[Enregistrement électronique]
Le mardi 22 octobre 1996
[Traduction]
Le président: Dans le cadre de notre étude sur la politique canadienne en matière de drogues, nous avons le plaisir d'accueillir, de la Canadian Foundation for Drug Policy, M. Eugene Oscapella. Vous avez peut-être une déclaration préliminaire à nous faire. J'espère qu'elle est très brève, de sorte que nous ayons le temps de vous poser des questions.
M. Eugene Oscapella (membre fondateur, Canadian Foundation for Drug Policy): Je vous remercie, monsieur le président. J'essayerai d'être le plus bref possible.
Tout d'abord, j'aimerais préciser que la fondation n'a pas d'allégeance politique, qu'elle est neutre. Cela étant dit, c'est le gouvernement actuel qui a adopté la loi qui cause tant de difficultés. Ce que nous avons à dire vous paraîtra peut-être sectaire, mais je vous assure qu'il n'en est rien. Nous critiquerions toute mesure ayant pareilles conséquences, quel que soit le gouvernement qui l'a adoptée.
Notre association a été formée en 1993 par 11 de ce que nous croyons être les spécialistes les plus grands éminents du Canada en matière de politique relative aux drogues. Elle réunit des pharmacologues, des criminologues, des avocats et des chercheurs spécialistes de la politique gouvernementale. Ensemble, ces membres représentent environ 175 ans d'expérience dans le domaine. Je vous demanderais d'en tenir compte lorsque vous réfléchirez à ce que nous avons dit.
Pour être poli, je dirai que nous avons été stupéfaits d'apprendre que la Loi réglementant certaines drogues et autres substances avait reçu la sanction royale en juin. De toute évidence, les Canadiens sont très mal informés au sujet de la politique en matière de drogues et de l'effet qu'ont les lois d'interdiction des drogues comme celle-là.
Les efforts délibérés - je n'aime pas les qualifier ainsi, mais il est très difficile de faire autrement - , donc les efforts délibérés déployés par le gouvernement en vue de la décrire comme ce qu'elle n'est certes pas nous préoccupent énormément. Il ne s'agit pas d'une mesure humaine, au contraire. Elle aura de graves conséquences au Canada. Voilà ce dont nous voulons vous entretenir aujourd'hui.
La une de la Gazette de Montréal de dimanche dernier est peut-être un bon exemple du problème créé par nos lois antidrogue. J'en ai un exemplaire ici. On y trouve un article intitulé «Gang Revenge Expected». La revanche dont il est question concerne les gangs de motocyclistes qui s'arrachent le territoire montréalais pour la vente de drogues. Ces territoires sont l'aboutissement de la criminalisation des drogues, de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et de l'actuelle Loi sur les stupéfiants.
Vous y trouverez aussi un article sur la corruption policière. Il s'agit d'une enquête menée sur d'éventuels liens entre des membres de la Sûreté du Québec et des trafiquants de drogues.
Ailleurs encore, il est question du respect des droits de la personne en rapport avec le dépistage des drogues. Le président Clinton veut maintenant imposer le dépistage obligatoire de la consommation de drogues à tous les jeunes automobilistes.
Voilà trois des conséquences de la criminalisation des drogues.
Ce ne sont pas les seules. Nous interceptons environ 10 p. 100 des drogues illicites destinées au marché canadien. Nos lois antidrogue ne sont pas efficaces. Elles n'empêchent pas l'entrée de drogues au pays, ni ne stoppent la production de drogues ici. En fait, elles les encouragent. Elles favorisent la consommation de drogues.
Nous essayons de faire comprendre essentiellement que nos lois antidrogue n'ont jamais été efficaces, qu'elles ne le sont pas actuellement et - c'est du pareil au même - qu'elles ne le seront pas plus à l'avenir.
Monsieur le président, votre comité s'intéresse aux questions de santé. J'aimerais donc mentionner très brièvement certaines des conséquences qu'a ce genre de loi sur la santé. La santé des Canadiens vous préoccupe. Avec votre permission, je vous expliquerai comment cette loi affectera gravement la santé des Canadiens.
En 1993, 331 personnes sont mortes d'une surdose en Colombie-Britannique. Elles se procurent des drogues frelatées, d'une qualité douteuse. Elles ignorent ce qu'elles consomment. C'est une des conséquences de l'interdiction, tout comme l'alcool de contrebande était la conséquence de l'interdiction de la consommation d'alcool durant les années 20.
Nous soutenons qu'on aurait pu prévenir beaucoup de ces décès si les consommateurs avaient eu, à leur disposition, une source sûre et propre de la substance à laquelle ils étaient accoutumés.
Nous savons que nos lois antidrogue sont responsables des conditions qui favorisent la propagation des infections au VIH et au virus de l'hépatite C. Dans une prison canadienne, celle des femmes, le taux d'infection au virus de l'hépatite C chez les détenues frise les 40 p. 100, ce qui est épouvantable. Le phénomène est en grande partie ou, du moins, en partie attribuable au fait que nous incarcérons les toxicomanes. Nous ne les traitons pas; nous les mettons en prison. Nous les plaçons dans un milieu carcéral à risque élevé où elles sont infectées.
Nous savons que nos lois antidrogue favorisent la propagation du sida et de l'hépatite dans le monde entier. Ces maladies ne tueront pas seulement quelques-uns; des millions mourront au cours des prochaines décennies, dans le monde entier.
De plus, nous encourageons la production de drogues plus puissantes. Tout comme, durant la prohibition des années 20, des formes très puissantes d'alcool ont été produites, nous encourageons maintenant la production de drogues plus puissantes, parce qu'il faut pouvoir les cacher et les transporter facilement. Plus une drogue est puissante, moins il faut en transporter.
Nous empêchons les consommateurs de se faire traiter, ce qui est en réalité ce dont ils ont besoin. Nous les empêchons de se faire traiter, nous les chassons du milieu où ils peuvent recevoir de l'aide et nous criminalisons leur comportement. Nous les plaçons en marge de la société.
À cette fin, nous détournons des ressources de nos programmes de santé et de nos programmes sociaux. Nous entravons la transmission de messages éducatifs concernant les drogues. Nous déformons le discours au sujet des drogues licites en insistant sur les drogues illicites. Nous donnons l'impression que certaines drogues sont plus nuisibles que d'autres en raison de leur catégorisation dans la loi, ce qui, encore une fois, cause beaucoup de tort. D'une certaine façon, nous sommes peut-être en train de modifier les habitudes de consommation de drogues et d'encourager la consommation de drogues plus nuisibles.
Par exemple, beaucoup de violence est associée au phénomène de la consommation d'alcool. Nous en sommes tous très conscients, je crois. Le cannabis n'est pas une drogue dont la consommation entraîne la violence. Pourtant, notre société décourage la consommation de cannabis au profit de l'alcool. Certains groupes de femmes au Canada s'interrogeront peut-être sur l'effet qu'ont ces lois sur la violence.
Ce ne sont là que quelques-uns des problèmes qui découlent de l'interdiction des drogues. J'espère que votre comité remettra en question les fondements mêmes de la politique canadienne en matière de drogues. La politique actuelle ne vise pas à réduire les méfaits. Dire que c'est le cas est extrêmement trompeur. C'est une politique brutale et punitive, contraire aux intérêts de la société canadienne. Votre propre parti l'a reconnue dans les résolutions qu'il a adoptées à son congrès bisannuel de 1994. Une autre résolution sera proposée durant le congrès bisannuel de ce week-end en vue de demander la tenue d'une enquête indépendante sur les causes des problèmes de drogues au Canada.
Enfin, au cours des deux dernières années et demie, le sous-comité de la Chambre des communes chargé d'examiner le projet de loi C-7 et le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles ont entendu un très grand nombre de témoins. Leurs recommandations ont presque toutes été ignorées par le gouvernement.
Je sais que certaines personnes, au sein même du gouvernement, essaient de rendre ces lois moins sévères. À celles-là, nous disons merci. Par contre, nous savons aussi que le gouvernement actuel a adopté des lois très draconiennes. Il n'a pas tenu compte de l'opinion arrêtée de la très grande majorité des témoins entendus. Une telle attitude crée un profond cynisme au sujet du processus de réforme parlementaire.
Monsieur le président, je vous remercie.
Le président: Pierre, vous avez la parole, puis ce sera au tour de Paul.
