[Enregistrement électronique]
Le mardi 18 mars 1997
[Traduction]
Le président (M. Roger Simmons (Burin - Saint-Georges, Lib.)): Bonjour à tous.
Nous avons à peine le quorum, mais les règles nous permettent d'entendre des témoins, dès que trois membres du comité sont présents. Je suis très surpris que les autres n'y soient pas, car je n'ai pas eu de leurs nouvelles. Je suis sûr qu'ils arriveront sous peu.
Que les témoins ne s'alarment pas de ne voir que trois d'entre nous. Leur témoignage sera enregistré et tout ce qui sera dit sera pris en compte au moment de la rédaction de notre rapport sur cette question importante.
Nous accueillons maintenant M. Eric Shirt de la Society of Aboriginal Addictions Recovery. Il en est le directeur exécutif, et nous vient de Calgary. Bienvenue, monsieur Shirt. Lorsque vous aurez terminé votre déclaration, qui sera brève, nous l'espérons, nous pourrons vous poser des questions.
M. Eric Shirt (directeur exécutif, Society of Aboriginal Addictions Recovery): Merci de m'avoir invité aujourd'hui et de me permettre de vous parler au nom de notre société et de mes frères et soeurs autochtones.
Cela fait presque 27 ans que je travaille dans le domaine de la lutte contre l'alcool et les drogues chez les Autochtones, et cela remonte à l'époque où j'ai moi-même cessé de boire, le 6 juin 1970. Avec l'aide d'autres alcooliques autochtones, je fondais en 1973, Poundmaker's Lodge, premier centre autochtone de traitement de l'alcoolisme et de la toxicomanie, et plus tard, j'ouvrais l'Institut Neechi dans le but de former des conseillers et d'autre personnel autochtone dans la lutte contre l'alcoolisme et la toxicomanie.
Au cours des cinq dernières années, mon propre cheminement personnel de même que mon travail professionnel m'ont fait percer de nouvelles brèches: je me suis intéressé à l'étude des facteurs biochimiques liés à la nutrition qui contribuent au développement de l'alcoolisme et aux méthodes de traitement par la nutrition, extrêmement efficaces dans la lutte contre les dommages corporels et cérébraux entraînés par l'alcool. Je suis intimement convaincu qu'un traitement exhaustif fondé sur la nutrition révolutionnera le traitement de l'alcoolisme et des autres toxicomanies. Je viens donc aujourd'hui vous inciter à adopter des politiques qui favoriseront une application généralisée et poussée de ce type de traitement.
J'ai constaté, au début, que même si on traitait un nombre accru d'Autochtones pour des problèmes d'alcoolisme et de toxicomanie, et leur nombre est plus élevé que jamais, la santé générale des Autochtones et leurs conditions de vie ne s'amélioraient toutefois pas. En fait, tous les indices de base de la santé autochtone et de leur bien-être dans la société étaient en chute libre. Parmi ces indices on trouvait un taux de mortalité très élevé, jumelé à une incidence exceptionnellement élevée de suicides; un niveau élevé d'incarcérations; un niveau élevé de violence familiale et collective; une hausse des niveaux d'abus sexuels; une incidence extrêmement élevée de diabète, jumelée à 40 à 50 p. 100 d'hypoglycémie; un niveau élevé d'obésité; une incidence élevée de dépression et d'autres troubles mentaux et émotionnels; des niveaux exceptionnellement élevés d'abus de médicaments sur ordonnance, soit trois à quatre fois plus élevés que dans le reste de la population; et des coûts extrêmement élevés de soins de santé non assurés.
L'un dans l'autre, il me semblait qu'il manquait quelque chose à notre méthode traditionnelle de traiter les toxicomanies chez les Autochtones. Bien que les programmes conventionnels de traitement de l'alcoolisme et de la toxicomanie qui font appel aux méthodes psychosociales puissent produire des améliorations à court terme dans le fonctionnement global de l'être humain, la majorité des alcooliques ainsi traités font une rechute dans les premiers mois qui suivent la fin du traitement. Je suis convaincu que la raison principale pour laquelle nos programmes conventionnels ne réussissent pas, c'est qu'ils ne traitent que partiellement une maladie extrêmement complexe du corps, de l'esprit, et de l'âme. Ce que l'on omet de traiter ici, c'est une dimension physique sous-jacente à la maladie de la toxicomanie, soient les méfaits envahissants que l'alcool et les autres drogues peuvent causer à la chimie corporelle et cérébrale, méfaits qui à leur tour donnent lieu à toute une vaste gamme de problèmes de santé physique et de dysfonctionnements mentaux et émotionnels.
Regardez ce tableau qui vous explique ce que je viens de dire. La maladie elle-même commence par être physique et se déplace vers le haut du triangle, alors que lorsque l'on traite l'alcoolisme, on descend du haut du triangle vers le bas. On ne semble jamais aller plus loin que d'offrir du counselling psychosocial. Nous savons quels méfaits et quels troubles l'alcoolisme entraîne, mais nous ne nous attardons pas à ces méfaits et nous ne les traitons pas. Les symptômes de ces troubles particuliers que cause l'alcoolisme sont débilitants en eux-mêmes et entraînent habituellement une rechute. Il faut comprendre qu'il faut traiter de façon exhaustive, cette maladie pour que les malades recouvrent la santé physique.
Les méfaits biochimiques ne sont pas réparés du simple fait que l'on cesse d'utiliser des drogues. Dès qu'un patient quitte le centre de traitement sans pour autant s'être débarrassé des conditions sous-jacentes dues à l'alcool et qui existaient au début de son traitement - telles que l'hypoglycémie et le diabète, que l'on trouve chez 75 à 90 p. 100 des alcooliques, l'hypothyroïdie, la diminution des neurotransmetteurs qui entraînent la dépression, les allergies alimentaires et chimiques, les déficiences vitaminiques et minérales, etc. - il subit peu de temps après de nouvelles envies irrépressibles de consommer une substance qui le soulageait temporairement des conditions débilitantes de l'alcool et de la toxicomanie. Autrement dit, ces conditions continueront à rendre sa vie et la vie des autres catastrophiques, et il ne pourra se débarrasser des problèmes de santé ni de son comportement aberrant associés à sa toxicomanie.
La bonne nouvelle, c'est que nous savons aujourd'hui comment réparer les dommages biologiques sous-jacents causés par l'alcool et les drogues par le truchement d'un programme exhaustif de traitement nutritionnel que l'on appelle récupération nutritionnelle. Ce programme a été mis au point il y a une quinzaine d'années par le Dr Joan Larson du Minnesota et a donné des résultats remarquables, non seulement en termes d'abstinence - 74 p. 100 des gens traités étaient toujours abstinents trois ans et demi après la fin du traitement, par rapport à 11 p. 100 chez ceux qui ont été traités de façon conventionnelle, c'est-à-dire uniquement par la méthode de counselling psychosocial - mais aussi parce que cette méthode aidait à éliminer les problèmes généraux de santé tels que les envies, la dépression, l'anxiété, l'insomnie, etc.
La stratégie de base du traitement par récupération nutritionnelle est composée de trois éléments: premièrement, il faut éliminer les substances qui nuisent à la chimie corporelle et cérébrale, y compris l'alcool et les autres drogues telles que la nicotine, la caféine et le sucre raffiné; deuxièmement, il faut réparer les méfaits causés en redonnant au corps les éléments nutritifs qui lui manque et qui ont été détruits par la consommation d'alcool et autres drogues; troisièmement, il faut faire appel aux méthodes traditionnelles psychosociales telles que le counselling, l'information et la participation aux AA.
Fait important à noter: la récupération nutritionnelle permet de traiter de façon globale les accoutumances en incorporant la nutrition aux méthodes traditionnelles psychosociales de counselling, de thérapie et d'éducation. Le traitement conventionnel n'est pas mauvais en soi; il est tout simplement incomplet.
Nous menons actuellement au Canada une série d'ateliers destinés à présenter aux travailleurs autochtones de la santé et au personnel de centres de traitement la méthode de récupération nutritionnelle et à l'expliquer comme méthode globale de lutte contre les toxicomanies et de santé optimale. Cet été, nous allons leur offrir un cours de formation intensif de trois semaines afin de leur donner une connaissance approfondie de la méthode et de leur permettre d'acquérir les compétences qui leur permettront désormais d'offrir un programme de récupération nutritionnelle dans les centres de traitement communautaires.
