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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 11 février 1997

.0913

[Traduction]

Le président: Nous sommes un peu en retard, nous allons donc commencer.

Ceci étant la première séance depuis le retour de la Chambre, j'aimerais souhaiter la bienvenue aux membres du comité et au personnel, à Odette en particulier qui s'est absentée pendant quelque temps pour vaquer à d'autres occupations.

Mme Odette Madore (attachée de recherche du comité): Effectivement.

Le président: Elle est maintenant mère d'un petit garçon d'un an. Félicitations de la part du comité.

Pour commencer, nous allons entendre ce matin des témoins de l'«Association to Reduce Alcohol Promotion in Ontario».

Bienvenue, Simone. Je vais vous demander de nous présenter les personnes qui vous accompagnent et de faire un bref exposé, si vous en avez un, après quoi nous vous poserons des questions.

Mme Simone Cusenza (coordinatrice, Association to Reduce Alcohol Promotion in Ontario): Merci.

Bonjour. Je m'appelle Simone Cusenza et je représente la «Association to Reduce Alcohol Promotion in Ontario.» Je suis accompagnée aujourd'hui par deux membres de l'ARAPO, Mary Tabak, des Services de santé régionaux de Halton, et Nadia Peric, de l'école secondaire régionale Iroquois Ridge, à Oakville. Nos trois exposés vont durer moins de 10 minutes. Étant donné que Nadia s'intéresse de près aux questions liées à l'alcool, nous avons réuni les fonds nécessaires pour qu'elle puisse venir à Ottawa; nous sommes très heureuses de pouvoir vous présenter une perspective propre à la jeunesse.

J'aimerais passer quelques minutes sur le rôle important du gouvernement fédéral au chapitre de la réglementation de la publicité des produits alcoolisés à la télévision et à la radio. La possibilité que nous avons de nous adresser à vous aujourd'hui tombe à point nommé, en raison de plusieurs changements importants qui se produisent actuellement et qui soulèvent plusieurs questions critiques.

L'ARAPO, Association to Reduce Alcohol Promotion in Ontario, est une association communautaire ontarienne regroupant des Canadiens, des groupes d'action communautaire et des organisations de prévention de la toxicomanie. Nous croyons qu'une publicité responsable en faveur de produits alcoolisés permet de faire des choix éclairés en matière de consommation, notamment chez les jeunes. Nous ne préconisons pas l'interdiction de la publicité des produits alcoolisés, mais sommes en faveur d'une stricte réglementation.

.0915

Comme vous le savez, la publicité des produits alcoolisés à la radio et à la télévision est régie au plan fédéral par la Loi sur la radiodiffusion et par le Code de la publicité radiodiffusée en faveur de boissons alcoolisées. La Loi sur la radiodiffusion exige que les messages publicitaires ne fassent pas la promotion de la consommation de l'alcool en général, mais elle permet la publicité de marques. Le Code exige que les messages publicitaires ne doivent pas, entre autres choses, tenter d'inciter les non-buveurs à boire, être destinés à des personnes n'ayant pas l'âge légal de consommer de l'alcool, etc. Le code est assez complet, mais son efficacité dépend de la façon dont il est interprété et appliqué.

Le CRTC exécute et applique la Loi sur la radiodiffusion et le Code. En 1995 et de nouveau en 1996, le CRTC a proposé d'apporter plusieurs changements importants à la réglementation de la publicité des produits alcoolisés, y compris l'élimination de l'approbation préalable des messages publicitaires en faveur de l'alcool. Jusqu'à tout récemment, cette approbation préalable était donnée par un comité d'examen et servait à empêcher la radiodiffusion de messages publicitaires destinés à des jeunes ou servant à promouvoir la consommation irresponsable de boissons alcoolisées, par exemple. L'ARAPO croit qu'en raison de la nature particulière de l'alcool, le CRTC devrait toujours avoir la responsabilité de l'approbation préalable, laquelle doit être obligatoire et faire intervenir des gens intéressés par la prévention de la toxicomanie.

Grâce à l'accès à l'information, l'ARAPO a reçu plusieurs parties d'un document interne du CRTC résumant la réaction du public face aux changements proposés. La position de l'ARAPO correspond clairement à celle de la majorité. Il est indiqué dans le document que sur les 233 répondants qui se sont manifestés, 93 p. 100 pensent qu'une réglementation stricte des messages publicitaires en faveur de boissons alcoolisées est essentielle. La majorité d'entre eux s'opposent fortement au transfert du processus de l'approbation préalable à la Fondation canadienne de la publicité, en raison des énormes coûts sociaux et de santé associés aux problèmes liés à l'alcool.

Malgré cette opposition, depuis le 1er février 1997, le CRTC n'exige plus que les messages publicitaires soient examinés et approuvés avant leur radiodiffusion. Dans son annonce, le CRTC indique que la Fondation canadienne de la publicité, l'association professionnelle des publicitaires, a proposé de se charger de l'autorisation préalable des messages publicitaires, mais plusieurs questions restent en suspens. Les publicitaires vont-il présenter leurs messages à la Fondation canadienne de la publicité? Est-ce facultatif? Qui va examiner les messages publicitaires à la Fondation canadienne de la publicité: une personne, un membre du personnel ou un comité se composant de personnes s'intéressant à la prévention de la toxicomanie? Qui va surveiller ce qui est radiodiffusé? Comment va-t-on donner suite aux plaintes du public? À qui faut-il adresser les plaintes? Comment le CRTC fera-t-il respecter la législation sur la publicité des produits alcoolisés? Le CRTC restera-t-il indifférent aux observations du public à l'avenir?

Ces questions sont encore plus importantes maintenant que n'importe qui peut faire la publicité des produits alcoolisés à la télévision et à la radio, y compris les points de vente, les services locaux de livraison de produits alcoolisés, les bars et les restaurants. Avant le 1er février, seuls les fabricants pouvaient faire la publicité de l'alcool en vertu de la Loi sur la radiodiffusion. En Ontario, la Régie des alcools continue de donner l'approbation préalable aux messages publicitaires, mais dans certaines provinces, le rôle du CRTC est unique, puisqu'il veille à ce que seuls les messages publicitaires en faveur de boissons alcoolisées qui respectent le code peuvent être radiodiffusés.

En conclusion, nous devons penser en priorité à nos enfants lorsque nous examinons la façon la plus efficace de réglementer la publicité de l'alcool. Je crains que l'efficacité du CRTC ne soit entravée par la décision qu'il a prise de ne plus approuver les messages publicitaires et aussi en raison du volume de ces messages qui va certainement augmenter au cours des prochaines années. Plus important encore, il faut que les réponses données aux questions posées aujourd'hui comblent le vide créé par les récentes décisions du CRTC. Merci.

Mme Mary Tabak (infirmière de la santé publique, Services de santé régionaux de Halton, Programme de prévention de la toxicomanie): Bonjour. Je m'appelle Mary Tabak et je suis infirmière de la santé publique aux Services de santé régionaux de Halton - Programme de prévention de la toxicomanie. J'aimerais vous remercier de me donner l'occasion de présenter mon exposé devant vous aujourd'hui.

Les Services de santé travaillent avec les collectivités pour diminuer l'usage abusif de l'alcool et des autres drogues, afin de réduire les coûts sociaux, économiques et de santé liés à l'usage et à l'abus des drogues. Cela se fait en demandant aux gens de s'intéresser aux questions qui les touchent directement.

Comme vous le savez, l'alcool et la jeunesse sont un cocktail mortel. Ce matin, j'aimerais parler de l'impact de la publicité des produits alcoolisés sur les jeunes et du fait qu'il faut véritablement qu'ils s'intéressent à cette importante question.

Vous trouverez dans le dossier qui vous a été distribué la copie d'une étude effectuée par Joel Grube, intitulée «The Effects of Television Advertising on Adolescent Drinking». Cette étude prouve qu'il y a un lien entre la publicité des produits alcoolisés à la télévision et la consommation de l'alcool chez les adolescents. Elle soutient également que les efforts de prévention devraient viser à réduire les risques que représente la publicité des produits alcoolisés pour les jeunes.

.0920

Alors que beaucoup plus de recherche s'impose, je crois qu'il faut faire preuve de prudence à l'égard de la publicité des produits alcoolisés. Les jeunes avec lesquels je travaille à l'école secondaire Iroquois Ridge en sont arrivés à la conclusion que la publicité de l'alcool est un facteur qui influe sur les attitudes et les choix de leurs camarades en matière d'alcool. Les jeunes disent avoir l'impression d'être bombardés de messages publicitaires à la télévision, à la radio, sur les panneaux publicitaires, lors d'événements commandités, comme des concerts et des événements sportifs, et même sur l'Internet. Ils peuvent même décrire ceux qu'ils préfèrent. Pour beaucoup de jeunes, ces messages publicitaires dépeignent des situations extrêmement attrayantes qui, bien sûr, ne semblent pas porter à conséquence.

Les jeunes avec lesquels je travaille appuient activement les efforts de l'ARAPO, laquelle vise à promouvoir une publicité responsable des produits alcoolisés et à maintenir une réglementation stricte, comme Nadia va pouvoir vous le dire. Les Services de santé régionaux de Halton appuient également la position de l'ARAPO au sujet de la publicité de l'alcool. Nous espérons que le gouvernement fédéral continuera de jouer un rôle de leader de façon que seuls soient radiodiffusés les messages publicitaires de l'alcool les plus responsables.

Je suis convaincue que la publicité des produits alcoolisés influe sur les attitudes et les choix des jeunes en matière d'alcool. Je pense qu'une stricte réglementation de la publicité de l'alcool est une stratégie concrète qui porte fruit. Je crois également que les jeunes devraient s'intéresser aux questions touchant leur santé.

Merci.

Mme Nadia Peric (élève, École secondaire Iroquois Ridge): Bonjour. Je suis très heureuse d'être ici aujourd'hui. Je suis en année CPO à l'école secondaire Iroquois Ridge, à Oakville. Je suis convaincue que les jeunes doivent avoir voix au chapitre en ce qui concerne des questions comme celles de l'usage et de l'abus des drogues.

Au cours de mes cinq années d'études secondaires, et même avant cela, j'ai été témoin de nombreux incidents relatifs à l'abus et à l'usage de l'alcool et aux souffrances qui en découlent, autant parmi mes amis que parmi des personnes que je ne connaissais pas. À mon avis, les messages publicitaires où des personnes séduisantes s'amusent tout en écoutant de la musique à plein volume, ont un effet extraordinaire sur les jeunes, tout comme de nombreux concerts et événements sportifs commandités.

Mon ami James et moi-même avons présenté un exposé à Queen's Park l'été dernier sur la publicité des produits alcoolisés. James a indiqué que lorsqu'il était plus jeune, il suppliait son père d'acheter des caisses de 24 bières uniquement pour avoir les CD gratuits. Il l'a fait pendant longtemps.

S'il apparaît évident que l'alcool va augmenter notre satisfaction, nous allons en consommer. Malheureusement, les conséquences sont rarement montrées à la télévision, dans les magazines, les journaux ou sur l'Internet.

Franchement, je pense que la réglementation n'est pas suffisamment stricte.

Dans mon école, je fais partie d'un groupe appelé Iroquois Against Drugs and Drunk Driving. Nous sommes un groupe d'élèves qui tient à promouvoir un mode de vie sain et sans drogue dans notre école. En tant que jeunes, nous pensons avoir une influence sur les décisions prises dans notre collectivité et croyons que nous devons nous faire entendre.

Nous avons montré que nous sommes prêts à lutter contre la publicité des produits alcoolisés en travaillant avec l'ARAPO et les Services de santé; nous avons ainsi organisé une conférence de presse en octobre dernier pour sensibiliser davantage les gens à la publicité des produits alcoolisés et à son effet sur les jeunes. Cette conférence de presse nous a donné l'occasion unique d'exprimer nos sentiments et nos points de vue sur la publicité des produits alcoolisés et sur son effet sur nous. Plus de 100 jeunes, le maire, le personnel de l'école et des Services de santé, des représentants de trois journaux et d'une station radio y ont participé. Le fait qu'il y ait des gens prêts à nous aider à améliorer la situation est ce qui nous encourage à continuer.

Ces trois dernières années, j'ai beaucoup appris au sujet de la publicité des produits alcoolisés à laquelle je prête donc davantage attention. La tentation et l'attrait que l'on y retrouve et ce, depuis très longtemps, me surprennent beaucoup. Pour mes études universitaires que je vais entamer l'année prochaine, je pense m'inscrire en études de l'enfant pour devenir professeur. Une fois que j'aurai atteint cet objectif, j'aurai la responsabilité, en tant qu'adulte et professeur, d'orienter nos enfants sur la bonne voie, car ils représentent notre avenir. Je suis convaincue qu'il vaut la peine de prévoir une réglementation plus stricte au sujet de la publicité des produits alcoolisés.

Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Nous allons commencer par le Bloc québécois, M. Pierre de Savoye.

.0925

[Français]

M. de Savoye (Portneuf): Madame Cusenza, madame Peric et madame Tabak, merci pour votre témoignage. Vous avez manifesté votre préoccupation quant à la publicité sur les produits alcoolisés. C'est une préoccupation légitime. Les jeunes sont certainement beaucoup plus sensibles que les adultes aux manières dont on présente la consommation d'alcool en situation sociale.

Prônez-vous une tempérance absolue, c'est-à-dire l'abstention de toute consommation d'alcool, ou si vous prônez la consommation raisonnable, éclairée des produits alcoolisés? Quelle est votre position à ce sujet-là?

[Traduction]

Mme Cusenza: Nous ne préconisons certainement pas la tempérance; les produits alcoolisés sont des produits légaux dans notre société et les gens ont besoin de l'information nécessaire afin de pouvoir prendre des décisions sages et éclairées. Nous ne préconisons pas non plus l'interdiction de la publicité des produits alcoolisés, mais croyons qu'une publicité responsable qui respecte de très près l'esprit de notre code permettra aux gens de prendre des décisions éclairées.