[Français]
M. de Savoye (Portneuf): Monsieur Oscapella, bienvenue à nouveau devant le Comité de la santé. Je me souviens, lors des audiences sur le projet de loi C-7, que vous nous aviez tenu des propos semblables à ceux de ce matin. Le projet de loi C-7 a maintenant été adopté et, vraisemblablement, grâce à ces propos et aux propos semblables de nombreux témoins, le Comité de la santé a demandé à la Chambre un mandat pour examiner la stratégie canadienne antidrogue. L'esprit qui prévaut aujourd'hui est très différent de celui qui prévalait au moment de C-7, puisque notre mandat est différent.
Cela dit, à mon avis, les députés de la Chambre des communes sont très conscients des ravages que font les drogues, tant sur le plan de la santé que sur celui du climat social dans des familles et dans des milieux. Nous voulons trouver comment intervenir d'une façon utile et efficace pour diminuer les problèmes reliés à l'usage des drogues.
Cela dit, je sais, et les autres députés le savent probablement aussi, que nous ne pouvons légiférer qu'en respectant les perceptions de la population. Si elles ne collent pas à la réalité, nous devrons légiférer en ménageant ces perceptions parce que la population ne comprendrait pas que l'on agisse différemment.
L'exercice que nous sommes en train de faire est non seulement un exercice où nous, en tant que députés, allons tenter de nous éclairer sur la situation, mais surtout où nous allons faire en sorte que la population elle-même soit éclairée.
Les visites que nous ferons dans de nombreuses villes seront une excellente occasion pour la population de mieux comprendre le problème de la drogue, d'en connaître davantage les causes et d'être plus sensibilisée aux solutions efficaces possibles.
Je vous demanderais de nous indiquer ce matin, si cela est possible, des solutions qui, ici ou ailleurs, ont été tentées sous forme de projets pilotes ou ont réussi, et auxquelles nous devrons porter une attention particulière lorsque nous parcourrons le pays.
Je sais que vous êtes bien au courant de toutes ces questions depuis nombre d'années et que vous êtes donc une source précieuse de renseignements pour nous ce matin.
M. Oscapella: Merci, monsieur de Savoye. J'aimerais répondre en anglais car ça m'est plus facile.
[Traduction]
Tout d'abord, je tiens à vous remercier, car nous savons, à la fondation, que vous avez été l'un des plus grands théoriciens de la question à la Chambre des communes. Nous vous en remercions très sincèrement. L'intérêt que vous y avez porté nous a été très utile.
Vous avez mentionné, entre autres, l'impression créée auprès du grand public. Des titulaires de charge publique font parfois des déclarations irresponsables - il faut y voir, car ils ont l'oreille du grand public. Je vous en donne un exemple. Le 30 octobre 1995, un député a pris la parole à la Chambre des communes pour dire que la marijuana est actuellement 15 fois plus puissante qu'elle ne l'était il y a 10 ans et qu'elle est aussi puissante aujourd'hui que l'était la cocaïne, il y a 10 ans.
C'était de la bêtise pure et simple. La déclaration n'avait aucun fondement scientifique. Elle n'avait aucun sens. La marijuana et la cocaïne ne se comparent même pas, en tant que drogues. Elles ont des propriétés tout à fait différentes, de même que des caractéristiques distinctes. Cette déclaration, faite à la Chambre des communes, figure maintenant au compte rendu officiel.
C'est ce genre de déclaration irresponsable et mal informée qui nuit tant à la réforme intelligente de la politique canadienne en matière de drogues. Un débat sur cette politique est impossible au Canada si l'on continue de faire des déclarations aussi trompeuses.
J'exhorte donc les membres du comité et les autres députés à peser avec soin leurs déclarations à ce sujet, car ils peuvent empêcher un débat éclairé de la question.
Quant aux solutions, il existe des programmes de traitement à la méthadone. Il en existe certains au Canada. La méthadone est essentiellement un opium synthétique qui remplace l'héroïne. Nous savons que ces programmes peuvent aider. Il en existe au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. L'Allemagne et l'Australie étudient la possibilité d'en mettre un sur pied. La Suisse l'a fait, tant en prison qu'à l'extérieur.
Dans le cadre de ces programmes, les héroïnomanes obtiendront une drogue propre et sûre. D'après ce que j'en ai compris, les résultats initiaux - Mme Riley pourra peut-être vous en parler plus tard, car je sais qu'elle doit témoigner - , particulièrement en Suisse, sont excellents, tout comme en Angleterre.
Les Hollandais ont réussi à décriminaliser la possession de cannabis il y a 20 ans, soit en 1976. Onze États américains ont décriminalisé la possession de cannabis. Les taux de consommation du cannabis n'ont pas grimpé en flèche, comme l'avaient prétendu certains députés. En fait, ils n'ont pas augmenté, non plus, après la décriminalisation de la possession de ces drogues. En réalité, les taux de consommation ont en règle générale baissé ou ils sont à peu près les mêmes que dans les États ou les pays qui punissent très sévèrement la possession de marijuana.
Il existe donc une alternative. Nous pourrions cesser la guerre livrée aux consommateurs de drogues. Nous pourrions certes réduire beaucoup de méfaits associés au coût très élevé d'exécution des lois, soit la violation des libertés civiles, des droits de la personne et la criminalisation inutile. Certains programmes ont été mis à l'essai ailleurs dans le monde, d'autres sont à l'étude dans plusieurs pays; il faudrait que le Canada les examine. Il n'est pas nécessaire de suivre le modèle mccarthyiste punitif qu'ont adopté les États-Unis.
[Français]
M. de Savoye: Du côté de la prévention, je me rappelle qu'à l'époque de l'étude du projet de loi C-7, plusieurs témoins nous avaient parlé des vertus de l'éducation, particulièrement auprès des jeunes.
Est-ce que vous avez quelques chiffres ou quelque expérience dont vous pourriez nous faire part à ce sujet?
[Traduction]
M. Oscapella: Tout ce que je puis dire au sujet de l'éducation, c'est qu'il faut qu'elle soit honnête. Vous pouvez vous imaginer ce qui arrive lorsque le jeune de 16 ans, qui fait l'essai pour la première fois de la marijuana après s'être fait dire et répéter qu'il s'agit d'une drogue extrêmement dangereuse qui lui causera beaucoup de tort, découvre qu'en fait, elle est inoffensive. Comme l'affirme le British Medical Journal et de nombreuses associations médicales, la marijuana n'est pas nuisible. Résultat: le jeune ne croira pas les autres messages concernant les drogues.
Ce qu'il faut, ce sont des messages éducatifs honnêtes au sujet des méfaits causés par toutes les drogues: alcool, tabac, héroïne, cocaïne, marijuana et ecstasy. Ce qu'il faut en matière d'éducation, c'est une approche uniforme et honnête. Vouer certaines drogues aux gémonies et en déifier d'autres envoie des messages contraires qui causent beaucoup des méfaits observés.
[Français]
M. de Savoye: Merci. Merci, monsieur le président.
[Traduction]
Le président: Paul, puis Bonnie.
M. Szabo (Mississauga-Sud): Merci, monsieur le président.
Je suis heureux de vous revoir. J'ai présidé le comité qui a examiné le projet de loi C-7, et les députés vont se rendre compte que ce projet de loi-là, qui est devenu le projet de loi C-8 au début de la nouvelle législature, ne portait pas sur la stratégie canadienne en matière de drogues, mais visait plutôt à unifier des parties de la Loi sur les aliments et drogues et de la Loi sur les stupéfiants, et nous avons recommandé d'adopter ce processus.
J'aimerais vous transmettre un peu d'informations. Connaissez-vous le document rédigé par le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies? Il renferme les données les plus récentes sur les drogues, notamment l'alcool, le tabac et les drogues illicites.
M. Oscapella: J'en ai vu des extraits, monsieur, oui.
M. Szabo: C'est la meilleure source d'informations au Canada. Le document a été publié le 20 juin 1996, et contrairement à vos chiffres qui disent qu'une infinité de personnes vont mourir, les données les plus récentes indiquent que 732 personnes sont mortes à cause de la drogue en 1992. C'est la donnée la plus récente que nous avons. Au total il en a coûté 88 millions de dollars à la société canadienne en soins de santé - des coûts directs.
Je ne comprends pas comment vous pouvez accuser tout le monde de faire de la désinformation alors que vous venez ici, devant le comité, nous dire que la législation actuelle sur les drogues tue beaucoup plus de Canadiens que ne l'affirment les experts indépendants qui conseillent le gouvernement canadien. Je crois que vous devriez rectifier vos chiffres.
