[Enregistrement électronique]
Le mercredi 23 octobre 1996
[Traduction]
Le coprésident (M. Dupuy): Nous allons ouvrir la séance. Je vois que nous avons le quorum.
La sonnerie retentira pour le vote vers 17 h 30, ce qui nous laisse seulement deux heures. Dans ces conditions, j'invite nos témoins à se limiter à dix minutes afin que nous ayons le temps de faire des commentaires et de poser des questions.
Avant de céder la parole à nos témoins, j'ai une formalité à remplir. Comme vous le savez, nos deux sous-comités se réunissent conjointement. Il se peut qu'au cours des semaines à venir, les membres aient à assister aux réunions de leur comité permanent et ne puissent dont pas venir à ces réunions conjointes. Notre procédure ne prévoit pas ce genre de situation. Je m'attends à ce que l'un des deux coprésidents ait lui-même à s'absenter. Je sais que je vais devoir le faire. Il serait souhaitable d'adopter une motion pour en tenir compte.
Comme la motion vous a été distribuée, je vais la lire. Est-ce d'accord?
[Français]
M. Sauvageau (Terrebonne): Oui.
[Traduction]
Le coprésident (M. Dupuy): Je vais la lire en partie en français et en partie en anglais pour refléter la composition du sous-comité.
[Français]
Que, dans le cadre de l'examen de la Loi sur les mesures spéciales d'importation et conformément à leur ordre de renvoi respectif, l'un des deux sous-comités, soit le sous-comité du Comité permanent des finances sur les mesures spéciales d'importation, soit le sous-comité du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international, soit autorisé à entendre des témoins sur l'examen de la Loi sur les mesures spéciales d'importation dans les cas d'une absence inévitable d'un des sous-comités ou d'un des coprésidents.
[Traduction]
La deuxième partie de la motion propose que le quorum soit fixé à trois députés, dans les circonstances ci-haut mentionnées, pourvu que l'opposition soit représentée.
Quelqu'un propose-t-il la motion?
M. Sauvageau: Je la propose.
La motion est adoptée
Le coprésident (M. Duhamel): Nous avons le consentement unanime.
[Français]
Monsieur Sauvageau, êtes-vous d'accord? C'est unanime, n'est-ce pas?
[Traduction]
Le coprésident (M. Dupuy): Nous avons le consentement unanime.
M. Sauvageau: Oui.
[Français]
Le coprésident (M. Duhamel): J'aime travailler avec vous.
M. Sauvageau: Cela veut dire que si nous nous en allons, vous n'aurez plus de quorum et donc que...
[Traduction]
Le coprésident (M. Dupuy): Je tiens d'abord à remercier nos témoins de nous avoir communiqué des renseignements et des opinions au sujet de la Loi sur les mesures spéciales d'importation. Comme nous avons deux coprésidents, je vais céder à mon ami, Ron Duhamel, le plaisir de donner la parole aux témoins.
Le coprésident (M. Duhamel): Messieurs, merci d'être venus. Je vais vous demander, tour à tour, d'indiquer votre nom et l'organisme que vous représentez et de vous contenter d'une brève déclaration afin que nous ayons le temps de vous poser des questions et d'avoir un échange de vues.
M. Michael Kronick (directeur exécutif, Institut canadien du tapis): Merci, monsieur le président. Je m'appelle Michael Kronick et je suis directeur exécutif de l'Institut canadien du tapis. Je suis accompagné d'autres personnes que je voudrais vous présenter. M. David Arditi est président-directeur général de Peerless Carpet; M. Yvon Hébert est président de Venture Carpets; M. Gordon Laing est vice-président des finances de Crosley Carpet Mills, et M. Pat McPherson est notre conseiller juridique.
Monsieur le président, l'Institut canadien du tapis se réjouit de pouvoir vous présenter son point de vue. Cela fait près de cinq ans que notre secteur a pu constater directement les effets des mesures antidumping prévues par la Loi sur les mesures spéciales d'importation. Forts de cette expérience, nous sommes convaincus qu'il s'agit d'une loi efficace et nécessaire.
Notre secteur a, sans aucun doute, subi les effets négatifs des importations entre 1988 et 1991. La majeure partie de ces importations ont fait l'objet d'un dumping. La LMSI est le seul recours que nous ayons eu à notre disposition. Comme nous le précisons dans notre mémoire, cette loi a permis à notre secteur d'arrêter sa chute et de faire une remontée importante. Elle l'a fait sans causer de perturbations importantes ou sans refuser aux consommateurs canadiens l'accès à un vaste éventail de produits de tapis à un prix raisonnable.
Je vais brièvement passer en revue l'histoire récente du marché canadien du tapis qui figure en détail dans notre mémoire.
Les importations de tapis tufté en provenance des États-Unis ont rarement dépassé cinq millions de mètres carrés avant 1988, l'année où les usines américaines ont commencé à nous livrer une concurrence acharnée. Entre 1988 et 1991, ces importations sont passées de 5,1 à 28 millions de mètres carrés, c'est-à-dire de 8 p. 100 à 41 p. 100 du marché canadien total.
