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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 3 décembre 1996

.1038

[Traduction]

Le président: Bonjour à tous. La séance est maintenant ouverte.

Je vous rappelle que nous étudions actuellement le projet de loi C-66, Loi modifiant le Code canadien du travail (partie I), la Loi sur les déclarations des personnes morales et des syndicats et d'autres lois en conséquence.

Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui les représentants de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec. Il s'agit de MM. Émile Vallée, conseiller politique, Michel Lajeunesse, vice-président régional, et Joseph Gargiso, conseiller syndical.

Bienvenue, messieurs. Nous vous avons réservé une demi-heure. Si vous consacrez 15 minutes à votre exposé, la période de questions pourra être de durée égale. Je vous prie de commencer.

[Français]

M. Émile Vallée (conseiller politique, Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec): Merci, monsieur le président. Vous avez déjà présenté les gens qui m'accompagnent. Je voudrais tout d'abord dire que nous sommes très heureux de venir témoigner devant vous aujourd'hui. Depuis plusieurs années, nous réclamons des amendements au Code canadien du travail; nous les avons attendus au cours des mandats de plusieurs gouvernements et de plusieurs ministres aussi. C'est donc un plaisir de venir en parler aujourd'hui.

Pour vous situer quelque peu, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec est la plus grande centrale syndicale au Québec. Elle regroupe plus de 475 000 membres dans tous les secteurs. Parmi ses membres, on en retrouve 100 000 qui sont des employés sous compétence fédérale, dont 25 000 dans le secteur de la fonction publique et quelque 75 000 qui sont couverts par le Code canadien du travail dans des secteurs comme l'aéronautique, l'aviation, le transport, le secteur maritime, les communications et les banques. L'application que nous faisons du Code canadien du travail est donc très diversifiée.

Le projet de loi C-66, qui compte 45 pages, est assez élaboré. Vous le savez mieux que nous. Nous ne nous attarderons pas à passer en revue tous les articles du projet de loi, mais plutôt certaines sections ou certains point précis que nous voulons commenter.

Nous traiterons d'abord des modifications ayant trait au Conseil canadien. Nous notons avec satisfaction que le Conseil va devenir représentatif des parties. C'est là une de nos demandes traditionnelles, presque depuis le moment où le Conseil est devenu non représentatif, au début des années 1970. Nous notons aussi que le Conseil aura des membres à temps partiel. À notre avis, ces deux caractéristiques devraient donner au Conseil la flexibilité nécessaire pour faire face à la demande. Elles vont également dans le sens du consensus qui s'est dégagé lors des discussions entre les représentants des syndicats, sous le chapeau du Congrès du travail du Canada et des autres centrales, et les associations d'employeurs qui embauchent des employés sous juridiction fédérale. Elles vont aussi évidemment dans le sens des recommandations du rapport Sims. Selon nous, les changements de structure du Conseil sont les bienvenus.

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On note également que le projet de loi donne beaucoup de latitude dans la pratique des pouvoirs qui étaient exercés par le Conseil. Ils sont maintenant confirmés dans le projet de loi. Nous espérons que le Conseil saura agir avec diligence.

On a noté dans le passé que dans certaines circonstances, par exemple lorsque des syndicats particuliers demandaient au Conseil d'intervenir dans des situations dans lesquelles on croyait qu'il y avait des négociations de mauvaise foi, le Conseil avait parfois tendance à prendre un petit peu trop de temps à notre goût. On espère que le Conseil sera en mesure d'éviter des situations comme celles de Giant Yellowknife Mines Limited et d'Air Transat, des situations dans lesquelles il était selon nous clair que des employeurs s'attaquaient à la représentativité syndicale. On espère que c'est fini et qu'il n'y en aura plus d'autres au cours des prochaines années.

Quant aux changements proposés au Code relativement à l'accréditation, nous notons un changement mineur à l'article 34, qui touche particulièrement le secteur du débardage. Je crois comprendre que des représentants des débardeurs viendront témoigner devant vous. Ils pourront alors vous expliquer leurs vues. Je dois avouer qu'on s'est un peu creusé la tête pour essayer de comprendre la signification de l'addition des mots «véritablement actifs» au paragraphe 34(1), à la page 15. Nous souhaiterions comprendre ce que cela ajoute au texte actuel de la loi et quel est l'objectif visé.

Nous notons également qu'on propose plusieurs changements relativement aux droits de succession. Nous sommes évidemment contents de voir que les accréditations et les conventions collectives qui sont survenues au moment où un groupe était sous juridiction provinciale seront respectées au moment où le groupe passera sous juridiction fédérale et que nous ne serons pas obligés de faire signer des cartes et de renouveler la convention collective. L'accréditation et la convention collective seront automatiquement acceptées par le nouveau conseil. C'est certainement un pas dans la bonne direction. Nous espérons qu'on fera de même pour les codes provinciaux, parce que, entre nous, l'évolution au cours des dernières années a davantage été dans le sens contraire; c'est-à-dire qu'on part plus souvent d'une juridiction fédérale pour aller vers les juridictions provinciales.

Nous notons également l'article 47.3 proposé, qui parle des obligations d'un employeur qui obtient un contrat de sous-traitance et qui doit payer une rémunération au moins égale à celle offerte par la convention collective qui existait avec l'ancien employeur. Je soulignerai un dossier dans lequel j'étais intervenu, où justement un sous-traitant avait signé une convention collective des syndicats. Par la suite, en vertu de l'ancienne loi, dès l'instant où il y a eu des soumissions ouvertes, le nouvel employeur n'a plus été obligé du tout de respecter la convention collective et les conditions de travail des employés. Cette tactique était souvent utilisée par les employeurs pour se débarrasser d'un syndicat.

Dans un dossier dans lequel j'étais intervenu directement, le nouvel employeur avait présenté sa soumission et obtenu le contrat sans même avoir d'employés. La première chose qu'il a faite a été d'aller recruter les mêmes employés qui faisaient auparavant le travail. Puisqu'aucun autre employé n'avait la compétence requise, il a évidemment embauché à nouveau ces employés. Il n'y avait aucune convention collective, aucune condition minimale de travail. Les conditions de travail et salariales ont baissé. Sans qu'il y ait faute de leur part, ces employés ont subi une baisse de salaire globale. La modification proposée à la loi est donc souhaitable.

On note également que l'article 109.1 proposé permettra aux syndicats d'avoir accès aux travailleurs à distance. Nous croyons que cet article reflète une ouverture vers la réalité du domaine du travail aujourd'hui.

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Il va aussi permettre au mouvement syndical de suivre l'évolution industrielle. C'est une modification que l'on salue également.

Un article qui porte sur la négociation nous préoccupe particulièrement. C'est celui qui fait qu'un vote de grève n'est valide que pour une période de 60 jours. On a de sérieuses réserves concernant cet article.

Tout d'abord, certains votes prennent beaucoup de temps. À certains endroits, les votes peuvent prendre quelque quatre semaines parce qu'il s'agit d'unités nationales très larges. Si on veut faire un vote sérieux, il faut qu'il y ait des représentants syndicaux et que des assemblées syndicales aient lieu un peu partout. Ça prend du temps. L'obligation de tenir un vote tous les 60 jours pourrait, dans certains cas, non seulement ne pas aider les négociations, mais même les retarder puisque le syndicat serait obligé de passer la moitié de son temps à aller chercher des votes de grève pour se donner un peu de pouvoir à la table de négociation. On perdrait du temps qu'on devrait passer à la table de négociation.

On note également que le même article accorde un pouvoir de contestation à n'importe quel travailleur qui voudrait contester le vote de grève. Ce n'est pas une question de nier ceci, mais une question d'exercice d'un droit démocratique. On craint que le temps requis pour faire examiner la situation par le Conseil retardera les relations de travail. Dans la plupart des statuts des syndicats, il y a déjà des clauses qui prévoient la contestation. Cet article constitue donc, à notre avis, une ingérence dans les affaires internes des syndicats. On ne pense pas qu'il y ait vraiment eu de situation où on a abusé des votes de grève.

Maintenant, j'aimerais céder la parole à Michel Lajeunesse.

M. Michel Lajeunesse (vice-président régional, (SIEPB) Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec): Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs du comité. On m'a demandé de résumer les remarques de la FTQ relativement aux dispositions qui touchent les travailleurs de remplacement en cas de grève ou de lock-out.

Je n'ai besoin de rappeler à qui que ce soit ici que ce sont des dispositions qui chatouillent les oreilles d'à peu près tout le monde. C'est un aspect délicat du projet de loi et nous nous contenterons de vous donner nos principaux commentaires.

On retrouve dans ce projet de loi certaines mesures qui ne sont pas secondaires, mais moins importantes, certaines précisions qu'on apprécie, dont le fait que le travailleur de remplacement - un scab pour parler dans notre langage - n'est pas considéré comme un salarié. Cette précision nous apparaît essentielle. Contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, on aura la garantie que les grévistes ou les travailleurs en lock-out seront embauchés en priorité par rapport à tout travailleur de remplacement qui aurait accompli des tâches durant le conflit de travail. On apprécie les améliorations et les précisions à ce chapitre.

