[Enregistrement électronique]
Le mardi 29 octobre 1996
[Traduction]
Le président: Je déclare ouverte cette séance du Sous-comité sur le VIH/sida. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous entamons une étude sur la pauvreté et la discrimination.
Je vois que si nous nous conformions à l'ordre du jour, je serais censé faire une déclaration d'ouverture. Je pense que je vais m'en dispenser, et je m'excuse de notre retard auprès de nos témoins. De temps en temps, nous sommes retenus à la Chambre à cause d'un vote et nous devons nous plier aux ordres de notre whip et être présents.
Sans plus attendre, j'aimerais présenter Pierre Fortier, directeur de la politique sur la sécurité du revenu, Politique stratégique, et le docteur Laura Heung, conseillère médicale, Programme de la sécurité du revenu, Régime de pensions du Canada.
Je vous prie de bien vouloir commencer. Qui va prendre la parole en premier?
M. Pierre Fortier (directeur, Politique sur la sécurité du revenu, Politique stratégique, ministère du Développement des ressources humaines): Merci, monsieur le président.
Je vais brièvement décrire les mesures dont l'application relève du ministère du Développement des ressources humaines. Nous nous ferons ensuite un plaisir d'en discuter avec vous, ou de répondre à vos questions.
Développement des ressources humaines Canada aide les Canadiennes et les Canadiens de tous âges à atteindre les buts qu'ils se fixent en leur proposant des programmes d'éducation, de formation et de soutien du revenu, ainsi que des programmes sociaux dont peuvent bénéficier les familles et les enfants, les jeunes, les travailleurs et les employeurs, les personnes âgées et les personnes handicapées et invalides. Les deux plus importants programmes que gère le gouvernement fédéral par l'intermédiaire de DRHC - et qui offrent un soutien du revenu aux personnes handicapées - sont le Régime de pensions du Canada et le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, lequel assure le financement partiel de programmes provinciaux d'assistance sociale. DRHC gère également le programme d'assurance-emploi dans le cadre duquel sont allouées des prestations de maladie.
Enfin, DRHC administre des programmes spéciaux à l'intention des personnes handicapées, des femmes et des minorités visibles, dans le but d'éliminer les obstacles susceptibles d'empêcher ces personnes de participer pleinement à la société canadienne.
Le Régime de pensions du Canada est le plus important programme de soutien du revenu que gère DRHC. Ce régime est obligatoire, contributif et fondé sur les gains; et il assure une protection du revenu aux travailleurs canadiens et à leurs familles en cas d'invalidité ou de décès, et au moment de la retraite.
Le Régime de pensions du Canada est en vigueur partout au Canada, sauf au Québec, car cette province gère en parallèle son propre programme, le Régime de rentes du Québec. Des prestations sont allouées en cas d'invalidité grave et de longue durée aux personnes qui ont versé des cotisations au Régime de pensions du Canada pendant deux des trois dernières années ou pendant cinq des dix dernières années précédant l'invalidité. Cette année, le plafond de la prestation d'invalidité du RPC est de 10 451 $.
On compte à l'heure actuelle quelque 1 200 personnes qui, suite à un diagnostic primaire établissant qu'elles souffrent du sida, touchent des prestations d'invalidité du RPC. Il se peut que d'autres bénéficient également de prestations à cause d'un état pathologique secondaire, la dépression, par exemple. Pour ce qui est des prestations accordées en raison du sida, nous avons répertorié 1 200 bénéficiaires. Cela représente 0,4 p. 100 des cas d'invalidité inscrits du RPC, qui compte environ 300 000 prestataires.
Vous trouverez, en annexe à notre mémoire, un graphique illustrant l'augmentation du nombre de personnes atteintes du sida qui touchent des prestations d'invalidité en vertu du RPC. Vous pouvez constater que c'est à partir de 1986 que le nombre des prestataires a grimpé pour atteindre 1 200 aujourd'hui.
Les personnes souffrant du sida, qui ne peuvent pas travailler et qui n'ont aucune autre source de revenu, sont admissibles à une assistance sociale provinciale - financée en partie par le gouvernement fédéral dans le cadre du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux.
En ce qui concerne les mesures facilitant la réintégration de ces personnes à la population active, même si les prestations d'invalidité du RPC sont prioritairement destinées à des gens gravement malades et dont l'invalidité peut être de très longue durée, les responsables du Régime de pensions du Canada ont adopté, en 1995, de nouvelles lignes directrices, en vue d'éliminer les obstacles à la réembauche auxquels font face de nombreuses personnes touchant des prestations d'invalidité. Ces mesures sont énoncées à l'annexe 2.
Toutefois, les mesures les plus significatives pour les gens qui souffrent du sida sont celles qui permettent, dans le cadre du RPC, de verser des prestations pendant une période de trois mois suivant le retour au travail des prestataires, afin de les aider à faire la transition. Auparavant, dès qu'une personne reprenait le travail, elle risquait de perdre ses prestations d'invalidité. Comme vous l'imaginez, des prestations qui peuvent atteindre 10 000 $ représentent un soutien du revenu non négligeable. On a jugé que cela décourageait les gens de reprendre une vie active.
De plus, les prestataires souffrant de maladies récurrentes et dégénératives comme le sida, recevront de nouveau des prestations dans un court délai si la maladie réapparaît et s'ils ne peuvent continuer à travailler.
Monsieur le président, telle est la brève description que l'on peut donner des principales mesures dont l'application relève du ministère et qui offrent un soutien du revenu aux personnes handicapées, notamment aux sidatiques.
Le président: Merci. Êtes-vous le seul à présenter un exposé?
M. Fortier: Oui.
Le président: Parfait. Nous allons passer aux questions.
[Français]
M. Ménard (Hochelaga - Maisonneuve): Dans le travail de révision que nous faisons en comité concernant le lien avoué, ou à découvrir, entre la discrimination et le statut sérologique des personnes, la question du soutien du revenu nous préoccupe évidemment beaucoup.
Je voudrais vous poser trois ou quatre questions. Tout d'abord, je voudrais que vous nous décriviez clairement le processus. Quel est le processus à partir du moment où une personne est séropositive ou lorsque la «séroconversion» s'opère? Est-ce qu'il y a une formule médicale qui est connue? Qu'est-ce que la notion d'invalidité?
Est-ce que vous diriez que les personnes atteintes peuvent être déclarées comme ayant une maladie invalidante et, à ce titre, recevoir des prestations? Voudriez-vous nous décrire le processus pour qu'on puisse suivre la filière qui est empruntée et faire des recommandations dans le cas où ce processus nous apparaîtrait trop lourd ou trop exclusif pour notre clientèle?
M. Fortier: Le processus à suivre pour une personne est de faire une demande de prestations d'invalidité au Régime de pensions du Canada. Il y a formulaire à remplir. Je n'ai pas le formulaire ici, mais si vous cela vous intéresse, nous pourrons vous en soumettre une copie.
Une fois le formulaire rempli, la demande est évaluée par l'administration. Il est possible que l'administration, pour avoir des renseignements additionnels, demande que la personne voie un médecin qui lui donnera une évaluation particulière pour compléter l'information qui a été fournie dans le questionnaire.
Une fois que la personne a soumis l'information requise, une décision est prise concernant son admissibilité. Si la personne n'est pas satisfaite de la décision, elle peut faire appel. Si la personne est satisfaite, elle pourra recevoir une prestation d'invalidité.
M. Ménard: Commençons par le début. Si une personne est sur le marché du travail depuis cinq ans, elle a payé des cotisations. Soudain, cette personne apprend qu'elle est séropositive. À ce moment-là, quelle est, selon vos services, la définition d'«invalidité»? Avez-vous une définition standard?
Je sais que c'est une définition difficile à donner. Je connais le cas de la Régie des rentes du Québec. Il faut quasiment être paraplégique, parce que quand on est aveugle, ils estiment qu'on peut répondre au téléphone puisqu'on a encore l'ouïe, et quand on est sourd, ils estiment qu'on peut mettre des timbres sur des enveloppes. J'espère que votre définition n'est pas aussi restrictive que celle de la Régie des rentes du Québec.
M. Fortier: C'est très semblable. Je peux vous la donner en anglais:
[Traduction]
- a) une personne n'est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière
prescrite, atteinte d'une invalidité physique ou mentale grave et prolongée et pour l'application
du présent alinéa:
[Français]
C'est un des aspects. Le deuxième aspect est le suivant:
[Traduction]
(ii) une invalidité n'est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès;
[Français]
Vous pouvez voir que, dans la définition d'invalidité du Régime de pensions du Canada, on doit essentiellement déterminer qu'il y a une condition médicale qui affecte considérablement la capacité de l'individu à travailler.
M. Ménard: Alors, d'après votre définition, si les membres de ce comité acquièrent la conviction qu'on est en voie de gagner la bataille contre le sida et que le sida n'est plus une maladie mortelle mais devient une maladie chronique, dans le sens où on va pouvoir augmenter l'espérance de vie des personnes atteintes, on pourrait, à partir de cette nouvelle réalité, exclure les personnes atteintes de la notion d'«invalidité».