L'an dernier, nous avons mis au point une proposition de projet de recherche pilote destinée à démontrer la faisabilité et la rentabilité d'une méthode nutritionnelle dans le traitement des toxicomanies, et nous l'avons soumise au Programme national de recherche et de développement en matière de santé. Malheureusement, nous n'avons pas pu mener à bien notre recherche, car le PNRDMS estimait notre projet trop clinique. C'est sans doute la première fois qu'on estime qu'un projet autochtone est trop clinique.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Shirt.
Eu égard à votre dernière observation, avez-vous soumis un projet au Conseil de recherches médicales?
M. Shirt: Nous avons soumis la proposition au Programme national de recherche et de développement en matière de santé qui nous a renvoyés à son tour au Conseil de recherches médicales. Cela me rappelle le jeu de la chaise musicale, car le Conseil de recherches médicales n'a pas la réputation de subventionner beaucoup de projets autochtones. Il préfère vous renvoyer à quelqu'un d'autre. En tout cas, c'est ce qui nous arrive souvent lorsque nous soumettons des projets de recherche.
Or, notre santé ne s'améliore pas, tandis que le Conseil de recherches médicales voit son budget augmenter. L'année dernière, il atteignait 269 millions de dollars, et notre santé à nous ne fait qu'empirer. Il y a quelque chose qui cloche quelque part. Pour ce qui est de ce projet-ci, le Conseil de recherches médicales nous a expliqué qu'il subventionnait les projets par le truchement des universités. Or, nous ne sommes pas une université.
Vers qui nous tourner pour obtenir des crédits destinés à la recherche? Nous avons apporté aux membres du comité copie de notre proposition de recherche. Elle est facile à comprendre. Nous voulons réoutiller un des centres de traitement pour pouvoir suivre les patients avant et après le traitement de façon à établir une comparaison entre cette méthode-ci et les autres méthodes traditionnelles. Nous savons qu'elle donne de bons résultats, car nous avons vu ce que cela donnait dans d'autres centres de traitement au Minnesota, en Californie, en Alaska et aussi en Australie.
Le président: Ce sera d'abord M. de Savoy, puis M. Hill.
[Français]
M. Pierre de Savoye (Portneuf, BQ): Monsieur Shirt, j'ai eu l'occasion tout à l'heure, avant que ne débute l'audience, de lire rapidement les notes que vous nous avez remises.
Une des choses qui m'ont frappé, c'est que vous soutenez que l'alcoolisme ne serait pas d'abord le symptôme d'une inadaptation à son milieu, mais plutôt une maladie première, c'est-à-dire une maladie physiologique. Il y a des gens qui, génétiquement, seraient prédisposés à l'alcoolisme, en ce sens que leur foie métaboliserait l'alcool d'une façon différente du foie de la majorité des individus.
J'ai compris que la métabolisation s'effectuait en deux temps et que, dans un premier temps, la métabolisation serait deux fois plus rapide et, dans un deuxième temps, deux fois plus lente, ce qui créerait des problèmes physiologiques importants.
Vous avez dit aussi, je crois, que les populations autochtones seraient génétiquement prédisposées à ce problème physiologique de l'alcoolisme et que si on veut traiter l'alcoolisme avec succès, il faut intervenir même sur le plan physiologique. C'est ce que vous nous exposiez il y a quelques instants.
Vous avez conclu plus tôt, en conversant avec M. le président, que pour arriver à démontrer tout cela, il faudrait des sous parce qu'il y a de la recherche à faire. Vous avez un projet de recherche.
J'ai une question à double volet. Tout d'abord, ai-je bien compris la nature de la problématique que vous soulevez et, deuxièmement, est-ce qu'il n'y aurait pas ici une occasion, en termes de recherche scientifique, de se pencher sur la situation des autochtones? Cela a été le cas pour les Tremblay du Lac-Saint-Jean. On a trouvé que la concentration de certains traits génétiques était attribuable à la vie en vase clos qu'avait menée cette population pendant de nombreuses années. Cela permet de faire une expérience clinique plus probante, parce qu'il y a un bagage génétique davantage commun.
N'a-t-on pas l'occasion de vérifier si l'alcoolisme, chez les autochtones, est de nature physiologique? Cela permettrait, à partir de vos hypothèses, de faire une étude précise. Est-ce que j'ai bien compris?
[Traduction]
M. Shirt: Oui, vous avez bien résumé.
Nous savons qu'il existe au fond trois biotypes qui peuvent développer l'alcoolisme, peu importe leur pays de résidence. Le premier biotype a dans son foie une enzyme supplémentaire qui transforme très rapidement l'alcool en acétaldéhyde mais très lentement en acide acétique, qui peut pour sa part se débarrasser de l'alcool. L'acétaldéhyde se répand dans le système, se loge dans les endorphines et perturbe considérablement les fonctions mentales.
Le deuxième biotype regroupe les buveurs allergiques ou toxicomanes qui ont un profil génétique qui les rend allergiques à une des composantes sous-jacentes de l'alcool, qu'il s'agisse de l'alcool lui-même, du blé, du sucre ou du raisin. Ces gens développent une réaction allergique ou d'accoutumance. Ils sont faciles à reconnaître car la première fois qu'ils consomment de l'alcool, cela ne leur fait pas et ils deviennent très malades. Ils ont l'impression qu'il leur suffira d'apprendre à boire, mais ils développent pourtant une réaction allergique malgré l'accoutumance.
Or, dès lors qu'ils cessent de boire, ces gens découvrent qu'ils n'étaient pas véritablement allergiques à l'alcool, mais peut-être plutôt au blé. D'après les enquêtes que nous avons effectuées dans les centres de formation où nous catégorisons les biotypes, nous constatons que le type qui est le plus fréquent, c'est l'allergique accoutumé. Mais quelle est l'allergie qui est déclenchée? Ce peut-être l'allergie au blé, au sucre, ou à un autre élément. Nous savons également que ces gens présentent une incidence élevée d'hypoglycémie.
En troisième lieu, vous trouvez le biotype qui présente une déficience d'un acide gras essentiel. Il manque à ces gens un métabolite appelé PGE-1 dans le cerveau. Dès lors que ces gens consomment de l'alcool, cette consommation déclenche le peu de provision qu'ils ont de PGE-1 et les rend heureux. On n'a généralement pas de mal à se rappeler ces gens-là, car on souhaiterait presque qu'ils recommencent à boire car ils sont de bien meilleure humeur que lorsqu'ils sont sobres. Autrement dit, c'est leur comportement qui les trahit.
Ceux qui présentent cette déficience en PGE-1 sont généralement des Irlandais, des Gallois, des Européens du Nord, et certains groupes autochtones qui consomment beaucoup de poisson. Dans notre coin de pays, nous avons beaucoup de lacs: les lacs Saddle, Goodfish, Beaver ou Heart. Nous sommes entourés de lacs, mais mangeons aujourd'hui beaucoup moins de poisson qu'auparavant. En ce qui concerne le PGE-1, ce biotype présente aussi un problème nutritionnel.
Par le biais de la recherche, nous voudrions savoir à quel type de biotype correspond notre peuple. Une fois le biotype connu, c'est plus facile de soigner les victimes par une meilleure nutrition, et plus facile de corriger les dommages physiques causés par l'alcool, étant donné que la réaction biochimique et chimique du cerveau devant l'alcool est très grave et dévastatrice.
Dans la population indienne, lorsque j'ai commencé à m'intéresser à cette question, on n'arrêtait pas de dire que 80 p. 100 de notre population était alcoolique. Une telle affirmation peut avoir des conséquences intéressantes. Voilà pourquoi cette recherche est à ce point importante pour nous. Naguère, la méthode utilisée était parfaitement farfelue, et on faisait des hypothèses de recherche au pied levé. En effet, nous n'avions pas les ressources qu'ont à leur disposition le Conseil de recherches médicales ou le Programme national de recherche et de développement en matière de santé et nous ne pouvons toujours pas y avoir accès aujourd'hui pour effectuer ce type de recherche souhaitable.
