[Enregistrement électronique]
Le jeudi 18 avril 1996
[Français]
La présidente suppléante (Mme Picard): Bonjour à toutes et à tous.
Pour commencer, nous avons à adopter un budget qui nous a été proposé et qui devra être soumis au Comité permanent et au Comité de liaison. Nous avons prévu tenir six réunions. Les dépenses proposées sont les suivantes: 12 000 $ pour 15 témoins, soit 800 $ en moyenne par témoin; 300 $ pour le café à raison de 50 $ par séance; et 200 $ pour le service de messagerie et d'autres frais divers. Donc, le budget proposé est de 12 500 $. Quelqu'un veut-il proposer cette motion?
[Traduction]
M. Murphy (Annapolis Valley - Hants): Je propose la motion.
[Français]
La motion est adoptée
La présidente suppléante (Mme Picard): Nous allons demander à notre premier témoin, M. Szabo, de se présenter à la table.
M. Paul Szabo (député de Mississauga-Sud): Bonjour, madame la présidente.
La présidente suppléante (Mme Picard): Monsieur Szabo, vous êtes l'initiateur du projet de loi C-222. Nous vous accordons une dizaine de minutes pour votre exposé et nous vous poserons quelques questions par la suite.
M. Szabo: Merci, madame.
[Traduction]
Étant donné que le temps nous est compté, je voudrais communiquer quelques brefs renseignements au comité pour lui donner une idée de ce dont il sera question au cours des audiences sur le projet de loi C-222.
Tout d'abord, il faut que vous sachiez que depuis 1989, la loi américaine exige l'apposition d'étiquettes de mise en garde sur les contenants de boissons alcooliques. La loi en question a été adoptée en 1987, après qu'on en eut discuté pour la première fois aux États-Unis en 1967. Au Canada, c'est en 1976, lorsque Marc Lalonde était ministre de la Santé, que l'idée d'une telle loi a fait surface. De nombreux efforts ont été déployés pour attirer l'attention sur ce projet de loi, mais c'est la première fois qu'il atteint cette étape du processus législatif.
Je voudrais faire consigner au compte rendu l'avertissement qui figure à l'heure actuelle sur les étiquettes aux États-Unis:
- Avertissement du gouvernement: (1) D'après le chef des services de santé, les femmes
enceintes devraient s'abstenir de consommer des boissons alcooliques en raison du risque de
malformations congénitales du foetus. (2) La consommation de boissons alcooliques réduit la
capacité de faire fonctionner des machines ou de conduire une automobile et elle peut être
nuisible pour la santé.
En fin de compte, c'est là une des raisons pour lesquelles l'étiquetage revêt autant d'importance. Le syndrome d'alcoolisme foetal est présent dans une naissance vivante sur cinq. Il est plus répandu que le syndrome de Down. C'est sans doute l'une des maladies foetales les moins connues, mais elle est la cause d'un cas sur cinq de malformations congénitales au Canada.
Depuis 1991, il existe aussi, au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest, une loi sur l'apposition d'étiquettes de mise en garde sur les boissons alcooliques. Je suis sûr que les représentants des médecins autochtones sauront vous expliquer les raisons ou la genèse de cette obligation dans les territoires septentrionaux du Canada.
Le ministre de la Santé a annoncé mardi soir au téléjournal de la.AAS qu'il appuyait le principe sous-jacent au projet de loi. Il a aussi dit aux journalistes que des fonctionnaires comparaîtraient devant votre comité pour appuyer le projet de loi C-222.
En outre, j'ai reçu copie d'une lettre datée du 23 mai 1995 adressée à la ministre Marleau par M. Paul Ramsey, ministre de la Santé et ministre responsable des personnes âgées en Colombie-Britannique. M. Ramsey était coprésident d'une réunion des ministres provinciaux de la Santé. J'aimerais lire la première partie de sa lettre. Il dit:
- Je vous écris au sujet des étiquettes de mise en garde contre l'alcool. Nous avons discuté de cette
question à la réunion des ministres de la Santé des provinces et des territoires qui a eu lieu à
Vancouver, les 10 et 11 avril 1995. À l'unanimité, nous avons convenu que le gouvernement
fédéral devait approfondir l'étude de ce dossier.
Si j'appuie avec autant de vigueur cette initiative, c'est à cause des ramifications sociales de l'alcoolisme ou de la consommation abusive d'alcool. À titre d'exemple, quelque 19 000 Canadiens meurent tous les ans de causes liées à la consommation d'alcool. Cela coûte au Canada au moins 15 milliards de dollars par an en augmentation des frais médicaux, en coûts sociaux et en perte de productivité. En un an, la consommation d'alcool a provoqué, directement ou indirectement, environ 2 000 décès et 10 000 cas de blessure à la suite d'accidents de la route, sans compter qu'elle peut expliquer 40 p. 100 de toutes les chutes accidentelles, 30 p. 100 des incendies, 30 p. 100 de tous les suicides, 60 p. 100 de tous les homicides, 50 p. 100 des incidents de violence familiale et un divorce sur six.
Voilà des faits qui ont attiré mon attention et - je le sais - celle de nombreux députés du Parlement. Ce sont les maux de la société. Si l'alcool était inventé aujourd'hui, ce ne serait pas un produit légal en vertu des lois actuelles. Il ferait l'objet d'une attention spéciale. Il faudrait un permis ou une ordonnance, ou quelque chose du genre pour pouvoir en consommer. C'est un poison. L'alcool éthylique est un poison. Certains témoins, notamment le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies, vous diront que les Canadiens ont besoin de ces étiquettes parce qu'ils ont le droit de savoir qu'ils boivent du poison. Voilà toute la question. Ce que nous appelons la gueule de bois est la réaction du système à la consommation d'un produit toxique ou d'un poison. Voilà ce qu'est la gueule de bois.
Madame la présidente, les chiffres, les problèmes sociaux, les maladies, tout cela est exacerbé lorsque l'alcoolisme cause le divorce et provoque indirectement l'éclatement de la famille. Les coûts liés à l'éclatement de la famille sont énormes. Si l'alcool est la racine du mal, devrait-on permettre qu'il cause l'éclatement d'une famille, avec tous les coûts sociaux supplémentaires que cela implique? Sans compter que les enfants qui vivent dorénavant dans la pauvreté à la suite de l'éclatement de leur foyer ont moins de possibilités de devenir des adultes épanouis. La question fondamentale, à savoir la consommation raisonnable de cette substance dangereuse qu'est l'alcool, donne lieu à d'innombrables problèmes connexes.
Les représentants de l'industrie vont comparaître devant le comité et vous dire des tas de bonnes choses au sujet de leur produit. Ils vous diront, entre autres, qu'il est bon pour la santé. Ils vous diront, comme ils me l'ont affirmé, que les mises en garde inquiéteront les femmes enceintes au point de provoquer chez elles des fausses couches. Ils vous diront que les étiquettes sont sans effet. Ils vous diront qu'ils dépensent déjà énormément d'argent et que s'ils sont obligés d'apposer des étiquettes, ils devront se retirer d'autres programmes qu'ils soutiennent.
Madame la présidente, je peux vous dire que j'ai l'intention de travailler d'arrache-pied pour faire en sorte que ce projet de loi soit adopté et que nous persistions dans nos efforts pour informer la population au sujet des dangers liés à une consommation irresponsable de produits alcooliques. Nous allons redoubler d'efforts.
L'industrie des boissons alcooliques tire de juteux bénéfices de la vente de poison à la population. L'alcool est le seul produit de consommation dans notre société qui peut causer du tort à la santé et sur lequel on n'appose pas d'étiquette de mise en garde pour prévenir le consommateur de ce fait. Les initiatives en ce sens - et je peux vous assurer que, dans tout le pays, il y a des Canadiens qui se dévouent pour sensibiliser la population à cette réalité - sont pour moi une source de déception. Je suis très déçu - en fait, extrêmement déçu - de l'industrie.
À la suite de mes premiers efforts, lorsque j'ai présenté un projet de loi d'initiative parlementaire, on ne m'a pas donné l'heure juste. Les représentants de l'industrie m'ont affirmé que je disais des bêtises. Or, ce n'est absolument pas le cas. Maintenant que le projet de loi a été adopté en deuxième lecture, maintenant qu'il a franchi... Madame la présidente, ils n'ont quand même pas osé répéter la campagne de peur qu'ils avaient menée la première fois. En fait, dans leur document, que vous avez tous reçu, ils affirment que le projet de loi C-222 est répréhensible. Voilà ce qu'ils disent. Chacun est retranché dans son camp.
Les députés savent que j'encourage un dialogue franc et ouvert sur le sujet, mais j'ai jugé important d'aborder tous les angles pour faire en sorte que personne ne vienne dire qu'il ne s'agit pas d'un exposé fidèle des faits. Cependant, lorsque les représentants de l'industrie vous diront qu'à cause de cette petite étiquette, une entreprise devra remplacer toutes ses bouteilles à un coût de cinq millions de dollars, je vous invite instamment à leur rétorquer qu'ils apposent déjà cette étiquette sur leurs bouteilles lorsqu'ils exportent aux États-Unis. C'est la loi. À l'heure actuelle, les producteurs canadiens sont tenus d'apposer une étiquette de mise en garde sur les bouteilles lorsqu'ils exportent leurs produits aux États-Unis.
En outre, lorsque les États-Unis, où cette loi est en vigueur depuis 1989, expédient leurs bouteilles sur le marché canadien, l'étiquette a disparu. Il y a là une contradiction. Des deux côtés, les producteurs font deux choses. Certains produits ont une étiquette et d'autres pas, tant au Canada qu'aux États-Unis. C'est une contradiction. En fait, il y a des façons... En conclusion, je voudrais formuler une hypothèse, ne serait-ce que parce que, pour le moment, je n'ai pas de données concrètes en matière de coût. Étant donné le faible coût de l'apposition des étiquettes d'avertissement et l'appui sans réserve de la population, la majorité des citoyens étant convaincus de leur efficacité, je pense qu'il suffirait de faire la preuve que cette mesure est modérément efficace pour que les avantages dépassent les coûts, quels qu'ils soient. Je le répète, modérément efficace. Les représentants de l'industrie vont dire: «Prouvez-le.» À cela je réponds: «C'est à vous de me prouver que les étiquettes de mise en garde ne donnent pas de résultat.»
Merci.
[Français]
La présidente suppléante (Mme Picard): Y a-t-il des questions?
Monsieur Hill.
[Traduction]
M. Hill (Macleod): Merci de votre intervention, Paul.
Comme vous le savez, l'étiquetage vise deux problèmes: premièrement, le syndrome d'alcoolisme foetal, qui exige un avertissement à l'intention des femmes enceintes, et le danger que présente le fait de conduire une voiture ou de faire fonctionner des machines en état d'ébriété. Je voudrais faire état publiquement d'un problème, soit le fait que bien souvent les femmes qui boivent lorsqu'elles sont enceintes n'ont pas d'éducation. Elles sont pauvres et risquent de ne prêter aucune attention à une étiquette de ce genre. Je voudrais signifier ma préférence pour une représentation picturale montrant une femme enceinte de profil, pour qu'il n'y ait aucun malentendu possible, barrée d'un X. Je voudrais savoir ce que vous pensez d'une étiquette de ce genre par rapport à une étiquette écrite qui pourrait être négligée par une personne non scolarisée.
