[Enregistrement électronique]
Le mardi 3 décembre 1996
[Traduction]
Le président: Bonjour à tous. La séance est ouverte. Nous tiendrons une table ronde sur les drogues illicites. Nous accueillons quatre témoins. Je les invite à se présenter pour les fins du compte rendu, en commençant par le Dr Pierre Lauzon.
[Français]
Dr Pierre Lauzon (médecin omnipraticien, Programme CRAN): Bonjour. Je m'appelle Pierre Lauzon et je suis médecin omnipraticien à Montréal.
[Traduction]
M. Harold Kalant (professeur, directeur honoraire, Département de la recherche sur le biocomportement, Fondation de la recherche sur la toxicomanie): Je m'appelle Harold Kalant. Je suis professeur de pharmacologie à l'Université de Toronto et directeur honoraire de la recherche sur le biocomportement à la Fondation de la recherche sur la toxicomanie.
M. William Corrigall (directeur, Département de la recherche sur le biocomportement, Fondation de la recherche sur la toxicomanie): Bonjour. Je m'appelle Bill Corrigall. Je suis un scientifique qui travaille à la Fondation de la recherche sur la toxicomanie à Toronto et je suis actuellement directeur du Département de la recherche sur le biocomportement.
M. Juan Carlos Negrete (professeur, Département de psychiatrie, Université McGill et Université de Toronto): Je m'appelle Juan Carlos Negrete, je suis professeur de psychiatrie à l'Université McGill et à l'Université de Toronto, et je dirige le programme de psychiatrie en toxicomanie à Toronto.
Le président: Messieurs, nous vous remercions d'être venus. Comme vous l'avez probablement entendu dire, nous ne sommes pas au début de notre examen de la politique du Canada en matière de drogues. Nous sommes donc particulièrement heureux que vous y participiez.
Je crois que vous avez des déclarations liminaires à faire. J'invite M. Kalant à commencer. Je vous prierais de laisser du temps pour un échange d'idées, non seulement entre vous, mais aussi entre vous et les membres du comité, qui vous ont invités afin de profiter de votre expertise. Monsieur Kalant.
M. Kalant: Merci. Je voudrais commencer par remercier les membres du comité de nous avoir invités à participer à ces discussions. Nous espérons que notre participation sera utile. J'essaierai certainement de limiter mes remarques le plus possible afin de laisser assez de temps pour que vous puissiez poser vos questions.
Nous avons réparti les différents sujets entre le Dr Negrete, M. Corrigall et moi-même. Il y a d'autres sujets dont nous ne parlerons pas directement dans nos exposés, mais nous espérons que vous n'hésiterez pas à nous poser des questions sur n'importe quel d'entre eux. Le Dr Negrete vous parlera des opiacés, et M. Corrigall vous parlera de la cocaïne et des amphétamines, c'est-à-dire des stimulants du système nerveux central. Quant à moi, je vous parlerai du cannabis. J'espère que nous pourrons répondre à des questions sur les autres drogues qui vous intéressent.
On nous a demandé de donner des renseignements de base sur ces différentes drogues, et j'ai préparé des notes, que vous avez probablement reçues, au sujet du cannabis. Je ne dirai peut-être pas tout ce que contiennent ces notes, espérant que vous pourrez les lire plus tard.
En ce qui concerne la pharmacologie du cannabis, il suffit de vous rappeler que c'est une plante. Les préparations grossières venant de la plante, soit la marijuana et le hachisch, se présentent ainsi: la marijuana est sous forme de feuilles séchées avec des extrémités en fleur, et le hachisch est la résine qui les enrobe. Les ingrédients actifs qui sont responsables des effets recherchés par l'usage du cannabis s'appellent les cannabinoïdes, dont le delta-9-THC constitue le seul élément actif significatif de la plante de marijuana ou de cannabis même, mais il existe des modifications synthétiques qui prennent de plus en plus d'importance, comme je l'expliquerai dans un instant.
Les effets du tétrahydrocannabinol (THC), ou des préparations de cannabis, sont plutôt variés. Ils sont complexes. Au début, dans les premières minutes après avoir fumé ou pris la drogue, on ressent un effet stimulant, qui s'ajoute à celui de l'amphétamine ou de la cocaïne. Après 10 ou 15 minutes se manifeste un effet sédatif, qui s'ajoute aux effets sédatifs de l'alcool, des barbituriques, des tranquillisants et d'autres substances de cette nature.
Dans cet état de sédation, qui constitue la plus grande partie de la période d'action de la substance, on ressent une sorte d'impression de plaisir, de rêve, d'euphorie. Les gens tendent alors à être plus sociables et moins agressifs qu'avec l'alcool, par exemple, ou d'autres drogues. Après quelque temps, la personne devient somnolente et se réveille ensuite, et l'expérience est terminée.
Les effets physiologiques ne sont pas très importants. Il y a une accélération du rythme cardiaque et les yeux deviennent rouges. La tension artérielle est quelque peu instable lorsque la personne se met debout. Mais il ne s'agit pas d'effets majeurs.
Les effets sensoriels et psychiques sont les plus évidents. Les effets aigus - c'est-à-dire les effets d'une seule dose - sont semblables à plusieurs égards à ceux de l'alcool, en ce sens que l'acuité de la perception, la vitesse de réaction et la capacité de surveiller différentes sources d'information en même temps sont altérées par le cannabis autant que par l'alcool. Par exemple, lorsque vous conduisez une voiture, vous devez surveiller la route, le compteur de vitesse, les rues transversales, etc.
À des doses beaucoup plus élevées, on obtient des effets assez semblables à ceux des hallucinogènes. Il peut y avoir distorsion de la perception, des sentiments étranges, et, à des doses très élevées, le sentiment de sortir de son propre corps, par exemple. Pour le consommateur expérimenté, ces effets peuvent faire partie de l'attraction que présente la drogue, tandis que pour le consommateur inexpérimenté, ils peuvent être source de panique ou d'anxiété intense.
Il y a d'autres effets dont je parlerai tantôt, parce qu'ils peuvent avoir des applications médicales.
Les effets aigus posent évidemment des risques pour la santé, en ce sens que lorsque la perception, la vitesse de réaction, l'attention et d'autres facultés sont altérées, le risque d'accidents augmente proportionnellement. Cependant, les plus grandes préoccupations en matière de santé concernent les effets chroniques du cannabis.
Je dois souligner ici qu'on ne s'attend pas à voir des effets graves sur la santé des personnes qui fument de la marijuana à l'occasion - nous parlons ici essentiellement de consommateurs invétérés - comme on ne s'attendrait pas dans le cas de l'alcool à voir des lésions cérébrales chez quelqu'un qui boit de temps à autre ou prend même un verre de vin tous les jours au dîner. On s'attend à de tels effets chez le buveur invétéré qui prend six, sept, huit verres par jour et plus. Ainsi, lorsqu'on parle des effets de la consommation chronique de cannabis sur la santé, on parle essentiellement de la personne qui fume tous les jours, probablement plusieurs fois par jour, et qui est sous l'influence du cannabis pendant presque toutes les heures où elle ne dort pas.
Les principaux effets identifiés jusqu'ici se manifestent dans le système respiratoire et le cerveau. En ce qui concerne le système respiratoire, souvenez-vous que nous parlons de fumée qui a une teneur en goudron plus élevée que la fumée de tabac. Par conséquent, il n'est pas surprenant que l'on constate les mêmes types d'effets inflammatoires - la bronchite chronique et ensuite des modifications précancéreuses dans les cellules des parois des voies respiratoires - chez les consommateurs chroniques de cannabis plus tôt que chez les consommateurs de tabac, probablement encore là parce que la quantité de goudron qu'apporte la fumée de cannabis et la profondeur à laquelle la fumée est avalée et gardée dans les poumons font qu'on finit par absorber une dose beaucoup plus grande d'une substance potentiellement carcinogène que dans le cas du tabac en général.
Les effets sur le cerveau sont subtils. Il y a des modifications du comportement et de la personnalité. Une consommation élevée et régulière est associée à une mauvaise mémoire, à une perte de dynamisme, à un mauvais rendement à l'école ou au travail, à un ralentissement des processus de la pensée, et à une façon généralement apathique d'aborder la vie. Habituellement, cette situation disparaît si la personne cesse de fumer. Il s'agit donc probablement d'une intoxication chronique plutôt que de lésions permanentes au cerveau. Dans quelques cas, cependant, la situation ne revient pas à la normale. Dans ces cas, il y a de bonnes raisons de croire que les cellules du cerveau ont subi un certain degré de lésions semblables à ce qu'on observe chez un alcoolique chronique grave qui souffre de lésions irréversibles au cerveau.
Il y a également des effets psychiatriques. Il y a le syndrome de la dépendance. Le cannabis peut entraîner la dépendance, comme toute autre drogue qui a des effets dits psychotropes. L'élément physique de la dépendance est mineur, parce que le cannabis est éliminé du corps très lentement. Par conséquent, on ne voit pas de réactions graves et abruptes de sevrage, comme c'est le cas par exemple avec l'héroïne. Plus une drogue est éliminée lentement du corps, moins grave est la réaction au sevrage. La réaction est donc en ce sens semblable à celle que provoque la méthadone plutôt qu'à celle de l'héroïne.
L'autre effet psychiatrique majeur, c'est le risque de précipiter une dépression nerveuse chez une personne qui a déjà une tendance à la psychose. Une consommation importante de cannabis peut provoquer une dépression nerveuse aiguë chez les schizophrènes dont l'état est contrôlé ou presque.
On pense que quelques autres systèmes sont également touchés. De bons indices révèlent, par exemple, que des cellules à fonction immunitaire, les lymphocytes, qui protègent l'organisme contre les bactéries ou le cancer, sont altérées lorsqu'on les expose à des cannabinoïdes dans une éprouvette. Il reste encore à déterminer si cela se produit ou non chez une personne vivante.
On constate des effets mineurs sur le système endocrinien. Les femmes qui fument beaucoup et régulièrement connaissent des périodes sans ovulation. Les hommes tendent à avoir de faibles niveaux de testostérone et une faible numérotation des spermatozoïdes. Encore là, on n'est pas certain de l'importance ou de la durée de ces changements, car certains pensent qu'on peut acquérir une tolérance à ces effets. Ce n'est pas encore affirmé.
Le seul autre effet chronique sur la santé dont j'aimerais parler maintenant est l'impact éventuel sur les enfants nés de mères qui fument du cannabis régulièrement pendant leur grossesse. De très bons indices révèlent que lorsque les enfants sont nés, ils sont petits si l'on tient compte de la durée de leur gestation, ils sont irritables et ne se nourrissent pas bien. Ils se rétablissent cependant. À quatre ou six mois, ils ont généralement rattrapé les bébés de mères qui n'ont pas fumé de cannabis pendant leur grossesse.
Cependant, lorsqu'ils arrivent à l'âge scolaire, ils commencent à montrer de faibles aptitudes d'apprentissage des mots et de faibles aptitudes verbales. On craint que cela ne puisse nuire à leurs études ultérieures et par conséquent à leurs possibilités de carrière.