M. Fortier: C'est une réalité que l'on connaît, non seulement dans le cas du sida, mais dans le cas de plusieurs autres maladies. La science médicale fait des progrès, et certaines personnes qui avaient été déclarées invalides par le Régime de pensions du Canada peuvent regagner, d'une certaine façon, une capacité de travail. C'est une des raisons pour lesquelles on a apporté des changements à notre façon de déterminer l'admissibilité.
Par exemple, une personne qui aurait été admise au programme et qui, grâce à l'amélioration de son état, peut retourner au travail, sera réévaluée plus rapidement et n'aura pas à se soumettre au même processus de détermination de l'invalidité.
M. Ménard: Nous allons bientôt entendre la Société canadienne du sida, qui nous a dit qu'il y avait à peu près 50 000 personnes atteintes au Canada et que ce nombre allait doubler d'ici cinq ans. Il y a donc 50 000 personnes séropositives et sans doute environ 15 000 personnes chez qui le virus du sida est actif.
Vous avez dit que vous en aviez près de 1 200 dans vos statistiques. S'il y a 10 000 personnes atteintes au Canada, dans un contexte excluant évidemment le Québec qui a son propre régime, comment expliquez-vous qu'il y en ait seulement 1 200 qui soient admissibles à un régime d'invalidité?
M. Fortier: Dans le cas du sida, la maladie est progressive et l'impact sur la capacité de travailler de l'individu peut se faire ressentir plus tard dans l'évolution de la maladie.
Le fait qu'une personne est déclarée séropositive ne veut pas dire qu'elle ne peut plus travailler immédiatement. Il peut s'écouler un certain nombre d'années avant que la personne perde sa capacité de travail.
Étant donné que le Régime de pensions du Canada n'a pas vraiment prévu une catégorie pour les personnes qui ont presque complètement perdu leur capacité de travail, il y a un nombre relativement restreint de personnes qui tombent dans cette catégorie-là.
M. Ménard: Mais j'imagine qu'il faut faire la différence entre les gens séropositifs et les personnes atteintes de la maladie.
M. Fortier: Exactement.
M. Ménard: Nous allons voir tout à l'heure les évaluations de la Société canadienne du sida, mais j'ai eu le chiffre de 50 000 personnes séropositives au Canada, c'est-à-dire des gens chez qui le virus du VIH n'est pas nécessairement actif.
M'avez-vous dit que lorsqu'on dépose une demande chez vous, c'est, dans un premier temps, sous forme d'un formulaire qui est rempli par le percepteur éventuel et qu'il n'y a pas vraiment d'expertise médicale?
M. Fortier: Il y a quand même un rapport médical en même temps.
M. Ménard: En ce qui concerne le processus de révision, si la personne est refusée dans un premier temps, il y a un processus d'appel.
M. Fortier: Oui.
M. Ménard: Qui relève du ministère du Développement des ressources humaines du Canada?
M. Fortier: Il y a trois niveaux.
Le premier niveau, c'est une revue par le ministre. À ce moment-là, le cas est revu par l'administration. Si la décision n'est toujours pas favorable à la personne en question, elle peut en appeler à un tribunal de révision qui est composé d'une personne ayant compétence juridique, d'une personne ayant compétence dans le domaine de la santé et d'une autre personne. Ces gens-là ont reçu une formation sur la Loi sur le Régime de pensions du Canada et ont de l'expérience dans l'évaluation de cas comme ceux-là.
La décision se prend à ce niveau-là et si la décision n'est toujours pas favorable, la personne peut aller à la Commission d'appels de pension, au troisième niveau.
M. Ménard: Je reviendrai au deuxième tour, monsieur le président.
[Traduction]
Le président: Monsieur Ringma.
M. Ringma (Nanaïmo - Cowichan): J'ai une question élémentaire à vous poser. Comme vous le savez, nous constituons le sous-comité sur le VIH et le sida. Or, dans votre exposé, vous mentionnez uniquement le sida et ne dites rien du VIH. Est-ce parce que les séropositifs ne dépendent pas des prestations d'invalidité du RPC, ou est-ce parce que toutes ces personnes appartiennent selon vous à la même catégorie, ou quoi?
Dr Laura Heung (conseillère médicale, Programme de la sécurité du revenu, ministère du Développement des ressources humaines): Pourriez-vous préciser votre question, s'il vous plaît?
M. Ringma: Le sous-comité étudie l'impact de la pauvreté, de la discrimination, etc., sur le VIH et le sida. Je suis au courant qu'il y a progression de la séropositivité au sida, mais dans votre présentation, vous ne parlez que du sida. Par conséquent, est-ce que la séropositivité ne vous concerne pas, ou est-ce tout simplement que c'est un facteur qui n'entre pas en ligne de compte?
M. Fortier: Non, toute la question tourne autour de l'évolution de l'état de santé des personnes concernées. Dans la plupart des cas, nous versons une pension d'invalidité aux sidatiques qui ne peuvent donc pas travailler.
M. Ringma: Je vais formuler ma question autrement. Peut-être est-ce parce que je ne sais pas très bien moi-même en quoi consiste cette maladie, mais peut-on classer les gens en deux catégories: d'un côté, ceux qui sont séropositifs et de l'autre, ceux qui souffrent du sida - et est-ce que vous partez du principe que la maladie va progresser et qu'ils vont passer d'une catégorie à l'autre? Pouvez-vous classer les gens en deux catégories distinctes et si oui, n'y a-t-il aucun séropositif qui vous dise: «J'ai besoin d'assistance, je ne souffre pas encore du sida, mais je ne suis pas valide et j'ai besoin que l'on m'aide»?
Dr Heung: En général, chez les gens qui sont uniquement séropositifs, la maladie est asymptomatique - c'est-à-dire que cela ne les empêche pas de travailler - et l'on accorde des prestations uniquement aux gens qui sont atteints au point de ne plus pouvoir travailler.
M. Ringma: D'après votre réponse, il est passablement clair que ceux et celles qui sont uniquement séropositifs ne sont pas encore invalides.
Cette constatation amène naturellement à poser l'autre question à laquelle s'intéresse le comité: quels sont les traitements médicaux, les médicaments, etc...? Ce n'est pas votre domaine, et je comprends cela, mais c'est une question que nous nous posons. Lorsqu'on est séropositif et que l'on n'est pas encore au stade où l'on souffre du sida, quels médicaments doit-on prendre, et quels sont ceux que l'on peut obtenir?
M. Fortier: Pour répondre de façon un peu plus élaborée à votre question, je dirais que certains séropositifs peuvent obtenir des prestations d'invalidité du RPC, parce qu'ils souffrent d'une maladie dite secondaire. Il se peut qu'en apprenant qu'elles étaient séropositives, ces personnes soient tombées dans un état dépressif grave et que cela les empêche de travailler.
M. Ringma: Oui, je comprends.
M. Fortier: Ces personnes-là seront répertoriées aux fins de nos statistiques dans la catégorie des gens qui souffrent de dépression - et non comme séropositifs. Il s'agit d'établir quelle est la principale cause d'invalidité.
M. Ringma: Ce sont des précisions fort utiles. C'est à peu près le sens...
M. Fortier: La cause principale d'invalidité sera celle qui affecte le plus gravement l'état de santé d'une personne au moment où l'on prend une décision sur son cas.
M. Ringma: Ma deuxième question s'explique par le fait que le comité est chargé d'examiner les effets de la pauvreté, de la discrimination, et ainsi de suite. Dans votre exposé, vous dites quelles sont les règles appliquées par les responsables du RPC, ce que vous allouez et, je pense, qu'il y a 1 200 personnes qui...
M. Fortier: Oui.
M. Ringma: À part ces personnes-là, il doit y en avoir qui vous disent: «Écoutez, j'ai besoin d'aide, mais je n'entre pas encore dans la catégorie des personnes qui sont jugées invalides. Vous avez des règles pour déterminer ce qui constitue et ce qui ne constitue pas...»
M. Fortier: Exactement.
M. Ringma: Vous n'ignorez certainement pas le problème auquel font face tous ces gens - tous autant qu'ils sont - alors, selon vous, est-ce que les politiques de votre ministère qui vous obligent à dire: «Désolé, nos critères ne s'appliquent pas à votre cas, et par conséquent nous ne pouvons vous verser les prestations du RPC», ont des effets négatifs?
L'objectif du comité est de déterminer quels sont les effets du manque de financement, du manque de soutien et du reste sur les gens qui souffrent de cette maladie, et qui entrent dans cette catégorie.
M. Fortier: Le RPC fait partie d'une gamme de programmes destinés à aider les gens. Ce régime n'est certainement pas une panacée. Il ne couvre pas un grand nombre de gens qui souffrent d'un handicap partiel, ou qui ne sont pas suffisamment handicapés pour être admissibles.
Il y a d'autres programmes qui peuvent couvrir ces gens-là - et certaines personnes peuvent également avoir recours aux prestations de maladie et d'invalidité offertes dans le cadre d'un régime de pension d'employeur. Tout le monde n'a toutefois pas accès à de tels programmes. Il y a également le Régime d'indemnisation des accidentés du travail dans le cadre duquel il est possible d'obtenir des prestations - mais c'est peu probable que cela s'applique en l'occurrence. Il faudrait pour qu'elles obtiennent des prestations dans le cadre d'un tel régime, que les personnes concernées aient eu un accident sur leur lieu de travail. Cela ne serait donc pas forcément lié au fait qu'elles sont séropositives.