Par contre, quand on traite de l'utilisation des travailleurs de remplacement, le projet de loi ne va pas assez loin. La vocation première d'une loi ou d'une disposition antiscab - et je pense que là où ça s'est pratiqué, on a un certain effet positif - , c'est d'empêcher le prolongement indu ou le durcissement d'un conflit de travail. Au Québec et dans d'autres provinces, là où existe un meilleur équilibre dans le rapport de force qui s'exerce lors d'un conflit de travail, une loi antiscab a des effets incitateurs, tant chez l'employeur, pour qu'il règle au plus vite son conflit, que chez les employés, pour que le conflit ne prenne pas une tournure trop émotive. En ce sens, les dispositions du projet de loi ne vont pas assez loin.

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Nous aurions souhaité que vous vous inspiriez des dispositions de la province de Québec ou de la Saskatchewan ou de la Colombie-Britannique et de ce qui a existé pendant un très court temps et qui reviendra peut-être dans la province d'Ontario.

On s'interroge aussi sur la portée de l'expression «miner la capacité de représentation d'un syndicat». On trouve que c'est d'une portée générale qui laisse à la jurisprudence et à l'arbitrage des tiers une définition qui devra trouver son contenu dans la pratique même. On pense qu'il y a là un risque.

Il y a un risque parce que les conflits de travail surgissent sans qu'on les choisisse. Ce ne sont pas nécessairement des causes juridiques. Quand on sait qu'on a une interprétation délicate à aller soutenir devant des tribunaux, normalement, nos avocats vont choisir la cause qui défend le mieux l'interprétation qu'on recherche. Dans le cas des conflits de travail, ce n'est pas toujours facile; il est même impossible d'être sélectif.

Donc, les gens qui auront, au point de départ, à se pencher sur la portée de «miner la capacité de représentation du syndicat», auront, à mon avis, une lourde responsabilité et le législateur aurait peut-être intérêt à mieux l'encadrer.

J'attire votre attention sur quelques questions que nous nous posons quand nous lisons ces termes. La «capacité de représentation d'un syndicat» peut être multiple ou, du moins, elle peut se manifester de multiples façons et de façon variable.

Un petit syndicat, dans la sous-traitance, dans l'avionnerie entre autres, pourrait être miné par certains actes posés par l'employeur qui, dans un autre grand syndicat, pourraient se tolérer. Où tirer la ligne? Nous pensons qu'on laisse la place à une définition variable, qu'on permet que chaque cas devienne un cas d'espèce et que cela risque d'être un fourre-tout.

Notre inquiétude, c'est aussi que cette loi autorise l'utilisation de travailleurs de remplacement et, par le fait même, permette encore des abus comme ceux qu'on connaît à Air Canada. Encore la semaine dernière, Air Canada, une des grandes sociétés canadiennes, recrutait des scabs très ouvertement, par la voie des journaux, à un salaire supérieur à celui consenti aux travailleurs syndiqués en leur offrant des primes de formation à une cadence qui n'est pas définie. Nous ne sommes pas certains d'être protégés contre de telles attitudes et de tels abus par les dispositions qui sont censées le faire.

Nous nous posons la même question par rapport à la situation qui prévaut actuellement à la Banque Laurentienne du Canada. Qu'adviendrait-il, sous le nouveau Code du travail, d'une situation où la seule banque du Canada dont les employés sont syndiqués, par des pratiques déloyales - qui sont d'ailleurs portées actuellement à l'attention du Conseil canadien - , et aussi par des actes de gestion abusifs comme de déclarer non syndicables des employés nouveau genre, forcerait les employés à basculer dans le monde des non-syndiqués avec l'objectif précis de s'en départir un jour sans que le syndicat n'ait de recours?

Est-ce que c'est ce qu'on entend par les mots «miner la capacité de représentation d'un syndicat»? Parle-t-on du déroulement de tels événements alors que le processus de négociations bat son plein? Il nous apparaît que oui, ce l'est et que la démonstration dans ces deux cas-là serait peut-être facile à faire.

Dans d'autres cas, ce sera beaucoup plus difficile parce que, dans un conflit de travail, le terrain est complètement miné. Nous ne voudrions pas attendre une explosion et être forcés de constater que notre capacité de représentation vient de sauter.

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Ce sont les remarques et les inquiétudes dont nous voulions vous faire part concernant l'article 42. De façon générale, nous, de la FTQ pensons que le projet de loi dans son ensemble, malgré ses carences, marque un pas dans la bonne direction. Le projet comporte des améliorations certaines. Cependant, après 25 ans d'attente, nous sommes restés sur notre appétit en ce qui concerne plusieurs de ses dispositions.

Nous vous invitons à adopter le projet de loi le plus rapidement possible avec les amendements que vous souhaiteriez y apporter. Nous pensons que, grosso modo, il va contribuer à assurer un meilleur équilibre et la paix industrielle pour l'ensemble de ceux qui sont sous juridiction fédérale.

Je vous remercie au nom de mes collègues. Avez-vous des questions?

Le président: J'aimerais vous remercier de votre présentation très intéressante. Nous allons maintenant entamer la période de questions en commençant par le Bloc québécois.

Madame Lalonde.

Mme Lalonde (Mercier): Merci beaucoup de votre présentation claire et précise, qui manifeste une connaissance bien concrète de ce dont vous parlez.

Si vous aviez des priorités à établir dans les changements à faire au projet de loi, quelles seraient ces priorités?

M. Lajeunesse: Nous en avons énoncé deux. Émile pourrait peut-être en ajouter. Quant à nous, notre grande priorité serait que le travailleur de remplacement soit totalement banni des pratiques, comme c'est déjà le cas dans certaines provinces, particulièrement dans celle du Québec. C'est une interdiction qui a fait ses preuves. Je pense qu'ainsi, les parties ont moins de jeu pour tenter de contourner les dispositions de la loi ou encore pour en étirer le sens jusqu'au point où elles n'en ont plus.

Une préoccupation qui peut avoir l'air mineure mais qui, pour nous, est importante stratégiquement et concrètement sur le terrain, concerne la disposition touchant l'avis d'un vote de grève de 60 jours. Ce serait invivable. Vous allez désorganiser toutes les démarches. Il y a des syndicats qui seront constamment en procédure de vote et cela va finir par démobiliser les gens d'un seul côté. Repensez-y; ce n'est vraiment pas une bonne idée.

M. Joseph Gargiso (conseiller syndical (SCEP), Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec): Les dispositions auxquelles on a fait allusion concernant le mécanisme de négociation, dont le délai de 60 jours, ne sont pas pratiques. Même les employeurs vont partager notre avis. Dans une unité pancanadienne qui regroupe 20 000 travailleurs de Terre-Neuve à Vancouver, organiser un vote peut prendre un mois, ce qui retarde indûment le processus.

Vous aurez remarqué que nous n'avons rien dit de l'obligation qui nous est faite, dans cette même section, de procéder par scrutin au vote de grève. C'est une disposition qui existe dans le code québécois depuis longtemps et qu'on retrouve dans la plupart sinon la totalité des statuts internes des syndicats, lesquels comportent des dispositions parfois plus exigeantes que ce qui est prévu dans le Code. Cependant, l'avis de 60 jours n'aide pas le processus.

Quant à la possibilité de contester les résultats d'un vote de grève, cela relève de l'ingérence, parce qu'il y a des mécanismes internes prévus dans le statut des syndicats pour permettre de contester des décisions prises en assemblée générale. C'est aussi un mécanisme qui va retarder le processus.

Même si on a prévu que le Conseil canadien des relations industrielles pouvait rendre une décision sommaire, cela va imposer des délais. Il faut en effet qu'il y ait enquête avant que le Conseil se prononce. Encore une fois, cela va retarder le processus.

Ce sont deux points qui ne favorisent pas les bonnes relations de travail et qui, selon nous, devraient être éliminés.

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Mme Lalonde: Merci.

Le président: Monsieur Ménard.

M. Ménard (Hochelaga - Maisonneuve): Vous avez fait valoir un excellent argument, à savoir que vous souhaitiez que le projet de loi s'oriente dans le sens de la loi du Québec, même en ce qui concerne les travailleurs de remplacement. Je suis sûr que tous les collègues autour de la table vont en prendre bonne note. Par ailleurs, vous vous félicitez que le projet de loi contienne deux dispositions, celle qui veut que le scab ne soit pas considéré comme un salarié et celle qui détermine la préséance d'embauche en cas de conflit.

Vous nous avez exposé la difficulté d'interprétation que va poser la représentativité du syndicat selon la taille de ce dernier.

Pouvez-vous nous en donner des exemples très concrets, très opérationnels, pour que cela soit dit très clairement dans le rapport? Il faut bien reconnaître que ce concept inquiète tout le monde. Que signifie la «représentativité»? Qui va la définir? Est-ce que ce sont des directives du Conseil canadien des relations industrielles? Est-ce que c'est la jurisprudence antérieure?

Quand les consultations se sont engagées l'été dernier, personne ne s'attendait à ce que le ministre utilise une telle formule. Je suis convaincu que vous en avez été aussi surpris que nous.

Toute cette idée que cela pourrait être différent pour les syndicats selon les moyens d'action dont ils disposent, est certainement à prendre en considération par tous les députés qui sont ici. Vous qui représentez plusieurs syndicats dans des champs d'action très différents, êtes-vous en mesure de faire oeuvre pédagogique en nous en donnant des exemples précis?

M. Lajeunesse: Écoutez, on ne peut sans doute pas vous fournir d'exemples vécus, mais on peut quand même vous brosser un tableau de ce qui pourrait devenir une difficulté.