M. Szabo: Je suis d'accord avec vous. Ce qui m'intéresse surtout, c'est le syndrome d'alcoolisme foetal et les problèmes connexes liés à la consommation d'alcool en cours de grossesse. Les autres problèmes sont certes très importants aussi et je pense qu'il se fait beaucoup de travail à cet égard.
Des recherches ont été effectuées dans ce domaine, et d'autres pourront sans doute informer le comité au sujet des divers modèles d'étiquette. De multiples études ont précédé l'expérience américaine. On s'est notamment interrogé sur l'efficacité de l'étiquette, s'il vaut mieux qu'elle soit placée devant, derrière ou sur le côté de la bouteille, qu'elle soit verticale, horizontale, qu'elle se lise vers le haut ou vers le bas, ou qu'il s'agisse d'un symbole, etc. La preuve est faite qu'un pictogramme donne de meilleurs résultats.
Cependant, nous vivons dans une société de compromis et vous constaterez, à la lumière des recherches effectuées et de l'expérience américaine, que l'industrie se montrait plus accommodante lorsqu'il n'était pas question d'apposer un pictogramme. Je pense que c'est un facteur qu'il faut prendre en considération. Cela dit, les recherches ont permis d'établir qu'il est préférable d'avoir un message unique constant plutôt qu'un message multidimensionnel ou changeant. Il doit aussi être simple et précis.
Vous devriez lire ce qu'a écrit Denny Boyd, chroniqueur pour The Vancouver Sun. Il a fort bien cerné le problème. Il a comparé les étiquettes de mise en garde sur les contenants de boissons alcooliques à un phare qui envoie au consommateur des signaux l'avertissant d'un danger imminent. Il n'est pas nécessaire de lire les étiquettes.
Au cours de notre vie, nous recevons de multiples messages quant à l'importance de faire un usage responsable de divers produits et il ne faudrait pas essayer de les résumer tous sur une petite vignette. L'étiquette devrait simplement évoquer toutes les connaissances, toute l'éducation que nous avons acquises au cours de notre vie. Par conséquent, il convient peut-être de considérer cela comme un élément d'une solution plus vaste, au lieu d'envisager le problème isolément.
Je ne pense pas que l'on puisse dire que les étiquettes sont quelque chose de nouveau et se demander si elles donnent des résultats ou quel est le fruit de l'expérience jusqu'ici. Le problème, c'est qu'on ne peut en prouver l'efficacité. Les représentants de l'industrie vont avancer qu'il est impossible de prouver cela à l'aide de données scientifiques. La raison en est qu'on ne peut maintenir constants les autres facteurs dans le monde et ne changer que cette seule chose pour ensuite en mesurer l'effet. On ne sait pas ce qu'il en est. Et même si, au niveau de la recherche, des données brutes, rien ne transparaît, cela ne signifie pas qu'il n'y a pas eu d'effet positif. Tout ce que cela signifie, c'est que des facteurs négatifs ont peut-être contrebalancé les effets positifs, le résultat net étant l'annulation de tout gain, mais on pourrait quand même faire valoir qu'il y a eu un effet positif.
Je pense qu'il serait très théorique de dire que l'on peut prouver quoi que ce soit. Tout ce que je sais, c'est qu'aux États-Unis, 87 p. 100 des Américains interrogés sont en faveur d'étiquettes de mise en garde sur les contenants de boissons alcooliques. Au Canada, la Fondation de recherche sur l'alcoolisme et la toxicomanie a fait un sondage analogue qui a révélé que 82 p. 100 des Canadiens appuient une telle initiative. Si les Canadiens estiment qu'il est important d'agir et que cela représente un investissement valable, je pense qu'en tant que législateurs, nous devons écouter.
M. Hill: J'ai une deuxième question. Vous avez dit qu'un cas de malformation congénitale sur cinq était causé par le syndrome d'alcoolisme foetal. Pouvez-vous étayer cette déclaration, s'il vous plaît?
M. Szabo: Vous voulez une source ou une référence?
M. Hill: Oui.
M. Szabo: Je vais laisser aux représentants des autres organismes qui doivent comparaître devant le comité le soin de vous communiquer cette information. Comme je n'ai pas personnellement effectué la recherche, ce ne serait, de mon point de vue, que ouï-dire. Je me suis fié à d'autres, mais ces personnes auront maintenant l'occasion de se faire entendre publiquement et je vais leur permettre de le faire.
La présidente suppléante (Mme Picard): Monsieur Volpe.
M. Volpe (Eglinton - Lawrence): Merci, madame la présidente.
Paul, en supposant que votre proposition soit acceptable et que le comité l'appuie, je voudrais savoir ce que vous répondriez à ceux qui disent qu'environ 80 p. 100 des boissons alcooliques sont vendues dans les bars et les restaurants, là où les consommateurs n'ont pas l'occasion de voir les étiquettes. Ces boissons sont servies dans d'autres contenants. Comment votre proposition règle-t-elle ce problème?
M. Szabo: Un certain nombre de provinces ont tenté de légiférer pour imposer l'apposition d'avertissements sur les murs des établissements. Aux États-Unis, on reconnaît qu'il y a diverses façons de servir l'alcool, mais on exige néanmoins une étiquette uniquement sur le contenant du fabricant. Dans le cas de la bière en fût, l'étiquette sera apposée sur le fût, mais le consommateur ne la verra pas. Chose certaine, elle ne sera pas sur le verre.
Cela dit, l'important, c'est que tôt ou tard, on verra l'étiquette. Si l'étiquetage est coordonné avec d'autres efforts, il pourra certainement avoir l'effet voulu sur les groupes-cibles. En fait, les études ont prouvé - et je sais que d'autres y reviendront - qu'aux États-Unis, après cinq ans d'application, la capacité de reconnaître et d'identifier les étiquettes a augmenté en droite ligne.
Et cette reconnaissance s'accroît. Cela a été lent au début, mais maintenant, le facteur de reconnaissance est très élevé. On a aussi fait certaines observations concernant la modification du comportement, etc., mais ce n'est pas assez. Je ne pense pas que l'on ait suffisamment de données, mais c'est un début, et il est positif. Je ne pense pas qu'il faille s'abstenir d'agir simplement parce que cette initiative ne permet pas de résoudre le problème rapidement ou qu'elle n'est pas totalement efficace. C'est un progrès. C'est un pas vers une solution, et je pense que c'est extrêmement important.
M. Volpe: Merci.
La présidente suppléante (Mme Picard): Monsieur Murphy.
M. Murphy: Je ne conteste pas vos observations préliminaires, vos statistiques, etc., mais au sujet de l'étiquetage uniquement, vous avez dit que ce n'est qu'un début. Avez-vous envisagé un scénario plus complet où l'étiquetage irait de pair avec un programme très énergique de sensibilisation de la population?
Nous savons que bien des provinces se servent du fruit des impôts pour financer certaines initiatives, mais elles mettent davantage l'accent sur le traitement que sur l'éducation. Ce serait une bonne idée - mais j'ignore si c'est possible - que l'industrie et les autorités provinciales qui tirent des revenus des taxes sur les boissons alcooliques conjuguent leurs efforts pour publier du matériel d'information à l'intention des intervenants de la santé.
Je pense que nous avons enregistré des progrès dans la lutte contre le tabagisme même si, manifestement, c'est loin d'être suffisant. À mon avis, l'étiquetage n'est qu'un début et il faut élargir notre champ d'intervention. Croyez-vous que cela pourrait se faire dans le contexte de ce que vous proposez?
M. Szabo: Je suis tout à fait d'accord avec vous. D'après les recherches que j'ai faites dans le domaine de la santé en général, nous consacrons actuellement environ 75 ¢ sur chaque dollar à des mesures curatives ou correctives, et 25 ¢ seulement à la prévention. Compte tenu de la situation fiscale actuelle, cela signifie que notre philosophie et notre stratégie en matière de soins de santé ne sont pas viables.
À Santé Canada et dans les milieux de la santé, on a fait un effort délibéré pour envisager des stratégies de prévention et obtenir un meilleur rendement pour chaque dollar consacré à la santé. Chose certaine, les ministres de la Santé des provinces et du gouvernement fédéral ont examiné très rigoureusement des façons de faire plus de place aux stratégies de prévention. Ce sera un aspect très important. Je pense qu'il faut aller beaucoup plus loin que le simple étiquetage.
Vous avez abordé la question de l'éducation, qui touche de nombreux champs de compétence. Vous aurez remarqué que l'étiquette que je propose n'est attribuée à personne en particulier.
Aux États-Unis, il s'agit d'un avertissement du gouvernement transmis par le chef des services de santé. Il m'est impossible de préciser cela dans le projet de loi et de vous le proposer. Tout ce que je peux faire, c'est de vous suggérer de demander à Santé Canada d'assumer la paternité de cette déclaration. On pourrait ainsi dire que Santé Canada conseille ou déconseille... Cela donnerait beaucoup plus de poids à l'énoncé.
Personnellement, je ne peux proposer cela. Je ne peux parler au nom du ministère. Cependant, je vous demanderais de voir ce que vous pouvez faire.
Si cela n'était pas possible pour diverses raisons, que ce soit la controverse qui fait rage au sujet de l'emballage ou de l'étiquetage des paquets de cigarettes, je pense qu'on pourrait envisager d'attribuer l'énoncé à tout le moins au Parlement du Canada. Ainsi, on pourrait dire que le Parlement du Canada conseille ou déconseille... Cela donnerait un point de référence au message, ce qui en faciliterait la communication.
Ce message devrait ensuite être appuyé et diffusé non seulement par les organismes gouvernementaux, mais aussi par le secteur privé et les membres de la profession médicale. C'est ainsi qu'on jetterait les bases d'une campagne de sensibilisation axée sur la prévention et non sur l'aspect curatif ou correctif.
La présidente suppléante (Mme Picard): Monsieur Scott.
M. Scott (Fredericton - York - Sunbury): Merci beaucoup, madame la présidente.
Félicitations, monsieur Szabo, pour avoir piloté cette mesure aussi loin, avec autant de diligence.
Je vous ferai remarquer que nous sommes beaucoup plus gentils avec vous que je ne vous ai vu l'être avec d'autres témoins.
Des voix: Oh, oh.
M. Scott: Ayant vécu l'exercice entourant l'emballage neutre des paquets de cigarettes, il me semble qu'il y a une chose que nous pourrions améliorer cette fois-ci, et c'est de reconnaître quand il convient de porter nous-mêmes un jugement et quand il convient de solliciter un avis extérieur. Cela n'a pas trait spécifiquement à la suggestion de M. Hill, mais c'est ce qui m'a amené à poser la question. Il y a sans doute des gens que nous pourrions consulter sur la meilleure façon de faire cette publicité ou cette antipublicité, selon l'interprétation que vous voulez en donner.