Les seuls autres programmes d'indemnisation qui existent sont ceux qui relèvent des gouvernements provinciaux et qui sont offerts aux personnes dont le revenu est insuffisant et qui ne peuvent pas travailler - tout en n'étant pas assez handicapées pour être admissibles à des prestations d'invalidité du RPC.
M. Ringma: Je crois que je ferais mieux de poser ma question à quelqu'un qui souffre du sida ou qui représente les personnes atteintes du sida, et qui pourrait me dire: «Écoutez, tels sont les obstacles que nous rencontrons: nous nous tournons vers le RPC, notre demande est rejetée; nous nous adressons ici, c'est la même chose; nous allons...» J'aurais probablement une meilleure réponse.
Je me rends compte que c'est un peu injuste de vous demander de vous mettre à la place de ceux et celles à qui l'on refuse des prestations d'invalidité.
Je vais vous poser une dernière question à laquelle, je pense, vous allez pouvoir répondre sans problème. Vous pouvez constater que le nombre de sidatiques va croissant; en quoi cette constatation affecte-t-elle les prévisions budgétaires que vous établissez pour l'an prochain, et l'année suivante? De combien augmentez-vous vos budgets?
M. Fortier: Je n'ai pas les chiffres sous la main, mais je pourrai obtenir cette information de notre actuaire en chef au Bureau du surintendant des institutions financières, qui établit pour nous ces prévisions. Chaque fois qu'il fait des prévisions concernant le Régime de pensions du Canada, il prend en compte l'augmentation du nombre des sidatiques.
M. Ringma: J'aimerais obtenir ce renseignement car, apparemment, cette progression est très prévisible. J'aimerais m'assurer que vous avez un plan pour faire face à cette situation. C'est une information que nous devons obtenir pour le comité.
Le président: Nous pouvons en faire la demande par l'intermédiaire du comité et distribuer les renseignements.
Madame Ur.
Mme Ur (Lambton - Middlesex): Merci, monsieur le président.
Je vous remercie de l'exposé que vous nous avez présenté. Je sais fort bien en quoi consistent les formulaires de demande de prestations d'invalidité du RPC, étant donné que j'ai été pendant sept ans adjointe de circonscription. Je peux pratiquement remplir ces formulaires les yeux fermés.
Moi aussi, comme mon honorable collègue, je m'inquiète de l'augmentation du nombre de cas entre 1985 et 1995. J'espère bien obtenir les chiffres dont vous avez parlé, parce que cet état de chose va certainement bouleverser toutes les prévisions budgétaires concernant le RPC, même avec les cas d'invalidité...
Je sais que lorsque je travaillais au bureau de la circonscription, quand les conditions d'emploi changeaient, quand les usines fermaient - notamment dans la région - les gens venaient nous voir. Il suffisait qu'une personne fasse une demande pour que 50 autres en déposent une également, en pensant que leur cas entrait dans la même catégorie. Enfin, au bout de la quarantième demande, vous demandiez: «Rempliriez-vous ce formulaire si vous aviez un emploi?» «Non, vous répondait-on, mais nous essayons d'obtenir une forme d'aide quelconque.»
Cela ressemble beaucoup à la situation que vous évoquiez. Il y a des services sociaux provinciaux qui essaient de se débarrasser de ces gens-là en leur disant: «Adressez-vous au fédéral, en disant que vous souffrez d'un handicap; je suis sûr que vous obtiendrez gain de cause.» C'est une guerre entre gouvernements.
Vous avez fait quelques observations intéressantes... que des fonds sont alloués dans le cas d'états pathologiques secondaires, par exemple, la dépression. Cela s'applique-t-il uniquement aux séropositifs et aux sidatiques, ou à toute personne qui demande des prestations d'invalidité?
M. Fortier: À tout le monde.
Mme Ur: C'est intéressant.
M. Fortier: Nous ne nous focalisons pas sur une maladie en particulier. Les responsables de l'état de santé d'un individu et la façon dont cet état affecte sa capacité d'avoir une occupation qui lui procure un revenu substantiel.
Cela peut avoir trait à une maladie, ou à plusieurs facteurs pathologiques combinés, être physique ou mental, parfois même les deux à la fois. Mais un fois qu'on a déterminé l'état de santé de l'intéressé, nous nous regardons l'impact sur sa capacité de gagner sa vie.
Mme Ur: Avez-vous des statistiques sur les différentes causes d'invalidité qui sont invoquées, et quel est le pourcentage des demandes qui s'appuient sur des états pathologiques secondaires?
Je sais, par ailleurs, que les critères définissant l'invalidité dans le cadre du RPC sont différents de ceux de Revenu Canada. Il y avait toujours des gens qui venaient nous dire qu'ils étaient jugés admissibles par un organisme, mais pas par l'autre - alors que les deux relevaient du gouvernement fédéral.
Je pense en effet que la directive sur le versement des prestations pendant trois mois est une bonne façon d'inciter les gens à se remettre à travailler, à voir s'ils peuvent effectivement reprendre une vie active.
Vous avez dit pouvoir accélérer le processus d'évaluation pour les requérants séropositifs ou sidatiques qui déclarent avoir essayé de recommencer à travailler mais en être incapables. Est-ce que le même processus s'applique à tous ceux qui essaient de travailler à nouveau, mais pour qui cela se révèle impossible pour une raison ou une autre?
M. Fortier: S'ils souffrent d'une maladie récurrente comme le sida ou...
Mme Ur: Quel est le délai? Vous parlez d'accélérer le processus. Cela veut dire quoi? En combien de temps ce genre de demande peut-elle être traitée?
Dr Heung: Dès que nous recevons une demande ou une lettre nous informant que la personne n'est pas en mesure de continuer à travailler, les prestations sont prolongées, et la demande transmise au service d'évaluation.
Mme Ur: Quels sont les délais actuellement pour qu'une demande soit examinée, acceptée ou rejetée? Cela prend combien de temps?
Dr Heung: Actuellement, le processus est régionalisé, et c'est donc fonction de la région.
Mme Ur: Je sais que les choses ne se sont pas améliorées dans le sud de l'Ontario.
Dr Heung: Je ne suis pas en mesure de répondre à votre question.
M. Fortier: On pourrait voir quels sont ces délais. Nous avons un tableau statistique qui montre le nombre de prestataires dans les diverses catégories de diagnostic. Nous vous le transmettrons. Je ne l'ai pas avec moi.
Mme Ur: Je pense qu'il est extrêmement important d'obtenir l'information que la présidence a demandée. Vu que le gouvernement est en train de réexaminer le RPC, il est vraiment important, je crois, de disposer de ce type de statistiques afin de définir les futurs enjeux.
Il y a les prestations de retraite et d'invalidité... les unes semblent grever davantage sur le programme que les autres; et les dollars versés pour assurer les pensions semblent être engloutis par la composante «invalidité».
M. Fortier: Le gouvernement fédéral et les provinces procèdent actuellement à un examen quinquennal, qui porte sur le financement du Régime de pensions du Canada.
Avant que commence cet examen, l'actuaire en chef avait publié son 15e rapport actuariel, qui indiquait que si aucun changement n'était apporté d'ici l'an 2030, le taux de répartition atteindrait environ 14,2 p. 100, soit environ 1 p. 100 de plus que le taux indiqué dans le précédent rapport. La raison principale de cette augmentation est l'accroissement prévu du coût attribuable aux prestations d'invalidité.
À propos de la progression des cas de sida, 0,4 p. 100, ce n'est pas beaucoup globalement parlant; et ce n'est pas une des causes principales de l'augmentation du coût des prestations d'invalidité. Elle est plutôt liée à des bouleversements d'ordre législatif qui ont permis d'offrir des prestations d'invalidité aux demandeurs tardifs, et aussi à certains changements dans la façon dont l'administration déterminait l'admissibilité à un certain moment, en se fondant sur les décisions rendues en appel.
Nous avions commencé à prendre en compte des facteurs socio-économiques pour déterminer la capacité de travailler d'une personne. Des décisions rendues sur recours nous ont fait revenir à des critères plus étroits pour déterminer l'invalidité.
Ces divers facteurs combinés ont fait augmenter très fortement les versements dans un laps de temps relativement court. Au vu de cette évolution, l'actuaire en chef a pronostiqué une augmentation relativement importante du coût des prestations d'invalidité.
La situation est à l'étude, et les discussions fédérales-provinciales... On envisage d'apporter des changements non seulement au taux de contribution, mais aussi aux prestations.
Mme Ur: Exige-t-on toujours des requérants qu'ils aient contribué au régime pendant deux des trois dernières années ou cinq des dix années précédant l'invalidité?
M. Fortier: Oui. Pour l'instant. Mais le document de consultation que nous avons préparé en vue de la révision préconise des mesures pour préciser les conditions déterminant l'invalidité.
Par exemple, on propose de revenir au critère selon lequel il faut avoir contribué pendant quatre des six dernières années, plutôt que deux sur trois. Essentiellement, cela permettrait d'imposer des conditions plus strictes sur le plan des contributions et de l'administration, et de mettre en place un train de mesures pour réduire le montant des prestations de retraite versées aux personnes handicapées quand elles atteignent l'âge de la retraite.