Les meilleures indications à ce sujet viennent d'ici, à Ottawa. Le Dr Peter Fried, de l'université Carleton, est en train d'effectuer une étude auprès de plusieurs centaines de ces enfants qui sont maintenant dans les premières années d'école.
Je voulais mentionner encore deux choses très brièvement. Quelle est la gravité des risques dont je viens de parler? La réponse est que cela dépend de la quantité consommée, comme je l'ai signalé. Au Canada, d'après les derniers chiffres que j'ai pu obtenir, et qui remontent maintenant à deux ou trois ans, environ 20 p. 100 de la population totale a déjà consommé du cannabis - 33 p. 100 des personnes de 20 à 24 ans et 16 p. 100 des personnes de 15 à 19 ans. Ce sont donc les grands adolescents et les jeunes adultes qui en consomment le plus. Parmi eux, les hommes en consomment toujours plus que les femmes.
Les consommateurs actuels, c'est-à-dire ceux qui en ont consommé au cours de l'année écoulée, ne représentent plus qu'environ 5 p. 100 de la population totale - 13 p. 100 des personnes de 20 à 24 ans et 9 p. 100 des personnes de 15 à 19 ans. On ne sait pas exactement combien de personnes font une consommation quotidienne, parce que jusqu'à tout récemment on ne posait généralement pas la question dans les sondages. Il s'agit probablement de moins de 1 p. 100 de la population totale, mais le taux est proportionnellement plus élevé chez les groupes à risque élevé, c'est-à-dire les grands adolescents et les jeunes adultes.
Les risques d'effets aigus, c'est-à-dire par exemple d'accidents, dépendent évidemment de la consommation totale, parce qu'il n'est pas nécessaire d'être un usager chronique pour avoir un accident. On peut en théorie en avoir un même si l'on n'est sous l'influence de la marijuana qu'une seule fois. Il y a une possibilité. D'autre part, les risques concernant les effets chroniques dépendront principalement d'une consommation élevée et régulière, c'est-à-dire que cela concerne le 1 p. 100 de personnes qui sont les grands consommateurs invétérés.
Les conséquences que cela entraîne sur le plan de la politique font que tout changement des niveaux de consommation changera les risques. Si vous diminuez les niveaux de consommation, vous diminuerez les risques et si vous augmentez les niveaux de consommation, vous augmenterez les risques. Étant donné les niveaux actuels de consommation, les risques sont probablement moins élevés; en fait ils sont presque certainement moins élevés dans le cas du cannabis que dans le cas de l'alcool et du tabac, et ils sont probablement moins élevés que dans le cas de l'héroïne et de la cocaïne. Mais si la consommation de cannabis se répand beaucoup plus - et en particulier si la consommation élevée et régulière augmente parce que la drogue est plus facile à obtenir, coûte moins cher, est acceptée socialement, n'occasionne pas de problèmes légaux, etc. - on peut prédire sans risque de se tromper que le nombre de personnes souffrant de conséquences importantes pour leur santé augmentera proportionnellement. Le problème pourrait même devenir aussi grand que ceux que cause actuellement l'alcool.
Enfin, passons aux utilisations médicales du cannabis. Il est très important de les examiner brièvement, car vous savez certainement que l'on invoque son usage médical pour prôner la légalisation du cannabis à toutes les fins. C'est parfaitement farfelu.
Le cannabis n'est pas une nouvelle drogue. Il faisait partie de la pharmacopée britannique et américaine au siècle dernier et jusqu'en 1930 environ. Le cannabis servait de sédatif et servait à traiter certains symptômes tels que la diarrhée aiguë, ou les spasmes musculaires, par exemple. Toutefois, il fut de moins en moins utilisé parce qu'il ne s'agissait pas d'un médicament fiable. Les préparations utilisées étaient des extraits liquides ou solides du cannabis dont la composition était variable ou carrément inconnue. Ses extraits avaient une courte durée de conservation à l'étalage. Par conséquent, le médecin prescrivant cette drogue ne pouvait jamais savoir quelle proportion de drogue active recevait le patient.
Lorsque les drogues synthétiques de composition, de puissance et de pureté connues sont arrivées sur le marché, on a tout simplement cessé d'utiliser le cannabis, car il n'était plus aussi intéressant que les nouveaux médicaments.
Dans ce cas, pourquoi s'y intéresse-t-on aujourd'hui? Deux usages du THC pur, soit sous forme synthétique, soit sous forme de dérivé semi-synthétique, ont passé avec succès le test. Les deux usages pour lesquels il y a eu approbation sont les suivants: d'abord dans le traitement de la nausée et des vomissements dus à la chimiothérapie contre le cancer; puis dans la stimulation de l'appétit chez les patients atteints du sida. Grâce à une augmentation de leur appétit et de leur apport alimentaire, les patients voient leur état général s'améliorer et ont de meilleures chances de survivre plus longtemps.
Il existe d'autres usages possibles, étant donné la façon dont on sait maintenant que la drogue fonctionne. Il existe des récepteurs spécifiques, qui sont des molécules à la surface de certaines cellules dans différentes parties du cerveau, comme dans les cellules lymphatiques ailleurs dans le corps, auxquelles s'attache la drogue. Là où elle s'attache, la drogue agit.
On reconnaît maintenant l'existence de deux types différents de récepteurs. Il en existe sans doute plus encore, car étant donné toutes les autres substances en regard desquels on a découvert des récepteurs, la recherche a maintenant démontré qu'il existe de nombreux sous-types de récepteurs. On espère aujourd'hui que chaque récepteur correspondra à un type différent d'action. Par conséquent, en modifiant chimiquement le THC, c'est-à-dire en le modifiant pour qu'il s'adapte à un récepteur particulier, il sera possible de le cibler pour qu'il réagisse d'une façon particulière à un médicament.
Les nouvelles découvertes thérapeutiques nous laissent espérer que l'on pourra soulager ainsi la douleur, les spasmes musculaires, l'immuno-suppression chez les patients ayant subi une greffe d'organe ou chez les patients qui souffrent de maladies par auto-immunisation et du glaucome. Il est moins probable qu'il existe d'autres effets.
Mais ce qu'il faut comprendre, c'est qu'il s'agit ici d'usages médicaux qui découlent d'une prescription du médecin. Les composés purs d'une puissance, d'une composition et d'une stabilité connues sont suivis médicalement de façon que le médecin puisse déterminer quels sont les effets thérapeutiques du médicament et déterminer si la drogue est bien efficace, faute de quoi le médecin changera de médicament.
Cela n'a rien à voir avec le fait de prétendre qu'il faudrait laisser fumer de la marijuana à quiconque le réclame. Si vous avez regardé l'émission de CTV la semaine dernière ou d'autres émissions de ce genre à la télévision américaine, là où on voyait toutes sortes de fumeurs de marijuana témoigner de ses grands bénéfices, je vous ferai remarquer qu'on n'avait pas diagnostiqué chez ces gens de problème médical. Ces gens avaient beau vous dire quel était leur problème, ils n'étaient pas suivis par un médecin qui étudiait les effets de la marijuana sur eux. C'était eux-mêmes qui décidaient si cela leur procurait des effets bénéfiques ou pas. Or, leurs raisons n'avaient peut-être rien à voir avec des problèmes d'ordre médical.
Je signalerai donc que le recours à du THC pur ou à ses dérivés synthétiques pour des fins médicales n'a rien à voir avec le besoin de fumer de la marijuana chez un fumeur.
Merci.
Le président: Monsieur Corrigall.
M. Corrigall: Laissez-moi faire un peu comme l'a fait le Dr Kalant pour le cannabis et les cannabinoïdes et vous parler de la cocaïne en suivant les mêmes grandes lignes.
Si l'on s'en tient à la pharmacologie de base, la cocaïne n'est qu'un autre produit d'une plante. C'est un alcaloïde extrait des feuilles de la plante de coca. Dans la rue, les drogués ou ceux qui font l'expérience de la cocaïne utilisent deux grandes formes de cocaïne: la première, c'est le sel-chlorhydrate, forme soluble dans l'eau qui peut donc être transformée en solution aqueuse et injectée. C'est également la même forme de cocaïne que l'on renifle, par voie intranasale, ou que l'on utilise en frottant diverses membranes muqueuses, comme celles de la bouche, du nez ou du rectum, par exemple. Cette forme de cocaïne est absorbée par les membranes muqueuses et circule dans le corps de cette façon.
La deuxième forme de cocaïne utilisée, c'est la cocaïne épurée, c'est-à-dire qu'elle n'est plus sous forme de sel, puisqu'on se trouve en présence de la molécule de base. L'avantage pour l'utilisateur, c'est que cette forme est stable à température élevée et qu'elle peut être vaporisée à haute température, c'est-à-dire fumée. Il existe deux formes de cocaïne en base libre. La première est la version épurée, préparée en extrayant la base alors formée à l'aide de solvants organiques, comme l'éther. Cela pose certains risques, puisqu'il s'agit d'un produit inflammable qui peut exploser lors de la préparation de la forme épurée de cocaïne destinée à être fumée. Puis il y a une forme plus pure encore de cocaïne appelée communément le crack, qui reste de la cocaïne à base libre, mais qui est contaminée par des impuretés lors de sa préparation. Donc, au lieu de l'extraction faite au moyen de solvants comme l'éther ou des composés éthérés, c'est la forme en base libre, c'est-à-dire le crack, qui est contaminée.
On peut évidemment fumer du crack; et les formes fumées et injectées de cocaïne atteignent le cerveau extrêmement rapidement, contrairement aux formes administrées par voie nasale ou appliquées sur les membranes muqueuses.
S'il consomme des doses modérées de cocaïne, l'utilisateur ressent de l'euphorie et une énergie accrue qui se manifestent souvent par une plus grande loquacité. S'il en consomme des doses modérées à élevées, il ressent moins le besoin de dormir ou l'appétit. Plus la dose augmente, plus ses effets perdurent; toutefois, ces effets peuvent être compensés par d'autres effets qui se font ressentir à des doses très élevées, comme des comportements excentriques pouvant aller jusqu'à la véritable paranoïa.
Au-delà des effets physiologiques, on peut constater d'autres effets comme l'augmentation du rythme cardiaque, l'augmentation de la charge cardiaque, la diminution de la température dermique, l'augmentation de la respiration, l'augmentation de la température corporelle, notamment.
La mort peut survenir à la suite de convulsions dues à la cocaïne ou, selon la fréquence de l'administration de la drogue - et ce sont là des cas extrêmes - à l'effondrement du système respiratoire, qui fait cesser la respiration. Mais il s'agit là d'effets constatés à des doses extrêmement élevées, et je ferais remarquer que cela n'a rien à voir avec les décès dus à des surdoses de cocaïne, surdoses qui sont une conséquence habituelle de son utilisation.
