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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 12 mars 1997

.1541

[Traduction]

Le président (M. John English (Kitchener, Lib.): Je suis John English, président du Comité et je suis très heureux d'accueillir cet après-midi l'Association des juristes canadiens pour le respect des droits de la personne dans le monde.

Je vous présente nos témoins: Salim Fakirani, Laura Farquharson, et Larry Thacker.

Puisque nous sommes déjà un peu en retard, je vous invite à faire tout de suite votre exposé.

M. Salim Fakirani (membre, Association des juristes canadiens pour le respect des droits de la personne dans le monde): Monsieur le président et membre du comité, je voudrais tout d'abord vous remercier au nom de l'Association des juristes canadiens pour le respect du droit de la personne dans le monde de l'occasion qui nous est offerte aujourd'hui de discuter avec vous d'une question internationale, juridique, et humanitaire d'importance primordiale, à savoir le conflit du Sahara occidental.

L'AJCRDPM est un organisme à but non lucratif destiné à contribuer, au moyen d'une analyse juridique et d'un contrôle international plus étroit, à la concrétisation d'un référendum libre et équitable au Sahara occidental.

Le président de l'AJCRDPM, le professeur Donald McRae, aurait voulu nous accompagner aujourd'hui, mais malheureusement il devrait être à la réunion d'un autre sous-comité, celui qui traite des différends commerciaux.

Nous avons beaucoup de chance, cependant, d'être accompagnés aujourd'hui de Larry Thacker. Larry est associé dans l'un des cabinets d'avocats les plus réputés au Canada, Davies, Ward & Beck, et il arrive d'une visite des camps de réfugiés en Algérie.

Laura travaille actuellement pour l'enquête sur la Somalie. Elle est ex-administratrice de l'Association des juristes canadiens pour le respect des droits de la personne dans le monde et elle est directrice conjointe du Projet du Sahara occidental.

Je voudrais commencer par mettre en lumière un certain nombre d'événements importants et ensuite céder la parole à Laura et Larry. Laura vous expliquera les questions juridiques les plus importantes, de même que les principales raisons du conflit. Larry vous exposera les raisons pour lesquelles la situation actuelle est instable, pourquoi le moment est venu pour le Canada de participer au règlement de ce conflit, et les recommandations de l'AJCRDPM en ce qui concerne le rôle que pourrait jouer le Canada.

Comme nous sommes à la veille du XXIe siècle, beaucoup de gens seraient très étonnés d'apprendre qu'il existe encore une colonie en Afrique. Il s'agit effectivement du Sahara occidental. Le conflit dans cette région s'articule autour du droit indiscutable du peuple du Sahara occidental à un référendum libre et équitable pour lui permettre de choisir entre l'indépendance et l'intégration au Maroc.

L'incapacité de la communauté internationale de résoudre cette crise met en péril nos valeurs démocratiques, nos droits fondamentaux et la primauté du droit. De plus, la crédibilité de l'Organisation des Nations unies est compromise à cause de son incapacité de résoudre ce conflit. Voilà pourquoi nous vous invitons, à titre de membres d'un comité parlementaire chargé d'examiner les relations du Canada avec le monde, à concevoir un rôle actif pour le Canada dans le règlement de ce conflit.

Le Sahara occidental a été colonisé par l'Espagne au XIXe siècle, et depuis 1975, il est occupé par le Maroc malgré la condamnation de la communauté internationale. Dès 1965, l'ONU a adopté des résolutions visant à réaffirmer le droit à l'autodétermination.

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En 1973, le peuple du Sahara occidental a créé un organisme du nom de Front POLISARIO pour mieux défendre son droit à un référendum libre et équitable. En 1976, il a proclamé la République démocratique arabe sahraouie, RDAS, et formé un gouvernement en exile, basé en Algérie.

Le Maroc et la Mauritanie ont tous deux invoqué leurs liens historiques avec la région avant la colonisation. Les Nations unies ont demandé à la Cour internationale de justice de se prononcer sur les revendications du Maroc et de la Mauritanie. L'année suivante, l'avis consultatif de la Cour internationale de justice rejetait les revendications du Maroc et de la Mauritanie.

Par la suite, le Maroc et la Mauritanie ont occupé le territoire. De plus, une entente a été conclue avec l'Espagne pour attribuer les deux tiers du territoire, au nord, au Maroc, et l'autre tiers, au sud, à la Mauritanie. Cette occupation a forcé des milliers de personnes à s'enfuir et à établir des camps de réfugiés au pays avoisinant, c'est-à-dire l'Algérie. Aussi étonnant que cela puisse paraître, toute une génération de personnes âgées de moins de 20 ans a grandi dans ces camps de réfugiés.

Pendant la fin des années 70 et au cours des années 80, un conflit armé a opposé le Maroc et le Front POLISARIO. Comme la Mauritanie avait signé un accord de paix avec le Front en 1979, le conflit opposait essentiellement ces deux pays. Le territoire qu'occupait la Mauritanie a été saisi par le Maroc lors de la signature de l'accord de paix.

Entre 1988 et 1990, les Nations unies ont négocié un plan de paix, également connu sous le nom des propositions de règlement, entre les deux parties. Les propositions de règlement prévoyaient l'organisation d'un référendum sous les auspices d'un représentant spécial du Secrétaire général. Elles prévoyaient également la création d'un organisme militaire et administratif chargé de superviser le processus connu sous le nom de Mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental, communément appelé MINURSO.

Le mandat de la MINURSO était de faire appliquer et de maintenir le cessez-le-feu, de procéder à l'identification des électeurs, en fonction des résultats du recensement de 1974 mené par l'Espagne; et d'organiser et de superviser le référendum.

C'est en mai 1991 que la MINURSO a commencé à fonctionner officiellement; on pensait que les opérations seraient terminées au bout d'un an et que le référendum aurait lieu en janvier 1992. Nous sommes en 1997, et le référendum promis depuis longtemps pour permettre au peuple du Sahara occidental de choisir entre l'indépendance et l'intégration au Maroc n'a jamais eu lieu.

Le principal obstacle au référendum demeure le processus d'identification des électeurs.

Je vais maintenant céder la parole à Laura qui va vous expliquer les questions juridiques et les principales pommes de discorde en ce moment.

Mme Laura Farquharson (membre, Association des juristes canadiens pour le respect du droit de la personne dans le monde): Même si nous reconnaissons que ce conflit ne s'articule pas uniquement autour de questions juridiques, l'AJCRDPM estime que le droit international peut jouer un rôle important dans l'établissement de normes pour le règlement de ce différend.

Je vais m'attarder sur deux des plus importantes questions juridiques dans ce contexte. La première concerne le droit à l'autodétermination, et la seconde, les critères à établir pour l'organisation d'un référendum libre et équitable, et plus particulièrement, les normes à établir pour améliorer le processus d'enregistrement.

Comme on l'a déjà fait ressortir, le droit du peuple du Sahara occidental à l'autodétermination est reconnu. Dans la communauté internationale, les juristes s'entendent pour dire qu'il s'agit d'un cas classique d'autodétermination dans un contexte de décolonisation. Ce droit a été affirmé dans de nombreuses résolutions adoptées depuis 1960 par les Nations unies et l'Organisation de l'unité africaine. Il a été affirmé par la Cour internationale de justice dans son avis de 1975, en plus d'être affirmé dans les propositions de règlement acceptées par les parties en 1990, et qui prévoyait l'organisation d'un référendum en fonction des résultats du recensement espagnol de 1974.

Ayant clairement établi que le droit à l'autodétermination dans ce cas-ci est reconnu et incontesté, je voudrais aborder maintenant la question des normes internationales à appliquer pour l'organisation d'un référendum libre et équitable, et plus particulièrement, l'enregistrement et l'identification des électeurs. Je vais commencer par vous faire un peu l'historique et vous décrire les efforts déployés jusqu'à présent pour établir des critères d'identification des électeurs pour vous aider à comprendre sur quoi porte le différend actuellement.

Les experts en droit international font état de différentes normes pour l'organisation d'un processus électoral libre et équitable, dont deux sont abordées brièvement dans notre mémoire écrit. Il s'agit de normes pour la gestion d'élections et l'enregistrement des électeurs. Même si une gestion électorale juste et indépendante est évidemment essentielle pour faire accepter les résultats d'un référendum, comme je viens de vous le dire, je vais plutôt m'attarder sur l'enregistrement des électeurs, car c'est cette question-là qui est à l'origine du différend actuel.

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D'après les principes du droit international, un système d'enregistrement des électeurs doit être à la fois juste et sûr et être généralement reconnu comme étant à la fois fiable et légitime. La procédure d'enregistrement des électeurs doit être fondée sur des critères d'admissibilité clairs et des modalités d'application qui sont uniformément respectées par des agents formés. Les personnes admissibles doivent être informées de la procédure à suivre, des listes électorales doivent être publiées promptement, des mesures claires et efficaces doivent pouvoir être prises pour corriger les erreurs, et enfin, vu les possibilités de fraude dans l'établissement de listes électorales, le processus doit être transparent selon les normes internationales établies.

Encore une fois, bien qu'il y ait eu des problèmes dans chacun de ces domaines, je vais m'attarder sur la nécessité de créer des critères d'admissibilité clairs.

