsieur McClelland.
M. McClelland: Félicitations.
Mme Bernard: Merci beaucoup.
M. McClelland: Je tiens à vous féliciter et à vous remercier car il s'agit-là d'un exposé très bien fait et très professionnel, qui contient des documents très utiles, du moins des documents que je trouve utiles. Je me demande s'il n'y a pas moyen d'obtenir une bibliographie ou la liste des personnes et des entreprises participantes qu'on pourrait ajouter à votre rapport, parce qu'il me serait utile de savoir qui au juste fait partie de votre groupe.
Mme Burton: Nous avons apporté cette liste et je vais la déposer auprès du greffier.
M. McClelland: Je vous remercie.
Je voudrais maintenant me concentrer sur le volet formation, qui me paraît fort intéressant. Il a été reconnu, dans d'autres domaines et en d'autres lieux, que la formation comporte un élément de cercle vicieux, en ce sens que pour pouvoir en bénéficier, il faut déjà faire partie de la main-d'oeuvre active. Or, comment en faire partie sans formation?
L'idée de séparer les fonds disponibles pour la formation de la caisse d'assurance-chômage et de les financer à même les recettes de l'État paraîtrait logique, en particulier du fait que les primes d'assurance-chômage, tant des employés que des employeurs, sont en excédent. Cela permettrait également de sortir de ce cercle vicieux, qui frappe très durement, entre autres, les personnes handicapées. Quiconque ne travaille pas est dans une situation sans issue quand on s'adresse à un bureau d'assurance-chômage et qu'on ne répond pas aux conditions donnant droit à la formation. Comment se sortir de là, comment s'assurer une formation? Quelle est votre opinion là-dessus?
Il me reste une autre question, après quoi je vous laisserai parler. D'après mon expérience personnelle dans le monde des affaires, je suis tout à fait avec vous: les subventions salariales aux entreprises sont parfaitement inutiles, la seule raison pour laquelle ces dernières participent, c'est que si elles ne le font pas, leur concurrent le fera, et cela ne fait que déplacer les travailleurs qui auraient de toute façon été embauchés.
Mme Burton: Je réponds à votre question sur les fonds provenant des recettes de l'État plutôt que de la caisse d'assurance-chômage: la Commission n'a cessé d'affirmer que la décision d'assurer une formation à une personne devrait être prise indépendamment de l'admissibilité de cette personne à un programme. Ce n'est pas parce que vous êtes admissible à l'assurance-chômage que vous devriez être celui qui va bénéficier de la formation, ce dont sera privé celui qui n'est pas admissible à l'assurance-chômage. Ce n'est que trop souvent que ce critère fausse la situation, de telle sorte que ce ne sont pas ceux qui ont besoin d'une formation supplémentaire, mais ceux qui sont admissibles à l'assurance-chômage qui bénéficient des fonds du programme.
M. McClelland: Je vous remercie, monsieur le président.
Le président: Merci, monsieur McClelland, de votre concision.
Monsieur Regan.
M. Regan (Halifax-Ouest): Merci d'être venu cet après-midi. J'ai plusieurs questions à vous poser.
L'un d'entre vous disait, je crois, que l'aspect relatif aux prêts et subventions de perfectionnement des mesures «actives» doit être basé sur le revenu familial ou sur l'admissibilité à ces mesures, et ce n'est pas ainsi que je le comprends. J'ai relu l'article 61 du projet de loi, qui habilite la Commission à donner ce genre de soutien financier, et il n'y est pas question - ni ici ni dans les autres articles - de faire dépendre la décision d'accorder ces prêts ou subventions de perfectionnement en fonction du revenu familial.
L'intention du gouvernement, si je comprends bien, c'est que c'est en fonction des besoins de la personne et de sa situation individuelle que doit être décidé qui sera le bénéficiaire de prêts ou subventions de perfectionnement et quelle portion devrait être l'un ou l'autre.
En effet, le ministère, d'après son expérience, a constaté que ceux qui paient ne fusse qu'une faible partie des coûts de la formation réussissent mieux, tant pendant la période de formation que par la suite, que ceux qui ne paient rien. C'est pourquoi je voudrais vous demander si, à votre avis, les gens devraient contribuer au coût de leur formation, et ce sera ma première question.