Mme Ur: À propos des refus, est-il toujours vrai que, lorsqu'une personne demande à avoir droit au RPC en raison d'une invalidité et que le docteur indique sur le formulaire médical que l'intéressé est en mesure de travailler avec une charge de travail réduite, le cas échéant, ou encore une ou deux heures par jour, un appel est rejeté?
Je me demande simplement si Santé et Bien-être social Canada serait en mesure de me dire où l'on peut trouver des employeurs prêts à embaucher quelqu'un pour une heure ou deux par jour?
M. Fortier: Si quelqu'un est capable d'avoir un revenu gagné qui dépasse la valeur de la prestation de retraite maximale - soit environ 700 $ - il est possible que l'on considère que cette personne est en mesure d'avoir une rémunération substantielle.
Mme Ur: Avec une heure par jour?
M. Fortier: Là, avec une heure par jour, je ne sais pas.
Mme Ur: C'est ce que j'ai entendu dire. Je trouve ça un peu bizarre moi-même.
M. Fortier: Il y a des gens qui peuvent gagner un salaire avec une heure de travail par jour.
Mme Ur: J'aimerais que vous me fournissiez ces statistiques.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci. Nous allons maintenant procéder à nos tours du tapis de cinq minutes. Je redonne la parole à M. Ménard.
[Français]
M. Ménard: Je pense qu'il serait très important qu'on puisse bénéficier de la définition très concrète que vous utilisez. Nous avons un porte-parole extrêmement autorisé, qui est en contact avec les personnes atteintes, et c'est la Société canadienne du sida.
Lorsqu'elle procède à l'analyse de vos services et de l'admissibilité au régime d'invalidité, elle dit la phrase suivante:
- En raison d'interprétations rigides de la notion d'invalidité, qui ne s'adapte que rarement aux
fluctuations de l'état de santé des personnes vivant avec le VIH/sida, les conditions
d'admissibilité aux programmes de prestations d'invalidité incitent plusieurs individus à ne pas
travailler même s'ils sont capables et désireux de le faire.
J'ai vécu pendant de nombreuses années avec un conjoint qui était atteint. Il y avait des jours où il pouvait venir faire de la bicyclette avec moi, aller faire l'épicerie ou laver le plancher. Cependant, je pouvais le retrouver le lendemain absolument incapable de sortir du lit. C'est la réalité très cyclique des personnes atteintes. Avec une définition comme celle qui est en vigueur à votre direction, il est extrêmement difficile pour les personnes atteintes de se qualifier.
Ne pensez-vous pas que dans le cas des personnes atteintes, il faut tenir compte des fluctuations cycliques de l'invalidité?
M. Fortier: Je crois que vous avez parfaitement raison de soulever ce point. C'est une des raisons pour lesquelles le ministre Axworthy avait introduit cette disposition qui tendait à assouplir les conditions qui permettaient de revenir sur le marché du travail et d'être à nouveau admissible à la prestation.
C'est une disposition qui est assez nouvelle, et nous attendons vos observations ou celles d'autres personnes sur l'application de cette disposition.
M. Ménard: Vous avez inséré le communiqué de presse dans la documentation que vous nous avez fait parvenir. D'après votre expérience, même si finalement on parle de 0,4 p. 100 de prestataires qui sont admis en raison d'une incapacité liée à leur statut sérologique, est-ce que vous croyez que les amendements qui ont été apportés par le ministre Axworthy peuvent donner confiance aux membres du comité en ce qui concerne l'application de la remarque faite par la Société canadienne du sida?
Est-ce que vous nous dites que, concrètement, on va tenir compte des variations cycliques des individus et que, ce faisant, les personnes séropositives ou atteintes vont pouvoir se qualifier lorsqu'elles seront devant vos fonctionnaires qui devront prendre des décisions?
M. Fortier: Le but de la disposition qui a été déposée devant vous est précisément qu'on soit plus souple qu'on ne l'était avant pour s'adapter aux variations de la maladie des gens.
Comment est-ce que les choses se passent dans la pratique? C'est peut-être là que nous allons avoir besoin de feedback.
M. Ménard: D'accord.
Vous nous avez dit que 1 200 personnes recevaient des prestations, 1 162 en fait.
Pensez-vous qu'on pourra obtenir les renseignements sur ceux qui ont déposé une demande et qui ont été refusés? Évidemment, il serait intéressant de connaître le nombre de ceux qui reçoivent des prestations, mais le chiffre ne peut pas être totalement significatif si on ne sait pas combien de personnes se sont vu refuser une prestation d'invalidité du Régime de pensions du Canada en raison de leur statut sérologique.
M. Fortier: Je vous soumettrai volontiers l'information si nous l'avons.
M. Ménard: Vous devez l'avoir.
M. Fortier: On doit l'avoir, mais je n'en suis pas certain. Je ne peux pas vous assurer que nous l'avons. Si elle est disponible, on vous la donnera.
M. Ménard: Parfait. Merci beaucoup.
Le président: Merci. Monsieur Szabo.
[Traduction]
M. Szabo (Mississauga-Sud): Merci, monsieur le président.
Monsieur Fortier, je présume qu'il est juste de dire qu'essentiellement, vous êtes venu nous parler des programmes de soutien du revenu en vigueur, et clarifier les choses si nous nous posons des questions au sujet... Je ne crois pas que vous soyez ici pour commenter les diverses facettes de la pauvreté ou de la discrimination, autrement que dans la mesure où cela...
Est-ce que votre ministère ou vous-même êtes d'avis qu'à l'heure actuelle, les programmes de soutien du revenu sont discriminatoires, et qu'il est nécessaire d'apporter des changements?
M. Fortier: Pour ce qui est des mesures dont j'ai une connaissance directe, à ce que je sache, elles ne sont pas discriminatoires à l'égard d'un groupe particulier. Le RPC ne fait pas de discrimination, au sens où il s'appuie sur l'état de santé et sur la capacité de travailler - quelle que soit la maladie dont souffre le requérant.
Si nous jugions qu'il y a une quelconque discrimination, cela nous préoccuperait et nous agirions pour que les correctifs nécessaires soient apportés.
M. Szabo: Par conséquent, du point de vue de DRH, il n'y a rien que l'on puisse ajouter à l'étude, à part que, autant que vous sachiez, il n'y a pas de discrimination?
M. Fortier: Pour ce qui est de la discrimination, non.
M. Szabo: Merci.
Le président: Y a-t-il d'autres questions, ou peut-on donner la parole aux témoins suivants?
Mme Ur: J'ai une brève question. Combien de fois peut-on abandonner le régime et y revenir?
M. Fortier: Il n'y a pas de restriction. De fait, si une personne se trouve dans la situation instable que vous envisagez, la question qui se pose n'est pas le nombre de demandes qu'elle envoie, mais quel est son état de santé véritable.
Mme Ur: Disposez-vous de statistiques sur les études qui ont été faites?
M. Fortier: Pour savoir s'il y a des personnes qui se réinscrivent à la semaine ou quotidiennement? Je ne suis pas certain que l'on acceptera nécessairement une participation au régime sur une base quotidienne. Mais les personnes dont nous parlons sont des gens qui font effectivement l'effort de réintégrer la population active.
Mme Ur: Je me posais simplement la question. Y a-t-il des limites à respecter ou quelque chose du genre?
M. Fortier: Pas que je sache, non.
Mme Ur: Possédez-vous des données statistiques tirées des études que vous avez faites sur les gens qui touchent actuellement des prestations d'invalidité du RPC après les avoir abandonnées?
M. Fortier: Sur le nombre des réévaluations?
Mme Ur: Oui.
M. Fortier: Et sur le nombre de cas que cela représente?
Mme Ur: Oui.
M. Fortier: Je n'ai pas ce chiffre sous la main, mais je peux vous l'obtenir.
Mme Ur: Merci. J'aimerais le voir.
Le président: Merci monsieur Fortier et merci docteur Heung, d'avoir le pris le temps de comparaître aujourd'hui. Je suis désolé que nous ayons eu à vous presser et qu'il ait été difficile pour les membres du comité d'être présents, mais c'est l'une de ces journées à la Chambre où tout est un peu sens dessus dessous. Merci de vous être déplacés. Le greffier communiquera avec vous pour obtenir certains des renseignements que nous avons demandés. Merci encore.
M. Fortier: De rien.
Le président: Nous allons maintenant donner la parole à Russell Armstrong, directeur général de la Société canadienne du sida.
Monsieur Armstrong, voulez-vous, s'il vous plaît, présenter la personne qui vous accompagne.
M. Russell Armstrong (directeur général, Société canadienne du sida): Merci, monsieur le président. Mesdames et messieurs, je suis accompagné cet après-midi de ma collègue, Tasha Yovetich, qui a préparé avec moi la documentation dont je vais me servir. Tasha est prête à m'aider à répondre aux questions que le comité pourrait me poser.
Juste pour que je puisse m'organiser en conséquence: je crois comprendre que vous devez lever la séance à 17 h. C'est toujours votre intention?
Le président: Nous pouvons prolonger la séance, à condition que les membres du comité puissent rester plus longtemps. Nous sommes, toutefois, à la merci des sonneries, des lumières qui clignotent et autre signal de ce genre qui nous avertit que nous devons regagner la Chambre. Si les débats se prolongent et si nous devons retourner à la Chambre, il faudra que nous levions la séance rapidement; autrement, nous essayerons de vous laisser une certaine latitude. Par conséquent, ne vous pressez pas trop; nous sommes ici pour quelque temps encore.