En ce qui concerne l'institut autochtone émanant des recommandations du forum de la santé, c'est une excellente idée; toutefois, il ne faudrait pas que cet institut devienne un organe politique et que l'on demande aux organisations indiennes de faire des nominations politiques. Cet institut devrait être surtout apolitique, de la même façon que le Conseil de recherches médicales est un organe apolitique lui aussi. La santé devrait être le fondement de base de cet institut de recherche pour les Autochtones.
Cette recherche n'exige pas d'argent frais, ni non plus la mise sur pied de l'institut autochtone, surtout si l'on souhaite y trouver une composante de recherche. Il s'agit tout simplement de réaffecter certaines des ressources financières qui sont actuellement mises à la disposition du Conseil de recherches médicales, par le ministère du Développement des ressources humaines et de tous les autres organes de recherche du gouvernement.
M. Pierre de Savoye: Si je vous comprends bien, on consacre beaucoup d'argent au traitement de l'alcoolisme dans les bandes indiennes, mais ces programmes ne sont pas efficaces. Vous suggérez que l'on détourne une partie de ces fonds pour les affecter à votre projet de recherche car vous êtes convaincu que les résultats seraient beaucoup plus productifs et durables. Vous ai-je bien compris?
M. Shirt: Oui. N'oublions pas non plus qu'il existe sur le terrain beaucoup de travailleurs du programme PNLAADA. Autrement dit, cela représente beaucoup d'argent destiné aux Autochtones.
Lorsque j'ai ouvert l'Institut Neechi, nous n'offrions que 10 semaines de programme de formation. Aujourd'hui, nous en offrons 14 ou 15.
Supposons que vous soyez dentiste et que vous exerciez en Alberta. Votre association exige de vous que vous suiviez au moins trois semaines de recyclage par an, ne serait-ce que pour vous garder à jour.
Nous, nous n'avons pas les ressources suffisantes dans le cadre des programmes de lutte contre l'alcoolisme pour pouvoir nous recycler. Certains des travailleurs ont reçu des subventions de formation, mais d'autres n'ont jamais été formés. Cela me rappelle l'époque, à la fin des années 80, où je démarrais le centre de traitement de Hay River. Il existait un programme dans le Nord qui avait été subventionné. Dès lors que l'on expliquait qu'il s'agissait d'un programme relevant du PNLAADA, on obtenait des fonds, ce qui avait permis d'embaucher un travailleur qui avait été sobre pendant tant de mois. Nous n'avions personne d'autre comme personne-ressource, et il représentait la meilleure ressource qui soit à leurs yeux.
Or, ce gars s'est inquiété de voir que tant de gens se noyaient lorsqu'ils revenaient par bateau de Fort Simpson avec leur bouteille d'alcool. Il s'est arrangé pour faire venir de l'alcool en contre-bande de façon qu'il ne soit plus nécessaire de se rendre de si loin par bateau pour aller chercher l'alcool. Pour lui, c'était cela un programme de lutte contre l'alcoolisme. Il n'avait jamais reçu de formation, mais il s'est organisé pour résoudre ce qui pour lui était le problème.
Cela se comprend. J'ai vu le même type d'intervention lorsque j'étais en Australie: dans un de ses programmes de prévention, la police allait chercher des bouteilles de plastique, les remplissait d'essence et les laissait traîner, de façon que les jeunes n'aient plus à casser les vitres des voitures pour mettre la main sur l'essence et la renifler. On appelait cela un programme de prévention, mais c'était complètement fou. Sans formation ni éducation, on ne peut qu'utiliser des méthodes qui croit-on pourraient être efficaces, mais qui ne le sont guère.
Nous, nous voudrions offrir des programmes de formation. Mais pour que les travailleurs de nos collectivités puissent assister à ces programmes de formation, il faut qu'on les subventionne. Or, c'est un problème énorme auquel se heurtent tous les travailleurs du programme PNLAADA au Canada.
De plus, le traitement de l'alcoolisme n'a pas changé depuis 40 ans. Si vous regardez du côté du traitement du cancer et des maladies coronariennes, vous constatez qu'il y a eu d'énormes changements; mais avec le traitement de l'alcoolisme, on continue à avoir des chiffres de 11 p. 100 après trois ans et de 24 p. 100 après un an. On persiste à garder le même programme de traitement et on s'attend à ce qu'il donne des résultats.
On ne peut tout même pas s'attendre à ce que cette recette fasse de miracles. Si cette méthode ne donne pas de bons résultats, demandons-nous ce qu'il faut faire pour que les chiffres changent. Nous savons très bien que la méthode dont je parle donne de bons résultats, et c'est indéniable. Nous voudrions qu'elle soit appliquée partout. Appliquons-nous-y sérieusement.
Regardez quels sont les déficits nutritionnels dont souffrent tous les alcooliques qui viennent se faire traiter. Regardez le taux de zinc ou de vitamine D parmi d'autres. Certaines de ces déficiences déclenchent le diabète. Cela est très facile à traiter dans un centre de traitement, mais cela finit par coûter cher en bout de piste, comme on peut le voir dans l'incidence du diabète. Quatre-vingt-cinq à 95 p. 100 de tous les alcooliques qui se font traiter souffrent d'hypoglycémie. Que cela signifie-t-il en bout de piste si on ne les soigne pas au départ? C'est beaucoup plus facile à soigner au début, et beaucoup moins cher aussi. Il est beaucoup plus économique de soigner la déficience en vitamines ou en minéraux et les maladies coronariennes à leur début, dans un centre de traitement, que d'attendre plusieurs années.
Si vous souffrez d'une déficience en zinc vous allez vous sentir déprimé. Toutes les séances de thérapie au monde ne parviendront pas à vous guérir. Mais si vous êtes celui qui souffre d'une déficience en zinc, vous allez essayer de trouver une solution. Vous allez essayer de trouver l'enfant en vous-même, ou l'enfant à l'extérieur de vous-même, vous allez consulter un spécialiste des agressions sexuelles et toutes sortes d'autres spécialistes, pour essayer de vous sentir mieux. Je vous assure que c'est ce qui se produit. Nous n'arrêtons pas d'envoyer nos malades en thérapie. Ce n'est pas que la thérapie fasse mal, mais elle ne suffit pas à elle seule.
Il faut se pencher sur l'aspect physique et vraiment remédier aux torts causés par l'alcool. Ils sont nombreux. Nous connaissons les troubles qu'entraîne l'alcool, et ils ne sont pas si difficiles que cela à corriger. Il est même très simple d'y remédier. Il s'agit tout simplement de former nos gens et d'avoir les ressources nécessaires. De plus, cela permet d'économiser énormément à long terme et de sauver bien des vies. Voilà pourquoi je vous dis que vous avez une occasion en or d'améliorer la santé des Indiens de toutes les catégories, et que cela ne vous coûtera pas nécessairement très cher. Mais ne pas traiter cette maladie vous coûtera bien plus cher plus tard.
Le président: Monsieur Hill.
M. Grant Hill (Macleod, Réf.): Merci, monsieur le président, et merci à vous, monsieur Shirt. Dans votre introduction, vous avez brièvement mentionné les services de santé non assurés. De quoi parliez-vous exactement?
M. Shirt: Prenons le cas de l'Alberta. Je n'ai pas les chiffres avec moi, mais je peux facilement les obtenir. L'Alberta compte 13 centres de traitement pour Autochtones. Il y en avait 15, mais nous en avons perdu un ou deux, comme le Napi Lodge de Lethbridge qui a disparu puis réapparu.
Nous avons toujours été avant-gardistes en ce qui concerne l'alcoolisme. Si on ne traite pas la maladie, les symptômes que nous avons décrits ne disparaissent pas non plus: ce sont la dépression, la perte de mémoire, l'anxiété, l'irritabilité, la confusion et la colère soudaine. Or, les malades essaient de trouver quelque chose qui les soulage de ces symptômes psychologiques.
Par conséquent, nous nous retrouvons avez des gens qui consultent les médecins pour se faire donner soit des stimulants soit des calmants. Un des gars avec qui je me rendais un jour à un pow-wow en Alberta m'a révélé qu'il n'avait pas bu une goutte depuis 18 ans, mais qu'il s'arrangeait pour croquer une ou deux petites pilules qui servaient à éteindre le feu - nous l'appelons astawikonsa en Cri. Dès qu'il arrivait chez lui, il prenait du halcyon et cela lui permettait de fonctionner convenablement.