[Français]

M. de Savoye: Si je vous comprends bien, vous voyez la publicité comme une composante d'une mesure d'éducation face à la consommation raisonnable, éclairée et modérée de produits alcoolisés.

[Traduction]

Mme Cusenza: Oui, dans le sens où la promotion de l'alcool comme produit est une forme de publicité. Nous avons certainement conscience de l'influence de la publicité, du fait qu'elle donne des renseignements sur des produits et que c'est une façon importante pour les gens, notamment les jeunes, de connaître un produit ou d'être sensibilisé à une question. Elle joue donc un rôle à cet égard et doit faire partie intégrante d'une politique globale en matière d'alcool.

[Français]

M. de Savoye: Avez-vous eu l'occasion de mesurer, par voie de sondage ou autrement, l'impact de la publicité sur les produits alcoolisés à laquelle les jeunes sont exposés dans votre milieu? Avez-vous des éléments qualitatifs ou quantitatifs pour éclairer notre comité sur les conséquences que vous avez pu observer?

[Traduction]

Mme Cusenza: A propos de l'impact de la publicité sur les produits alcoolisés notamment?

[Français]

M. de Savoye: Oui.

[Traduction]

Mme Cusenza: Je ne l'ai personnellement pas fait et je dois donc m'appuyer sur des études effectuées par des chercheurs et des scientifiques externes à mon association. Mary a parlé de l'étude de M. Grube, aux États-Unis; il ne fait aucun doute que la recherche révèle de plus en plus qu'il y a un rapport entre l'attrait des jeunes pour certains messages publicitaires et leur attitude et leurs choix en matière de consommation d'alcool. La recherche n'est pas aussi solide que je le souhaiterais, mais tout indique qu'il faut faire preuve de prudence.

.0930

Je peux vous renvoyer au document du CRTC où il est indiqué que plusieurs études sur les effets de la publicité des boissons alcoolisées montrent qu'une telle publicité influe sur les attitudes des jeunes qui n'ont pas encore consommé d'alcool et sur leurs attentes à cet égard et que, dans la population en général, davantage de messages publicitaires peuvent entraîner de légères augmentations de la consommation de l'alcool et multiplier les problèmes liés à l'alcool.

A plusieurs égards, la recherche indique qu'il faut faire preuve de prudence et qu'il va falloir de toute évidence financer davantage la recherche à l'avenir. Le gouvernement fédéral a déjà parrainé des travaux de recherche et il serait bon que ce genre de recherche soit de nouveau appuyé dans l'avenir.

Le président: Andy Scott.

M. Scott (Fredericton - York - Sunbury): Merci, monsieur le président.

J'aimerais vous demander ce que vous pensez des drogues illégales. On nous a demandé d'examiner la façon dont le gouvernement du Canada aborde la question de ce que l'on appelle les drogues illégales. Il semble qu'il y ait deux façons de le faire.

Dans certains pays et compétences, on pense que le système de justice pénale et une approche très sévère sont la meilleure façon de décourager l'usage des drogues illégales. Pour d'autres compétences, il s'agit essentiellement d'un problème médical qu'elles abordent d'une autre façon. Pouvez-vous nous indiquer votre point de vue à ce sujet? Qu'est-ce qui permettra de diminuer le nombre de jeunes qui consomment de la marijuana: des peines plus sévères ou une plus grande sensibilisation aux risques liés à la consommation de cette drogue? Quel est le rôle du gouvernement et quelle est la meilleure approche?

Mme Tabak: À mon avis, c'est une approche globale qu'il faut privilégier, une approche qui englobe le respect des lois, la justice et le traitement. La prévention, à mon sens, est la clé du problème et on peut travailler davantage là-dessus. Nous intervenons dans les écoles élémentaires et secondaires, puisque c'est là que commence l'usage de la drogue, la plupart du temps. Reste à savoir si ces jeunes continueront sur cette voie et arriveront au point où ils ne pourront plus faire face à ce problème plus tard dans leur vie... le problème commence en général dans nos écoles et je crois que nos efforts de prévention doivent être axés sur nos jeunes.

Mme Peric: J'aimerais intervenir. Je crois que ce que Mary dit au sujet de la prévention est très important. Des pressions - peu importe le genre de pressions, y compris la pression des pairs - s'exercent dans les écoles. Si les élèves ont davantage conscience de ce qui se passe et de ce qui va leur arriver, s'ils connaissent les drogues qu'ils utilisent et les conséquences de cette utilisation, il y a de plus fortes chances qu'ils s'en abstiennent. Une fois qu'ils consomment ces drogues, ils doivent bien sûr en subir les conséquences, mais je pense que la prévention est beaucoup plus importante.

Mme Cusenza: Je ne peux que répéter ce qui vient d'être dit. L'ARAPO participe au projet Black Creek de la collectivité Jane- Finch dans l'agglomération torontoise. Nous sommes certainement d'avis que la prévention et l'amélioration des services dans la collectivité sont très nécessaires. Il est cependant actuellement très difficile de prouver que la prévention porte fruit. Il est difficile de vous donner des statistiques sur le nombre d'enfants que nous avons réussi à détourner des drogues ou sur le nombre de parents que nous avons encouragés et auxquels nous avons donné des pistes pour aider leurs enfants. Le financement est menacé. Nous ne cessons de dire que prévention est la meilleure solution. Nous avons vu qu'elle donne les résultats escomptés et nous croyons certainement qu'elle porte fruit.

Le président: Paul Szabo et Herb Dhaliwal, dans cet ordre.

M. Szabo (Mississauga-Sud): Merci, monsieur le président. Je ne vais pas prendre beaucoup de temps.

Je tiens à remercier l'ARAPO de sa présence. Je connais bien des aspects du travail de cette association. Je sais que vous avez été très proactifs dans le domaine de la toxicomanie. Je suis très heureux que vous souligniez l'importance de la prévention. Je suis entièrement d'accord avec vous. En fait, lorsque nous avons entamé les travaux du comité, les représentants de la santé nous ont dit, entre autres choses, qu'une part très importante des ressources de santé était consacrée aux mesures curatives et correctives si bien que très peu de nos ressources, peut-être moins d'un quart, sont axées sur la prévention. Nous ne pouvons pas financièrement soutenir une telle stratégie curative et corrective, ce qui veut dire qu'il faut mettre davantage l'accent sur la prévention. Je vous remercie de l'avoir souligné, car c'est à mon avis essentiel.

.0935

Côté prévention, j'aimerais savoir si l'ARAPO est favorable à l'idée d'apposer des étiquettes de mise en garde sur les bouteilles de boisson alcoolisée.

Mme Cusenza: Lorsque le projet de loi d'initiative parlementaire a été déposé, nous avons rédigé une lettre pour manifester notre appui à cette démarche, toujours dans le cadre d'une stratégie globale du gouvernement fédéral. Il faut absolument effectuer des recherches sur le format des étiquettes, le contenu des messages et l'emplacement des étiquettes sur les bouteilles. C'est une mesure importante et symbolique que peut prendre le gouvernement pour informer la population.

On soutient que les gens qui achètent de l'alcool régulièrement ne liront pas le message. Mais qu'en est-il des jeunes buveurs ou des mineurs qui réussissent à mettre la main illégalement sur une bouteille d'alcool? Il se peut que le message inscrit sur la bouteille ait un impact.

J'ai apporté des exemplaires de cette lettre, si cela vous intéresse. Nous avons appuyé la démarche.

Le président: Merci.

Harb.

M. Dhaliwal (Vancouver-Sud): Je tiens moi aussi à vous remercier pour votre excellent exposé. J'aimerais savoir si, à votre avis, les programmes existants donnent de bons résultats.

Est-ce que la consommation d'alcool augmente ou diminue? Est- ce que les programmes présentent des lacunes?

Je me demande également si nous ne devrions pas mettre au point une stratégie pour décourager complètement la consommation d'alcool, ou promouvoir la consommation modérée d'alcool.

N'importe qui peut répondre.

Mme Cusenza: En ce qui concerne l'Ontario, je suis certaine que certains témoins vous ont parlé des coûts économiques qu'entraîne l'abus d'alcool au Canada. J'aimerais ajouter une ou deux statistiques.

Le pourcentage d'étudiants du secondaire qui consomment de l'alcool est passé de 56,5 p. 100 en 1993, à 58,8 p. 100 en 1995. C'est la première hausse enregistrée depuis 1979. Ces chiffres sont tirés d'une étude intitulée Ontario Profile 1996: Alcohol and Other Drugs.

D'après un sondage mené en 1993, neuf étudiants d'université sur dix consomment de l'alcool. La majorité d'entre eux consomment entre un et 14 verres par semaine. En 1994, 86 p. 100 des jeunes âgés de 18 à 29 ans consommaient de l'alcool, et ils étaient beaucoup plus susceptibles d'être des buveurs excessifs.

On remarque une tendance à la hausse chez nos jeunes, tant sur le plan de la consommation que sur celui des comportements à risque. C'est un problème auquel il faut s'attaquer.

Mme Tabak: Vous avez parlé plus tôt des mesures que nous pouvons prendre. Vous avez parlé de certaines initiatives, et demandé si elles étaient efficaces ou non.

Je pense que les programmes éducatifs des conseils scolaires sensibilisent les étudiants à cette question. Il existe également d'autres types de programmes d'information. Je crois qu'il faut leur donner les moyens d'avoir accès à ces renseignements.

Il arrive parfois que les renseignements à eux seuls ne suffisent pas à aider les étudiants à sortir d'une situation difficile. Il faut mettre sur pied des programmes qui leur permettent d'acquérir des automatismes. Les étudiants doivent pouvoir compter sur l'appui des adultes, de groupes d'entraide qui prônent la non-consommation d'alcool, mais qui n'envoient pas des messages contradictoires.

Je crois aussi que les jeunes doivent pouvoir pratiquer des activités de loisirs, des activités qui leur permettront de s'intéresser à autre chose.

M. Dhaliwal: J'ai une dernière question très brève, monsieur le président.

Existe-t-il un lien entre la consommation d'alcool observée chez les parents et chez les jeunes? Est-ce que les jeunes boivent parce que leurs parents boivent? Je me demande si l'on a déjà fait des études là-dessus.

Mme Tabak: Je ne suis pas en mesure de vous répondre, mais je peux vous dire qu'il existe des liens entre le comportement des parents à la maison et même d'autres adultes qui jouent un rôle important dans la vie d'un enfant, comme les enseignants, et le comportement d'un enfant.

.0940

M. Dhaliwal: Vous ne savez pas si une étude a été effectuée sur le rôle joué par les parents dans la consommation d'alcool?

Mme Cusenza: Si nous pouvions obtenir une adresse postale, nous pourrions nous renseigner auprès de nos membres...

Vous avez également demandé si nous étions en faveur d'une société sans alcool. Notre réponse est non. Nous essayons par tous les moyens possibles d'encourager les gens à faire des choix sages et éclairés au sujet de la consommation d'alcool, et cela peut aller de la consommation modérée à l'abstinence. Ce doit être un choix personnel.

M. Dhaliwal: D'accord.

Le président: Elle veut votre adresse, Harb.

Mme Cusenza: Oui, je la veux. Merci.

Le président: Joe.

M. Volpe (Eglinton - Lawrence): Merci, monsieur le président, et merci, mesdames.

Ce concept de la consommation modérée et de l'abstinence m'intrigue. Vous venez de dire, en parlant de l'Ontario, qu'environ 58 p. 100 des jeunes consomment de l'alcool. Vous dites qu'ils prennent entre un et 14 verres par semaine. Est-ce bien cela?

Mme Cusenza: Oui, et 94,4 p. 100 sont des étudiants d'université.

M. Volpe: Les étudiants d'université sont des adultes...

Mme Cusenza: Oui.

M. Volpe: ... et s'ils prennent entre un et 14 verres par semaine, cela équivaut, grosso modo, à un verre ou deux par jour. Il faudrait peut-être déterminer ce que nous entendons par un verre. Pour moi, un verre, c'est une once d'alcool, un verre de vin ou une bière. À votre avis, est-ce que cela correspond à une consommation modérée d'alcool?

Mme Cusenza: Oui, absolument, mais cela dépend du nombre de verres que l'on prend en une journée. La consommation modérée est calculée en fonction d'une moyenne, selon vos sources d'information. Si l'on prend 14 verres en deux jours, c'est considéré comme une consommation immodérée et peut-être dangereuse. Ce chiffre est révélateur, parce qu'il indique qu'une fois arrivés à l'université, la majorité des étudiants ont commencé à boire et qu'ils ont pris des habitudes.

Je vais voir s'il existe des chiffres plus précis sur les habitudes de consommation dangereuses. J'aimerais ajouter que, 14 verres par semaine, c'est beaucoup. Cela correspond peut-être à deux ou trois verres par jour, trois ou quatre fois par semaine, de sorte qu'on se rapproche d'un comportement dangereux. Si un membre de ma famille consommait 14 verres par semaine, je trouverais cela inquiétant.

Mme Tabak: Une grande partie de notre travail auprès des jeunes porte sur la consommation irrégulière. Nous savons que les blessures sont les principales causes de décès chez les jeunes âgés de 16 à 24 ans. Souvent, les blessures sont liées à l'alcool; c'est pourquoi nous avons tendance à nous concentrer sur la consommation irrégulière d'alcool. Il existe des statistiques sur la consommation irrégulière d'alcool chez les étudiants du secondaire et chez les étudiants d'université.

M. Volpe: J'aimerais les voir. Je regarde certains de mes collègues d'en face pour qui il est normal, en raison de leur culture, d'accompagner le repas d'une consommation. Ils sont peut- être inclus dans les chiffres que vous avez donnés.