J'aimerais aussi que vous nous parliez de tout l'aspect de la réduction des méfaits par opposition à la réduction de l'offre comme approche, car je crois qu'il est important que notre comité étudie cette question en dernière analyse. D'après vos commentaires vous semblez dire au fond que tout cela arrive de toute façon; alors inutile d'essayer de l'arrêter. Laissons les choses aller. Comment cela va-t-il toucher la vaste majorité des Canadiens, qui n'ont absolument rien à voir avec les drogues illicites, le trafic, etc.? D'après vous, si l'on arrête de lutter contre les drogues illicites, quelles en seront les conséquences pour les Canadiens?
M. Oscapella: Permettez-moi de répondre à toutes ces questions.
Premièrement, ce que j'ai dit, c'est que notre législation actuelle sur les drogues va créer les conditions qui vont entraîner la mort de milliers de personnes à cause de l'infection par le VIH et de l'hépatite C au cours des années à venir.
Si vous ouvrez à l'onglet 3 le document que je vous ai envoyé, vous allez pouvoir y lire un assez long texte qui précise justement comment notre législation sur les drogues contribue en fait à répandre l'infection par le VIH et l'hépatite C, et ce, de multiples façons. Les surdoses ne sont pas les seules causes de décès attribuables à la drogue au Canada. Les seringues y contribuent aussi en transmettant le VIH.
Nous avons démontré, et je crois que c'est assez clair, que notre législation encourage les gens à tirer le maximum d'effets des drogues parce qu'elles coûtent très cher. Autrement dit, au lieu de renifler de l'héroïne ou de la cocaïne, vous devez les utiliser de la façon la plus efficace possible, parce qu'elles coûtent excessivement cher. Alors que faire? Vous vous piquez.
Je vais vous donner un autre exemple qui démontre comment notre législation contribue à répandre le VIH et l'hépatite C. Si vous êtes un toxicomane, vous ne voulez pas vous faire attraper dans la rue en étant en possession de drogues ou de seringues, parce que vous savez que la police va soit vous arrêter, soit vous harceler. Alors que faites-vous? Vous allez dans une piquerie qui fournit les drogues, peut-être altérées. Vous ne connaissez pas la qualité des drogues que vous pouvez vous y procurer. La piquerie va vous fournir aussi les seringues et les autres instruments dont vous avez besoin pour vous piquer. Vous ne savez pas si la seringue est propre. Par conséquent, notre législation en matière de drogues contribue directement à répandre les infections.
Nous mettons les toxicomanes en prison, où ils ne reçoivent aucun traitement et où ils vont vouloir continuer à se droguer, et nous ne leur fournissons aucun moyen de prévenir l'infection par le VIH. Il est impossible d'obtenir des seringues propres dans les prisons canadiennes. Le taux d'hépatite C dans la prison pour femmes de Kingston, comme je l'ai dit, est d'environ 40 p. 100, selon une étude de 1994-1995. C'est épouvantable. Nous savons qu'une bonne partie des infections par le virus de l'hépatite C et par le VIH chez les femmes sont attribuables à l'injection de drogues. Nous devons analyser comment notre législation crée les conditions qui provoquent des infections chez les gens.
Quant à l'infinité de personnes que j'ai mentionnée, je voulais parler de millions. Je suis sérieux quand je donne ce chiffre, parce que nous savons aussi que la prohibition tend à encourager la production de drogues plus concentrées. La Thaïlande, par exemple, semble avoir eu un certain succès en supprimant des laboratoires de production d'héroïne à Bangkok. Par conséquent, la production d'héroïne s'est déplacée dans les collines de la Thaïlande, où les gens ont l'habitude de fumer de l'opium, qui ne risque pas de transmettre le VIH, contrairement à l'héroïne, que les gens s'injectent. Nous voyons donc l'infection par le VIH suivre un corridor qui va de l'Asie du Sud-Est jusqu'en Inde, corridor où des millions de personnes vont mourir ces prochaines années. Voilà ce dont je parle.
Votre troisième question maintenant. J'ai oublié la deuxième. La décriminalisation ou la réduction des méfaits aurait un effet plutôt fantastique dans notre pays. En effet, les héroïnomanes et les cocaïnomanes, par exemple, commettraient beaucoup moins de crimes crapuleux pour pouvoir payer les prix exorbitants de la drogue sur le marché noir.
Les guerres de gangs à Montréal qui ont tué 55 personnes ces trois dernières années... À propos, on a trouvé un camion rempli de 90 kilogrammes d'explosifs à Montréal. Vous pouvez lire le même article ici. Ces explosifs étaient destinés aux trafiquants de drogues qui se disputent le territoire. Notre société serait probablement plus sûre, parce que le crime organisé ne serait pas en train de lutter pour se partager le territoire. La prohibition de la drogue favorise la création d'un marché noir extrêmement profitable, lucratif, corrupteur et violent. Il est grand temps d'en prendre conscience et de s'en occuper. Appliquer la loi ne peut réussir à arrêter le marché noir. Cela ne marchera pas. Nous interceptons moins de 10 p. 100 de la drogue qui entre dans notre pays. Appliquer la loi ne suffit pas.
Il faut trouver d'autres moyens de contrecarrer ces groupes. L'un de ces moyens, c'est de fournir de la drogue pure, sécuritaire, à l'héroïnomane pour l'empêcher ainsi de devoir avoir recours au crime. Il pourra rester dans sa famille, continuer à travailler et fonctionner dans la société. C'est ce que nous devons faire. C'est notre formule. Il ne s'agit plus de punir.
Le président: Nous manquons de temps. Bonnie, très rapidement, puis Harb, très rapidement.
Mme Hickey (St. John's-Est): Je veux seulement parler un peu des jeunes, parce que tout ce que nous lisons aujourd'hui démontre qu'ils utilisent davantage la marijuana actuellement. Leur consommation augmente au lieu de décroître. Je présume que c'est là que la sensibilisation entre en jeu. Quand faut-il commencer à les sensibiliser pour les empêcher d'adopter l'héroïne, etc.?
La consommation de tabac et d'alcool augmente aussi. En connaissez-vous la raison? Pourquoi cette augmentation chez les jeunes, par opposition, disons, aux adultes?
M. Oscapella: Prenons l'exemple du tabac. Nous savons que des jeunes femmes fument parce que la nicotine est un anorexigène qui vous garde mince. L'usage du tabac chez elles peut être relié directement au besoin de rester mince. Bien sûr, il y a aussi la pression de l'entourage. Mais, c'est une autre question.
Pourquoi les gens se droguent-ils? Quelles sont les circonstances sociales? Nous savons que les enfants de la rue prennent beaucoup de drogue. Peut-être pour oublier la misère de leur existence. Nous ne le savons pas. La consommation de drogue connaît des hauts et des bas. Étalée sur des années, la consommation fluctue sans que les lois changent. La société elle aussi connaît des fluctuations. Ce que nous devrions vraiment examiner, ce sont les conditions sociales qui mènent à cette évolution de la consommation de drogue, et non pas les lois, parce que les lois n'ont pas véritablement d'effet.
Mme Hickey: Et la déclaration que vous avez faite plus tôt? Vous avez dit que les drogues comme la marijuana et ce genre de drogues ne sont pas réellement aussi dangereuses que nous le croyons, ou que nous le disons aux gens. Ce message parvient-il aux jeunes, à savoir qu'on peut prendre de ces drogues parce qu'elles ne sont pas dangereuses? Serait-ce là une des raisons de l'augmentation de la consommation?
M. Oscapella: Je vais vous poser une question: si une drogue n'est pas dangereuse, pourquoi l'interdire aux autres? Premier point.
Mais nous ne voulons pas que les gens conduisent une voiture pendant qu'ils sont sous l'influence du cannabis, parce que cela peut être dangereux. Nous savons que fumer trop de cannabis peut être mauvais pour les poumons. Mais bien sûr les gens ne fument pas autant de cannabis que de tabac. Vous ne fumez pas 20 joints par jour, tandis que le fumeur de cigarettes moyen, lui, en grille 19 quotidiennement.
Ce que vous voulez faire, c'est décourager la consommation nocive de drogues. Il faut éclairer honnêtement les gens sur les conséquences possibles de la consommation de cannabis et sur les conséquences possibles de la consommation de cocaïne. Vous devez leur dire qu'ils peuvent devenir dépendants de la cocaïne et que cela peut être très préjudiciable à leur santé.
Soyons honnêtes dans nos messages. Nous devons être honnêtes, parce que si nous mentons et déformons les messages destinés aux enfants, ils s'en aperçoivent. Ils sont intelligents.
Le président: Monsieur Dhaliwal, très rapidement.