Autrement dit, je suis sûr qu'il y a des experts et des études que nous pourrions consulter au lieu de décider nous-mêmes si la meilleure chose à faire est d'opter pour un pictogramme. Je recommande que l'on déniche ces experts et qu'on leur demande conseil. Ainsi, nous n'aurions pas à décider, à partir de notre expérience limitée en la matière, s'il vaut mieux adopter une étiquette écrite ou visuelle. Personnellement, je n'ai aucune idée de ce qui est préférable. Je suis sûr que quelqu'un le sait, mais pas moi. Étant donné que nous en sommes au stade préliminaire de cet exercice, il serait sans doute bon d'essayer de dénicher ces experts.
J'aborde le sujet maintenant parce que je sais qu'un grand nombre de personnes vous ont écrit et que vous avez également parlé à un tas de gens. Peut-être connaissez-vous déjà des experts. Peut-être que certains se sont déjà manifestés. Est-ce quelque chose que vous avez exploré?
M. Szabo: J'ai des documents et je vais transmettre au comité tout ce qui est pertinent ou qui risque de devenir pertinent aux questions que vous avez soulevées.
Il existe déjà des arguments pour ou contre étant donné que l'expérience américaine a fait l'objet d'une étude en 1987, lorsque le projet de loi a été présenté au Congrès. Je pense en outre que certains des groupes qui comparaîtront devant le comité, comme la Fondation de recherche sur l'alcoolisme et la toxicomanie, le Centre canadien de lutte contre les toxicomanies et la B.C. Coalition for Warning Labels on Alcoholic Containers seront en mesure de vous éclairer à ce sujet. Ils disposent d'énormément de documentation sur les raisons qui militent en faveur de telle ou telle option. Par conséquent, je pense que nous devrions tirer parti le plus possible de leur expertise. Je suis d'accord avec vous.
Je tiens aussi à vous informer que j'ai fait une suggestion aux représentants de l'industrie lors de notre dernière rencontre, après l'adoption de la mesure en deuxième lecture. Je trouvais important que l'industrie réfléchisse sérieusement à la possibilité d'agir de façon volontaire, étant donné sa connaissance intime du dossier. Aux États-Unis, elle a livré bataille pour se soustraire à cette responsabilité et elle continue de livrer la même bataille au Canada. Il y a même eu un comité parlementaire de la présente législature, ou de la précédente, qui a examiné à fond le sujet et qui a recommandé l'apposition de mises en garde.
Au début, les représentants de l'industrie m'ont dit qu'ils ne feraient pas cela volontairement et qu'il faudrait les y forcer au moyen d'une loi. Après l'adoption du projet de loi en deuxième lecture, ils m'ont dit - c'était en février de cette année - qu'ils ne pouvaient pas agir volontairement parce que s'ils apposaient une mise en garde sur leur produit, c'est comme s'ils admettaient qu'ils vendaient un produit dangereux et ils s'exposeraient davantage à des poursuites judiciaires.
Cependant, j'ai appris hier seulement une chose que je ne savais pas, mais que je sais maintenant. Il importe d'obtenir cette information. En décembre 1995, dans sa décision dans l'affaire Hollis c. Dow Corning, la Cour suprême du Canada a statué que le fait qu'un fabricant avait apposé une étiquette sur son produit pour mettre les utilisateurs en garde avait atténué, et non pas augmenté, sa responsabilité.
Les représentants de l'industrie savaient cela et m'ont dit tout autre chose. Je n'ai certainement pas l'intention d'en rester là et je chercherai à savoir pourquoi on m'a dit cela alors qu'en fait, la Cour suprême du Canada a affirmé tout le contraire.
M. Scott: Tout ce que je peux dire, c'est que vous êtes aussi coriace comme témoin que comme interrogateur.
Merci, monsieur le président.
Le président suppléant (M. Volpe): Très bien, monsieur Scott. Y a-t-il d'autres questions? Monsieur Hill? Non?
Monsieur Szabo, je vous remercie d'avoir comparu devant le comité et de nous avoir apporté votre témoignage.
Nous entendrons maintenant les représentants de l'Association médicale canadienne et de l'Association des médecins autochtones du Canada. Merci, messieurs, de vous joindre à nous.
Nous avons le Dr Barry Adams, du comité des soins de santé et de la promotion de la santé de l'Association médicale canadienne; il est accompagné du Dr David Walters, directeur des soins de santé et de la promotion de la santé. Nous avons également avec nous le Dr Vince Tookenay, qui est président de l'Association des médecins autochtones du Canada. Ai-je bien prononcé votre nom?
Dr Vince Tookenay (président, Association des médecins autochtones du Canada): Oui, c'est bien cela.
Le président suppléant (M. Volpe): Messieurs, je crois que l'on vous a expliqué notre façon de procéder. Vous pouvez utiliser la presque totalité de votre temps pour faire votre exposé, ou bien vous pouvez nous faire une brève introduction et consacrer le reste du temps aux questions des députés.
Dr David Walters (directeur, Soins de santé et promotion de la santé, Association médicale canadienne): Merci. Nous représentons l'Association médicale canadienne et nous avons déjà eu le plaisir de travailler avec le Dr Tookenay, de l'Association des médecins autochtones du Canada. Ce dernier travaille depuis deux ans avec l'AMC à de nombreux projets sur la santé des femmes autochtones, domaine qui comprend bien sûr la question qui nous occupe aujourd'hui.
Du point de vue de l'AMC, comme M. Szabo l'a signalé, nous avons également travaillé, à notre association nationale, au volet curatif de l'activité médicale et nous avons aussi fait beaucoup de travail du côté de la prévention des maladies, de la promotion de la santé et de la prévention des accidents. C'est un élément clé de notre travail à l'AMC. Nous ne nous intéressons pas seulement aux soins intensifs ou à la médecine curative. Ce dossier-ci correspond tout à fait au rôle de l'association et nous sommes ici aujourd'hui pour examiner la question. Le Dr Tookenay va parler en premier, après quoi l'AMC fera connaître sa position.
Le président suppléant (M. Volpe): Très bien, docteur Tookenay, vous avez la parole.
Dr Tookenay: Premièrement, je tiens à remercier le comité d'avoir invité l'Association des médecins autochtones à participer à ses travaux.
L'Association des médecins autochtones du Canada n'a pas de position précise au sujet de l'étiquetage des contenants de boissons alcooliques. Nous n'avons pas poussé notre réflexion suffisamment pour aboutir à une position précise. Toutefois, l'Association des médecins autochtones du Canada est d'avis que la consommation d'alcool relève de la responsabilité individuelle et que le fait d'apposer une étiquette de mise en garde sur les contenants de boissons alcooliques ne pourra probablement pas à lui seul empêcher quelqu'un de consommer de l'alcool ou d'en abuser.
Je voudrais faire quelques observations pour établir le contexte de cette déclaration. Au moment où quelqu'un lit une mise en garde sur le contenant de l'alcool qu'il s'apprête à consommer, il est peut-être déjà trop tard. En fait, dans la plupart des cas, la décision de boire a déjà été prise avant même l'achat de la bouteille ou du verre. De plus, à ce moment précis, la personne en cause sera probablement exposée à bien d'autres facteurs externes qui influent sur sa décision de boire le contenu de la bouteille.
L'Association des médecins autochtones préférerait la poursuite et l'élargissement des initiatives de promotion de la santé et de prévention des abus, surtout les mesures d'éducation qui mettent l'accent sur des efforts visant à changer les attitudes et les comportements pour favoriser l'adoption d'un mode de vie plus sain, et nous préférerions que de telles initiatives ciblent des groupes précis de la population que l'on considère exposés à un risque plus grand, et aussi que ces initiatives englobent, dans la mesure du possible, des fonds du secteur privé ou fassent appel à des partenariats avec le secteur privé.
L'Association des médecins autochtones croit qu'il faut diffuser une information précise afin d'influencer les attitudes et les comportements des groupes à risque comme la population autochtone. Pour s'assurer que le message est reçu, il faut faciliter la participation totale de la collectivité; pour cela, il faut solliciter des conseils et veiller à ce que la communauté visée accepte le format choisi pour le message. Le message doit être culturellement pertinent.
On pourrait donner l'exemple du partenariat entre l'Association des médecins autochtones et l'Association des brasseurs qui ont conjugué leurs efforts pour élaborer et mettre en oeuvre le projet «Caring Together» de l'Association des médecins autochtones dans le cadre du programme de consommation responsable de l'Association des brasseurs du Canada. Je voudrais prendre quelques instants pour présenter cette initiative de façon un peu plus détaillée. Mais avant de le faire, j'ai quelques statistiques intéressantes à vous communiquer.
Premièrement, la population autochtone est relativement jeune, près de 40 p. 100 de ce groupe ayant moins de 14 ans. Cela veut dire qu'une portion importante de cette population sera en âge d'avoir des enfants au cours des dix prochaines années.
Deuxièmement, le taux de mortalité infantile, quoique à la baisse, est encore de 22 pour 100 000 parmi les Autochtones. C'est à peu près le double du taux canadien.
Troisièmement, d'après le nombre des admissions dans les centres de traitement, on estime que le taux de toxicomanie parmi les Autochtones est de trois à cinq fois plus élevé que la moyenne canadienne.
Enfin, le taux de grossesse parmi les adolescentes est environ trois fois plus élevé que le taux canadien.
Je crois que ces statistiques reflètent bien le contexte du projet Caring Together, car nous estimons que ces chiffres traduisent bien la réalité de la vie quotidienne et ne sont pas seulement des chiffres vides de sens. Ils décrivent bien l'expérience humaine des intervenants dans les localités autochtones.
Cette expérience a incité les médecins autochtones à lancer le projet Caring Together à l'aide de fonds versés dans le cadre du programme de consommation raisonnable de l'Association des brasseurs du Canada. Comme son nom l'indique, c'est un projet d'entraide dans lequel les gens veillent les uns sur les autres. Caring Together a été conçu par l'Association des médecins autochtones à titre d'initiative de promotion de la santé, élaboré par et pour les Autochtones et visant à faire ressortir l'importance des soins et d'un comportement responsable pendant la grossesse.
De plus, en faisant prendre conscience aux gens des réalités physiques et affectives de la grossesse, Caring Together peut appuyer d'autres activités éducatives qui visent à réduire la fréquence des grossesses non planifiées et des grossesses parmi les adolescentes.
En élaborant le message de Caring Together, on n'a rien laissé au hasard. Des Autochtones, praticiens de la santé et profanes, ont été réunis dans une série de groupes-témoins dans des localités rurales et urbaines isolées pour discuter de la santé prénatale et recommander des façons d'informer les Autochtones sur cette question. Leur réponse a été claire: les valeurs et coutumes autochtones traditionnelles que l'on avait mises de côté peuvent maintenant aider à protéger les enfants autochtones. Les membres des groupes-témoins sont convaincus qu'il faut diffuser ces idées chez tous les Autochtones dans un cadre culturellement pertinent et attrayant.
