[Enregistrement électronique]
Le mercredi 9 avril 1997
[Traduction]
Le président (M. John English (Kitchener, Lib.)): Je déclare la séance ouverte.
Je vous demande de bien vouloir commencer votre exposé. Évidemment, je vais tout d'abord vous présenter. M. Gerald Filson, de la Communauté baha'ie du Canada, est directeur des Affaires extérieures. M. Enayat Rawhani, lui, est membre du Bureau national.
Certains d'entre nous ont rencontré les représentants de la Communauté baha'ie du Canada dans leurs circonscriptions. M. Godfrey viendra peut-être; je sais qu'il a certainement tenu une telle réunion. Dans une certaine mesure, nous connaissons bien les problèmes, mais je sais que vous les connaissez beaucoup mieux que nous, et nous sommes heureux d'entendre votre témoignage aujourd'hui.
M. Gerald Filson (directeur des Affaires extérieures, Communauté baha'ie du Canada): Très bien. Merci, monsieur English.
M. Newkirk, secrétaire général de la Communauté baha'ie du Canada, devait nous accompagner mais, malheureusement, il est tombé malade hier. Nous devrons donc nous passer de lui.
Nous voulons vous remercier, car nous savons que plusieurs membres du comité ont rencontré nos représentants locaux et sont certainement au courant de la situation dans son ensemble. Nous avons toutefois pensé que nous pourrions cet après-midi, au cours de cette heure et demie qui a été ramenée à 45 minutes, vous exposer le problème plus en détail.
Comme vous le savez, depuis 17 ou 19 ans, à peu près depuis la révolution, la principale minorité religieuse d'Iran est victime de persécution, et ses droits sont bafoués. Il s'agit d'une communauté de plus de 300 000 personnes.
Nous sommes très heureux des pressions que le ministre et les fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères ont exercées en notre faveur dans le cadre de leurs communications bilatérales avec des fonctionnaires iraniens ainsi que devant la Commission des droits de l'homme des Nations Unies, à Genève et à New York.
Les 25 000 membres de la Communauté baha'ie du Canada vous en sont reconnaissants. Les réunions que nous avons eues au cours des deux ou trois derniers mois avec des députés de tous les partis, dans toutes les provinces et territoires du pays, ont un peu rassuré nos membres.
Cet après-midi, je veux rappeler brièvement les mesures adoptées par le Canada au cours des18 dernières années. M. Rawhani fera ensuite un résumé de la situation actuelle. Nous dresserons la liste des mesures - ce n'est pas vraiment une demande que nous adressons au gouvernement du Canada, puisque le ministère des Affaires étrangères applique déjà ces mesures - qui nous paraissent essentielles. Nous avons une demande supplémentaire à présenter aux députés. Nous vous montrerons ensuite une bande vidéo réalisée par les Baha'is américains et qui donne une certaine réalité au problème. Le vidéo expose certaines des mesures adoptées par vos homologues du Congrès, à Washington.
La Communauté baha'ie du Canada existe depuis 100 ans: le premier Baha'i est arrivé ici en 1898. L'Assemblée spirituelle nationale des Baha'is du Canada, le Bureau national, a été créée en 1948.
En fait, nos premiers contacts avec le gouvernement du Canada remontent à 1949, lorsqu'une mesure inhabituelle a été prise: la Chambre des communes elle-même a adopté une loi qui constituait en société l'Assemblée spirituelle nationale des Baha'is du Canada. Par la suite, pendant de nombreuses années, nous avons eu relativement peu de contacts avec le gouvernement, si ce n'est pour faire légaliser les mariages dans les diverses provinces du Canada et pour faire constituer en société les assemblées et les bureaux locaux.
Depuis la révolution de 1979, nous entretenons à nouveau des relations très directes avec le gouvernement fédéral. Nombre de députés fédéraux ont peut-être oublié que le Canada a été le premier gouvernement du monde à adopter, en juillet 1980, une résolution condamnant la persécution des minorités religieuses à la suite de la révolution en Iran. Ce geste a attiré l'attention sur la situation dramatique des Baha'is.