M. Dhaliwal (Vancouver-Sud): Merci beaucoup, monsieur le président.
Je veux vous remercier pour votre exposé. Je suis d'accord avec vous pour dire que nous devons trouver une nouvelle solution pour régler le problème de la drogue. Quand j'ai visité certaines de nos prisons, j'ai rencontré un directeur qui m'a dit que de 75 à 80 p. 100 des crimes sont attribuables à la drogue et à l'alcool. Il faut régler ce problème.
Nous comprenons le problème, mais la solution est très difficile à trouver. Il n'est pas si facile que cela de dire: «Décriminalisons.» Il faut faire accepter à la population que nous devons trouver de nouvelles solutions, et le faire par étapes.
Pour en revenir à l'Inde, je suis allé dans un village où tout le monde connaît le toxicomane de la place, qui n'est pas obligé de voler, lui, pour se procurer de la drogue. Elle pousse à l'état sauvage, et il peut donc aller s'en chercher et en fumer. Tout le monde sait qu'il est toxicomane, mais il n'y a rien là de criminel.
Nous devons trouver des solutions nous permettant de fournir de la drogue dans un milieu surveillé, et c'est là qu'est le problème. Si quelqu'un accepte de reconnaître qu'il a un problème, nous devrions pouvoir nous en occuper dans un milieu surveillé, sous observation médicale. C'est possible. Mais il y a alors les défenseurs des libertés civiles et d'autres personnes qui s'opposent à ce genre de solutions.
Je suis d'accord avec vous pour dire que nous devons aborder ce problème sous un autre angle, permettre au toxicomane de se déclarer et d'être traité. Il ne suffit pas de dire: «Vous êtes toxicomane. Voilà. Merci beaucoup.» Nous disons: «Vous avez un problème de santé, que nous allons essayer de régler dans un milieu surveillé, sous observation médicale.» Et cela devrait se faire par étapes.
Il faut en discuter, et faire participer la population à la discussion. Nous devons connaître tous les faits. Je suis parfaitement d'accord.
Je vous remercie pour votre excellent exposé.
M. Oscapella: Nous allons appuyer toute tentative de rationalisation de la législation canadienne sur les drogues. Nous allons soutenir les initiatives gouvernementales intelligentes. Nous avons été très critiques par le passé parce que nous croyions que ces initiatives faisaient beaucoup de tort. Nous allons vous appuyer. L'un de nos objectifs, c'est la sensibilisation de la population. Nous allons vous aider dans la mesure du possible.
Nous sommes bien conscients qu'il y a toute une série de solutions intermédiaires entre les deux extrêmes. Nous sommes heureux d'en parler. Nous allons rencontrer les gens. Nous allons appuyer les parlementaires qui auront le courage de parler de ce problème. Nous savons que c'est une question difficile sur le plan politique. Nous allons vous appuyer; je peux vous le promettre.
M. Dhaliwal: Merci.
Le président: Merci beaucoup.
M. Oscapella: Merci, monsieur le président.
Le président: Nous poursuivons. Dans un instant je vais accueillir notre témoin suivant. Mais auparavant permettez-moi de dire que la durée de cette réunion force certains de nos collègues à nous quitter. Nous avons commencé à 9 heures, et certains ont d'autres engagements. Harb en a certainement un. Andy doit présider un autre comité à 11 heures. Mais nous sommes suffisamment nombreux pour entendre des témoins.
Le problème, c'est que j'ai moi aussi un autre engagement, mais j'ai invité mon collège et ami, John Murphy, à présider pendant le reste de la séance.
Permettez-moi de souhaiter la bienvenue à la professeure Beauchesne, de l'Université d'Ottawa. Nous présumons que votre déclaration d'ouverture n'est pas trop longue, parce que nous voulons avoir le temps de vous poser quelques questions.
[Français]
Mme Line Beauchesne (professeur, Département de criminologie, Université d'Ottawa): Merci pour l'invitation à réfléchir sur une politique canadienne. Vous avez déjà mon mémoire, et je vais simplement rappeler les grandes perspectives de ce qui a guidé l'écriture de ce mémoire.
Lorsqu'on s'interroge sur une politique canadienne en matière de drogue, à mon avis, la première question à poser est: quel objectif veut-on atteindre? Dire qu'on veut faire de la prévention n'est pas un objectif, mais un moyen; dire qu'on veut réduire des méfaits n'est pas un objectif, mais un moyen. À mon avis, les différents discours qu'on entend à l'heure actuelle au Canada ne renferment pas de politique globale parce que la prévention, sans un objectif très clair, prend toutes sortes de formes.
Par exemple, si je veux empêcher mes enfants de se faire heurter par une voiture, je peux les enfermer dans leur chambre toute la journée: c'est de la prévention. Je peux aussi décider que mon objectif est de les rendre autonomes, et je leur apprends comment traverser la rue. Si je les enferme dans leur chambre, ils ne sauront pas comment traverser la rue quand ils vont sortir sans ma permission.
Je me suis donc demandé: qu'est-ce qu'on veut faire? Je me suis rendu compte tout d'abord que la politique canadienne de santé avait déjà un très bel objectif, c'est-à-dire promouvoir la santé et apprendre aux gens à être autonomes et à choisir, et que la politique canadienne en matière de drogues pouvait très bien s'articuler sur la politique canadienne de promotion de la santé.
Je me suis rendu compte que, dans certains documents, on confondait réduction des méfaits et réduction de la demande. Par exemple, après avoir fait diverses campagnes, on mesure les habitudes des non-consommateurs de drogues. Dans plusieurs programmes, on se rend compte que les gens qui avaient une consommation modérée ne consomment plus et que les gens qui avaient une consommation problématique n'ont pas été touchés par la campagne. Soyons clairs: est-ce que notre objectif est que les gens ne consomment plus de drogues licites ou illicites, de médicaments ou d'alcool, ou qu'ils en consomment de manière non problématique? La réduction des méfaits veut dire que l'on consomme de manière non problématique.
Vous avez deux exemples déjà en place dans le cas de l'alcool, notamment l'Opération Nez Rouge. Qu'est-ce que c'est? C'est un programme de réduction des méfaits, qui reconnaît que des gens, pour s'amuser, vont consommer de l'alcool. On veut éviter des méfaits sur la route causés par des gens conduisant une voiture en état d'ébriété. Cela, c'est de la réduction des méfaits.
Ou encore, vous avez les chauffeurs désignés. Le papa s'inquiète de savoir qui va être le chauffeur désigné et ne consommera pas d'alcool pendant que les autres vont en consommer. C'est de la réduction des méfaits. On reconnaît qu'il y a une situation où des gens vont consommer de l'alcool et on réduit les méfaits de cette situation.
À partir de ces deux éléments, le moyen et le cadre, j'ai dégagé quatre axes que vous trouvez dans le résumé et qui sont inséparables: l'amélioration de la qualité de vie - les consommations de drogues ne sont pas les mêmes selon les classes sociales et les milieux de vie - ; l'amélioration de l'information - on en a touché un mot tout à l'heure, et j'ai écrit un livre sur les programmes de prévention d'abus de drogues chez les jeunes - ; l'amélioration des lois et réglementations, qui, à mon avis, ne touche pas uniquement les drogues illicites, mais aussi la promotion de drogues licites - je suis aussi inquiète par le Prozac et sa promotion à tous crins pour guérir tout ce que l'on veut; d'un côté, on laisse faire des promotions de drogues à tous crins et, de l'autre, on fait comme si toute drogue était une bombe ambulante lorsqu'elle est licite; enfin, l'amélioration de l'accessibilité des soins, et je pense que la professeure Riley va en parler un peu plus loin, c'est-à-dire l'ensemble des traitements qui pourraient améliorer les conditions de vie des gens qui ont développé des problèmes.
Voilà, ma présentation est terminée.
[Traduction]
Le président: Merci.
Pierre, puis Paul.
[Français]
M. de Savoye: Madame Beauchesne, c'est un plaisir de vous revoir ici aujourd'hui. Vous avez apporté une collaboration heureuse et significative lors de nos précédents travaux sur le projet de loi C-7. Vous êtes sans doute une des personnes qui ont une pensée des plus articulées sur la question, et on peut le voir par le fait que vous avez pointé quatre axes.
Avant que vous ne le mentionniez, ce n'était pas du tout évident, mais dès que vous avez découpé le problème sous ces quatre axes, déjà les pistes de solutions sont devenues plus évidentes. J'aimerais que vous nous entreteniez un peu plus sur les quatre axes. Pourquoi les avez-vous identifiés? Comment pourrait-on s'en servir pour guider notre réflexion et notre démarche?