On ne peut pas dire que les jeunes qui fréquentent l'université et qui prennent un verre de vin avec leur repas font des excès. Cela fait sept consommations par semaine; cela ne représente que sept repas. S'ils prennent 14 repas, ils sont inclus dans ces statistiques et ne sont peut-être pas considérés comme des buveurs. Cela fait partie du repas. Or, vous qualifiez cela de consommation irrégulière.

J'aimerais bien que vous remettiez au comité des statistiques là-dessus. J'aurais l'impression d'être un peu mieux renseigné. Je vais vous dire pourquoi. La plupart des données que nous recevons, aussi valables soient-elles, sont des données non scientifiques. Malheureusement, j'ai répondu à une question comme celle-ci dans un examen pré-médical. Ma réponse a eu pour effet de me placer dans cette catégorie, et le médecin m'a dit que j'étais en train de ruiner ma vie - et je ne suis même pas Canadien français. Si je voulais consommer de l'alcool, je pourrais peut-être le faire une fois ou deux par semaine... Je pourrais boire, mais cela permettrait à mon foie de traiter l'alcool.

.0945

Avez-vous des renseignements là-dessus?

Mme Cusenza: Nous allons préparer quelque chose.

M. Volpe: Donc la consommation irrégulière, à votre avis, entraîne des conséquences, mais pas nécessairement des conséquences médicales si on ne s'y adonne pas plus d'une fois par semaine.

Mme Cusenza: Je ne suis absolument pas prête à commenter là- dessus.

M. Volpe: Je ne cherche pas à vous tendre un piège.

Le président: Avant de terminer, j'aimerais avoir quelques précisions. L'association a manifestement une équipe d'employés à temps plein? Simone.

Mme Cusenza: Notre comité existe depuis 1991 et fait partie du projet communautaire Black Creek, un programme de développement communautaire qui s'étend au Grand Toronto. Elle a des bureaux dans toutes les régions de l'Ontario.

Le président: Oui.

Mme Cusenza: Nous avons eu la chance, cette année, d'obtenir des fonds additionnels pour produire des brochures d'information. Nous avons donc pu redoubler nos efforts, mais nous ne savons pas ce que l'avenir nous réserve.

Nous continuerons d'exister, sous une forme ou une autre, dans le cadre du projet Black Creek.

Le président: Donc, vous travaillez à temps plein pour l'association comme coordonnatrice?

Mme Cusenza: Non, je suis là à temps partiel. Mon contrat expire le 30 mars.

Le président: Mary, quel est votre rôle? Êtes-vous membre de l'association?

Mme Tabak: Oui.

Le président: Donc, vous ne faites pas partie du personnel.

Mme Tabak: Non.

Le président: Vous vous appelez Nadine?

Mme Peric: Nadia.

Le président: Nadia. Vous faites partie de l'association.

Mme Peric: Oui. Je travaille avec l'ARAPO depuis...

Le président: Je voudrais tout simplement vous poser une question au sujet de votre école - vous avez bien dit Iroquois?

Mme Peric: Oui.

Le président: Combien d'étudiants s'intéressent à cette question et participent activement au projet?

Mme Peric: C'est le IADDD, c'est-à-dire le Iroquois Against Drugs and Drunk Driving. Le groupe compte une douzaine de membres. Il y a aussi un comité distinct, qui met l'accent sur la promotion du mieux-être, et qui regroupe une quinzaine de membres. Il s'occupe davantage sur des questions touchant la santé.

Le président: Ma question est la suivante: est-ce un sujet auquel s'intéressent un grand nombre d'étudiants du secondaire, ou êtes-vous l'exception à la règle?

Mme Cusenza: J'ai été invitée à plusieurs reprises, cette année, à m'adresser à des groupes d'étudiants à Halton, Oakville, Owen Sound, dans des écoles secondaires de North York. En effet, c'est une question qui suscite de plus en plus d'intérêt, surtout parmi les étudiants qui font campagne contre l'alcool au volant. Ils s'intéressent maintenant aux problèmes liés à l'alcool. Ils sont extrêmement alertes et conscients de la publicité entourant l'alcool. Cette question suscite de plus en plus d'intérêt.

Le président: J'aimerais connaître votre avis.

Mme Peric: Je participe à des conférences dans diverses écoles secondaires, où j'explique tout simplement aux étudiants les activités qui ont lieu à mon école et ailleurs. Ils semblent tous intéressés. C'est comme Simone l'a dit. Les gens s'intéressent de plus en plus à cette question.

Le président: Je vous remercie toutes les trois d'être venues. Nous avons été heureux de vous accueillir.

Nous invitons maintenant les représentants de l'Association canadienne de justice pénale à prendre la parole.

Maintenant, cela ne devrait pas prendre beaucoup de temps, Jane, puisque vous êtes nouvelle ici, mais Eugene, lui, vient nous voir toutes les deux semaines. Donc, à moins d'avoir quelque chose de nouveau à nous apprendre, je suis sûr qu'il est ici comme observateur.

Blague à part, nous ne voulons pas créer de précédent... nous avons le temps d'entendre chaque témoin une seule fois. Nous ne voulons donc pas créer de précédent en laissant certaines personnes comparaître plusieurs fois.

Je crois comprendre que Eugene représente cette fois-ci un autre organisme.

.0950

M. Eugene Oscappella (membre, Comité d'examen des politiques, Association canadienne de justice pénale): C'est exact, monsieur le président.

Le président: Je ne sais pas qui dirige le groupe, mais je vous prierais de commencer. Veuillez nous présenter vos collègues, faire votre exposé et nous donner le temps de vous poser quelques questions.

M. Oscappella: Merci, monsieur le président.

Je suis ici aujourd'hui à titre de représentant de l'association canadienne de justice pénale. J'ai déjà été coprésident du Comité des politiques de l'association. Je suis accompagné aujourd'hui de Jane Fjeld, qui est criminologue et une des coprésidentes du comité. Je vous donnerai mon opinion personnelle sur certains points si vous voulez, mais je suis ici en tant que représentant de l'association. Vous allez peut-être avoir l'impression que je me répète, mais je ne fais que défendre le point de vue de l'association.

Monsieur le président, j'ai également une séquence filmée de deux minutes et demie que je voudrais vous montrer. Le greffier a gentiment accepté de préparer le magnétoscope. J'aimerais qu'on commence d'abord par la visionner, si vous n'y voyez pas d'inconvénient. Cette séquence est tirée de l'émission The Nature of Things de David Suzuki, qui est diffusée par le réseau CBC.

Le président: D'accord.

[Présentation vidéo]

M. Oscapella: Si les membres du comité préfèrent voir l'émission au complet, monsieur le président, je peux en faire des copies. J'encourage les membres du comité à la regarder. C'est probablement un des meilleurs documentaires sur les drogues qu'ait préparé The Nature of Things depuis la dernière émission sur le sujet, il y a cinq ans.

Monsieur le président, l'Association canadienne sur la justice pénale existe depuis 77 ans. C'est la plus importante association de ce genre au Canada. Elle regroupe des travailleurs correctionnels, des surveillants de libération conditionnelle, des directeurs de prison, des policiers et des criminologues.

L'Association est contre la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, ou les principes qui la sous-tendent. Elle estime que la loi n'est que le prolongement d'une politique de criminalisation qui accroît le niveau de violence dans la société. J'ai avec moi des études préparées par un criminologue américain qui montrent comment le commerce illégal des drogues attire les jeunes et exacerbe le problème des armes à feu chez les jeunes.

.0955

La loi actuelle entraîne inutilement l'inculpation de dizaines de milliers de Canadiens chaque année. Depuis ma dernière comparution devant le comité, en octobre, il y a presque quatre mois, environ 6 000 Canadiens ont été inculpés de possession de cannabis, si l'on se fonde sur les données de 1995.

La loi actuelle entraîne l'incarcération inutile de milliers de personnes pour des infractions liées aux drogues. Elle encourage la propagation d'infections hématogènes mortelles, impose un fardeau financier très lourd aux Canadiens, et fait abstraction de toute une série de mesures qui peuvent réduire les méfaits causés par les drogues chez les usagers et la société en général.

Nous exhortons le comité à regarder du côté des États-Unis s'il veut un exemple d'une politique de criminalisation qui est un échec. Les États-Unis affichent, à l'heure actuelle, le taux d'incarcération le plus élevé par habitant dans le monde industrialisé. Au cours des dernières années, l'explosion du taux d'incarcération aux États-Unis a été provoquée par l'emprisonnement de personnes condamnées pour une infraction liée aux drogues. Or, les drogues demeurent facilement accessibles aux États-Unis. Les prix se maintiennent et ont même chuté dans certains cas, tout comme au Canada. Les gens continuent d'abuser des drogues. On ne peut pas dire que la politique de criminalisation des drogues est un succès.

Par conséquent, l'Association encourage le comité à examiner, de façon objective, les nombreuses options qui existent en dehors de la criminalisation des drogues.

J'aimerais ajouter un dernier commentaire, si vous me le permettez. Lors de ma dernière comparution, après mon témoignage, un des membres du comité a déclaré que je n'avais pas le courage de dire exactement ce que je voulais, que j'étais en faveur de la légalisation des drogues pour que tout le monde puisse s'en procurer. Monsieur le président, c'est faux. Je n'ai jamais prôné la légalisation des drogues. Je veux plutôt qu'on trouve des solutions de rechange intelligentes à la criminalisation des drogues, parce que cette politique est un échec total. Je veux trouver des moyens de réduire les méfaits causés par les drogues.

Je vous remercie, monsieur le président.

Le président: Pierre de Savoye.

[Français]

M. de Savoye: Monsieur Oscappella, madame Fjeld, on a l'habitude de vous voir ici au comité pour témoigner sur des questions relatives à l'usage des drogues. Votre documentation et vos arguments sont toujours intéressants. J'ai particulièrement apprécié la bande vidéo.

Vous êtes ici ce matin au nom de l'Association canadienne de justice pénale. Cette association, bien sûr, voit la question des drogues sous l'aspect de la justice et non pas, en principe, sous l'aspect de la santé. J'essaie de concilier la vision de l'Association canadienne de justice pénale et les préoccupations en matière de santé.

On se serait peut-être attendu à ce qu'une association comme la vôtre prône une plus grande rigueur dans l'application de la loi. Or, ce n'est pas ce que j'entends. Vous indiquez au contraire que nous n'avons peut-être pas les bonnes lois. Pourriez-vous nous dire comment on concilie justice et santé dans l'approche de votre association?

M. Oscappella: Merci, monsieur de Savoye. Comme d'habitude, je vais répondre en anglais parce que cela m'est plus facile.

[Traduction]

Il est très facile de concilier la santé et la justice pénale. Nous savons que lorsque les gens sont en prison, ils courent un très grand risque d'attraper d'autres infections. Par exemple, nous savons que dans la prison des femmes de Kingston, environ 40 p. 100 des femmes qui ont accepté de subir des tests lors d'une enquête étaient porteuses du virus de l'hépatite C. Nous savons que les prisons sont des milieux à haut risque pour la transmission du VIH et de l'hépatite B et C. Les prisons ne sont pas des milieux salubres. Ces détenus finiront par être libérés, et ce sera l'un des vecteurs par lequel ces virus, c'est-à-dire le VIH et l'hépatite B et C, se répandront dans la population en général. Il y a donc ce problème.

L'Association canadienne de justice pénale s'est presque toujours opposée à ce qu'on ait recours de façon excessive au droit pénal. On peut y recourir dans certaines circonstances. Ce que l'association conteste, c'est le recours au droit pénal pour traiter les cas de consommation de drogues à cause des nombreux préjudices que j'ai énumérés plus tôt, au nom de l'association. Cela correspond également à mon opinion personnelle mais c'est également l'opinion du Comité des politiques de l'Association de justice et du comité exécutif de l'association.

.1000

Mme Jane Fjeld (membre, Comité de révision des politiques, Association canadienne de justice pénale): J'aimerais ajouter quelque chose si vous me le permettez. En plus d'être coprésidente de ce comité en particulier, j'ai également passé 15 ans à travailler dans le domaine à titre de directrice exécutive de la Société Elisabeth Fry, ainsi que d'agent de probation et de libération conditionnelle. À l'heure actuelle je suis la directrice d'un organisme qui offre des services cliniques aux jeunes contrevenants dans la région de l'Est.

Dans le cadre de l'évolution de la connaissance et du débat entourant la meilleure façon d'aborder ce problème très complexe, de nombreux membres de l'association ainsi que moi-même sommes arrivés à la conclusion très nette que cette notion de punition, d'incarcération, de recours excessif à la loi, même s'il s'agit d'une réaction émotionnelle à un problème très complexe, ne donne pas les résultats que nous voulons, tant en ce qui concerne les problèmes d'accoutumance qu'en ce qui concerne les autres cas très concrets de comportements criminels des toxicomanes.

Je crois que c'est vraiment en ce sens que l'association et ses membres exhortent le comité ainsi que de nombreuses autres organisations à examiner certaines des solutions de rechange jugées traditionnellement peut-être trop radicales ou qui ne cadrent pas tout à fait avec l'idée que notre société se fait de l'accoutumance. Donc, pour appuyer les propos d'Eugene, c'est le point de vue d'une association qui compte de nombreux membres provenant de divers secteurs de la justice pénale.

[Français]

M. de Savoye: Vous nous parlez de ces gens qui ont des problèmes de santé bien plus que de justice à cause de leur consommation de drogues. Comment voyez-vous la justice en matière de trafic de drogues? C'est une question très différente, je pense. Puisque vous représentez une association de justice pénale, que pense votre association du trafic de drogues? Comment, selon vous, les choses devraient-elles être traitées sur le plan pénal?

[Traduction]

M. Oscapella: Monsieur de Savoye, à ma connaissance, l'association n'a pas pris particulièrement position au sujet du problème du trafic de drogues mais il ne fait aucun doute qu'elle voudrait examiner toute la gamme des comportements liés aux drogues dans la société - c'est-à-dire la possession, l'utilisation, la culture, l'importation et l'exportation, le trafic - et déterminer les mécanismes qui permettent le mieux de réduire les torts que ces activités causent à la société.