Prenons l'exemple d'un syndicat, d'une section locale, d'un groupe syndical ou d'une unité syndicale d'environ 50 personnes. La capacité financière de ce syndicat peut être assez limitée, merci. Ce n'est pas le cas du syndicat dont je parlais, celui de la Banque Laurentienne, qui compte 1 600 grands affiliés.

Il y a à l'heure actuelle des pratiques qu'on considère déloyales, que ce soit à Air Canada, où il y a aussi un grand syndicat, ou à la Banque Laurentienne, où des dizaines et des dizaines de milliers de dollars déjà engagés strictement sur le plan juridique, soit pour payer les avocats et la recherche, soit pour faire les représentations auprès du Conseil canadien. Il y en a tout un lot qui travaillent à faire avancer le dossier.

Dans le cas d'un grand syndicat, les pratiques déloyales dénoncées peuvent, avec le temps, apparaître comme les pratiques en usage chez un employeur. Dans un tel cas, ces pratiques ne mettent pas en danger la vie même du syndicat, sa représentation ou sa représentativité. Cependant, dans le cas des syndicats qui ne regroupent qu'une cinquantaine de personnes, dont la capacité financière est limitée et où l'employeur s'adonne consciemment à des pratiques ouvertement déloyales, cette pratique va miner le caractère représentatif ou la capacité de représentation du syndicat. Ce geste pourrait être perçu par le Conseil canadien comme étant supportable là où il y a un très grand syndicat, mais est-ce que ce sera aussi le cas pour un très petit syndicat, pour qui l'impact sera totalement différent?

C'est la même chose pour certaines mesures dilatoires. Il y a une foule de pratiques, mais je ne voudrais pas... Le message que je voulais passer, c'est que miner la capacité de représentation - on ne parle pas que de représentativité, mais aussi de représentation - , veut dire miner plus que la simple représentativité, quant à moi.

Je vais m'arrêter là. Dans le rapport, il faut prévoir pour le même geste deux décisions différentes ou deux effets bien différents.

Le président: Merci, monsieur Lajeunesse. Monsieur Nault.

[Traduction]

M. Nault (Kenora - Rainy River): Je vous remercie, monsieur le président.

Je m'intéresse beaucoup aux sections cinq et six du code qui portent respectivement sur les procédures de conciliation et les obligations en matière de grève et de lock-out. J'aimerais obtenir à ce sujet des précisions pour la gouverne des membres du comité qui n'ont jamais connu de grève dans une entreprise de régie fédérale.

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Sauf erreur, les préavis de grève et de lock-out, prévus dans le projet de loi, correspondent à ce qu'on retrouve dans les lois provinciales. Certains soutiendront plutôt que ce qu'on a fait c'est de fixer une limite à la durée des négociations et qu'on prive ainsi de toute latitude l'agent de conciliation ainsi que le ministre.

Parlons maintenant du délai de 60 jours, donné à un syndicat pour tenir un vote de grève, avant le déclenchement de tout arrêt de travail. J'ai été un syndicaliste dans le domaine ferroviaire et je sais que pour tenir un vote de grève dans ce secteur, il faut au minimum 45 jours, parce que les travailleurs sont dispersés dans tout le pays. Il en coûtait à l'époque 50 000 $, pour tenir un vote de grève dans le secteur ferroviaire et c'est peut-être même un peu plus maintenant.

Je me demande s'il est même possible de tenir un vote de grève après le début des négociations. Je crains que le changement proposé pousse les syndicats - et j'ai d'ailleurs fait part de cette crainte aux fonctionnaires et au ministre - à faire ce que font maintenant les TCA, c'est-à-dire tenir un vote de grève avant même le début des négociations, ce qui change complètement la dynamique des négociations.

J'aimerais savoir si vous approuvez cette pratique? Pensez-vous que les syndicats vont effectivement devoir tenir un vote de grève, avant même le début des négociations, pour éviter de devoir tenir un autre vote de grève si le délai de 60 jours était expiré, ce qui ne serait pas pratique dans tous les cas, ainsi que trop coûteux? Moi, c'est ce que je pense.

[Français]

M. Gargiso: De façon générale, selon mon expérience, quand un syndicat va chercher un vote de grève, il faut qu'il aille le chercher pour une raison quelconque. La pratique de demander un vote de grève au commencement de la négociation est très peu répandue.

De façon pratique, pour obtenir un vote de grève, il faut que le syndicat présente la position de l'employeur, une orientation des offres qu'il fait rejeter et, ensuite, demande un vote de grève pour faire avancer le dossier. C'est comme cela que les choses se passent dans la vraie vie.

Le problème du délai de 60 jours est qu'on ne sait pas à quel moment cette chose-là arrivera. Le processus de négociation est ce qu'il est. Il y a différentes phases et il peut être court ou long; on ne le sait pas. Avec cette disposition de 60 jours, si on prend un vote de grève aujourd'hui, qu'on continue à négocier et qu'on fait une demande de conciliation, rien de tout cela ne comptera plus après 60 jours. Après 60 jours, le vote n'est plus valide en vertu de votre projet de loi. Cela veut dire que le syndicat, s'il veut être en position de force, doit prendre un autre vote. Pendant qu'il prend un autre vote, les négociations vont cesser. On va voter pendant 45 jours et on ne se parlera qu'au bout de ces 45 jours. C'est un non-sens.

[Traduction]

M. Nault: Permettez-moi, monsieur le président, étant donné le temps limité dont je dispose... Le projet de loi propose des changements importants en ce qui touche aux délais, par rapport à la situation actuelle, que je connais bien. J'ai déjà participé à des grèves et je connais donc bien le système actuel.

J'aimerais savoir si votre fédération pense que le délai de 60 jours et la période de réflexion constitueront une amélioration. La période de réflexion est passée de 36 jours à 14 jours. On l'a donc raccourcit de 22 jours. Le conciliateur aura donc 14 jours après l'arrêt des négociations pour amener les parties à reprendre les discussions. C'est habituellement une bonne idée de disparaître pendant deux semaines et de réfléchir à ce qui s'est dit. Cela donne aux gens le temps de retourner chez eux et de voir leur famille, après avoir négocié pendant deux ou trois semaines d'affilée.

Dans le secteur ferroviaire, à tout le moins, nous disparaissions à Montréal pendant un mois et nous ne voyions pas pendant tout ce temps notre famille. Il était bon de retourner pendant une semaine ou deux chez soi, lorsqu'il y avait arrêt des négociations, mais je ne pense pas que cela sera possible en vertu du nouveau régime. Il faudra que les négociations reprennent tout de suite, et cela ne donnera pas le temps aux parties de se reposer. J'aimerais que les syndicats et les employeurs nous disent si le système qu'on propose pour les entreprises de régie fédérale peut vraiment fonctionner.

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J'aimerais aussi savoir quelle est la raison d'être de ce changement. A-t-il été réclamé par les syndicats et les employeurs? Savez-vous pourquoi on a décidé de changer un système qui fonctionnait jusqu'ici?

Enfin, ce projet de loi prive le ministre de toute marge de manoeuvre - ce à quoi je m'oppose comme dirigeant politique. Le ministre ne sera plus en mesure de retarder une grève, en imposant la conciliation. Le nouveau système prévoit le déclenchement de la grève après l'expiration du délai.

Comme je considère qu'il s'agit d'une lacune importante du projet de loi, j'aimerais savoir quel est votre avis sur cette question.

[Français]

M. Gargiso: C'est une section sur laquelle, en tant que groupe, nous avions décidé de ne pas faire de commentaires. Quant à moi, de façon générale, la philosophie qui est derrière le projet de loi est de laisser de plus en plus les parties régler leurs affaires entre elles.

Certaines personnes disent qu'on a enlevé au ministre la flexibilité nécessaire pour retarder les choses, mais on a aussi entendu des critiques contraires dans le genre de: «Qu'ils nous foutent la paix et qu'ils nous laissent faire ce qu'on a à faire». Donc, ces deux tendances existent, et on avait décidé de ne pas relever ce point, car on est d'accord, de façon générale, sur l'orientation du projet de loi.

M. Lajeunesse: En plus du fait que ce n'est pas pratique, ce qui risque d'arriver, c'est que l'employeur fasse quatre, cinq, six offres finales. Il va simplement bonifier son offre et nous inviter à retourner auprès de nos membres pour remettre en question le vote de grève qui a été pris. Si ce n'est pas assez, il va en ajouter un petit peu plus. Les grands syndicats nationaux vont devoir faire deux, trois quatre assemblées pour remettre en question le vote de grève ou examiner une nouvelle offre patronale légèrement bonifiée. Cela provoquera un essoufflement qui sera à l'avantage de l'une des parties.

Quant au délai qui pouvait être imparti, qui était peut-être un délai de grâce pour s'assurer que les parties avaient bien réfléchi, nous pensons qu'il faut, dans la mesure du possible - il s'agit d'une loi-cadre dont le but est civiliser les pratiques - , faire diligence quand les choix fondamentaux sont faits, quand les décisions sont prises. Les gens et les organisations sont raisonnables, et quand on en arrive à prendre une décision aussi fondamentale que celle de retarder le conflit, c'est s'ingérer dans la stratégie et dans la lecture des conjonctures des parties.

Nous disons oui à certains délais, parce qu'ils sont parfois nécessaires. Mais, comme le disait mon confrère Gargiso, il faut laisser le plus possible les parties travailler dans leur propre dynamique et éviter le plus possible les mesures dilatoires.