Il est tout à fait remarquable que le gouvernement du Canada - alors qu'il se passait tant de choses en Iran à cette époque - ait pris cette mesure. Plutôt que de fermer les yeux, il s'est porté à la défense d'une minorité religieuse relativement petite et inconnue ici; il l'a fait à la Chambre des communes et il a adopté cette résolution. L'Australie, les États-Unis et l'Europe lui ont emboîté le pas.
Puis, en avril 1981, la Chambre des communes a adopté une deuxième résolution pour dénoncer la destruction de la maison du Bab, à Shiraz.
La gratitude éternelle des Baha'is du Canada et du monde est acquise au Parlement du Canada, parce qu'il a pris ces mesures et qu'il a ainsi donné l'exemple à d'autres gouvernements et attiré l'attention de la communauté internationale sur le problème.
Le gouvernement canadien s'est aussi distingué d'une autre façon. Le ministère de l'Immigration a en effet été le premier à prendre la défense des réfugiés baha'is. Cela remonte déjà à 1982 et à 1983.
Plus de 2 000 Baha'is d'Iran ont fini par s'installer au Canada. Ils se sont établis dans toutes les provinces. Il y a même des Baha'is d'Iran dans les territoires. M. Rawhani a vécu au Yukon pendant quelque temps. Le programme des réfugiés était fort intéressant.
Outre que le Canada a été le premier gouvernement à accepter des réfugiés baha'is, les fonctionnaires canadiens ont intercédé auprès de leurs homologues en Australie, aux États-Unis et dans les pays scandinaves. Ils ont ouvert des portes aux réfugiés iraniens dans le monde entier.
Au bout du compte, en 1985, 1986 et 1987, lorsque la situation a commencé à se stabiliser en Iran - le monde entier avait les yeux tournés vers l'Iran, de sorte que le nombre d'exécutions de Baha'is a diminué - , il y avait plus de 12 000 réfugiés baha'is d'Iran dans le monde. Il faut en remercier le gouvernement du Canada, qui a été le premier à attirer l'attention sur nos difficultés.
Je voulais rappeler ces mesures et aussi mentionner le fait que, ces dernières années, la persécution s'est poursuivie même si les exécutions sont devenues plus rares. Aujourd'hui encore, les 300 000 Baha'is d'Iran n'ont aucun droit. Les fonctionnaires canadiens continuent à faire diligence, au cours des sessions que la Commission des droits de l'homme de l'ONU tient chaque année à Genève et dans le cadre des débats que l'Assemblée générale de l'ONU consacre à l'Iran, pendant l'automne.
J'ai pensé qu'il serait utile de rappeler cette histoire des années 79, 80 et 81, pour que les députés actuels de la Chambre des communes se souviennent de cette intervention vraiment exceptionnelle qui a été faite en faveur des Baha'is.
Je vais maintenant demander à M. Rawhani de prendre la parole et de nous exposer la situation actuelle.
M. Enayat Rawhani (membre, Bureau national, Communauté baha'ie du Canada): Merci.
La situation des Baha'is d'Iran n'a pas changé depuis le début de la révolution. Diverses tendances se sont manifestées, mais la situation est demeurée essentiellement inchangée. La communauté baha'ie est victime d'une forte répression depuis le début de la révolution en Iran.
Il s'agit d'une importante communauté. Elle compte au moins 300 000 membres. Selon certaines estimations, elle serait même beaucoup plus importante. Ces derniers mois, la situation des Baha'is est restée la même, comme je l'ai dit, et le gouvernement iranien n'a rien changé à ses déclarations officielles et à ses politiques.
Pour régler la question baha'ie, l'Iran a adopté un plan coordonné et déploie de vastes efforts pour miner le plus possible la communauté sur les plans économique, culturel, religieux, social et spirituel.
Permettez-moi de vous citer quelques exemples. Depuis 1979, 201 Baha'is ont été tués. Une quinzaine d'autres ont disparu, et nous ne savons toujours pas ce qu'il est advenu d'eux.
Des arrestations ont été effectuées en divers points du pays. La détention peut aller de 48 heures à six mois, uniquement pour le motif que ces personnes sont des Baha'is. Depuis 1993, quelque 200 Baha'is ont été détenus pendant des périodes de durée variable. Certains sont restés en prison pendant des années. D'autres y ont fait plusieurs séjours.