Chez les utilisateurs invétérés, l'état dit «high», qui représente les effets subjectifs de la drogue, peut être perçu comme étant moins aigu. Cela est dû sans doute au fait que, chez l'utilisateur chronique, les effets sont émoussés par le développement d'autres effets tels que la paranoïa qui survient avec l'utilisation d'amphétamines ou de cocaïne.
Pour ce qui est de la dépendance, la cocaïne peut d'une certaine façon être perçue comme l'étalon-or. En effet, les animaux munis d'un cathéter intraveineux tout comme les humains qui y ont recours à des fins d'agrément, s'administreront tous deux la drogue en petites quantités ou, s'ils en ont la chance, en épisodes de consommation excessive et soutenue. Voilà pourquoi on a souvent dit de la cocaïne qu'elle était la substance qui causait le plus d'accoutumance. On pourra en discuter plus tard.
Il faut comprendre simplement qu'il s'agit d'une drogue qui a des effets clairement établis sur la motivation chez les animaux et qui, par conséquent, dans une situation expérimentale, provoquera chez l'individu un comportement le poussant à rechercher cette drogue. Voilà pourquoi cette drogue a été étudiée longuement et constitue l'un des étalons les plus utiles pour les scientifiques, puisqu'elle leur permet de comprendre les mécanismes du système nerveux central qui entrent en jeu dans la dépendance par rapport aux drogues, dans le cas du moins des stimulants psychomoteurs, comme la cocaïne.
Dans le cas de la cocaïne et des composés du type de la cocaïne, il est maintenant clair que ces substances bloquent la réabsorption de certains agents chimiques dans le cerveau. J'entends par là que la communication normale d'une cellule à l'autre dans le cerveau et dans le système nerveux central est modifiée par les agents chimiques émis par une cellule, agents qui parcourent par diffusion une très petite région et vont s'attacher à la cellule voisine, ce qui permet l'émission d'un signal électrique. Plusieurs de ces composés du cerveau sont remodelés par notre système nerveux central de sorte que la cellule émettrice de l'agent chimique récupère celui-ci pour le réutiliser une fois qu'il a accompli sa fonction de transmission. Or, la cocaïne empêche ce phénomène ou à tout le moins le ralentit chez plusieurs agents neurochimiques tels que la dopamine, la norépinéphrine et la sérotonine.
Nous savons maintenant que les effets sur le système dopamine constituent l'un des effets les plus remarquables de la cocaïne en ce qu'ils sont capables d'inciter à utiliser la drogue, de maintenir sa consommation et peut-être de promouvoir la rechute, ainsi qu'on l'a mesuré du moins dans le comportement des animaux. Il est également clair que chez les humains la cocaïne a des effets semblables sur le système dopamine. Ces constatations ont été à l'origine d'une recherche accrue sur la dopamine et sur des produits assimilables à la dopamine et, en gros, d'une recherche accrue sur les manipulations du système dopamine en tant que pharmacothérapies ou médicaments éventuels.
Mes collègues en disconviendront peut-être, mais j'avoue que pour l'instant le travail effectué sur le système dopamine n'est pas couronné de succès. Cela n'est pas surprenant, dans la mesure où l'on sait, d'abord, qu'il y a en jeu d'autres systèmes neurochimiques. Ensuite, la dopamine entre en jeu dans toute une gamme de comportements divers et dans toute une gamme de fonctions dans le système nerveux central, et il est extrêmement difficile de manipuler le système dopamine et de s'attendre à en voir les effets spécifiques sur la dépendance par rapport à la drogue sans que cela s'accompagne de séquelles pouvant être perçues comme étant des effets secondaires.
Il reste toutefois que la recherche entourant le système dopamine est l'un des éléments clés de toute recherche fondamentale sur la dépendance par rapport aux drogues et que c'est une des forces motrices de la recherche sur les mécanismes de fonctionnement de plusieurs autres substances, telles que les opiacés et la nicotine.
Une des caractéristiques de la cocaïne par rapport aux autres produits, c'est que lorsqu'elle est consommée de façon chronique, elle sensibilise à l'excès le comportement. Nous ne savons pas encore clairement la façon dont cela s'exprime chez les êtres humains, mais l'on a vu dans nos expériences sur les animaux que si l'on administrait de façon répétée cette drogue, elle entraînait une sensibilisation excessive. En effet, on en voyait les effets sur le comportement moteur, ce qui entraînait chez l'animal une exploration accrue, un reniflement accru, un nombre accru de mouvements de la tête, etc., comportements que l'on peut tous qualifier de stéréotypés. Or, ces comportements ont tendance à s'accroître plutôt qu'à diminuer si l'on administre de façon répétitive cette drogue. Il est fort possible que chez les humains on constate les mêmes effets de sensibilisation à l'excès, surtout chez les utilisateurs qui y ont recours de façon séquentielle. Ces effets semblent faire appel au même système dopamine dont j'ai parlé plus tôt, et je crois que la recherche devra démontrer quels en sont les mécanismes et quelle importance ils ont chez les humains.
Enfin, pour parler de l'incidence de l'usage de la cocaïne, comme l'a fait le Dr Kalant, laissez-moi vous expliquer ce qui se passe actuellement au Canada, et avec un peu plus de détails pour l'Ontario, puisqu'on y a colligé des données.
D'abord, laissez-moi faire remarquer que l'incidence d'utilisation dans la population générale est certainement plus élevée aux États-Unis qu'au Canada. Il me semble important de le reconnaître, étant donné que l'idée que l'on se fait de l'incidence des drogues chez nous est fortement teintée par ce qui se passe aux États-Unis. Ainsi, en 1981, le pourcentage d'Américains de plus de 12 ans qui avouaient avoir consommé de la cocaïne était de 11,5 p. 100 - il s'agissait de ceux qui disaient l'avoir utilisée une fois, ou plus d'une fois - alors qu'un an plus tôt, pour approximativement le même groupe d'âge chez les Canadiens, le taux était de 3 p. 100. Vous voyez qu'au début des années 90, la consommation au Canada était de trois à quatre fois moindre qu'aux États-Unis.
Malheureusement, il y a beaucoup moins souvent d'enquêtes au Canada couvrant l'ensemble de la population qu'aux États-Unis. Il y a eu trois études couvrant l'ensemble de la population en 1985 et 1990.
Pour cette période, les chiffres n'indiquent pas de changement important. Ces chiffres pour des périodes de 12 mois donnent 0,9 p. 100 en 1985, 1,4 p. 100 en 1989 et 1 p. 100 en 1990. Il n'y a donc pratiquement pas de changement.
L'étude de la Fondation de la recherche sur la toxicomanie donne un tableau plus complet de l'usage de la cocaïne chez les étudiants ontariens. Cette étude dure depuis maintenant 18 ans, et une enquête a lieu tous les deux ans auprès des élèves de 7e, 9e, 11e et 13e années.
Depuis 1985 les chiffres indiquaient une tendance plus ou moins soutenue à la baisse de la consommation de cocaïne par ces élèves, la courbe passant par un maximum d'environ 5 p. 100 à un minimum d'environ 1,5 p. 100 en 1993. Donc, pendant cette période d'un peu plus d'une décennie, il y a eu diminution constante de la consommation.
Cependant, les données de 1995 indiquent une fin de cette tendance. En fait, de 1,5 p. 100 en 1993, l'enquête de 1995 rapporte que 2,4 p. 100 des élèves indiquent avoir consommé une fois ou plus d'une fois de la drogue pendant les 12 mois précédents. Il y a donc augmentation de la consommation.
Il ne s'agit pas uniquement de cocaïne. Il s'agit de toutes sortes de substances dont la consommation est en augmentation, y compris le tabac, les cigarettes, le cannabis, l'alcool, les solvants utilisés par inhalation, etc.
Donc, pour le moment ce n'est pas clair... Les statistiques montrent certes des augmentations importantes, mais elles ne concernent pas spécifiquement la cocaïne ou une autre drogue particulière. Il y a une tendance générale à l'augmentation de la consommation. Bien entendu, personne ne peut prédire si cette tendance se maintiendra ou non.
Ayant agité le spectre d'une augmentation du niveau de consommation, je me hâte d'ajouter que néanmoins cette consommation est faible. Il s'agit d'un tout petit pourcentage d'élèves de cet âge. Les chiffres sont peut-être d'ailleurs encourageants, dans la mesure où ils permettent de constater que la consommation est la plus élevée en 9e et en 11e années, et la plus faible en 7e et en 13e.
On peut en conclure qu'au plus jeune âge la consommation est expérimentale - et c'est plus que probable à ce degré de consommation - et qu'elle diminue de nouveau lorsque les élèves atteignent la 13e année. On ne peut donc parler de recrudescence de la consommation à ce jeune âge, mais simplement d'expérimentation.
À propos des chiffres que je viens de vous donner, les questions ne portaient pas spécifiquement sur les moyens d'administration et sur les types de drogues, mais elles doivent permettre de déceler la consommation de drogues autre que le crack, dont vraisemblablement celles qui se prennent par aspiration nasale. Il est possible que cela inclue les drogues qui s'administrent par injection, mais cela concerne vraisemblablement un tout petit pourcentage dans ce genre de population.
Enfin, pour mettre un terme à mes propos sur les drogues prévalantes, la consommation de crack en général en Ontario, surtout chez les étudiants, est faible. Le crack a fait son apparition en Ontario en 1986. Les premières données se trouvent dans l'enquête menée auprès des étudiants de l'Ontario en 1987. Les variations allaient de 1,4 à 1 p. 100, pour le niveau le plus élevé et le plus faible, de 1987 à 1993, et en 1995 il a légèrement augmenté, pour passer à 1,7 p. 100, mais c'est une augmentation négligeable.
Donc, je pense que d'une manière générale en matière de prévalence, tout du moins chez les élèves ontariens, il y a une augmentation de la consommation qui n'est pas liée spécifiquement à la cocaïne, et il est impossible de dire comment va se comporter la tendance.
Enfin, sur le plan médical, la cocaïne n'est pas aujourd'hui un produit très utilisé. Elle peut être utilisée. C'est un anesthésiant local. Elle bloque les impulsions nerveuses, en plus de son effet sur le système dopamine, et elle provoque un rétrécissement des vaisseaux sanguins, ce qui l'amène à être utilisée...
Harold, vous le savez peut-être. On s'en servait pour les interventions intra-oculaires. Je ne sais pas si cela se fait toujours.
M. Kalant: On s'en sert toujours pour les interventions oto-rhino-laryngologiques.
Dr Corrigall: C'est non seulement un anesthésiant, mais aussi un coagulant.
Ce sont dont les seuls usages médicaux de la cocaïne, qui, bien évidemment, n'ont rien à voir avec la consommation des étudiants toxicomanes ou curieux.
[Français]
Le président: J'aimerais rappeler aux membres du comité qu'ils ont reçu quelques documents qui ne sont pas traduits, notamment en ce qui a trait à la présentation du Dr Kalant. Le document est en anglais seulement. Vous avez aussi reçu un document du Dr Pierre Lauzon qui en français seulement.