En ce qui concerne les prestations d'emploi, qui relèvent actuellement du projet de loi sur l'assurance-chômage, il faut être bénéficiaire de celles-ci pour pouvoir recevoir une formation, ce qui ne sera plus le cas à la suite des changements qu'apporte ce projet de loi, qui permettra à beaucoup plus de gens d'en bénéficier. Peuvent être admissibles ceux qui reçoivent l'assurance-chômage ou qui l'ont reçue au cours des trois dernières années, ainsi que celles qui ont bénéficié de congés de maternité au cours des cinq dernières années.
Je crois savoir en effet que 45 p. 100 des assistés sociaux répondent à ces conditions ayant bénéficié de prestations d'assurance-chômage au cours des trois dernières années. Avec votre programme vous élargissez donc l'admissibilité et le nombre de ceux qui peuvent bénéficier d'une formation, n'est-ce pas?
Vous nous dites, enfin, que votre Commission devrait continuer à participer aux décisions concernant ces mesures actives ainsi que les montants à dépenser et à quels endroits. Pourquoi ne pas laisser ces décisions être prises sur place, comme le donne à penser le projet de loi, en fonction des besoins locaux, du marché local de la main-d'oeuvre, et par des gens au niveau local?
Mme Burton: Vous nous demandiez, en premier lieu, si à notre avis les gens devraient contribuer à leur formation.
En vérité, ce n'est pas parce qu'une personne n'a pas l'argent à dépenser pour sa formation qu'elle ne contribue pas. Je pense au cas des apprentis dont les cours de formation sont traditionnellement payés à même la caisse d'assurance-chômage. Mais les apprentis reçoivent un salaire très bas, ils renoncent à une partie de leur revenu en échange de la formation qu'ils reçoivent en milieu de travail et pour payer leurs frais de cours, de sorte que si vous posiez la question à un apprenti il vous répondrait qu'en réalité il contribue à sa formation.
Quant à la question d'élargir l'admissibilité, vous avez raison. Avec les nouvelles règles un grand nombre des assistés sociaux provinciaux, parce qu'ils n'ont plus droit aux prestations d'assurance-chômage, deviendront admissibles et la Commission ne peut que s'en féliciter.
Mais il y a ceux qui, comme le disait M. McClelland, ne sont pas encore parmi les rangs de la population active. Ce sont des gens qui ne sont pas admissibles aux prestations d'assurance-chômage ni, par conséquent, à la formation; c'est le cas de femmes, qui, après une longue période d'absence, reviennent sur le marché du travail, des nouveaux immigrants, etc.
Quant à votre question sur l'intervention du niveau local, la Commission s'est employée activement à promouvoir des conseils communautaires où les contrevenants, en particulier ceux du marché du travail, participeraient aux décisions. C'est une mesure que nous appuyons parce que 80 p. 100 de l'activité du marché du travail se fait au niveau local: c'est là où les employeurs recrutent les ouvriers qualifiés dont ils ont besoin, c'est là que les gens travaillent, reçoivent leur apprentissage et leur formation. Comme le disait Jean dans son préambule, c'est une mesure que nous avons approuvée, quand nous l'avons vue dans le projet de loi.
Le président: Monsieur Nault.
M. Nault (Kenora - Rainy River): Je vous remercie, monsieur le président.
Mme Dassinger: Est-ce que je peux prendre la parole un instant?
Le président: Vous avez donc d'autres réponses à donner.
Mme Dassinger: Oui, à propos de la contribution des personnes, j'appuie ce que disait Lenore, à savoir que les gens contribuent de façon qui ne se traduit peut-être pas nécessairement en déposant de l'argent sur la table. Ajoutons à cela qu'en exigeant une contribution on crée une discrimination à l'égard des gens à faible revenu qui n'ont peut-être pas pu mettre de l'argent de côté et qui vont donc avoir beaucoup plus de difficultés à bénéficier de ces prêts et subventions. Il me semble que cela saute aux yeux.
Quant aux décisions prises au niveau local, cela me paraît une bonne idée, mais encore faut-il y mettre bon ordre car on risque autrement que la mairie se substitue aux députés pour gouverner. L'idée d'une intervention locale n'est pas sans mérite et nous ne savons pas encore au juste selon quelles modalités.