Le prix de vente moyen a baissé de près de 10 p. 100, tombant de 10,41 $ le mètre carré en 1989, à 9,47 $ le mètre carré en 1991. Un certain nombre de fabricants canadiens ont cessé leur production. La plupart des survivants ont perdu de l'argent à un rythme impossible à soutenir.
Revenu Canada a imposé des mesures provisoires, en vertu de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, en décembre 1991. Ces mesures ont été confirmées lorsque le Tribunal canadien du commerce extérieur a conclu, en avril 1992, qu'un préjudice important nous avait été causé. Les fabricants canadiens ont commencé à enregistrer une amélioration presque immédiate de leur chiffre d'affaires et de leur production et la pénétration des importations s'est mise à baisser dans les quelques mois qui ont suivi. La part du marché canadien est remontée de 53 p. 100 en 1991 à64,3 p. 100 en 1995.
Le régime antidumping a certainement eu un effet positif pour les producteurs canadiens. Les torts que le dumping avait causés à l'industrie canadienne ont été redressés. Néanmoins, ce redressement n'a pas désavantagé les consommateurs canadiens. Les prix n'ont augmenté que de4,5 p. 100 entre 1991 et 1995. Même au cours de cette période de reprise générale, le taux d'augmentation a été nettement inférieur à celui de l'indice des prix à la consommation.
Les mesures prises dans le cadre de la Loi sur les mesures spéciales d'importation n'ont pas entraîné la disparition des tapis importés. Les importations américaines conservent une part appréciable du marché canadien.
L'expansion du libre-échange ne supprime pas, selon l'Institut canadien du tapis, la nécessité de disposer de mesures antidumping comme celles que prévoit la Loi sur les mesures spéciales d'importation. Nos membres poursuivent énergiquement les débouchés mondiaux. Ils sont également importateurs de matières premières utilisées pour la fabrication au Canada ainsi que de tapis fini, qu'ils distribuent.
Nous nous sommes adaptés au libre-échange en surmontant la plupart des défis qu'il nous lançait et en profitant au maximum de ses avantages. Néanmoins, nous ne pouvons pas concurrencer les exportateurs américains qui vendent leurs produits au Canada à des prix nettement plus bas que ceux qu'ils offrent chez eux.
Tel qu'illustré, entre 1988 et 1991, le Canada a été une cible commode et tentante pour les fabricants américains qui avaient une capacité excédentaire importante et qu'ils étaient poussés à vendre à bas prix. Sans la Loi sur les mesures spéciales d'importation, il est certain que les producteurs canadiens auraient subi davantage de torts et que certains auraient été éliminés du marché.
Nous avons, à l'égard de l'application de la loi, certaines préoccupations dont nous aimerions vous parler. Néanmoins, pour ce qui est de la question générale que vous examinez, nous estimons que notre expérience démontre les raisons pour lesquelles la loi reste nécessaire et montre également qu'elle donne des résultats efficaces pour toutes les parties prenantes du Canada.
Merci.
Le coprésident (M. Duhamel): Merci beaucoup. Monsieur Gottlieb.
M. Richard S. Gottlieb (avocat, Gottlieb & Pearson): Merci, monsieur le président et membres du comité.
Je suis Richard Gottlieb. Je suis ici, à titre d'avocat représentant le cabinet Gottlieb & Pearson. Je suis accompagné de Paul Moen, membre de notre cabinet.
Notre cabinet a représenté, depuis 1969, un grand nombre d'importateurs canadiens, d'exportateurs étrangers et de producteurs canadiens devant le ministère du Revenu national et le Tribunal canadien du commerce extérieur ainsi que ses prédécesseurs. Nous sommes ici au nom du vaste éventail de clients que nous représentons. Nous préconisons de maintenir la loi actuelle, à part quelques dispositions qu'il faudrait améliorer. Il est dans l'intérêt du Canada, qui est un exportateur important et qui dépend beaucoup des marchés étrangers, de donner l'exemple à ses partenaires commerciaux.
Nous ne croyons pas qu'il faudrait réduire la protection. Nous estimons plutôt que la loi actuelle, que le ministère du Revenu national applique très énergiquement, protège adéquatement l'industrie canadienne.
Nous savons que certains groupes de producteurs demandent une loi plus énergique qui reflète la législation et les pratiques administratives des États-Unis. Je suis certainement conscient du fait que les États-Unis ne jouent pas franc jeu à l'égard des exportations canadiennes. Quand il s'agit d'appliquer les lois commerciales ou autre, les Américains ont tendance non seulement à exploiter la loi à leur avantage, mais à ne pas tenir compte des résultats quand ils perdent leur cause.
Cependant, le resserrement de nos lois en guise de représailles ne nous semble pas être une solution raisonnable. Pour commencer, cela se répercuterait sur toutes les importations c'est- à-dire non seulement les produits finis, mais également les intrants. N'oublions pas que les producteurs canadiens dépendent largement des intrants étrangers. S'ils n'y ont pas accès, ils sont moins compétitifs par rapport aux exportateurs de produits qui utilisent ces intrants.
Également, cela nuirait à la production canadienne potentielle en rendant les importations plus problématiques. Nous avons déjà un problème en ce sens que la limitation du drawback des droits nuit à la production canadienne lorsqu'elle dépend d'un pays tiers pour des intrants non visés par l'ALENA.