[Traduction]
Bien que cela rétablisse en quelque sorte un certain équilibre, comme le dit mon collègue, il n'en demeure pas moins que c'est contraire à notre pratique habituelle. Nous préférons - nous insistons là-dessus - que les documents soient dans les deux langues officielles, mais j'ai fait une exception ce matin. Il ne s'agit pas d'organismes nationaux.
Cela me contrarie que des organismes se prétendant nationaux nous disent qu'ils n'ont pas les ressources voulues pour nous donner leur document dans l'autre langue. Mais lorsqu'il s'agit de particuliers, nous ne pouvons pas nous limiter à n'entendre que des témoins qui ont les ressources ou le temps pour nous communiquer leur document dans les deux langues officielles.
J'admets que certains membres du comité ont été désavantagés, puisque le document duDr Kalant n'était qu'en anglais. Ce sera la même chose tout à l'heure quand nous entendrons leDr Lauzon.
Je demande de nouveau au greffier, comme je le lui ai dit en privé, d'encourager les témoins à nous donner leurs documents dans les deux langues ou, si ce n'est pas possible, de nous les donner à temps pour que nous puissions les faire traduire pour les membres du comité.
Deuxièmement, j'aimerais aviser nos témoins que nous avons notre propre drogue ce matin, du café. N'hésitez pas à vous servir.
J'invite maintenant le Dr Negrete à faire son exposé.
M. Negrete: Pour continuer dans ce vaste domaine des différents agents psychoactifs qui font l'objet de votre enquête et de votre étude, je vous parlerai tout particulièrement des opiacés, des produits dérivés de l'opium. Ce sont des produits qui existent depuis très longtemps. En fait, ce sont probablement les produits psychoactifs les plus connus, mis à part l'alcool. Ce sont des alcaloïdes naturels, extraits des plants de pavot, appelés morphine et codéine.
Ensuite, il y a les produits semi-synthétiques dans lesquels la molécule a été modifiée, parfois pour améliorer son efficacité thérapeutique ou ses effets. Des produits analogues entièrement synthétiques ont été fabriqués par les laboratoires pour reproduire l'action de ces produits naturels sur le cerveau et d'autres parties du corps.
Les opiacés sont des drogues très puissantes et actives. Elles ont un effet important qui a été reconnu dès le début et, bien entendu, a justifié leur utilisation en médecine. Ils contrôlent la douleur. En fait, depuis les années 1700, c'est un élément très important de la médecine moderne, utilisé spécifiquement à cette fin. Ils ont aussi un effet de sédation, de relaxation et de sensation générale de bien-être. Avec ce genre d'effet, vous pouvez vous imaginer que ceux qui les essaient en sont très contents.
Et, bien entendu, ils créent une dépendance - c'est-à-dire que ceux qui les essaient ont tendance à vouloir les réessayer. Après des utilisations répétées, le désir grandit et parfois implique un désir de doses de plus en plus importantes pour satisfaire le besoin. Enfin, le dernier problème, c'est que lorsque l'on essaie de réduire la dose qu'on utilise normalement ou régulièrement, ou si on n'en a plus, on souffre d'un état de manque.
Les opiacés ont donc fourni le modèle de ce que nous décrivons cliniquement comme étant une dépendance: un fort désir de consommation de drogue, un besoin d'augmentation des doses pour satisfaire les attentes, une souffrance quand les doses sont réduites ou supprimées, et, bien entendu, un sentiment de soulagement quand la consommation recommence, l'effet curatif d'une utilisation prolongée. C'était le modèle médical de la dépendance, qui a été aujourd'hui un peu modifié, mais qui se trouve dans notre nosologie, dans notre nosologie médicale, depuis de nombreuses années.
Or, pour ce qui est des opiacés au Canada à l'heure actuelle, il y a trois genres distincts de problèmes. Je commencerai par celui que je considère comme étant très important, et peut-être le plus fréquent, la consommation abusive de préparations pharmaceutiques de produits opiacés, y inclus, bien entendu, la codéine, un des médicaments analgésiques très populaires.
Comme vous le savez, la codéine au Canada est disponible sans ordonnance médicale, à des doses de 8 mg par cachet, et elle peut être achetée directement dans les pharmacies. Le résultat, c'est que le Canada est une des sociétés qui connaissent la plus grosse consommation moyenne de codéine par année. Il est très facile de faire la comparaison avec des sociétés analogues, comme celle des États-Unis, par exemple, où la codéine n'est pas disponible sous cette forme.
La codéine est disponible directement en combinaison avec d'autres produits, avec d'autres analgésiques, comme par exemple l'acide acétylsalicylique - l'aspirine - , ou avec l'acétaminophène, sous la forme de Tylenol. Le Tylenol 1 contient 8 mg; le Tylenol 2, 15; et le Tylenol 3, 30 milligrammes de codéine.
Le résultat, c'est que les gens qui consomment de la codéine doivent souvent l'acheter en combinaison avec un autre produit, et ils consomment de façon abusive aussi bien de la codéine que de l'autre produit. Dans le cas de préparations comme les 222, par exemple, la combinaison ne contient pas simplement de l'acide acétylsalicylique, mais aussi de la caféine. Donc, quand vous avez besoin de ce médicament, et étant donné que les doses par cachet sont infimes, vous prenez une quantité énorme de cachets.
Dans nos centres de traitement, nous voyons des patients qui consomment quotidiennement plus de 100 cachets, disons, de Tylenol, ou de 222. Vous pouvez vous imaginer le problème que cela pose avec les éléments associés ou avec la préparation elle-même.
L'autre problème concernant les produits opiacés, c'est le marché illicite, le marché clandestin, d'alcaloïdes très puissants et de préparations semi-synthétiques comme l'héroïne.
L'héroïne doit être injectée. Elle ne peut être ingérée. Elle peut être absorbée par voie nasale, et c'est ce que font certains consommateurs, mais très peu. C'est gaspiller son argent, car c'est le moyen le moins efficace pour obtenir l'effet désiré.
Elle peut aussi être fumée. C'est une vieille coutume orientale, appelée «chasser le dragon». L'héroïne est brûlée et la fumée qu'elle produit est rapidement inhalée. Ce n'est pas non plus aussi efficace que les injections.
La pratique la plus courante est l'injection intraveineuse. Cette pratique a des conséquences médicales lourdes: des infections de toutes sortes, l'hépatite étant la plus commune et celle qui coûte le plus cher en mortalité et en morbidité, et l'infection par le VIH. Il y en a d'autres, bien sûr, d'une nature médicale très grave, comme par exemple les endocardites.
La consommation de produits opiacés illicites est relativement limitée à une proportion plutôt petite de la population. Les dernières enquêtes de Santé Canada montrent que la consommation d'héroïne concerne une catégorie qui ne prête pas vraiment à conséquence, car elle est inférieure à1 p. 100, mais comme c'est une enquête à l'échelle canadienne, à l'échelle nationale, elle touche un échantillonnage qui va de Terre-Neuve aux Territoires du Nord-Ouest à Vancouver, toutes les régions du pays, tous les types de populations, rurale, urbaine, les endroits plus exposés à la consommation de drogue que d'autres. Donc, ce 1 p. 100 de la population adulte - c'est-à-dire la population de plus de 15 ans - est le résultat de cette dilution de la prévalence portant sur un très grand nombre de gens qui ne sont pas véritablement exposés à cette drogue.
Si on se limite aux régions à haut risque comme les grands centres urbains de Montréal, Toronto, Vancouver et Calgary, le problème de la consommation d'héroïne est différent. Il n'en reste pas moins qu'il concerne une minorité, peut-être même moins de gens que pour la cocaïne, beaucoup moins que pour le cannabis. Je parle de produits opiacés illicites. Je ne parle pas de codéine ou d'autres préparations médicales.
Comme c'est une pratique qui ne touche qu'une petite minorité, ceux qui s'y livrent appartiennent à une catégorie de population plus sélective, peut-être plus marginale, peut-être plus déviante à la fois sur le plan social et sur le plan psychologique et par conséquent ayant plus de problèmes d'ajustement psychosocial.
La consommation de préparations de codéine, la consommation abusive et la dépendance suivent plus ou moins les courbes d'utilisation d'autres produits pharmaceutiques, tels que les tranquillisants, les sédatifs, les somnifères et les hypnotiques. Elles sont plus souvent utilisées par les femmes que par les hommes, et au Canada elles sont plus souvent utilisées au Québec que dans les autres régions du pays. Elles suivent la même courbe d'utilisation que, disons, les benzodiazépines, qui sont des tranquillisants pouvant provoquer une dépendance.
Le problème de la dépendance opiacée, c'est qu'une fois qu'elle commence il est très difficile de s'arrêter, comme pour la nicotine. Comme le consommateur est incité à continuer, entre autres raisons, par le désarroi que provoque l'état de manque, ce sont des drogues qui sont consommées très fréquemment et qui mènent à des usages quotidiens, par opposition, par exemple, à la cocaïne, qui peut être consommée quotidiennement, mais qui, plus souvent, est consommée abusivement par crises. Il y a aussi des crises de consommation d'héroïne, bien entendu, mais le véritable problème, c'est qu'on ne peut pas passer une journée sans sa dose quotidienne, et bien entendu cela aboutit à un esclavage total et à l'aliénation de tout autre intérêt ou de toute autre activité. C'est une occupation à plein temps, quotidienne et très absorbante. C'est un véritable esclavage.
Contrairement à d'autres drogues, dont vous avez entendu parler, le cannabis ou la cocaïne, l'héroïne n'a pas autant d'effets sur les fonctions psychiques. L'héroïne et les autres produits opiacés agissent sur les parties inférieures du cerveau, et non pas sur la partie corticale et hautement fonctionnelle du cerveau, et les consommateurs réguliers ne deviennent pas forcément insensés ou ne manifestent pas de troubles sérieux et importants au niveau de la réflexion ou de la psychologie. Bien entendu, à condition qu'ils n'aient pas pris une forte dose, car il y a un effet sédatif. Mais normalement la consommation régulière de ces produits n'entraîne pas de conséquences psychiques, ou de dommages organiques graves pour le cerveau.
Le problème, c'est l'obsession compulsive des prises répétées, qui devient la seule force de motivation de la vie des consommateurs et qui les écarte de toute autre activité constructive ou productive. Le fait que ces consommateurs semblent avoir d'énormes difficultés à changer leurs habitudes de dépendance une fois qu'elles sont créées a incité à croire que certains d'entre eux trouvaient dans l'héroïne ou dans d'autres produits opiacés quelque chose qui en fait leur manquait depuis le début et qui les rendait incapables de fonctionner. C'est la théorie qui a justifié ou qui a sous-tendu le recours à la méthadone pour aider ces personnes dans les années 60. Il s'agissait de faire consommer un autre produit opiacé moins dangereux qui entraînait moins de risques de complications que l'héroïne, car il était pris par voie buccale, et non pas injecté, parce qu'il avait des effets durables - les effets d'une dose durent plus de 24 heures - et parce qu'il pouvait être administré dans le cadre d'un programme médical et que les participants pouvaient satisfaire leurs besoins en prenant ce produit de remplacement particulier et donc arrêter de consommer de l'héroïne.