Les deux parties, comme nous l'avons déjà vu, ont convenu, dans les propositions de règlement, que le recensement espagnol de 1994 qui a donné lieu à une liste de 74 000 noms, devrait servir de base pour la préparation de la liste des électeurs. Le désaccord actuel porte sur la manière d'actualiser cette liste, et les noms qui devraient éventuellement y être incorporés.

Les parties ont essayé à plusieurs reprises de s'entendre sur les critères d'adjonction de noms à la liste. En 1991, après que les propositions de règlement eurent été acceptées, il a été décidé que la liste devrait être actualisée en supprimant, dans un premier temps, le nom des électeurs décédés, et en examinant, dans un deuxième temps, les demandes de ceux et celles qui prétendent avoir le droit d'y participer, du fait d'être Sahraouis et d'avoir été exclus du recensement de 1974.

C'est en vertu du deuxième critère que le Maroc a soumis 120 000 noms. De ce nombre, 100 000 vivent au Maroc, et la plupart d'entre eux ne sont membres d'aucun groupe tribal représenté au recensement original. Il n'est donc pas étonnant que le conflit concernant les noms à ajouter à la liste concerne surtout ces personnes.

En 1991, en vue de faire progresser les choses, le secrétaire général Perez de Cuellar a proposé unilatéralement un compromis, c'est-à-dire des critères qui avaient pour résultat d'élargir l'admissibilité. À l'heure actuelle, les parties ne s'entendent toujours pas sur l'interprétation qu'il faut donner à ces critères élargis. Malgré tout, le processus d'identification des électeurs, axé au départ sur les demandeurs faisant l'objet d'un commun accord par les parties, a commencé en 1994 et a continué pendant deux ans. Pendant ces deux années, cependant, seulement 60 000 personnes sur 230 000, selon les estimations, ont été identifiées. En mai 1996, le Conseil de sécurité a mis un terme au processus d'identification. À l'heure actuelle, c'est l'impasse, et le désaccord entre les parties concerne les personnes ajoutées à la liste et la façon de l'actualiser.

Sept ans après que les parties ont convenu de fonder le référendum sur les résultats du recensement de 1974, ces dernières ne sont toujours pas d'accord sur la façon de mettre à jour cette liste. Pour résoudre le différend concernant l'admissibilité des électeurs, il faut convaincre les parties de prendre part à un forum où toute entente conclue peut être vérifiée par des nations agissant à titre d'observateurs, et où ces mêmes nations peuvent régler les différends qui surgissent par la suite entre les parties conformément au droit international, aux propositions de règlement et à tout autre accord subséquent.

Larry va approfondir toute cette question dans son exposé. Il va tout d'abord vous parler des raisons pour lesquelles la situation actuelle est instable, des facteurs qui militent en faveur de l'engagement immédiat du Canada dans ce conflit, et des recommandations de l'AJCRDPM sur la procédure à suivre.

M. Larry Thacker (membre, Association des juristes canadiens pour le respect des droits de la personne dans le monde): Monsieur le président et membres du comité, avant d'aborder en détail ces trois éléments, je voudrais vous parler brièvement de la nature de ma visite dans la région.

Comme on vous l'a déjà dit, j'arrive d'une récente mission d'enquête de six jours dans les camps de réfugiés sahraouis. Je suis resté dans les camps pendant six jours. Ils sont situés à environ 70 kilomètres de la ville algérienne de Tindouf, dans le sud-ouest de l'Algérie. J'ai également passé quatre jours à Alger - c'est-à-dire deux jours au début et à la fin de ma visite aux camps de réfugiés - pendant lesquels j'ai eu des entretiens avec différents représentants du gouvernement algérien et avec le président de la Société algérienne du Croissant-Rouge, qui est le principal organisme dispensateur d'aide humanitaire aux réfugiés sahraouis en Algérie.

J'étais accompagné de Lord Christopher Winchilsea, membre de la Chambre des lords en Angleterre. Lord Winchilsea est fondateur de la Saharan Aid Trust qui a été créée pour assurer une aide humanitaire au peuple du Sahara occidental.

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Nous étions également accompagnés de représentants d'une oeuvre de bienfaisance appelée la Friendship Force, basée à Atlanta, en Georgie, et d'une autre oeuvre de bienfaisance appelée Action for People in Conflict, une organisation philanthropique basée au Royaume-Uni dont le mandat est d'assurer une aide humanitaire aux populations qui sont victimes de conflits militaires.

Enfin, le dernier membre de notre groupe était un sénateur de l'île de Jersey. Nous étions également accompagnés du représentant de POLISARIO auprès du Royaume-Uni et de l'Irlande, qui nous a servi de guide et d'interprète pendant toute notre visite.

En Algérie, nous avons pu rencontrer plusieurs représentants gouvernementaux qui sont responsables, à divers titres, du dossier du Sahara occidental. J'ai eu des entretiens avec le secrétaire d'État auprès du ministre des Affaires étrangères chargé de la région maghrébine; avec le directeur général du Service de l'Afrique du ministère des Affaires étrangères; avec le ministre des Affaires étrangères; et enfin avec le ministre des Moudjahidin.

Nous avons bénéficié de services de sécurité complets et avons été logés à la résidence officielle offerte aux chefs d'État et aux diplomates par le gouvernement algérien. Nous avons voyagé partout accompagnés d'un cortège motorisé et de nombreux gardes du corps et de policiers armés. Le gouvernement algérien nous a assuré un précieux secours en nous permettant de voir tous ceux qu'on souhaitait rencontrer et a voulu, bien entendu assurer notre sécurité, vu les récents événements en Algérie.

Nous sommes allés à Tindouf en avion après deux jours, où nous avons été accueillis par des représentants du Front POLISARIO, c'est-à-dire le mouvement de libération de la République démocratique arabe sahraouie. Nous sommes partis en Land Rover pour nous rendre dans l'enceinte présidentielle et aux camps de réfugiés. Tout au long de notre visite, nous passions d'un camp à l'autre. Nous avons passé deux nuits dans des tentes où habitent des familles de réfugiés.

Pendant cette visite, nous avons rencontré de nombreux dirigeants du Front POLISARIO, les administrateurs locaux des camps, les porte-parole du gouvernement civil de la République démocratique arabe sahraouie, et notamment les responsables des ministères des Affaires étrangères et de la Défense. Voilà donc une liste partielle des personnes avec qui j'ai pu avoir un entretien personnel: le président de la République, qui est également secrétaire général du Front POLISARIO; un conseiller politique spécial auprès du président dont le poste est équivalent à celui de ministre, et qui a précédemment été ministre de la Défense et des Affaires étrangères; l'actuel ministre de la Défense et le nouveau candidat au poste de ministre de la Défense - nous sommes arrivés en plein milieu d'un remaniement ministériel, et la nouvelle nomination a maintenant été confirmée - l'ancien et le nouveau coordonnateurs auprès de la MINURSO; le président et le vice- président du parlement de la République démocratique arabe sahraouie; le ministre des Affaires étrangères; l'ambassadeur sahraoui en Algérie; les divers membres du comité des affaires étrangères. Nous avons également rencontré la présidente du Rassemblement national des femmes sahraouies et le président du Conseil national. Je ne vais pas vous donner toute la liste, mais je devrais peut-être vous indiquer également que nous avons rencontré divers autres dirigeants des camps, de même que des agents responsables de l'approvisionnement en vivres et en d'autres ressources essentielles.

Nous avons donc réussi à voir la plupart des gens que nous avions demandé à voir, malgré les complications que cela a entraînées pour tout le monde. Il nous était très difficile de nous déplacer d'un camp à l'autre, mais ils ont vraiment essayé de s'assurer qu'on pourrait voir autant de gens que possible, y compris les personnes qu'on avait demandé à voir.

L'AJCRDPM voudrait traiter aujourd'hui de deux grandes questions. D'abord, les raisons pour lesquelles la situation actuelle est instable et injuste, et deuxièmement, les mesures que le Canada pourrait éventuellement prendre pour contribuer à résoudre le conflit. L'AJCRDPM estime que la situation actuelle est instable. Bien que les parties soient censées respecter les conditions d'un cessez-le-feu négocié en 1991, il y a lieu de croire, d'après certains signes, que l'observation du cessez-le-feu est maintenant menacée.

D'abord, maintenir le statu quo reviendrait à permettre que l'occupation illégale du territoire du Sahara occidental se poursuive. Or, on soupçonne la partie qui occupe ce territoire d'extraire des quantités importantes de ressources naturelles, y compris des phosphates, du fer, et du pétrole, de ce même territoire. La partie qui oppose l'occupation est nécessairement très préoccupée par la possibilité que cette occupation se poursuive, étant donné ce qu'elle a observé au sujet de l'activité de l'occupant.

Le cessez-le-feu a permis au Maroc de renforcer sa capacité défensive et offensive dans la région, et ce, au moyen de mouvements de troupes, d'exercices de tir réel et d'installations défensives fixes le long d'une barrière de sable qui a été érigée, qui divise le territoire en deux. Donc, il existe maintenant un long mur défensif. D'un côté, il y a le Front POLISARIO, et l'autre, les Marocains en formation. Ce mur fait toute la longueur du territoire.