Par conséquent, nous préconisons de conserver la portée de la loi actuelle, mais nous souhaiterions quelques changements.
Premièrement, pour ce qui est de la procédure de règlement, nous aimerions davantage de transparence à l'étape préalable à l'enquête. Nous croyons que les parties intéressées devraient recevoir une notification et participer au processus par lequel le sous-ministre décide s'il y a lieu d'ouvrir ou non une enquête. À notre avis, cela pourrait conduire à régler les différends ou à mieux définir les plaintes ou encore à limiter les plaintes à des produits ou catégories de produits qui sont vraiment préjudiciables. Très souvent, une fois l'enquête ouverte, certaines catégories de produits se trouvent exclues en cours de route. On mène parfois l'enquête sans avoir la preuve des torts subis, mais le sous-ministre n'est pas au courant. Nous serions pour un processus qui conduirait une meilleure résolution des différends. Cette transparence faciliterait les choses.
Deuxièmement, nous voudrions que les dispositions de la loi concernant l'intérêt public soient améliorées. Selon les codes du GATT régissant les droits antidumping et compensateurs, ces droits ne doivent être imposés que dans la mesure où l'industrie canadienne a besoin d'être protégée. La loi actuelle ne permet pas au tribunal de réduire les droits antidumping ou compensateurs sur cette base. Il faut suivre toute la procédure d'examen de l'intérêt public.
Nous voudrions que la loi contienne des dispositions plus larges relativement à l'intérêt public afin que les parties touchées par des droits antidumping ou compensateurs puissent défendre leurs intérêts. Nous avons tendance à oublier que la victime, si nous pouvons l'appeler ainsi, des mesures antidumping ou compensatoires est l'utilisateur. Encore une fois, c'est l'importateur de facteur de production. S'il s'agit d'un produit de consommation, c'est le détaillant.
Il faudrait établir un meilleur équilibre entre les intérêts du producteur et des utilisateurs du produit, surtout lorsqu'il s'agit d'un intrant. Si vous prenez l'emploi, il y a beaucoup plus d'emplois dans les secteurs de l'économie qui utilisent les intrants qu'il n'y en a du côté de la production de ces intrants. Cela s'applique au sucre, à l'acier et à plusieurs autres produits. Si nous voulons que la loi serve les intérêts du Canada, il faudrait élargir les dispositions relatives à l'intérêt public.
Je voudrais également que l'on renvoie plus énergiquement devant l'OMC - ce n'est pas dans la loi comme telle - les pays comme les États-Unis et l'Union européenne dont les lois nuisent à nos exportations. Je pense que plusieurs de nos partenaires commerciaux appuieraient le Canada. Ce serait une meilleure solution que de donner aux Américains et à l'Union européenne un mauvais exemple de plus. Nous savons que ces pays s'inspirent souvent de certaines mesures draconiennes que nous prenons et les appliquent eux-mêmes à nos exportations.
Le coprésident (M. Duhamel): Merci, monsieur.
M. Donald McArthur (président, Association canadienne des importateurs): Messieurs les coprésidents et membres des Sous- comités du commerce international et des finances, je voudrais vous présenter Don Goodwin, le président de Tracon Consultants, qui est un membre de longue date de notre association et qui nous a aidés à préparer notre mémoire.
Je voudrais d'abord vous décrire les caractéristiques des membres de l'Association canadienne des importateurs. Je crois, en effet, que cela vous aidera à comprendre notre point de vue et la façon dont nous envisageons le règlement des différends dans le cadre de la Loi sur les mesures spéciales d'importation. Je vous expliquerai ensuite certaines de nos recommandations ou suggestions.
Tout d'abord, l'Association canadienne des importateurs est une association nationale sans but lucratif qui existe depuis 1932 dans le but de promouvoir le commerce international et de desservir ses membres. Nous comptons actuellement 600 membres qui sont tous des sociétés. Il s'agit généralement de sociétés moyennes et grandes qui font toutes du commerce international. Ce sont des fabricants qui importent des intrants, des chaînes nationales de commerce de détail - en fait presque toutes - et des importateurs-distributeurs traditionnels qui achètent à leur propre compte et revendent leurs produits à des fabricants ou à des détaillants, selon le cas.
Nous avons participé, dans une certaine mesure, au processus de la Loi sur les mesures spéciales d'importation. Comme il s'agit d'une question très importante pour nos membres, ces deux dernières années, nous avons tenu trois conférences d'une journée complète au cours desquelles nous avons examiné les questions touchant la LMSI, nous avons entendu l'opinion de hauts fonctionnaires du gouvernement, celle des experts des mesures antidumping et compensatoires de même que l'opinion des porte-parole de l'industrie. Nous avons entendu les divers points de vue de façon à tenir nos membres au courant de la situation et ces conférences ont eu beaucoup de succès.
Nous avons également tenu un tas d'autres discussions sur la LMSI, notamment à propos de l'examen réalisé, il n'y a pas si longtemps, par le Bureau du procureur général. Nous avons participé directement à certains processus entamés dans le cadre de la loi, en particulier à l'enquête sur le dumping de chaussures pour dames en provenance de Chine.