Il est certain que, globalement, ceux qui consomment régulièrement de la méthadone à la place de l'héroïne voient le niveau de leurs problèmes diminuer par rapport aux héroïnomanes. Il y a amélioration des fonctions psychosociales. Il y a diminution des complications médicales. Plus particulièrement, il y a eu diminution, dernièrement, des risques de contracter le sida, puisqu'ils arrêtent de se faire des injections, ou ils s'en font moins.
Le Dr Lauzon est un spécialiste des programmes de méthadone, et je lui laisserai le soin de vous en parler. Vous pourrez lui poser des questions. La méthadone relève aussi bien entendu de la politique sociale, car c'est une méthode de gestion particulière d'un trouble de dépendance.
Je crois que j'en resterai là. Nous pourrons répondre à vos questions si vous le jugez nécessaire.
Le président: Docteur Lauzon.
[Français]
Dr Lauzon: Je vais faire ma présentation en français.
Je voudrais remercier le comité de m'avoir invité à participer à ses travaux. Comme leDr Negrete l'a mentionné, je suis médecin omnipraticien à Montréal et je me suis intéressé surtout au traitement des héroïnomanes par la méthadone. En fait, j'ai fondé la première clinique du Québec en 1986. Actuellement, on y traite environ 150 patients.
L'une des approches qu'on a toujours préconisées est l'intégration de la population héroïnomane dans les services réguliers de santé qui sont accessibles à l'ensemble de la population. Donc, contrairement aux services des cliniques américaines et de certaines autres cliniques du Canada, nos services sont rendus dans un établissement public de santé. La méthadone est dispensée par des pharmacies communautaires.
C'est une expérience d'intégration qui a particulièrement bien fonctionné et qui nous indique que les toxicomanes peuvent s'intégrer et recevoir des services de santé et psychosociaux dans les mêmes institutions que les autres citoyens.
Je ne voudrais cependant pas limiter ma présentation au traitement par la méthadone, parce que le traitement et son efficacité dépendent beaucoup du contexte général politique dans lequel ce traitement est donné. Je voudrais vous faire un certain nombre de commentaires sur la politique que le Canada a poursuivie jusqu'à maintenant en matière de drogues.
Il faut d'abord constater que c'est un problème qu'on partage avec pratiquement toutes les sociétés du monde. L'approche que le Canada a développée depuis le début du siècle, comme celle de beaucoup d'autres pays, a été basée essentiellement sur l'interdiction. L'essentiel des ressources a été consacré à diminuer l'offre de drogues sur le marché au Canada.
L'idéologie prohibitionniste est quelque chose de relativement récent dans l'histoire. Elle a débuté vers 1915, alors que les substances existent depuis des milliers d'années. Auparavant, les sociétés traitaient ce problème autrement.
Je voudrais vous faire part de constatations par rapport aux résultats ou aux effets que cette politique a pu avoir au cours des 80 dernières années. On peut constater tout d'abord que l'interdiction a mobilisé des fonds publics extrêmement importants ainsi que beaucoup de personnes très compétentes. Je pense que cela été fait avec compétence. Si cela n'a pas fonctionné, ce n'est pas la faute des ressources humaines et financières; c'est tout simplement parce que c'est une tâche qui est probablement impossible. Elle n'a pas été réalisée au Canada et dans aucun autre pays, sauf dans des régimes totalitaires. Donc, dans tous les pays qui ont une charte des droits et qui respectent les droits de leurs citoyens, l'interdiction n'a pu être réalisée nulle part.
L'autre effet pervers de cette interdiction est qu'il y a des organisations criminelles qui se sont constituées. Elles sont extrêmement puissantes, elles sont multinationales et elles menacent la stabilité politique dans certaines régions du monde et même les droits démocratiques.
Évidemment, la consommation de substances licites et illicites est un événement qui arrive dans la vie privée des gens. La décision de consommer de l'alcool ou d'autres substances est un choix que les gens, en général, considèrent comme un choix personnel. Le geste a lieu habituellement dans la vie privée. La répression implique que la vie privée des gens n'a pas à être envahie.
On peut aussi constater que la majorité des usagers de substances au Canada en font un usage modéré, extrêmement limité dans le temps, pendant une période de leur vie. On pourrait dire qu'ils en font une consommation responsable, comme la majorité des gens font une consommation responsable d'alcool au Canada.
La population qui utilise des drogues de façon limitée est relativement mal connue. Toutes nos connaissances sur les drogues sont tirées d'études faites sur des gens qui ont des problèmes de dépendance très importants, en tout cas suffisamment importants pour avoir besoin de services de réhabilitation, ou qui se sont signalés à l'attention par une arrestation.
Les usagers modérés, en fait, sont très mal connus. On ne connaît pas réellement les risques d'un usage limité et modéré.
Il y a un petit nombre d'usagers abusifs et dépendants qui représentent probablement moins de 10 p. 100 de l'ensemble des usagers qu'on répertorie dans les enquêtes de santé publique au Canada. Ce petit nombre, qui est porté à notre attention d'une façon importante, génère des coûts sociaux importants en termes de soins de santé, de traitement judiciaire, d'incarcération, etc. Il y a aussi des coûts humains très importants pour ces individus et leur entourage.
Un autre phénomène, qui est relativement récent, est l'apparition de l'infection au VIH dans les années 1980. Cette infection est bel et bien implantée chez les toxicomanes canadiens. On a des fréquences d'infection moindres que dans plusieurs autres parties du monde, notamment le sud de l'Europe et le nord-est des États-unis.
Dans la plupart des pays du monde, l'apparition de l'infection au VIH a été l'occasion de modifier considérablement la politique et l'approche quant aux drogues illicites.
Au Canada, ces dernières années, on a eu une politique qui a permis de développer de nouvelles interventions de traitement et de prévention, mais l'essentiel des ressources demeure quand même consacré à l'interdiction.
Une fois que la dépendance est établie, quel que soit le caractère de la substance, il s'agit d'une condition relativement chronique qui peut nécessiter plusieurs interventions chez le même individu à différents moments de sa vie. C'est une condition qui évolue, avec des périodes d'exacerbation et des périodes de rémission. Également, le traitement de cette condition-là est efficace.
On croit que les personnes dépendantes ne changent jamais et qu'une fois qu'on est dépendant, on l'est pour le reste de la vie, mais la plupart des études démontrent que le traitement est très efficace et que les personnes dépendantes peuvent changer.
L'incarcération en tant que telle n'est pas un traitement efficace de la dépendance. Si aucune mesure de traitement n'accompagne la détention, autant pendant la période d'incarcération que lors du retour dans la communauté, on peut s'attendre à ce que la détention ait très peu d'effet sur la dépendance.
On constate aussi que les populations carcérales ont des prévalences de dépendance de l'alcool et d'autres drogues beaucoup plus importantes que le reste de la population canadienne.
On constate aussi que c'est probablement en prison que l'offre de traitement pour la toxicomanie est la moins importante, ce qui est assez paradoxal. On a actuellement de bonnes indications que le traitement des personnes judiciarisées est tout aussi efficace que celui des autres personnes dépendantes.
Au niveau de la prévention, plusieurs stratégies se sont avérées efficaces. On doit avoir une variété de stratégies parce que la population à laquelle on s'adresse est extrêmement hétérogène.
Les stratégies axées uniquement sur l'abstinence, comme Just say no, ne sont pas efficaces pour l'ensemble de la population, et l'État doit appuyer d'autres interventions qui peuvent viser une consommation modérée et responsable et une prise de décision éclairée par l'individu. Ces approches ont également démontré leur efficacité.
Enfin, on constate que dans plusieurs pays comme la Suisse, le Royaume-Uni et les Pays-Bas, on a mis au point des approches beaucoup plus tolérantes et beaucoup plus axées sur la protection de la vie et de la santé. Je pense qu'on doit s'inspirer de ces politiques-là.
Après ces constatations sur la situation canadienne, je fais les recommandations suivantes au comité.
Premièrement, la perspective d'un Canada sans drogue n'est pas réaliste dans un avenir prévisible. L'éradication est probablement impossible et on doit envisager de meilleures façons de gérer socialement ce phénomène.
La modification du statut légal des substances est un procédé complexe qui peut prendre beaucoup de temps. Par contre, il y a des actions possibles, probablement dans le cadre juridique actuel, pour réduire la judiciarisation de l'usage personnel ou de la possession pour usage personnel. Au Canada, les trois quarts des condamnations pour drogues sont des condamnation de possession pour usage personnel. Ces condamnations entraînent des coûts importants pour la société. Étant donné qu'il y a beaucoup de ressources qui sont consacrées à l'interdiction, cela nous empêche de consacrer des ressources à d'autres aspects comme le traitement et la prévention.
À cet égard, on peut étudier d'autres expériences étrangères, comme celle de la Californie ou des Pay-Bas avec le cannabisme. Plutôt que d'être axée sur l'interdiction, notre politique devrait être axée sur la santé publique, à l'exemple de quelques autres pays. La priorité doit être la réduction des méfaits reliés à l'usage, notamment la réduction de la propagation de l'infection au VIH, plutôt que l'abstinence totale pour tous.
La politique, une fois qu'elle sera adoptée, devra faire l'objet d'évaluations et de révisions périodiques. Si on constate qu'elle a des effets pervers, on devra corriger rapidement nos approches en matière de drogues.
Quant à l'information du public, la drogue est un sujet qui est extrêmement médiatisé. On peut dire que le traitement qui en est fait, tant médiatiquement que politiquement, peut contribuer à entretenir des perceptions erronées par rapport à la consommation de substances et à entretenir l'intolérance du public envers les usagers, envers une catégorie de citoyens qu'on a identifiée.
Il est important que le public ait accès à une information de qualité, et l'État peut jouer un rôle de soutien à ce niveau-là.
L'autre aspect concerne l'accès à des traitements de substitution. Le docteur Negrete vous a parlé des traitements de substitution par la méthadone. Cette approche existe depuis une trentaine d'années et a d'ailleurs été développée pour la première fois au Canada, à Vancouver. C'est une approche qui est bien évaluée, qui a 30 ans de recherches scientifiques derrière elle et qui est extrêmement efficace.
Par contre, au Canada, on accuse un retard considérable au niveau de l'accessibilité de cette forme de traitement. Probablement moins de 10 p. 100 de toutes les personnes qui en auraient besoin ont accès à cette forme de traitement.
Au plan international, la substitution par la méthadone et d'autres médicaments est un aspect important de la politique de plusieurs pays pour diminuer la transmission de l'infection au VIH.
Une autre recommandation a trait au traitement des personnes incarcérées. Il m'apparaît extrêmement important que les personnes en détention aient accès à toute la variété de traitements pour toxicomanes qu'on trouve dans la communauté.