Les responsables du Front POLISARIO ont affirmé qu'en réponse aux mouvements des troupes marocaines, ils ont été obligés de renforcer leur capacité défensive, de même que leur capacité de résister aux tactiques qu'envisage d'employer le Maroc, d'après eux. Dans bon nombre de cas, les actes des deux parties enfreignent les conditions du cessez-le-feu, et le Front POLISARIO continue à s'inquiéter des intentions du Maroc.

.1600

Troisièmement, le coût de l'accroissement actuel de la puissance militaire crée des pressions internes pour le Maroc. De nombreux groupes de défense des droits de la personne affirment que la liberté de parole et d'autres droits fondamentaux de la personne sont enfreints par le gouvernement marocain en vue de réprimer toute dissension intérieure et toute opposition aux dépenses engagées par le Maroc pour poursuivre cette longue guerre au Sahara occidental.

Je devrais également vous mentionner que nous avons maintenant terminé la première étape de notre enquête. Nous sommes en train d'organiser une visite au Maroc pour entendre les arguments de l'autre partie à ce différend, et nous espérons pouvoir faire cela le plus vite possible. Jusqu'à présent, nous avons pu parler uniquement à l'ambassadeur du Maroc au Canada, mais nous prenons déjà des mesures pour visiter le territoire du côté marocain et poser des questions aux représentants d'organismes homologues.

Quoi qu'il en soit, les coûts que cela implique pour le Front POLISARIO obligent ce dernier à employer de précieuses ressources humaines et financières pour se préparer au conflit, au lieu de satisfaire les besoins fondamentaux des réfugiés sahraouis, qui sont en réalité au centre du conflit.

Enfin, le Front POLISARIO a affirmé à maintes reprises que l'actuel cessez-le-feu équivaut à une occupation et une exploitation illégales du territoire disputé qui serait sanctionné par les Nations unies. Le Front POLISARIO a affirmé à maintes reprises que le maintien du statu quo ne profite qu'au Maroc tout en faisant grandement souffrir le peuple du Sahara occidental, qui se voit maintenant obligé de vivre en exil dans les conditions fort difficiles des camps de réfugiés situés dans le désert.

Le Front POLISARIO demande depuis un certain temps une manifestation de progrès ou de volonté politique pour trouver rapidement une solution équitable qui permette aux parties de sortir de l'impasse actuelle. Bien que les responsables du Front POLISARIO aient répété en public et lors d'entretiens avec moi leur désir de préserver le cessez-le-feu et de prendre toutes les mesures qui s'imposent pour en arriver à une solution pacifique, ils m'ont dit qu'ils ne peuvent permettre que l'occupation illégale se poursuive à moins de voir des signes qui leur permettraient de croire qu'un référendum libre et équitable va être organisé conformément au plan de paix de la MINURSO, c'est-à-dire le plan de paix des Nations unies et celui qui a été accepté par les deux parties.

L'AJCRDPM est d'avis que de récents événements militent en faveur de l'engagement du Canada dans ce dossier. Ces événements nous font penser qu'il serait maintenant possible d'intervenir pour favoriser le règlement du conflit actuel en ce qui concerne l'enregistrement des électeurs. D'abord, les parties elles-mêmes ont récemment entamé des pourparlers en vue de sortir de l'impasse actuelle. Bien qu'il s'agisse de pourparlers officieux, ils témoignent d'un certain adoucissement des positions de part et d'autre. Dans un certain nombre de déclarations publiques, le Maroc fait preuve d'une approche plus souple et de son désir de mettre en application le plan de la MINURSO.

De plus, nous croyons comprendre qu'il y a eu un rapprochement entre l'Algérie - qui appuie évidemment le Front POLISARIO et le peuple sahraoui - et le Maroc au cours des six ou huit derniers mois. L'AJCRDPM pense donc que les possibilités de négociation directe s'améliorent et qu'il faut se réjouir de cette évolution.

Deuxièmement, la récente nomination d'un nouveau secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, donne à l'ONU l'occasion de jouer un rôle plus important et de prendre activement position pour favoriser la mise en oeuvre du plan de la MINURSO.

Enfin, l'ancien secrétaire d'État américain, James Baker III, a récemment été nommé envoyé spécial du Secrétaire général et il est chargé de poursuivre l'éventuel règlement du conflit concernant l'enregistrement des électeurs. En ce qui nous concerne, c'est un autre signe positif qui nous permet de croire que l'Organisation des Nations unies, sous la direction de Kofi Annan, envisage de jouer un rôle plus actif dans la mise en oeuvre de son propre plan de paix.

La troisième question que nous voulons aborder avec vous aujourd'hui concerne les recommandations de l'AJCRDPM au sujet de la forme que pourrait prendre la participation canadienne. L'AJCRDPM estime que la situation actuelle est injuste et qu'elle déstabilise l'ensemble du Maghreb. L'impasse actuelle et le conflit qui en découle compromettent également la crédibilité des Nations unies et ont le potentiel de miner sa capacité de régler efficacement des conflits semblables à l'avenir.

Le droit du peuple sahraoui à un référendum libre et équitable qui lui permettrait d'exercer son droit légal à l'autodétermination n'est pas contesté. Mais malgré l'existence d'un plan référendaire détaillé, qui a été accepté par les deux parties et sanctionné par les Nations unies, ce droit à l'autodétermination n'a jamais pu être exercé.

L'AJCRDPM estime qu'un examen plus minutieux de la situation de la part de la communauté internationale et la participation d'autres pays à ce dossier encourageront les parties à entamer des pourparlers directs en vue de sortir de l'impasse actuelle. Cela aurait également pour résultat de garantir la transparence de cette démarche et le respect par les parties de la procédure établie, conformément aux principes du droit international.

L'AJCRDPM recommande que le Sous-comité du développement durable humain et le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international prennent les mesures suivantes.

.1605

D'abord, nous appelons à la création d'un groupe de contact pour rechercher une solution au conflit du Sahara occidental. Ce groupe d'intervenants - des représentants d'États clés - encouragerait les parties à entamer des pourparlers directs en vue de régler le conflit actuel concernant l'enregistrement des électeurs. Deuxièmement, il pourrait faciliter et contrôler ces pourparlers directs. Troisièmement, il continuerait d'être engagé dans ce dossier et serait disponible pour agir à titre de médiateurs si d'autres différends opposaient les parties. Quatrièmement, ce groupe s'assurerait que les parties respectent le processus convenu et défini dans le plan de paix des Nations unies.

Deuxièmement, nous recommandons la création de groupes de travail parlementaires qui collaboreraient avec d'autres représentants du gouvernement au Canada et dans d'autres pays pour régler ce différend. Nous proposons, plus précisément, la création d'un groupe de travail parlementaire sur le Sahara occidental, qui serait chargé de faciliter et de contrôler la démarche menant à un référendum libre et équitable, conformément aux principes explicités dans le plan et aux principes du droit international. Deuxièmement, le groupe de travail encouragerait les intervenants à se rendre dans la région, si possible, afin d'être mieux informés et de favoriser le contrôle international du processus.

Troisièmement, nous encourageons le Canada à maintenir et à renforcer le soutien qu'il accorde actuellement aux organisations non gouvernementales qui sont engagées dans cette démarche. Cela comprend évidemment l'AJCRDPM, mais il y en a d'autres aussi qui s'efforcent de trouver une solution pacifique au conflit, de s'assurer qu'il y aura un référendum libre et équitable et aussi - un élément tout aussi important entre-temps - de satisfaire les besoins humanitaires des 167 000 habitants des camps de réfugiés qui vivent dans des tentes dans le désert.

Enfin, nous encourageons le gouvernement canadien à surveiller de près et à réexaminer annuellement sa politique vis-à-vis de la région. Il s'agirait, entre autres, de réexaminer chaque année les politiques canadiennes pour s'assurer qu'elles facilitent la fourniture d'aide humanitaire aux réfugiés et que les initiatives commerciales et activités d'aide au développement au Maghreb soutiennent la position de longue date du Canada en faveur d'un référendum libre et équitable au Sahara occidental.

L'AJCRDPM est d'avis que l'engagement de la communauté internationale dans ce dossier revêt une importance critique maintenant, et nous pensons que le Canada est bien placé pour encourager activement la participation de la communauté internationale à la recherche d'une solution au conflit actuel.

Nous sommes maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Thacker.

Je voudrais tout d'abord vous remercier tous pour vos excellents exposés, qui étaient particulièrement informatifs.

[Français]

Madame Debien, voulez-vous poser une question?

Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): S'il vous plaît, monsieur English.

Bonjour. Je vous souhaite la bienvenue à notre sous-comité. J'aurais quelques renseignements à vous demander.

On sait qu'au point de départ, le Canada avait participé à la MINURSO et qu'au moment de la cessation par l'ONU du processus d'identification, le Canada s'en était retiré. Seriez-vous en mesure de nous donner les raisons qui ont motivé ce retrait du Canada?

Le Canada avait un nombre assez minime de personnes - un contingent de 16 personnes environ, je crois, d'après le rapport du Conseil de sécurité - qui faisaient partie de la MINURSO. Est-ce que vous pourriez nous donner les motifs exacts du retrait du Canada de la MINURSO?