M. Grant Hill: Vous n'avez pas répondu à ma question, Eric.
M. Shirt: Je vous parle simplement de l'utilisation des médicaments d'ordonnance - des services de santé non assurés. Ce sont les services de santé non assurés qui font grimper le coût des services médicaux, c'est-à-dire lorsqu'on consulte un médecin pour se faire prescrire un médicament. Tout ce qui n'est pas assuré par l'assurance-maladie de l'Alberta... Les Indiens de l'Alberta visés par un traité ont le taux d'utilisation des médicaments sur ordonnance le plus élevé par habitant, mais c'est aussi parce que nous traitons l'alcoolisme depuis plus longtemps que les autres.
Le chef Chris Shade m'a déjà expliqué que chaque fois que la population de la réserve Blood se saoule, le taux d'utilisation des médicaments d'ordonnance chute considérablement, alors que dès que la population opte pour la sobriété, le taux de consommation des médicaments d'ordonnance grimpe.
M. Grant Hill: Vous parlez des médicaments d'ordonnance qui sont remboursés ailleurs que par le système normal des soins de santé.
M. Shirt: Oui.
M. Grant Hill: Ce sont les médicaments qui sont remboursés aux Autochtones.
M. Shirt: Et qui sont assurés par la Direction générale des services médicaux.
M. Grant Hill: Vous avez parlé de la déficience nutritionnelle chez les alcooliques. Vous avez tout à fait raison. Vous, vous essayez de traiter la déficience nutritionnelle pour qu'ils soient en meilleure santé, et pas seulement de traiter leur alcoolisme. Plus spécifiquement, quels sont les éléments qui sont déficients et que vous pouvez remplacer?
M. Shirt: Il y a une déficience en acides aminés, en vitamines et en minéraux en grande partie parce que l'alcoolique... Il y a deux choses qui surviennent. D'abord, les alcooliques ne mangent pas convenablement, voire ne mangent pas du tout, lorsqu'ils sont sous l'effet de la boisson. Ils sautent des repas. Ensuite, l'alcool irrite les parois de l'estomac, ce qui nuit à l'absorption des éléments nutritifs.
L'alcool détourne le foie de son rôle, à cause de sa grande toxicité. Le foie essaye donc par tous les moyens de se débarrasser de l'alcool plutôt que d'essayer de retirer les éléments nutritifs des aliments et de les distribuer ailleurs dans le système. L'alcool détourne donc le foie de son objectif premier, qui est de retirer les éléments nutritifs de l'aliment et le force à se débarrasser de cette substance toxique. Voilà la façon dont...
M. Grant Hill: Vous avez parlé des acides aminés, des vitamines et des minéraux.
M. Shirt: Oui.
M. Grant Hill: Dans votre proposition, vous mentionnez les macro-éléments nutritifs, ces suppléments consommés en dose plus élevée qu'on ne le ferait normalement.
M. Shirt: Je parlais des éléments nutritifs dont nous avons énormément besoin, tel que l'eau. En ce qui concerne la formule de désintoxication... Cela se trouve dans le classeur que je vous ai fourni.
À la section 4, vous trouverez les éléments nutritifs énumérés à la deuxième page, alors que la formule se trouve à la dernière page. Ainsi, nous avons remarqué qu'il est très utile d'absorber 12 000 milligrammes de vitamine C. Il en coûte donc au centre de traitement 3 $ par jour pour distribuer ces vitamines à nos clients.
M. Grant Hill: C'est justement la page qui m'intéressait.
Vous savez sans doute que la direction générale de protection de la santé est en train d'inscrire sur la liste des «espèces en voie de disparition» de nombreux suppléments vitaminiques. Savez-vous qu'il est impossible dans certains autres pays de mettre la main sur des grandes doses de vitamine C dont vous parlez? Cela ne vous inquiète-t-il pas de savoir que certaines des initiatives de la direction générale de la protection de la santé pourrait nuire à votre programme?
M. Shirt: Je ne sais pas ce que fait la direction générale. Une des choses que nous savons, c'est que si l'on regarde les statistiques... combien de décès sont dus à l'absorption d'aliments nutritifs au cours de la dernière année? Combien de personnes sont mortes pour avoir consommé des médicaments en vente libre? Combien de gens sont décédés pour avoir pris des médicaments sur ordonnance? Pour établir l'innocuité d'un produit, il faut se demander combien de gens cela représente. À l'exception des vitamines liposolubles, les éléments nutritifs... le corps n'a pas besoin d'éléments hydrosolubles et s'en débarrasse. Si l'on prescrit des doses élevées au cours de la phase initiale, c'est pour habituer le corps à absorber ces éléments nutritifs.
M. Grant Hill: Je vous pose la question différemment: avez-vous eu de la difficulté à vous procurer récemment certains des ingrédients dont vous avez besoin?
M. Shirt: Oui, les acides aminés.
M. Grant Hill: Savez-vous pourquoi?
M. Shirt: Non.
M. Grant Hill: C'est parce que la direction générale de la protection de la santé exige qu'on leur donne un numéro d'identification DIN, et c'est pourquoi ils sont devenus moins faciles à obtenir au Canada. Je pensais que vous étiez au courant, étant donné qu'ils ont une grande importance dans les programmes nutritionnels.
M. Shirt: Non. Je me procure mes acides aminés aux États-Unis que je fais venir par messager.
M. Grant Hill: Depuis quand le faites-vous? Naguère, on pouvait les obtenir au Canada.
M. Shirt: Lorsque je me trouvais en Australie, je me les procurais aux États-Unis, de telle sorte qu'à mon retour au Canada, j'ai gardé les mêmes fournisseurs car j'en étais satisfait.
M. Grant Hill: Bien.
M. Shirt: Je ne pouvais obtenir le tryptophane des États-Unis. Je devais me le procurer au Canada, mais il me fallait une ordonnance. Il était possible de se le procurer en Alberta, mais pas nécessairement dans les autres provinces.
M. Grant Hill: Très bien. Merci.
Le président: Votre contribution a été des plus intéressantes, et nous pourrions vous garder toute la journée. Vous nous avez donné beaucoup de documents et stimulé notre intérêt pour tout un nouveau domaine, de même qu'il n'est peut-être pas si nouveau que cela pour tous les membres du comité, mais certainement pour moi. Merci encore de votre participation. Nos recherchistes communiqueront avec vous, sans doute pour obtenir des renseignements supplémentaires. Merci d'avoir partagé avec nous votre expérience.
M. Shirt: Merci de m'avoir accueilli, et n'hésitez pas à répandre la bonne parole.
Le président: Nous invitons maintenant M. David McKeown, du Service de santé publique de la ville de Toronto, à s'asseoir à la table des témoins. Bienvenue, monsieur McKeown. Nous sommes ravis de vous accueillir. Si vous avez préparé une déclaration, nous vous écouterons, après quoi les membres du comité vous poseront des questions. Vous avez la parole.
Dr David McKeown (médecin, Service de santé publique de la ville de Toronto): Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, d'avoir invité le Service de santé publique de la ville de Toronto à comparaître.
En tant que médecin à la ville de Toronto, je supervise toute une gamme de programmes et de services de santé publique dispensés par la ville. Je suis également conseiller en matière de programmes et de politiques de santé auprès de notre Commission de la santé et du conseil municipal.
Notre travail en matière de santé publique couvre toute la gamme des substances dont votre comité est saisi, soit le tabac, l'alcool, les médicaments en vente libre et les médicaments d'ordonnance, ainsi que les drogues illicites. Nous oeuvrons auprès de populations des plus diverses, et il nous semble évident qu'il y a autant de différences chez ceux qui utilisent ces substances qu'il y a de raisons qui expliquent leur utilisation.
Nos services incluent toute une gamme de services directs, notamment le counselling, l'éducation de groupes, et la programmation dans les écoles, les collectivités et en milieu de travail. Nous organisons des campagnes de promotion de la santé, soit ciblées, soit générales, à l'intention de la population torontoise. Nous offrons également un programme de subventions à la collectivité, dont je vous parlerai plus en détail plus tard. Nous considérons les politiques fédérale et provinciale, sur lesquelles nous tentons d'exercer une certaine influence, ainsi que la politique locale comme des outils essentiels.