Mme Beauchesne: J'ai été responsable de la rédaction d'un cadre d'action pour l'Association des intervenants en toxicomanie du Québec et, dans le cadre de ce travail, nous avons rédigé une politique de réduction des méfaits. C'est là que nous avons identifié les quatre axes avec les intervenants en toxicomanie de différents milieux.
Pourquoi lie-t-on ensemble ces quatre axes? Lorsqu'on fait de la prévention, il faut se demander pourquoi les gens consomment. Par exemple, si ma fille se met à consommer du chocolat tous les jours de manière vraiment démesurée, ma première réaction ne sera pas d'interdire le chocolat, mais de me demander: qu'est-ce que ma fille a? Donc, la première réaction des intervenants qui travaillent avec des personnes qui ont un problème de drogue n'est pas de dire qu'il faut interdire les drogues, mais de se demander ce qu'ont ces personnes. Leur première interrogation portait sur la qualité de vie de bon nombre de ces personnes.
La deuxième était au niveau de l'information. J'ai révisé 375 programmes qui ont été évalués à travers le Canada et les États-Unis pour établir les indices d'une bonne prévention.
On avait trois indices. Le premier indice était la multiplicité des axes d'approche. Donner uniquement de l'information sur les produits, c'est rendre les jeunes curieux sans que cela ait un effet de très longue durée. On pense tous à la petite mallette qu'on ouvre avec la présentation de drogues. Lorsque c'est présenté par un policier, il ne faut pas oublier que le message ici, c'est le messager et non le contenu.
Quand on parle d'une approche multiple, on parle aussi de ne pas uniquement dire que les gens prennent des drogues parce qu'ils ont des problèmes. Notre première consommation d'alcool ne s'est pas faite parce que nous étions malheureux dans la vie. Il y a toutes sortes d'autres raisons pour consommer de l'alcool. C'est la même chose pour les drogues. Il fallait parler de la publicité, de la façon dont on se sentait, du corps, d'un paquet de choses, et enfin de l'environnement. Mais pour parler de l'environnement, il fallait être capable de parler de l'ensemble des drogues aux jeunes. Alors, le premier indice, c'était la multiplicité des approches.
Le deuxième indice, c'était qu'il fallait en parler très tôt. Dans un bon programme en matière de drogues, on n'a pas à dire: «Bon, aujourd'hui, les jeunes, on va parler de drogues». Il faut avoir déjà parlé de la santé et approché peu à peu les choses. Dans un bon programme, les jeunes ne peuvent pas dire qu'à tel moment, on en a parlé; cela s'est glissé dans les programmes de formation personnelle, de santé, etc.
Le troisième élément, c'était que les adultes importants pour le jeune devaient renvoyer le même écho aux jeunes. C'est la partie difficile: comment rejoindre les parents et les enseignants. On commence à l'heure actuelle à élaborer des programmes de formation des parents et des enseignants pour modifier le message de l'école. J'avoue que c'est la partie la plus difficile, car les parents disent qu'ils ne veulent pas lire de documents; ils ne veulent rien savoir. Ils veulent tout simplement qu'on dise aux jeunes de ne pas prendre de drogues. Alors je peux comprendre votre préoccupation au niveau des citoyens.
Je ne reviendrai pas au troisième axe, lois et réglementations, parce que Gene a suffisamment élaboré là-dessus. Je vais laisser Diane Riley illustrer l'importance du dernier axe. Quand la personne décide qu'elle veut poser un geste pour se sortir d'une situation problématique, il faut qu'elle ait un accès aisé à des ressources.
M. de Savoye: Mademoiselle, je vous remercie. C'est extrêmement instructif.
[Traduction]
Le président: Paul.
M. Szabo: Merci, monsieur le président. J'ai presque peur de poser une question. Cela pourrait provoquer un autre discours.
Très simplement, madame, je veux que vous sachiez d'entrée de jeu que je ne comprends pas pourquoi M. Oscapella et vous-même, et, je présume, Mme Riley, essayez d'émouvoir les gens en parlant de santé, de pauvres prisonniers, de pauvres gens qui attrapent le VIH, et de pauvre ceci, de pauvre cela, etc., sans avoir le courage de dire exactement ce que vous voulez. Ce que vous voulez, c'est légaliser la drogue pour que tout le monde puisse s'en procurer. C'est ce que vous voulez.
Permettez-moi de vous poser une question toute simple. Si on décidait de légaliser la drogue pour que vous puissiez vous procurer de la cocaïne pure, de la marijuana pure, toutes les drogues que vous voudriez consommer, quel message, selon vous, cela transmettrait-il aux Canadiens qui respectent les lois du Canada, et quelles répercussions, selon vous, cela aurait-il sur le nombre de consommateurs de drogues illicites?
[Français]
Mme Beauchesne: Vous me demandez de stand up for what I believe. Je dis que légaliser, décriminaliser et réduire les méfaits ne sont pas des objectifs, mais bien des moyens. Il faut se demander quel est le moyen qui répond le mieux à l'objectif de promotion de la santé. À mon avis,M. Oscapella et Mme Riley ne se battent pas pour la légalisation, mais pour la promotion de la santé et pour l'amélioration des conditions de vie d'un certain nombre de personnes qui ont des problèmes. Il ne faut pas confondre les moyens et les objectifs.
Deuxièmement, quel message envoie-t-on aux citoyens? Si je vous disais que criminaliser les conducteurs qui prennent de l'alcool au volant n'est pas le meilleur moyen de prévenir l'alcool au volant, est-ce que je vous dirais que je suis pour l'alcool au volant ou que criminaliser les gens qui conduisent après avoir pris de l'alcool n'est pas le meilleur moyen d'empêcher les gens de conduire après avoir pris de l'alcool? Ce que j'ai dit tout simplement et ce que les autres conférenciers vont dire, c'est que les moyens actuels ne sont pas les meilleurs pour prévenir les consommations problématiques de drogues. Nous ne sommes pas en train de dire que nous sommes d'accord sur la consommation problématique. Nous cherchons le meilleur moyen de la prévenir, et c'est ce que nous pouvons dire aux citoyens.
[Traduction]
Le président suppléant (M. Murphy): Joe.
M. Volpe (Eglinton - Lawrence): Je pense que la professeure serait probablement d'accord avec moi pour dire que le meilleur moyen de régler cette question, qui est un problème de santé, si nous voulons vraiment trouver le meilleur moyen d'empêcher la consommation, c'est tout simplement de l'arrêter. Si vous pouvez empêcher les gens de consommer de la drogue ou les encourager à ne pas en abuser, vous n'avez plus alors à vous préoccuper des conséquences. Mon opinion est-elle trop simpliste?
[Français]
Mme Beauchesne: Je vais poser la question en deux temps. Est-ce que l'on croit qu'il est possible qu'on n'utilise aucune drogue licite ou illicite dans notre monde? On utilise des valiums pour dormir, pour gérer sa journée. On utilise des wake-ups ou un verre d'alcool en revenant de travailler. On utilise des drogues licites pour faciliter un souper. Est-ce que vous croyez qu'il serait possible d'avoir un monde sans drogue?
De la même façon, je ne crois pas possible qu'il y ait un monde sans voitures. Comme ma fille va un jour traverser la rue, je fais mieux de lui montrer à traverser la rue. Je ne peux pas la faire rester toujours dans sa chambre.
Je vais faire le parallèle suivant. On a longtemps cru au Québec que de ne pas parler de faire l'amour était le meilleur moyen de prévenir les grossesses. Pourtant, il y avait plein de grossesses et on les cachait un peu partout, jusqu'à ce qu'on se rende compte qu'il fallait accepter que des gens fassent l'amour avant d'être mariés et peut-être leur parler des moyens de contraception.
Il en est de même du sida. Dans les écoles, on commence à comprendre qu'il va falloir accepter de parler du fait que les jeunes font l'amour et qu'il existe des condoms. On ne pourra pas éviter la chose en n'en parlant pas.
Donc, pour gérer nos journées, nous prenons tous à l'occasion des drogues, licites ou illicites, des médicaments ou autres, et il vaut mieux apprendre aux gens à être intelligents dans leurs choix et à éviter le plus possible la consommation problématique.
[Traduction]
M. Volpe: Madame, vous avez parlé de la faiblesse et de la fragilité humaines; alors, ne doit-on pas trop s'attendre, comme vous l'avez dit, à une décision intelligente?
[Français]
Mme Beauchesne: Là je parle en mère de famille. Quand je prends du vin à table, mes enfants de cinq ans et trois ans et demi me voient faire. Je ne suis pas inquiète de la façon dont je vais leur expliquer ma consommation; je leur explique déjà ce qu'il ne faut pas faire.