Dans certains cas, il peut être approprié de recourir au droit pénal. Dans d'autres cas, cela peut être tout à fait contre- indiqué. Il est donc très difficile de répondre à cette question. J'en resterai là. Je ne tiens pas à m'avancer plus que ne l'a fait l'association.

[Français]

Le président: Madame?

[Traduction]

Mme Fjeld: Non, je crois que cela répond à la question. Je vous remercie.

[Français]

M. de Savoye: Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Le président: Paul.

M. Szabo: Il y a certains aspects à propos desquels j'aimerais poser des questions.

À votre connaissance et d'après votre expérience, un toxicomane est-il plus susceptible de s'en sortir s'il s'engage volontairement à recevoir un traitement? Comment cela se comparerait-il à quelqu'un qui est obligé de suivre un traitement pour sa toxicomanie?

M. Oscapella: Monsieur Szabo, je ne crois pas être qualifié pour parler de questions de traitement car je ne suis pas un spécialiste en la matière. Je suis un avocat et j'examine cette question sous un angle légèrement différent. Je ne crois pas que l'association ait pris position sur cette question mais il ne fait aucun doute que certaines personnes ont abordé cette question.

M. Szabo: Vous n'êtes pas au courant de la croyance populaire concernant le traitement de la toxicomanie?

M. Oscapella: Je risquerais de mal vous renseigner si je devais faire des conjectures à ce sujet. Par conséquent, je m'abstiendrai.

M. Szabo: D'accord.

.1005

Mme Fjeld: Je pourrais peut-être essayer de vous renseigner tant bien que mal, non pas au nom de l'association mais simplement à titre personnel. Je travaille à l'heure actuelle avec environ 75 jeunes contrevenants qui viennent recevoir des services cliniques dans une grande mesure de leur plein gré. Je crois que le fait qu'ils viennent suivre ce traitement de leur plein gré en accentue les bénéfices dans la mesure où un client a l'impression d'avoir un certain contrôle sur l'intervention qui lui est offerte.

Il ne fait aucun doute que les membres de la famille, les responsables scolaires et les êtres chers d'une personne offrent le type d'encouragement qui incite le jeune à essayer de faire face à son problème. D'après notre expérience, les traitements ordonnés par le tribunal ou les traitements obligatoires ne donnent pas souvent les résultats escomptés.

M. Szabo: Je trouve cet aveu intéressant... Non, je ne dirai rien.

J'aimerais poser ma deuxième question, monsieur le président. La dernière fois que M. Oscapella a comparu, j'avais bien dit que je n'étais pas sûr de sa position sur la question et qu'il n'avait pas le courage de nous en faire part. Il a répété devant le comité qu'il n'appuie pas les lois actuelles sur les drogues au Canada parce qu'elles sont axées sur la criminalisation. Il a toutefois déclaré - et il n'est pas prêt à nous en dire plus - qu'il est favorable à la recherche de solutions de rechange. Mais vous constaterez, monsieur le président, qu'il n'a pas précisé en quoi elles pourraient consister. On sait ce qu'on ne veut pas sans pour autant savoir ce qu'on veut.

J'aimerais demander à Jane, parce qu'elle s'est dit prête à nous communiquer certaines idées en déclarant qu'il est temps d'envisager certaines solutions traditionnellement considérées radicales. J'aimerais demander à Jane de bien vouloir indiquer au comité en quoi consistent les solutions radicales en question au problème de drogues au Canada.

Mme Fjeld: Je pense qu'il existe toute une gamme d'options qui peuvent être envisagées. Pour commencer, il est clair que la recherche sur la toxicomanie et sur les traitements les plus efficaces ne remonte qu'aux 10 ou 15 dernières années au cours desquelles on a élaboré une méthodologie méticuleuse, capable de résister à une analyse rigoureuse.

À bien des égards, je crois que le domaine de la toxicomanie en est à ses premiers balbutiements, mais je crois qu'il existe, à l'échelle internationale, des études qui démontrent l'efficacité des programmes d'entretien à la méthadone. Je pense que nous devons examiner certains des programmes de réduction des méfaits qui existent pour faire passer les toxicomanes d'une forme de consommation de drogues à une autre.

Je ne suis pas une spécialiste en toxicomanie et d'autres personnes qui ont comparu devant ce comité peuvent sans doute en parler mieux que moi. Mais probablement l'une des notions les plus radicales que nous devons sérieusement envisager est d'éviter de punir les toxicomanes aussi sévèrement que nous le faisons, ce qui vaut aussi pour la façon dont le système de justice pénale traite la possession et l'utilisation de drogues, et de tenir compte des circonstances atténuantes des personnes qui se trouvent devant les tribunaux.

Nous sommes donc ouverts d'esprit et prêts à examiner les solutions qui fonctionnent. Eugene aimerait peut-être ajouter quelque chose.

M. Oscappella: Oui. Monsieur Szabo, j'aimerais répondre à votre commentaire selon lequel je n'ai pas de solutions de rechange. Vous avez devant vous environ 400 pages de documents qui traitent de solutions de rechange.

Lorsque j'ai comparu devant le comité sénatorial l'année dernière, j'avais participé à l'élaboration d'une série de propositions législatives en vue d'amender le projet de loi C-8. Nous avons en fait rédigé les amendements au projet de loi C-8. Ils vous ont été présentés le 22 octobre lorsque la Canadian Foundation for Drug Policy a comparu devant vous. Nous avons une abondante documentation qui traite de solutions de rechange, monsieur. Je peux vous assurer que nous nous ferons un plaisir de les étudier avec vous.

Je peux vous assurer que nous travaillons tous dans le même sens. Nous avons différents moyens d'y parvenir mais nous travaillons dans le même sens. Je me ferai un plaisir de mettre cette documentation à la disposition des attachés de recherche du comité et d'en discuter de façon approfondie avec les membres du comité que cela intéresse. Nous avons des solutions concrètes. Il s'agit de propositions législatives. Nous avons aujourd'hui à notre disposition de nombreuses solutions de rechange qui devraient être examinées.

.1010

Je tiens à signaler que le coroner en chef de la Colombie- Britannique, Vince Cain, considère que le moment est venu d'agir et qu'il y a d'ailleurs suffisamment d'information qui le corrobore. Nous n'avons pas besoin d'une foule de nouvelles études. Je me ferai un plaisir de vous fournir aussi ce document.

[Français]

M. Dubé (Lévis): Il faut faire une différence entre une drogue dure et une drogue légère. À mon avis, si on ne fait pas la distinction entre les différents types de drogues, on se trompe.

Selon moi, la marijuana et le haschisch ne devraient pas être traités de la même façon que les drogues dures. Qu'en pensez-vous? Par contre, je suis très perplexe en ce qui a trait à une éventuelle décriminalisation des drogues dures comme l'héroïne, qui peut finir par détruire la vie de quelqu'un. Il me semble qu'il faut prendre des moyens très efficaces pour lutter contre cela.

[Traduction]

M. Oscappella: Monsieur Dubé, il faut examiner le mécanisme qui sera le plus efficace pour réduire les effets néfastes de ces drogues, ce qui laisse supposer qu'il faudra peut-être recourir à différents régimes réglementaires selon la qualité des drogues. Nous ne voudrions sûrement pas que des gens prennent le volant en état d'ébriété ou sous l'influence d'un antidépresseur, du Valium ou de substances du même genre. Il est vrai que dans certains cas, il y a des drogues qui améliorent la performance, entre autres chez les sportifs. C'est un fait.

Nous devons traiter chaque drogue séparément. Je ne crois pas que nous aiderons les gens en faisant d'eux des criminels.

Prenons l'exemple de l'héroïne. L'héroïne est considérée comme une drogue dure et elle peut effectivement créer une accoutumance qui risque de devenir très pénible. Mais il est possible de continuer à utiliser l'héroïne le reste de sa vie si on arrive à en trouver une source propre et sûre. C'est une drogue relativement inoffensive si elle provient d'une source propre et sûre.

L'accoutumance demeure et c'est ce que nous tâchons d'éviter. Cependant, c'est surtout parce que l'utilisation de l'héroïne est criminalisée qu'elle cause autant de torts aujourd'hui. On peut se la procurer uniquement sur le marché noir, on ignore dans quelle mesure la substance obtenue est pure. Elle peut être pure à 10 p. 100 ou à 95 p. 100. Le risque de surdose est donc très grand. On ignore quels sont les produits avec lesquels cette drogue a été adultérée et on l'utilise dans des circonstances qui sont très dangereuses, surtout si on se sert de seringues sales.

À mon avis, ce sont de plus grands risques que l'utilisation de l'héroïne même. C'est l'environnement dans lequel ces drogues sont utilisées qui les rendent en fait plus problématiques.

Cela dit, je pense que nous devrions probablement envisager un régime réglementaire différent pour différentes drogues. Nous devrions examiner les qualités de chaque drogue tout comme nous le faisons à l'heure actuelle avec le tabac et l'alcool. Nous devrions probablement examiner les mécanismes qui réduisent les risques liés à la consommation du tabac, qu'il s'agisse de l'étiquetage des produits du tabac ou des produits de l'alcool, comme M. Szabo l'a laissé entendre. Si cela permet de réduire les risques liés à la consommation de ces drogues en particulier, ce pourrait être une solution efficace.

L'étiquetage n'est peut-être pas aussi efficace pour d'autres types de drogues. Nous l'ignorons. Je sais que M. Szabo a traité assez longuement de la question de l'étiquetage et qu'il est bien informé sur la question. Tout ce que nous voulons, c'est trouver le meilleur régime réglementaire et nous considérons que le système de justice pénale n'est pas le meilleur régime qui soit pour réduire les risques liés à la consommation de drogue dans la société.

Le président: Notre temps est écoulé. Je tiens à remercier les représentants de l'Association canadienne de justice pénale de s'être joints à nous.

J'aimerais demander l'indulgence du comité un instant. Pendant que nous avons le quorum, j'aimerais, si possible, que nous traitions brièvement de deux questions. Si cela risque de prendre du temps, nous ne le ferons pas car nous avons d'autres témoins à entendre. Je vais vous indiquer quelles sont ces questions et si nous pouvons les régler rapidement, nous le ferons tout de suite avant d'entendre le prochain témoin. Entre-temps, j'invite les témoins à prendre place à la table.

.1015

Je crois qu'il s'agit de deux questions strictement d'ordre administratif mais je vous laisse en décider. La première, c'est que lors de nos audiences sur le projet de loi C-71, nous avons commandé des repas mais avons omis de présenter une motion pour en couvrir le coût. Je vous demanderais de bien vouloir éviter la prison à notre greffier en adoptant la résolution suivante:

M. Volpe: La première partie me plaît.

M. Martin (Esquimalt - Juan de Fuca): Combien coûterait l'incarcération du greffier?

Des voix: Oh, oh!

M. Dubé: Je n'ai aucune objection. Je suis d'accord.

Le président: Êtes-vous tous d'accord?

Des voix: D'accord.

Le président: L'autre question, c'est que nous avons reçu une lettre de John Solomon, du NPD. Il s'agit d'une copie d'une lettre adressée à Bob Kilger, le whip du gouvernement et elle se lit comme suit:

Je vous écris à titre de whip du NPD, pour vous demander de retirer Svend Robinson, député de Burnaby - Kingsway, du Sous-comité de la santé sur le VIH et le sida.

Je crois comprendre qu'il nous faut une motion pour rendre cette mesure officielle. Je propose donc qu'à la demande du whip du NPD, Svend Robinson soit retiré du Sous-comité de la santé sur le VIH et le sida.

M. Volpe: Ce comité a présenté son rapport qui a été accepté, puis renvoyé à notre comité. Depuis, il a disparu.

M. Szabo: Non, il est toujours à l'étude. Nous avons une réunion mercredi prochain pour en étudier la version finale.

Je présente une motion en ce sens, monsieur le président.

La motion est adoptée

Le président: Nous accueillons maintenant la Ligue antiprohibitionniste du Québec. Mon français laisse à désirer mais nous vous souhaitons la bienvenue. Si vous pouviez simplement vous présenter et nous faire une brève déclaration, après quoi nous vous poserons des questions.

[Français]

M. Jean-Claude Bernheim (président, Ligue antiprohibitionniste du Québec): Merci, monsieur le président. Je m'appelle Jean-Claude Bernheim et je suis accompagné de M. Michel Lalancette, vice-président de la Ligue.

On va vous présenter un petit mémoire qui est strictement en français pour l'instant, mais il sera traduit. Je vais vous résumer l'idée qu'on veut vous présenter aujourd'hui. On ne répétera pas ce qu'on a déjà dit devant le comité lorsqu'on a comparu antérieurement. On est en faveur de la décriminalisation des drogues et de leur légalisation. Elles pourraient être traités comme des médicaments disponibles sur ordonnance ou quelque chose de ce genre.

L'idée qu'on voudrait développer aujourd'hui, compte tenu du débat qui entoure la question des drogues et particulièrement de l'aspect de la santé, est la mise sur pied par le Comité permanent de la santé d'un comité permanent de réflexion sur les psychotropes.

Si on veut que les choses puissent évoluer dans la société, il est très important que le public puisse être convenablement informé, mais aussi qu'il y ait un débat vraiment public où les discours, les idées et les points de vue puissent être présentés et partagés par l'ensemble des canadiens.

Actuellement, les processus publics disponibles sont assez peu accessibles. Par exemple, un comité comme le vôtre est public mais relativement peu accessible aux citoyens en général et la diffusion d'information est assez limitée.

On voudrait aussi mettre l'accent sur un aspect déterminant dans une société démocratique. Pour nous, la question des drogues relève d'abord et avant tout du comportement personnel des gens. Il s'agit de décisions que les gens prennent. Elles ne son pas toujours éclairées, on en convient, mais ce sont des décisions personnelles qui mettent en jeu leur corps et leur individualité, avec des risques, on en convient aussi.