Voici une autre question. Dans les documents que j'ai lus, vous dites qu'il y a 74 pays qui appuient le processus d'autodétermination du peuple sahraoui. Les grandes puissances font-elles partie de ces 74 pays? Je sais qu'au cours du processus, les États-Unis, l'Allemagne et un autre pays - je ne sais plus lequel - ont nettement favorisé le Maroc dans ce processus. Qu'en est-il maintenant, par exemple, de la position des États-Unis, de la position de la France, de la position de l'Angleterre et de l'Allemagne dans ce conflit?

.1610

Vous nous parlez d'un groupe de contact. D'après ce qu'on nous a appris, il y a eu des tentatives pour former un groupe de contact, entre autres avec l'Afrique du Sud et la Norvège. Ces tentatives ont-elles abouti?

Voici encore une autre question. Vous nous dites que M. James Baker, qui vient d'être nommé par l'ONU, doit essayer de régler ce problème. Est-ce que vous connaissez la nature exacte de son mandat?

Enfin, sur le plan culturel, où en est la «marocanisation» du Sahara? J'aurais d'autres questions, mais je m'arrête là pour laisser à mes collègues la chance d'en poser également.

[Traduction]

Mme Farquharson: Votre première question concernait les raisons pour lesquelles le Canada s'était retiré de la MINURSO. Nous croyons comprendre qu'il existe un contingent canadien dans le cadre de la MINURSO et que le Canada envisageait même d'envoyer tout un bataillon pour faire partie de la force militaire de la MINURSO chargée d'observer le référendum, mais qu'il a décidé de se retirer en juin 1994.

D'après ce qu'on nous a dit, ce retrait aurait été motivé par la mission en Somalie, qui était très importante et constituait une priorité pour le gouvernement. Mais si le Canada a décidé de se retirer, c'est peut-être aussi en partie parce qu'il avait des préoccupations au sujet de la façon dont la MINURSO menait ses activités. En fait, de nombreuses critiques ont été formulées au sujet de l'organisation de la MINURSO. Au moment où le Canada a décidé de retirer sa force militaire, la réponse écrite que nous avons reçue indiquait que le gouvernement voulait maintenir sa participation et son engagement à la recherche d'une solution au conflit. Il est possible, cependant, que le gouvernement estimait qu'un autre moyen d'action lui permettrait de faire avancer plus rapidement ce dossier.

Je crois que votre deuxième question concernait la position prise par d'autres pays à l'égard de ce différend.

[Français]

Mme Maud Debien: La position des grandes puissances en particulier.

[Traduction]

Mme Farquharson: Eh bien, le pays qui nous intéresse le plus, ce sont les États-Unis. La participation des États-Unis à cette démarche a été très variable. Par exemple, l'ambassadeur Ruddy était membre de la commission de l'identification au moment où elle lançait ses activités en 1994, mais il s'en est retiré en raison des problèmes que posait le processus d'identification. Il estimait que la MINURSO avait abandonné tout contrôle en faveur du Maroc. Il a présenté des exposés devant le Congrès américain à ce sujet, de sorte que celui-ci a décidé d'envoyer sa propre équipe sur place pour observer la situation.

Cependant, j'ignore sa position à l'heure actuelle.

M. Thacker: Nous ignorons la position actuelle des États-Unis dans ce domaine. Nous savons, par contre, que Madeleine Albright est bien informée de la situation et que par le passé, elle a toujours soutenu jusqu'à un certain point la position du Front POLISARIO, bien qu'elle ait rencontré le roi Hussein à plusieurs reprises et que ses opinions à ce sujet aient quelque peu changé. Il reste qu'elle favorise la mise en oeuvre du plan de la MINURSO dès que possible, conformément aux conditions acceptées par les parties.

Sa récente nomination a peut-être certaines conséquences pour la politique étrangère américaine dans ce domaine. Nous savons qu'elle est très au courant des faits, en ce qui concerne la MINURSO et l'ensemble de ses opérations. En ce qui nous concerne, c'est très positif. Mais nous ne savons pas quelle pourrait en être l'incidence sur la politique étrangère américaine à l'avenir.

Nous voyons dans la nomination de James Baker une manifestation potentielle d'intérêt, de la part des Américains, dans la recherche d'une solution au conflit. Mais pour le moment, nous ne possédons pas d'autres renseignements plus précis au sujet de l'actuelle position américaine.

Le président: Et quels étaient les pays que vous avez mentionnés tout à l'heure...

[Français]

Mme Maud Debien: La France, l'Angleterre, l'Allemagne...

.1615

[Traduction]

Mme Farquharson: La France reste l'allié du Maroc. Jusqu'à présent, elle n'a pas cherché activement à faire avancer ce dossier. Par contre, au Royaume-Uni, un comité parlementaire a été créé pour appuyer la cause des Sahraouis. Voilà l'information dont nous disposons actuellement sur les activités menées dans ces pays.

M. Thacker: C'est vrai qu'il existe un comité, mais ce dernier n'a pas vraiment cherché à s'engager plus activement dans ce dossier. Jusqu'à présent, il a gardé ses distances par rapport au conflit.

Mme Farquharson: Nous avons certaines informations au sujet de la Chine, qui est également membre du Conseil de sécurité. En juin dernier, les Chinois ont fait part de leur intention de concentrer leurs efforts dans les points chauds de l'Afrique, et plus précisément le Sahara occidental; d'ailleurs, la MINURSO comprend du personnel militaire chinois. Mais c'est tout ce qu'on peut vous dire à ce sujet.

Votre troisième question concernait le groupe de contact; pourriez-vous me dire encore une fois ce que vous vouliez savoir au juste?

[Français]

Mme Maud Debien: Dans tous les documents que j'ai lus et lors de rencontres que j'ai eues avec le GRILA que vous connaissez certainement, le Groupe de recherche et d'initiative pour la libération de l'Afrique, il était question de la formation d'un groupe de contact qui comprendrait entre autres, si je me rappelle bien, l'Afrique du Sud, la Norvège et l'Angleterre. Vous nous en aviez aussi parlé l'année passée. Ce groupe devait tenter de trouver une solution au problème du Sahara occidental. Est-ce que vous êtes au courant de la formation de ce groupe ou d'autres groupes de contact pour tenter de solutionner le problème?

[Traduction]

Mme Farquharson: Je crois comprendre qu'il y a eu des tentatives pour former un groupe de contact avec ces membres-là il y a deux ans, mais que cela ne s'est jamais concrétisé. Je ne sais pas ce qui est arrivé au juste, mais ils n'ont pas réussi en fin de compte à créer et à lancer ce groupe. Étant donné ce que disait Larry tout à l'heure, il serait peut-être temps de faire une autre tentative. Cela a donné de bons résultats en Namibie.

L'idée, c'est que si vous faites intervenir des intervenants clés qui sont là pour surveiller la situation, cela contribue à rendre toute la démarche plus transparente. Le groupe peut également aider les parties à résoudre leurs différends. Voilà donc le concept.

Votre question suivante concernait le mandat de James Baker qui a été nommé envoyé spécial.

[Français]

Mme Maud Debien: Auparavant, j'ai parlé de la «marocanisation» du peuple sahraoui. J'ai rencontré des Sahraouis avec des gens du GRILA, il y a quelque temps. On nous a dit que le Maroc tentait actuellement d'éliminer complètement toute la dimension culturelle du peuple sahraoui, ses traditions, ses coutumes ancestrales, et qu'il y avait un fort mouvement de «marocanisation» du peuple sahraoui. Quelle est votre perception de ce problème-là?

[Traduction]

Mme Farquharson: Je pense que nous en saurons plus long une fois que nous aurons terminé l'autre étape de notre mission d'enquête, quand nous aurons visité le Sahara occidental. Peut-être que le témoin suivant sera plus à même de répondre à cette question que nous.

Le président: Quelqu'un voudrait intervenir?

Mme Beryl Gaffney (Nepean, Lib.): Je suis arrivée en retard, malheureusement, et je m'en excuse. Non, je n'ai pas de remarques à faire pour le moment.

Le président: Je voudrais poser quelques questions qui suivent l'orientation de celle qui ont déjà été posées.

.1620

Vous avez parlé de quelques-unes des difficultés posées par les efforts menés par l'ONU dans ce domaine. Je sais qu'il y a maintenant un nouveau Secrétaire général, que celui-ci a manifesté son intérêt et qu'il est possible que l'on assiste à une nouvelle intervention de l'ONU dans cette région, mais y aurait-il d'autres organismes ou groupes qui pourraient être employés pour commencer ce processus de règlement de conflit dont vous parlez? N'existe-t- il pas des groupes de contact n'appartenant pas à l'ONU?

Mme Farquharson: Oui, en effet un groupe de contact peut travailler conjointement avec l'ONU mais en tant que pays agissant de sa propre initiative. En fait, je pense que c'est comme cela que cela devrait se passer.

Il faudrait établir quels pays devraient participer afin d'assurer l'efficacité de ce groupe de contact. Quels pays devraient participer afin que les deux parties puissent respecter le processus? Quels pays les parties pourraient accepter en tant qu'arbitres d'une éventuelle entente? En tant que pays neutre et impartial dénué de tout passé colonisateur le Canada est bien placé pour faire partie de ce groupe. Cette possibilité a été évoquée au cours de discussions que nous avons tenues, au moins avec l'ambassade d'Afrique du Sud, ainsi qu'avec des représentants britanniques.