M. Vallée: Avec tous les délais dans le Code canadien du travail, il y avait certaines industries - on ne les nommera pas - qui prenaient des mois et des années pour négocier et, finalement, les choses n'arrivaient jamais à un point où elles pouvaient se régler. Souvent, c'était le Parlement qui devait prendre les décisions et forcer un règlement dans ces secteurs-là.

Si je comprends bien l'économie du projet de loi en ce qui a trait à la conciliation et à la médiation, il s'agit d'amener les parties à prendre leurs décisions elles-mêmes, de les encourager à en arriver à un règlement plutôt que de laisser le tout au ministre et aux députés. De façon générale, nous sommes très à l'aise devant cet objectif.

[Traduction]

Le président: Monsieur Nault, je vous prie d'être bref, et je demanderais au témoin d'en faire autant.

M. Nault: Permettez-moi de vous donner un exemple. Dans le secteur ferroviaire, il existe à l'heure actuelle sept syndicats, dont le plus gros est celui des TCA.

Prenons le cas de l'obligation qui est faite aux syndicats de tenir un vote de grève 60 jours avant le déclenchement de la grève. Supposons que le syndicat décide de tenir le vote avant le début des négociations. De cette façon, si le délai de 60 jours ne suffit pas, le syndicat n'aura pas à tenir un nouveau vote de grève. Aucun syndicat ne voudra d'ailleurs dépenser 50 000, 60 000 ou 75 000 $, pour tenir un nouveau vote de grève, s'il a déjà obtenu l'accord de ses membres pour déclencher la grève.

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Dans le secteur ferroviaire, la période de réflexion après l'arrêt des négociations sera de 14 jours au lieu de 36 jours. Or, il est possible que les six autres syndicats n'aient même pas encore commencé à négocier, ou soient tout juste sur le point de le faire.

Comme vous le savez, le Parlement a par le passé forcé les cheminots à reprendre le travail. Compte tenu du système qui est proposé, le Parlement pourrait adopter une loi de retour au travail avant même que les six autres syndicats du domaine ferroviaire aient commencé à négocier ou aient pris vraiment connaissance des offres qui leur sont faites. C'est ce qui pourrait se produire. Cela ne s'est jamais produit jusqu'à maintenant, parce qu'on avait plusieurs mois pour amener les parties à reprendre les discussions.

Ne pensez-vous pas que ce changement va être source de grandes difficultés? Ne pensez-vous pas que le Parlement va ordonner le retour au travail de tous les syndiqués et pas seulement de ceux qui appartiennent à un syndicat donné du secteur ferroviaire? Il se peut d'ailleurs qu'un petit syndicat ne puisse jamais commencer à négocier dans un secteur donné, parce qu'un syndicat plus important aura été rappelé au travail.

M. Vallée: Comment le Parlement pourrait-il ordonner qu'un groupe qui n'est pas en grève et qui n'a pas encore commencé à négocier, reprenne le travail?

M. Nault: Il le faisait autrefois très facilement.

M. Vallée: Il faudrait dans ce cas s'interroger sérieusement sur la valeur du processus de négociation.

M. Nault: Je ne pense pas que les syndicats aient suffisamment réfléchi aux problèmes que posent les changements proposés pour les délais. Je ne pense pas que les employeurs y aient suffisamment réfléchi. Je crois qu'une grève sera déclenchée tous les 1er janvier en raison de ce changement.

M. Vallée: J'ai des préoccupations à cet égard, mais je suppose que vous entendrez les représentants du Congrès du travail du Canada.

[Français]

Il va venir plus tard, au cours de cette semaine, pour faire une présentation. Il y aura des représentants de gens qui oeuvrent dans le secteur des chemins de fer et ils seront probablement mieux en mesure de répondre à cette question-là.

[Traduction]

M. Nault: Je voudrais que la fédération réfléchisse sérieusement à cette question et compare à cet égard le système actuel à celui qu'on propose. Par votre intermédiaire, monsieur le président, j'aimerais demander au ministère de nous préciser ces délais. Il est difficile de comprendre le système sans avoir en main ces renseignements.

Pour simplifier les choses, on pourrait nous présenter ce que cela signifie en jours. On comprend alors mieux l'envergure des changements proposés.

Il n'y a pas de problème dans le secteur de l'automobile parce que tous les travailleurs se trouvent au même endroit. On peut prendre un vote de grève en un jour ou en un week-end. La situation est toute autre dans l'industrie des transports aériens. Un pilote, par exemple, peut se trouver en Chine ou ailleurs et il faudra six semaines pour le rejoindre. Dans ce secteur, il faut beaucoup plus de temps pour tenir un vote de grève.

Je ne pense pas que ce changement puisse fonctionner dans les entreprises de régie fédérale. Je crois que le ministère devrait nous fournir une analyse de ces deux changements.

M. McCormick (Hastings - Frontenac - Lennox et Addington): Oui.

M. Nault: Il ne faudrait pas oublier que c'est le premier syndicat que nous entendons. On ne m'a toujours pas expliqué la raison d'être de ce changement. Je ne la vois pas. Le rapport Sims a abordé la question, mais je ne saisis toujours pas pourquoi on propose ce changement étant donné que les syndicats fédéraux et provinciaux traitent de façon différente avec leurs membres. J'aimerais une analyse de ce changement avant que nous ne passions à l'étude article par article du projet de loi.

Le président: Oui. Nous demanderons évidemment au secrétaire parlementaire du ministre du Travail, M. Proud, d'expliquer au comité la raison d'être de ce changement.

Monsieur Lajeunesse, je vous prie d'être bref, car nous avons pris du retard.

[Français]

M. Lajeunesse: Si j'ai bien compris l'approche de monsieur, un des problèmes qu'on pourrait rencontrer en augmentant les délais ou les encadrant trop, c'est qu'après un vote de grève, le ministre ou les conciliateurs pourraient rappeler tout le monde avec des délais de grève de 13 ou 14 jours. Il ne faut pas oublier que, dans certains secteurs, il y a des moments stratégiques et des pics de productivité.

On pourrait donc facilement avoir recours à la stratégie d'utiliser tous ces délais qui seraient très encadrés dans la loi pour sauter chaque fois les pics de production ou de productivité d'une entreprise. Ensuite les employés pourraient faire leur grève pendant huit mois, les quatre mois de production intense ayant été sauvés parce qu'on a utilisé tous les délais prévus dans une loi qui, malheureusement, encadre peut-être trop la dynamique des parties.

[Traduction]

Le président: Je vous remercie, monsieur Lajeunesse. Je vous remercie d'un exposé bien réfléchi. Votre contribution à nos travaux aura été très utile à en juger par le nombre de questions qui vous ont été posées et par l'intérêt suscité par certaines parties du projet de loi.

.1120

Après une pause de deux minutes, nous entendrons les représentants de la Centrale des syndicats nationaux.

.1121

.1126

Le président: La séance reprend.

Nous sommes maintenant heureux d'accueillir les représentants de la Centrale des syndicats nationaux. Il s'agit de MM. Roger Valois, Maurice Sauvé, John Mancini et Claude Tremblay. Bienvenue, messieurs.

Nous vous avons réservé une demi-heure. Veuillez prendre de 10 à 15 minutes pour faire votre exposé, après quoi il y aura une période de questions de durée équivalente. Bienvenue. Nous nous réjouissons d'entendre vos vues sur le projet de loi C-66. Veuillez commencer.

[Français]

M. Roger Valois (vice-président, Centrale des syndicats nationaux (CSN)): Mesdames et messieurs du comité, au nom des 235 000 travailleuses et travailleurs membres de la CSN, répartis dans quelque 2 200 syndicats locaux accrédités dans tous les secteurs de l'activité économique au Québec, nous vous remercions de nous donner l'occasion d'exprimer notre point de vue sur le projet de loi C-66, bien que nous ayons déjà eu l'occasion de le faire dans le cadre des travaux du Groupe de travail chargé de réviser la partie I du Code canadien du travail.

Précisons que la CSN compte quelque 6 000 membres assujettis aux lois fédérales du travail. Nous les retrouvons principalement dans les secteurs des communications, du transport interprovincial des marchandises ou du transport des passagers, ainsi que dans certains secteurs reliés aux activités manufacturières agroalimentaires, comme celui des minoteries.

Bien que la CSN soit très largement concentrée au Québec, elle compte également des syndicats en Ontario et au Nouveau-Brunswick, dont certains sont assujettis aux lois fédérales du travail.

Notre intervention d'aujourd'hui s'inscrit dans une longue tradition d'actions syndicales et d'actions politiques non partisanes de la CSN.

Membres du comité, nous ne pouvons cacher notre déception devant la timidité du projet de loi C-66, notamment en regard de l'utilisation des scabs durant les conflits de travail, de l'absence de renforcement des dispositions relatives au processus de négociation et à la transmission des droits et obligations, lors de la vente, de la location, du transfert ou de toute autre forme de disposition de l'entreprise.

La CSN soutient que la structure de négociation doit être modifiée. Ainsi, devant le groupe de travail Sims, nous disions:

Cette demande fut écartée dans le projet de loi C-66. De plus, ce projet ajoute deux conditions de légalité à l'exercice du droit de grève, ce qui est réellement inadmissible. En premier lieu, l'exercice du droit de grève serait dorénavant assorti de l'exigence supplémentaire que le Conseil ait tranché une demande d'une partie ou le renvoi du ministre quant au maintien des services essentiels. C'est un ajout qu'on trouve assez sévère.