Cependant, il faut bien voir que la consommation de toute substance dans la société est fondée sur la liberté individuelle, et on peut voir que la prise en charge de la liberté individuelle a beaucoup changé.

.1020

Prenons l'exemple de l'homosexualité et de l'avortement, qui étaient des crimes antérieurement et qui ne le sont plus maintenant. À cet égard, il y a eu un débat public et une évolution au niveau des libertés individuelles.

Les jeux de hasard sont aussi des formes de consommation dans la société. On sait que cela peut créer des dommages très importants au niveau des individus et des familles. Cela était criminalisé antérieurement et ce ne l'est plus maintenant. D'ailleurs, cela rapporte beaucoup à l'État.

D'autres exemples pourraient être cités. Nous voulons surtout mettre en évidence le fait que l'État a la responsabilité de permettre aux gens d'être informés sur les conséquences de leurs décisions. Ce n'est pas par des mesures restrictives ou coercitives qu'on pourra informer les gens et les amener à prendre des décisions convenables par rapport à la gestion de leur propre vie.

La boulimie, un problème qu'on rencontre dans la société, est une surconsommation d'aliments, qui peuvent être sains ou malsains. C'est simplement une question de dosage. Va-t-on un jour réglementer la consommation de nourriture et criminaliser la boulimie? C'est la question qu'on pose par rapport aux drogues. C'est pour cela qu'on suggère que, dans le contexte actuel, il y ait un comité de réflexion qui soit régionalisé et qui permette aux citoyens de s'exprimer et d'obtenir de l'information.

Quant à la façon de réagir dans un court terme par rapport à la surconsommation de certains psychotropes, on privilégie la mise en place de programmes de réduction des méfaits. Ces programmes ne régleront pas nécessairement tous les problèmes, mais minimiseront au maximum les conséquences négatives.

À titre d'exemple, on soutient la résolution de Francfort. Des programmes ont été adoptés par certaines municipalités, en Europe particulièrement, qui permettent l'accès à des drogues de substitution ou même à des drogues comme telles, mais dans une perspective de santé publique. Nous sommes ouverts à vos questions.

Le président: Monsieur Dubé.

M. Dubé: Vous êtes devant un comité dont la tâche, à la suite de l'adoption de la loi l'an dernier, est de réviser la réglementation ayant trait aux drogues. Ce n'est pas un comité qui est chargé d'influencer le gouvernement ou de modifier la loi. Vous êtes conscient que c'est notre mandat actuel.

Dans ce cadre-là, j'ai de la difficulté à situer votre propos, car il s'inscrit dans le cadre de la présentation d'une loi tout à fait nouvelle plutôt que dans celui de modifications à une réglementation. Vous ai-je bien compris?

M. Michel Lalancette (vice-président, Ligue antiprohibitionniste du Québec): Nous considérons que la loi actuelle est inadéquate. Si on veut vraiment résoudre le problème ou améliorer la situation qui existe aujourd'hui en ce qui a trait aux psychotropes, il va falloir changer la loi.

Cependant, dans le cadre de la loi actuelle, on pourrait quand même adopter des mesures de réduction des méfaits. On pourrait même aller jusqu'à distribuer de l'héroïne ou de la cocaïne dans certains cas. On pourrait ne pas craindre de faire consommer du cannabis à un héroïnomane qui suit un programme de méthadone parce qu'il a de petits frissons, de petits malaises et que le cannabis lui fait du bien. Autrement dit, on pourrait faire ce qui se fait ailleurs dans le monde, en Hollande, en Angleterre, etc. On sait très bien qu'un héroïnomane peut fonctionner tout en s'administrant de l'héroïne, tout comme un cocaïnomane.

Il ne faut pas avoir peur de commettre des erreurs. On peut essayer beaucoup, beaucoup de choses. Il y a beaucoup de choses qui se passent en ce moment sur la planète, choses qu'on pourrait adopter ici. Il ne faut pas craindre de faire des erreurs. Chaque problème de surconsommation est différent de l'autre et il faut être capable d'adapter nos programmes en fonction de cela.

Je me résume peut-être un peu mal, mais il y a quand même des cues qui ont été lancés. Je pourrais peut-être vous éclairer à ce niveau-là.

Si nous parlons d'un comité de réflexion permanent, c'est que nous considérons que les psychotropes présentent un problème qui est là aujourd'hui, qui était là hier et qui sera là demain. Donc, il faut qu'il y ait toujours une équipe de gens qui se préoccupent de la situation qui évolue.

.1025

Aujourd'hui on trouve une solution, mais cela ne veut pas dire que la solution d'aujourd'hui sera encore bonne dans un mois ou deux. Un individu au Canada aura peut-être une autre idée, un membre de votre comité pensera peut-être à autre chose, et on progressera. On essaie toujours d'aller vers le mieux, vers le bien. C'est cela, l'idée.

M. Bernheim: Il faut se rappeler que la distribution d'aiguilles et de seringues se pratique actuellement. Selon la philosophie de la loi actuelle, c'est totalement illégal, mais on a une pratique qui permet à des gens de s'injecter des drogues d'une manière plus sécuritaire.

Il ne faut pas agir en hypocrites. Si un gouvernement adopte une philosophie et que cette philosophie est traduite dans la loi, mais qu'il y a une distorsion au niveau de la pratique, quel message envoie-t-on au public et aux personnes directement concernées? Ce message a un double sens et cela a pour résultat d'éliminer complètement la possibilité de faire une action préventive et à long terme.

Si on cesse d'être hypocrites et qu'on adopte des projets, des moyens et des solutions, qui ne seront pas parfaits puisque rien n'est parfait sur terre, qui auront pour conséquence de faire que la société soit plus juste et que les effets négatifs de la surconsommation de certains psychotropes soient diminués, on pourra dire que l'État aura fait ce qu'il était possible de faire. Mais il ne faut pas oublier que tout cela s'insère dans un contexte de libertés individuelles. Peut-on penser intervenir un jour dans le cerveau des gens pour qu'ils agissent comme l'État voudrait qu'ils le fassent?

M. Dubé: Je pense à Touraine, un sociologue français qui disait que l'adoption d'une loi était la phase finale d'un changement et que le début du changement était le débat dans la société. J'ai l'impression que le débat dont vous parlez ne se fait pas de façon suffisante dans la société. La population n'est pas prête à accepter tout ce que vous dites.

Personnellement, je suis très ouvert à ce que débat-là se fasse. Cependant, je suis obligé de vous dire que vous êtes devant un comité formé de députés dont le mandat, qui leur a été confié par la Chambre des Communes, est de réviser la réglementation à la suite de l'adoption d'une loi. Vous, vous nous parlez de changer la loi.

M. Bernheim: Non, non, pas du tout. On vous parle du principe sur lequel l'État et le comité doivent se fonder pour prendre des décisions. Il y a deux principes. Le premier, c'est l'information. Vous venez de dire que les gens ne sont pas suffisamment informés. On vous fait la proposition concrète de mettre sur pied un comité permanent dont le mandat serait justement de permettre le débat public et donc l'information du public. Un tel comité n'existe pas pour l'instant et il serait possible d'en créer un. Deuxièmement, vous dites que les lois sont l'ultime aboutissement d'une situation à la suite d'un consensus social. C'est faux.

Toute analyse approfondie du processus législatif démontre que ce dernier est en retard sur l'esprit des gens. La preuve en est que des sondages ont été faits par rapport au cannabis, sondages qui disent que la majorité des gens seraient prêts à la légalisation du cannabis. Les sondages qui ont été faits donnent ces résultats-là.

Ce n'est pas vrai que les gens réclament plus de répression. Le problème par rapport à l'opinion publique...

M. Dubé: Je suis d'accord en ce qui a trait à la marijuana et même au haschisch, mais pour le reste...

M. Bernheim: La nouvelle loi qui a été adoptée va à l'encontre de cette opinion publique majoritaire que vous reconnaissez vous-même. Donc, la situation n'est pas conforme à l'opinion publique et elle concrétise la dimension hypocrite de l'action de l'État. Par exemple, pour ce qui est de la question des seringues, on va dans un sens contraire à la loi.

.1030

On peut dire qu'on est faveur de programmes de réduction des méfaits et on l'explique, mais l'État, pour l'instant, ne s'est pas donné les moyens de faire valoir sa politique. Il faut admettre que l'État exploite actuellement une insécurité au niveau de l'opinion publique, une insécurité fondée sur la désinformation.

Tout le monde sait que certains gouvernements dans le monde fonctionnent à partir de revenus provenant des drogues. Ces gouvernements s'entendent bien avec le gouvernement canadien et ce dernier ne dénonce jamais le fait que ces personnes et ces États contreviennent aux normes des Nations unies. Il faut cesser l'hypocrisie par rapport à la question des drogues. Il s'agit d'un problème social important.

Il s'agit d'une réalité à laquelle il faut faire face. On sait pertinemment, et l'expérience l'a prouvé, que la répression n'est pas la façon de réduire les aspects négatifs. À titre d'exemple, au Québec, le taux d'alcoolisme est inférieur à celui de l'ensemble du Canada; pourtant, le Québec est aussi la province où l'alcool est le plus accessible au Canada. Il n'y a pas nécessairement de lien entre l'accessibilité d'un produit et sa consommation.

L'accessibilité du produit permet l'information du public. Le fait de rendre un produit inaccessible rend l'information difficile à transmettre. C'est dans ce contexte qu'il faut que la réglementation soit faite. On peut la faire à partir de balises restreintes, limitatives, mais si on veut être productif, il faut admettre la réalité.

[Traduction]

Le président: Nous avons un petit problème. Nous avons une autre série de témoins à entendre et tout le monde autour de la table veut poser des questions à ces témoins-ci. Je suis entre vos mains car nous devrions lever la séance d'ici 11 heures. Je vous propose d'interroger ce témoin-ci et de ne pas entendre l'autre, qui se trouve dans la salle, ou de faire vite avec ce témoin-ci, puis de passer au suivant.

Dans cet ordre: Keith, Paul, Joe et Harb.

M. Martin: Je céderai mon tour à mes collègues.

Le président: Je vous remercie.

Paul, Joe, Harb.

M. Szabo: Je n'ai qu'une question. Seriez-vous prêts à appuyer une stratégie prévoyant la participation, d'une façon ou d'une autre, du gouvernement du Canada au contrôle et à la réglementation des drogues, en ce qui concerne leur production et leur distribution, afin qu'elles soient plus sûres, moins chères et n'entraînent aucune forme de criminalisation? Seriez-vous partisans d'une telle approche?

[Français]

M. Bernheim: C'est ce qu'on préconise depuis le début. C'est tout à fait cela qu'il faut. Il faut aller plus loin que dans le cas de l'alcool, dans une certaine mesure, mais avec des balises similaires. Il faut des contrôles de qualité et...

[Traduction]

M. Szabo: Parleriez-vous de décriminalisation?

[Français]

M. Bernheim: Évidemment, il faut que ce soit de la décriminalisation en ce sens qu'il ne faut pas que le pénal puisse intervenir. Il faut que les dimensions médicale et sociale interviennent.

[Traduction]

M. Szabo: J'ai une dernière question, monsieur le président.

Messieurs, si l'on disait aux jeunes que les drogues, interdites à l'heure actuelle vu qu'elles sont des substances illégales, peuvent être maintenant consommées en toute légalité et que le gouvernement les leur fournira en toute sécurité, à bas prix et ainsi de suite, ce qui entraînera une réduction des préjudices, croyez-vous qu'alors la consommation chez les jeunes augmenterait ou diminuerait?

[Français]

M. Bernheim: D'après moi, la consommation diminuerait. Évidemment, la décriminalisation et la légalisation ne doivent pas se faire nécessairement dans une perspective de promotion. Actuellement, par exemple, il y a beaucoup de médicaments comme le valium ou d'autres produits de ce genre qui existent et qui peuvent être obtenus seulement sur ordonnance. Tout le monde sait que cela existe. Il n'y a pas de trafic de valium sur une grande échelle, que je sache.

.1035

Ce n'est donc pas le fait qu'un produit soit non criminalisé ou qu'il soit légal, mais le fait qu'il puisse être contrôlé. Si les produits étaient accessibles et contrôlés par l'État, le nombre de produits disponibles serait probablement beaucoup moins grand. Il pourrait aussi y avoir des interventions d'ordre médical pour faire en sorte que les gens aient de l'information. Ça ne se fait certainement pas du jour au lendemain, mais ça peut se faire dans un délai relativement court et efficace.

[Traduction]

Le président: Keith a une question.

M. Martin: Monsieur, vous dites qu'il ne se fait pas de trafic de Valium. Savez-vous que les comprimés de 10 mg de Valium se vendent 5 $ sur le marché noir et que, pour les comprimés de Demerol, un autre narcotique légal, on parle de 50 $ le comprimé? Et la liste s'allonge que vous parliez de ces médicaments ou d'amaigrisseurs qui sont des congénères d'amphétamines. Toutes ces soi-disant drogues légales rapportent des profits énormes sur le marché noir. Êtes-vous conscient de ce qui se passe?

[Français]

M. Bernheim: Il est sûr que cela existe. Une foule de choses existent, la corruption existe, toutes sortes de situations dramatiques existent. On peut toutefois penser que dans la mesure où la répression est moins systématique ou moins draconienne, on se retrouvera avec un effet moins dommageable dans l'ensemble.

Rappelons-nous la prohibition aux États-Unis, qui a eu comme conséquence des milliers de morts. On est confrontés exactement au même type de problème.

[Traduction]

M. Martin: Il ne s'agit pas de prohibition, monsieur. M. Szabo a fait une remarque très pertinente: il vous a demandé si vous ne croyez pas que la légalisation de ces substances fera augmenter la consommation. Je crois très fermement, monsieur, que celle-ci augmenterait et je vous cite en exemple toutes les soi-disant drogues légales qui sont vendues à l'heure actuelle sur le marché noir et qui sont de plus en plus accessibles autrement que par ordonnance médicale.