Je voudrais commencer par aborder un problème que M. Gottlieb a mentionné et que l'Association canadienne des producteurs d'acier a soulevé publiquement. Il s'agit de l'adoption du système américain. Apparemment, on a demandé que le système canadien soit modifié, dans cinq secteurs clés, pour qu'il s'aligne sur le système américain.
La raison invoquée publiquement pour ces changements est de forcer les producteurs d'acier des États-Unis à accepter de ne pas appliquer les lois antidumping au commerce visé par l'ALENA. Notre association approuve cet objectif, mais pas les moyens utilisés pour l'atteindre. Selon nous, ni les mesures antidumping et compensatoires américaines, ni les mesures canadiennes équivalentes ne permettent de régler les différends commerciaux entre les partenaires de l'ALENA. Il faudrait sérieusement songer à se servir des lois nationales sur la concurrence pour s'opposer aux prix abusifs qui peuvent poser des problèmes entre les partenaires commerciaux de l'ALENA.
Même si nos préférons le recours aux lois nationales sur la concurrence dans le contexte de l'ALENA, nous croyons que la façon canadienne de lutter contre le dumping est supérieure, à tous égards, au système américain. Notre système est préventif tandis que le leur est curatif, ce qui crée davantage d'incertitudes commerciales. Notre système établit une valeur normale ou un prix d'exportation minimum au Canada qui doit se refléter dans les prix en vigueur au Canada alors que le système américain de droits de douane ne garantit pas que les droits antidumping seront inclus dans le prix de revente aux États-Unis.
Par conséquent, notre association recommande que le Canada continue à se baser sur la valeur normale et modifie ses méthodes d'examen annuel afin d'éliminer les changements apportés tout récemment et intégrés, cette année, dans le système. Nous recommandons également d'apporter à la Loi sur les mesures spéciales d'importation plusieurs autres changements qui, selon nous, contribueront à préserver et à améliorer la supériorité de notre système basé sur la valeur normale et de nos mesures antidumping. Ces changements réduiront les coûts pour toutes les parties et permettront aux fabricants canadiens d'avoir rapidement et facilement accès à des intrants peu coûteux, ce qui améliorera leur compétitivité sur le marché mondial. Cela aidera le Canada à conserver une balance commerciale positive.
J'ai une liste de six de ces recommandations, que je vais passer rapidement en revue, mais elles sont expliquées plus à fond. Je crois qu'il me reste encore un peu de temps, monsieur le président.
Le coprésident (M. Duhamel): Vous avez le temps d'en parler rapidement.
M. McArthur: La première recommandation consiste à modifier la Loi sur les mesures spéciales d'importation pour qu'une décision séparée soit prise. Les enquêtes concernant des pays exportateurs multiples devraient donner lieu à un examen distinct des dommages causés, pour chaque exportateur et chaque pays.
Deuxièmement, nous recommandons que les droits antidumping ne s'appliquent qu'aux achats futurs, une fois la décision rendue par le tribunal.
Nous recommandons de modifier la loi afin que Revenu Canada consulte les importateurs et les exportateurs lorsqu'il reçoit une plainte de producteurs canadiens.
Nous recommandons de modifier la loi pour que les engagements en matière de prix soient réexaminés dans un certain délai et qu'ils ne soient jamais maintenus pendant plus de cinq ans.
Nous recommandons de modifier la loi afin de tenir compte des ventes de marchandises comparables lorsque l'exportateur ne vend des produits similaires qu'à un seul client. Je sais que c'est une question très technique. Cette formule remplacerait la valeur calculée.
Nous recommandons de modifier la loi de façon à ce que le prix de revient du distributeur soit déterminé à partir du prix d'achat pour les transactions sans lien de dépendance. C'est assez important, car il arrive très souvent que le distributeur ne sache pas quel est le prix de revient du fabricant.
La dernière recommandation pose un très sérieux problème. Nous la formulons en sachant très bien que ce ne sera pas facile. Nous pensons vraiment que le Canada devrait essayer de renégocier l'article 303 de l'ALENA afin d'obtenir le drawback des droits antidumping sur les intrants pour les produits manufacturés canadiens qui sont exportés vers les États-Unis ou le Mexique.
Merci.
Le coprésident (M. Duhamel): Merci. Pouvons-nous continuer?
M. Jack Wilkinson (président, Fédération canadienne de l'agriculture): Merci. Je me contenterai de l'entrée en matière. Don Knoerr, qui est ici avec nous, s'est intéressé aux questions commerciales depuis un certain temps, en tant que président sortant de notre fédération et, depuis plusieurs années, en tant que membre d'un comité du commerce.
En deux mots, la FCA est, de loin, la plus grande organisation agricole du pays. Nous représentons environ 200 000 agriculteurs ainsi qu'un certain nombre d'organismes agricoles provinciaux et nationaux et les grandes organisations agricoles provinciales. Nous avons consacré, au nom de nos membres, beaucoup de temps et d'énergie aux négociations sur l'accord commercial entre le Canada et les États-Unis, l'ALENA, et chacune des séries de négociations de l'OMC afin d'élaborer une position globale qui tienne compte de leurs intérêts sur le plan des exportations et permette d'aborder le problème des importations déloyales et des domaines vulnérables de la production canadienne, que ce soit la production horticole ou autre.