En second lieu, on oblige un syndicat à donner un préavis de 72 heures et, surtout, de tenir un vote au scrutin secret assorti de modalités se prêtant facilement à la contestation. Un mécanisme de demande de déclaration d'invalidité du vote pour tout membre de l'unité de négociation mécontent y est même prévu.

Nous rappelons que les syndicats qui nous sont affiliés ont comme pratique de tenir un vote de grève à scrutin secret, mais jamais un membre ne peut engager une contestation qui empêche le déclenchement d'une grève légale, contrairement à ce que précise le paragraphe 87.3(4) proposé à la page 27 du projet de loi C-66.

La conciliation: Devant le groupe de travail Sims, la CSN a dit ce qui suit:

Le projet de loi C-66 ne retient pas cette approche. Nous vous demandons donc de modifier les dispositions prévues aux articles 71 et suivants du Code canadien du travail, afin de prévoir que le recours à la conciliation devienne une étape facultative.

Vote au scrutin secret sur les dernières offres patronales: Devant le groupe de travail Sims, la CSN a rappelé:

.1130

Le projet de loi C-66 maintient l'article 108.1 et nous réitérons notre demande d'abrogation de cette disposition.

Le maintien des conditions de travail: La CSN maintient sa demande d'une disposition spécifique dans le Code canadien du travail afin de permettre aux parties de reconduire les conditions de travail dans une convention collective et que ces conditions de travail prévues à la convention collective continuent de s'appliquer jusqu'à la signature d'une nouvelle convention collective. Il est inadmissible que le Code canadien du travail ne contienne pas déjà une disposition comme l'actuel article 59 du Code du travail du Québec.

La jurisprudence du Conseil canadien a déjà statué sur l'illégalité des clauses des conventions collectives prévoyant le maintien des conditions de travail jusqu'au renouvellement de la convention collective parce que le Code est muet sur cette question. Une telle décision, rendue sous l'emprise du Code du travail de la Colombie-Britannique, a d'ailleurs été confirmée par la Cour suprême du Canada dans un contexte législatif semblable. On se souvient de l'affaire Paccar. Il est urgent de modifier le Code pour qu'il puisse permettre aux parties de prévoir la stabilité et la continuité des conditions de travail pendant toute la négociation. Le projet de loi C-66 est complètement muet à cet égard.

Le projet de loi C-66 n'apporte aucune modification significative aux dispositions du Code canadien du travail portant sur les changements technologiques.

La CSN affirme que les dispositions relatives à tous les changements technologiques ne devraient être mises en oeuvre, dans un milieu de travail, qu'après une entente négociée, avec l'exercice du droit de grève en cas de désaccord. La définition de «changements technologiques» devrait être assez large pour tenir compte de toutes les technologies modernes. Après un préavis raisonnable, l'information transmise au syndicat devrait comprendre tous les aspects économiques, techniques et organisationnels relatifs au projet de l'employeur: explication détaillée du projet, analyse des coûts, analyse des bénéfices, emplois touchés, évaluation de la main-d'oeuvre, effet sur l'organisation du travail et le calendrier de réalisation.

Le syndicat devrait pouvoir vérifier toutes les informations, avec l'aide d'experts si nécessaire, sur tous les aspects du projet et sur ses conséquences éventuelles pour les travailleurs et travailleuses de l'entreprise.

La réintégration des salariés après un conflit: La CSN ne peut qu'appuyer l'obligation, proposée à l'article 87.6, de réintégrer les employés de l'unité de négociation qui ont participé à une grève et qui ont été visés par un lock-out de préférence aux scabs, mais on déplore qu'on permette encore aux employeurs d'utiliser des scabs. On y reviendra plus tard.

Accréditation lors de pratiques déloyales: La CSN appuie l'introduction de l'article 99.1 autorisant le Conseil à accorder l'accréditation même sans preuve de l'appui de la majorité des employés de l'unité si l'employeur a contrevenu à l'interdiction de pratiques déloyales dans des circonstances telles que le Conseil puisse être d'avis que, n'eût été la pratique déloyale, le syndicat aurait vraisemblablement obtenu l'appui de la majorité des employés de l'unité.

Transmission lorsque l'entreprise est continuée par un autre employeur: Le Code canadien du travail doit garantir la transmission des droits et obligations dans tous les cas où une entreprise ou une partie d'entreprise est continuée par un autre employeur. Il faut, en effet, faire en sorte que l'accréditation et la convention suivent dans tous les cas de cession d'opération, de concession, de sous-traitance, cela peu importe la nature de la transaction et qu'il y ait ou non un lien de droit entre l'ancien employeur lié par l'accréditation et la convention et le nouvel employeur.

Il faut comprendre qu'exiger un lien de droit entre l'ancien et le nouvel employeur donne ouverture à une foule de manoeuvres juridiques, telle la création de nouvelles corporations ou entités juridiques.

Avec la privatisation à venir dans les entreprises de juridiction fédérale, et compte tenu de la mode actuelle du recours à la sous-traitance, il faut être vigilant et ne pas donner ouverture à des problèmes majeurs, à un phénomène marqué de désyndicalisation et à une remise en cause de la paix industrielle et sociale.

Nous saluons l'amendement contenu dans le projet de loi C-66 relatif au transfert d'une compétence ou juridiction provinciale à une compétence ou juridiction fédérale.

Dispositions antibriseurs de grève et services essentiels: L'absence de dispositions antibriseurs de grève dans le Code canadien du travail permet à des employeurs de faire appel impunément à des briseurs de grève durant un conflit de travail. Le recours à des briseurs de grève durant un conflit est, à notre sens, une négation des droits juridiques de négociation et de grève, des droits acquis de haute lutte.

.1135

L'absence de dispositions antibriseurs de grève est une lacune fondamentale qui a pour effet la prolongation des conflits de travail et la création d'un déséquilibre qui bloque la tenue de négociations libres.

L'embauche de scabs durant un conflit de travail est une source de frustration et de violence. La présence de briseurs de grève escortés par des agences privées de sécurité, quand ce n'est par les forces policières payées avec nos impôts, est choquante, provocante et inacceptable pour des employés qui ont bâti la réputation d'une entreprise ou d'une institution.

Le cas des travailleurs d'ADM Ogilvie est une illustration récente de la nécessité de dispositions antibriseurs de grève.

Durant le conflit, qui a duré 16 mois, soit de juin 1994 à septembre 1995, ces travailleurs et leur famille ont souffert de l'absence de mesures antibriseurs de grève, comme en témoignera devant vous le président du Syndicat des travailleurs des Minoteries Ogilvie, M. Claude Tremblay. Pendant que leur employeur pouvait assurer impunément sa production, les travailleurs, dépouillés de leur dignité de pouvoir exercer fièrement leur métier, ont dû épuiser le vieux-gagné qu'ils avaient amassé au fil des ans afin d'assurer la vie quotidienne de leur famille et de ne pas perdre leur maison.

On ne peut que déplorer que le droit de grève, requis dans l'équilibre envisagé au Code canadien du travail, demeure en 1996 un droit non assorti de dispositions permettant d'en assurer le respect intégral. On connaît les résultats des conflits violents ainsi que les problèmes occasionnés par la présence des scabs à la fin des arrêts de travail. Pensons notamment aux conflits miniers dans les Territoires du Nord-Ouest canadien.

Rappelons tout d'abord qu'au Québec, les véritables dispositions antibriseurs de grève qu'on a adoptées ne faisaient pas consensus lors de leur promulgation. Les employeurs, les chambres de commerce et le Parti libéral du Québec s'opposaient violemment en argumentant qu'une loi antiscab augmenterait le nombre de conflits et prolongerait leur durée parce qu'elle donnerait un rapport de force avantageant le syndicat. Or, c'est tout le contraire qui s'est produit. Depuis, les conflits sont moins nombreux et généralement moins longs qu'auparavant.

Ces craintes se sont avérées non fondées, à tel point qu'aujourd'hui, les dispositions antibriseurs de grève ne sont plus remises en question, de sorte qu'on peut dire qu'elles font consensus au Québec. Ce n'est pas parce que nous avons des mesures empêchant de faire appel à des scabs durant un conflit de travail au Québec que les travailleuses et les travailleurs exercent plus souvent leur droit de grève. Penser ainsi, c'est se méprendre sur la démocratie syndicale au Québec et mépriser l'intelligence des travailleuses et des travailleurs. Pour elles et pour eux, l'exercice de leur droit de grève demeure toujours le moyen ultime d'améliorer leurs conditions de vie et de travail.

Adoptée lors du premier mandat du gouvernement du Parti québécois, cette loi n'a pas été retirée sous le dernier gouvernement du Parti libéral du Québec, au pouvoir pendant neuf ans. Rappelons que le Parti libéral du Québec a conservé cette loi en dépit d'un rapport émanant de ses rangs, le rapport Scowen qui, lui, recommandait l'élimination de cette loi.

De plus, ajoutons qu'on ne peut attendre un consensus en cette matière. Attendre un consensus ou l'aval du patronat, c'est dire non à une loi antiscab dans le Code canadien du travail.