Quelques Baha'is ont été condamnés à mort. Même si le gouvernement de l'Iran a, dans ses communications avec certains gouvernements occidentaux, nié ces condamnations à mort, nous possédons des documents juridiques valides et des documents des tribunaux qui montrent que ces condamnations ont été prononcées simplement parce qu'il s'agissait de Baha'is.
Permettez-moi de mentionner certains des préjudices qui ont été causés. Nous ne voulons pas simplement parler de quelques décès. C'est ce qui ressort: la véritable question, c'est que la plus importante communauté non islamique en Iran est menacée.
Des lieux saints baha'is ont été profanés. Des cimetières baha'is ont été détruits. Les Iraniens ont même exhumé les restes de Baha'is morts depuis des années. Ils ont confisqué de nombreux lieux baha'is, des biens qui appartenaient à la communauté dans son ensemble ou à des membres de la communauté. En assassinant des dirigeants de la communauté baha'ie, ils ont cherché à miner l'existence même des membres de la communauté qui comptaient sur les conseils de ces dirigeants.
Notre système ne comporte pas de clergé. Nous avons des organes administratifs dont les membres sont élus chaque année, à l'échelle locale et à l'échelle nationale, et ces personnes élues chaque année guident et coordonnent les activités des communautés baha'ies localement et dans l'ensemble de l'Iran. Il y a 12 ans, le gouvernement de l'Iran a aboli le système d'élection baha'i. Ce faisant, il a refusé à cette communauté faible, persécutée et respectueuse des lois le droit de mener des activités coordonnées.
Le gouvernement iranien a détruit le lieu le plus sacré en Iran, dont nous avons déjà fait mention, la maison du Bab, le précurseur des Baha'is, Baha Ullah. La communauté baha'ie considère que cet endroit n'appartient pas aux Iraniens. C'est une propriété qui est sacrée pour tous les Baha'is du monde.
En matière d'emploi, plus de 10 000 Baha'is étaient fonctionnaires, et ils ont été renvoyés sans autre forme de procès. Les employeurs de nombreux Baha'is ont également été incités à s'en défaire. Les entreprises de certains Baha'is qui étaient dans les affaires ont été confisquées. Les exploitations agricoles des Baha'is ont été confisquées ou brûlées.
En outre, certaines personnes mises à pied et dont les pensions ont été supprimées ont dû rembourser toutes les pensions qui leur avaient été versées. Cela s'est fait de façon très efficace dans certaines régions du pays.
En retirant toute autorité juridique et toute forme de reconnaissance sociale à l'administration baha'ie en Iran, on a empêché les Baha'is de se marier suivant leurs coutumes. Les mariages baha'is ont été déclarés illégaux. Les personnes mariées suivant les rites sacrés des Baha'is sont considérées comme se livrant à la prostitution, et les personnes qui officient à ces cérémonies sont considérées comme encourageant la prostitution. La même chose vaut pour le divorce, qui n'est pas du tout reconnu.
Si l'on parle des activités des Baha'is, vous voyez que la communauté est assiégée de toutes parts, placée en situation très précaire sur les plans financier, religieux et culturel; surtout sur le plan culturel, parce qu'on interdit maintenant aux Baha'is l'accès à l'enseignement supérieur en Iran. On leur interdit d'aller à l'université.
Cette année, une autre mesure a été instaurée. Les Baha'is n'ont plus le droit de terminer leur 12e année, car c'est l'année où l'on se qualifie pour entrer à l'université ou s'orienter vers un autre établissement d'enseignement supérieur.
Si un particulier s'attaque à un Baha'i, plutôt que le gouvernement ou les tribunaux qui peuvent condamner des Baha'is à mort, nous savons que les agresseurs s'en tirent sans mal et, dans la plupart des cas, que ces agressions restent impunies. Ce genre de choses est tout à fait horrible pour la communauté baha'ie.
Je pourrais vous donner des centaines d'exemples.
À l'heure actuelle, nous ne nous inquiétons pas seulement du sort des quelques personnes emprisonnées et condamnées à mort, des personnes que l'on exécute peut-être en ce moment même. Nous nous inquiétons du sort d'une communauté que l'on est en train d'exterminer systématiquement, d'une communauté dont les membres se font dépouiller de toute identité.