Sur ce, je voudrais que Don Knoerr entre davantage dans les détails. Monsieur le président, comme je dois partir vers 16 h 30, je m'esquiverai par la porte arrière. Don ayant reçu l'intelligence et moi la beauté, ce sont les bonnes personnes qui vont rester. Merci.
M. Don Knoerr (représentant commercial, Fédération canadienne de l'agriculture): Merci.
La Fédération canadienne de l'agriculture s'est efforcée, dans la mesure où elle a cru pouvoir faire des observations utiles, de répondre aux questions soulevées au départ de même qu'à certaines des questions abordées dans le document d'information du ministère des Finances.
Je signale que certaines organisations membres de notre fédération comparaîtront plus tard avec le Conseil canadien de l'horticulture et je crois que certains groupements horticoles de Colombie-Britannique seront là également. Ils se sont intéressés de plus près que nous aux mesures prises dans le cadre de la LMSI et ils seront sans doute en mesure de répondre à certaines questions plus techniques. Nous parlerons davantage des principes généraux et du rôle que peut jouer la LMSI.
Pour aller du général au particulier, nous parlerons d'abord du contexte commercial mondial qui a certainement changé de façon spectaculaire au cours des années. C'est devenu un marché intégré et plus concurrentiel. Nous avons vu de nouveaux exemples, non seulement de l'utilisation des recours commerciaux, mais d'un certain nombre de pratiques agricoles dans le cadre des dernières négociations et de la dernière entente du GATT. Mais les choses sont encore loin d'être simples. Tout le monde ne se trouve pas sur un pied d'égalité.
Les producteurs agricoles du Canada constatent, malgré l'entente agricole récemment conclue, qu'ils doivent concurrencer les agriculteurs d'autres pays qui bénéficient toujours des subventions à l'exportation auxquelles nous avons renoncé au Canada; ils obtiennent beaucoup plus de soutien et leur protection, à la frontière, est beaucoup plus importante qu'elle ne l'est chez nous. Cela nous a conduits à conclure que la LMSI est toujours utile et très nécessaire dans un contexte commercial de plus en plus mondialisé. Mais les agriculteurs s'intéressent à la fois aux marchés d'exportation et au marché national, et nous croyons que les mesures compensatoires et antidumping doivent être régies par les règles de l'OMC et que le Canada et les autres membres de l'OMC, sont tenus de respecter ces règles. Vous ne pouvez pas jouer sur les deux tableaux.
Pour passer au particulier, le gouvernement canadien considère que les recours commerciaux traditionnels n'ont pas leur place dans le contexte du libre-échange. Nous avons entendu des observations à ce sujet. Nous estimons que c'est peut-être juste en théorie, mais que cela n'a pas grand-chose à voir avec la réalité actuelle.
Tout d'abord, l'ALENA ne limitait pas vraiment l'usage des mesures de sauvegarde. Cela ne fait pas partie de votre loi. Cette loi couvre les mesures compensatoires et antidumping. Dans le cadre de la politique gouvernementale, le Canada a renoncé à chercher à résoudre les problèmes que posent les mesures compensatoires dans le cadre de l'ALENA. Il cherche davantage à se débarrasser des mesures antidumping.
À notre avis, cette préoccupation actuelle pourrait détourner notre attention de ce qui risque de se produire à court et moyen terme, car il ne faut guère s'attendre à ce que les États-Unis renoncent à ces mesures. De plus, cela nous a plus ou moins empêchés de reconnaître que les mesures antidumping que le Canada pouvait prendre se sont révélées très importantes et tout à fait nécessaires pour nos producteurs agricoles. À l'exception d'un cas récent de mesures compensatoires, c'est le seul recours commercial que les producteurs agricoles canadiens aient eu à leur disposition pour résoudre certains problèmes de commerce déloyal.
Dans une certaine mesure, il s'agit d'attendre le bon moment. Comme on l'a dit aujourd'hui, lorsqu'on parle d'éliminer les mesures antidumping dans un contexte de libre-échange, n'oublions pas qu'elles seront remplacées par l'application de la politique de concurrence.
Si vous prenez les dispositions de l'ALENA sur la politique de concurrence, il est entendu que toutes les parties auront des lois sur la concurrence et qu'elles collaboreront à ce sujet. Aucune norme n'est établie pour ces lois et aucune disposition ne précise comment elles s'appliqueront aux produits exportés vers l'autre pays. Le dernier paragraphe de l'article de l'ALENA qui traite de la politique de concurrence porte que les parties n'auront pas recours à un mécanisme de règlement des différends pour les questions concernant ce domaine.
La théorie, qui pourrait se révéler vraie un jour, veut que, dans un marché intégré, nous ayons dépassé le stade des mesures antidumping et nous devrions recourir aux lois sur la concurrence. Mais pour l'instant, nous nous trouvons devant un vide; ce serait une grosse erreur que d'abandonner un instrument très important pour l'agriculture canadienne en renonçant aux mesures antidumping sans avoir d'abord les autres éléments en place.