Nous avons voulu, par exemple, interdire la cigarette dans les lieux publics pour inciter les gens à cesser de fumer et pour protéger la population des méfaits de la fumée des autres. Vous avez peut-être entendu parler de nos récents efforts destinés à faire appliquer dans les bars et les restaurants le règlement le plus strict du pays en ce sens.
Comme je suis un fournisseur de services urbains, j'aimerais commenter brièvement la politique fédérale et les orientations stratégiques qui sont nécessaires pour améliorer la santé des Canadiens et pour étayer notre travail à l'échelle locale. Les Canadiens peuvent espérer un avenir plus sain grâce au projet de loi C-71 qui a été adopté par votre comité et par la Chambre des communes et qui, nous l'espérons, sera adopté rapidement par le Sénat.
La décision de la Cour suprême d'abroger certaines parties de la Loi réglementant les produits du tabac, dans la foulée de la baisse de la taxe sur les cigarettes en 1994, a effectivement fait dévier la politique fédérale sur le tabac. À mon sens, ce nouveau projet de loi-ci remet sur la bonne voie le gouvernement, car il freine et réduit l'usage du tabac, particulièrement chez les jeunes Canadiens, alors que nous avions récemment constaté une remontée du tabagisme chez eux.
Malheureusement, les récentes initiatives fédérales en matière de politiques concernant l'alcool et d'autres drogues n'ont pas réussi aussi bien à servir les intérêts des Canadiens sur le plan de la santé publique. Du côté de l'alcool, le cadre de réglementation régissant la publicité radio-télédiffusée a récemment été modifié en vue d'éliminer, notamment, l'examen et l'autorisation préalables obligatoires des publicités radiophoniques et télévisées. De plus, on a réussi à faire dévier la stratégie visant à faire apposer des étiquettes sur les contenants de boisson alcoolique, et j'avais cru comprendre que le mandat de votre comité avait été élargi pour l'inclure.
Pour ce qui est de la politique sur les drogues, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances a maintenu l'accent sur la criminalisation et les amendes. C'est bien sûr important, mais cela nous empêche de trouver des solutions créatrices en vue de réduire les méfaits associés à l'utilisation des drogues illicites, solutions qui incluent des programmes d'échange de seringues - nous en offrons un nous-mêmes - les cliniques de traitement à la méthadone, qui jouent un rôle très important et que nous tentons d'établir à une plus grande échelle à Toronto, et la prescription de substances réglementées aux drogués.
La loi criminalisait également le khat, cette drogue utilisée principalement à des fins sociales, religieuses et cérémonielles par certains groupes d'immigrants au Canada, dont un certain nombre se sont installés dans la région de Toronto.
Cependant, cet examen de la politique fédérale nous permet de revoir certains de ces changements, de songer à d'autres possibilités et d'opter pour des solutions susceptibles de prévenir et de minimiser les torts causés par l'abus de l'alcool et des drogues, tant aux utilisateurs qu'à l'ensemble de la population.
Je sais que le comité a déjà entendu de nombreux témoins. Le tabac et l'alcool, de même que la consommation et l'abus d'autres médicaments et drogues illicites, causent beaucoup de tort à notre société, mais je n'ai pas l'intention d'entrer dans les détails. Sur le plan économique, on évaluait le coût de ces abus à 18,5 milliards de dollars en 1992. Comme vous le savez, le tabac et l'alcool sont de loin les substances qui contribuent le plus à ces coûts, non seulement sur le plan économique, mais aussi à cause du pourcentage de la population ayant des problèmes de santé reliés à ces substances.
Depuis quelques années, nous avons constaté dans la région métropolitaine de Toronto une augmentation de la consommation du tabac chez les jeunes, de la consommation à risque d'alcool, encore une fois chez les jeunes, et de la consommation de drogues illicites. Nous nous attendons donc à une augmentation des coûts et des problèmes causés par ces substances dans notre région du pays après 1992.
À titre de nation, nous n'avons certes pas les moyens de continuer à soutenir un tel fardeau évitable, dont les effets se font surtout sentir au niveau local, là où les gens habitent, fréquentent l'école et travaillent et où sont fournis la plupart des services de santé.
De nos jours, les services locaux comme les services de santé publique doivent relever des défis plus importants que jamais pour s'attaquer aux problèmes d'abus d'alcool et de drogues et répondre aux besoins en matière de santé liés à ces abus à mesure que diminuent ou disparaissent les ressources affectées à ces services et à ceux de nos partenaires communautaires. Il devient donc encore plus important que jamais, à cause de ces restrictions, d'utiliser nos ressources de façon efficace et appropriée pour prévenir et réduire les torts causés par l'abus de l'alcool et des drogues et de favoriser des habitudes plus saines.
Je voudrais ici mettre en lumière deux questions clés que votre comité devrait envisager relativement au cadre fédéral. La première consiste à établir un équilibre approprié des approches et stratégies utilisées. Deuxièmement, je voudrais souligner à quel point il importe que le gouvernement appuie les initiatives communautaires à l'échelle locale.
D'abord, pour ce qui est des stratégies à l'égard des médicaments et drogues, il y a toutes sortes de façons de s'attaquer aux abus, et je suis certain que vous en avez déjà entendu parler et que vous avez eu de nombreuses discussions à ce sujet. Je songe notamment à des politiques de contrôle, à des initiatives de prévention, à l'acquisition de connaissances et de compétences, à l'éducation, à l'application des lois et aux traitements. Le plus difficile consiste à établir l'équilibre approprié pour différentes substances. Même s'il faut continuer à faire respecter les lois, on peut favoriser une meilleure coordination entre les services de santé et les services policiers, qui coûtent très cher dans l'ensemble.
Selon moi, il vaudrait mieux investir dans des initiatives visant à réduire la demande et dans des stratégies de réduction des préjudices, comme le préconisait la stratégie canadienne antidrogue, qui tire maintenant à sa fin, et se concentrer sur les conditions socio-environnementales qui mènent ou qui contribuent à l'abus des drogues, comme le logement, l'emploi, l'éducation et le stress familial.
La façon d'appliquer ces initiatives de réduction de la demande et des préjudices devra varier selon les substances et selon que le pouvoir de prendre des mesures appartient à l'administration municipale, provinciale ou fédérale, ou à une combinaison des trois. Dans le cas du tabac, nous devons clairement, comme dans le passé, nous concentrer sur des initiatives de prévention et des programmes visant à encourager les gens à cesser de fumer, en même temps que sur des stratégies de protection de la santé, comme la création d'endroits publics sans fumée, pour créer un milieu qui favorise une consommation sage ou la non-consommation de tabac.
Dans le cas de l'alcool, nous devons nous concentrer sur des programmes de promotion d'utilisations à faibles risques, de prévention de beuveries, et nous concentrer aussi sur les cas où il est plus sage de ne pas consommer d'alcool du tout, par exemple avant de prendre la route ou pendant une grossesse.
On pourrait prendre des initiatives pour réduire les préjudices causés par l'alcool à tous les échelons gouvernementaux: à l'échelon municipal, on peut adopter des politiques relatives à l'alcool, comme l'ont fait certaines municipalités de l'Ontario, y compris Toronto; à l'échelon provincial, on pourrait avoir un programme de formation obligatoire sur les méthodes d'intervention pour les serveurs, comme nous incitons l'Ontario à le faire; et, à l'échelon fédéral, on pourrait exiger que tous les récipients de boisson alcoolique soient munis d'une étiquette d'avertissement.
Relativement au tabac et à l'alcool, il est essentiel de mettre sur pied des stratégies dans un cadre de politique fédérale-provinciale bien coordonné afin de contrôler les variables critiques qui influencent la consommation, comme le prix et les impôts, l'accès et la disponibilité, la publicité et la promotion.
Dans le cas des autres substances, il faudrait que les stratégies de réduction des préjudices comprennent des services mobiles ou à lieu fixe d'échange de seringues, des cliniques de traitement à la méthadone et la mise à l'essai de nouvelles initiatives, comme des programmes de prédéjudiciarisation et de postdéjudiciarisation. Ces services doivent être coordonnés avec les services et programmes de traitement appropriés pour créer une chaîne de services constante, un meilleur accès à des services de santé et à des services sociaux de qualité et des soutiens pour les consommateurs.