M. Armstrong: Très bien.
Le président: Monsieur Armstrong, vous connaissez les règles appliquées par le comité. Vous faites votre exposé et nous procéderons ensemble à des tours de table de dix minutes au cours desquels les membres vous poseront des questions.
Nous laissons à la personne qui répond aux questions une grande marge de manoeuvre; c'est seulement celui ou celle qui les pose que j'interromps. Alors, allez-y.
M. Armstrong: J'assiste à de nombreuses réunions et je connais la valeur de la brièveté; nous allons donc essayer d'en faire preuve.
La Société canadienne du sida a déjà présenté un exposé à ce comité. Cela doit être la troisième fois que nous comparaissons. La composition du comité a toutefois, quelque peu changé, et j'aimerais par conséquent commencer en disant quelques mots sur la Société canadienne du sida.
Je vais, cet après-midi, essayer de vous donner une vue d'ensemble des principaux thèmes qui, à notre avis, doivent être retenus dans le débat sur la pauvreté, la discrimination et le VIH/sida. Si nous avons choisi de procéder ainsi, c'est parce que plusieurs témoins, qui vont comparaître après nous, vont aborder des points très spécifiques; nous tenions à être ceux qui, en évoquant tous les thèmes, définissent le contexte dans lequel s'inscrit la question.
La Société canadienne du sida est une coalition nationale d'organismes communautaires qui luttent, au niveau local, pour régler les problèmes liés au VIH/sida dans tout le Canada. Nous comptons environ 100 membres, des associations dispersées dans tout le pays - pratiquement dans chaque région. Nous avons des membres dans le Nord, aussi bien qu'à Terre-Neuve et en Colombie-Britannique.
À l'échelle nationale, le mandat de la Société canadienne du sida est double: d'un côté, défendre les intérêts des organismes communautaires locaux, tout en essayant, d'un autre côté, d'être le porte-parole national des gens qui sont menacés par le VIH/sida - en d'autres termes, les populations vulnérables ou à risque - ainsi que de ceux et celles qui sont séropositifs ou atteints du sida.
À mes yeux, c'est une citation de Jonathan Mann qui illustre le mieux ce que recouvre cette question - la pauvreté, la discrimination et le VIH/sida, ainsi que l'impact que peuvent avoir ces facteurs combinés. Peut-être que certains d'entre vous connaissent Jonathan Mann, et je suis sûr en fait que cette citation va vous être répétée plusieurs fois par les témoins qui vont venir vous présenter des exposés lors de vos prochaines audiences.
Jonathan Mann travaille à la Harvard School of Public Health. C'est un expert de réputation internationale dans un domaine appelé Santé et droits de la personne, c'est-à-dire un domaine où l'on s'intéresse de très près à la question de la pauvreté, de la discrimination et du VIH/sida. Voici ce qu'il avait à dire en 1994:
- Nous avons vu l'épidémie [le sida] suivre le chemin où la résistance était moindre au sein de
chaque société. Ce chemin est très bien délimité au sein de chaque société et pourtant,
essentiellement, c'est le même partout dans le monde. Le facteur de risque social le plus
important pour déterminer la vulnérabilité au VIH est d'appartenir - longtemps avant que le
sida apparaisse - à un groupe qui est victime de discrimination, qui est marginalisé, stigmatisé
et exclu par la société. Le plus souvent, cette discrimination se fonde sur la race, le sexe, les
origines ethniques, la religion, l'âge ou l'orientation sexuelle.
Nous allons tenter de démontrer au comité que pour endiguer de façon efficace l'épidémie de VIH/sida, il faut s'attaquer aux facteurs d'inégalité sous-jacents, mais déterminants, qui affectent l'état de santé des gens et les rendent plus susceptibles de contracter la maladie. La raison pour laquelle il faut aborder la question de cette façon est que nous comprenons maintenant beaucoup mieux les facteurs qui ont des répercussions sur l'état de santé. Dans notre mémoire, nous décrivons une façon d'envisager la question de la santé, une approche qui tient compte des effets que peuvent avoir certaines initiatives comme le fait d'offrir un accès universel aux soins de santé.
S'attendre à ce que tout le monde fasse passer en premier son propre intérêt et protège sa santé en choisissant un certain style de vie, est une façon totalement inappropriée d'envisager la question de la santé. Nous devons reconnaître qu'à l'heure actuelle, d'autres facteurs sociaux et économiques plus importants entrent en jeu. La santé n'est plus une question qui dépend du style de vie que choisissent les gens. Il y a des facteurs plus décisifs qui affectent la santé, et qui échappent au contrôle que nous pouvons exercer personnellement.
La conclusion à laquelle on aboutit lorsque l'on fait cette analyse, c'est que le gens qui sont au bas de l'échelle socio-économique courent davantage le risque d'être malades. Ce qui pousse les gens au bas de cette échelle économique, ce sont des facteurs incluant la marginalisation, la discrimination, les capacités physiques, ainsi que les autres facteurs de marginalisation et de stigmatisation que Jonathan Mann mentionne dans le texte que j'ai cité.
À part ces facteurs de marginalisation, il y a un autre élément sur lequel nous souhaitons nous attarder: à savoir le fait que nous vivons dans une société où notre bien-être économique est structuré de façon telle que, si l'on tombe malade parce que l'on est victime de ces facteurs plus déterminants, on tombe aussi dans la pauvreté.
Ce lien est clairement illustré dans notre mémoire. Nous voulons nous concentrer sur la façon dont ces grands facteurs, plus décisifs sur le plan de la santé, entrent en jeu lorsqu'on parle plus précisément du VIH/sida.
Essentiellement, nous voulons souligner que la pauvreté et la marginalisation exposent davantage au risque d'être atteint par le VIH. Une fois la séropositivité établie, la situation économique de la personne qui est touchée détermine la façon dont elle va pouvoir lutter contre la maladie. Le simple fait de devenir séropositif suffit à vous faire tomber dans la pauvreté.
Pour en revenir au premier point que nous voulons souligner - le lien entre la pauvreté, la marginalisation et le risque d'être atteint par le VIH/sida - je pense que si l'on examine les constatations épidémiologiques que l'on peut faire à l'heure actuelle, on peut voir que c'est exactement ce lien que reflètent les tendances les plus récentes de la transmission du VIH. J'ignore quelles informations vous ont donné les responsables de Santé Canada qui ont comparu la semaine dernière, et ce que je vais dire sera peut-être un peu redondant. Il faut, toutefois, que nous gardions cela à l'esprit pour faire valoir nos arguments cet après-midi.
Une des choses importantes à garder à l'esprit lorsqu'on parle du VIH, c'est qu'il existe une différence entre l'incidence du VIH et les cas de sida. Au niveau national, on cite souvent le nombre des cas de sida. Il est important de souligner la différence dès le départ, car il faut parfois jusqu'à dix ans pour qu'un séropositif devienne sidatique. Les statistiques sur le sida nous disent en réalité ce qu'était l'épidémie il y a 10 ou 15 ans; pas nécessairement ce qui se passe aujourd'hui.
Quand on s'aperçoit que le groupe le plus important représenté dans nos statistiques est, par exemple, le groupe des homosexuels, cela montre qu'il y a 10 à 15 ans, c'était le groupe le plus affecté par la maladie, mais cela ne nous donne pas une bonne indication de ceux qui sont touchés aujourd'hui.
Pour ce qui est de l'incidence du VIH aujourd'hui, on constate qu'après une période de croissance exponentielle de l'épidémie dans les années 80, les séroconversions ont diminué rapidement chaque année, au point que l'épidémie semble enrayée. Voilà où nous en sommes.
Regardez cette courbe sommaire de tous les chiffres. Si nous essayons de l'interpréter et de voir ce qu'elle dissimule, on remarque des tendances très perturbantes. Même si le nombre annuel des nouveaux cas de séropositivité a diminué dans l'ensemble, certains groupes enregistrent une rapide augmentation des infections.
Vous pouvez voir cette courbe ascendante, ici. Je vous montre un tableau de l'évolution de la séropositivité parmi les utilisateurs de drogue par injection par exemple. Cette courbe monte assez brutalement.
Je tourne la page. Nous voyons les courbes annuelles pour l'infection par le VIH des gens qui appartiennent à la catégorie générale des hétérosexuels. Là encore, la courbe monte.
Ce tableau montre les cas de séropositivité chez les femmes, par année - par tranches d'âge, c'est-à-dire les jeunes femmes et les femmes plus âgées. On peut voir que chez les femmes mûres, le taux d'infection va en diminuant, alors qu'il augmente rapidement chez les jeunes femmes.
On peut donc en conclure qu'aujourd'hui nous avons une épidémie plutôt instable, dans laquelle le nombre des séropositifs peut avoir diminué par rapport aux années précédentes. Le nombre des infections représentées, par exemple, dans la catégorie à risque que sont les homosexuels a probablement influencé ce déclin. De moins en moins de gais deviennent séropositifs. Mais si nous regardons au-delà de cette tendance générale, nous voyons qu'il y a d'autres populations au Canada qui risquent de plus en plus d'être contaminées.