Ce que dit la Fédération c'est que la LMSI demeure pertinente et essentielle dans le contexte commercial de l'ALENA. Nous reconnaissons la nécessité d'établir de meilleures règles pour l'usage des recours commerciaux dans le cadre de l'ALENA et nous pensons que c'est par là qu'il faut commencer. Cela nous fait du tort. Les États-Unis risquent davantage de nous imposer des mesures compensatoires ou de sauvegarde.
Tout d'abord, il faut s'assurer que tous les signataires de l'ALENA se conforment aux règles de l'OMC qui régissent l'application des mesures antidumping et compensatoires. Il faut convenir, avec les États-Unis, de règles pour l'application des mesures compensatoires et antidumping en vertu de l'ALENA, de façon à instaurer une plus grande discipline et nous serons d'accord. Si les États-Unis sont prêts à faire quoi que ce soit, c'est au moins ce que vous pouvez exiger.
À plus long terme, nous pourrions peut-être étudier la possibilité de créer une commission mixte, binationale, trinationale ou autre, selon la dimension que prendra l'ALENA, pour administrer les actions en recours commercial de chaque pays. Ainsi, le système sera vraiment équitable et nous pourrons décider collectivement quand nous aurons atteint le stade où nous pourrons nous en passer.
D'autre part, dans le contexte international, nous commençons tout juste à nous familiariser avec les lois sur la concurrence. Étudions la possibilité de définir des règles qui éviteront que la loi sur la concurrence ne soit utilisée comme obstacle déguisé au commerce. La loi sur la concurrence risque d'être invoquée, et c'est ce que les États-Unis ont menacé de faire. La façon dont elle sera appliquée permettra de lutter contre les pratiques déloyales et les prix abusifs de part et d'autre des frontières et à l'intérieur d'un pays.
Nous remarquons également que la loi canadienne sur la concurrence contient des dispositions très précises concernant les organismes de commercialisation agricole. À notre avis, tout accord commercial doit veiller à ce que, dans le contexte international, nos intérêts à l'égard de ces organismes soient sauvegardés. Nous avons des dispositions législatives et une jurisprudence à cet égard.
Lorsque des progrès significatifs auront été réalisés dans ce domaine, ce qui prendra un certain temps, croyez-moi, nous pourrons peut-être alors discuter intelligemment de la possibilité d'éliminer les mesures antidumping dans le contexte de l'ALENA.
En deux mots, nous allons sans doute constater très rapidement certains des risques associés à tout cela. Nous sommes en train de négocier un accord commercial avec le Chili. Notre fédération ne participe pas aux négociations, mais telle est certainement l'orientation générale. Il est très possible que notre gouvernement cherche à soustraire nos échanges avec le Chili à l'application des mesures antidumping. Ce serait une très grave erreur selon nous.
Nous espérons ne pas éprouver de difficultés avec le Chili, mais nous ignorons ce qui nous attend; c'est une expérience nouvelle. De notre point de vue, vous allez nous enlever le seul instrument efficace et nous laisser celui qui nous a causé le plus de problèmes avec les États-Unis, soit les droits compensateurs. Nous ignorons ce qui se passera avec le Chili. Les dispositions de l'accord seront les mêmes que pour l'ALENA et Israël en ce qui concerne la loi sur la concurrence, à savoir que nous ferons certaines choses, mais sans garantie quant à la façon dont ce sera fait et sans recours à un mécanisme de règlement des différends. Si nous avons des difficultés, les producteurs agricoles n'auront aucun recours.
Nous avons constaté que les mesures de sauvegarde étaient inefficaces pour l'agriculture. Autrement dit, tout accord commercial entre le Canada et le Chili doit faire en sorte que toutes les dispositions de la LMSI s'appliquent à nos échanges avec ce pays. Ce n'est pas une question d'objectif à long terme, mais comme nous nous soucions de nos difficultés et que nous visons un objectif à long terme, nous risquons de commettre de très graves erreurs à court terme parce que nous ne sommes pas prêts.
Nous avons fait un sondage auprès de nos membres à propos de la comparaison entre notre système et le système américain. La réaction instinctive des gens a été très claire: ceux qui ont fait l'expérience de cette situation estiment qu'il est possible de se faire manipuler par les intérêts politiques, aux dépens des personnes touchées. Le système américain est bien mieux en mesure de causer des torts que le nôtre. La réaction instinctive des gens est qu'à moins que les États-Unis ne soient prêts à céder du terrain et que nous acceptions des règles collectives, nous n'avons d'autre choix que d'être aussi agressifs qu'eux.
Je comprends certains des points de vue exprimés. Nos producteurs ont trouvé la valeur normale très utile. Ce qu'il faut retenir de tout cela, c'est que nous n'avons jamais constaté qu'en tendant l'autre joue, nous avions beaucoup d'influence sur les Américains. Il faut les impressionner beaucoup plus pour pouvoir faire des affaires avec eux. Nous ne devrions pas adoucir notre position simplement pour les inciter à changer. Nous ferions mieux de rendre notre système efficace.