La deuxième question sur laquelle je voudrais insister a trait à la nécessité pour tous les échelons gouvernementaux d'appuyer davantage les initiatives locales sur une petite échelle. Il est important de mettre sur pied des initiatives à l'échelle locale administrées au niveau local pour réduire la demande de toutes les substances nocives. Depuis quelques années à Toronto nous nous sommes engagés à favoriser des projets de prévention de l'abus de drogues à l'échelle communautaire.
Depuis 1990, nous avons un programme de prévention de l'abus de drogues dans le cadre duquel nous offrons de petites subventions annuelles qui s'élèvent à un maximum de 500 000 $ par année au total. Depuis six ans, grâce à ce programme et de concert avec d'autres organismes et échelons gouvernementaux, nous avons aidé au financement de 300 projets communautaires. Cela représente en moyenne seulement 10 000 $ par projet.
Dans l'ensemble, ces projets ont visé avant tout à renforcer la capacité communautaire, y compris pour les jeunes présentant des risques et pour leurs familles, à promouvoir des modes de vie sains et positifs, à joindre les communautés multiculturelles et à construire des partenariats, des réseaux et des coalitions entre les organismes locaux et les groupes communautaires. Grâce à cette approche de responsabilisation ou de promotion de la capacité communautaire, les communautés de Toronto ont pu se renforcer elles-mêmes. Selon moi, cela a aidé à freiner la détérioration causée par l'augmentation de la consommation de drogues dans les principaux centres urbains de l'Amérique.
L'un de nos projets, appelé Ambassador School Partnership, a fait l'objet d'un article de fond dans le numéro de juillet dernier du Maclean's, dont je pense vous avoir remis une copie. Ce programme s'adressait aux jeunes sans-abri et aux décrocheurs. Le projet s'applique aussi bien à l'école qu'au travail, ce qui permet aux participants de poursuivre leurs études pour obtenir des crédits et des compétences suffisantes pour trouver un meilleur emploi.
En outre, les participants servent d'ambassadeurs du projet en allant dans les écoles de Toronto pour parler aux autres élèves, surtout aux plus jeunes, de la dure vie des sans-abri et de leurs propres expériences face à la drogue et à l'alcool.
Nous songeons maintenant à donner de nouvelles orientations au projet pour nous occuper aussi des personnes un peu plus âgées, offrir des services d'organisation, de formation professionnelle et de développement des compétences, et nous attaquer aussi aux obstacles relatifs à l'alimentation et au logement, c'est-à-dire à certaines des causes socio-économiques déterminantes dont j'ai parlé tantôt.
En plus de profiter de subventions municipales, le projet Ambassador a eu l'appui de la stratégie canadienne antidrogue, mais ce financement cessera à la fin de mars. Nous cherchons maintenant à obtenir l'aide de la société, mais le gouvernement fédéral ne devrait pas nous retirer son appui pour ce projet et d'autres initiatives du même genre.
Un autre projet novateur que nous avons appuyé localement grâce au fonds de prévention d'abus des drogues de la ville et en partenariat avec le Conseil des écoles séparées du grand Toronto et la ville de York, une municipalité voisine, c'est une coalition communautaire portugaise appelée Pais e Filhos, ce qui veut dire parents et enfants.
Cette coalition a été formée parce que les membres de la communauté portugaise, la plus importante communauté non anglophone de Toronto, s'inquiétaient du gouffre qui séparait les parents de leurs enfants. Ce gouffre était dû en partie au problème d'assimilation culturelle et à l'absence de ressources appropriées pour aider les parents à faire face à des problèmes comme la consommation d'alcool et de drogues.
La coalition a donc élaboré un processus communautaire sur deux ans et tenu une série de réunions sur les questions reliées à l'utilisation des substances illicites, et à la sexualité et à la violence, qui ont eu beaucoup de succès et qui ont été très populaires.
La coalition a récemment mis sur pied des programmes de développement des compétences parentales sur le modèle du programme Partons du bon pied, de Santé Canada. La coalition a adapté ce programme aux besoins de la communauté portugaise et offre aussi dans le cadre de ce programme une brochure en portugais sur les compétences parentales.
La coalition collabore maintenant avec les médias de la localité pour mettre au point de la publicité donnant des conseils aux parents, par exemple dans le cadre de publicités qui passeraient au moment des émissions populaires des stations de télévision ethniques.
Ce programme a suscité beaucoup d'intérêt ailleurs dans le pays. Nous avons notamment reçu des demandes de renseignements de la ville de Winnipeg, qui voudrait faire pour sa propre communauté ce que fait notre coalition. C'est à cet égard que l'aide du gouvernement fédéral serait très utile pour diffuser des renseignements sur ce genre de programme et d'apprentissage.
Grâce à notre fonds de subventions municipales, nous avons aussi appuyé des projets visant à réduire la violence reliée aux gangs de jeunes et à l'abus des drogues, en incitant les jeunes à dépenser leurs énergies dans des programmes d'art, de loisirs et de développement économique communautaire. Le théâtre a été un moyen de choix pour la solution de problèmes, et nous avons aussi financé des projets de théâtre pour adolescents, des ateliers et un spectacle annuel destiné aux étudiants des écoles secondaires et basé sur un dialogue interactif au sujet de la consommation d'alcool et de drogue, et sur les problèmes interpersonnels.
J'espère que ces quelques exemples vous donneront une idée de l'énergie, de la créativité et du potentiel qui existent à l'échelon local pour prévenir et réduire les torts causés par la consommation de substances nocives.
Dans quelques cas, certains projets ont été financés grâce à la stratégie canadienne antidrogue, mais dans la plupart des cas l'appui nécessaire est venu de notre fonds municipal et de partenariats locaux. Notre capacité de maintenir cet appui est vraiment mise à l'épreuve à l'heure actuelle, et il faudrait nettement que le gouvernement fédéral apporte sa contribution.
Nous avons aussi besoin de l'appui du gouvernement fédéral pour fournir des services de réduction des préjudices causés par la drogue, par exemple des services d'échange de seringues et des cliniques de traitement à la méthadone. Vu qu'il y a plus de toxicomanes dans des centres urbains comme Toronto, les besoins y sont plus grands, et nous avons aussi un plus grand besoin d'aide. Un élément clé de toute stratégie antidrogue dans une communauté est un système d'information fiable qui puisse nous dire qui consomme quoi et quand, quelles substances sont consommées et quelles sont les tendances. Il est tout à fait nécessaire d'avoir ces renseignements pour mettre sur pied des programmes appropriés et pour évaluer leur efficacité.
Relativement au tabac et à l'alcool, nous avons des moyens assez fiables pour évaluer les habitudes de consommation et les tendances dans la communauté. C'est cependant beaucoup plus compliqué dans le cas des drogues illicites. Depuis 1990, le Metro Toronto Research Group on Drug Use surveille les tendances de la consommation des drogues illicites en rassemblant des données obtenues de diverses sources. Ce groupe se compose de représentants des services de santé publics, de la police locale, du bureau du coroner, de la Fondation de la recherche sur la toxicomanie et d'autres organismes qui peuvent aider à comprendre les tendances de la consommation de drogue dans le Grand Toronto.
Nous avons proposé que l'on crée ailleurs au Canada des groupes de surveillance du même genre qui pourraient ensuite être constitués en réseau. Le Centre canadien de lutte contre les toxicomanies a accueilli favorablement cette proposition et a commencé à y travailler. Selon moi, il est parfaitement bien placé pour faire le travail de soutien et de coordination nécessaire, mais comme le financement du centre est menacé, cet important projet l'est aussi.
Je voudrais terminer en soulignant que, si nous voulons réaliser des progrès importants en matière de santé pour réduire les abus de drogue, le gouvernement fédéral doit faire preuve de leadership et prendre des engagements dans plusieurs domaines, en l'occurrence la prévention et la réduction de la consommation de tabac et d'alcool, le financement continu d'initiatives locales communautaires, l'appui à des services novateurs de réduction des préjudices, par exemple des programmes d'échange de seringues et des cliniques de traitement à la méthadone, et des stratégies axées sur les besoins locaux et, enfin, l'investissement dans des systèmes de recherche et d'information sur les faits nouveaux et les réussites obtenues un peu partout dans le pays.