Enfin, le Canada peut jouer un rôle international au niveau de la politique sur les drogues. Le maintien de la paix n'est pas le seul domaine où le Canada peut jouer un rôle de leader. Le Canada peut se donner des politiques plus progressistes, plus axées sur la santé publique et exercer un rôle de leader mondial à ce niveau.
Je vous remercie de votre attention. Il me fera plaisir de répondre à vos questions.
[Traduction]
Le président: Merci, messieurs. Pierre.
[Français]
M. de Savoye (Portneuf): Messieurs, votre présentation a été extrêmement instructive. On a eu le plaisir ce matin de recevoir un cours magistral sur les effets physiologiques, psychologiques et psychiques de l'usage de drogues, et également sur les traitements qu'on peut offrir. Je vous remercie cependant de ne pas avoir agrémenté votre cours magistral d'une période de laboratoire.
Cela dit, monsieur Kalant, j'ai apprécié votre présentation, qui était bien structurée. J'aimerais vous poser un certain nombre de questions pour préciser la portée de certaines de vos affirmations et mieux les comprendre.
Vous parlez du système respiratoire. Vous indiquez que les effets de l'usage de la marijuana peuvent être une bronchite chronique, etc., mais pour les fumeurs réguliers, les regular heavy users.
Qu'est-ce qu'un fumeur régulier de marijuana? Parle-t-on d'un joint par jour, 10 joints par jour, cinq joints par semaines? Qu'est-ce qu'un fumeur régulier, a regular heavy user?
M. Kalant: Il n'y a pas de définition agréée par tout le monde, mais en général, je dirais qu'un usage quotidien serait un usage heavy.
Il y a deux considérations. D'abord, la drogue même, le THC, demeure dans le corps et a une demi-vie, a half-life, de quelque 56 à 60 heures. C'est-à-dire que la moitié de la drogue est toujours dans le corps deux à trois jours après l'usage.
Donc, l'usager quotidien reste presque tout le temps sous l'influence d'un certain niveau de drogue. Cela suppose évidemment un risque plus grand d'effets nocifs.
Deuxièmement, quant au système respiratoire, il s'agit de la quantité de goudron et d'autres substances toxiques par pyrolyse qui reste aussi dans les poumons et de la fonction... Peut-être devrais-je continuer en anglais parce que je ne connais pas certains mots en français.
[Traduction]
M. de Savoye: Je vous en prie.
M. Kalant: Les cellules qui font le ménage dans les poumons, les phagocytes, les cellules qui mangent la poussière, les toxines, sont elles-mêmes assez inhibées par cette drogue. Par conséquent, le dépôt de fumée dans les poumons, combiné à un service de nettoyage moins efficace, signifie que le consommateur quotidien est exposé en permanence. Il y a un effet résiduel permanent tant qu'on continue à fumer.
C'est la raison pour laquelle les effets des irritants dans la fumée de cannabis apparaissent après une période plus courte, moins d'années plus tard, que par exemple pour les fumeurs de tabac. Les changements observés dans les poumons des jeunes fumeurs quotidiens de cannabis apparaissent cinq ou six ans plus tard, quand il faut 20 ans pour les fumeurs de tabac.
[Français]
M. de Savoye: Monsieur Kalant, vous dites que sur le plan mental et émotif, on peut constater un ralentissement de la mémoire et du processus intellectuel. Vous dites également que ces effets s'améliorent ou disparaissent lorsque l'usager cesse l'usage du cannabis. Mais vous dites que cela n'arrive pas toujours, et là je m'inquiète pour le président américain qui se rappelle seulement d'avoir...
Des voix: Ah, ah!
M. de Savoye: Mais c'est ce dont il se souvient.
Des voix: Ah, ah!
[Traduction]
M. de Savoye: Docteur Kalant, quand vous dites que généralement, mais pas toujours, il y a amélioration quand il y a arrêt de consommation de cannabis, quel pourcentage représente ce «pas toujours»?
M. Kalant: Il est difficile de donner un pourcentage précis. C'est un petit pourcentage. Ceux qui se retrouvent avec des effets résiduels sont suffisamment peu nombreux pour qu'on en fasse état dans les études. Je dirais probablement moins de 5 p. 100 ou de 10 p. 100 des gros consommateurs réguliers conservent ces changements permanents après l'arrêt de la consommation.
[Français]
M. de Savoye: Vous indiquez aussi que chez les jeunes à l'école, on constate que l'usage du cannabis par leur mère à des moments qui ont précédé accouchement a des effets sur la capacité de s'exprimer verbalement de l'enfant.
Vous indiquez aussi que les effets sur le progrès scolaire ne sont cependant pas démontrés. Pourriez-vous élaborer là-dessus en termes de pourcentage, de probabilité, de quantité de difficultés que l'enfant pourrait rencontrer?
M. Kalant: Il serait très dangereux d'avancer des chiffres, parce que la période d'observation n'est pas encore assez longue. Cela a commencé récemment, au cours des deux dernières années, je crois.
[Traduction]
Il faudra des années d'observation avant de pouvoir dire quel pourcentage d'enfants de ce groupe connaît des difficultés graves et durables.
À l'heure actuelle, nous pouvons dire que ces enfants, collectivement, manifestent une grosse différence au niveau de l'apprentissage verbal et de la mémoire verbale par rapport aux enfants dont les mères n'ont pas fumé de cannabis pendant la grossesse. Mais il est impossible d'évaluer les différences de ces degrés de sévérité individuellement. Il faudra probablement les suivre pendant toute leur scolarité pour avoir le genre de chiffres que vous me demandez.
[Français]
M. de Savoye: Je présume, et vous me direz si je suis dans l'erreur ou si j'ai bien compris, que ces enfants qui souffrent à l'âge de cinq ans des effets à long terme de la consommation de marijuana de leur mère, ont des mères qui fumaient régulièrement et non pas occasionnellement. Pourriez-vous nous l'indiquer?
[Traduction]
M. Kalant: Oui. Leurs mères fumaient plus ou moins régulièrement pendant la grossesse.
Pour ce qui est des enfants, ce n'est pas tant que le handicap se manifeste cinq ans plus tard, c'est qu'il ne devient évident que cinq ans plus tard. Ce problème existait probablement déjà, mais il n'est devenu évident qu'à l'école.
[Français]
M. de Savoye: Docteur, je m'excuse de ne pas poser les questions à nos autres invités, mais vous avez présenté chacun du matériel relativement exhaustif et je vais laisser à mes collègues le plaisir d'aborder les autres sujets.
J'aurais une dernière question, docteur Kalant. Vous dites, lorsque vous faites des comparaisons avec les autres drogues:
[Traduction]
- Si le niveau de consommation augmentait grâce à une facilité d'accès, à des prix modérés, à une
acceptation sociale, les problèmes augmenteraient aussi et finiraient par s'aligner sur ceux de
l'alcool.
Cela me porte à vous poser deux questions. Je sais qu'au Québec, l'accès aux produits alcoolisés est plus libéral - dans le bon sens du terme - qu'ailleurs au Canada. Or, notre consommation d'alcool per capita n'est pas la plus élevée au Canada. Donc, il n'y a pas une corrélation directe entre l'accessibilité, la disponibilité du produit, et sa consommation.
Deuxièmement, vous dites que les problèmes pourraient possiblement s'accroître au même niveau que l'alcool. Or, à moins que je ne me trompe, selon ce que j'ai entendu d'autres témoins lorsqu'on parlait des projets de loi C-7 et C-8, les types de comportement que l'on retrouve chez le consommateur de cannabis ne sont pas les mêmes que ceux que l'on retrouve chez la personne qui consomme trop d'alcool. Par conséquent, comment peut-on comparer ces problèmes l'un avec l'autre en termes de niveau? Comment voyez-vous cela?
[Traduction]
M. Kalant: Pour ce qui est de votre première question, la question de la facilité d'accès, évidemment, n'est pas le seul facteur déterminant du niveau de consommation. Le niveau de consommation de toute drogue dans une société est déterminé par un certain nombre de choses différentes, y compris la place de cette drogue particulière dans la culture, dans les traditions, les coutumes et les normes de la société. Les contrôles sociaux sur les niveaux de consommation sont tout aussi importants que les facteurs que j'ai mentionnés.
Mais cela dit, dans cette même société, à n'importe quel moment, plus il est facile de se procurer de la drogue, moins elle est chère, plus son usage est accepté et plus ses conséquences sont tolérées, plus elle est consommée et, en conséquence, plus elle a d'effets.
Par exemple, si vous considérez l'ensemble du Canada... ou plutôt l'Ontario, c'est préférable, car mes chiffres concernent surtout l'Ontario.
La population de l'Ontario est de toute évidence différente à de nombreux égards importants de la population du Québec. Je n'essaie pas de comparer l'Ontario et le Québec. Mais en Ontario, compte tenu des rapports de la population - et ces rapports évoluent avec le temps; néanmoins, il y a certaines normes d'acceptation sociale - avec l'alcool et des façons de le consommer, pendant la Crise, quand le coût de l'alcool a augmenté de façon relative par rapport au revenu, il y a eu une forte chute du niveau de consommation. Elle a été accompagnée d'une forte chute du nombre de décès liés à l'alcool, comme par exemple les décès causés par la cirrhose du foie.
La guerre ayant entraîné le plein emploi et le contrôle des prix, la moyenne des revenus a recommencé à monter, et la consommation d'alcool aussi. L'après-guerre a connu le plein emploi, une augmentation rapide des salaires, des revenus disponibles beaucoup plus importants, et la consommation d'alcool a rapidement augmenté et de manière régulière. Elle a atteint son plus haut point probablement depuis le XIXe siècle, où on consommait beaucoup plus qu'au XXe, et déplacé de quelques années la durée qu'il faut pour fabriquer un nouveau cas de cirrhose en buvant beaucoup. Le taux de mortalité dû à la cirrhose a augmenté en parallèle avec la consommation d'alcool par habitant.
Dans les années 80, quand les incertitudes au sujet de la situation économique sont devenues plus ou moins importantes, avant même qu'il y ait un ralentissement définitif, mais quand on a commencé à s'en inquiéter, la consommation s'est stabilisée et a commencé à diminuer. Quelques années plus tard, la fréquence des conséquences a également chuté.
Ce que je veux dire, c'est que pour une drogue légale, largement étudiée, et pour laquelle nous avons d'excellentes statistiques, nous savons que la facilité d'accès, le prix, la commodité et les normes sociales ont une influence globale sur le niveau de consommation. Avec le niveau de consommation, ils ont une influence sur la fréquence des effets adverses sur la santé.
Il n'y a pas de raison a priori de douter que la même règle s'applique au cannabis ou à toute autre drogue. Après tout, il faut sortir de l'argent pour acheter cette drogue, argent qui devrait vous servir à acheter autre chose. Il y a aussi la question de savoir si la société approuve ou désapprouve cette consommation. Les gens disent que la loi n'est pas dissuasive; pourtant, l'influence de la prohibition sur la consommation d'alcool et sur le taux de mortalité dû à l'alcool, comme la cirrhose, le démontre. Il reste que la loi ne marche que si elle est en harmonie avec la société.