Les statistiques sur la consommation problématique d'alcool indiquent clairement que les consommateurs problématiques d'alcool viennent en majorité de familles où le sujet était tabou ou encore où la consommation d'alcool était problématique. Donc, un modèle et un discours de modération sont notre meilleure chance en termes d'éducation.
[Traduction]
M. Volpe: Je crois que dans les exemples que vous m'avez donnés, madame, au sujet des relations sexuelles, des grossesses et de la consommation d'alcool, qu'il s'agisse de boire à table ou non, vous avez mis en évidence un système de valeurs, et un système de valeurs dépouillé de ses symboles religieux ou métaphysiques n'est pas très différent de celui que, selon moi, vous préconisez actuellement. Mais le système de valeurs que je vois dans vos quatre axes remplace ce à quoi vous vous opposez dans vos propres exemples.
Je me demande si nous ne devrions pas songer à réimposer, comme vous le suggérez, un système de valeurs qui se répandraient dans la société au moyen d'une série de techniques, dont aucune n'a été éprouvée, lesquelles permettraient à ces nouveaux systèmes de valeurs de s'implanter de façon à supprimer les abus. Pour y arriver, il faut penser logiquement ou dans les limites des paramètres d'un système de valeurs largement accepté ou encore renforcer la capacité de l'individu à penser logiquement pour chaque décision qu'il prend.
Vous avez utilisé des exemples liés directement à l'incapacité de la personne de prendre des décisions. Vous avez parlé notamment de grossesses non désirées et d'excès de boisson. Si, à table chez vous, vous preniez du vin en mangeant, je suis sûr que c'était l'une des techniques par lesquelles un certain système de valeurs était véhiculé à la maison.
Soit dit en passant, j'avais l'habitude de prendre du vin en mangeant, moi aussi. Je ne voyais pas cela comme de l'abus d'alcool jusqu'à ce que je parte de la maison.
[Français]
Mme Beauchesne: Je ne suis pas en train de dire qu'on va faire disparaître les abus. Je reprends l'exemple précédent. Vous allez encore avoir des amours malheureux et des filles enceintes à 16 ans, mais elles vont trouver de l'appui et la situation sera beaucoup moins dramatique. Vous allez également avoir des filles qui vont réussir à prendre les précautions nécessaires et à gérer le moment de leur grossesse.
Mais il faut faire attention de ne pas mettre l'accent sur les produits. Pour dire qu'il n'y a plus d'abus de drogues, il faudrait que je dise qu'il n'y a pas de gens malheureux, que le monde est parfait et qu'il n'y a aucune raison d'avoir envie de se geler l'esprit d'une façon ou d'une autre.
Je reprends l'exemple de l'alcool au volant. L'idée est d'essayer de mieux gérer un problème, et le problème est lié à des conditions de vie et à des conditions personnelles, mais c'est un moyen. On cherche les meilleurs moyens d'atteindre les personnes. Il y aura encore des classes pauvres et des gens malheureux demain, de la même façon qu'il y aura encore des gens qui vont régler leurs problèmes par l'alcool ou d'autres drogues.
M. Volpe: Le problème n'est pas l'alcool au volant. C'est la façon dont la personne qui se trouve au volant gère l'auto. Une des conditions qui mènent à la
[Traduction]
ou une mauvaise utilisation de ce véhicule en particulier... Si vous voulez parler d'éliminer tous les facteurs qui conduisent à une conduite dangereuse, je crois que la discussion pourrait être différente.
Je crois, madame, que ce qu'il me faut encore comprendre, c'est le lien entre les approches que vous proposez et ce que certains experts dans le domaine me disent être un grave problème, soit l'abus de drogues. Ils me disent qu'indépendamment de toutes les autres techniques, auxquellesM. Oscapella a fait allusion - et je pense qu'il a dit que le plus gros obstacle à la réadaptation de l'individu ou à la mise en place d'une assise lui permettant de remplacer l'abus de substances par la qualité de vie est la rupture dans la structure de valeurs personnelles ou de valeurs sociétales. Je pense que c'est l'un des premiers points que vous avez soulevés.
Je me demande comment on peut le faire quand on préconise du même coup des idées qui laissent entendre que l'individu a la responsabilité de prendre une décision qui n'est pas nécessairement étayée par toute l'information disponible à l'individu qui prend la décision qui changera sa vie.
Le président suppléant (M. Murphy): Nous allons entendre votre réponse et puis nous devrons terminer.
[Français]
Mme Beauchesne: Je vais répondre brièvement à votre question. Quel que soit le comportement, conduire une voiture, faire l'amour ou prendre des drogues, il y a des risques. Je peux prendre deux positions. Je peux empêcher les gens de conduire une voiture. Ainsi, il n'y aura aucun blessé en voiture. Je peux empêcher les gens de faire l'amour. Ainsi, je vais réduire un des moyens de propagation du sida. Je peux empêcher les gens de prendre des drogues. Ainsi, je vais réduire les problèmes. Mais les études nous montrent que de 80 à 85 p. 100 des gens gèrent leur consommation de drogues, licites ou illicites, et que de 10 à 15 p. 100 des gens ont des problèmes. Est-ce que je vais me concentrer sur l'élimination du risque et du produit ou si je vais reconnaître que de 80 à 85 p. 100 des gens gèrent leur consommation et me demander comment aider, comprendre ou atteindre ceux qui ont des problèmes?
[Traduction]
Le président suppléant (M. Murphy): Merci, madame Beauchesne.
Nous allons maintenant terminer. Merci beaucoup d'avoir comparu devant nous.
Nous demanderons maintenant à Diane Riley de se joindre à nous.
Mme Diane Riley (présidente, Harm Reduction Network): Compte tenu du temps à notre disposition, je serai brève. Comme vous le savez, j'ai fourni au comité un résumé de ma déclaration ainsi qu'un document sur la réduction des méfaits, qui est l'un des principaux sujets que j'aimerais évoquer aujourd'hui, lors de la période des questions également, si cela vous intéresse.
Pour commencer, cependant, j'aimerais dire quelque chose qui, à mon avis, est essentiel aux délibérations de ce comité et répond également à l'une des questions soulevées auparavant parM. Szabo. J'aimerais vous dire quelle cause je défends.
La question m'importe beaucoup, parce que j'ai travaillé dans ce domaine pendant 24 ans dans divers pays du monde.
L'une des raisons pour lesquelles je me suis intéressée à la réforme de la politique en matière de drogue, même si à l'origine j'étais ce que vous pourriez qualifier de chercheur pur effectuant de la recherche sur le cerveau et les effets liés à la drogue... Pendant les années 80, je me suis intéressée au fait que certains des patients que je traitais connaissaient divers troubles que nous n'avions jamais observés auparavant. Bien entendu, il s'agissait de ce que nous en sommes venus à appeler le sida et des effets liés à l'hépatite. À cette époque, je me suis rendu compte que la recherche que je faisais, qui était si pure, devait trouver une application pratique et que je devais prendre position politiquement afin de réaliser les effets que je souhaitais. Je me suis rendu compte que nous n'étions plus capables de garder les usagers des drogues en vie. Nous devions trouver de meilleurs moyens de protéger leur santé et de s'assurer qu'ils peuvent continuer à vivre et à fonctionner.
J'aimerais dire que je suis en faveur de la réduction des méfaits liés à la drogue, tout comme, je crois, nous sommes tous en faveur de la réduction de la douleur, de la réduction de la misère, de la réduction de la souffrance humaine. Au cours des 10 dernières années environ, quand je me suis beaucoup intéressée à la pandémie VIH... Je pense que c'est également une façon de reconnaître que la pandémie à laquelle nous assistons avec le VIH et l'hépatite B, C, D, E et F n'est pas sans rapport avec le fait qu'il existe principalement deux épidémies. L'une d'elles est sexuelle et l'autre est liée à la drogue, et je crois que nous devons les attaquer les deux de front. Voilà les questions qui influeront sur la façon dont nous aborderons les problèmes dans la société de l'avenir, car elles auront un effet sur les coûts des soins de santé, etc.
Outre les commentaires que j'ai formulés dans mon résumé, j'aimerais également dire qu'il est important de regarder quelles sont les différences entre la légalisation, la décriminalisation et la médicalisation de la drogue - tout l'éventail.