Dans notre mémoire, nous expliquons brièvement pourquoi les droits antidumping ont joué un rôle essentiel à l'égard des produits agricoles. Nous parlons du sucre et du commerce horticole. Comme nous n'avons que peu de temps, je n'entrerai pas dans les détails, mais je voudrais parler de plusieurs aspects précis de notre secteur qui posent certains problèmes.
Le coprésident (M. Duhamel): Par souci d'équité envers les autres témoins qui ont déjà parlé et qui ont limité leur intervention, peut-être pourrions-nous aborder cela quand nous passerons aux questions, à moins que vous puissiez le faire en une ou deux minutes au maximum.
M. Knoerr: D'accord.
Nous sommes un secteur composé de petites unités. C'est un secteur primaire très particulier. Nos producteurs ont beaucoup de difficultés à accéder à ce système. Je pense qu'il faudra en tenir compte et chercher à leur faciliter l'accès.
Deuxièmement, nos produits sont hautement périssables. Notre situation est différente de celle de presque tous les autres secteurs. Si nos produits ne sont pas vendus dans un délai de quatre jours, ils sont perdus. La saison est courte. À l'heure actuelle, les règles du GATT ne permettent pas de rendre une décision préliminaire avant 60 jours, et pour ce qui est de la LMSI, cela prend généralement 90 jours. Dans les cas critiques, par exemple lorsqu'il s'agit de produits périssables, cette décision devrait être rendue au plus tard dans les 60 jours et le Canada devrait faire adopter des règles à l'égard des produits agricoles, dans le cadre de l'OMC, pour permettre une intervention plus rapide en pareil cas.
Troisièmement, en tant que secteur primaire, nos rapports avec les produits transformés ne sont pas les mêmes que dans les autres secteurs. Une bonne partie de nos produits agricoles ne sont commercialisés qu'une fois transformés, qu'il s'agisse de la betterave sucrière commercialisée sous forme de sucre raffiné, de bovins vendus sous forme de carcasses, ou de pois vendus congelés. Nous ne pouvons pas intenter des actions contre des produits transformés, même si un problème de ce côté-là peut nous éliminer du marché. Ce qui se passe à l'égard des produits transformés ne nous permet pas d'intervenir. Vous ne pouvez pas y remédier sans modifier les règles de l'OMC s'appliquant à l'industrie nationale, mais nous pensons que le Canada devrait tenter de l'obtenir, du moins pour l'agriculture, car c'est une situation très particulière.
D'ici là, lorsqu'on examine l'intérêt public dans le cadre de la LMSI, il faut accorder une attention prioritaire aux problèmes en amont alors que le document d'information parle seulement des problèmes en aval. En effet, dans certains secteurs de l'agriculture, si vous perdez le secteur de la transformation, vous êtes éliminé.
Merci.
Le coprésident (M. Duhamel): Merci beaucoup.
Merci à tous. Nous en sommes au moment où les membres du comité vont vouloir vous poser des questions. Plusieurs personnes voudront peut-être y répondre. Encore une fois, je suis désolé d'insister, mais nos réponses doivent être aussi brèves que possible. S'il nous reste du temps, nous pourrons toujours répondre à d'autres questions vers la fin.
Je donne la parole à mon collègue, M. Sauvageau.
[Français]
M. Sauvageau: J'essaierai d'être bref. J'ai écouté attentivement les exposés des représentants des entreprises et je crois comprendre qu'ils ne s'opposent pas vraiment à la loi actuelle et n'y proposent que des modifications mineures ou très mineures. Le statu quo leur semble même relativement satisfaisant, à l'exception peut-être de M. McArthur qui semble souhaiter que la loi comporte moins de contraintes. Pourrais-je lui demander de nous faire parvenir par écrit les modifications qu'il proposerait afin que notre comité puisse peut-être les insérer dans la loi?
Ma deuxième question s'adresse à M. Knoerr et concerne l'accord de libre-échange avec le Chili. Je crois comprendre que les agriculteurs, ou même l'ensemble des producteurs qui font du commerce avec le Chili, éprouvent certains problèmes au niveau des tribunaux ou des instances auprès desquelles ils peuvent porter plainte. Si tel est le cas, est-ce que la même situation se produit dans le cadre de l'accord avec Israël, où des entreprises qui commercent avec Israël pourraient subir un préjudice lorsque certaines gens achèteraient des tissus haut de gamme en Europe sans payer de taxes, entretenant ainsi un commerce quelque peu «déloyal» avec le Canada? Est-ce que les entreprises canadiennes ont un lieu où déposer une plainte?
[Traduction]
Le coprésident (M. Duhamel): Monsieur McArthur, voudriez-vous commencer? Tout le monde pourra répondre.
M. McArthur: Pour ce qui est des précisions que vous demandez au sujet de nos recommandations, nous nous ferons un plaisir de vous satisfaire. Notre mémoire explique un peu plus en détail ce que j'ai dit dans ma déclaration, mais nous pourrions certainement ajouter autre chose.
Par exemple, nous avons dit que quelques changements administratifs avaient été apportés cette année, mais sans spécifier dans notre mémoire en quoi ils consistaient. Nous le ferons avec plaisir, car nous pensons que c'est important, surtout pour nos transactions avec un pays tiers, autrement dit les transactions non visées par l'ALENA. Ce sont des changements très importants pour ces partenaires commerciaux.