Je dois signaler en passant que l'Association des médecins autochtones ne peut pas parler au nom de tous les Autochtones et n'a nullement l'intention de le faire. Il y a toutefois lieu de noter que pendant les consultations et les réunions des groupes-témoins organisées par l'Association des médecins autochtones, il n'a nullement été question de mises en garde susceptibles de prévenir le mauvais usage ou l'abus; cette possibilité n'a jamais été évoquée par aucun participant, au cours d'un processus qui a duré plusieurs années. Je n'ai pas d'explication à cela, mais c'est un fait.
Le projet Caring Together est la réponse de l'Association des médecins autochtones aux besoins qui ont été mis au jour par le groupe-témoin, et l'Association a été guidée tout au long de l'élaboration du projet par les réflexions des intervenants de la communauté autochtone.
Premièrement, nous avons créé deux affiches murales, une affiche de table et des cartes d'information à distribuer. Ces articles ont été produits pour sensibiliser les gens aux questions relatives à la santé prénatale et pour diffuser les idées de Caring Together. Les affiches ont été distribuées aux cliniques de soins de santé autochtones, aux centres d'amitié autochtones et à l'ensemble de la communauté autochtone d'un bout à l'autre du pays. Au total, environ 11 000 ont été distribuées. Elles ont été affichées dans de nombreux magasins et établissements où l'on vend des boissons alcooliques et de la bière, surtout dans les provinces de l'Ouest.
Le message de ces affiches est simple. On dit à la femme enceinte: «Pensez à votre santé et à votre mode de vie et demandez les conseils d'un spécialiste de la santé». Au partenaire, à la famille et aux amis, on dit: «Vous pouvez influencer positivement la santé et le bien-être de la future mère et de son enfant à naître». L'Association des médecins autochtones du Canada recommande de ne consommer aucun alcool pendant la grossesse.
Récemment, le dernier jour de février, l'Association des médecins autochtones a publié un vidéo intitulé Caring Together, accompagné d'un guide de discussion. Pour l'Association des médecins autochtones, ce sont là des outils d'information qui s'adressent aux dispensateurs de soins et qui visent à susciter dans la communauté des discussions sur la santé prénatale et à diffuser, dans un cadre culturel valorisant, des connaissances sur la santé aux jeunes femmes autochtones enceintes, à leurs partenaires, à leurs familles et à leurs amis.
Le projet Caring Together vise à diffuser les connaissances et à conscientiser les jeunes Autochtones, afin qu'elles soient mieux préparées à prendre des décisions éclairées en matière de santé et de mode de vie à l'occasion de la grossesse.
J'invite maintenant le comité à visionner un extrait de ce vidéo, d'une durée d'environ deux minutes et demie.
[Présentation vidéo]
Dr Tookenay: La durée totale du vidéo est d'environ 31 minutes. J'en laisserai un exemplaire à la greffière, de même que d'autres documents de référence relatifs à ce projet.
Je remercie encore une fois le comité de nous avoir invités à participer à ses travaux.
Dr Barry Adams (membre, Comité des soins de santé et de la promotion de la santé, Association médicale canadienne): L'Association médicale canadienne, contrairement à l'Association des médecins autochtones, a une position officielle et une recommandation à formuler sur les mises en garde à apposer sur les contenants de boissons alcooliques. Ces dernières années, nous avons publié plusieurs déclarations sur des problèmes mettant en cause l'alcool et ces documents sont compris dans la trousse qui vous a été remise.
Comme j'ai déjà distribué le texte du mémoire, je vais le résumer brièvement, ce qui nous donnera plus de temps pour les questions.
Je voudrais dire que l'Association médicale canadienne considère la consommation d'alcool et les problèmes qui s'y rapportent comme une grande préoccupation pour les Canadiens. Nous estimons qu'il faut élaborer un programme complet pour s'attaquer à ce problème. Ce programme ne doit pas être seulement curatif, mais aussi préventif et éducatif.
L'alcool est probablement la drogue toxicomanogène la plus répandue en Amérique du Nord. C'est une drogue dommageable physiquement, probablement la pire à cet égard après le tabac; or nous avons utilisé pour le tabac des campagnes d'information et des mises en garde. La consommation d'alcool entraîne de nombreuses répercussions d'ordre physique, autant pour l'usager que pour les enfants de l'usager, et tout cela est bien documenté. La consommation et l'abus d'alcool causent également de nombreux problèmes sociaux.
Sur la base de toutes ces questions relatives à la santé du patient et de la société, l'Association médicale canadienne recommande l'établissement d'un programme global visant à encourager la consommation responsable d'alcool. Le programme complet pourrait comprendre un volet éducation afin d'encourager, de promouvoir et de maintenir l'abstinence et la consommation à faible risque comme élément d'un mode de vie sain. Ces programmes d'éducation devraient s'adresser à l'ensemble de la population, mais particulièrement aux jeunes, afin de les sensibiliser davantage aux dangers que pose la consommation d'alcool pour la personne et la société.
Dans le cadre d'un programme d'éducation d'une portée plus générale, l'AMC est d'avis que des étiquettes fixées sur toutes les boissons alcooliques vendues au Canada devraient comporter des avertissements au sujet des répercussions de la consommation excessive d'alcool sur la santé et la société. Ces avertissements pourraient signaler les risques pour la santé physique de la personne qui boit, la réduction de sa capacité de conduire un véhicule ou une machine, les dangers de la consommation d'alcool au cours de la grossesse, la nature toxicomanogène de l'alcool et d'autres risques connexes. Ces mises en garde doivent être concises. On pourrait assurément donner aux entreprises de ce secteur de l'aide pour la formulation de ces mises en garde.
Autant pour le tabagisme, où la technique des mises en garde a été utilisée, qu'aux États-Unis, où des avertissements ont été apposés sur les contenants de boissons alcooliques, on a constaté une certaine baisse de la consommation et tout au moins une certaine prise de conscience du public relativement aux problèmes associés à ces produits. En conséquence, l'Association médicale canadienne encourage fortement l'adoption rapide du projet de loi C-222. Dans notre déclaration sur le syndrome d'alcoolisme foetal, nous exhortons publiquement les gouvernements du Canada à légiférer pour exiger que les boissons alcooliques vendues au Canada portent un avertissement au sujet des dangers que présente la consommation d'alcool, surtout pendant la grossesse.
Nous sommes disposés à répondre à toute question. Peut-être le Dr Walters voudrait-il ajouter quelque chose.
Dr Walters: J'ai quelques observations à ajouter.
La situation actuelle est la suivante: un certain nombre d'États et deux territoires canadiens ont exploré la possibilité d'apposer des mises en garde sur les contenants de boissons alcooliques. Essentiellement, d'après les données que nous avons vues, il semble qu'il soit très difficile de démontrer de façon probante que ces mises en garde induisent des changements de comportement. Toutefois, on peut raisonnablement supposer que des messages de ce genre sont tout au moins très visibles et très populaires auprès du public. Les gens pensent probablement que c'est valable. Dans les essais qui ont été faits, on constate que les gens sont conscients de la présence de ces mises en garde.
Dans notre esprit, nous faisons un parallèle avec les mises en garde pour le tabac. Il a fallu livrer une dure bataille pour obtenir qu'on envisage seulement cette possibilité. Ensuite, les mises en garde ont été imprimées en petits caractères. La lutte s'est poursuivie et on s'est rendu compte qu'il fallait que ce soit plus visible et en plus gros caractères et que le message soit clairement diffusé sur chaque emballage, dans chaque annonce, etc. On a fait des progrès extraordinaires dans ce dossier, mais seulement après une longue lutte pour la santé publique qui s'est étendue sur 20 ou 30 ans, ou même 35 ans, jusqu'à ce que nous prenions conscience des dangers épouvantables pour la santé.
Dans le cadre des campagnes et des messages pour la santé publique, je crois que celui-ci est d'une importance critique. Une mise en garde qui avertit d'un danger est d'une importance critique. On peut soutenir qu'un tel message n'est pas vraiment efficace en tant que tel et à lui seul, et nous ne prétendons pas qu'il l'est, mais dans ce dossier, il est absolument fondamental d'avertir les gens au sujet d'une maladie que l'on peut prévenir. Il ne faut donc pas prendre cela à la légère quand on se demande si ce bout de papier peut donner ou non des résultats. Nous estimons que c'est une question fondamentale, une obligation morale en matière de santé publique.
Nous avons examiné la question et, à notre connaissance, il n'y a absolument aucune raison de ne pas le faire. Nous n'avons pas trouvé une seule raison valable de ne pas agir.
C'est un message universel. C'est un message courant qui s'adresse à tous. En fait, c'est une rampe de lancement. L'adoption de cette proposition toute simple est une véritable rampe de lancement qui nous permettra de réaliser à faible coût un important progrès en matière d'éducation dans ce dossier, et nous croyons que cela pourrait être d'une portée universelle. Quand il y a un virage dangereux sur la route, pourquoi ne pas mettre un panneau pour avertir les conducteurs de la présence de cette courbe? Tout le monde accepte cela. Tous les automobilistes verront le panneau. C'est la même chose.
Le coût de cette initiative est littéralement une goutte dans une barrique de bière ou de boisson. Ce n'est pas une tâche impossible. Il y a déjà des étiquettes portant une foule de renseignements qui sont apposées sur les bouteilles, à l'avant comme à l'arrière, sur le dessus et les côtés des emballages. On dépense déjà beaucoup d'argent pour cela. Une simple mise en garde représente probablement une dépense négligeable.
On s'est également demandé si une telle mise en garde peut influencer la personne qui a la bouteille sous les yeux. Cette personne lit-elle l'étiquette? Est-ce trop tôt ou trop tard?
Je pense que cette personne est en fait entourée de tout un groupe de gens - la famille, les amis, cela peut aussi et devrait être le partenaire - qui peuvent intervenir après avoir lu la mise en garde et dire: «Un instant, est-ce une bonne idée, doit-on encourager cela?». Ainsi, l'entourage du consommateur éventuel, après avoir été mis en garde par l'étiquette, peut également influencer le comportement du consommateur.
Il y a donc beaucoup de raisons pour lesquelles les mises en garde pourraient et devraient constituer un message fondamental de santé publique. Nous voudrions que l'on s'efforce, dans toute la mesure du possible, d'éviter les problèmes.
[Français]
La présidente suppléante (Mme Picard): Y a-t-il d'autres questions?
Monsieur Scott.
[Traduction]
M. Scott: Je vous remercie beaucoup de votre présentation.
Je suis curieux de savoir si on a le moindrement réfléchi... et je soupçonne que c'est votre groupe ou organisation qui serait susceptible de l'avoir fait... Il semble bien que nous nous dirigeons vers une situation où le gouvernement assumera au moins partiellement la responsabilité d'attirer l'attention du public sur les effets néfastes de la consommation de tabac, comme on l'a dit, et de l'alcool. Maintenant, a-t-on fait des recherches quelconques sur les avantages de la consommation croisée? Autrement dit, si nous explorons ce mécanisme visant à attirer l'attention du public sur les problèmes de santé liés à la consommation de certains produits, dans une certaine mesure, je soupçonne qu'on en arrivera au point où l'étiquetage lui-même aura tendance à attirer l'attention sur les avantages et inconvénients relatifs de tout cela. Quelqu'un a-t-il examiné la question sous cet angle?