Je ne suis certainement pas en faveur de la légalisation de la drogue, et l'une des choses auxquelles j'aimerais que le comité s'intéresse est le fait que les drogues que nous avons et qui sont légales ou licites, comme l'alcool et la nicotine, et en particulier la nicotine, sont très peu réglementées. Cette distinction entre ce qui est licite et ce qui ne l'est pas est une fausse distinction, qui dit à nos enfants, par exemple, qu'on peut consommer de l'alcool sans grand danger mais qu'on ne peut consommer de la marijuana parce que... et puis nous leur disons des mensonges. Je crois qu'il faut cesser de mentir, pas seulement dans le cas des drogues licites mais dans celui des drogues illicites aussi.
Mme Beauchesne a parlé du Prozac. C'est quelque chose qui m'inquiète aussi énormément. Je pense que la vente de ces drogues est moussée par les vendeurs légaux dans notre société, et qu'il y a beaucoup d'argent à faire.
L'une des choses dont nous ne nous rendons pas compte avec le Prozac, c'est qu'il n'a pas été beaucoup testé. Le lien entre le Prozac et d'autres antidépresseurs et le cancer, en particulier le cancer du sein... Comme femme, cela m'inquiète beaucoup, et je pense que nous devrions étudier ces questions.
Je pense que nous devrions également étudier très soigneusement la question de savoir qui profite de l'interdiction. Juste avant que la prohibition de l'alcool ne prenne fin, au moment de la tenue de la Commission Wickersham aux États-Unis, l'un des commissaires a déclaré que la prohibition était un fiasco - peu après, on y mettait fin. Comment se fait-il qu'un système d'interdiction qualifié de fiasco se retrouve au coeur de notre approche nationale et même internationale aux questions de drogue? Je pense que c'est une des questions que nous devons étudier très attentivement.
J'aimerais à cet égard citer Joseph McNamara, le chef de police de Kansas City et de San Jose, Californie, maintenant l'un des critiques les plus virulents de l'interdiction aux États-Unis. Il a déclaré:
- «C'est l'argent, stupide»... Après 35 ans de travail comme agent de police dans trois des plus
grandes villes du pays, voilà mon message aux politiciens vertueux qui s'obstinent à proclamer
que faire la guerre à la drogue libérera l'Amérique de son emprise. De l'héroïne ou de la cocaïne
qui vaut 500 $ dans le pays d'origine rapportera autant que 100 000 $ si on l'écoule dans les rues
d'une ville américaine. Tous les policiers, toutes les armées, toutes les prisons et toutes les
exécutions du monde ne pourront empêcher l'apparition d'un marché avec ce genre de marge
bénéficiaire exempt d'impôt. C'est l'illégalité qui permet le bénéfice obscène qui enrichit les
trafiquants de drogues, les distributeurs, les revendeurs, les hommes d'affaires, les banquiers,
les hommes politiques, les juges, les avocats, les policiers corrompus.
C'est la même chose avec la courbe relative à l'augmentation des infections à VIH, à l'hépatite B, C, etc., chez les utilisateurs de drogues injectables. C'est exponentiel. Voilà les choses qui m'inquiètent. C'est à ces questions que nous nous intéresserons dans l'avenir. Je sais que, en tant qu'hommes politiques, vous voudrez également les étudier.
Nous devons également considérer ce que cela signifie pour nos prisons. Bon nombre de personnes sont incarcérées pour des infractions liées à la drogue ou au sexe. Je pense que nous devons étudier tout le système, envisager des solutions sous forme de justice «réparatrice», dont nous voyons quelques exemples dans l'Ouest, et qui s'inspirent de modèles autochtones, etc. Ce sont de bonnes solutions de rechange à considérer.
Mais ce qui nous intéresse ici, c'est la recherche de solutions. Comme je l'ai fait dans le document que je vous ai soumis, je proposerais que nous nous intéressions à la réduction des méfaits dans le monde. De nombreux pays se sont maintenant tournés vers la réduction des méfaits, y compris des pays comme l'Australie où c'est la politique nationale. L'Australie a réussi à faire passer son niveau d'infection à VIH chez les consommateurs de drogues d'un taux supérieur à 6 p. 100 à moins de 1 p. 100 en quelques années.
Au Canada maintenant, dans certaines de nos villes comme Montréal, le niveau se situe à20 p. 100; à Ottawa, il est de 10,2 p. 100. L'Organisation mondiale de la santé a prévenu que si un pays ne maintient pas sous 10 p. 100 le niveau d'infection à VIH chez les utilisateurs de drogues injectables, il s'expose à une dangereuse épidémie. Nous y faisons déjà face dans bon nombre de nos centres urbains. Je pense que nous devons étudier les solutions adoptées par l'Australie. Comment a-t-elle réussi à réduire de nouveau son niveau et à le maintenir?
Regardez certains des autres exemples qui figurent dans le document et dans le classeur que la Fondation vous a remis. Regardez le cas de Merseyside, en Angleterre, où l'infection à VIH chez les consommateurs de drogues, en dépit du fait que le Royaume-Uni compte le niveau le plus élevé de consommateurs enregistrés, est statistiquement nulle. Comment y sont-ils parvenus? Grâce à des programmes de réduction des méfaits. C'est donc l'une des choses que j'aimerais proposer.
J'aimerais également proposer que nous réexaminions la stratégie que nous appliquons dans les prisons. L'an dernier, le budget affecté au dépistage des drogues dans les prisons était de 1 200 000 $. Nous savons que le dépistage des drogues conduit à l'ingestion de drogues plus puissantes, comme l'héroïne, car elles sont moins susceptibles d'être détectées par le dépistage que ne le sont les drogues moins nocives, comme la marijuana. Outre ce montant de 1 200 000 $, le SCC a dépensé un million pour sa stratégie antidrogue l'an dernier, alors que son budget pour le sida totalisait 175 000 $. Il est clair que quelque chose ne va pas.
De même, il faut se rappeler que notre stratégie antidrogue tire à sa fin. Elle a commencé à perdre sérieusement de la vitesse en avril dernier quand, à l'instar de plusieurs autres, j'ai été licenciée du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies, et également du secrétariat. C'est attribuable à la fermeture complète prévue pour mars prochain. J'aimerais que vous réétudiez cette question, parce que nous avons clairement besoin d'une stratégie efficace, quelle que soit la décision que vous prendrez.
L'une des choses à ne pas oublier, c'est qu'il existe de par le monde beaucoup d'exemples vers lesquels nous pouvons nous tourner, et qu'il faut rester ouvert aux solutions. Je proposerais également de garder à l'esprit que dans un certain nombre de pays, notamment en Australie, les prisonniers et les consommateurs de drogues intentent maintenant des poursuites en cour, non seulement pour négligence civile, mais également pour négligence criminelle, pour ne pas avoir réussi à assurer la prévention du VIH et de l'hépatite, pour ne pas avoir réussi à fournir un traitement adéquat pour les problèmes liés à la drogue.
Bien entendu, cela nous amène vers un tout autre problème, auquel je n'ai pas le temps de m'attaquer - le manque terrifiant de traitements et de services au Canada pour les toxicomanes et pour les personnes qui commencent à avoir un problème. Je pense que nous devions revoir cette question également.
Enfin, par ailleurs, c'est très bien de dire qu'il s'agit là d'une responsabilité morale. De toute évidence, c'est ce que nous pensons tous. Je vais m'adresser à vous d'un autre point de vue pour un instant, et vous dire que j'ai siégé au conseil d'administration de la Société d'hémophilie pendant plus de huit ans. Au cours des années que j'y ai passé et lors du scandale du sang contaminé, bien entendu, on nous a fait remarquer qu'un terrible désastre aurait pu être évité - et maintenant bien des gens font face tant à la question de la négligence qu'à la question associée au fait que les gens à l'époque ont dit - et j'étais présente à ces réunions - que ce ne serait que quelques hémophiles qui mourraient.
La question ici est celle de savoir si ce ne sera que quelques toxicomanes qui mourront? Eh bien, il s'agit de nos enfants et de nos partenaires. Ce sont des gens qui sortiront de prison et entretiendront des relations avec nos enfants et nos petits-enfants. Nous sommes tous touchés et brutalisés par l'interdiction.
Je pense que la seule chose que nous puissions faire est reconnaître que faire la guerre à la drogue est une croisade, et que personne ne gagne de croisade. C'est une question religieuse. Nous devons prendre du recul et adopter une autre perspective, une perspective scientifique et de santé publique. Je pense que la seule réponse sera une réponse humaine, où sont pesés le pour et le contre. Nous voyons ce qui marche, ce qui ne marche pas, et ce qui cause le moins de tort.
Je dirais que la solution en fait est très facile si nous adoptons cette approche, mais que nous avons besoin de courage et d'humanité. Ce ne sont pas des vertus que l'on rencontre souvent à notre époque.
Merci.
Le président suppléant (M. Murphy): Merci, madame Riley.