Lorsque les Baha'is meurent, que croyez-vous qu'on doive faire? Il faut les inhumer. Tous les efforts pour obtenir l'autorisation d'un gouvernement local et l'approbation des autorités supérieures pour inhumer dans des délais raisonnables les personnes décédées échouent lamentablement. Parfois, l'inhumation est interdite jusqu'à ce que les Baha'is soient acculés au mur et ne sachent plus quoi faire.
On ne leur permet pas d'enterrer leurs morts dans leurs propres lieux de sépulture. Nous avons de nombreux foyers et lieux de sépulture baha'is ainsi que des cimetières, mais nous n'avons pas le droit d'y enterrer nos morts. On autorise parfois l'inhumation d'un Baha'i dans un terrain vague, très loin, sans signe aucun - aucune pierre tombale, rien pour indiquer qui est enterré là. Toutes ces pressions sont constamment exercées sur les Baha'is.
La capacité des agriculteurs d'acheter dans les coopératives agricoles des semences, des pesticides et d'autres produits agricoles - et, dans la plupart des cas, ce sont les seuls endroits où l'on peut se procurer ces produits - est extrêmement limitée.
Nous voulons que toutes ces restrictions soient levées. Les Baha'is ne sont pas des étrangers entrés illégalement en Iran. Ils y vivent depuis des milliers d'années, depuis des siècles et des siècles; avant même la naissance de leur tradition religieuse, ils occupaient ce territoire qui est peut-être le berceau de leur foi. On ne peut pas les faire disparaître aussi facilement.
Des personnes comme moi, qui ai quitté l'Iran il y a 35 ans pour aller étudier en Angleterre et émigrer ensuite en Amérique, sont l'exception et non pas la règle. La règle, ce sont les gens ordinaires, les agriculteurs et les hommes d'affaires qui sont là depuis toujours. Ils aimeraient continuer à vivre dans leur propre pays. Ils n'ont pas l'intention de le quitter. Ces personnes devraient pouvoir vivre normalement.
J'aimerais faire écho à ce que M. Filson a dit et exprimer ma très sincère gratitude au gouvernement canadien, qui a déployé d'immenses efforts pour défendre les droits de tous, y compris ceux des membres de la communauté baha'ie.
Le président: Merci beaucoup. Je vois que le vidéo dure 12 minutes. Nous devrions sans doute le regarder maintenant.
M. Filson: Très bien.
Ce vidéo a été réalisé par les Baha'is américains, dans une optique propre aux Américains, comme vous le savez. Il faut donc en tenir compte.
[Projection du vidéo]
Le président: J'ai remarqué qu'après la projection, vous vouliez brièvement présenter une stratégie de réponse à l'intention du gouvernement canadien. Croyez-vous que nous pourrions le faire en cinq minutes? Sinon, nous n'aurons pas le temps de passer à la période de questions.
M. Filson: Cette année, nous avons mis l'accent sur les rapports adressés au gouvernement, parce qu'en plus de l'impatience croissante face à cette situation qui s'éternise, les résolutions de la Commission des droits de l'homme adoptent un ton de plus en plus ferme, elles exigent l'émancipation totale de la communauté baha'ie en Iran. L'année dernière, deux rapports ont été publiés, et nous en avons été très heureux.
Il y a d'abord eu le rapport de M. Maurice Copithorne, représentant spécial de la Commission des droits de l'homme en Iran, qui a attiré l'attention sur la situation des Baha'is. En outre, le professeur Amor, rapporteur spécial sur l'intolérance religieuse, a déposé un rapport très complet. Il a affirmé que le gouvernement iranien n'avait pas besoin de modifier sa constitution et qu'il n'avait pas à reconnaître les croyances baha'ies, mais qu'il pouvait prendre une série de mesures pour restaurer les droits de la communauté.
Nous avons présenté au ministère des Affaires étrangères - et c'est dans la brochure que nous vous avons apportée - un programme d'émancipation progressive de la communauté baha'ie en Iran. Il est difficile de s'y retrouver dans toute cette rhétorique qui ne correspond pas toujours à la réalité, qui ne correspond tout simplement pas à ce qui se passe là-bas, en Iran, pour les Baha'is. Nous vous disons, regardez, nous avons ces rapports internationaux, utilisons-les. Demandons au gouvernement iranien de prendre des mesures en conséquence - pas d'accepter les croyances baha'ies, pas de les consacrer dans la constitution, mais d'émanciper la communauté.