Notre Commission est de plus longtemps en faveur d'une infrastructure cohérente des offices du marché du travail, allant d'un office national aux offices provinciaux et locaux. Cela semble une méthode très logique de simplement dire à une collectivité que sans leur fournir les outils - je frémis en utilisant ces mots... Les décisions prises de la sorte peuvent nous mener tout droit à l'improvisation, à l'hétéroclite selon les collectivités et ceux qui se trouveront là où les bonnes décisions n'ont pas été prises seront ceux qui en pâtiront.
Enfin, d'après l'intérêt que présente le partage de l'information dans nos rapports provinciaux, je considère que tous ces échanges d'information au niveau national ne pourraient être que bénéfiques. Il est très utile, en effet, d'être mis au courant des initiatives et innovations des autres provinces, faute de quoi on risque de répéter ce qui s'est déjà fait ailleurs.
Le président: Je vous remercie. Je vais maintenant donner la parole à M. Nault.
M. Nault: Je vous remercie d'être venu.
J'apprécie beaucoup Mme Dassinger dans ses nouvelles attributions, d'autant plus qu'autrefois, c'était moi qui avais ces fonctions.
Ce qui m'intrigue le plus dans tout ce débat - et vous vous trouvez en pleine mêlée, bien que cela ait échappé à un grand nombre de commentateurs, dont la presse - c'est cette bataille de compétence entre les provinces et le gouvernement fédéral, bataille qui se répercutera sur notre capacité concurrentielle. La plupart des commentateurs ont fait ressortir, pour le moment, que les provinces s'en tirent tellement mieux que le gouvernement fédéral qui devra donc renoncer à la formation et en laisser la charge aux provinces. C'est ce dont on nous rebat chaque jour les oreilles.
Ce n'est pas du tout l'impression que j'ai quand je demande aux gens de ma circonscription ce qu'ils pensent que devrait faire le gouvernement fédéral; ils considèrent, eux, que ce dernier devrait jouer un rôle actif et vigoureux dans la formation, l'éducation et les services sociaux, que les efforts, à l'instar des soins de santé, devraient être coordonnés.
Les provinces, elles, voudraient que le gouvernement fédéral cesse de s'occuper de la formation et c'est pourquoi - pour parler franchement - ce projet de loi vise à préciser les limites que le gouvernement fédéral ne veut pas dépasser.
J'aimerais que vous nous disiez, d'une façon générale, comment vous imaginer qu'il est possible d'élaborer des normes nationales étant donné la pagaille dans laquelle nous nous trouvons. Il n'y a pas que le Québec qui a divagué, l'Alberta et l'Ontario profèrent maintenant les mêmes absurdités et on est arrivé au point où, disons-le tout cru, ceux d'entre nous qui sont des fédéralistes convaincus pensent que ce dont le peuple canadien a besoin, c'est un système solide et vaste de formation, et vous y participez. Comment envisagez-vous que nous fassions cela dans le cadre de la fédération vers laquelle nous nous acheminons?
Mme Burton: Grands dieux! Auriez-vous réservé la pilule pour la dernière bouchée?
Disons tout d'abord que la formation s'est faite jusqu'ici au moyen de subventions versées de gouvernement à gouvernement pour un certain nombre d'élèves en formation. Ce n'était peut-être pas la façon la plus efficace d'assurer une coopération, en matière de formation, entre les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral... mais cela ne signifie pas pour autant que la formation ne fonctionne pas, ou que si les provinces vont jouer un rôle clé en assurant l'infrastructure dans les collèges communautaires, il reste au gouvernement fédéral à jouer un rôle par le biais de la Caisse d'assurance-chômage, qui est un programme national...
À l'heure actuelle, dans le cadre du programme de prêts et subventions aux étudiants, le gouvernement fédéral a mis en place des directives mais le programme est administré par les provinces, et les particuliers admissibles sont en mesure de bénéficier de la formation dans des établissements post-secondaires.
Vous savez ce qu'on dit au sujet des sots qui s'aventurent en terrain dangereux? Ce n'est pas à la Commission d'essayer de résoudre la question constitutionnelle, nous devons nous en remettre, pour cela, à plus sages que nous.