[Français]

M. Lalancette: Regardons ce qui s'est passé en Hollande, le seul endroit sur la planète où existe vraiment une tolérance à l'égard du cannabis et de ses dérivés. Au moment où on a ouvert les portes au cannabis, il y a eu une surconsommation, une augmentation de la consommation qui s'est par la suite stabilisée et a finalement chuté. Plus tard, on y instaurait des programmes de distribution d'héroïne; on faisait attention dans le cas des drogues dures et on expliquait aux gens ce qui se passait. À mon avis, leur système fonctionne beaucoup mieux que le nôtre, bien qu'il ne soit pas parfait. Je pense que le Canada pourrait faire encore mieux que la Hollande. Nous ne pourrons pas du jour au lendemain légaliser toutes les drogues; il faudra vraisemblablement le faire étape par étape.

Il est évident qu'aux yeux du public, si demain matin le gouvernement légalisait les drogues, ce serait drôle parce que depuis 1908, au Canada, on dit que les drogues, c'est le diable, que ce n'est pas bon, que c'est du poison. Si tout à un coup le gouvernement disait que c'est encore du poison, que ce n'est pas encore bon, mais qu'il légalisait la drogue, on se demanderait pourquoi. Il pourrait répondre que c'est parce qu'on veut la contrôler, la gérer, en gérer la qualité, et pour être mieux en mesure de suivre ceux qui ont des problèmes de toxicomanie. Il ne faut pas oublier la personne qui souffre de toxicomanie, qui consomme un peu trop. Il y a aussi des personnes qui consomment et qui n'éprouvent aucun problème.

Vous pouvez prendre une ligne de cocaïne sans nécessairement développer une dépendance à l'égard de cette drogue. Vous le savez sans doute.

[Traduction]

M. Martin: Nous pouvons discuter plus à fond de cette question plus tard et j'aimerais que nous le fassions, mais je vous remercie.

[Français]

M. Lalancette: J'aimerais donner deux exemples en terminant.

[Traduction]

Le président: Je suis désolé, mais nous avons déjà eu amplement de temps. L'un des problèmes qui se pose c'est que les témoins ont pris pas mal de temps pour répondre à chaque question et que nous n'avons donc pas eu la chance d'en laisser intervenir d'autres.

J'aimerais que les membres du comité me guident un peu. Passons-nous au prochain témoin?

M. Volpe: Me permettez-vous une observation très rapide. Même si je trouve l'échange que nous avons ici assez instructif, je veux vous communiquer quelques chiffres parce que vous avez dit que le Québec est la société la plus ouverte mais qu'il n'existe aucun lien entre, par exemple, l'ouverture d'esprit face à l'alcool et la consommation.

Une étude réalisée en 1995 sur la consommation d'alcool et d'autres drogues au Canada révèle que du sixième rang que le Québec occupait parmi les provinces, à partir de 1989, en ce qui a trait à la consommation d'alcool, il a fait un saut au troisième rang en 1994. On signale dans cette même étude que le Québec se classe au deuxième rang pour ce qui est de la consommation de marijuana et de haschich dans tout le Canada, une consommation beaucoup plus élevée que dans presque toutes les autres provinces à l'exception de la Colombie-Britannique, qui a ses propres raisons d'occuper ce rang. Je les place là pour que vous puissiez y jeter un coup d'oeil.

.1040

Vous avez aussi utilisé une série d'adjectifs et de mots qui m'amènent à me poser une autre question. À l'instar de M. Martin, j'aimerais poursuivre davantage cette conversation, mais je me rends bien compte des problèmes de logistique qui se posent.

Vous avez omis de poser une question. Vous avez insisté sur deux principes que je ne suis pas sûr d'accepter, mais j'aimerais vous en proposer deux autres. Il s'agit tout d'abord de se demander si la consommation de ces drogues est bonne ou mauvaise pour la personne et si nous avons le droit de considérer que c'est bon ou mauvais pour la collectivité ou la société dans son ensemble. Deuxièmement, quelles sont les causes profondes de l'augmentation de la consommation dont nous sommes témoins et avons-nous le droit d'arrêter les gens de consommer? Si nous intervenons et essuyons un échec, que faisons-nous à ce moment?

Peut-être que si nous répondons à ces questions, nous pourrons alors nous occuper de mots comme ceux que vous avez utilisés: action préventive, infection, répression, tolérance ou exploitation de l'insécurité, voire hypocrisie. Je ne pense pas que nous puissions utiliser ces mots tant que nous ne nous serons pas penchés sur ces deux principes plutôt que sur les deux que vous avez avancés.

[Français]

M. Bernheim: On ne peut pas dire que la surconsommation de drogues est un bien. C'est indéniablement un mal. Comme je le disais plus tôt, la boulimie est aussi un mal. Nous devons nous demander comment faire pour essayer de diminuer ses effets négatifs dans une société.

Nous soutenons que la répression n'est pas la solution. C'est ce que nous faisons depuis 1908 et, comme vous le dites, la consommation augmente. Ce n'est évidemment pas un moyen efficace d'obtenir la solution la moins dommageable possible. Je ne pense pas qu'on puisse en arriver à une société où il n'y aurait plus aucune surconsommation de quelque produit que ce soit, y compris les drogues actuellement considérées comme illicites.

Quant aux autres principes, je pense qu'on applique effectivement un double discours lorsqu'on parle de prévention. Nous savons pertinemment que dans ce contexte, nous ne sommes pas vraiment capables de faire de la prévention. Nous n'avons qu'à regarder la question du tabac. Le tabac est encore actuellement, mais peut-être pas pour très longtemps, une substance légale. On peut faire de l'information auprès des jeunes, et on voit que quand elle est faite dans un certain contexte, elle est efficace. On peut penser que si demain matin le tabac devenait illégal, toute cette prévention deviendrait difficile à faire parce que le problème de fond, c'est que les gens qui consomment ces produits légalement le feraient de manière cachée et ne seraient donc pas accessibles au niveau de l'information.

[Traduction]

Le président: Je vous remercie beaucoup. Nous invitons maintenant le dernier groupe de témoins à nous rejoindre à la table.

[Français]

M. Lalancette: Pourrais-je ajouter quelques mots?

[Traduction]

Le président: J'en doute, mais essayez.

[Français]

M. Lalancette: L'alcool est un psychotrope, tout le monde le sait. Pourquoi donner un statut particulier à l'alcool au détriment des autres psychotropes? Il y a là une discrimination flagrante. Nous administrons très bien l'alcool alors qu'il est légal. Nous serions capables d'en faire autant avec les autres psychotropes, parce que l'alcool en est un vrai.

[Traduction]

M. Volpe: Nous cherchions simplement à valider votre argument.

.1045

Le président: Je veux d'abord m'adresser aux membres du comité. À l'impossible nul n'est tenu. Si vous voulez entendre quatre groupes de témoins par réunion, à raison d'une demi-heure chacun, vous devez observer les règles du jeu et vous en tenir à la demi-heure. Je veux bien être l'ami de tout le monde. Lorsqu'une personne dépasse toujours de huit minutes le délai fixé, je me demande si elle sait elle-même ce que cela signifie. Si nous devons entendre quatre groupes de témoins, observons les règles du jeu et accordons une demi-heure à chacun. Lorsque la demi-heure est écoulée, ayez l'amabilité de céder votre place pour que nous puissions passer au groupe suivant.

Par chance, il n'y a pas d'autre séance de comité prévue ici à 11 heures, mais nous avons d'autres engagements. Je dois assister à une autre réunion à 11 heures.

Mon second point s'adresse aux témoins en général, pas nécessairement à ceux qui sont ici à la table. Si nous devons avoir un échange, nous ne pouvons tout simplement pas continuer comme nous l'avons fait jusqu'à maintenant en acceptant de très longues réponses à chaque question. L'objet de cet échange n'est pas de dire tout ce que nous savons, parce que dans certains cas, cela pourrait prendre 15 minutes de plus, dans mon cas à tout le moins. Nous n'avons pas à dire tout ce que nous savons. Tous les témoins qui viennent à la table sont libres de nous donner un mémoire, si long soit-il, mais n'ont pas à penser qu'ils doivent dire tout ce qu'ils savent sur le sujet. Si l'on vous pose une question, essayez d'y répondre brièvement en toute justice pour les autres témoins et les autres membres qui veulent poser des questions.

Les choses se sont pour ainsi dire détériorées. C'est l'une de mes pires expériences en comité. C'est arrivé parce que personne n'a respecté les règles du jeu, essentiellement. J'en appelle donc aux témoins et aux membres du comité pour qu'ils essaient de tenir compte des contraintes d'horaire qui nous sont imposées. Nous aimerions entendre les gens à n'en plus finir. Mais nous n'en avons pas le temps ni l'argent.

Nous passons maintenant à l'Association des infirmières et infirmiers du Canada. Croyez-nous, nous sommes heureux de vous recevoir, mais nous n'avons tout simplement pas beaucoup de temps pour vous écouter. S'il y a des députés qui peuvent rester après 11 heures, nous étirerons un peu la séance, à la condition que vous puissiez rester vous aussi.

Rachell, vous êtes la présidente. Je vous souhaite la bienvenue. Veuillez présenter vos collègues, faire une déclaration, le cas échéant, et nous donner le temps de vous poser quelques questions.

Mme Rachell Bard (présidente, Association des infirmières et infirmiers du Canada): Je vous remercie, monsieur Simmons.

En réalité, les infirmières et infirmiers sont reconnus pour leur très grande efficacité et leur très grande rapidité. Nous nous efforcerons donc de respecter le délai qui nous a été fixé.

[Français]

Je m'appelle Rachell Bard et je suis présidente de l'Association des infirmières et infirmiers du Canada. Je travaille aussi à titre de directrice générale de la division des Services de la santé mentale au Nouveau-Brunswick. Le sujet à l'ordre du jour en est un que je suis de près.

Je suis accompagnée de Mme Mary Ellen Jeans, directrice générale de l'Association des infirmières et infirmiers du Canada. Nous sommes très heureuses que le comité ait entrepris cette étude sur les politiques relatives aux drogues et à l'alcool et qu'il nous ait invitées à y participer.

[Traduction]

Nous aimerions commencer par vous faire entendre une courte bande radio promotionnelle de la Société Radio-Canada pour laquelle un comité indépendant a décerné un prix média, tout juste la semaine dernière. Je crois que cette bande radio, intitulée «Downtown Nursing», vous donnera, de façon très graphique, une idée des défis qu'il nous faut relever en matière de toxicomanie.

Le président: D'accord.

[Présentation audio]

.1050

Mme Bard: Ce clip que vous venez juste d'entendre vous donne un aperçu de la journée de travail d'une infirmière ou d'un infirmier de la santé publique affecté au centre-ville de Vancouver.

La question de la toxicomanie va bien au-delà de l'utilisation de drogues illicites par les marginaux des rues. Une admission sur trois dans les hôpitaux est liée à l'abus de la drogue ou de l'alcool. Les infirmiers et infirmières sont témoins de tous les effets dévastateurs de la toxicomanie dans la vie des Canadiens. Il faut aussi ajouter l'énorme coût économique en ce qui a trait aux soins de santé et à la productivité, sans compter la souffrance humaine.

[Français]

En plus de participer à des programmes d'hygiène publique et d'enseignement, les infirmières s'intéressent aux programmes de prévention, aux traitements et à la recherche. Entre autres exemples de notre travail, nous assurons un enseignement aux personnes âgées sur leurs médicaments. Nous dirigeons des programmes de sevrage de tabac et d'échange d'aiguilles. Nous faisons de l'enseignement dans les écoles, du counselling auprès des personnes ayant des problèmes d'abus d'alcool et de drogue et nous travaillons avec les communautés pour élaborer des politiques qui permettent de prévenir l'abus d'alcool et d'autres drogues.

[Traduction]

Nous aimerions que le comité examine soigneusement la question de l'usage de l'alcool, du tabac et des médicaments vendus sur ordonnance. Ces derniers continuent d'être la plus grande source d'abus d'intoxicants et, pourtant, notre société est devenue indulgente en ce qui a trait à leur utilisation. Nous nous inquiétons plus particulièrement du mauvais usage et de l'abus des médicaments vendus sur ordonnance. Cette situation est souvent attribuable au manque d'information sur l'efficacité des médicaments et ou leur bonne utilisation, au manque d'imputabilité en ce qui a trait au système et à la confusion qui règne au sujet des produits de noms et d'emballages similaires.

Nous nous inquiétons énormément de l'augmentation du tabagisme, en particulier chez les quinze à dix neuf ans. Nous devons nous donner comme objectif de ramener les infirmières dans nos écoles publiques et secondaires si nous voulons rejoindre les enfants et les jeunes et servir de contact.

J'aimerais signaler aux membres du comité que, alors que nous parlons entre autres de drogues illégales, il y a certains médicaments en vente libre... Dernièrement, les jeunes achètent en fait des comprimés Gravol pour essayer d'obtenir un high. Je crois qu'il faut vraiment accorder un peu d'attention à toute cette question.

Nous nous inquiétons en outre du manque de programmes de désintoxication et de soutien à l'intention des jeunes de moins de dix-huit ans, des femmes avec des enfants - comme nous l'avons entendu dans le clip - des aînés, des autochtones et des personnes ayant des antécédents culturels différents. Nous estimons que la responsabilité en ce qui a trait à la toxicomanie doit être l'affaire de tous.

Le gouvernement fédéral peut être un partenaire actif de deux façons. Dans un premier temps, il peut élaborer des politiques et des programmes, et pour cela il doit songer aux conséquences de ses politiques, économiques et financières sur la santé. Les fortes compressions importantes dont sont l'objet les programmes sociaux entraîneront une instabilité sociale, laquelle peut, à son tour, amplifier le problème de la toxicomanie.