M. de Savoye: Ma deuxième question?
M. Kalant: Votre deuxième question concernait...
M. de Savoye: La comparaison avec l'alcool...
[Français]
Le président: Vous avez déjà utilisé 15 minutes.
[Traduction]
M. de Savoye: Je suis désolé.
Le président: Paul.
M. Szabo (Mississauga-Sud): Monsieur Kalant, dans ce que vous nous avez dit sur les effets du cannabis... et il semblerait qu'on commence toujours par parler du cannabis quand on discute de politique de lutte contre les drogues illicites.
Une question hypothétique: si le cannabis devenait un produit de consommation légal - nous y voilà - recommanderiez-vous d'apposer un avertissement sur le produit?
Le président: Et faudrait-il mettre la photo de Paul sur l'étiquette?
Des voix: Oh, oh!
M. Kalant: Si on utilise la même logique que pour le tabac ou que pour l'alcool aux États-Unis, je répondrais de toute évidence oui. La chose à savoir, c'est si la société considère, comme l'a dit le Dr Lauzon, qu'une approche plus indulgente et plus préventive - visant à minimiser les dégâts - est préférable, ou s'il vaut mieux lui conserver son caractère illicite pour exprimer la désapprobation générale de la société quant à sa consommation tout en évitant les excès attachés au statut d'illégalité, comme par exemple les peines de prison injustifiées pour simple possession, et ce genre de choses.
M. Szabo: Je vous pose la question parce que je réfléchis à certaines de ces conséquences - l'incapacité de raisonner, ou de prendre des décisions - et, ce qui m'intéresse tout particulièrement, les conséquences pour les femmes enceintes ou les foetus, qui me semblent très analogues aux conséquences du syndrome d'alcoolisme foetal, par exemple...
M. Kalant: Elles ne sont pas vraiment aussi analogues. Personne n'a pu démontrer que des malformations étaient dues à la consommation de cannabis.
M. Szabo: Mais il y a ces retards au niveau de l'apprentissage, par exemple.
M. Kalant: C'était temporaire. Comme je l'ai dit, au bout de six mois, les enfants avaient tout rattrapé et étaient revenus aux niveaux normaux.
M. Szabo: C'est utile, car la Fondation de la recherche sur la toxicomanie a comparu devant nous quand nous étudiions le projet de loi C-222, sur les étiquettes d'avertissement pour la santé, et en fait a recommandé des étiquettes d'avertissement pour les boissons alcoolisées, un peu comme ce qui se fait aux États-Unis.
Ma dernière question s'adresse au Dr Lauzon et elle porte sur toute cette question de la réduction des méfaits. À mon avis, cette question va droit au coeur de tout ce débat sur les drogues illicites.
Vous dites qu'il faut s'attarder à la santé publique. J'imagine que lorsque vous parlez de santé publique, vous incluez tous les Canadiens, pas seulement ceux qui consomment aujourd'hui des drogues illicites. Voici ma question. Qu'adviendrait-il à votre avis - et je ne suis pas sûr que l'on puisse s'inspirer de l'expérience pour trouver une stratégie qui nous permettra de régler les problèmes qu'ont les jeunes gens - si l'on modifiait la politique et si l'on disait que le cannabis n'est plus une drogue prohibée et qu'on peut en consommer librement? Si l'on modifiait cette politique, croyez-vous qu'on assisterait à une augmentation du nombre de consommateurs de cannabis?
Dr Lauzon: Il n'y a qu'à voir tout ce qui s'est fait aux Pays-Bas. Il y a là-bas des cafés où l'on peut en acheter. Il y a des zones de tolérance qui sont accessibles aux adultes, même si le cannabis demeure là-bas une drogue prohibée. Mais les Hollandais disent qu'on ne consomme pas plus de cannabis chez eux que dans les autres pays européens.
M. Szabo: Disons que ce n'est plus une drogue illicite, mais une drogue licite. Pensez-vous qu'il y aurait augmentation du nombre de consommateurs?
Dr Lauzon: Si cette drogue n'est plus prohibée, bien sûr, cette mesure ne s'appliquera qu'aux adultes, aux plus de 18 ans. Il faudra faire ici ce qu'on fait pour l'alcool et le tabac.
M. Szabo: Que seuls les plus de 18 ans peuvent consommer, n'est-ce pas?
Dr Lauzon: C'est exactement ce qu'on fait pour l'alcool et le tabac. Nous savons parfaitement que de nombreux parents au Canada permettent à leurs enfants de fumer et de boire beaucoup plus tôt que ça et qu'ils les aident même à obtenir ces produits, à les acheter.
M. Szabo: Je trouve ironique que cette théorie de la réduction des méfaits soit presque une approche de psychologie inversée. Si on recule et ne dit pas que cette drogue va vous causer du tort, d'une façon ou d'une autre on va créer un meilleur environnement où l'on pourra expliquer aux gens qui consomment déjà du cannabis qu'ils devraient s'en abstenir. C'est presque comme si on réglait le problème après qu'on l'a créé au lieu de le prévenir.
Dr Lauzon: Il s'agit de penser que les gens sont responsables et son capables de décider pour eux-mêmes. Les gens peuvent prendre des décisions lorsqu'ils se marient, conduisent une voiture et font des choses comme ça. Pourquoi ne pourraient-ils pas prendre de décision responsable concernant le cannabis?
M. Szabo: J'ai une dernière question. Pensez-vous que les diverses approches éducatives qui existent déjà en vertu de la politique actuelle sur les drogues pourraient être mises en oeuvre ou bonifiées aussi efficacement qu'elles pourraient l'être si l'on assouplissait les lois régissant les drogues illicites?
Dr Lauzon: Je pense que c'est encore plus facile de mettre en oeuvre une stratégie de prévention dans un contexte plus tolérant, parce que c'est exactement ce qu'on fait avec l'alcool et le tabac. L'alcool et le tabac sont des drogues licites, mais on fait beaucoup de prévention dans les écoles et ailleurs afin d'aider les jeunes à prendre des décisions responsables. D'ailleurs, 85 p. 100 des Canadiens boivent aujourd'hui, mais seul un très petit nombre d'entre eux abuse de l'alcool et éprouve des difficultés à cause de cela.
Si le cannabis est légalisé, on peut s'attendre à ce que plus de gens en consomment, mais le nombre de toxicomanes restera probablement très restreint. La prévention doit viser une consommation modérée et responsable, comme nous le faisons avec l'alcool.
M. Szabo: J'imagine que M. Kalant ne sera pas d'accord avec vous, étant donné...
Le président: Je veux lui donner la possibilité de répondre dès maintenant.
M. Szabo: Monsieur le président, je n'ai plus de questions.
M. Kalant: Il faut être prudent avec ces statistiques des Pays-Bas qu'on cite en exemple. Il est vrai que la consommation n'a pas connu d'augmentation dramatique aux Pays-Bas, mais elle s'est stabilisée ou a augmenté légèrement pendant qu'elle connaissait une baisse importante dans les pays européens environnants. C'est pourquoi je pense qu'on a tort de conclure que cette politique n'a eu aucun effet sur la consommation.
L'aspect soulevé par le Dr Lauzon est tout à fait crucial. En effet, nous sommes ici dans le domaine de la philosophie, et non pas de la science. Si on estime qu'une société démocratique a pour fonction d'accorder un maximum d'importance à la liberté personnelle et à la responsabilité, alors on doit vivre avec les conséquences. Par contre, la liberté totale et parfaite n'existe dans aucune société. La liberté individuelle absolue est incompatible avec la notion de société. Vivre en société, c'est accepter certaines limites dans l'intérêt général.
Il s'agit de savoir quelle est la meilleure façon de protéger la santé. Doit-on favoriser une attitude libérale où l'accent est mis davantage sur l'éducation préventive, etc. ou bien combiner l'éducation à des limites imposées par la loi? J'estime que nous devons accorder davantage d'importance que nous l'avons fait jusqu'à maintenant à l'éducation et aux normes sociales, mais sans aller jusqu'à nier l'importance de la loi pour protéger la santé.
Pour ce qui est de l'alcool, il est vrai que 85 p. 100 environ des Canadiens d'âge adulte en consomment. Que l'on juge très petit le pourcentage de ceux qui en sont de forts consommateurs, comme le fait le Dr Lauzon, ou qu'on le juge très considérable, selon sa propre attitude, il n'en reste pas moins que ce pourcentage se situe quelque part entre 5 p. 100 et 10 p. 100 des utilisateurs.
Ceux qui jugent qu'il s'agit là d'un faible pourcentage par rapport au total des utilisateurs doivent être tenus de définir ce qu'ils entendent par là. Ces mêmes 5 p. 100 à 10 p. 100 représenteront un pourcentage plus significatif pour ceux qui considèrent les coûts, énormes sur le plan de la santé, des incidences sociales, des accidents, des relations interpersonnelles, etc. C'est la même logique qui doit s'appliquer lorsqu'on évalue les effets probables de la légalisation du cannabis.
Le président: Docteur Negrete.
M. Negrete: J'aimerais aborder cette question de politique sous l'angle clinique, si vous me le permettez. Je suis bien d'accord avec Pierre Lauzon pour dire que les gens sont en mesure de prendre des décisions réfléchies et rationnelles au sujet de leur comportement face à la disponibilité de certains produits, mais je ne crois pas que tous les produits donnent à l'individu la même liberté de décider. Il existe des différences selon la rapidité ou l'ampleur avec laquelle le produit influe sur le comportement de la personne.
Par exemple, si la cocaïne était facilement accessible, il en résulterait une perte de capacité de décider d'une façon rationnelle et réfléchie pour un plus grand nombre de personnes que ce ne serait le cas pour la marijuana, tout simplement parce que la cocaïne entraîne une plus grande dépendance. On l'a prouvé clairement en laboratoire. Par exemple, pratiquement tous les animaux de laboratoire - allant de la souris au chien, en passant par le rat et le singe - y compris l'homme, bien entendu, à qui l'on donne de la cocaïne en consomment. Dans le cas d'autres produits, comme l'alcool, ce ne sont pas tous les animaux qui en consomment. Ainsi, pour les modèles d'intoxication et les diverses études, il est nécessaire de choisir les individus qui sont prédisposés génétiquement à consommer la drogue.
Si on impose à l'animal des obstacles à l'auto-administration de la cocaïne, il sera prêt à consentir de très grands efforts pour continuer à le faire. Par exemple, si l'animal doit, pour recevoir une dose, peser 70 fois sur la barre au lieu de deux ou trois fois, il le fera. La drogue crée une plus grande dépendance. L'animal apprécie la sensation qu'elle procure. La drogue procure une plus grande gratification et crée une dépendance plus forte.