Quand vous dites qu'il ne semble tout simplement exister aucune raison de ne pas faire cela, votre argument paraît irréfutable, mais il n'en demeure pas moins que lorsque vous donnez l'exemple du panneau routier... Un de mes électeurs m'appelle régulièrement pour me demander de faire enlever un panneau routier qui annonce une courbe sous prétexte que sa présence distrait les conducteurs qui sortent alors du droit chemin.
Dr Walters: J'ai l'impression que c'est un électeur assez particulier.
M. Scott: Tous mes électeurs sont uniques.
Ce que je veux dire, c'est que, simplement parce qu'une mesure semble tellement logique qu'elle est irrésistible, il ne s'ensuit pas nécessairement qu'elle est bonne. Je suis curieux de savoir si l'on peut soutenir qu'en elle-même, l'information fournie sur les étiquettes comporte certains avantages.
Dr Adams: Plusieurs études ont été menées dans divers États où l'on appose depuis un certain temps des étiquettes sur les boissons alcooliques et il apparaît que les gens sont mieux informés qu'avant, même s'il a fallu plusieurs mois après le lancement du programme pour que les gens remarquent vraiment les mises en garde. Il y a eu une baisse de la consommation d'alcool dans certains groupes et cette baisse est attribuée à la présence des mises en garde.
Comme M. Szabo l'a dit tout à l'heure, on ne peut pas attribuer cela catégoriquement aux étiquettes de mise en garde, parce que toutes choses ne sont pas égales par ailleurs. Il y a aussi des facteurs liés à l'information des gens.
D'autre part, dans la documentation que j'ai lue, il est question de l'influence des médias. Les annonceurs se plaignent des conséquences néfastes de ces mises en garde, en ce sens que cela a attiré l'attention des gens sur les problèmes liés à l'alcool, de sorte que même les gens qui n'ont pas lu les étiquettes ont été amenés à modifier leurs idées et leur comportement relativement à l'alcool à cause de toute l'attention consacrée à la question par les médias.
M. Scott: Merci, madame la présidente.
La présidente suppléante (Mme Picard): Monsieur Szabo.
M. Szabo: Merci beaucoup, messieurs.
On a dit que le syndrome d'alcoolisme foetal est une maladie évitable à 100 p. 100. Êtes-vous d'accord avec cela?
Dr Adams: Oui.
M. Szabo: Êtes-vous également d'accord pour dire qu'une faible consommation d'alcool peut, entre autres choses, provoquer des réactions allergiques et nuire de façon générale à la grossesse?
Dr Adams: À ma connaissance, personne n'a précisé - du moins, je n'ai lu aucune publication scientifique dans laquelle on précise à quel niveau de consommation le foetus est touché. Je suppose qu'une personne qui consomme des boissons alcooliques pourrait avoir des réactions allergiques au houblon ou à d'autres substances, mais je répète que je ne connais aucun article scientifique où il en est question.
M. Szabo: La profession médicale devrait probablement se prononcer publiquement sur la susceptibilité à divers problèmes à différentes étapes de la grossesse. Je ne veux pas diriger votre témoignage, mais y a-t-il une période pendant la grossesse...? Que fait la profession médicale ou que peut-elle faire pour aider les femmes qui prévoient avoir des enfants, etc., dans le cadre d'une approche préventive? Que faisons-nous actuellement?
Dr Adams: Il faut l'intervention de tout un groupe de gens, pas seulement des médecins. Quiconque s'occupe de conseiller et de soigner une jeune mère doit savoir quels conseils lui donner quant au mode de vie idéal pendant la période qui précède la conception et pendant la grossesse elle-même. Dans la bande vidéo, on aborde beaucoup de ces éléments. Les femmes enceintes ne devraient pas recevoir des conseils sur un mode de vie sain seulement pendant leur visite mensuelle chez le médecin, mais pendant toute la durée de la grossesse.
L'effet tératogène sur le foetus se produit au tout début de la grossesse, mais on a démontré que la consommation d'alcool cause des problèmes pendant toute la durée de la grossesse; on parle alors non pas du syndrome d'alcoolisme foetal, mais des effets de l'alcool sur le foetus. C'est par exemple le mauvais rendement scolaire de l'enfant quand il grandit, etc. On pense que ces effets se produisent peut-être vers la fin de la grossesse. Par conséquent, les effets de l'alcool pendant la grossesse ne se limitent pas aux trois ou quatre premiers mois, sous forme d'infections virales ou d'autres syndromes.
C'est un problème d'éducation. Aujourd'hui, la plupart des futures mères suivent des cours prénataux. Elles planifient la naissance de leur enfant, de sorte qu'elles posent des questions avant de devenir enceintes. Autrefois, les femmes tombaient enceintes, après quoi elles réfléchissaient à ce qu'elles devaient faire.
Le seul groupe pour lequel ce n'est pas vrai est celui des jeunes mères célibataires, mais là encore, des programmes d'éducation à l'école permettent d'aborder ces problèmes. Mais nous devons leur rappeler constamment le besoin de mener une vie saine, surtout quand elles sont en âge d'avoir des enfants.
M. Szabo: Un dernier point. Avez-vous des statistiques sur les malformations congénitales indiquant quels pourcentages sont attribuables à la consommation d'alcool, c'est-à-dire au syndrome d'alcoolisme foetal ou aux effets de l'alcool sur le foetus?
Dr Adams: Nous pouvons vous fournir les chiffres. J'ai jeté un coup d'oeil sur le document qu'on m'a remis au groupe de travail auquel j'ai participé sur le syndrome d'alcoolisme foetal. Il y était question de prévention, mais on ne donnait pas de chiffres précis. Un nombre élevé d'enfants anormaux souffrent à leur naissance du syndrome d'alcoolisme foetal, mais je ne pourrais pas vous donner le pourcentage exact.
M. Murphy: Docteur Tookenay, vous avez parlé de votre projet Caring Together. Avez-vous dit que l'Association des brasseurs et vous-même y avez travaillé ensemble?
Dr Tookenay: Oui, c'est un partenariat. Cela fait partie du programme de consommation responsable lancé par l'Association des brasseurs. Nous travaillons en partenariat. Ils s'occupent du financement et nous fournissons l'information de la communauté autochtone et élaborons le message et les outils didactiques à l'intention de la communauté autochtone, mais je vous ai décrit tout cela tout à l'heure. C'est dans la même ligne que les initiatives de promotion de la santé, c'est-à-dire qu'on établit un groupe-cible où il y a des problèmes précis et un risque élevé, et ces initiatives bénéficient du financement du secteur privé ou sont faites en partenariat avec le secteur privé.
M. Murphy: Voici où je veux en venir. Manifestement, l'Association des brasseurs ne s'en est pas tenue au principe voulant que sa responsabilité soit plus grande si elle admet que la consommation d'alcool peut être mauvaise. Comment avez-vous obtenu qu'elle vous aide? Lui avez-vous forcé la main?
Dr Tookenay: Dans le cadre du partenariat, notre message fondamental, à l'Association des médecins autochtones, c'est que les femmes enceintes devraient vraiment s'abstenir totalement de consommer de l'alcool. À partir de là, nous avons été à même de travailler avec l'Association des brasseurs pour mettre sur pied des groupes-témoins en vue de solliciter les messages que la communauté voulait entendre et aussi de définir le médium qu'elle voulait pour véhiculer ce message.
M. Murphy: Il me semble que vous avez mis au point un modèle qui est transférable et qui pourrait être très utile. Merci.
M. Hill: Docteur Tookenay, j'ai habité près de deux grandes réserves indiennes et, d'après mon expérience, l'un des problèmes était l'analphabétisme de beaucoup de femmes qui venaient me voir. C'est pourquoi ce projet d'apposer une étiquette portant un message complexe ne me séduit pas.
À votre avis, une représentation pictographique ne pourrait-elle pas mieux influencer une femme autochtone qui est alcoolique et qui est enceinte ou envisage de le devenir?
Dr Tookenay: Il est certain qu'une représentation graphique, sans aucun message écrit, serait utile pour transmettre le message aux gens illettrés. Mais je crois qu'il serait plus efficace de compléter la mise en garde par un programme d'éducation bien ciblé qu'une organisation comme l'Association des médecins autochtones pourrait mettre au point. Le message serait explicité au niveau de la collectivité par des dispensateurs de soins, et je ne veux pas nécessairement dire des médecins, ce pourrait aussi être des enseignants ou des représentants communautaires, qui feraient en sorte de cibler précisément les femmes et surtout celles qui sont à risque en leur faisant prendre conscience des conséquences potentiellement néfastes de la consommation d'alcool pendant la grossesse.
M. Hill: L'une des affiches que j'ai vues et à laquelle votre association a travaillé comportait un pictogramme dont le sens était très évident. Manifestement, vous y avez réfléchi.
Dr Tookenay: Je ne pense pas que c'était une de nos affiches. C'était peut-être une autre affiche, mais je ne vois pas de quelle image vous parlez. Nous avons bien des logos sur les affiches que nous avons publiées, mais... J'en ai des exemplaires ici. Vous pensez peut-être à quelque chose d'autre.
M. Hill: J'ai peut-être fait à tort un lien entre votre organisation et ce dessin.
Dr Tookenay: Je suis sûr que plusieurs organisations autochtones ont des initiatives semblables, pas nécessairement dans le cadre de notre projet.
M. Hill: Diriez-vous qu'il y a une certaine quantité d'alcool qu'une femme peut boire sans risque pendant qu'elle est enceinte?
Dr Tookenay: Je ne vous répondrai pas nécessairement en vous donnant un chiffre absolu. Les problèmes associés à l'alcool pendant la grossesse peuvent être éliminés entièrement en s'abstenant entièrement de boire, et je crois que c'est le seul message que l'on devrait transmettre. Dire qu'une certaine quantité d'alcool est sans danger, ce n'est pas... Je crois qu'on n'a pas suffisamment étudié le domaine complexe de la grossesse et de la croissance et du développement du foetus pour pouvoir établir une quantité sûre. Le message est donc simple: pas d'alcool du tout.
M. Hill: Donc, pas d'alcool pendant la grossesse. Je vois que mes autres confrères hochent la tête en signe d'assentiment.
Dr Tookenay: Oui.
La présidente suppléante (Mme Picard): Monsieur Volpe.
M. Volpe: Docteur Tookenay, je me demande si j'ai bien entendu. Avez-vous dit dans votre exposé que 40 p. 100 de la population autochtone est âgée de moins de 14 ans?
Dr Tookenay: C'est bien cela.
M. Volpe: Vraiment?
Dr Tookenay: C'est tout à fait vrai, et cela vous donne une idée du niveau de risque de ce groupe de population.