Cela met fin à mon exposé, monsieur le président. Merci beaucoup de votre attention.
Le président: Merci, docteur McKeown.
Avant que nous passions aux questions, je voudrais dire un mot au sujet de notre programme. La Chambre des communes sera ajournée pendant deux semaines. À cause de cela, nous devons prendre deux ou trois décisions ce matin.
Le problème, c'est que presque tous les membres de notre comité sans exception doivent assister à d'autres réunions de comités ce matin pour une raison ou une autre. Nous n'avons pas maintenant le quorum parce que M. Hill vient de nous quitter, mais nous essayons de trouver quelqu'un d'autre. Nous avons besoin de six corps chauds au total. Si nous pouvons obtenir le quorum d'ici quelques instants, nous interromprons les questions pour adopter quelques motions, si vous êtes d'accord.
[Français]
Vous avez bien compris ce que j'ai dit, monsieur de Savoye?
M. Pierre de Savoye: Tout à fait, monsieur le président.
[Traduction]
Le président: Très bien, allez-y.
M. Pierre de Savoye: Ne vous inquiétez pas. Je reste.
Le président: Vous pouvez poser votre question, mais je risque de vous interrompre.
M. Pierre de Savoye: Je comprends, et je suis parfaitement d'accord.
[Français]
Monsieur McKeown, parlez-vous français ou préférez-vous vous servir de l'interprétation?
M. McKeown: Si vous me posez des questions en français, je vais essayer d'y répondre, mais ce sera probablement en anglais parce que je puis être plus précis dans cette langue.
M. Pierre de Savoye: C'est merveilleux. Je l'apprécie beaucoup. J'ai compris, à ce que vous avez dit dans votre présentation, que vous êtes d'avis que les forces de l'ordre doivent continuer à jouer leur rôle mais que vous trouvez cette mesure coûteuse. Vous trouvez que cela coûte cher.
Vous prétendez que le résultat serait probablement meilleur si on investissait dans une réduction de la demande et dans des stratégies visant à réduire les dommages à la santé et vous mentionnez divers domaines comme le milieu social, le logement, l'emploi et l'éducation.
Ce que vous nous dites en réalité, c'est qu'il faut faire attention où on met notre argent, parce qu'il y a une question d'efficience.
Le président: Excusez-moi. Nous avons maintenant...
M. Pierre de Savoye: À vous, monsieur le président.
[Traduction]
Le président: Nous nous étions entendus pour interrompre les questions pour adopter quelques motions. Je remercie Ovid et Geoff de s'être joints à nous pour quelques instants. Nous devons adopter quelques motions à propos du rapport sur les enfants, qui aurait dû être présenté à la Chambre, mais qui ne l'a pas encore été pour diverses raisons.
Nous avons besoin de trois motions. Je vais vous les lire, et si vous voulez en discuter, faites-le. La première dit que, en conformité avec l'article 109 du Règlement, le comité demande au gouvernement de déposer une réponse complète au rapport dans les 150 jours qui suivent.
C'est une motion présentée pour la forme, mais nous ne l'avons pas adoptée auparavant.
M. Andy Scott (Fredericton - York - Sunbury, Lib.): Je le propose.
La motion est adoptée
Le président: La deuxième motion demande que le président soit autorisé à publier un communiqué ou à tenir une conférence de presse immédiatement après le dépôt du rapport à la Chambre.
Mme Bonnie Hickey (St. John's-Est, Lib.): Je le propose.
La motion est adoptée
Le président: La troisième demande que le comité fasse imprimer 1 500 exemplaires de son septième rapport sous forme bilingue avec présentation tête-bêche et couverture spéciale.
M. Andy Scott: Je le propose.
La motion est adoptée
[Français]
M. Pierre de Savoye: Monsieur le président, à propos de la deuxième motion qui a été adoptée, est-ce que lors de votre conférence de presse, vous inviterez également des représentants de l'opposition?
Le président: Oui. Le parti sera invité.
M. Pierre de Savoye: Merci.
[Traduction]
M. Andy Scott: Ce ne serait pas une fête si vous n'étiez pas là.
Le président: Oui, et je tiens à vous remercier et à remercier Ovid.
Docteur McKeown, voilà comment nous procédons à notre comité. Ce sera la même chose quand vous aurez votre mégaville.
Merci de votre indulgence. Allez-y.
[Français]
M. Pierre de Savoye: À ce que vous nous dites, et je reprends au point où j'en étais rendu, en termes d'efficience, l'argent investi dans la prévention et la réduction des dommages à la santé donnerait de meilleurs résultats dollar pour dollar que l'argent investi dans l'application des lois. C'est ce que je crois comprendre.
Cela ne veut pas dire qu'il faille éliminer complètement l'un, mais s'il faut faire des coupures... Voici où je veux en venir. Dans le contexte dans lequel nous vivons et que vous connaissez, année après année, le gouvernement coupe dans les programmes, sabre dans les budgets.
Ce que vous nous dites, c'est que s'il faut sabrer, on ne doit pas sabrer là où l'efficience est plus grande. Il faut faire en sorte que des budgets suffisants soient accordés aux organismes qui font de la prévention et de la réhabilitation de manière à avoir les meilleurs résultats possibles.
J'ouvre une parenthèse et je vais vous demander de tenir compte de tout cela ensuite dans votre réponse. Je me rappelle, alors qu'on étudiait le projet de loi C-7 ou C-8, d'avoir demandé aux gens du ministère de la Santé qui s'occupaient du programme de la stratégie antidrogues s'ils avaient des chiffres, des statistiques qui démontraient l'efficacité de leurs mesures. La réponse que j'ai eue avait été que cela n'existait pas.
Or, ici, vous proposez de mettre sur pied, à partir de vos expériences, un réseau national qui servirait à mesurer les effets de l'argent investi.
En un mot, ce que je comprends de ce que vous nous dites, c'est qu'il faut mettre l'argent là où c'est rentable et instaurer des moyens de vérifier cette rentabilité.
Pouvez-vous nous communiquer vos commentaires?
[Traduction]
Dr McKeown: D'après moi, compte tenu de ce que nous investissons déjà dans les stratégies antidrogue, nous avons très peu de preuves que nous obtiendrions de bons résultats en investissant davantage dans des programmes d'application des lois. Par ailleurs, même si, comme un autre témoin l'a dit, nous avons très peu de renseignements sur l'efficacité de certaines activités de prévention, il y a nettement des domaines où il serait très utile d'investir davantage.
Un bon exemple est le traitement d'entretien à la méthadone. À Toronto, il y a de longues listes d'attente de consommateurs d'opiacés qui voudraient suivre un traitement d'entretien à la méthadone. De très bonnes études ont révélé qu'il en coûte beaucoup moins cher à l'État de payer pour un traitement d'entretien à la méthadone que d'avoir quelqu'un qui vole pour pouvoir acheter de la drogue.
Au point où nous en sommes maintenant, il y a certes des domaines où cela ne donnerait pas grand-chose d'instaurer de nouveaux programmes d'application des lois. D'autre part, nous avons constaté l'efficacité de certaines mesures de prévention et de réduction des préjudices. Je répète que c'est ce que nous avons pu constater jusqu'ici.
Pour ce qui est de l'information sur la consommation et l'abus des drogues et les tendances qui se dégagent, il est essentiel pour nous d'avoir ces renseignements pour déterminer ce qui est efficace et ce qui ne l'est pas. Dans le cas de l'alcool et du tabac, comme je l'ai déjà dit, nous avons déjà des renseignements relativement complets sur les habitudes de consommation partout dans le pays.
Il est beaucoup plus difficile d'obtenir de tels renseignements pour les drogues illicites. À titre d'épidémiologiste, il me semble que le type d'approche collaborative que j'ai mentionnée et qui est déjà utilisée dans la région du Grand Toronto est l'un des meilleurs moyens pour nous d'obtenir les renseignements nécessaires.