Ainsi, sur le plan clinique, les individus exposés à la drogue risquent de perdre progressivement leur capacité d'agir de façon rationnelle par rapport à cette drogue. C'est là, selon moi, une partie de l'équation dont il faut tenir compte. Plus le nombre de personnes exposées à certaines drogues sera grand, plus il y en aura qui y deviendront asservis et dont l'asservissement sera un facteur déterminant du comportement. Le degré d'asservissement n'est pas le même pour chaque produit. Des différences existent.
On ne peut pas donc pas dire que toutes les drogues seraient utilisées de la même façon si elles étaient autorisées et rendues accessibles.
Le président: D'accord.
Le temps nous presse. Nous devons nous limiter à deux heures, et il reste dix minutes. Les exposés des témoins ont duré une heure et dix minutes, et il nous est donc resté moins de temps pour les questions.
Andy, Harb et Pierre souhaitent en poser, mais le temps file. Je vais donc demander que les questions aussi bien que les réponses soient brèves et précises.
M. Scott (Fredericton - York - Sunbury): Merci, monsieur le président.
Nous venons de discuter des mérites respectifs des mesures de prohibition et des mesures d'éducation ou d'une combinaison des deux types de mesures. Serait-il utile d'établir certaines distinctions entre divers types de drogues illicites à l'heure actuelle pour moduler les deux approches, compte tenu des commentaires du Dr Negrete, selon lesquels l'usage de certaines drogues peut empêcher les gens de faire des choix rationnels et influer sur leur comportement?
Je crois que nous avons tous une certaine idée du phénomène de la dépendance. Ne serait-il donc pas utile d'établir certaines distinctions entre les drogues selon le type et les effets pour déterminer le juste équilibre entre la prohibition et l'éducation?
Il me semble que, à l'heure actuelle, nous avons tendance à proposer des solutions d'ordre général. Nous appliquons donc des mesures de prohibition que la plupart des Canadiens appuieraient dans certains cas, mais que moins de Canadiens appuieraient dans d'autres circonstances. N'avons-nous pas un certain problème de crédibilité lorsque nous tentons de convaincre les gens d'une façon générale que les drogues illicites ont des aspects nocifs, alors que chacun sait à quoi s'en tenir au sujet de M. Clinton?
Ce que M. de Savoye ne comprend pas, c'est que M. Clinton est au courant à son sujet... mais c'est une autre paire de manches.
M. de Savoye: Comment se fait-il que vous soyez au courant?
Des voix: Oh, oh!
M. Scott: Donc, comme première question, je vous demande s'il ne serait pas utile sur le plan de la politique publique de faire la distinction entre divers types de drogues au lieu de généraliser, comme nous semblons avoir tendance à le faire.
Ma deuxième question - et je serai bref, monsieur le président - a trait aux effets sur la santé publique dont le Dr Negrete a parlé, à savoir que bon nombre des problèmes liés à l'injection d'héroïne sont attribuables à la prohibition de cette drogue. On l'utiliserait peut-être autrement si elle n'était pas prohibée.
Quelle proportion des dommages causés par l'héroïne relativement à la santé publique résultent de la drogue en tant que telle et lui sont donc inhérents, et quels dommages résultent de l'hépatite, des infections et d'activités qui ont vraisemblablement davantage rapport à la nature de la prohibition qu'à la drogue elle-même?
M. Kalant: À qui adressez-vous la question?
M. Scott: Je n'en ai aucune idée. Le dernier échange portant sur l'équilibre à établir entre prohibition et éducation s'est déroulé entre MM. Lauzon, Kalant et Negrete. Je ne sais pas trop qui voudrait amorcer une réponse.
Dr Lauzon: Pour ce qui est des opiacés, ils peuvent être rendus disponibles sur ordonnance médicale. Il n'en serait pas de même pour le cannabis, par exemple, qui pourrait être rendu disponible de la même façon que l'alcool et le tabac. En réalité, il ne serait pas nécessaire de changer la loi pour fournir beaucoup plus d'ordonnances aux héroïnomanes qu'on ne le fait à l'heure actuelle. Nous pourrions même envisager de prescrire de l'héroïne aux toxicomanes qui ne veulent pas suivre un traitement à la méthadone. Nous savons que le traitement à la méthadone n'attire au maximum que 40 p. 100 environ des héroïnomanes. Il faut bien trouver une solution pour les autres héroïnomanes.
Dans un petit nombre de pays, on met présentement à l'essai les prescriptions d'héroïne dans le cas d'un nombre restreint de toxicomanes. Il pourrait s'agir d'une façon de rendre la drogue disponible sous contrôle médical.
M. Negrete: Le problème, dans le cas de l'héroïne, c'est son action brève. Il faut en répéter l'administration au fur et à mesure que la tolérance augmente. Par conséquent, on peut vouloir des injections de plus en plus fréquentes. On ne se procure plus alors l'héroïne uniquement auprès des services médicaux.
C'est exactement ce qui s'est produit en Angleterre au cours des années 60, où l'on pouvait en fait administrer légalement de l'héroïne sur ordonnances de médecins qui inscrivaient leurs patients. Ils contrôlaient certains patients en leur donnant les doses qu'ils jugeaient suffisantes. Ces patients respectaient le protocole, mais nombreux étaient ceux qui n'y parvenaient pas. Ils s'injectaient des doses supplémentaires ou cherchaient d'autres drogues à utiliser en même temps.
Ce programme, donc, assez bien connu, a disparu pour être remplacé par la méthadone. On le rétablit à Meyerside, mais en vérité, bien que certains patients aient la discipline voulue pour se limiter à ce qui a été prescrit, un grand nombre d'entre eux ne le feraient pas.
Les infections dont je parlais proviennent de pratiques très anarchiques. Par exemple, les patients peuvent s'être injectés de la drogue il y une heure, puis se retrouver ailleurs avec quelqu'un d'autre qui a une autre dose, et en prendre. Ils utilisent la même seringue, etc. Voilà ce qui se produit.
Il y a donc l'aspect compulsif de leur comportement dont on doit tenir compte. Ils ne contrôlent pas parfaitement ce qu'ils font.
M. Kalant: En ce qui concerne votre autre question, je pense qu'il y a un argument solide en faveur de la différenciation, en faveur du fait que la société, en fait, fait une distinction entre, d'une part, l'alcool et le tabac, et, d'autre part, la cocaïne et l'héroïne. Ce qui est moins certain, c'est le sort du cannabis.
Je pense que l'on peut faire valoir que le cannabis ressemble beaucoup plus à l'alcool qu'à la cocaïne ou à l'héroïne. Ce qu'il faut trancher cependant, c'est une question philosophique beaucoup plus vaste: quel degré d'utilisation des drogues la société en général est-elle prête à accepter ou à encourager par une acceptation explicite? On peut prétendre que le cannabis n'est pas plus risqué que l'alcool, peut-être même un peu moins, et donc devrait être considéré par la société au même titre que l'alcool - légalement et assujetti aux contrôles de la société.
On peut également faire valoir l'argument contraire, à savoir que le cannabis ne fait pas partie de notre tradition alors que l'alcool en fait partie depuis la préhistoire. Le cannabis n'est devenu pratique courante ici qu'il y a 20 ou 25 ans. Nous n'en avons donc pas besoin. Nous avons survécu sans cannabis pendant des siècles. Nous pouvons donc continuer à survivre en s'en passant. La majorité des Canadiens n'en prennent pas. À ma connaissance, aucun sondage n'a démontré que la majorité des Canadiens sont favorables à la légalisation du cannabis. Il s'agit de savoir si l'on peut maintenir les bénéfices de son statut illégal en exprimant et en codifiant les attitudes de la population tout en évitant le tort causé par une application trop zélée de la loi?
Le président: Harb, si vous avez une question pressante, dépêchez-vous.
M. Dhaliwal (Vancouver-Sud): J'ai deux brèves questions à poser. D'abord, combien en coûte-t-il à un toxicomane pour sa dose quotidienne d'héroïne? Deuxièmement, si quelqu'un vous dit avoir un problème d'héroïne et vouloir s'en guérir, quel est le taux de succès et combien de temps faut-il?
M. Negrete: Pierre traite des héroïnomanes tous les jours, et je pense que c'est lui qui devrait répondre à cette question. Je peux vous parler de notre clinique. Nous avons vu des héroïnomanes dépenser plus de 1 000 $ par jour. C'est un extrême. En moyenne, les gens dépensent de 100 $ à 200 $ par jour. Néanmoins, il faut se procurer beaucoup d'argent tous les jours.
Le taux de réussite - je parle de ceux qui cessent d'utiliser l'héroïne - est certainement inférieur au taux de réussite pour les autres produits, moins que dans le cas de l'alcool. Ce n'est pas beaucoup moins que la nicotine, mais un grand nombre de personnes s'en sont sorties grâce à des programmes d'abstinence. Un nombre encore plus grand ont profité des traitements de substitution. C'est un genre de programme qui démontre des avantages marqués.
La définition de «réussite» varie évidemment. Par exemple, Pierre peut vous donner des chiffres pour sa propre clinique, où il a plus de 200 héroïnomanes sous traitement. Il peut vous dire ce qu'il a observé.
Dr Lauzon: La méthadone est très efficace dans le traitement des héroïnomanes. Après une année de traitement, nous constatons une réduction d'environ 95 p. 100 de l'utilisation, et 75 p. 100 des patients suivent le traitement pendant au moins un an. Les résultats sont meilleurs avec la méthadone qu'avec les programmes d'abstinence, surtout dans le cas de cette toxicomanie.
Évidemment, l'héroïne n'est pas leur seul problème. Ils sont également dépendants de la cocaïne, de l'alcool et des tranquillisants. Il faut donc s'attaquer à tout cela. Nous ne faisons pas d'intervention pharmacologique précise pour lutter contre l'utilisation de la cocaïne et de l'alcool, et nous obtenons dans ces cas-là le même taux de réussite qu'avec les alcooliques ou les cocaïnomanes.
Pendant le traitement à la méthadone, le nombre d'arrestations et la criminalité diminuent de façon considérable. Au cours de la première année de traitement, le taux d'arrestations des hommes diminue de moitié, et celui des femmes est quatre fois moindre. Si le traitement se poursuit plus longtemps, cette diminution continue.
Il est très important de considérer les coûts-avantages de cette intervention. On a évalué aux États-Unis que pour chaque dollar investi dans le traitement à la méthadone vous économiserez dix dollars en frais d'incarcération et de santé. À titre d'exemple, si quelqu'un est atteint du sida, les soins sont très coûteux. Ce genre d'intervention est donc très avantageuse du point de vue des coûts-avantages.
Le président: Nous n'avons plus de temps. Il y a un autre comité dans cette salle à 11 heures. Je présente mes excuses à Pierre pour ne pas lui avoir redonné la parole.
Je remercie les témoins de leur participation ce matin. Nous espérons que nous pourrons communiquer encore avec vous lorsque notre étude sera plus avancée. Nous aurons peut-être besoin de vos opinions et de vos observations.
Les membres du comité voudront peut-être parler individuellement aux témoins après la réunion, s'ils en ont le temps.
La séance est levée.