Pierre.
[Français]
M. de Savoye: Madame Riley, bienvenue parmi nous. Nous avions eu l'occasion de vous rencontrer il y a au-delà d'un an et demi sur le projet de loi C-7. Vous nous aviez tenu des propos tout aussi intéressants que ceux d'aujourd'hui.
Votre approche, de par votre formation, est surtout médicale. Vous nous avez parlé de la médicalisation des drogues. Vous avez mis cela en opposition ou en complémentarité avec la décriminalisation et la légalisation. Est-ce que vous pourriez mettre en perspective la façon dont vous voyez ces trois termes?
[Traduction]
Mme Riley: De la façon dont ces trois termes sont généralement utilisés dans ma sphère d'activité, du moins, la «légalisation» est un processus qui prend place quand la fabrication, la vente ou la possession de drogues est totalement légale. Un tel système n'existe que dans quelques pays du monde. Cela existe dans certains pays d'Amérique du Sud.
La «décriminalisation» signifie que certaines peines peuvent encore être imposées pour la possession, la vente ou la fabrication, mais qu'il ne s'agit plus d'une peine criminelle.
La médicalisation, ou ce qu'on appelle parfois «l'approche prescriptive» - la prescription de drogues - est considérée comme une sorte de tremplin vers une approche différente. Pour certaines personnes, c'est la solution finale, et vous vous en remettez complètement aux médecins. J'ai de la peine à considérer cela comme une solution finale parce que je n'y vois qu'une façon de remplacer un faux contrôleur par un autre. Cela deviendrait un problème médical, une maladie, et je ne pense pas que ce soit une maladie en ce sens. Mais je crois que c'est une bonne mesure provisoire et qu'elle réussit très bien à réduire les méfaits dans un certain nombre de pays, y compris la Suisse, les Pays-Bas, l'Australie et, bien entendu, le Royaume-Uni, qui nous en fournit l'exemple le plus connu. Ce sont là différentes nuances qui doivent également être étudiées.
[Français]
M. de Savoye: Vous avez aussi parlé de traitements de désintoxication et vous avez indiqué qu'au Canada, on faisait très peu ou trop peu, et pas nécessairement très bien, à cet égard. Dans mon comté, il y a des centres de désintoxication. Il y en a qui ouvrent, il y en a qui ferment. Ils sont généralement logés dans des édifices qui ne sont pas nécessairement très confortables.
Le personnel, quoique bienveillant, ne semble pas devoir répondre à des critères précis de formation ou de qualification pour prendre soin des bénéficiaires. Les bénéficiaires eux-mêmes viennent là sur une base volontaire, repartent de la même façon, et il n'y a aucun encadrement gouvernemental, législatif et réglementaire qui semble encadrer tout ça. Ça pousse comme des champignons et ça fonctionne à la va-comme-je-te-pousse. Qu'est-ce que vous pensez de tout ça et qu'est-ce qui devrait être mis en place sur le plan de la désintoxication?
[Traduction]
Mme Riley: Oui, je crois que c'est l'un des plus graves problèmes auxquels nous faisons face, et j'espère que ce comité sera capable de s'y attaquer dans ses délibérations des prochains mois; nous disposons de si peu de choses. Je pense qu'en partie c'est parce que nous avons hérité de la mentalité que les alcooliques et les autres consommateurs de drogues sont des pécheurs - la mentalité morale. Bien que des organisations comme l'Armée du Salut, etc., soient capables de faire du très bon travail, elles ont des ressources très limitées, et elles n'abordent également le problème que d'un point de vue quand, en fait, ces problèmes doivent être abordés de nombreuses et différentes façons, depuis l'abstinence totale jusqu'à la réduction des méfaits, en passant par le maintien. Voilà ce dont nous avons hérité.
Nous avons également encore tendance à utiliser cette approche où nous jugeons les consommateurs de drogues et d'alcool d'une façon très péjorative. Nous n'accordons pas nécessairement les ressources à moins que ce ne soit de façon privée là où les gens paient pour cacher quelque chose. Nous devons nous attaquer à ce problème de front.
Il nous faut admettre que les drogues existent bel et bien, que des gens en consomment et que même, dans une certaine mesure, ils en abusent. Compte tenu des réalités de notre siècle, du prochain siècle et du prochain millénaire, la situation ne va qu'empirer. Si les gens consomment des drogues, c'est bien sûr pour se distraire, mais aussi pour supporter la douleur, le chômage, l'ennui, etc. Évidement, la situation va gravement empirer.
Si le Prozac est si largement utilisé, c'est pour supporter le malaise de l'époque moderne. C'est le soma de notre temps. Je pense qu'il faut s'attaquer au problème et non pas se contenter d'envisager des «solutions» chimiques - qu'il existe des solutions ou non, c'est ce que consomment les êtres humains - mais d'en trouver d'autres pour combler de tels vides.
Notre société a de très mauvais résultats à cet égard et n'offre pas de services suffisants. Je pense que si l'on abandonne la stratégie antidrogue, on se rendra compte qu'on ne sera plus en mesure d'accorder la priorité à ce problème. C'est un des points qui doit être inscrit à l'ordre du jour. Je crois que c'est dans trois provinces seulement que l'on retrouve un organisme de lutte contre la toxicomanie. Celui de l'Ontario est très menacé en ce moment, puisqu'il est question de le fermer. Que va-t-il alors arriver? Que va-t-il nous rester? Simplement des services généraux pour des problèmes qui exigent en fait des solutions très précises.
À mon avis, autant les gouvernements provinciaux que fédéral doivent accorder la priorité à ce problème, car il est possible d'y apporter des solutions. On ne peut pas dire qu'aucun pays au monde ne propose de solutions, car dans certains, on retrouve des modèles efficaces de traitement. Nous devrions donc les examiner.
Le président suppléant (M. Murphy): Paul.
M. Szabo: Bienvenue, madame. Ce que vous dites est intéressant et je suis désolé de ne pas avoir davantage étudié votre thèse; j'aimerais toutefois vous poser une question fort pertinente.
Vous nous avez parlé, entre autres, des étiquettes figurant sur les contenants de boissons alcoolisées. En principe - sans aborder la question des méthodes, j'aimerais simplement savoir ce que vous en pensez - croyez-vous que les renseignements qui figurent sur les étiquettes des boissons alcoolisées permettent de sensibiliser les consommateurs et d'influer sur leur comportement, et sur quelle référence ou source faisant autorité vous appuyez-vous pour arriver à une telle conclusion?
Mme Riley: C'est une très bonne question, car je crois que dans le domaine de l'alcool, nous pouvons trouver des solutions que nous pourrions éventuellement appliquer dans le cas d'autres drogues. Beaucoup de travaux ont été effectués sur la question de l'étiquetage en Australie. Dans ce pays, les étiquettes portent maintenant des «avertissements». La même démarche est également mise à l'essai au Royaume-Uni et je pourrai donc vous en parler. Je peux certainement commencer par les travaux effectués par Stockwell à Perth, en Australie occidentale.
Après avoir examiné diverses sortes d'étiquetage, on est arrivé à la conclusion que le fait d'indiquer sur le contenant le contenu en alcool que renferme une consommation standard est ce qui permet véritablement de diminuer la consommation. On a découvert à la suite d'essais auprès de groupes-cibles jusqu'à quel point le consommateur, à moins d'être barman, se trompait à propos de l'alcool qu'il absorbait. Dans presque tous les cas, il pensait bien sûr en absorber moins. Par conséquent, des travaux fort intéressants ont été effectués dans ce domaine.
C'est une des raisons pour lesquelles l'Australie a opté pour cet étiquetage; la réaction du public a d'ailleurs été très positive, puisque c'est ce qu'il attendait. Les consommateurs voulaient savoir exactement combien d'alcool ils absorbaient, alors que jusque là, les diverses annonces de contenu en alcool les induisaient en erreur. Ils avaient besoin d'une telle information.
La responsabilité de la société a bien sûr été l'autre problème soulevé à propos de l'étiquetage; il s'agissait également de faire parfaitement bien comprendre aux enfants que l'alcool est une drogue, que la nicotine est une drogue, etc., et de leur faire voir les choses sous cet angle. L'Australie a fait de gros progrès dans le domaine de la réduction des méfaits et je pense qu'il s'agit de l'un des pays que vous devriez examiner, étant donné qu'il adopte d'excellentes formules.
Le président suppléant (M. Murphy): Merci beaucoup, madame Riley, pour votre excellent exposé.
C'est ainsi que nous allons conclure. Notre prochaine séance est fixée à mardi prochain. Merci.