Il est important de chercher à comprendre le taux actuel des nouvelles transmissions, car si nous examinons certains des groupes dont j'ai parlé - les femmes, les drogués par injection; j'aurais pu vous montrer davantage de tableaux sur les jeunes, en particulier les jeunes homosexuels de moins de 25 ans, les femmes, les membres des minorités ethnoculturelles - on remarque des augmentations d'infection annuelles assez préoccupantes. Si l'on en revient à Jonathan Mann, tous ces groupes partagent l'expérience de la marginalisation dont il parle. Ce sont les groupes qui sont au bas de l'échelle au plan des avantages sociaux et économiques.
Par le passé, nous avions tendance à présumer que les gens pouvaient décider de leur style de vie et agir dans leur propre intérêt en fonction des informations qu'ils obtenaient. Les recherches récentes sur les déterminants du comportement et sur la façon dont le comportement est influencé par d'autres facteurs sociaux plus importants montrent que nous ne savons pas exactement comment le comportement est influencé. Il faudra davantage de recherches avant de savoir pourquoi, si tard dans l'évolution d'une épidémie - compte tenu de toute l'information dont nous disposons - il existe encore des groupes parmi lesquels les taux annuels d'infection au VIH augmentent de façon alarmante. Jonathan Mann essaie de nous donner un indice quand il dit que nous devons tenir compte des grandes forces sociales qui empêchent peut-être ces personnes de prendre les décisions que nous attendons d'elles, et d'adopter des types de vie plus sains.
Oublions cela pour un moment et passons à un autre point que je veux souligner. Nous avons parlé de la marginalisation sociale et du facteur de risque que cela représente en matière de séropositivité. Nous avons essayé de vous fournir quelques chiffres à ce sujet. Examinons maintenant la façon dont le fait d'être séropositif mène à la pauvreté, et pourquoi.
Il est vrai que le fait de devenir séropositif a un effet profond sur la situation économique des gens, en particulier à mesure que les symptômes apparaissent. Les précédents témoins l'ont déjà fait remarquer. Nous vivons dans une société où il est essentiel de travailler pour assurer sa prospérité économique. La façon dont la séropositivité évolue crée manifestement des entraves à la capacité de travail, et par conséquent à la capacité d'être économiquement indépendant.
Malheureusement, notre régime d'avantages sociaux pour les personnes qui ne peuvent plus être membres à part entière de la population active conspire à marginaliser les séropositifs ou les sidatiques. Nous avons quelques exemples à vous donner. Il en résulte qu'en raison de ce système de mesures incitatives perverses, nous transformons des gens qui seraient des contribuables productifs en citoyens dépendants - alors que s'ils avaient le choix, cela ne serait peut-être pas le cas.
M. Ménard nous a dit après la présentation précédente que les personnes qui vivent avec le VIH/sida connaissent des cycles de maladie et des périodes de bonne santé relative. Il s'agit de l'une de ces maladies où l'état de santé fluctue énormément. Ces malades ont beaucoup de difficultés à combiner les périodes de travail et de prestations. Notre système est mal adapté à un tel état de santé, et nous mentionnons six importantes sources de difficultés.
La première a déjà été abordée dans la présentation précédente - la définition de l'invalidité. Nous avons entendu les représentants du RPC parler de «grave et prolongée» pour donner une définition fonctionnelle permettant d'évaluer les personnes qui demandent des prestations. De nombreux autres programmes, en particulier au niveau provincial, utilisent la définition d'«inapte au travail de façon permanente» afin de déterminer l'admissibilité aux programmes de protection. Je pense que c'est l'un des obstacles les plus importants à l'accès à des prestations flexibles pour les personnes ayant des conditions de santé cycliques et fluctuantes, comme les personnes vivant avec le VIH/sida.
Dans notre mémoire, nous parlons également des obstacles que constituent les programmes privés d'avantages sociaux financés par les employeurs. Ces programmes contiennent généralement une clause d'exclusion de condition préexistante. Cela signifie que si l'on fait une demande de prestations alors que l'on a une condition de santé préexistante dont la compagnie juge qu'elle représente un trop grand risque, on n'est pas admissible aux programmes privés d'avantages sociaux financés par les employeurs. Dans bien des cas, c'est un obstacle manifeste pour les gens qui voudraient travailler. Certains diraient que les intérêts corporatifs des compagnies d'assurance priment sur les droits humains des personnes invalides et des malades chroniques.
Un des types d'assurance collective les plus recherchés par ceux qui ont de graves problèmes de santé, comme les séropositifs par exemple, est l'assurance-médicament. Or, la capacité d'obtenir cette assurance est souvent un facteur déterminant au moment de décider si quelqu'un continuera de travailler ou non.
L'assurance-emploi est une autre forme de prestations. Les séropositifs utilisent souvent les prestations de maladie de l'assurance-emploi pour obtenir un revenu de remplacement pendant les brèves périodes d'absence du travail.
Or, ce programme crée de nouveau obstacles, notamment en exigeant une plus longue période de travail, ce qui - compte tenu de l'état de santé fluctuant d'un séropositif - est difficile à réaliser, et du fait que l'âge moyen des personnes infectées diminue au point où celles qui pourraient avoir besoin de ce genre d'assurance sont trop jeunes pour avoir travaillé pendant suffisamment longtemps pour être admissibles.
Je ne vais pas m'attarder longtemps sur le RPC. Dans la présentation précédente, vous en avez entendu une explication détaillée - il a été question des changements récemment apportés au programme dans le but de permettre aux personnes ayant des conditions dégénératives cycliques de réintégrer la vie active. Malheureusement, l'on ne vous a pas dit que certains de ces nouveaux changements sont sans objet, en l'occurrence.
Une des principales raisons, comme on vous l'a dit, en est que peu de gens touchent uniquement des prestations du RPC. Il y en a qui reçoivent en plus des indemnités d'autres programmes privés financés par les employeurs, ou de programmes provinciaux d'assistance sociale. Bien que les règles du RPC aient été assouplies, les autres programmes de prestations n'ont pas suivi - de sorte que l'on ne peut pas profiter des changements du RPC sans compromettre son droit à ces autres sources de revenu.
Le point suivant - le sixième abordé dans le mémoire - traite des programmes provinciaux d'assistance sociale. Bon nombre de séropositifs ou de sidatiques choisissent actuellement de se prévaloir des programmes provinciaux d'assistance sociale, principalement parce qu'ils peuvent ainsi accéder aux programmes provinciaux d'assurance-médicament pour faire face au prix élevé des médicaments. Les autres raisons qui motivent leur choix sont, notamment, le fait de ne pas être admissibles aux programmes d'invalidité parce qu'ils ne satisfont pas aux conditions voulues ou parce qu'ils deviennent indigents et admissibles - comme n'importe quel Canadien - au soutien du revenu lorsqu'on a rien d'autre.
Nous savons, malgré cela, que les besoins en matière de soins de santé des personnes vivant avec le VIH/sida ne peuvent être satisfaits par les programmes actuels d'assistance sociale, lesquels ne tiennent pas compte des facteurs d'une maladie aussi complexe le VIH/sida. Il y a lieu également de rappeler que bon nombre de ces programmes sont actuellement comprimés à la suite de la réforme des paiements de transfert.
Nous savons - et nous le précisons dans notre mémoire - que les séropositifs qui tentent de survivre avec l'assistance sociale doivent réaliser un équilibre souvent périlleux entre l'alimentation, le logement et les médicaments; ils sont confrontés à toute une série de décisions très difficiles à prendre - payer les médicaments qui ne sont pas couverts par les programmes ou avoir une alimentation adéquate.
La dernière composante de cette combinaison de facteurs qui entraînent la pauvreté chez les personnes vivant avec le VIH/sida - j'en ai déjà parlé brièvement - est le coût des médicaments. Nous l'évoquons dans notre mémoire. Je pense que cela représente désormais l'obstacle majeur au bien-être économique des personnes vivant avec le VIH/sida. Celles qui souhaitent les traitements les plus efficaces peuvent s'attendre à payer jusqu'à 20 000 $ par an en médicaments. Il est évident que personne ne peut assumer ce genre de coûts, et je pense que nous nous dirigeons vers une crise dans un proche avenir.
Me reste-t-il du temps?
Le président: Nous accordons habituellement une demi-heure aux témoins.
M. Armstrong: Le dernier point que j'aimerais aborder brièvement avant de passer aux recommandations...
[Français]
M. Ménard: Monsieur le président, je devrai quitter dans 15 minutes. Est-ce qu'on pourrait demander à Russell de terminer afin de nous permettre d'avoir un échange d'idées avec lui? Il y a déjà 20 minutes d'écoulées. Comme nous avons le mémoire en main, il serait peut-être plus profitable que nous nous gardions du temps pour débattre des questions soulevées.
Cet exposé est très intéressant, mais je crains qu'on ne manque de temps pour poser des questions.
[Traduction]
M. Armstrong: Je pense que c'est une bonne suggestion. Nous avons un mémoire détaillé. Je vais dire pour terminer que, dans notre mémoire, nous essayons de présenter une analyse assez vaste de la question. Mais dans nos recommandations, nous tentons de recenser des mesures concrètes et immédiates que l'on pourrait mettre en oeuvre pour régler la situation. Il est évident qu'il faut du temps pour organiser la distribution des ressources, et pour traiter de grandes questions comme la santé et la pauvreté.