Dans un deuxième temps, nous encourageons le gouvernement fédéral à adopter des mesures sur les questions comme la garde des enfants et l'accès à l'éducation postsecondaire. Même si l'octroi d'une prestation fiscale intégrée pour enfants aidera, cette mesure n'est tout simplement pas suffisante.

Il incombe aussi au gouvernement fédéral de faire en sorte que tous les Canadiens ont accès à des services de traitement. Dans son récent rapport, le Forum national sur la santé recommande de renforcer notre système subventionné par l'État et d'inclure notamment les médicaments vendus sur ordonnance. Les services de prévention et de traitement de la toxicomanie doivent également être reconnus comme des éléments importants du système canadien de santé publique.

Le gouvernement fédéral devrait aussi financer la recherche sur la toxicomanie et sur les facteurs sociaux à l'origine de ce phénomène. Nous l'encourageons à continuer d'offrir son soutien au Centre canadien de lutte contre les toxicomanies. Il s'agissait là de l'une des recommandations faites par votre comité dans le cadre de son dernier examen.

Le gouvernement fédéral peut aussi jouer un rôle clé dans un second domaine, celui de la réglementation. Les trois aspects les plus importants - le tabac, l'alcool et les drogues - relèvent tous de la compétence du gouvernement fédéral.

.1055

Voici quelques exemples d'intervention fédérale possibles: réglementer la vente, la publicité et la promotion des produits du tabac - nous exhortons le gouvernement à aller de l'avant avec le projet de loi C-71 dans sa version originale, étiqueter les produits alcoolisés de façon à mettre les acheteurs en garde contre les dangers liés à la consommation d'alcool pendant la grossesse, qui expose l'enfant à naître à un risque manifeste, et réduire les méfaits causés par l'abus des médicaments vendus sur ordonnance en restreignant la publicité de ces médicaments, en normalisant la forme, la taille et la couleur des médicaments équivalents et en vérifiant la pertinence de la liste des médicaments en vente libre.

[Français]

Mesdames et messieurs, les questions d'abus d'alcool et d'autres drogues sont complexes et trop nombreuses pour que l'on en discute à fond pendant cette courte audience. Nous partageons toutefois la responsabilité de traiter cet important problème d'ordre social. Les infirmières et autres professionnels de la santé du Canada feront leur part, mais nous exhortons le gouvernement à faire preuve de leadership en élaborant des politiques et des règlements pour nous y aider.

Merci. Nous sommes prêtes à répondre à vos questions.

[Traduction]

Le président: Antoine.

[Français]

M. Dubé: Ayant été absent, je passe mon tour.

[Traduction]

M. Martin: J'ai une question à poser, monsieur le président.

J'aimerais que vous me disiez, pour reprendre la question posée par M. Szabo, si en légalisant les drogues on en fera augmenter ou diminuer la consommation. Étant donné mon expérience du domaine, après avoir vu des collectivités reléguer derrière le comptoir, pour des raisons de consommation, le Lysol, la lotion après-rasage, le fixatif, les comprimés Tylenol Ones, les comprimés Gravol de même que les médicaments contre la toux contenant du dextrométhorphane, je ne peux m'empêcher de penser que la légalisation de ces drogues fera augmenter la consommation. Le fait de les rendre largement accessibles, fera augmenter plutôt que diminuer la consommation.

Même si nous pouvons faire valoir les libertés individuelles, quelle est la responsabilité collective à cet égard? La société, qui est la collectivité, a donc la responsabilité d'imposer des exigences à ses membres.

Mme Mary Ellen Jeans (directrice exécutive, Association des infirmiers et infirmières du Canada): C'est une question vraiment complexe. Étant donné le grand nombre de substances qui ont des effets néfastes sur la santé, parvenir à un équilibre entre ce qui est légal et ne l'est pas, pose un défi. Je ne crois que nous avons une réponse finale à cet égard.

C'est une question qui exige un débat plus poussé au coeur duquel devraient se trouver, selon moi, les enfants. S'il existe des moyens, sans peut-être aller jusqu'à l'extrême limite de la légalisation, qui nous permettent de protéger nos enfants contre la consommation d'un grand nombre de ces produits... Je conviens que si un enfant de douze ans peut aller à la pharmacie et acheter quatre bouteilles de médicament contre la toux, un problème se pose. Est-ce que cela signifie pour autant que nous ne légalisions pas le sirop contre la toux?

M. Martin: Je ne voulais pas dire de les rendre vraiment illégales. Je voulais simplement démontrer que la grande accessibilité des substances qui permettent aux gens de «décrocher» va encourager une hausse de la consommation des drogues dont nous parlons et qui sont à l'heure actuelle illicites.

Mme Jeans: Je crois que si nous nous concentrons sur les enfants et sur leur capacité d'accès à ces choses, nous parviendrons peut-être à régler au moins une partie du problème. C'est lorsque les jeunes commencent en bas âge, selon nous, que nous sommes aux prises avec un grave problème de société.

Le président: La parole est à Paul, puis à Andy.

M. Szabo: Je vous suis reconnaissant d'avoir soulevé la question de l'étiquetage qui a surgi dans le cadre de nos délibérations sur le tabac. Nous nous sommes alors demandé si celui-ci est un moyen d'éducation ou une composante essentielle d'une stratégie plus exhaustive. Je vous remercie d'avoir soulevé cette question.

La question de l'EFA et de son coût pour la famille me frustre énormément. Les dollars n'ont pas d'importance lorsque vous avez un enfant frappé du syndrome d'alcoolisme foetal et que vous savez qu'il s'agissait d'une tragédie évitable, comme l'a signalé en 1992 dans son rapport le Comité de la santé de la Chambre des communes.

Ce qui me frustre, c'est que nous savons que c'est évitable. Nous savons qu'un coût véritable y est associé, mais nous essayons d'obtenir les chiffres. Le Centre canadien de lutte contre les toxicomanies les conteste presque - ce n'est pas 5 p. 100 des malformations congénitales et ce n'est pas 2,4 milliards de dollars annuellement que le Canada investit annuellement pour assumer les coûts supplémentaires associés à l'EFA en matière de soins de santé, de programmes sociaux et de justice criminelle.

.1100

Se passe-t-il quelque chose ou avez-vous des paroles sages à dire au comité en ce qui a trait à l'EFA? Où en sommes-nous et que pouvons-nous faire?

Mme Jeans: Comme vous le savez, nous sommes en faveur de l'étiquetage des produits. Nous disposons de ressources illimitées. Notre système de soins de santé s'est vraiment écroulé; la plupart des ressources ont été consacrées au modèle hautement médicalisé des soins de courte durée. Je n'utilise pas l'adjectif «médicalisé» pour opposer les infirmières à la médecine.

Je crois que nous avons besoin d'une armée d'infirmières dans la communauté pour s'occuper des femmes enceintes, des nouvelles mamans et des nouveau-nés. C'est là où l'on devrait investir car c'est ce qui rapporte à long terme.

Je conviens avec vous qu'il s'agit d'une tragédie. Nous pouvons en repérer d'autres qui se produisent parce que nous ne disposons pas des ressources initiales pour empêcher des choses de ce genre et pour repérer les personnes à risque.

M. Szabo: Nous avons entendu un groupe qui, je crois, avait un lien avec l'association pour la prévention du crime. Ils ont beaucoup travaillé avec des modèles de l'EFA. Nous leur avons demandé si les parents d'enfants atteints de l'EFA connaissaient les dangers liés à la consommation d'alcool pendant la grossesse, qui expose l'enfant à naître à un risque. Ils nous ont répondu que malheureusement très peu étaient au courant. Savez-vous si les femmes sont en général au courant des risques auxquels elles exposent leur foetus si elles consomment de l'alcool pendant leur grossesse?

Mme Bard: Je verrais cela comme le concept sous-jacent à tout l'investissement qui se fera en matière de promotion et de prévention. Je crois que plus nous éduquerons les Canadiens au sujet de certains des dangers liés à la consommation de drogues pendant la grossesse, plus nos chances sont bonnes d'empêcher que les enfants en subissent les conséquences.

Vous avez raison. Nous voyons à certains égards qu'il nous faut renseigner les Canadiens sur des principes sanitaires de base, comme la prévention et sur de meilleurs programmes de soins personnels. Il va sans dire qu'il s'agit d'un domaine où les infirmiers et les infirmières ont un rôle important à jouer. Il s'agit pour nous de renseigner les Canadiens sur ce qui est bon pour eux et de leur donner des conseils sur la façon de s'occuper d'eux.

Je crois que nous devons mieux nous prendre en main - c'est tout le concept de l'autonomie et de l'éducation des mères sur l'influence qu'elles peuvent exercer sur leurs enfants.

Le président: La parole est Andy, puis à Harb.

M. Scott: Je vous remercie, monsieur le président. Je serai le plus bref possible.

J'aimerais vous donner l'occasion d'énoncer votre position sur cette question. Ce qui nous préoccupe entre autres c'est de savoir dans quelle mesure il s'agit d'une question criminelle, dans quelle mesure il s'agit d'une question de santé et dans quelle mesure nous devrions privilégier la réduction des préjudices plutôt que la criminalisation?

Malheureusement, les gens, dans ce genre de débat, se laissent influencer par les sondages et, parfois, les mesures de réduction des méfaits sont assimilées à la légalisation complète des produits pharmaceutiques au Canada. Nous nous trouvons donc, en quelque sorte, à assimiler un programme d'échange de seringues à une usine de fabrication d'héroïne. Je ne crois pas que cette démarche soit juste.

J'aimerais connaître votre opinion là-dessus. Je présume que nous savons qu'il existe un juste milieu entre l'incarcération et la prise en charge, par l'État, de la distribution des drogues à l'échelle nationale. Il existe un juste milieu et j'aimerais savoir où vous vous situez.

Mme Jeans: Je vais plutôt vous répondre en posant deux questions, une en tant que citoyenne, l'autre en tant que contribuable. Quelle approche coûte plus cher, et quelle approche est plus efficace? Je ne crois pas que nous connaissions la réponse à ces questions, mais s'il est possible d'améliorer la santé tout en réduisant les méfaits, je préférerais qu'on opte pour cette option plutôt que d'avoir un état policier qui contrôle chaque substance.

.1105

Je ne sais pas quelle est la solution. Nous n'avons pas, à mon avis, suffisamment de renseignements sur la question. Il faudrait peut-être mettre sur pied des projets qui nous permettraient de recueillir des données et d'effectuer des analyses comparatives. Si nous adoptons des mesures très punitives et coûteuses, nous risquons de compromettre certaines valeurs auxquelles tiennent les Canadiens. Ce débat est très difficile, et je ne voudrais pas être à votre place.

Mme Bard: J'aimerais ajouter que, en raison de mon travail, je suis tous les jours en contact avec les gens au sein de la communauté et du système correctionnel, et que les mesures punitives ne fonctionnent pas. Nous devons nous demander où nous voulons investir nos ressources pour changer les choses, parce que nous sommes confrontés à une situation... Nous devons également essayer de voir comment nous pouvons améliorer les choses dans l'avenir.

À mon avis, nous devons investir dans les programmes d'information ainsi que dans la jeunesse, pour l'aider à faire des choix valables. Les gens ont des choix à faire, et nous devons leur présenter les deux côtés de la médaille pour les aider à faire le choix qui s'impose. Les mesures punitives ne donneront rien, parce que les gens auront toujours des choix à faire. Nous devons essayer de trouver un juste milieu en montrant les conséquences qu'entraînent certains gestes et en responsabilisant davantage les Canadiens.

Le président: Harb.

M. Dhaliwal: Merci, monsieur le président.

Vous avez surtout parlé, dans votre exposé, de l'alcool, des médicaments prescrits et du tabac. L'alcool et le tabac sont des produits licites, tout comme les médicaments prescrits. Ce sont des produits dont on abuse beaucoup. Je sais que l'alcool et le tabac causent des problèmes de santé énormes, que l'alcool provoque aussi des problèmes familiaux et encourage la criminalité. J'ai eu l'occasion de visiter un établissement carcéral; le directeur m'a dit qu'entre 75 et 80 p. 100 de tous les crimes étaient liés aux drogues et à l'alcool.

Tous ces produits sont consommés de façon abusive. Ne devrions-nous pas d'abord nous attaquer à ces substances, mettre sur pied des programmes de prévention efficaces qui aideraient grandement la société, afin de voir si, en fait, nous ne pouvons pas changer le comportement des gens et réduire la consommation de ces drogues? Nous pourrions, bien sûr, nous lancer dans un débat sur les drogues dures, ainsi de suite. Et il sera très difficile d'arriver à certaines conclusions. Mais ne devrions-nous pas, en tant que société et gouvernement, consacrer davantage de ressources à ces trois problèmes, avant de nous attaquer à la question plus complexe des drogues douces et dures?

Mme Bard: Je suis tout à fait d'accord avec vous. Cela correspond à la position que défend depuis toujours l'Association des infirmières et infirmiers du Canada, soit que devons investir dans les programmes de sensibilisation et de prévention.

Nous pouvons commencer à la base. Nous pouvons sensibiliser les enfants, faire en sorte qu'ils aient accès, dans les écoles, à des infirmières et des infirmiers qui pourront leur fournir les renseignements dont ils ont besoin. Nous pouvons également venir en aide aux familles ou aux mères à risques. Nous devons investir dans des programmes de sensibilisation et de prévention, mais nous devrons attendre quelque temps avant de voir des résultats.

Mary Ellen, souhaitez-vous ajouter quelque chose?

Mme Jeans: Je voulais tout simplement dire que vous avez raison, qu'il s'agit d'un problème énorme et que, dans le cas de certaines substances, ce sont les enfants qui vont faire la différence à la longue. Je sais que les gouvernements sont au pouvoir pendant quatre ou cinq ans et qu'ils veulent voir les résultats de leurs décisions. Or, si vous investissez dans les enfants aujourd'hui, vous ne verrez pas nécessairement les résultats dans quatre ou cinq ans, mais peut-être dans dix ou vingt ans. Mais pour le bien-être de la société, je crois que c'est sur eux que nous devons concentrer nos efforts.