Il faut innover et faire preuve de progrès social. L'actuel gouvernement doit remplir ses engagements, pris tout d'abord alors qu'il était dans l'opposition, et ensuite devant les travailleurs d'Ogilvie, en octobre 1994, alors qu'il était au pouvoir. Si le gouvernement adopte une vraie loi antibriseurs de grève ou antiscab, il y aura au Canada dans quelques années un consensus sur les mérites d'une telle loi, comme ce fut le cas au Québec.

L'introduction de mesures antibriseurs de grève dans le Code canadien du travail donnera aux syndicats et à leurs membres des outils pour se protéger contre certaines entreprises américaines désireuses de s'implanter au Canada, mais peu respectueuses des traditions de concertation qui se sont développées ici depuis quelques années.

Ces dispositions indiqueront clairement à ces employeurs qu'ils doivent respecter les lois et les traditions en vigueur au Canada. Autrement dit, l'adoption de mesures antiscab dans le Code canadien du travail est un rempart contre le pattern des conventions collectives américaines, qui sont pauvres en matière d'ancienneté, de formation professionnelle, de santé et de sécurité, et j'en passe.

Une loi antiscab est une garantie de paix industrielle.

Nous réclamons une loi antiscab modelée sur les dispositions de l'article 109.1 du Code du travail du Québec et non sur les dispositions prévues au projet de loi C-66, où on dit qu'il est interdit d'utiliser des scabs dans le but de miner la capacité de représentation d'un syndicat. Par définition, utiliser des scabs, c'est non seulement miner, mais annuler toute capacité de représentation d'un syndicat. Les scabs ne sont jamais représentés par un syndicat. Faire la preuve que cela mine la capacité de représentation d'un syndicat, c'est une tout autre histoire.

.1140

Nous croyons également que de réelles dispositions antiscab devraient être insérées aux articles 94, 97 et 99 du Code canadien du travail. Nous ne comprenons pas que le projet de loi propose des dispositions relatives à la prestation des services essentiels alors que le même projet ne propose pas de véritables dispositions pour proscrire l'utilisation de scabs. Il est indécent que les employeurs puissent, en plus d'exiger les services essentiels, utiliser des scabs. D'ailleurs, le recours aux services essentiels et l'utilisation de scabs conduiront à une confrontation, non plus sur les lignes de piquetage, mais dans l'établissement.

Finalement, la CSN fait sienne la revendication des travailleurs du Syndicat des travailleurs des Minoteries Ogilvie voulant que le Parlement prenne les dispositions nécessaires pour retourner les Minoteries sous la juridiction des provinces.

C'est une mesure qui avait été prise lors de la guerre pour assurer la rationalisation du secteur de la farine au Canada. La disposition sur les minoteries au Canada avait été prise lors de la dernière guerre. Il faudrait peut-être dire au Parlement canadien que la guerre est finie. Il n'est peut-être pas au courant.

M. Claude Tremblay (président, Syndicat des travailleurs des ADM Ogilvie, Centrale des syndicats nationaux): Madame, messieurs les membres du comité, je vous remercie de l'occasion que vous donnez à notre syndicat de vous faire part de notre expérience vécue lors de notre récente grève légale, déclarée sous l'empire du Code canadien du travail, et de nos réflexions à ce sujet. J'espère que je serai plus écouté ici que devant le groupe de travail présidé par M. Sims et que vous accepterez de modifier le projet de loi C-66 de manière à abolir l'utilisation de scabs.

Les 110 travailleurs que je représente ont été pour ainsi dire forcés de déclencher cette grève le 6 juin 1994 après près de deux ans de négociations infructueuses avec notre nouvel employeur, le géant américain Archer-Daniels-Midland Co.

Après avoir tenté de nous forcer à accepter sa convention collective, ADM a profité d'un trou dans le Code canadien du travail pour nous imposer sa convention à compter du 10 décembre 1993. En effet, la jurisprudence du Conseil canadien des relations de travail permet à un employeur de modifier unilatéralement les conditions de travail une fois que le droit de grève ou de lock-out est acquis, et ce, même si notre convention collective antérieure prévoyait qu'elle était maintenue jusqu'à son renouvellement. Cette jurisprudence affirme, malheureusement - le Code canadien du travail est muet sur la question - , que de telles clauses sont illégales et n'empêchent pas l'employeur de profiter du vide juridique.

Comme cette convention patronale imposée éliminait nos droits d'ancienneté et que l'employeur menaçait de procéder à des mises à pied et licenciements sans respecter l'ordre d'ancienneté, nous avons été forcés de sortir pour empêcher l'employeur de procéder et pour le forcer à maintenir nos acquis de plus de 30 ans.

Des employeurs puissants comme ADM et la plupart des employeurs soumis au Code canadien du travail ont déjà suffisamment de pouvoirs sans qu'ils aient en plus le pouvoir de nous imposer leurs conditions de travail dès l'acquisition de leur droit de lock-out.

Comme syndicat, nous croyons que la loi devrait maintenir la convention collective au moins jusqu'à l'exercice du droit de grève. De plus, elle devrait permettre d'inclure dans une convention collective une clause qui permet le maintien des conditions de travail qu'elle contient jusqu'à son renouvellement.

La loi ne fait pas qu'autoriser l'utilisation de briseurs de grève. Elle l'encourage.

Près de 16 mois de grève nous ont permis d'arracher à ADM une convention collective ordinaire dans le contexte québécois, mais extraordinaire par rapport au pattern américain qu'ADM a réussi à imposer à ses employés dans plus de 138 conventions collectives dans son empire.

Jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, nous avons subi une violence tranquille, sournoise et persistante: des scabs entraient et sortaient et venaient nous voler nos droits; les camions pleins de blé ou de farine entraient et sortaient; la police de la CUM arrêtait mes confrères de travail pour des niaiseries; des agents de sécurité embauchés par ADM nous épiaient avec leurs caméras sur la voie publique, jusqu'à l'entrée de nos maisons, comme si nous étions de vulgaires microbes.

.1145

Il fut très désolant de constater, au retour au travail, que les scabs avaient tellement bâclé la production de notre usine qu'ils avaient porté atteinte à la réputation de la qualité de la farine Five Roses. Cette réputation de qualité est sûrement la meilleure garantie pour nos emplois, mais la loi encourage les employeurs à courte vue à menacer la survie d'une entreprise en leur permettant d'utiliser des gens sans compétence, cela seulement pour se donner un pouvoir de négociation psychologique à notre égard.

En quoi cela a-t-il servi à ADM puisque, dans le protocole de retour au travail, la compagnie a consenti à congédier ces scabs et s'est de plus engagée à ne plus les embaucher pour toute la durée de la convention collective?

Non seulement le Code canadien du travail n'interdit pas l'embauche de scabs, mais le bureau d'assurance-chômage de Verdun a même servi de courroie de transmission pour le recrutement. Six mois après la fin du conflit, une vingtaine de nos membres, malgré des anciennetés pouvant atteindre 20 ans, n'étaient toujours pas rappelés régulièrement.

Aujourd'hui, plus de 14 mois après la fin du conflit, plus d'une dizaine de nos membres ayant une quinzaine d'années d'ancienneté ne sont toujours pas rappelés au travail. Même si ces travailleurs avaient contribué à l'assurance-chômage pendant des années, ils n'y ont pas eu droit alors que les scabs, eux, après 16 mois de travail illégitime, ont eu droit aux pleines prestations d'assurance-chômage.

Voilà un beau système qui nous semble clairement orienté contre les travailleurs qui décident démocratiquement de se battre pour préserver leurs droits contre de grandes sociétés anonymes et puissantes qui, comme ADM, empochent plus de 500 millions de dollars américains de profit net par année.

Nous croyons que l'utilisation de scabs devrait être interdite par le Code canadien du travail afin d'envoyer aux employeurs étrangers tels qu'ADM un message très clair. Leurs investissements sont les bienvenus au Canada et au Québec à la condition qu'ils respectent un minimum de façons de faire du pays. Ces règles ne pourront pas être défoncées facilement, parce que le gouvernement du Canada, qui est censé être le gouvernement des travailleurs canadiens, nous aura donné des outils pour leur résister s'ils veulent remettre en question ces consensus.

À ceux qui pensent que l'interdiction des scabs renverse injustement le rapport de force en faveur des syndicats, je réponds: «Voyez la situation au Québec et tirez-en vos conclusions». Les travailleurs ne prennent pas plaisir à faire la grève. Ils exercent ce droit seulement lorsqu'il n'y a pas d'autre solution, car cela représente toujours un coût important pour chacun d'entre eux.

En passant, vous essaierez de trouver un job valable alors que vous êtes en grève. Vous m'en donnerez des nouvelles, surtout dans le contexte d'un fort taux de chômage qui semble s'éterniser.

Loin de renverser le rapport de force en faveur des syndicats, l'interdiction faite aux employeurs d'utiliser ces scabs rééquilibre les forces au point de favoriser une négociation plus raisonnable, où employeur et syndicat ont tous deux intérêt à trouver rapidement un terrain d'entente et à développer des relations qui permettent de concilier leurs intérêts divergents et de trouver des solutions qui font ressortir leurs intérêts convergents.

C'est pourquoi nous vous demandons que le Code canadien du travail soit modifié pour interdire l'utilisation de briseurs de grève ou scabs dans le même sens que le Code du travail du Québec et dans le sens du projet de loi C-338, uniquement pour cette disposition, dont la première lecture a eu lieu le 22 octobre 1996.