Le président: Vous avez parlé précédemment d'autres groupes de contact et vous avez dit que des intervenants clés devaient y participer. Lorsque nous parlons de l'Afrique australe, ou plus récemment, de l'ex-Yougoslavie, les groupes de contact, par le passé, tendaient à être composés de pays ayant un intérêt direct, ou engagés dans ces conflits. On peut dire que, dans un sens, que ce soit dans votre exposé ou dans ce document, vous n'avez pas montré que le Canada était engagé directement dans cette région. Ceci ne constitue-t-il pas une contradiction? Ce que vous dites se résume à ceci: le Canada est suffisamment étranger à ce conflit pour pouvoir jouer un rôle utile au sein d'un groupe de contact. D'un autre côté, et comme vous l'avez dit plus tôt, d'autres groupes de contact des Nations unies ont insisté pour que les pays prenant part à ces missions soient plus directement engagés. J'aimerais savoir comment vous expliquez cette contradiction apparente.

Mme Farquharson: Je pense qu'il existe des liens entre le Canada et cette région du monde dans le cadre de la Francophonie. Le Canada a également des rapports commerciaux importants avec cette région. En outre, le Canada a un rôle à jouer au niveau de l'appui aux institutions multilatérales et de sa conception de la sécurité à l'échelle mondiale.

Il faut évidemment que les intervenants soient engagés de façon particulière dans cette région et que les participants de tout groupe de contact soient, d'une part, suffisamment puissants et, d'autre part qu'ils soient perçus comme étant neutres et dignes de respect par les deux parties. Je pense que c'est le rôle que le Canada peut jouer.

Le président: Les médias n'ont pas accordé beaucoup d'attention à cette question qui n'a pas non plus fait l'objet d'un débat public très intense. Que pourrait-on faire d'après vous pour donner plus de relief à cette question? Faire partie d'un groupe de contact est une réponse évidente, mais peut-être qu'avant de faire ceci nous devrions - comment dit-on déjà? - sensibiliser le public canadien. Comment nous y prendre? Ce que vous faites aujourd'hui fait évidemment partie de ce processus, mais que pourrait-on faire d'autre?

M. Thacker: Je pense que deux éléments ont joué contre la prise de conscience par le grand public de la situation du peuple du Sahara oriental. Tout d'abord le Front POLISARIO a expressément interdit tout acte de terrorisme - en fait cela fait partie de la constitution saharienne - visant à faire connaître ce conflit. D'autres mouvements de libération ont très souvent eu recours à cette tactique afin de faire connaître leur cause, mais dans ce cas leur constitution le leur interdit et ils ont maintes fois indiqué qu'ils ne se livreront jamais à ce genre d'activité. C'est donc un moyen qu'ils n'ont pas pu utiliser.

Le second élément, bien sûr, c'est qu'ils se sont remarquablement bien adaptés à la vie dans les camps. Bien qu'ils dépendent presque exclusivement de l'aide internationale, l'efficacité avec laquelle ils ont organisé les camps et les réseaux de distribution de vivres est tout à fait remarquable - et nous déposerons un rapport plus détaillé à ce sujet évidemment. Généralement, ils supportent assez bien ce genre d'existence, ce qui fait qu'il est difficile d'éprouver à leur égard la même compassion que dans le cas d'autres conflits où la souffrance des populations est plus visible.

.1625

Pour accroître la sensibilisation du grand public, je pense pourtant que nous lancerons des campagnes d'éducation et de conférences. Nous aimerions, dans ce but, que plus de visites soient organisées, car le Front POLISARIO est disposé à accueillir toutes les délégations qui voudraient venir se rendre compte par elles-mêmes du fonctionnement des camps.

Lorsque je m'y suis rendu, j'y ai rencontré environ 250 Espagnols qui faisaient partie d'une mission visant à accroître la coopération internationale et la sensibilisation internationale à l'égard de ce conflit. Le Front POLISARIO est heureux d'accueillir les visiteurs de pays étrangers. Il existe des groupes de contact de ce genre en Italie, en Allemagne, en Suisse et en Espagne et ces groupes visitent régulièrement les camps et encouragent la coopération internationale.

Pour ce qui est de l'aide, nous devons également examiner la question de l'éducation des ressortissants sahraouis. Le Canada occidental envoie ses étudiants du secondaire dans des collèges ou des universités à l'étranger ou en Algérie. C'est-à-dire que ces étudiants vont étudier dans les pays qui sont prêts à les accepter inconditionnellement, en d'autres termes les pays qui n'assortissent d'aucune condition l'éducation qu'ils disposent. S'il était possible que le Canada participe à des échanges internationaux de cette nature, nous estimons que ceci favoriserait la sensibilisation internationale et canadienne à ce conflit. Il serait donc utile que nous participions à ces programmes.

Le président: Vous avez évoqué précédemment la Francophonie. Est-ce que celle-ci pourrait jouer un rôle de médiation et de conciliation dans ce cas? Vous avez dit que la France est alliée au Maroc. Est-ce que la position de la France constitue un obstacle à l'égard de la médiation? Que se passe-t-il lors des sommets de la Francophonie où cette question a été évoquée? Et a-t-elle jamais été évoquée?

Mme Farquharson: Je ne sais pas. Nous n'avons encore jamais étudié la question sous cet angle, l'angle de la Francophonie. J'ai l'impression que la Francophonie est plutôt une organisation axée sur la culture et le commerce. Ce n'est pas une organisation aussi politique que par exemple le Commonwealth.

Le président: Je voudrais juste vous rappeler que ce comité a étudié le Nigéria à plusieurs reprises et il me semble que l'on pourrait établir un parallèle avec ce conflit. Dans ce cas, bien sûr, le Canada a joué un rôle actif en tant que membre du Commonwealth. J'ai évoqué à cette occasion les problèmes tels que les distances, etc. Pour ce qui est de la Francophonie, nous n'avons pas été engagés de façon aussi active. Je ne pense pas que nous ayons évoqué cette question, qu'en pensez-vous?

Mme Farquharson: Non, pas que je sache.

Le président: J'aurais une autre question à poser. Quels pays pourraient, selon vous, faire partie de ce groupe de contact? Quel genre de personnes devraient en faire partie?

Mme Farquharson: Je ne pense pas être en mesure de répondre à cette question à l'heure actuelle. Je pense que nous devrions tout d'abord accepter l'idée que le processus devrait être transparent. Il devrait y avoir des discussions directes entre les parties et ces discussions devraient être suivies - «surveillées» serait un mot trop fort - par la communauté internationale. Toute entente découlant de ces discussions serait donc exécutoire pour les deux parties.

Je pense donc que c'est une question importante, mais je ne suis pas en mesure de répondre présentement.

M. Thacker: Afin de sortir de l'impasse actuelle, je pense que les parties ont besoin que des pays jouent le rôle de facilitateurs de confiance. Il semble que nous assistions à un désir de résolution du conflit ou au moins à un adoucissement des positions les plus dures. Mais ce qu'il faut c'est que quelqu'un participe avec eux à des discussions directes et que cet intervenant jouisse de la confiance des deux parties. Ceci suppose donc la participation du Maroc et de l'Algérie, vu que le Maroc est une des parties belligérantes et que l'Algérie y est intéressée de par sa proximité, son appui de longue date au peuple sahraoui, et sa propre expérience de la guerre d'indépendance. Je pense cependant que certains pays ont un rôle à jouer, comme le Canada qui jouit depuis longtemps de la réputation de courtier impartial de la paix. Je pense par conséquent que le Canada est un des premiers candidats à l'engagement dans ce processus.

Le président: D'autres questions?

Madame Gaffney.

Mme Beryl Gaffney: J'ai en effet une question. Existe-t-il des relations commerciales entre le Canada et le Sahara occidental?

.1630

M. Thacker: Non, bien que l'automne dernier le peuple sahraoui ait adopté une monnaie, la peseta sahraouie, ils ne s'en servent pas. Jusqu'à présent, elle n'a pas été utilisée. Ils n'ont accès à aucune monnaie, à part que les gens qui vivent dans les camps peuvent recevoir de l'argent de membres de leur famille qui se sont récemment ou depuis longtemps établis dans des pays voisins tels que le Maroc, l'Algérie, la Tunisie ou la Mauritanie. Donc certains de ces habitants des camps ont accès à une monnaie.

Mais aucun échange commercial ne se déroule dans les camps. L'abri et la nourriture sont des droits élémentaires. Tous les gens qui vivent dans les camps ont droit à la même quantité de nourriture et à un abri et aux articles de première nécessité tels que les couvertures, etc. Tout le monde travaille, mais personne n'est obligé de travailler pour obtenir ces articles de première nécessité et aucun argent ne circule dans les camps à l'heure actuelle.

Mme Beryl Gaffney: Je vous demande d'excuser mon retard. J'ai manqué la plus grande partie de votre exposé.

Existe-t-il un autre conflit dans une autre partie du monde qui soit comparable à celui-ci et où le Canada aurait été engagé? Pouvez-vous penser à une situation semblable?