M. Volpe: En effet, il me semble que 14 ans, c'est extraordinairement jeune.
M. Szabo: Ce n'est pas une population de vieillards.
M. Volpe: C'est le moins qu'on puisse dire.
J'ai ici un exemplaire du message que vous avez élaboré dans le cadre du projet Caring Together. On y trouve deux références à l'alcool, d'abord au fait d'en boire, et ensuite au fait de ne pas en boire. Il me semble vous avoir également entendu dire dans votre présentation qu'à votre avis, les mises en garde que l'on propose dans ce projet de loi ne seront pas vraiment utiles. Vous y avez fait allusion, mais pourquoi n'irait-on pas plus loin? Au lieu de dire qu'il ne faut pas boire, pourquoi ne pas mentionner nommément l'alcool. Je me rends compte que pour bien des gens, c'est la même chose.
Dr Tookenay: Le message est tiré de nos groupes-témoins. C'est de cette façon que la communauté autochtone préfère entendre le message. Ce n'est pas nécessairement ce que l'Association des médecins autochtones aurait dit, mais nous fondons toute notre action sur l'information dérivée des groupes-témoins, et c'est le message qu'on nous a transmis.
M. Volpe: Vous venez de répondre à une question de mon collègue d'en face au sujet de la quantité d'alcool que l'on peut boire sans danger. Je me demande si le Dr Adams pourrait répondre à la même question: y a-t-il une quantité d'alcool que les femmes enceintes peuvent consommer sans danger?
Dr Adams: Comme je l'ai dit à M. Szabo, il n'est question nulle part dans les ouvrages scientifiques d'une quantité précise. Mais le consensus, parmi les médecins et les autres praticiens qui s'occupent des femmes enceintes, c'est que le meilleur message à leur transmettre est probablement de ne pas boire d'alcool du tout pendant la grossesse.
M. Volpe: La réponse que vient de faire le Dr Tookenay m'incite à vous demander votre réaction sur un point. Il vient de dire que le groupe-témoin de la communauté autochtone a suggéré qu'on utilise le mot «boire», et non pas le mot «alcool», parce que c'est sous cet angle que la communauté autochtone voit les choses. Et vous, quand vous entendez le mot «alcool», dans votre esprit, cela inclut-il le vin?
Dr Adams: Oui.
M. Volpe: Vous ne faites aucune distinction pour ceux qui consomment du vin non pas comme une boisson qu'on achète dans un bar, mais plutôt pour accompagner les repas?
Dr Adams: L'alcool, c'est le vin, la bière et les spiritueux. Le consensus est qu'il n'est pas recommandé de boire une quantité quelconque de l'une ou l'autre de ces boissons. Aucune preuve scientifique n'indique que cela peut être dangereux pour une femme de boire un seul verre une semaine avant d'apprendre qu'elle est enceinte, mais le message que l'on veut transmettre, c'est qu'il faut essayer de dissiper l'impression qu'il n'y a pas de mal à prendre un verre de temps à autre. C'est pourquoi nous disons qu'il ne faut pas boire d'alcool du tout. Aucune statistique n'indique qu'une seule consommation est nuisible, ou même deux.
En fait, c'est justement l'un des problèmes qui se sont posés à l'atelier au cours duquel nous avons dégagé un consensus. Nous avons réuni divers groupes de toutes les régions du Canada pour examiner la question du syndrome d'alcoolisme foetal. Les Autochtones y étaient représentés, et nous ne sommes pas arrivés à nous entendre. Certains voulaient que ce soit absolument zéro, d'autres disaient qu'un verre de temps à autre ne pouvait pas nuire, mais le consensus qui s'est établi est que le message qu'il faut transmettre aux femmes enceintes ou en âge d'avoir des enfants, c'est qu'il n'est pas recommandé de boire quoi que ce soit pendant la grossesse.
M. Volpe: C'est une approche louable. Ce que je voulais savoir, c'est si ces études ou ces conclusions étaient fondées sur l'hypothèse que l'alcool veut nécessairement dire la consommation de spiritueux ou, en tout cas, la consommation d'alcool dans un cadre autre que les pratiques alimentaires normales.
Dr Adams: Je suppose que si vous avez l'habitude de boire une demi-once de sherry ou encore un tonique contenant du sherry avant les repas, vous pouvez considérer cela comme une boisson médicinale. Je ne saurais dire si cela peut faire une grande différence. Mais je répète que si telle était l'habitude de l'une de mes patientes, je lui dirais qu'elle devrait peut-être absorber des vitamines sous une autre forme pendant sa grossesse, au lieu de consommer un tonique renfermant 14 p. 100 de sherry ou quelque chose du genre.
M. Volpe: Ou de boire un demi-verre de vinaigre pour aider à défaire les fibres que l'on consomme avec les repas.
[Français]
La présidente suppléante (Mme Picard): Je suis désolée, monsieur Volpe, il ne reste que quelques minutes.
[Traduction]
M. Scott: Il me semble que nous sommes en train de discuter d'une sorte de marketing social destiné à induire un changement de comportement. L'une ou l'autre des organisations a-t-elle envisagé d'adopter une approche très pointue? Le projet de loi en question traite de la grossesse et des gens qui font fonctionner des machines. Mon collègue a évoqué la possibilité d'un pictogramme qui ne viserait que la moitié de la population en cause, du moins d'après ce que j'ai compris.
Vos organisations respectives ont-elles adopté la position qu'il serait peut-être plus efficace, dans le cadre d'un exercice de marketing social, de cibler spécifiquement les femmes enceintes? Je n'exprime pas une opinion, je suis simplement curieux de le savoir, car la discussion jusqu'à maintenant s'est orientée dans cette direction. Je trouve que les gens sont probablement plus ou moins conscients du problème pour ce qui est de faire fonctionner des machines, ne serait-ce qu'à cause de toute l'attention que l'on accorde à la conduite en état d'ébriété. Avez-vous une position là-dessus?
Dr Adams: Je ne saurais parler au nom de l'Association des médecins autochtones, mais l'Association médicale canadienne a dit publiquement qu'il faut s'attaquer à ce problème par un programme d'éducation complet et multiforme afin d'aborder tous les problèmes potentiels liés à la consommation d'alcool. Le syndrome d'alcoolisme foetal n'est que l'un de ces problèmes. Mais nous avons dit publiquement que nous nous préoccupons de toutes les maladies liées à l'alcool.
Dr Walters: Je trouve que nous anticipons peut-être quand nous voulons élaborer ici même des campagnes de marketing social précises. Je dirais toutefois que, d'après ma propre expérience, on voit souvent des campagnes efficaces en sens contraire. Par exemple, l'industrie du tabac cible très précisément les jeunes, avec ses annonces du genre Joe Camel. Elle le fait sciemment, même si elle le nie.
Au Canada, tout comme le Dr Tookenay l'a signalé, nous avons lancé de bons projets avec le concours de l'industrie elle-même pour promouvoir un comportement responsable. L'industrie s'y connaît en la matière et peut mobiliser des énergies considérables en termes de marketing social; il faut espérer que ce soit dans la bonne direction. J'ai assisté à des réunions conjointes de fabricants de spiritueux et d'organisations qui prêchent la modération au Canada. Ils ont mis au point d'excellentes campagnes qui s'adressent par exemple aux jeunes universitaires pour les inciter à boire de l'alcool avec modération. Quiconque est allé à l'université sait que les résultats sont concluants. C'est très visible et les messages sont transmis clairement à la communauté universitaire.
Je pense que ce genre de campagne pourrait constituer un suivi à la mesure sur les étiquettes de mise en garde. J'aime bien l'idée. Voilà quelque chose de neuf. C'est un message puissant que le gouvernement peut faire entendre et qui peut mobiliser des forces vives. Je pense que si l'industrie, les professionnels, les spécialistes du marketing et les éducateurs conjuguaient leurs efforts, ce serait excellent.
[Français]
La présidente suppléante (Mme Picard): Merci, messieurs, pour votre témoignage intéressant. Le comité prendra vos énoncés en considération et nous vous ferons part de notre rapport.
Nous allons faire une pause de cinq minutes.
La présidente suppléante (Mme Picard): Nous avons le plaisir de recevoir les représentants de la British Columbia Coalition for Warning Labels on Alcohol Containers. Bonjour, monsieur et madame. Vous avez dix minutes pour nous présenter votre témoignage.
[Traduction]
M. Art Steinmann (directeur exécutif, Alcohol-Drug Education Service, British Columbia Coalition for Warning Labels on Alcohol Containers): Bonjour. Merci de nous avoir donné l'occasion de comparaître aujourd'hui. Je m'appelle Art Steinmann et je représente une coalition que notre organisation a mise sur pied dans ce dossier.
Je suis également chargé de transmettre les salutations du Dr Stan Wilbee, qui est membre actif de notre coalition et qui serait ici aujourd'hui s'il n'était en Croatie. Il envoie ses salutations aux membres et au personnel du comité.
Je témoigne à titre de directeur exécutif du service d'éducation sur l'alcool et les drogues, mais également à titre de parent, d'enseignant, et aussi parce que je m'occupe depuis une vingtaine d'années d'éducation et de prévention dans le domaine de l'alcool et des drogues.
Notre organisme et moi-même avons personnellement supervisé l'élaboration et la mise en oeuvre de nombreux programmes de prévention et d'éducation, la publication de documents imprimés ou audiovisuels et de matériel didactique destinés aux enfants, aux parents, aux enseignants, aux groupes ethniques, à la police, aux femmes, etc. Si nous nous intéressons au concept d'étiquettes de mise en garde, c'est en partie parce que l'éducation ne permet pas à elle seule de résoudre le problème, même si je suis partisan d'accentuer nos efforts d'éducation.
Parmi les membres de notre coalition, citons l'Association des travailleurs sociaux de Colombie-Britannique, l'Association des automobilistes de Colombie-Britannique, le Conseil de la famille de Colombie-Britannique, la Société de l'épilepsie de Colombie-Britannique, la Fédération des associations de parents nourriciers de la province, le Healthy Communities Network, le Home Economics Association, l'Association médicale de Colombie-Britannique, le Syndicat des infirmières de Colombie-Britannique, l'Association pharmaceutique de Colombie-Britannique, l'Association des directeurs et directeurs adjoints d'école, etc., etc. Environ 80 organisations sont membres de cette coalition et appuient notre position sur les étiquettes de mise en garde.
Nous avons rédigé un mémoire qui sera déposé. Nous veillerons à ce que vous en ayez chacun un exemplaire.
Dans ce texte, nous traitons de la recherche. Je ne m'attarderai pas trop là-dessus, mais je veux seulement signaler que nous avons ici certains articles que nous avons recueillis sur cette question et, dans cette reliure, on trouve des résumés des projets de recherche. Nous avons trouvé environ 140 articles dans lesquels on mentionne des mises en garde quelconques sur l'alcool, et c'est seulement pour l'alcool. Il y a également beaucoup de recherches sur d'autres formes de mises en garde pour d'autres produits.
Essentiellement, la recherche montre que si les mises en garde sont précises et crédibles, elles donnent des résultats. Il est intéressant de signaler que certains chercheurs américains ont trouvé que les sans-abri, les grands buveurs et les femmes disent qu'ils lisent les étiquettes, qu'ils les retiennent et qu'ils changent leur comportement à cause de ces étiquettes. C'est documenté.