Dans un exemple sur le VIH/sida, fourni dans notre mémoire, nous présentons des idées très concrètes que ce qu'il serait possible de faire dès maintenant pour améliorer la situation.
J'en ai terminé.
Le président: Merci, monsieur Armstrong. Nous avons votre mémoire. Il est bien conçu et bien documenté, et il contient des renseignements très pertinents. Peut-être pourrons-nous y revenir lors de notre tour de table.
[Français]
M. Ménard: Si vous êtes d'accord, monsieur le président, et si mes collègues y consentent, je prendrai la parole une seule fois et j'occuperai d'une traite les 15 minutes auxquelles j'ai droit, parce que je devrai quitter ensuite.
Il y a trois questions fondamentales dans votre mémoire. La première, si je comprends bien, c'est que vous invitez les membres du comité à faire pression auprès du gouvernement pour qu'il renouvelle la Stratégie nationale sur le SIDA. Vous avez des inquiétudes, qui ressortent tout au long du mémoire, car le ministre ne s'est pas engagé clairement à le faire. De toute façon, la lutte que l'on veut mener en faveur des personnes atteintes et contre leur appauvrissement dépend des fonds attribués spécifiquement à la Stratégie nationale. Vous vous faites très insistants pour que notre rapport contienne une recommandation très claire à cet effet.
Il y a ensuite deux grandes lignes. Vous nous dites qu'il faut se servir de la fiscalité. En ce moment, les crédits d'impôt pour personnes invalides, dans le cas de conjoints de même sexe, ne sont pas transférables. Cette situation m'a fait comprendre que si nous voulions faire un travail vraiment sérieux, il nous fallait inviter des gens de Revenu Canada à venir nous expliquer très clairement à quoi est due la persistance de cette discrimination. Peut-être pouvez-vous nous en parler pendant quelques minutes. Mais pour vous, les problèmes de fiscalité se posent de façon concrète.
Un troisième élément très central, et qui me préoccupe beaucoup, est le prix des médicaments. Vous demandez même à Santé Canada de convoquer un comité fédéral-provincial pour revoir toute la question du coût des médicaments, ainsi que la protection. Et votre mémoire contient un plaidoyer en faveur de l'accès humanitaire. Vous nous rappelez en effet que nous allons revoir la Loi sur les brevets à compter de janvier 1997 et qu'il serait très important qu'on puisse avoir ces notions à l'esprit.
En résumé, monsieur le président, ma seule et unique question, ce qui fera plaisir à mes collègues, sera: que pouvez-vous nous dire au sujet de la fiscalité et au sujet des médicaments?
[Traduction]
M. Armstrong: Comme je l'ai dit en résumé, le mémoire contient des recommandations concrètes. Quelques-unes portent, par exemple, sur la façon dont le régime fiscal actuel pourrait être modifié afin d'aider les gens à mieux assumer les coûts de leur invalidité - en particulier les coûts du traitement et des soins médicaux.
Le groupe de travail ministériel sur l'invalidité a étudié attentivement ces questions récemment. Je demande instamment au comité de se procurer ce rapport pour prendre connaissance des recommandations relatives à la façon de modifier, sans changement législatif important, certains des aspects du régime fiscal dans la perspective des personnes invalides, en particulier des personnes vivant avec le VIH/sida et autres maladies chroniques.
Un des points particuliers que nous avons mentionné et qui n'est pas souvent abordé est le fait qu'en raison de la définition de conjoint dans la Loi de l'impôt sur le revenu, les conjoints de même sexe ne peuvent pas bénéficier de bon nombre des crédits. Là encore, c'est un bon exemple de ce que j'ai tenté de souligner, soit que le système rend dépendants des gens qui seraient en mesure d'être indépendants malgré les coûts qu'entraîne leur maladie.
Le fait que les conjoints de même sexe n'ont pas droit aux mêmes transferts de crédits et allégements fiscaux pour ces dépenses que les personnes de sexe opposé ou même des membres de la famille, est, je crois, une inégalité foncière qui doit être corrigée rapidement.
En ce qui concerne le coût des médicaments, la Société canadienne du sida et les personnes vivant avec le VIH/sida ne sont pas les seules, dans la société canadienne, à souligner que cette question pose un grave problème sur le plan des dépenses de santé personnelles et du montant d'argent que la population consacre à la santé.
Nous vous donnons des exemples des dispositions que l'on pourrait prendre en faveur des personnes vivant avec le VIH/sida. Je sais que cela ne fait qu'alimenter un débat plus vaste - qui est sur le point de devenir explosif - à savoir que de nombreux Canadiens ne peuvent plus assumer les coûts des médicaments dont ils ont besoin pour se soigner, gérer leur état de santé ou continuer d'être des membres productifs de notre société.
Je pense que nous devons nous poser la question suivante: quel choix devons-nous faire? Allons-nous assumer les frais médicaux de quelqu'un pour que cette personne puisse continuer de travailler, de mener une vie raisonnablement normale, et de contribuer au régime fiscal, ou allons-nous le lui refuser et la forcer à dépendre des programmes d'assistance gouvernementaux?
Quant à moi, le choix est clair. Mais cette question n'a pas été soulevée depuis longtemps au niveau national dans quelque arène politique que ce soit. Je ne pense pas qu'une orientation claire ait été définie pour le moment.
[Français]
M. Ménard: Me permettez-vous une dernière question?
Je sais que vous portez un grand intérêt à l'ensemble de la question de l'accès humanitaire ou de l'accès «compassionnel». Je sais que vous avez même à l'intérieur de la Société canadienne un comité national sur les traitements.
Je sais aussi que vous suivez de très près le comportement de l'industrie pharmaceutique. Et vous vous rappellerez qu'à la suite d'une motion que j'avais déposée en février dernier, je crois, nous avons nous-mêmes tenu ici une table ronde sur l'ensemble de la question de l'accès à des fins humanitaires à des médicaments non homologués par Santé Canada.
Toute cette question est complexe et, M. le président le sait, je déposerai dans quelques jours un projet de loi privé. J'espère bien avoir l'appui du gouvernement dans cette démarche, mais vous savez que rien n'est acquis.
Avez-vous toujours la conviction que les sociétés pharmaceutiques, sans nommer l'une d'entre elles en particulier, mais de façon générale, n'ont pas fait tout l'effort qu'on était en droit d'attendre d'elles à la suite du dépôt du projet de loi C-91, tout l'effort en termes de recherche et d'accessibilité des médicaments à des fins d'urgence? Comment évaluez-vous, à ce moment-ci, le comportement des sociétés pharmaceutiques? Êtes-vous plutôt sévères, plutôt satisfaits ou plutôt perplexes?
[Traduction]
M. Armstrong: La possibilité d'avoir recours aux médicaments expérimentaux pour des raisons humanitaires, qui oblige les compagnies pharmaceutiques à consentir de plus grands efforts, résoudra une importante partie du problème de l'accès au traitement, mais il reste à savoir ce que nous ferons lorsque ces médicaments seront homologués et introduits sur le marché.
Dans nos discussions sur l'accès pour des raisons humanitaires, nous avons parlé des médicaments au stade expérimental, mais nous ne nous sommes pas posé la question de savoir ce qui se passe une fois que ces médicaments, qui coûtent plusieurs milliers de dollars par mois, seront offerts sur le marché.
Qui est responsable à cet égard? Lorsque nous avons parlé d'encourager les compagnies pharmaceutiques à offrir la possibilité d'avoir accès à certaines thérapies pour des raisons humanitaires, nous n'avons pas posé la question des prix une fois que la thérapie est homologuée, ni du contrôle des prix pour assurer que les Canadiens peuvent en profiter. Ces questions n'ont pas encore été abordées.
Les dispositions sur la protection des brevets, comme nous le notons ici, seront examinées l'an prochain. Ce sera une des questions que nous soulèverons à ce moment-là. Quelqu'un doit s'en occuper. Nous avons les connaissances et la technologie nécessaires pour assurer la santé des gens, mais en raison du prix, ils ne peuvent pas se le permettre. Personne n'est prêt à payer la note.
M. Szabo: J'ai parcouru certaines de vos recommandations mais je vais en relever une seule.
Auparavant, je tiens à dire qu'il y a un aspect de votre exposé que j'ai trouvé intéressant. Si c'était la première fois que j'écoutais un exposé sur ce sujet, je jurerais que vous mettez l'accent sur ce que vous appelez les groupes marginalisés.
Vous avez montré des graphiques. Il y avait les utilisateurs de drogue par injection, les hétérosexuels et les femmes. Vous avez parlé d'augmentations troublantes.
Mais si l'on s'en tient aux pourcentages, regardez les chiffres absolus: 80 p. 100 de tous les nouveaux cas sont des hommes homosexuels, 4,5 p. 100 sont liés à des causes inconnues, 4,5 p. 100 sont des utilisateurs de drogue, 4,5 p. 100 sont des hétérosexuels et 3 p. 100 sont dus à la contamination par le sang et produits sanguins. Je crois que c'est à peu près tout.
Je lis le sommaire de votre mémoire:
- Au Canada, la plupart des nouveaux cas diagnostiqués de séropositivité au VIH se retrouvent
parmi les hommes gais, les utilisateurs de drogue par injection, les femmes, les jeunes, les
Autochtones et les membres d'autres minorités ethnoculturelles.