Vous n'allez pas changer le comportement d'un grand nombre d'adultes, peu importe la complexité de votre système. Mais plus vous vous concentrez sur les enfants... Et les enfants exercent une grande influence sur leurs parents. Les enfants aujourd'hui ne se gênent pas pour vous dire qu'il ne faut pas fumer. S'ils sont conséquents dans leurs actions, cela finira par déteindre sur la société.

.1110

M. Dhaliwal: Une dernière question très brève.

Concernant le syndrome d'alcoolisme fatal, est-ce que les professionnels de la santé, les médecins, les infirmières et les infirmiers ne devraient pas faire plus dans ce domaine? Les femmes doivent voir un médecin lorsqu'elles sont enceintes. Est-ce que la sensibilisation ne fait pas partie de leur travail? Ne devraient- elles pas être mieux sensibilisées au problème? Est-ce que nous déployons suffisamment d'efforts, dans le cadre de notre programme de soins de santé, pour informer les gens au sujet des problèmes qu'entraîne l'usage abusif des médicaments d'ordonnance?

On dit que les médecins prescrivent beaucoup trop de médicaments et qu'il y a là un problème d'abus. Est-ce que les professionnels de la santé ne devraient pas faire plus dans ce domaine?

Mme Bard: Vous avez raison. J'ai dit dans mon exposé que nous devons unir nos efforts, que ce problème n'est pas la responsabilité d'un seul groupe, que tous les professionnels de la santé ont le devoir de renseigner adéquatement les gens. Vous avez tout à fait raison. Tous les professionnels de la santé doivent partager cette responsabilité.

Le président: Je vous remercie toutes les deux d'être venues. Nous nous excusons du léger retard qu'il y a eu.

M. Volpe: Avant que la réunion ne soit ajournée, j'aimerais discuter de certaines questions qui ont été soulevées par les témoins, ce matin. Je me demande si le comité accepterait, si ce n'est déjà fait, de demander aux attachés de recherche s'il est possible de faire venir des témoins pour discuter d'un problème qui semble être mentionné de plus en plus souvent, et avec insistance, soit l'abus d'intoxicants, de produits pharmaceutiques et de médicaments en vente libre, les conséquences et l'intensité de ce phénomène dans certaines communautés. On a surtout parlé ce matin...

Le président: Avez-vous pris tout cela en note, Nancy?

M. Volpe: ... des groupes autochtones.

Mme Nancy Miller-Chénier (attachée de recherche): Nous avons déjà entendu deux groupes d'experts, un sur la nicotine et un sur les drogues illicites. Nous avions prévu inviter des experts pour nous parler des médicaments d'ordonnance, des solvants, des médicaments en vente libre et de l'alcool. Donc...

M. Volpe: Donc, des démarches en ce sens ont déjà été entreprises?

Mme Miller-Chénier: Nous tentons de réunir les experts.

M. Volpe: Merci.

Le président: Antoine.

[Français]

M. Dubé: Comme vous le savez, on devait faire une visite en région, mais elle a été annulée. En vue de cette visite, j'avais fourni une liste de témoins qui comprenait, entre autres, le Centre de toxicomanie de la Maison Jean-Lapointe de Québec. Font-ils partie de la liste des personnes qui vont comparaître? J'avais aussi sur ma liste un témoin de l'Hôtel-Dieu de Lévis.

[Traduction]

Le président: Je n'aime pas me moquer de mon bon ami Grant Hill en son absence, mais comme Keith est ici, il lui transmettra le message. Tout le monde sait que c'est grâce à Grant que notre voyage a été annulé. Ce que nous allons faire maintenant pour économiser de l'argent selon la formule Grant Hill, c'est de faire venir des témoins, ce qui nous coûtera plus cher que si nous nous étions déplacés nous-mêmes.

M. Martin: D'Australie?

Le président: Non, des provinces de l'Atlantique. Terre-Neuve fait partie des provinces de l'Atlantique. Nous avions prévu nous rendre là-bas pour visiter certaines installations et rencontrer des témoins. Nous allons maintenant être obligés de faire venir ces témoins et cela va nous coûter plus cher.

M. Martin: Au lieu de faire cela, monsieur le président, pourquoi ne demandons-nous pas aux témoins de nous faire parvenir leurs mémoires. Nous déciderons ensuite si nous devons les faire venir. Cela nous permettrait d'économiser beaucoup d'argent.

M. Volpe: Tant qu'à faire - puisque j'estime que c'est une très bonne idée - , pourquoi ne demandons-nous pas à notre attaché de recherche de rassembler les mémoires de tous les témoins qui doivent comparaître devant nous. Après avoir eu trois ou quatre semaines pour les lire, nous pourrions nous réunir et discuter de leur contenu. C'est ce que nous faisions à l'université, et je crois que c'est une très bonne idée, sauf qu'on avait droit à un examen à la fin de cet exercice.

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Si quelqu'un pouvait nous résumer tous ces mémoires, nous pourrions mieux orienter nos discussions. Je ne plaisante pas, mais je pense que c'est ce que nous allons finir par faire, et si c'est ce que veut le comité, nous devrions alors opter pour cette formule.

Je n'aime pas faire les choses à moitié et, malheureusement, nous devons parfois faire des compromis. Si cela va nous coûter plus cher de faire venir des témoins que d'aller là-bas, ce n'est pas tellement rentable. On pourrait tout simplement inviter les témoins à nous soumettre leurs mémoires et peut-être leur envoyer de l'argent pour couvrir leurs dépenses. Nos attachés de recherche se chargeraient ensuite de les résumer et on pourrait se réunir pendant deux, trois ou quatre jours pour en discuter. Ce serait peut-être la meilleure façon de procéder. On révolutionnerait la façon dont les comités font les choses. C'est une idée qui mérite d'être étudiée.

M. Martin: Je trouve que c'est une très bonne idée.

Le président: Notre temps est écoulé.

Je ne veux pas m'attarder sur le choix du mot «révolutionner». Je lui donnerais peut-être un sens différent de celui que lui donne Keith ou Joe. Révolutionner, dans le sens de changer radicalement notre façon de faire les choses, oui. C'est ce qui arriverait effectivement. Pour ce qui est de savoir s'il faut l'appliquer ou non, ça, c'est une autre question. Je peux, moi aussi, faire le pince-sans-rire. Avant de parler aux témoins, nous devrions peut- être nous assurer qu'ils n'envoient pas leurs documents en franchise postale, parce que serons obligés de débourser 46 cents pour chacun de ces mémoires.

À ce compte-là, je peux vous dire, moi, comment nous allons économiser de l'argent. Mettons fin aux audiences. Rentrons chez nous. Nous en sommes presque rendus-là. Cette discussion est totalement ridicule. Moi aussi, je veux économiser quelques dollars. C'est mon argent aussi. Mais nous sommes rendus au point où les audiences du comité, qui ont connu un bon départ, risquent d'être interrompues parce que quelqu'un est obsédé par l'idée d'économiser de l'argent.

Je voulais tout simplement faire une intervention et la discussion a dérapé. Je m'en excuse. Nous avons le pouvoir de décider, et nous allons devoir nous entendre là-dessus à un moment donné, si nous allons ou non poursuivre cette étude. Si nous décidons d'aller de l'avant, nous devons cesser d'avoir toutes ces discussions inutiles.

Nous sommes en train de tenir des audiences, non pas des réunions où nous nous bornons à résumer les mémoires des témoins. Nous sommes en train de tenir des audiences, et cela présume que nous pouvons avoir des échanges. Je ne peux pas avoir une discussion avec quelqu'un au Nouveau-Brunswick ou au Québec qui m'écrit des lettres. Je veux me trouver nez à nez avec cette personne, que ce soit ici ou au Nouveau-Brunswick. Donc, si nous décidons d'aller de l'avant avec les audiences, nous allons faire venir des témoins.

Pour vous montrer à quel point cette discussion frise l'hypocrisie, je viens d'indiquer qu'en faisant venir les témoins, ce que nous avons le pouvoir de le faire - nous n'avons pas besoin de l'autorisation du comité - , nous allons dépenser plus que ce qu'il nous en aurait coûté si nous nous étions déplacés nous-mêmes. C'est ce que je voulais dire.

Keith.

M. Martin: J'aimerais vous proposer un compromis, monsieur le président.

Le président: Eh bien, parlez-en à votre collègue et nous en discuterons à la prochaine réunion.

M. Martin: Voilà le compromis, monsieur le président. Je vais le présenter sous forme de motion.

Pour que le comité puisse tirer le maximum de ses travaux et obtenir d'excellents résultats, nous pourrions faire appel aux experts de la côte Est et discuter avec eux. Je propose donc qu'on demande à notre attaché de recherche de faire venir les mémoires des témoins que nous avions envisagé de convoquer, et que le comité se réunisse ensuite pour discuter de leur contenu.

Une fois ce travail terminé, nous déciderons s'il y a lieu de convoquer ces témoins ou non. Si nous devons leur verser une indemnité, nous le ferons. Nous aurons accès à l'information, ce qui nous permettra de produire un excellent rapport, et nous économiserons ainsi l'argent des contribuables. Voilà la motion que je propose.

Le président: Herb.

M. Dhaliwal: Monsieur le président, je pense, comme vous, que nous devons visiter les centres et parler directement aux gens. Je ne crois pas que cela représente une économie, parce que si notre comité dépense moins d'argent, cela veut dire qu'un autre comité aura plus de fonds à sa disposition pour effectuer des déplacements. Donc, à mon avis, le comité n'économise pas vraiment de l'argent en n'effectuant pas de déplacements.

Je ne suis pas d'accord avec Grant Hill, le député du Parti réformiste, qui dit que nous ne devrions pas nous déplacer. Cette question est très importante. Elle est très importante pour les Canadiens, et si nous ne parlons pas directement aux gens, si nous ne visitons pas les centres, nous ne pouvons pas légitimement faire du bon travail.

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J'espère que mon collègue Keith demandera à Grant Hill d'accepter que des fonds soient alloués au comité pour qu'il se déplace.

M. Martin: J'ai proposé une motion.

Le président: Antoine.

[Français]

M. Dubé: Siégeons-nous à huis clos?

Le président: Non.

M. Dubé: J'observe la situation depuis un bout de temps. Je comprends que nous sommes à la veille d'élections, mais au-delà de la partisanerie et des relations entre partis, il y a une question importante. J'ai écouté les témoins, comme les associations canadiennes qui sont localisées ici à Ottawa. C'est un point de vue intéressant; il faut le faire. Il m'apparaît cependant essentiel d'avoir des points de vue d'un peu partout, comme ceux des gens qui sont en traitement de toxicomanie et des gens qui soignent ceux qui ont des problèmes de drogues depuis plusieurs années et qui sont désespérés, des points de vues qui ne vont pas nécessairement dans le sens de ceux des témoins que nous avons entendus ce matin.

Je prends un cas particulier, celui du Centre de la Maison Jean-Lapointe à qui j'avais posé une question au mois d'octobre. J'ai reçu la réponse ce matin. Ils ne répondent plus aux critères du ministère de la Santé fédéral. Actuellement, c'est le ministère québécois qui récupère cet organisme pour le traitement de la toxicomanie. Pour tout l'aspect curatif, les provinces doivent être incluses. Ce devrait être une approche interprovinciale. La drogue se promène et les gens voyagent. Donc, je fais appel à...

On pourrait faire un compromis. Au Comité permanent du développement des ressources humaines, on avait tenu une téléconférence. Apparemment, c'était moins cher. Cela nous permettait de consacrer une journée ou une demi-journée d'audience à des gens de Québec, de l'Ouest, etc. Cela m'apparaîtrait essentiel et il faudrait s'assurer que quelqu'un du gouvernement du Québec ou de la province concernée puisse donner son point de vue sur ce que l'on fait exactement pour lutter contre cela. Cela dépasse les partis et la politique.

[Traduction]

Le président: J'ai vraiment de la difficulté à garder mon sang froid en raison de l'hypocrisie qui entoure cette question. Nous pouvons envoyer tout le caucus libéral à Québec ou le caucus du Parti réformiste à Halifax, aux frais du public, mais nous ne pouvons pas trouver de l'argent pour envoyer une demi-douzaine de députés visiter un centre de traitement. Toute cette hypocrisie me donne la nausée.

De deux choses l'une. Soit vous rejetez la motion, soit vous la reportez pour que nous puissions en discuter quand nous en aurons le temps. Nous allons changer notre façon de procéder. Si nous comptons tenir des vidéoconférences pour économiser de l'argent, ou je ne sais quoi, ne prenons pas de décision tout de suite. Nous devrions tous avoir quitté la salle. Si vous êtes d'accord avec la motion, déposez-la. Si vous voulez la rejeter, alors mettez-la en délibération. C'est ce que je vous propose pour que nous puissions avoir le temps de l'examiner.

M. Szabo: J'aimerais la mettre en délibération, monsieur le président.

Le président: La motion est mise aux voix.

La motion est rejetée

[Français]

M. Dubé: Puis-je en proposer une autre? Je propose une téléconférence.

[Traduction]

Le président: Je viens de dire au comité que, si nous allons changer notre façon de procéder pour cette étude, j'aimerais, si cela ne vous dérange pas, qu'on en discute à un autre moment. Nous avons déjà une demi-heure de retard et je dois assister à une réunion qui a commencé à 11 heures et que je suis censé présider.

M. Martin: Attendons d'en discuter à la prochaine réunion.

M. Volpe: Cette question intéresse le sous-comité et je crois que vous devriez en discuter avec lui.

Le président: Nous discuterons de votre motion à la prochaine réunion.

M. Dubé: D'accord.

Le président: La séance est levée.

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