Mme Maud Debien: Le Timor oriental et le Tibet sont des situations comparables.

Mme Beryl Gaffney: Je vous remercie. C'est un renseignement utile.

M. Thacker: Jusqu'à présent, nous avons essayé d'insister sur le fait qu'un plan de paix a été accepté par les parties et est en voie d'application. Il y a pourtant un désaccord sur un élément mineur qui a créé une impasse. Mais les différentes étapes menant à la reconnaissance d'un droit, qui est incontesté, sont bien définies. Il existe présentement une impasse mais, une fois qu'elle aura été réglée, le processus est relativement clair. Il ne restera plus alors qu'à en assurer la transparence, ce qui est une question de supervision internationale. Il y a eu d'autres cas d'engagement à l'égard de cette question.

Mme Beryl Gaffney: Le Maroc a occupé une partie du territoire et la situation en Indonésie et dans le Timor oriental est comparable à ce qui se passe au Maroc et dans le Sahara occidental. C'est bien ça?

M. Thacker: En effet. Après que la CJI eut rendu son avis consultatif, le Maroc a commencé à occuper le territoire, en y installant à la fois des civils et des militaires.

Mme Beryl Gaffney: Quand est-ce que cela s'est passé?

M. Thacker: En 1975.

Mme Beryl Gaffney: Cela fait donc assez longtemps.

M. Thacker: En effet. Ils ont pris cette mesure en se fondant sur leur interprétation de la décision de la CJI selon laquelle il existait quelques liens, même si cette interprétation est sujette à caution. Ils ont installé environ 350 000 personnes sur le territoire. Un an plus tard, un accord a été signé entre l'Espagne, la Mauritanie et le Maroc visant le partage du territoire et accordant le tiers du sud à la Mauritanie et les deux autres tiers, qui se trouvent être la partie la plus riche en ressources naturelles, au Maroc. En 1979, la Mauritanie a abandonné sa revendication à l'égard de ce territoire après des combats qui l'ont opposée au Front POLISARIO. À ce moment-là, le Maroc déplaça sa frontière vers le sud afin de récupérer cette partie du territoire et il a maintenant érigé un mur de sable qui coupe en deux le territoire.

Mme Beryl Gaffney: Est-ce à notre ordre du jour ou est-ce que quelqu'un va parler de la conférence des Nations unies qui commence à Genève en ce moment?

Mme Farquharson: Oui. En fait, c'est aujourd'hui qu'ils vont adopter la résolution qui est adoptée chaque année et appelant les parties en conflit au Sahara occidental à tenir un référendum libre et équitable.

Mme Beryl Gaffney: Donc, chaque année, cette résolution est proposée à la conférence.

Mme Farquharson: Oui, et le Canada l'appuie.

M. Thacker: C'est devenu une résolution de pure forme. Malheureusement, elle n'aborde pas la question de fond qui consiste à sortir de l'impasse représentée par l'enregistrement des électeurs et à s'engager dans un processus menant à un référendum libre et équitable, voie qui a été appuyée par chaque résolution.

Mme Beryl Gaffney: Je suis désolée. Pour quelqu'un qui n'avait pas de questions, je n'arrivais plus à m'arrêter.

Existe-t-il au Sahara occidental une organisation non gouvernementale forte qui combat en son nom, comme au Timor oriental, à part vous?

M. Thacker: Non, je ne pense pas, pas au niveau politique. Il existe divers groupes tels que les Amis du peuple sahraoui dans d'autres pays, en Italie ou en Espagne, qui leur apportent leur assistance. Il y a des organisations en Italie, en France, en Allemagne et en Suisse, et il y a plusieurs sections en Angleterre. Je ne pense pas qu'il existe une organisation comme la nôtre qui se consacre à l'analyse juridique indépendante du problème. Les autres groupes visent simplement à susciter une aide humanitaire, la coopération internationale et la sensibilisation internationale au problème.

.1635

Mme Beryl Gaffney: C'est très intéressant.

Je vous remercie monsieur le président.

Le président: Merci, madame Gaffney.

S'il n'y a pas d'autres questions, j'aimerais vous remercier tous d'avoir contribué à cette séance des plus intéressantes, comme disait Mme Gaffney et je voudrais aussi vous remercier pour le travail que vous accomplissez. Nous avons pris bonne note de vos conseils et les examinerons soigneusement. Je suivrai à l'avenir attentivement vos travaux.

Nous accueillons maintenant un membre du Front POLISARIO, M. Sayed Mustapha, qui nous présentera un exposé et répondra à toutes nos questions, j'en suis sûr.

Merci monsieur Fakirani, madame Farquharson et M. Thacker.

Comme je vous l'ai annoncé, notre prochain témoin est M. Sayed Mustapha du Front POLISARIO.

[Français]

M. Sayed Mustapha (représentant, Front POLISARIO): De prime abord, je tiens, monsieur le président, à vous remercier infiniment de cette invitation. Par votre entremise, je remercie aussi tous les membres du sous-comité de m'avoir donné cette occasion de vous expliquer ce qui se passe.

À ce qu'en ont dit les témoins qui m'ont précédé, le Canada et son ou ses peuples ne doivent pas rester insensibles à un délit de justice, à l'ignorance d'un droit, le droit de tout un peuple, celui du Sahara occidental, qui souffre aujourd'hui depuis presque 25 ans dans des conditions que les honorables délégués qui m'ont précédé ont très bien décrites.

C'est vrai que les membres de la CLAIHR, la Canadian Lawyers Association for International Human Rights, m'ont pratiquement coupé l'herbe sous le pied en vous donnant tous les éléments qui vous permettront, j'espère, une juste et réelle appréciation de la situation telle qu'elle prévaut aujourd'hui au Sahara occidental.

Cependant, je tiens à souligner deux ou trois éléments et, en premier lieu, à poser une question. Pourquoi y a-t-il la guerre au Sahara occidental? Pourquoi se prolonge-t-elle? Pourquoi dure-t-elle alors que, depuis pratiquement 1965, les Nations unies, avec l'appui du Maroc, de l'Algérie et de la Mauritanie, pour ne pas parler des autres États, ont adopté une résolution, la première sur le Sahara - après l'avoir considéré comme un problème de décolonisation entièrement classique, comme on vient de le rappeler - qui met l'accent sur la nécessité d'obtenir sa décolonisation par l'organisation d'un référendum juste et équitable qui permettrait au peuple sahraoui de choisir librement son destin?

C'est peut-être une ironie de l'histoire que la commission d'enquête des Nations unies qui s'était rendue en 1974 dans le territoire et était présidée à l'époque par l'ambassadeur du shah d'Iran, en se rendant au Maroc, ait accueilli la requête pratiquement permanente, constante, présentée par les autorités marocaines et qui porte sur trois conditions.

La première condition pour tenir un référendum est qu'il faut que les autorités espagnoles retirent leur armée considérée comme un obstacle rédhibitoire à l'organisation d'un référendum; la deuxième condition est le retrait de la colonie de peuplement espagnol; et la troisième condition est le démantèlement de l'administration espagnole, considérée elle aussi comme un véritable problème à résoudre avant que l'on puisse envisager sérieusement l'organisation du référendum.

Alors, pourquoi aujourd'hui se pose-t-il un problème? Avant de répondre à cette question, j'aimerais mettre l'accent sur un repère qui, si on s'en souvient, nous aidera à voir un peu plus clair dans un certain nombre de problèmes.

.1640

Pourquoi le Maroc, qui a soutenu constamment l'Algérie, la Mauritanie et les autres par rapport à la résolution des Nations Unies, constamment parce qu'il le réaffirme année après année, a-t-il changé sa position de départ à 180 degrés? Eh bien, un seul élément de réponse s'impose.

Si le royaume du Maroc a pu subsister dans sa forme actuelle depuis pratiquement 14 siècles, c'est grâce à cette alliance entre le roi, chef suprême, et l'armée marocaine, entre le roi et ce qu'on appelle le makhzen, soit l'armée, les forces de sécurité, de police, etc.

En 1974 et 1975, deux tentatives de coups d'État ont pratiquement abouti au bris de ce contrat de départ et ont donné lieu au Maroc d'aujourd'hui, d'où la nécessité urgente de trouver un moyen pour le roi de se débarrasser de cette armée devenue une menace constante et grave pour la pérennité de la bourse. Où fallait-il les envoyer? Le Sahara occidental, monsieur le président, constituait incontestablement le lieu tout choisi qui s'offrait à la monarchie, d'où ce changement d'attitude complet et cette pression constante pour qu'au lieu d'accepter le Sahara comme auparavant, on le considère comme un territoire à décoloniser, comme un territoire intégré au royaume du Maroc, donc tout simplement une province qui doit être rétrocédée sans aucune forme de modalité au Maroc.

Il est vrai que la situation à l'époque de la domination par le pouvoir espagnol a renforcé cette chance du Maroc. Franco agonisait. Deux tendances à l'intérieur du pouvoir espagnol permettaient aussi la signature des accords tripartites de Madrid. Crime presque unique dans les annales de la décolonisation, trois puissances se réunissent en l'absence de la principale partie concernée et se la divisent comme un troupeau de moutons sans aucune considération à son égard et surtout sans tenir compte des recommandations et des différentes résolutions des Nations unies, qui doivent normalement s'imposer à eux et façonner leur vision des choses.