Nous avons demandé au gouvernement canadien d'examiner le rapport du professeur Amor et de le considérer comme le barème de ce que l'on attend de l'Iran. Nous nous adressons, je crois, à un public réceptif, parce que la politique étrangère du Canada est de vraiment mettre en oeuvre les conventions et instruments internationaux, d'utiliser au mieux la Commission des droits de l'homme, d'utiliser les rapports des représentants, de faire respecter les règles. C'est ce que nous vous demandons.
Nous vous demandons aussi - et le moment est peut-être mal choisi compte tenu de l'étape où en est la session de la Chambre - d'envisager l'adoption d'une résolution. Il y aura bientôt des élections en Iran, à la fin de mai, et cela nous inquiète beaucoup. Malheureusement, il y aura peut-être ici aussi des élections qui pourraient...
Le président: M'inquiéter beaucoup.
Des voix: Oh, oh.
M. Filson: C'est juste - et cela vous empêchera peut-être d'intervenir de façon vraiment significative.
Mais il faut présenter la question à l'Iran très ouvertement, très directement: voilà, il y a une communauté dont les droits doivent être rétablis. C'est vraiment ce que nous vous demandons.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Filson. Vous avez pris moins de cinq minutes.
Y a-t-il des questions?
[Français]
Madame Debien.
Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): Bonjour, messieurs, et bienvenue au sein de notre superéquipe.
Vous avez dit plus tôt, et cela apparaît aussi dans votre document, que le gouvernement canadien avait pris un certain nombre de mesures pour venir en aide à la communauté bahaïe. Je ne comprends pas très bien ce que vous demandez de plus au gouvernement canadien, si ce n'est de demander à l'Iran de respecter toutes les conventions concernant les droits de la personne.
J'ai un petit peu de difficulté à faire le lien entre les mesures que le gouvernement canadien a déjà prises et les mesures que vous demandez au gouvernement de prendre à partir de maintenant, compte tenu des élections qui doivent se tenir en Iran.
Naïvement, je me demande si l'Iran, jusqu'à ce jour, a jamais respecté les recommandations et les résolutions de l'ONU ou de la Commission des droits de la personne, qui se réunit à Genève ces jours-ci. En tout cas, je me sens un petit peu démunie face à votre demande.
1650
M. Filson: On lui demande simplement de continuer, de ne pas lâcher. Cela fait déjà 18 ans, il y a une certaine fatigue et les élections en Iran approchent. On est nerveux. On remercie beaucoup le gouvernement du Canada, mais ne lâchez pas. Bien plus que cela, utilisez le rapport du rapporteur pour vraiment dire à l'Iran... On sait que depuis deux ans, les représentants de l'Iran disent que les choses vont mieux pour les Bahaïs, qu'il n'y a plus d'exécutions, etc. Ce n'est pas vrai. La communauté n'a pas de droits et c'est ce qu'on demande. On ne demande rien en plus au gouvernement canadien. On ne fait que lui demander de continuer, tout simplement.
Mme Maud Debien: Vous demandez au gouvernement canadien de continuer de dénoncer la situation des Bahaïs. Je comprends.
[Traduction]
Le président: Monsieur Rawhani.
M. Rawhani: En bref, nous voulons que les Canadiens soient pris au sérieux, contrairement aux Iraniens, qui croient que s'ils vous ignorent vous cesserez de les importuner.
Le président: Monsieur Godfrey, je sais que vous devez partir. Vous voulez peut-être glisser une question?
M. John Godfrey (Don Valley-Ouest, Lib.): Ma question a plutôt trait à l'analyse politique.
Si je vous comprends bien, lors des réunions antérieures que nous avons tenues avec des membres de la communauté et à en juger par la bande vidéo, il y a vraiment deux aspects au problème. Premièrement, la persécution de la communauté dans son ensemble, qui semble soutenue. Elle paraît à peu près constante, en ce sens qu'elle ne s'atténue pas. Elle est institutionnelle par nature, en quelque sorte. Et puis il y a la persécution individuelle, les emprisonnements, les exécutions occasionnelles. Cela semble fluctuer selon les périodes. Est-ce que je perçois bien la situation? Nous poursuivons donc nos efforts en veillant à ne pas perdre de vue l'aspect institutionnel de cette persécution, qui se maintient.