La plupart des personnes qui interviennent dans nos relations de travail pour la première fois s'étonnent toujours d'apprendre que les travailleurs de production de la farine relèvent du Code canadien du travail. Quant à nous, après plus de 30 ans d'existence dans notre syndicat, cela nous intrigue toujours. Pourquoi? Parce qu'avant l'entrée en vigueur des lois modernes régissant les relations collectives de travail, le gouvernement fédéral a utilisé son pouvoir déclaratoire pour décréter que les minoteries étaient sous sa juridiction.

Peut-être qu'à l'époque de la Guerre mondiale et du protectionnisme, une telle initiative pouvait se justifier, mais plus aujourd'hui, surtout depuis que les Américains ont le contrôle de la majeure partie de cette production, surtout depuis qu'on a aboli le tarif du Nid-de-Corbeau et que le blé peut passer la frontière américaine plus facilement. La logique n'est plus là.

Tout comme la production de bière, la production de farine devrait relever de la compétence des provinces. On n'a pas besoin de pénibles amendements constitutionnels pour y parvenir. Le Parlement fédéral n'a qu'à modifier la loi sur le blé et biffer toute mention des minoteries. Il peut même le faire par province s'il le veut, comme il l'a fait pour les meuneries. Les meuneries du Québec et des Maritimes ne sont pas déclarées comme relevant de la compétence fédérale. Je suis persuadé que le gouvernement du Québec fera le nécessaire pour nous accueillir sous sa juridiction tout en maintenant la continuité des conventions collectives.

.1150

Nous demandons donc que le Parlement fédéral retire les minoteries de sa juridiction, et cela le plus vite possible. Nous souhaitons fortement que notre prochaine négociation se déroule en vertu des dispositions du Code du travail du Québec, étant donné les faiblesses criantes du Code canadien du travail. Merci de votre attention.

Le président: Merci, monsieur Tremblay.

[Traduction]

J'ouvre maintenant la période des questions. Chaque parti aura cinq minutes.

[Français]

Monsieur Ménard.

M. Ménard: Monsieur le président, plusieurs éléments nouveaux ont été présentés. Au fond, est-ce que vous ne nous dites pas un peu que, là où le législateur a pu, il a considérablement contribué à affaiblir votre rapport de force, que ce soit avec le préavis obligatoire, la durée de vie du temps de vote, ou même le lien que vous faites entre les scabs et les services essentiels dans la livraison des services? Cela nous donne à penser que vous êtes inquiets au sujet d'un certain nombre de dispositions qui vont dans le sens d'un affaiblissement des syndicats.

M. Valois: Dans le projet de loi C-66, on confirme pratiquement la légalité de l'embauche de scabs. On ne peut les embaucher si le syndicat peut prouver qu'ils minent sa crédibilité ou son rapport de force, mais prouver cela, c'est une autre histoire. Le Conseil canadien peut nous dire qu'on négocie mal, qu'on est trop exigeants, qu'on n'a pas les bonnes dispositions à la table de négociations et, pendant ce temps, on continue à produire avec des scabs.

Effectivement, le rapport de force est très atténué parce que le législateur a décidé de mettre ces dispositions de cette façon dans le projet de loi C-66. Le rapport de force que nous avons face à l'employeur est différent de celui que l'on constate au Québec, parce qu'au Québec, l'embauche de scabs est interdite et les deux parties savent où elles veulent en venir. Les négociations sont plus claires.

M. Ménard: D'accord. Ma collègue aimerait vous interroger sur les services essentiels.

Mme Lalonde: Merci. Vous apportez un élément nouveau et très intéressant. Je vous demanderais d'expliquer, pour les personnes qui ne font pas partie du monde du travail, la petite phrase que vous dites à la page 11, à savoir qu'il est surprenant qu'il y ait des dispositions sur les services essentiels en même temps que la capacité d'embaucher des scabs et que le recours aux dispositions sur les services essentiels et l'utilisation de scabs conduira à une confrontation, non plus sur les lignes de piquetage, mais dans l'établissement.

Je mentionne cela parce que je crois que les collègues n'ont pas le texte en anglais. Pouvez-vous nous expliquer qu'étant donné qu'il y a des dispositions sur les services essentiels, le syndicat est tenu de maintenir un certain nombre d'activités, mais que l'employeur peut embaucher les gens qu'il veut?

M. Valois: Vous voulez qu'on y réponde à trois ou à quatre?

Mme Lalonde: Oui, je connais bien votre solidarité.

M. Valois: En fonction de ce qui est écrit dans la loi, il me semble qu'il y a un trou béant. Le nouveau Conseil canadien des relations industrielles peut décréter, même dans le privé, qu'on doit maintenir les services qu'il croit être essentiels, mais il n'est pas spécifiquement écrit dans la loi qu'on ne peut embaucher des travailleurs de remplacement à partir du moment où les services essentiels sont assurés. On pourrait se trouver dans une situation où les travailleurs assureraient les services essentiels décrétés en travaillant côte à côte avec des travailleurs de remplacement que l'employeur aurait décidé d'embaucher en disant au syndicat que cela ne mine pas sa capacité de représentation.

On se retrouverait donc dans une situation un peu conflictuelle. Les services essentiels seraient assurés par des syndiqués et les travailleurs de remplacement seraient plutôt vus comme des «charognes». Je vais peut-être un peu loin, mais c'est exactement cela. Mes collègues peuvent expliquer davantage tout ce que cela peut comporter au niveau juridique.

.1155

M. Maurice Sauvé (adjoint au Comité exécutif, Centrale des syndicats nationaux): Au niveau des services essentiels, il est clair que dans le secteur privé, on ne peut pas en même temps tenir un discours antibriseurs de grèves et un discours portant sur les services essentiels. Cela serait «bretelles et ceinture». Cela veut dire que l'employeur qui n'a pas d'employés en nombre suffisant pour assurer les services essentiels n'aura qu'à employer des scabs; il pourra produire autant qu'il le voudra et peut-être de façon éhontée, comme c'est arrivé chez ADM Ogilvie.

Les services essentiels doivent servir, par définition, à assurer la santé et la sécurité du public. Je voudrais tout de suite dire qu'il nous apparaît absolument inapproprié que cela puisse s'appliquer au secteur privé.

Dans le secteur privé, dans n'importe quel type d'entreprise, les cadres à qui le travail routinier est familier, comme des contremaîtres, sont en nombre suffisant. Avant d'être contremaîtres, ceux-ci ont souvent été employés dans l'usine.

Dans le secteur privé, on n'a donc pas besoin de faire allusion aux services essentiels, pour une raison bien simple: les gens sont qualifiés pour assurer la protection des biens. S'il fallait qu'en plus il manque de cadres dans ce contexte-là... Croyez bien que les syndicats ne voudraient pas que leurs usines soient dépréciées à la suite d'un conflit. Ils fourniraient les services au moyen d'ententes avec l'employeur, sur une base volontaire. Donc, en premier lieu, dans le secteur privé, on n'est pas justifié de parler de services essentiels.

Ensuite, au point de vue juridique, on a examiné à fond toutes les dispositions, et il n'y a rien qui interdise de recourir à des scabs quand on peut se retrancher derrière l'argument des services essentiels.

Dans le secteur public, on pourrait croire que c'est admissible. Au Québec, par exemple, les services essentiels s'appliquent, mais il n'existe pas de disposition. Il existe des dispositions qui empêchent les briseurs de grève. Alors, pour la CSN, reconnaître des services essentiels dans le secteur public peut être acceptable, dans la mesure où la loi défend l'utilisation de scabs.

Cependant, dans le contexte d'un projet de loi comme celui-ci, dont les dispositions antibriseurs de grève sont nettement trop faibles, on se dit que les employeurs vont se retrouver «bretelles et ceinture». Cela va engendrer de la violence parce que cela va créer une situation totalement inacceptable. Même juridiquement, le projet n'est pas justifiable.

[Traduction]

Le président: Monsieur McClelland.

M. McClelland (Edmonton-Sud-Ouest): Je vous remercie beaucoup, monsieur le président. J'aimerais aborder sous un angle un peu différent la question des travailleurs de remplacement, ainsi que celle de la mobilité de la main-d'oeuvre au pays.

J'ai deux questions que je vais poser à tour de rôle, et j'écouterai avec intérêt votre réponse. Mes questions s'adressent à qui voudra bien y répondre.

À votre avis, le Code canadien du travail devrait-il assurer la mobilité de la main-d'oeuvre? À titre d'exemple, il est très facile pour les travailleurs du Québec de travailler en Ontario, mais l'inverse est difficile. Cet état de fait crée des situations très déconcertantes dans les deux provinces. À mon sens, un citoyen canadien devrait avoir le droit de travailler n'importe où au pays. Voilà tout.

Parlons maintenant des travailleurs de remplacement. Nous comprenons tous le fait qu'une grève doit entraîner des conséquences désagréables pour les deux parties visées, pour qu'elles soient incitées à reprendre les négociations. Nous savons que vous n'êtes pas favorables au recours à des travailleurs de remplacement, mais si ce recours est permis, ne croyez-vous pas que si l'on obligeait les employeurs à offrir le même taux de rémunération et les mêmes conditions d'emploi à ces travailleurs, que cela rétablirait l'équilibre dans les négociations? Cela ne permettrait-il pas de répondre aux préoccupations exprimées par M. Tremblay?

.1200

[Français]

M. Valois: Quant à la première partie de la question, on fait allusion directement à l'industrie de la construction au Québec. Ce n'est pas qu'on veut empêcher les travailleurs des autres provinces de venir travailler au Québec; c'est qu'on a considéré l'industrie de la construction comme une industrie en soi.