Toujours au sujet des recherches, je voudrais dire qu'à notre avis, nous n'avons pas besoin d'en faire d'autres. Le temps est maintenant venu d'agir. Au Canada, nous devions mettre à l'essai les étiquettes de mise en garde il y a quelques années, mais le projet ne s'est jamais réalisé, pour diverses raisons.
Actuellement, l'Ontario constitue un groupe-témoin pour des recherches menées aux États-Unis et j'espère que très bientôt, l'Ontario ne pourra plus être un groupe-témoin parce que les étiquettes de mise en garde y seront chose courante et elle ne pourra donc plus être utilisée pour ce type d'expérience.
L'alcool entraîne des coûts gigantesques pour notre société: environ 19 000 décès par année. Imaginez qu'un avion 747 s'écrase tous les huit jours, toute l'année, sans aucun survivant; voilà le nombre de Canadiens qui meurent chaque année à cause de l'alcool. Il y a environ 50 décès par jour, deux décès à l'heure. Ainsi, pendant la durée même de cette réunion du comité, il y a des gens qui souffrent et qui meurent à cause de la consommation d'alcool.
Mon argument, c'est qu'il y a dans ce dossier un impératif moral. Nous devons faire tout en notre pouvoir pour nous attaquer à ce problème.
Par ailleurs, en plus des décès, on signale de nombreuses blessures et de nombreux cas de syndrome d'alcoolisme foetal et d'effet de l'alcool sur le foetus.
Je voudrais aussi faire remarquer que les beuveries et la consommation périodique d'alcool causent énormément de problèmes. Ce n'est pas seulement l'alcoolisme chronique. Il y a des adolescentes qui tombent enceintes parce qu'un soir, elles ont pris de mauvaises décisions après avoir bu. Il y a des adolescents qui meurent sur nos routes, nous le savons tous. Il y a des femmes qui causent de très graves dommages au foetus qu'elles portent à la suite d'une seule beuverie. Le problème ne se limite donc pas aux alcooliques chroniques et à long terme.
L'étiquetage bénéficie d'appuis généralisés. Les étiquettes de mise en garde sur les contenants d'alcool sont très populaires et je vous invite à considérer qu'on joue gagnant, puisque 82 p. 100 des Canadiens appuient l'étiquetage.
En 1988, tous les ministres de la Santé du Canada ont demandé au ministre de l'époque, Jake Epp, d'apposer des étiquettes de mise en garde sur les contenants de boissons alcooliques. La demande était unanime. Je vous invite à vérifier le compte rendu de la réunion des ministres de la Santé tenue à Québec en 1988, au cours de laquelle on a discuté de la question. Malheureusement, l'affaire ne s'est pas concrétisée à cette époque.
La croissance de notre coalition a été impressionnante. Nous avons été étonnés de voir le grand nombre de groupes qui nous appuient et qui s'intéressent à ce dossier. Par ailleurs, notre travail s'est fait indépendamment de celui de Paul Szabo et il y en a d'autres partout au Canada qui travaillent chacun de leur côté à ce dossier.
Aux États-Unis, l'appui en faveur des mises en garde est également généralisé. Je crois que le taux a atteint un plateau de 91 p. 100 d'appui en faveur des étiquettes de mise en garde, qui existent là-bas depuis 1989.
Au Yukon, les gens se sont fatigués d'attendre. Ils ont mis leur propre étiquette, cette petite étiquette jaune que voici. Ils l'ont fait à leurs propres frais et l'étiquette est ajoutée une fois que le produit est déjà fabriqué. C'est vous dire à quel point les gens du Yukon sont convaincus et je crois qu'il est regrettable qu'il ait fallu en arriver là. J'espère qu'avant longtemps, toutes les bouteilles vendues au Canada porteront une étiquette.
Il y a beaucoup d'autres exemples d'étiquettes de mise en garde sur beaucoup d'autres produits et je pourrais prendre le temps de vous montrer les étiquettes américaines. On a déjà parlé du tabac, mais ce n'est pas seulement l'alcool et le tabac. Voici une étiquette de mise en garde destinée à une planche à neige. On y avertit les gens des dangers d'une planche à neige et on explique comment s'en servir. Il y a des produits qui sont beaucoup moins toxiques que l'alcool et qui comportent des étiquettes, des mises en garde et des règlements beaucoup plus rigoureux que l'alcool.
Par ailleurs, je trouve tout à fait regrettable qu'en ce moment même, des gouvernements, dont le nôtre, envisagent d'interdire le fromage. Je crois savoir qu'en Californie, 29 personnes sont tombées malades; on croit que c'est à cause du fromage et l'on songe à retirer ce produit des étagères. Un groupe soutient qu'au lieu de faire cela, il faudrait plutôt mettre une étiquette sur le produit. La raison est simple: il est notoire que les étiquettes donnent des résultats. Les gens les lisent.
Ainsi, alors même que nous songeons à interdire le fromage sans qu'il y ait eu un seul décès documenté au Canada, alors même que l'alcool va causer 50 décès aujourd'hui, depuis ce matin, au Canada seulement, je trouve qu'il est impératif que nous fassions tout en notre pouvoir pour arrêter ce fléau.
Je voudrais dire aussi que je doute fort que les fabricants d'eau de javel et de beaucoup d'autres produits aient été consultés ou qu'on leur ait demandé s'ils aimeraient qu'on appose une étiquette sur leur produit pour avertir qu'il s'agit d'un produit corrosif.
L'industrie de l'alcool a sa place dans ces discussions. Il faut la faire participer. Mais je vous mets en garde: ne l'installez pas aux commandes. Elle défend ses intérêts. Du point de vue de la santé et du point de vue social, vous devez consulter les gens qui peuvent vous aider et je pense que c'est trop demander que de vouloir que l'industrie des boissons alcooliques, dont l'objectif est de vendre toujours plus d'alcool chaque jour et chaque année, vous appuie avec enthousiasme et vous fournisse le type de mise en garde et le libellé qui feront l'affaire.
Au cours de la dernière année pour laquelle nous avons des statistiques, 966 Canadiens sont morts d'empoisonnement à l'alcool. Je n'ai pas de données plus précises à cet égard, mais en me fondant sur mon expérience, je soutiens que la grande majorité de ces 966 personnes décédées ignoraient que l'alcool peut vous tuer en une seule fois si l'on boit trop et trop vite. Ces gens-là ne savaient pas que c'est toxique. Je suis également prêt à parier que la plupart de ces personnes décédées étaient probablement des jeunes. Je fonde cette opinion sur mon expérience, car il y a des professeurs d'école qui m'ont téléphoné pour me dire «Art, devine ce qui c'est passé aujourd'hui. Nous revenons tout juste de l'hôpital. Un élève de huitième année est mort après avoir participé à une beuverie au cours de laquelle il a bu trop d'alcool trop rapidement».
Nous ne parlons pas ici de concepts abstraits. Il y a presque trois personnes par jour au Canada qui meurent après s'être empoisonnées à l'alcool. Il y a des personnes âgées qui ignorent qu'en mélangeant l'alcool avec des sédatifs, des barbituriques et des tranquillisants, l'effet est multiplié par quatre, et qui prennent accidentellement une surdose et en meurent.
Je crois que nous rendons un très mauvais service aux enfants dans notre culture en supposant qu'ils vont apprendre d'eux-mêmes que l'alcool peut être dangereux si on en boit trop et trop vite. Heureusement, de nos jours, les enfants apprennent à l'école à lire les étiquettes. Il y a des enseignants qui apportent en classe des échantillons de diverses étiquettes de mise en garde pour en apprendre le sens aux enfants. Cela prépare les enfants qui savent ainsi à quoi s'attendre et je crois que l'on est en train de former toute une population de gens habitués à lire les étiquettes; or, en ne mettant pas d'étiquette de mise en garde sur les bouteilles d'alcool, on leur dit presque que ce produit n'est pas dangereux.
Quel est le coût d'une vie humaine? Combien vaut un enfant? Je signale également qu'il est tout à fait possible qu'une mère qui met au monde un enfant souffrant du syndrome d'alcoolisme foetal et qui ignorait que l'alcool pouvait causer cela peut non seulement poursuivre l'industrie des boissons alcooliques, mais pourrait même tenter de poursuivre le gouvernement. Il me semble qu'il incombe au gouvernement de tuer cette possibilité dans l'oeuf en faisant apposer des étiquettes de mise en garde sur les contenants de boissons alcooliques.
J'ai dit que je m'occupe d'éducation sur l'alcool depuis 20 ans. J'ai une formation d'enseignant. Je suis venu vous dire que nous devons adopter une approche à multiples facettes. L'étiquetage des bouteilles d'alcool ne permettra pas à lui seul de résoudre le problème, pas plus que les campagnes d'éducation sur l'alcool.
J'ignore si vous avez eu l'occasion de vous pencher sur les stratégies de prévention des méfaits de l'alcool, mais il y en a quatre principales: l'éducation; l'acquisition de compétences ou d'habiletés, c'est-à-dire le fait d'apprendre aux gens à prendre de bonnes décisions, à refuser, à ne pas céder aux pressions sociales; le contrôle, qui comprend une foule d'interventions, depuis les taxes jusqu'à la limitation des heures d'ouverture des commerces; et enfin l'action sur l'environnement, qui consiste à créer un environnement qui incite à faire des choix favorables à la santé. Il nous faut des stratégies dans chacun de ces domaines.
L'étiquetage est populaire et peu coûteux. Il pourrait être mis en oeuvre sans qu'il en coûte un sou au gouvernement et cela pourrait se faire rapidement. Les étiquettes agissent de façon continue et répétée sur les gens.
L'étiquetage est une approche axée sur la santé publique. Je vous mets en garde contre des attentes trop élevées à l'égard de ces étiquettes, même si nous avons des preuves que les résultats sont probants. Mon principal argument, c'est que c'est une question d'uniformité de la consommation, d'uniformité du marché. Nous devons au consommateur de lui fournir l'information directement sur le produit. Parce que c'est la santé publique qui est en jeu, il faut agir de façon générale pour rejoindre l'ensemble de la population. Avec le temps, c'est ce que l'étiquetage permet de faire.
Nous ne pouvons pas supposer que tous les gens connaissent les dangers de l'alcool. Nous avons la preuve du contraire. Les connaissances sont pleines de lacunes. Les gens sont mal informés et il y a des mythes. Je reçois des coups de téléphone de gens qui se disent surpris d'être encore en état d'ébriété après plusieurs heures de sommeil. Ils ne comprennent pas que l'alcool se métabolise au rythme d'environ une consommation à l'heure. Il n'y a rien que l'on puisse y faire - ni le café, ni le sommeil, ni les douches froides n'y changent rien. Ce sont là des renseignements de base et beaucoup de gens perdent la vie faute de les connaître. Il y a des jeunes à qui on ne l'a pas appris, il y a des personnes âgées qui l'ignorent, il y a des femmes qui l'ignorent. Nous devons nous mettre à l'oeuvre.