Je pense que vous laissez de côté toute la discussion du problème de l'activité homosexuelle, ce qui est en fait ce dont on doit se préoccuper. Si je m'en tenais uniquement à votre présentation, je dirais que nous devrions commencer à dépenser davantage pour les utilisateurs de drogue par injection, l'éducation et les hétérosexuels. Mais ce n'est pas le cas, et vous le savez.
Je voudrais parler de la deuxième recommandation qui porte sur une protection complète pour ceux qui sont considérés comme non assurables. Je pense à la présentation de Dr Hedy Fry à la conférence de Vancouver.
Je pense que d'autres ont donné des chiffres, mais lorsqu'on en arrive à une situation de sida diagnostiqué, les coûts deviennent prohibitifs. C'est 100 000 $ par an pour Santé Canada. C'est 100 000 $ par an pour l'employeur et cela pourrait même doubler. Il arrive un moment où les coûts deviennent prohibitifs.
Aucune prime ne pourrait couvrir quelqu'un chez qui la condition est préexistante. Aucune prime ne peut financer ce genre de chose.
En réalité, les personnes qui ont un sida diagnostiqué devront nécessairement être prises en charge par d'autres Canadiens. C'est ce à quoi servent les impôts. Personne en ce monde ne voudrait se lancer dans les assurances pour couvrir une condition préexistante, compte tenu des coûts que cela représente.
Nous devons être un peu plus audacieux et directs face à ces réalités, et nous rendre compte que dans une situation comme celle-ci, les coûts vont être énormes. Les statistiques montrent que si l'on contracte le VIH puis le sida, la mort est une issue dont la probabilité est extrêmement élevée. Quant à guérir, n'en parlons pas.
Mais ne pensez-vous pas, Russell, que nous devons être un peu plus réalistes face aux faits et aux coûts du sida au lieu d'essayer de suggérer que les chiffres sur la transmission du sida chez les hétérosexuels et les utilisateurs de drogue par injection sont inquiétants? Ces chiffres sont minimes par rapport au problème de l'activité homosexuelle.
C'est là où la marginalisation se produit. Je ne suis pas sûr que le fait d'être gai en soit la cause. La marginalisation se produit après coup, à cause de la maladie, n'est-ce pas? J'aimerais avoir votre réaction.
Le président: Donnez la possibilité au témoin de répondre à toutes ces questions.
M. Armstrong: Oui, et finalement, je ne sais pas vraiment quelles sont les questions.
En ce qui concerne les statistiques que vous avez lues, je suppose qu'il s'agit de statistiques sur le sida.
M. Szabo: Ce sont les statistiques de Santé Canada qui ont été présentées au comité.
M. Armstrong: Au niveau national, Santé Canada ne recense que les cas de sida diagnostiqués. Je répète donc ce que j'ai dit au sujet de la personne qui ne devient une statistique sur le sida que 10 à 12 ans après être devenue séropositive.
L'information que j'essayais de vous donner en bref porte sur les personnes qui sont infectées par le VIH, ce qui est tout à fait différent des statistiques que Santé Canada vous a présentées.
Pour ce qui est du coût de prise en charge d'un sidatique, vous avez raison dans la mesure où la société assume ces coûts, tout comme nous assumons les coûts de tout autre malade. Nous avons un système de santé financé par les fonds publics et nous ne déterminons pas l'admissibilité en fonction d'un diagnostic ni de la façon dont quelqu'un est tombé malade.
Nous demandons un meilleur régime d'assurance universel pour les personnes qui travaillent, parce que l'on a accès à certaines prestations lorsqu'on est employé, par le biais d'un régime collectif, ce qui permet de ralentir quelque peu la progression de la maladie. Certaines des nouvelles thérapies arrivent presque à interrompre la progression de la maladie, à condition d'obtenir de l'aide pour payer le traitement nécessaire.
Quant au chiffre de 100 000 dollars environ que l'on vous a mentionné, une bonne partie de cet argent est dépensé aux derniers stades, lorsque la personne est en phase symptomatique aiguë.
Nous suggérons que si l'on investit au départ, en contribuant au coût énorme du traitement, on a de bonnes chances de prévenir la maladie symptomatique et, à long terme, d'économiser de l'argent.
M. Szabo: Prévenir ou ralentir? Prévenir ou reporter?
M. Armstrong: Pour le moment, nous sommes à la croisée des chemins. Nous croyons presque que nous pouvons prévenir la progression, mais en tout cas, nous pouvons la ralentir. Si la ralentir permet aux gens de participer de façon productive au bien-être économique de la société, nous aurons déjà beaucoup gagné. Les coûts que nous pourrions engager seraient compensés par le fait que les gens seraient plus en mesure de participer.
Mme Ur: J'ai trouvé intéressant que, dans votre présentation, vous souligniez que les personnes ayant le VIH/sida n'étaient pas admissibles au RPC et aux prestations provinciales, services sociaux ou autres.
Ce n'est pas exclusivement le cas des personnes ayant le VIH/sida. C'est la même chose pour tout le monde. On ne peut pas avoir les deux. Vous avez dit vous sentir marginalisés par ce problème particulier... mais c'est la même chose pour tous ceux qui bénéficient d'un programme de services sociaux ou du RPC. C'est une déduction dollar pour dollar, et nous ne pouvons pas nous permettre de payer les deux.
Dans certaines de vos recommandations, vous parlez de régimes d'assurance-invalidité obligatoires. Mais n'est-ce pas justement ce qu'est le RPC avec le régime de retraite et d'invalidité? Si vous avez x dollars de revenu, vous cotisez au programme. Cela existe déjà.
M. Armstrong: C'est un peu plus compliqué que cela. Tout le monde a droit aux prestations du RPC, qui représentent un montant de base relativement minime.
Mme Ur: C'est un fonds d'assurance. Les prestations reflètent les cotisations.
M. Armstrong: Toute personne peut, qu'elle travaille ou non, faire une demande de prestations d'invalidité dans le cadre du RPC.
Mme Ur: Non. Il faut cotiser.
M. Armstrong: Attendez. La prestation est divisée en deux. Il y a le montant de base, auquel nous avons tous droit, et il y a un montant supplémentaire qui dépend des cotisations et du nombre d'années pendant lesquelles on a travaillé.
Mme Ur: Non. Les prestations de retraite ou d'invalidité dépendent des cotisations. J'en sais quelque chose. Je me suis occupée de cela.
M. Armstrong: Je ne disais pas que l'on ne peut pas avoir accès au RPC et à l'assistance sociale, mais plutôt que, même si certains changements ont été apportés au RPC pour l'adapter au cas des gens qui veulent réintégrer le marché du travail et cesser de recevoir les prestations d'invalidité, ce que l'on ne vous a pas dit, c'est que les prestations du RPC sont versées en association avec d'autres prestations - provinciales, par exemple - qui complètent ce montant pour le porter au niveau du revenu minimum provincial. Bien que des aménagements aient été faits dans le cas du RPC, cela ne touche pas ce montant supplémentaire.
On ne peut donc pas profiter des aménagements du RPC sans compromettre son droit au régime provincial qui, lui, n'est pas flexible.
Mme Ur: Il n'y a qu'un seul contribuable. Peu importe d'où vient l'argent.
Vous dites également que vous recommandez au gouvernement fédéral de mettre sur pied une initiative fédérale/provinciale/ territoriale qui permettrait d'assurer la couverture universelle des médicaments pour les personnes vivant avec le VIH/sida. Qui va financer cette initiative? D'où va venir tout cet argent? Allons-nous faire une distinction entre les personnes ayant le VIH/sida, les cardiaques...? Mon mari est cardiaque.
M. Armstrong: Je ne préconise pas un traitement spécial pour les personnes vivant avec le VIH/sida. Je dis que les personnes ayant des maladies comme le VIH, qui entraînent des coûts médicaux énormes... Si vous avez un problème cardiaque qui va occasionner des frais extraordinaires, je pense que ce serait un avantage social pour nous tous s'il existait un programme pour vous aider.
Mme Ur: J'étais avec mon mari quand il a eu sa crise cardiaque. La vie n'a pas de prix mais il faut bien finir par payer. Vous comprenez? Ce sont de grandes idées, mais il faut fixer une limite à un moment donné; il faut être réaliste.
M. Armstrong: Oui, et nous essayons de montrer que ce serait dans l'intérêt économique du pays d'engager les dépenses nécessaires pour aider les malades.
Mme Ur: Mais l'argent n'est pas tout. Il faut aussi parfois changer de style de vie. C'est vrai aussi pour un cardiaque, il faut penser au régime et à l'exercice. Les médicaments, ce n'est pas tout.
M. Armstrong: Je suis d'accord.
Mme Ur: Je veux dire un changement de style de vie pour les personnes vivant avec le VIH/sida.
M. Armstrong: Je ne dis pas qu'une couverture universelle va permettre aux gens de guérir. Je dis que ce serait plus facile de régler les autres problèmes si l'on n'avait pas à s'inquiéter de savoir comment payer les médicaments.
Mme Ur: Merci.
Le président: Mesdames et messieurs, merci beaucoup de votre attention. Je remercie les témoins. C'est un rapport très complet.
La séance est levée. Merci.