[Français]
M. Pierre de Savoye: En fait, monsieur le président, je trouve que cette idée de contrôler les résultats est brillante en ce sens qu'elle permettrait non seulement d'identifier les moyens qui fonctionnent, mais aussi de mieux cibler les investissements par la suite. Actuellement, nous entendons des témoignages, mais notre information quantitative est à peu près inexistante. On se fie énormément aux impressions qualitatives. C'est tout ce que l'on a. Moi, je trouve que cette suggestion est brillante.
Merci, monsieur le président.
[Traduction]
M. Andy Scott: Je voudrais faire une brève intervention, et je m'excuse d'avance parce que je devrai partir très bientôt.
Je suis bien d'accord avec mon collègue à propos de notre capacité d'évaluer divers genres de programmes, mais je voudrais dire un mot à propos du rôle du gouvernement fédéral, particulièrement dans le contexte de votre mémoire écrit. Je devrais sans doute parler plutôt du rôle du gouvernement fédéral et de l'endroit où nous nous insérons dans la stratégie globale.
D'après le ton de votre exposé, j'imagine que vous favorisez une approche de réduction des préjudices plutôt que des interventions policières. D'après vous, quel rôle les organismes, ou même les particuliers comme vous-même, peuvent-ils jouer pour créer un climat qui nous permettrait d'avoir une attitude plus libérale à l'égard de certaines de ces substances?
Je n'ai pas l'impression que le problème vienne tant de la méthode que, dans le cas de ma communauté par exemple, du fait que les gens ont beaucoup de mal à accepter qu'on puisse lutter contre l'abus des drogues en instaurant une stratégie de réduction des préjudices.
D'après moi, c'est une réalité politique que nous devons tous accepter. Il faudrait donc que ceux qui ne sont pas sur la scène politique et qui ont davantage de crédibilité que nous à ce sujet prennent l'initiative et nous aident à créer un climat qui nous permette d'atteindre cet objectif.
La question du rôle que doit jouer le gouvernement fédéral n'est pas liée uniquement à la stratégie antidrogue ou à la participation active du gouvernement fédéral. Si nous décidons qu'il y a un problème grave au Canada et que le gouvernement fédéral doit intervenir, d'habitude sans l'appui enthousiaste de mon collègue de Portneuf...
Le fait est que si le gouvernement fédéral décide qu'il existe un grave problème dont nous devons nous occuper et que nous disons que nous voulons mettre sur pied une stratégie antidrogue sur cinq ans, ou bien encore une stratégie de cinq ans relative à l'incapacité, et que nous allons essayer de nouvelles méthodes pour nous attaquer au problème et faire toutes sortes de choses, mais qu'au bout de cinq ans nous allons décider de nous attaquer à autre chose, par exemple au sida ou à n'importe quoi d'autre... Si, après cinq ans, nous décidons que tous ces programmes sont trop utiles pour être abandonnés, cela risque de nous empêcher d'identifier de nouvelles crises.
Alors, que devons-nous faire? Devons-nous maintenir certains programmes? Ce sont des programmes utiles. Personne ne le nie, je pense. Mais que faut-il faire si le gouvernement fédéral doit plutôt attirer l'attention des provinces, des localités et des organismes sur un autre problème très grave, étant donné que nous disposons de ressources limitées? Comment pouvons-nous faire la part des choses?
Je suis certain que vous conviendrez qu'il peut certainement survenir quelque chose sur quoi le gouvernement fédéral voudra concentrer son énergie au bout de trois ans. Cela peut vouloir dire que nous ne pourrons plus nous occuper autant qu'avant de certaines choses auxquelles nous consacrons maintenant beaucoup d'énergie.
Comment pouvons-nous à la fois favoriser ce genre d'intervention et maintenir des programmes efficaces?
Dr McKeown: À mon avis, le gouvernement fédéral doit continuer à jouer certains rôles malgré les crises possibles.
Dans le domaine de la santé, où je travaille moi-même, nous avons un système très décentralisé. La plus grande partie des services de santé sont décentralisés à l'échelon provincial. Par exemple, les services de santé publique sont délégués, et il existe donc 42 services de santé publique dans ma province. Nous faisons le nécessaire pour faire face à cette décentralisation, qui présente certains avantages évidents, mais aussi certains désavantages.
Étant donné la situation, le gouvernement fédéral a nettement certains rôles transcendants à jouer pour relier les divers services et fournir les structures nationales nécessaires. Par exemple, pour pouvoir profiter de ce qui se fait à Vancouver relativement à la consommation de drogues injectables, mon service... Nous pouvons nous-mêmes établir certains liens, mais plus souvent qu'autrement nous devons faire cavalier seul.
Il existe des réseaux professionnels et des réseaux organisationnels nationaux. Il peut aussi y avoir des réseaux appuyés par le gouvernement fédéral. Selon moi, le gouvernement fédéral a certaines responsabilités à cet égard, quel que soit le problème de santé à la mode cette année.
M. Andy Scott: Ce n'est pas que je ne suis pas d'accord, mais le genre de programme dont vous avez parlé serait un programme de distribution.
Je pense que vous avez raison de dire que le gouvernement fédéral a des responsabilités transcendantes, et actuellement nous n'assumons pas pleinement certaines de ces responsabilités parce que nous essayons aussi de continuer à maintenir certains programmes.
C'est ce que j'essaie de voir. Je ne veux pas être... C'est une question que je me pose moi-même. Sur quoi vous appuyez-vous pour dire que nous devrions appuyer ce programme? Ce n'est pas une question de lien, mais plutôt de programme direct.
Dr McKeown: Sur le plan pragmatique, le problème à l'heure actuelle vient de la réduction des niveaux de financement public par tous les échelons gouvernementaux. Il faut donc se tourner vers...
Si quelque chose fonctionne vraiment bien, je pense que vous devriez l'appuyer, peu importe l'échelon gouvernemental en cause. Bien entendu, à titre de fournisseur direct de services au niveau communautaire, nous devons essayer d'obtenir des ressources où c'est possible. En Ontario, le gouvernement est en train de retirer une très grande partie de son appui aux services de santé et aux services sociaux, et, comme vous le savez, le gouvernement fédéral fait la même chose depuis plusieurs années déjà.
Je me suis donc concentré dans mon exposé aujourd'hui sur certains secteurs clés dans lesquels il faudrait maintenir les investissements, puisque nous savons très bien qu'ils ne peuvent pas être maintenus partout.
M. Andy Scott: Merci.
Le président: Merci beaucoup, docteur McKeown. Je pense que cela met fin aux questions.
Vous êtes venu ici un très mauvais jour, parce que nous avons d'habitude tous les députés qu'il nous faut. Ce matin, à peu près tous les membres du comité ont d'autres séances de comité en même temps. Notre comité n'est pas le seul à siéger aujourd'hui; il y en a trois ou quatre autres qui siègent en même temps.
Cela est dû en partie au congé parlementaire de la semaine prochaine et au fait que tous les comités essayent de se réunir cette semaine.
De toute façon, nous avons pris bonne note de vos observations et nous en tiendrons compte quant nous rédigerons notre rapport. Merci beaucoup d'être venu.
Dr McKeown: Merci.
Le président: Je voudrais signaler au comité, ou du moins à ceux qui sont encore ici, que le comité se réunira exceptionnellement à 17 heures le lendemain de la reprise des travaux, soit le 8 avril.
Vous recevrez un avis de convocation, mais je tenais à vous signaler que nous nous réunirons ce jour-là à la demande de parlementaires français qui veulent nous rencontrer et que notre ordre du jour dépendra donc d'eux.
J'imagine que ce sera une discussion plus ou moins libre et qu'il y aura une série de questions et réponses. Si nous pouvons obtenir plus de détails de l'ambassade de France au sujet de cette réunion, non seulement nous vous en aviserons, mais nous vous ferons aussi parvenir des notes de documentation, si possible.
De façon générale, la discussion portera sur l'alcool.
Je vous demande donc - et je vous prie de transmettre le message à vos gens - d'être ici en grand nombre ce jour-là. C'est un moment de la journée assez mal choisi, mais vous avez bien le temps de vous y préparer. Le greffier pourra peut-être s'occuper rapidement d'envoyer un avis de convocation pour la même raison. Merci beaucoup.
La séance est levée.