Mais quant à subventionner la formation, à la mettre en vedette, à créer une ambiance où elle est acceptée...
M. Nault: Je vous posais une question bien précise, et je ne disais pas que nous devrions pas transférer des fonds aux provinces pour leur permettre d'administrer les programmes. Ce qui m'inquiète, c'est cet assemblage de bric et de broc, qui s'est édifié sans normes communes. Je suis Ontarien, mais si je veux aller travailler au Québec, cela m'est impossible dans la plupart des secteurs, on ne me le permettra pas, ce qui constitue un problème; mais il peut également arriver que mes normes ne soient pas assez élevées si je permets à ce système de s'édifier au petit bonheur la chance.
Or l'objectif dont nous parlons, soit de permettre la plus grande mobilité, c'est que l'on devrait pouvoir travailler dans n'importe quelle région du pays, avec des normes nationales qui garantissent vos qualifications. Si celles-ci le permettent, vous devriez pouvoir travailler sur un chantier de construction, que ce soit en Colombie-Britannique ou n'importe où ailleurs, mais comment cela serait possible si les provinces continuent à nous dire de ne pas nous mêler de leurs affaires? C'est peut-être très beau sur papier, mais dans la réalité c'est rendre un bien mauvais service aux travailleurs dont nous sommes censés défendre les intérêts.
J'essaie donc de découvrir comment vous procédez pour ménager à la fois la chèvre et le chou. Allons de l'avant sans trop nous soucier de ce qu'il adviendra, semble être le slogan.
C'est tout ce que j'ai à dire, monsieur le président, mais je vais les laisser démêler la question.
Une voix: Vous devriez peut-être laisser tomber.
Mme Burton: Selon la Commission, la solution consiste en partie à faire participer les organismes non-gouvernementaux, les partenaires du secteur privé. Il existe des conseils qui essaient de mettre en place des normes, professionnelles et autres, pour leurs secteurs respectifs et de les appliquer dans leurs entreprises, lorsqu'ils en ont.
Comme le disait tout à l'heure Janet, nous avons envisagé des commissions provinciales et locales; c'est ainsi que la SQDM est très active et participe au consensus dont vous avez parlé plus tôt où les partenaires non gouvernementaux, les représentants des milieux d'affaires et des syndicats collaborent à l'établissement de ces normes professionnelles, en collaboration avec les établissements d'enseignement. C'est un domaine auquel s'est vivement intéressée la Commission: essayer d'élaborer des directives, en collaboration avec les collèges communautaires et le secteur postsecondaire, pour l'achat de formation. C'est notre meilleure solution en l'occurrence.
M. Nault: Je vous remercie.
Le président: Y a-t-il d'autres questions? Madame Lalonde.
[Français]
Mme Lalonde: J'aimerais que vous parliez davantage de l'apprentissage. Votre recommandation principale est d'affecter l'argent à cela. Vous parlez de formation, mais en anglais, vous dites «training», n'est-ce pas?
[Traduction]
Mme Burton: C'est exact.
[Français]
Mme Lalonde: Training et formation, ce n'est pas la même chose. Le training, c'est davantage l'apprentissage.
[Traduction]
Vous voyez comme la traduction pose des problèmes. Je devrais parler anglais, mais je dois être fidèle à mes principes.
[Français]
Il faut que je parle français, mais c'est plus long. En français, vous utilisez le mot «formation» dans votre dernière recommandation, qui est la plus importante. Vous dites:
- que comparativement aux autres prestations d'emploi proposées, le plus grand financement soit
accordé aux subventions de formation.
J'ai devant moi le texte anglais où on dit: «...be directed for training grants*».
Expliquez-moi pourquoi vous utilisez deux mots qui, selon moi, ont des sens différents. Selon moi, «training» veut dire «apprentissage», «travail en entreprise», «travail sur des machines». Selon moi, le training, c'est cela. La formation, c'est beaucoup plus large. Le mot englobe le training, mais aussi d'autres types de formation. Je sais que, dans le grand monde, il y a des gens qui préconisent davantage le training et d'autres qui jugent qu'il faut davantage de formation générale. Parlez-moi de cela.
[Traduction]
Quelle est alors votre recommandation?
Mme Bernard: Ce qu'elle dit dans la traduction en français se rapporte à l'apprentissage. C'est un cas absolu de... [Difficulté technique - Éditeur].