Les accords tripartites ont donc été signés, qui donnaient la partie sud du Sahara à la Mauritanie et la partie nord au Maroc tout en garantissant à l'Espagne, bien sûr, des intérêts dans les exploitations de phosphates.

En parlant des accords tripartites, j'ai aussi en mémoire ce juste roi, qui n'est pas comme celui dont je viens de parler et qui, pour départager deux mères, leur proposait de couper l'enfant en deux. Eh bien, la véritable mère, qui avait eu la réaction qui s'imposait, différait de cette mère qui voudrait nous engloutir aujourd'hui et qui, elle, ne s'est fait aucun souci et n'a eu aucun scrupule à nous partager en deux.

Il est vrai aussi que, depuis 1975, la guerre a continué, avec son cortège de morts et de blessés, avec les fortunes qu'elle engloutit, ce qui hypothèque sérieusement le développement de toute la région. C'est certainement aussi en se fondant là-dessus qu'il faut comprendre que cette guerre a constamment fait la preuve que la question du Saraha ne pouvait pas être résolue par des moyens militaires et a injecté un brin de sagesse dans la façon de voir des principales parties concernées.

.1645

Il faut aussi compter, bien sûr, avec l'aide des Nations unies qui, à partir des années 1990, ont trouvé leur force, leur rayonnement sur le plan international, surtout après la guerre du Golfe, qui a vu la plus grande mobilisation du monde pour défendre le droit d'un petit peuple, le peuple koweïtien.

Donc, les éléments de l'accord sont au nombre de trois. Ils sont exactement, à quelques nuances près, les éléments constituants de l'accord proposé par les Nations unies en 1974 pour sortir de la guerre et surtout la prévenir.

Premièrement, le problème du Sahara occidental n'est pas un problème de colonisation et, par voie de conséquence, il ne saurait trouver sa solution qu'à travers une consultation juste et équitable dans les conditions de liberté du peuple du Sahara. Les deux parties l'ont clairement affirmé et accepté: seul un corps électoral déterminé clairement et précisément au moyen d'un recensement effectué par les autorités espagnoles a le droit de participer au vote, donc à la consultation.

Ensuite, les Nations unies sont la force qui organise, veille et garantit le résultat de cette réforme. C'est pour cela que le Front POLISARIO a, dès le début et malgré la pression militaire à laquelle il a été soumis, accepté le cessez-le-feu. C'est pour cela aussi qu'un espoir fantastique commençait à naître et à laisser entrevoir l'après-guerre aux uns et aux autres.

Malheureusement, là aussi il faut comprendre que le Maroc n'a pas conservé la position de coopération qui devrait être la sienne. Le représentant adjoint, M. Ruddy, l'a clairement dit dans un rapport qu'il a soumis aux Nations unies de même qu'à l'administration américaine.

Le Maroc n'a même pas permis jusqu'à aujourd'hui aux Nations unies de hisser leur drapeau sur l'édifice qui doit abriter leurs forces, sans parler des autres problèmes et tracasseries de toutes sortes qu'on leur impose. Aucun membre des Nations unies ne doit se déplacer sans un accord préalable avec les représentants du ministère marocain de l'Intérieur, qui est établi sur place.

Les Nations unies n'ont pas la liberté, comme cela devrait être le cas, d'inspecter les troupes et les casernes quand elles le veulent. Elles ne peuvent pas le faire du côté du Maroc.

Pire encore, le Maroc est revenu sur l'un des éléments principaux, sinon le principal, à savoir la constitution du corps électoral. Après avoir accepté le corps électoral constitué en 1974, aujourd'hui, les autorités marocaines considèrent que deux à trois millions de Sahraouis sont passés au Maroc au cours des siècles et qu'il faut donc les inscrire. Je vous rappelle que le recensement de 1974 donne une population d'à peu près 74 000 personnes.

Il est clair qu'il faut sortir de cette situation qui, sans possibilité de solution immédiate, risque de se prolonger avec tous les problèmes qu'elle génère pour le développement du peuple. Vous savez mieux que moi que cette région soumise à des pressions de toutes sortes, par exemple la montée des extrémistes, peut voir sa stabilité gravement menacée si un problème comme celui du Sahara occidental n'est pas résolu.

.1650

Je crois que les Nations unies avaient trouvé la méthode adéquate en approuvant l'accord par une résolution. Il faut souligner aussi, j'ai oublié de le dire, que cet accord avait été voté à l'unanimité par les membres du Conseil de sécurité. Les Nations unies ne peuvent pas aujourd'hui accepter qu'un problème de cette nature persiste, que leur autorité soit ainsi défiée, que leur philosophie même soit ainsi défiée.

Donc, nous souhaiterions ardemment que le Canada puisse être présent par l'entremise d'organisations non gouvernementales comme CLAIHR qui, très courageusement et dans des conditions parfois très difficiles, remplit ses missions et que je ne peux considérer que noble.

Donc, le Canada, en encourageant des organisations non gouvernementales à aller sur place, à visiter, à venir observer la réalité de ce que vit cette population, aide aussi à conscientiser et surtout à présenter des éléments qui permettront, je l'espère, à la population et aux autorités canadiennes d'avoir en permanence une position claire sur la question.

Le Canada ne peut pas non plus rester insensible à la détresse de 165 000 réfugiés qui vivent dans des conditions extrêmement précaires et inhumaines dans le sud de l'Algérie. Donc, une aide humanitaire du Canada s'impose.

L'un des orateurs qui m'ont précédé tout à l'heure parlait d'une génération qui aura vécu sa vie dans cet exil et dans ces conditions. Ils ont besoin d'apprendre, ils ont soif d'apprendre. Le Canada, avec les autres pays, pourra aussi leur donner cette chance de ne pas être pénalisés par une guerre dont ils sont les victimes.

Le Canada pourrait aussi, grâce à son autorité, à l'aura qui l'accompagne sur le plan international, être vigilant par rapport à ce processus et aider à son aboutissement. De ce point de vue, je ne peux que regretter vivement que la composante canadienne de la MINURSO se soit retirée alors qu'en même temps, la représentation des autres membres très importants des Nations unies, la France, les États-Unis, la Chine, l'URSS et les autres, a été maintenue.

Je terminerai sur un message d'espoir. Avec l'élection du nouveau secrétaire général des Nations unies et la désignation de son représentant spécial, nous pourrions peut-être entrevoir un avenir de paix, de stabilité retrouvée et surtout que le droit international puisse triompher sur cette terre et qu'un peuple ne soit pas sacrifié, encore une fois, par une logique qui nous dépasse.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Mustapha, de votre présentation. Madame Debien.

Mme Maud Debien: Bonjour, monsieur Mustapha. J'ai grand plaisir à communiquer avec vous dans notre langue maternelle.

Vous avez donné une explication du changement complet d'attitude du Maroc après le plan de paix qui me laisse un peu perplexe. Vous nous avez dit que le Maroc a pu exister grâce à son alliance avec l'armée et que lors des deux soulèvements de cette armée, le gouvernement avait trouvé le moyen de se débarrasser des membres de cette même armée en les envoyant au Sahara occidental.

.1655

C'est peut-être un élément d'explication, mais j'en vois un autre beaucoup plus important. Vous me donnerez votre avis à ce sujet. Il existe au Sahara occidental de riches filons phosphatiques, de riches gisements de pétrole, de minerai de fer, de phosphate, de vanadium et aussi de métaux précieux très rares qui n'ont jamais été mis en valeur par l'Espagne au moment où elle occupait le territoire. Est-ce que ce ne serait pas la raison la plus importante de l'attitude actuelle du Maroc vis-à-vis de l'autodétermination du Sahara occidental?

M. Mustapha: Je ne sais pas si ce devrait être l'une des raisons, madame. Cependant, ayant participé à des délégations qui ont rencontré les autorités marocaines à différentes reprises et mesuré à quel point les autorités marocaines insistent constamment sur la présence de 200 000 Marocains armés jusqu'aux dents, je sais à quel point ce problème est une préoccupation véritable.

Je dois vous dire aussi qu'avant la guerre, nous avions pris soin de prendre contact avec toutes les parties de la région. Comme nous avions contacté les dirigeants algériens à l'époque, nous avions aussi pris le soin de contacter les dirigeants mauritaniens et les autres pour les informer de notre intention, si le plan de paix, la résolution des Nations unies, venait à ne pas être mis en application et si le Maroc persistait dans son attitude, de continuer la guerre, parce que nous l'avions faite à l'époque contre l'Espagne pour le droit du peuple sahraoui à l'autodétermination. Nous ne pouvions pas changer d'objectif si le Maroc prenait le lendemain la place de l'Espagne, s'il perpétuait ou reproduisait la même logique de l'occupation et de la colonisation, ce qu'il est en train de faire.

Il faut ajouter qu'avant les deux coups d'État, l'attitude marocaine était autre. Après les deux tentatives de coups d'État, c'est véritablement devenu un obsession sécuritaire pour la monarchie. Mais comme toute raison, elle ne peut pas être le motif unique. Elle peut être la principale raison, mais pas la seule. Il y a certainement d'autres raisons comme celle de la richesse des sols... [Inaudible - La rédactrice].