En terminant, je voudrais citer certains commentaires. Les gens diront que les étiquettes sont...
[Français]
La présidente suppléante (Mme Picard): Il faut que vous terminiez. Nous n'avons plus de temps et nous voudrions poser des questions.
[Traduction]
M. Steinmann: Très bien. Je voudrais simplement dire en terminant que dans ce dossier, il faut que le fédéral intervienne. Les provinces ne peuvent pas agir si vous ne le faites pas. On ne peut pas équitablement demander à l'industrie de l'alcool d'agir différemment dans chaque province. J'espère que vous saisirez l'occasion d'agir et que nous pourrons très bientôt constater une diminution des pertes de vie.
Je voudrais que Betty MacPhee prenne la parole.
Mme Betty MacPhee (B.C. Coalition for Warning Labels on Alcohol Containers): Merci. Je sais que le temps nous presse, mais je voudrais répondre directement à une observation que l'on a faite au sujet de la consommation d'alcool occasionnelle pendant la grossesse. Comme le Dr Chris Loock me l'a dit, nous avons besoin de toute l'intelligence qui nous est conférée à la naissance. Si le cerveau se développe tout au long de la grossesse, c'est un atout.
Je vous remercie beaucoup de cette occasion de prendre la parole devant vous. Je suis très nerveuse. Je m'appelle Betty MacPhee. Je suis travailleuse sociale et directrice du YWCA de Crabtree Corner. Je suis également membre du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies, du Conseil consultatif sur le syndrome d'alcoolisme foetal et de la B.C. FAS Resource Society.
J'ai le plaisir de vous dire qu'en 1995, Crabtree Corner a reçu la médaille de distinction du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies pour notre travail communautaire dans le dossier du syndrome d'alcoolisme foetal.
Je voudrais vous décrire brièvement le centre Crabtree Corner où je travaille, afin d'établir le contexte de mon intervention. Je sais que le temps nous presse.
Les familles qui viennent à Crabtree sont pauvres; 80 p. 100 sont des femmes autochtones. Elles habitent dans des chambres d'hôtel, des chambres meublées ou bien elles partagent des appartements - dans tous les cas, leurs logements sont inférieurs aux normes. La troisième semaine du mois, le chèque d'assistance sociale est dépensé, la famille n'a plus d'argent pour la nourriture, les couches, le lait de bébé et les tickets d'autobus. La tuberculose, l'hépatite et le sida ou le VIH sont omniprésents, tout comme les seringues et les condoms qui jonchent les rues. Le quartier est à la fois une communauté très animée et un endroit très violent pour y élever des enfants.
Chaque mois, nous voyons environ 115 enfants âgés de six semaines à six ans. Le tiers de ceux qui fréquentent notre garderie sont des enfants qui ont des besoins spéciaux, essentiellement parce que leur mère a consommé de l'alcool ou d'autres drogues pendant la grossesse. C'est documenté et je peux vous fournir tous les documents à l'appui de cet énoncé.
Dans notre petite zone de code postal ou de recensement, les études montrent que 46 p. 100 de tous les bébés ont été exposés avant leur naissance à la consommation d'alcool et de drogues par leur mère. C'est un pourcentage très élevé. On estime maintenant que chaque enfant coûtera 1,5 million de dollars pendant sa vie en cheminant à travers les divers systèmes dont la prison fait malheureusement souvent partie.
En 1992, j'ai comparu devant le comité permanent qui étudiait le syndrome d'alcoolisme foetal. J'ai alors recommandé une stratégie à multiples volets et j'ai le plaisir de dire... En lisant le compte rendu de décembre - et Mme Picard l'a mentionné plusieurs fois - , j'ai remarqué certains points au sujet de l'éducation dans le cadre d'une stratégie multiple: des protocoles pour les femmes enceintes; un pourcentage cible du revenu des sociétés et du gouvernement tiré de la vente d'alcool devant être consacré aux recherches sur le SAF; des avertissements obligatoires dans tous les établissements; et enfin, des étiquettes de mise en garde obligatoires sur tous les contenants d'alcool. Je pense qu'il faut absolument une stratégie à multiples facettes pour s'attaquer à ce problème, pour espérer former les générations futures. Je pense qu'il faut une génération pour que le changement commence à se produire.
En 1992, j'ai dit:
- J'ai beaucoup de difficulté à comprendre pourquoi l'industrie de l'alcool hésite à étiqueter ses
produits. ... Chaque femme a le droit d'être une consommatrice informée. Chaque femme
devrait savoir qu'il n'y a pas de quantité sûre d'alcool que l'on peut consommer pendant la
grossesse.
- Il semble absurde que les boissons alcooliques exportées depuis la Colombie-Britannique et le
reste du Canada aux États-Unis portent depuis deux ans des étiquettes de mise en garde, tandis
que les mêmes bouteilles vendues dans nos magasins n'en ont pas.
La présidente suppléante (Mme Picard): Madame MacPhee, vous devez terminer, s'il vous plaît.
[Traduction]
Mme MacPhee: Bon, d'accord, je vais terminer en vous racontant ma propre histoire. C'est difficile pour moi de lire ce texte, mais je vous demande votre patience et votre indulgence. J'en ai seulement pour une minute.
Je voudrais vous raconter brièvement ma propre expérience avec le SAF. En 1988, j'ai commencé à soupçonner que mon premier-né souffrait des effets de l'alcool sur le foetus. J'ai travaillé tout au long de ma grossesse et à la fin de ma journée de travail, je devais rentrer à la maison, dans un quartier de classe moyenne en banlieue. En préparant le repas, je prenais souvent un verre. Je faisais attention à ne pas prendre le moindre médicament et j'avais cessé de fumer avant ma grossesse. Pendant ma grossesse, j'ai interrogé mon médecin au sujet de l'alcool. C'était en 1968 et 1969 et, à sa connaissance, il n'y avait pas de mal à prendre un verre ou deux par jour.
Mon fils Jeff est né le 11 février 1969; c'était un bébé en pleine santé. Il semblait brillant et son développement suivait celui de ses pairs. Sa faculté d'attention était toutefois très limitée et c'était un enfant très agité. J'ai rejeté le terme «hyperactif». À l'âge de trois ans, il avait eu des points de suture à trois reprises. Il n'avait aucune crainte et ses chutes répétées ne semblaient pas l'assagir.
En deuxième année, Jeff a été diagnostiqué en difficulté d'apprentissage et il a dû redoubler son année. C'est ainsi qu'ont commencé de pénibles années parsemées de tests, d'aide à l'apprentissage et de classes spéciales. Pendant cette époque, j'ai travaillé très dur pour plaider sa cause dans le système scolaire et j'ai également essayé de l'aider à maintenir son estime de soi. À l'âge de 16 ans, il nous a dit qu'après avoir écouté une émission sur les troubles d'apprentissage diffusée sur le réseau PBS, il avait pleuré.
Avec beaucoup d'aide, il a réussi à terminer l'école secondaire à l'âge de 19 ans. Il a commencé à travailler dans le bâtiment. Grâce à sa grande sociabilité, à son charme et à son esprit vif, il lui était facile de trouver du travail, sans compter qu'il avait à portée de la main un curriculum vitae qui dissimulait son niveau de lecture de quatrième année. Il disait qu'il voulait un jour bâtir sa propre maison et il a travaillé dur pour grimper les échelons des divers corps de métiers, mais il subissait de fréquents accidents au travail. Je soupçonne encore une fois que c'était par manque de jugement. Il tombait du toit, il s'est planté un clou dans la main avec un pistolet à clous, il a reçu des objets dans les yeux, etc. Tout au long de ces épreuves, il avait une attitude enjouée et travaillait souvent 12 heures par jour.
Le 5 juillet 1990, Jeff est allé à une fête chez un ami quelque part dans la banlieue...
[Français]
La présidente suppléante (Mme Picard): Madame, je comprends toute l'émotion que vous avez à nous livrer ce témoignage, mais nous devons quitter la salle bientôt et il ne nous restera plus de temps pour vous poser des questions.
[Traduction]
Mme MacPhee: D'accord, mais je veux terminer.
[Français]
La présidente suppléante (Mme Picard): Je vous laisse une demi-minute. C'est tout ce que je peux vous accorder.
[Traduction]
Mme MacPhee: Le 5 juillet 1990, Jeff est allé à une fête chez un ami quelque part dans la banlieue où il habitait. Durant la soirée, il a pris quatre pilules d'ordonnance dans un contenant qu'on se passait à la ronde. Les autres enfants en ont pris deux. Jeff n'a pas lu l'étiquette parce qu'il en était incapable. Les pilules étaient de la morphine d'action lente. Il est mort d'une surdose accidentelle de médicaments. Il avait 21 ans.
Je vous ai raconté cette histoire très personnelle pour bien vous montrer que mon action n'est pas purement abstraite. À titre de femme enceinte très consciente de mes responsabilités, j'avais le droit de savoir que l'alcool pouvait endommager mon fils. Je crois que la mort de Jeff est liée à sa naissance.
Je vous exhorte à profiter de l'influence que vous pouvez avoir au comité pour plaider en faveur du droit de chaque parent de savoir que pour une femme enceinte, il n'y a aucune quantité d'alcool que l'on peut consommer sans danger.
Merci.
[Français]
La présidente suppléante (Mme Picard): Y a-t-il des questions? Je vous remercie, monsieur Steinmann et madame MacPhee. Je suis désolée de vous avoir bousculés. Ce n'est pas de la mauvaise foi, car nous avons un horaire à respecter et nous devons quitter la salle dans quelques minutes. Merci.
Vous avez une question?
[Traduction]
M. Szabo: Je tiens à vous remercier beaucoup tous les deux d'avoir pris le temps de venir. Je sais que vous avez travaillé très dur. Vous êtes de la Colombie-Britannique. Combien de gens en Colombie-Britannique s'intéressent au dossier du SAF ou participent à ce mouvement?
Mme MacPhee: Il y a 70 agences qui s'occupent du dossier des étiquettes de mise en garde. Je crois que nous avons travaillé très dur pour faire connaître le problème du SAF.
M. Szabo: Et vous y avez admirablement réussi. Combien de personnes rejoignent ces diverses organisations? Le syndrome d'alcoolisme foetal est-il bien connu en Colombie-Britannique?
Mme MacPhee: Oui.
M. Szabo: Êtes-vous au courant du niveau de conscientisation dans les autres provinces, comparativement?
Mme MacPhee: Oui, je crois que l'Ontario commence à avoir de meilleurs programmes et à être mieux renseignée. Il y en a quelques-uns en Saskatchewan. Je reviens tout juste d'Edmonton, où l'on commence à introduire une information sur l'alcool et d'autres drogues dans les cours prénataux. Dans certaines provinces de l'Est, on n'a même pas nommé le problème.
M. Szabo: Nous commençons donc tout juste à nous attaquer à ce problème au Canada.
Mme MacPhee: Oui, c'est un fait.
M. Szabo: Merci beaucoup d'être venue.
Mme MacPhee: Merci.
La présidente suppléante (Mme Picard): La séance est levée.