Mme Burton: Nous utilisons les termes «subvention de formation» parce que nous parlons du programme de prêts et subventions au perfectionnement. Nous aurions peut-être pu dire «subventions de perfectionnement».
Mme Bernard: C'est vrai.
[Français]
Mme Lalonde: Et en français...
Mme Bernard: Vous avez raison de dire que c'est relié à l'apprentissage. Le mot dont on se sert en français est, selon vous, plus large et plus vaste. Franchement, c'est la première fois... Notre conseil est assez vaste et bien des gens y font valoir leur opinion, et on ne nous a jamais fait observer qu'il y avait une différence entre ces deux mots. Je crois que nos mots en anglais veulent dire ce que vous exprimez en français.
[Traduction]
Le président: Avez-vous d'autres questions, madame Lalonde?
[Français]
Mme Lalonde: La recommandation est donc de ne pas faire de prêts, mais de donner des subventions pour la formation professionnelle.
Mme Bernard: Oui.
Mme Lalonde: Merci.
M. Dubé: Ce que nous venons de vivre démontre assez concrètement la difficulté qu'il y a à appliquer des normes nationales au Québec et dans le reste du Canada, en français et en anglais. Nous en avons ici un exemple. Parfois, les mots, une fois traduits, n'ont pas le même sens. Tous les membres du comité viennent de vivre cette difficulté.
[Traduction]
Le président: N'oublions toutefois pas le véritable objectif, qui est de donner aux gens les compétences nécessaires pour trouver du travail.
Monsieur Regan.
[Français]
M. Regan: Je me demande comment ils font pour s'entendre à la Communauté européenne. Ce doit être un grand défi pour eux. Mais ils le font quand même.
[Traduction]
Je voudrais poser une question sur le problème des subventions salariales. Je me suis laissé dire qu'une façon de tirer le maximum de profit de ce programme et de ces incidences serait de mettre le paquet au début, pour ainsi dire. Il arrive en effet souvent, dans une entreprise, que les coûts les plus lourds soient encourus au début, pendant les premiers mois qu'une personne est employée, où elle a encore beaucoup à apprendre et où la productivité est faible.
On m'a donc fait remarquer que nos subventions salariales devraient être plus élevées au début, pendant les six premiers mois par exemple, puis progressivement dégressives. Qu'en pensez-vous?
Permettez-moi une précision: ce que cette personne m'a proposé, c'est que par exemple trois-quarts ou 60 p. 100 de la subvention soient payés au cours des trois premiers mois ou du premier tiers de la période, puis 35 p. 100, puis 15 p. 100 dans les trois derniers mois, ou dans ces ordres de grandeur. Vous n'êtes sans doute pas autorisés à discuter d'un tel projet, mais j'aimerais connaître votre opinion.
Mme Bernard: Je devrais ici vous répondre à titre de femme d'affaires qui vient de prendre sa retraite, mais je ne puis le faire en tant que membre de la Commission.
Compte tenu du fait que le milieu des affaires n'envisage pas de gaieté de coeur les subventions salariales, j'hésiterais à préconiser une formule passe-partout, et je recommanderais plutôt de bien réfléchir à toute la question et de voir s'il n'y aurait pas une meilleure façon de procéder. En toute franchise, étant donné que je n'ai vraiment pas réfléchi aux détails de cette question, ce serait présomptueux de ma part de vous encourager dans cette voie.
M. Regan: Très bien!
Le président: Merci beaucoup. Ce que j'apprécie dans votre mémoire, c'est qu'il porte principalement sur un article du projet de loi qui jusqu'à présent n'a pas été mis en relief par nos autres témoins. Au nom du Comité, je voudrais encore une fois vous exprimer notre sincère gratitude pour ce que je considère comme un excellent exposé. Merci beaucoup.
Mme Burton: Je vous remercie, monsieur le président.
Mme Bernard: Je vous remercie.
Le président: Je voudrais informer les membres du Comité que nous entamerons demain les audiences à 15 h 30 dans la salle 371 de l'édifice de l'Ouest. Nos témoins seront le Rassemblement canadien pour l'alphabétisation, et La voix - Le réseau des aînés.
La séance est levée.