Pourtant, encore aujourd'hui, nous continuons de proposer des choses aux Marocains et nous n'excluons d'ailleurs aucune possibilité de coopération dans le cas de cette union du Maghreb. Le peuple Sahraoui pourra parfaitement apporter son intelligence, mais aussi ses biens matériels ou autres. Cela me laisse un peu sceptique par rapport à la richesse comme unique raison. Mais ce doit certainement en être une.

[Traduction]

Le président: On nous beaucoup parlé du Sahara occidental aujourd'hui.

On ne réclamait pas dans le mémoire précédent présenté par l'AJCRDPM de sanctions contre le Maroc. Appuieriez-vous la prise de sanctions contre le Maroc?

[Français]

M. Mustapha: Il faut vous dire que notre intention n'a jamais été de pénaliser le Maroc, de pénaliser la population marocaine, loin de là. D'ailleurs, comme l'un des orateurs qui m'ont précédé l'a très bien souligné, nous avons toujours inscrit notre action dans une logique de légalité internationale et de droit. Nous n'avons absolument pas dévié de cette logique malgré la pression des circonstances, malgré des difficultés énormes et malgré la tentation toujours présente quand on est soumis à la pression.

.1700

Nous avons en permanence maintenu coûte que coûte, quelles que soient les circonstances, le cap sur la légalité internationale et le droit international. Je crois que la communauté internationale a très bien compris le message dans la mesure où tous les pays sans exception n'ont pas reconnu l'autorité du Maroc sur le Sahara. La République sahraouie siège comme membre à part entière à l'Organisation de l'unité africaine. Elle est reconnue par 74 pays à travers le monde avec lesquels nous entretenons des relations diplomatiques.

Les orateurs qui m'ont précédé tout à l'heure ont souligné l'importance des réseaux de solidarité que le peuple sahraoui entretient, fait exister et enracine avec tous les pays occidentaux, que ce soit à travers les ONG, les parlements ou le corps associatif, qui est très important et qui nous a permis de résister aussi.

Je souris parce que je crois qu'arrive un moment de l'histoire où la victime pourrait peut-être ne pas concevoir son sort en dehors de son bourreau. Je m'explique. Je crois qu'arrive un moment où nous comprenons que le Maroc connaît des difficultés graves. Il en connaît aujourd'hui sur tous les plans. Les Sahraouis, comme peuple voisin du Maroc - la géographie nous l'a imposé - souhaite vivement que ce Maroc soit demain préservé. Nous ne voudrions pas avoir affaire à un voisin... [Inaudible - La rédactrice]. Nous ne sommes pas vindicatifs non plus à l'égard du peuple marocain à qui nous souhaitons toutes les chances de développement et de stabilité.

Toutefois, ce que nous souhaiterions, c'est que d'autres avec nous essaient de faire comprendre aux Marocains, à ceux qui détiennent la réalité du pouvoir au Maroc, que leur intérêt exige d'eux qu'ils cessent de ne pas voir en face cette réalité qui procède de l'évidence, à savoir que le peuple sahraoui ne peut pas disparaître. Quels que soient leurs moyens sur le plan militaire, ils ne peuvent pas le faire disparaître. Si c'était possible, ils auraient pu y arriver en 25 ans. Leur intérêt n'est pas de pousser le peuple sahraoui aux limites de sa résistance.

Nous nous attendions à ce que les autres, avec nous, fassent comprendre aux Marocains que la haine, la rancoeur, la guerre à l'aube du XXIe siècle ne sont pas le seul moyen ou ne sont pas du tout un moyen pour des hommes intelligents, dotés d'un minimum de conscience. C'est ce message de paix, ce message de responsabilité que nous voudrions faire passer aux autorités marocaines, pas autre chose. Nous avions accepté toutes les concessions possibles, tous les accommodements par rapport à un plan de paix qui, dès le départ, avait reçu l'aval des autorités marocaines qui l'avaient accepté. Nous avions fait preuve de beaucoup de souplesse. Nous avions accepté de faire beaucoup de concessions pour ne pas rompre ce fil avec le géant que nous avons pour voisin.

Mais c'est vrai que si nous continuions d'être ignorés et si les autorités marocaines, contre toute raison et tout bon sens, continuaient d'agir selon une logique qui relève du Moyen-Âge, nous n'y pourrions rien.

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Donc, ce que nous vous demandons, monsieur le président, et par votre entremise aux autorités canadiennes, c'est de nous aider à faire comprendre ce message de paix et de responsabilité aux autorités marocaines. Je crois que le Canada est très bien placé pour nous aider à faire passer le message.

D'autres ne sont pas dans votre position, parce qu'à un certain moment ou à un autre, ils ont participé à ce génocide dont nous sommes victimes. Ils ont soutenu d'une façon ou d'une autre cette guerre. Or, on ne peut pas être juge et partie en même temps. C'est pour cela que le Canada a un rôle à jouer dans cette région du monde, et peut le jouer pleinement, en faveur de la paix, en faveur de la stabilité, en faveur des développements de l'ensemble des pays du Maghreb qui, certainement, lui seront pleinement reconnaissants.

Mme Maud Debien: J'ai une dernière question que j'ai posée d'ailleurs à Mme Farquharson, qui m'a répondu que vous seriez probablement la meilleure personne pour y répondre.

Avant de la poser, j'aimerais faire un court préambule. Vous venez de nous parler des luttes que le peuple sahraoui a dû mener constamment pour ne pas disparaître. Vous savez que votre situation ressemble sensiblement à celle du Québec dans ses luttes historiques pour conserver sa langue et sa culture et que certains de nos compatriotes du reste du Canada vivent actuellement une situation aussi dramatique d'acculturation.

J'ai demandé où en était rendu le processus d'acculturation du peuple sahraoui par rapport au Maroc. Est-ce que cela existe? Est-ce que c'est un leurre? Est-ce que c'est un mythe ou s'il y a une volonté réelle du Maroc de «marocaniser» le peuple sahraoui?

M. Mustapha: Vous avez absolument raison de poser cette question qui est au coeur de la situation actuelle. D'ailleurs, c'est l'une des raisons qui ont amené le premier représentant spécial des Nations unies à rendre son tablier au représentant spécial.

Juste après l'adoption par le Conseil de sécurité de la résolution de 1991, le Maroc a organisé ce que M. Manz, l'ambassadeur actuel de la Suisse auprès des Nations unies, a appelé la marche verte, la deuxième marche verte. Des centaines de milliers de personnes ont été transférées du Maroc au Sahara occidental et y sont encore aujourd'hui afin de complètement noyer l'élément sahraoui dans une mer humaine marocaine.

Parallèlement, un autre processus a été mis en marche, qui consistait à prendre les jeunes Sahraouis pour les implanter dans les différentes villes du nord du Maroc. Plus de 5 000 jeunes ont été complètement coupés de leurs origines, de leur milieu social et familial, sans parler de centaines de Sahraouis dont on ne parle jamais qui sont disparus depuis 1975, desquels on n'a aucune information. On ne sait pas s'ils sont vivants ou s'ils sont morts. Ils n'ont jamais été traduits devant un tribunal, jamais jugés. On ne connaît absolument pas les charges qui pèsent contre eux.

Je dois vous dire, madame, que partout en Europe se sont constitués des collectifs qui englobent la grande partie des organisations des droits de l'homme et des juristes. En France, par exemple, le collectif regroupait pratiquement 27 organisations. Ces organisations ont procédé de la manière suivante: ils ont demandé de visiter le Maroc après avoir visité le Sahara pour voir ce qui s'y passait. Je peux vous dire que jusqu'à aujourd'hui, on n'a reçu aucune réponse de la part des autorités marocaines. Aucune organisation non gouvernementale n'a pu aller au Sahara occidental jusqu'à aujourd'hui, sauf une seule qui a été par la suite interdite de séjour.

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Toutes les autres sont pratiquement frappées d'interdiction. Vous vous rappelez certainement les différentes péripéties de la visite de la délégation d'Amnistie internationale au Maroc. C'était une situation inouïe. Si nous continuons de lancer ces appels d'alarme aujourd'hui, ces cris de détresse, c'est pour sauver ces innombrables innocents qui risquent de périr sans que personne sache ce qu'il en advient. Il faut que leurs familles sachent s'ils sont morts ou vivants. Vous imaginez la situation de ces centaines de femmes et de familles dont le principal soutien est disparu depuis 1975, dans quelle situation elles vivent.

Donc, c'est un problème parmi d'autres qui nécessite véritablement une mobilisation de tous ceux qui considèrent que le droit des hommes est une responsabilité exigeante et que partout la préservation d'une vie humaine est importante.

[Traduction]

Le président: Y a-t-il d'autres questions?

Dans la négative, j'aimerais vous remercier, monsieur Mustapha, et tous les autres témoins qui ont déposé devant nous aujourd'hui. Leurs commentaires ont été très utiles. Nous avons beaucoup appris au sujet de la situation au Sahara occidental et nous examinerons attentivement vos recommandations. Je vous remercie beaucoup.

La séance est levée.

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