Supposons que l'on place l'industrie de la construction à l'intérieur d'une barrière. Je ne sais pas si, dans le cas d'une aciérie d'Hamilton ou de Sorel, on accepterait que l'employeur puisse tout à coup mettre de côté la liste des travailleurs disponibles qui ont déjà travaillé chez lui et engager un travailleur qui, sans nécessairement venir de l'Ontario, d'une ville voisine ou de la même ville, ne serait pas sur la liste de rappel ou serait un nouvel employé.

Si le bassin est complètement épuisé, l'employeur d'une aciérie comme Stelco ou d'une aciérie de Sorel peut engager à sa guise de nouveaux employés, en autant que sa liste de rappel soit épuisée et qu'il satisfasse aux obligations de la convention collective en vigueur. Le problème qui existe au Québec et que plusieurs personnes ne comprennent pas, c'est que nous considérons l'industrie de la construction comme une industrie en soi.

Ce n'est pas parce qu'il n'y a pas une clôture tout le tour de l'industrie que les travailleurs de la construction ne doivent pas être protégés et que les employeurs peuvent aller puiser dans des bassins partout. À cet égard, on ne fait pas allusion à l'Ontario; au Québec, on favorise l'emploi régional avant d'aller dans une autre région. On n'a rien contre les autres régions. Cette industrie doit être réglementée. Quand on travaille dans cette industrie, on doit agir en vertu des dispositions du règlement et ne pas laisser à quiconque le droit d'y venir. Par exemple, ce règlement viendrait empêcher des placements parrainés, par exemple, par certains députés du Québec qui connaissent des contracteurs. Ainsi, un travailleur pourrait être mis à pied dans une industrie ou une usine et on pourrait embaucher une personne qui connaît un député qui, à son tour, connaît un contracteur et ne pas se soucier de la liste de rappel de l'industrie de la construction, simplement parce qu'on connaît le contracteur.

Est-ce que des travailleurs de la construction qui connaissent le gérant d'une usine peuvent entrer à la place d'un travailleur dont le nom figure sur la liste de rappel? C'est impossible. Quand on considère la construction comme une industrie en soi, il n'y a pas de problème. Il n'y a pas de scandale à ce que les travailleurs des régions du Québec, même entre eux, jouissent d'une priorité et qu'on les prenne en considération avant que les autres puissent y avoir accès.

Dans un monde où le chômage règne en roi, il n'est pas malin de protéger l'industrie comme telle, tout comme les conventions collectives protègent les listes de rappel et les listes d'ancienneté. Ceci prévaut aussi dans le domaine de la construction.

Je céderai la parole à M. Mancini qui répondra à l'autre partie de votre question.

M. John Mancini (conseiller juridique, Centrale des syndicats nationaux): Monsieur McClelland, si j'ai bien compris votre proposition, vous désirez savoir s'il pourrait y avoir un équilibre si on payait les travailleurs de remplacement au même taux salarial. À mon avis, non.

Une fois qu'on décide d'employer des travailleurs de remplacement, on brise l'équilibre initialement envisagé au Code, qu'on a définitivement acquis au Québec. À la limite, permettra-t-on, tant et aussi longtemps que durera le conflit, aux travailleurs en lock-out ou en grève légale de bénéficier de l'assurance-chômage, des prestations de leur centrale syndicale et de toute une autre série de sources de revenu?

Si on envisage la question sous cet angle, quelle sera la réaction des employeurs et quel sera l'impact de cela sur la durée des conflits? On ne ferait que les éterniser en bout de ligne. Si un employeur continuait à produire et si les salariés continuaient à recevoir un revenu ad vitam aeternam, un conflit surgirait inévitablement.

Le sens de la grève et du lock-out date de l'après-Deuxième Guerre mondiale et il vise à créer un équilibre entre les parties. D'une part, les travailleurs ne reçoivent plus de revenus et subissent toutes les difficultés qui s'y rattachent tandis que les employeurs ne produisent plus et en subissent toutes les conséquences, ce qui incite les parties à un règlement ultime. La logique de l'ensemble des codes du travail que je connais est d'amener les parties à négocier.

Lorsqu'on permettra à une des parties d'utiliser des travailleurs de remplacement, on n'aura plus l'équilibre nécessaire à la conclusion d'une convention collective.

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[Traduction]

Le président: Monsieur Proud.

M. Proud (Hillsborough): Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.

Bienvenue, messieurs.

J'ai suivi avec intérêt les propos échangés au sujet des travailleurs de remplacement, et je me rends compte que même si je voulais le faire, je ne parviendrais pas à vous faire changer d'avis à ce sujet. J'aimerais cependant vous poser une question au sujet de la modification qui est proposée au code à cet égard.

Si la modification qui est proposée est adoptée et si, comme je le pense, le nouveau conseil aura les pouvoirs voulus pour régler les problèmes qui se poseront, ne pensez-vous pas que cette disposition permettra d'éviter les graves problèmes qui se sont posés par le passé?

Je pourrais donner en exemple, ce qui s'est produit à Yellowknife. Ne pensez-vous pas que le recours aux travailleurs de remplacement aurait pu éviter les problèmes qui se sont posés à Yellowknife? Je ne propose pas de permettre que le recours aux travailleurs de remplacement vise à miner la capacité de représentation d'un syndicat. Je songe plutôt à un recours qui serait permis pour un but bien précis.

Pensez-vous que cela pourrait constituer un compromis acceptable pour les syndicats ainsi que pour le patronat?

[Français]

M. Valois: À partir du moment où il y a des travailleurs de remplacement, il n'y a plus d'équilibre qui tienne. À partir du moment où nous décidons de priver l'employeur de notre force de travail pour l'amener à considérer nos demandes et qu'on nous remplace par quelqu'un d'autre, on élimine tout l'effet recherché. Quand l'employeur décide de faire un lock-out pour nous contraindre à accepter ce qu'il nous offre et qu'en même temps il embauche des travailleurs de remplacement, il n'y a plus d'équilibre qui tienne.

Le projet de loi C-66 dit: «à moins que cela mine la crédibilité du syndicat». Il sera pratiquement impossible au syndicat en place de faire la preuve que les travailleurs de remplacement minent la crédibilité du syndicat. Comme nous ne serons pas tout seuls devant le Conseil canadien, l'employeur fera la preuve que nos demandes sont exagérées compte tenu de l'état de l'industrie, de notre façon de négocier, de notre comportement, etc. Pendant tout ce temps, il y a quelqu'un qui va effectuer le travail des employés.

Donc, le rapport de force vient d'être éliminé et, à ce moment-là, on aura des grèves qui vont perdurer, qui vont durer des mois et des mois additionnels. Au Québec, où on n'a pas le droit d'embaucher des travailleurs de remplacement, des scabs comme on les appelle, les employeurs ont changé d'attitude à la table des négociations.

Une concertation est en train de s'établir dans beaucoup d'industries au Québec et force les employeurs à négocier réellement et à cesser de nous suspendre une épée de Damoclès au-dessus de la tête pour nous amener à accepter les offres.

Embaucher des travailleurs de remplacement, des scabs au cours d'un conflit de travail, c'est comme mettre de l'acide dans du ciment. Le ciment prendra probablement quand même, mais à la longue, son effet va se faire sentir et on ne pourra pas régler nos conventions collectives.

M. Sauvé: J'aimerais ajouter un mot pour dire qu'il s'agit de faire dévier le problème entre les parties. Au lieu d'essayer de rechercher une solution par l'élaboration de nouvelles conditions de travail, les parties seront amenées à tenir des débats juridiques. On sait qu'à ce compte-là, les syndicats ne peuvent jamais être gagnants parce que dans les débats juridiques, l'employeur a toujours plus de moyens que les syndicats, ce qui a pour effet, un effet recherché, de miner le moral des travailleurs.

Sur une ligne de piquetage, et ça revient un peu à la première question qui a été posée par M. McClelland, les travailleurs perdent du revenu même s'ils ont des secours de grève. Le revenu moyen au Canada est d'environ 550 $ par semaine; il n'y a pas de fonds de secours de grève qui fournisse un montant approchant. C'est plutôt de l'ordre de 100 $ ou de 200 $, ce qui implique un certain nombre de privations.

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Donc, sur le plan financier, il y a un déséquilibre épouvantable, et sur le plan moral, c'est très dur. Comme M. Tremblay le disait tout à l'heure, voir passer des scabs qui viennent voler vos jobs, exécuter votre travail et, en plus, souvent mal l'exécuter, c'est très dur pour le moral des troupes.

À ce compte-là, on ne sortirait pas vivants du problème que vous poseriez en adoptant des lois qui entraînent des débats juridiques. Cela prendra une éternité, et le Conseil va judiciariser les relations de travail. Il faut éviter cela. Il faut que les points soient clairs.

On ne peut pas accepter les services essentiels dans le secteur privé sans avoir une loi étanche qui interdise l'embauche de scabs, ce qui minerait toutes les relations de travail.

[Traduction]

Le président: Je vous remercie beaucoup. Vous nous avez présenté votre point de vue très clairement. Au nom du comité, je vous remercie de votre contribution à nos travaux. Nous avons pris bonne note de vos suggestions et nous en tirerons certainement parti au moment de proposer des améliorations au projet de loi C-66. Merci encore.

La séance est levée.

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