Qu'est-ce qui fait que la situation fluctue? Est-ce fonction de la politique intérieure de l'Iran? Parfois, le gouvernement décide de poursuivre la communauté ou certains de ses membres avec plus d'ardeur qu'à d'autres moments et parfois il semble s'en désintéresser. Est-ce simplement fonction des pressions internationales, n'y a-t-il pas aussi des facteurs nationaux qui entrent en jeu, des intérêts concurrentiels? Le président Rafsanjani, par exemple, achève son mandat; il sera remplacé. L'imminence des élections semble créer une compétition fort intéressante. Est-ce simplement fonction de la politique intérieure si vous êtes sur la liste noire ou pas?
M. Filson: Je crois que les deux jouent. Les pressions internationales semblent avoir freiné les cas les plus manifestes d'exécution. Nous croyons que l'attention internationale donne des résultats. L'Iran, comme tout autre pays, s'inquiète de sa réputation internationale, nous voulons donc que la pression soit maintenue.
Par ailleurs, les Baha'is d'Iran sont depuis toujours le bouc-émissaire par excellence de la politique intérieure. Même si un groupe modéré accédait au pouvoir, il pourrait, pour faire accepter des tendances plus libérales, plus progressistes, chercher à apaiser les fondamentalistes en leur jetant les Baha'is en pâture; il pourrait s'attaquer aux Baha'is pour montrer aux fondamentalistes qu'il est capable de fermeté et que, par conséquent, il a des qualités et peut être modéré dans d'autres dossiers. Cela nous inquiète beaucoup.
Il se peut aussi que les personnes qui ont été exécutées au début des années 80 aient été des dirigeants. Les membres du Bureau national ont été arrêtés au milieu de la nuit, emmenés en un lieu inconnu et exécutés. Par la suite, l'administration de la communauté baha'ie a été mise hors la loi, de sorte qu'il n'y avait plus de dirigeants connus. La diminution du nombre des exécutions est peut-être simplement due au fait qu'on ne sait plus qui dirige la communauté aujourd'hui.
La présidente suppléante (Mme Eleni Bakopanos): Merci, monsieur Godfrey.
[Français]
Mme Maud Debien: On sait que dans le monde, les persécutions religieuses sont souvent prétexte à une autre forme de persécution. La communauté bahaïe est-elle une communauté économiquement très riche?
Cela revient à ce que je disais au début. Souvent, une communauté qui est très riche est une communauté qui a des territoires et qui fait de larges exploitations. Souvent, c'est un prétexte pour dépouiller une communauté de ses biens. On la persécute pour des raisons dites religieuses. En tout cas, je vous pose la question. Cela a-t-il une influence? Selon vous, est-ce le cas?
[Traduction]
M. Rawhani: Non, cela ne joue pas du tout. Même si les membres de la communauté baha'ie sont censés être instruits, étudier et voir la réalité suivant notre propre point de vue plutôt que celui des autres, la grande majorité des Baha'is est formée d'agriculteurs et d'ouvriers - nous sommes représentés dans toutes les classes de la société. Nous avons aussi un groupe plus à l'aise, des membres de la bourgeoisie prospère, des personnes très instruites. Ce qui s'est passé en Allemagne ne s'applique pas ici.
[Français]
La présidente suppléante (Mme Eleni Bakopanos): Madame Debien, avez-vous terminé?
Mme Maud Debien: Cela répond à ma question.
La présidente suppléante (Mme Eleni Bakopanos): Moi, j'aurais une question.
[Traduction]
L'Iran est considéré par certains, sur la liste dont M. Godfrey parlait, comme un pays qui fait problème pour diverses raisons, notamment parce qu'il donne asile à des terroristes. Quel genre de relations permettraient au Canada d'exercer d'autres pressions? Je sais ce que vous dites dans votre mémoire. Je l'ai lu. Mais quel autre tremplin pourrions-nous utiliser, sinon le fait que nous condamnons les violations des droits de la personne partout dans le monde? Nous avons une réputation dans ce domaine. Que pouvons-nous faire d'autre? Est-ce que nous avons des relations commerciales? Quelle autre carotte ou quel autre bâton pouvons-nous agiter?
M. Filson: Ce n'est vraiment pas à nous de vous le dire. Vous êtes les spécialistes dans ce domaine, vous connaissez les divers outils diplomatiques que vous pouvez utiliser, commerciaux ou autres. Nous ne pouvons vraiment pas nous prononcer là-dessus. Cela n'est pas de notre ressort.
Nous ne pouvons pas vous dire beaucoup plus, sinon que nous sommes absolument certains du poids moral de ces résolutions et de ces rapports internationaux. Il ne s'agit pas simplement de résolutions. Il nous a fallu beaucoup d'argent et de temps pour les porter à l'attention de la Commission des droits de l'homme et de l'Assemblée générale. Il faut vraiment les prendre plus au sérieux. Nous pensons en règle générale qu'il faut renforcer la panoplie des lois et des règles internationales. Je crois que le gouvernement du Canada, lorsqu'il intervient dans ce domaine, favorise plus que cette simple question. Notre problème peut lui permettre d'élargir le débat, comme il a toujours cherché à le faire, et de faciliter l'instauration d'un régime international beaucoup plus stable. Notre cas est un bon exemple, parce qu'il est fort clair. La preuve est là; elle sert nos intérêts, mais elle peut aussi servir la politique étrangère du gouvernement canadien.
Je ne suis pas certain de ce qui se passe dans le domaine des échanges culturels, des échanges d'étudiants, etc. Évidemment, le régime iranien ne devrait pas se permettre de déclarer que la situation s'améliore s'il n'est pas en mesure de prouver que les Baha'is peuvent être en possession de documents d'affaires légitimes, que leurs propriétés ne sont plus confisquées, etc. C'est ce que nous disons, et je crois que c'est le message qu'il faut transmettre à l'Iran à l'occasion de chaque communication, que ce soit l'Université McGill, qui entretient des rapports avec l'Université de Téhéran, ou les gens d'affaires du Canada. Je ne sais pas de quelle façon ces segments de la société canadienne peuvent être informés de la situation. Nous faisons ce que nous pouvons. Peut-être que le gouvernement pourrait nous aider, mais là encore c'est votre domaine de compétence, pas le nôtre.
La présidente suppléante (Mme Eleni Bakopanos): Voulez-vous ajouter quelque chose, monsieur Rawhani?
M. Rawhani: Oui. Lorsque vous entendez le gouvernement de l'Iran proclamer sa ferme intention d'annihiler la communauté baha'ie, non seulement en Iran mais ailleurs dans le monde, cela signifie qu'il se sent parfaitement capable de faire ce qu'il veut au Canada. Je ne crois pas que nous puissions vous dire ce qu'il convient de faire à ce sujet, mais nous affirmons qu'une telle attitude doit être réprimée très fermement par les gouvernements du monde qui refusent ce type d'ingérence dans leur système.
La présidente suppléante (Mme Eleni Bakopanos): Merci beaucoup.
M. Filson: Je suis un Canadien de l'Ouest et j'adore l'Iran. J'en sais beaucoup plus au sujet de l'Iran et de son histoire que je n'en saurais si je n'étais pas baha'i.
Les Baha'is canadiens sont d'avis que, pour que l'Iran s'ouvre un peu plus au monde et occupe véritablement sa place dans le concert des nations, le cas de leur communauté constitue une occasion rêvée. L'Iran peut en effet apporter des changements qui rendront vraiment sa société plus ouverte et plus pluraliste. Pourquoi ne pas commencer par nous? Ces changements ne menaceraient en rien l'essence même de la révolution islamique ni les valeurs islamiques, qui sont souvent très proches des nôtres, même si on constate parfois certaines différences, évidemment.
Il nous semble qu'il faut trouver en Iran des gens disposés à écouter ce message et à comprendre que l'émancipation de la communauté baha'ie ferait énormément pour l'Iran, un pays auquel six millions de Baha'is du monde entier vouent une immense affection, ainsi que pour sa culture et son histoire.
Voilà, c'est tout.
La présidente suppléante (Mme Eleni Bakopanos): Merci, monsieur Filson.
[Français]
Madame Debien, avez-vous d'autres questions?
Mme Maud Debien: Non.
[Traduction]
La présidente suppléante (Mme Eleni Bakopanos): Merci beaucoup.
M. Filson: Merci.
La présidente suppléante (Mme Eleni Bakopanos): La séance est levée.