Nous pourrions être plus précis. Nous le ferons avec plaisir si cela peut faciliter les délibérations du comité.
Le coprésident (M. Duhamel): Merci. Monsieur Gottlieb.
[Français]
M. Gottlieb: Vous soulevez un très bon point, monsieur Sauvageau. Vous avez reçu de nombreux mémoires dont nous n'avons pas été saisis. Afin de faciliter le travail de votre sous-comité, j'aimerais suggérer que nous y ayons accès. Les renseignements qu'ils renferment ne sont pas confidentiels et il serait utile que nous traitions non seulement des points que nous soulevons dans nos propres mémoires, mais aussi de ceux qu'ont soulevés d'autres individus ou associations.
Cette loi est très importante pour l'industrie canadienne et je crois que vous devriez avoir le plus vaste échange d'idées possible. Pour notre part, nous présenterons sur papier des recommandations précises. La plupart d'elles figurent déjà dans notre mémoire.
M. Sauvageau: Merci. J'aimerais souligner que nous venons tout juste de recevoir les mémoires. C'est la raison pour laquelle je ne les ai pas lus. S'ils traitent déjà de certains points que je soulève ici, je m'en excuse.
Le coprésident (M. Duhamel): On peut continuer, monsieur Sauvageau?
[Traduction]
Y a-t-il d'autres réponses à cette question? Pour vous rafraîchir la mémoire, M. Sauvageau a demandé des précisions au sujet des changements que vous souhaitez. Si ce n'est pas déjà indiqué dans la documentation que vous nous avez envoyée, pourriez- vous apporter ces précisions par écrit afin que nous puissions les examiner? Monsieur Kronick, vouliez-vous...?
M. Kronick: Nous mettons en lumière un domaine dans lequel nous éprouvons de vives inquiétudes sur le plan de l'application, monsieur le président. Voudriez-vous que je...
Le coprésident (M. Duhamel): Très rapidement. Je suppose qu'il y a deux choses. Tout d'abord, vous êtes prêt à nous faire parvenir une déclaration écrite. C'est, je crois, ce qui intéressait surtout M. Sauvageau au sujet de cette question et des autres que vous pourriez soulever. C'est cela?
M. Kronick: Oui.
Le coprésident (M. Duhamel): D'accord, et très brièvement, vous vouliez nous parler de vos préoccupations concernant l'application.
M. Kronick: Nous voudrions que Revenu Canada obtienne des pouvoirs d'application plus vastes dans un domaine qui nous préoccupe particulièrement.
Vous avez pratiquement des milliers de types de tapis différents qui sont importés au Canada. Nous croyons que les exportateurs peuvent contourner les règles en changeant le nom du type de tapis ou ce que nous appelons des produits de fibre de marque ou sans étiquette. Il suffit de faire passer un produit pour un autre pour contourner les règles s'appliquant à la valeur normale. Ce sont des questions complexes et nous comprenons que cela pose des problèmes à Revenu Canada, mais nous aimerions un resserrement dans ce domaine.
Le coprésident (M. Duhamel): C'est sans doute une question qui touche également d'autres secteurs et nous allons sans doute en entendre davantage sur ce sujet.
Monsieur Wilkinson ou monsieur Knoerr, vouliez-vous répondre à cela?
M. Knoerr: Je vais clairement souligner ce que j'ai dit: de toute évidence, le Canada a conclu deux accords de libre-échange, l'accord avec Israël et l'ALENA, qui ne contiennent, ni l'un ni l'autre, de disposition concernant les droits antidumping ou compensateurs, si bien que les règles de l'OMC s'appliquent.
Je ne peux pas vous dire ce qui se passe actuellement dans le cadre des négociations avec le Chili. Néanmoins, étant donné la position du Canada, si le Chili est d'accord, les parties pourraient sans doute s'entendre pour éliminer les droits antidumping entre le Canada et le Chili. Si c'est le cas, un producteur canadien lésé par le dumping de produits chiliens - espérons que cela n'arrivera jamais - ou des prix abusifs, n'aura pas de recours commercial. La seule solution pour lui sera de demander au gouvernement de prier les autorités chiliennes responsables de la loi sur la concurrence de prendre des mesures contre l'exportateur en question. Je me trompe peut-être, mais je ne vois pas comment cela pourrait marcher.
D'autre part, les États-Unis risqueraient de prendre des mesures commerciales contre les exportations chiliennes aux États- Unis, comme cela s'est déjà produit dans le domaine de l'agriculture, et ces produits risqueraient d'être détournés vers le Canada. Par conséquent, même si l'accroissement du commerce donne de bons résultats, ce genre de détournement cause des désastres.
Le coprésident (M. Duhamel): Merci.
Seriez-vous prêt à nous faire parvenir une documentation écrite à ce sujet?
M. Knoerr: Oui.
Le coprésident (M. Duhamel): Merci.
Monsieur MacDonald.
M. MacDonald (Dartmouth): Merci beaucoup, monsieur le président.
Comme tous nos participants le savent, c'est un domaine du droit qui revêt énormément d'importance pour le bon fonctionnement de l'économie et des divers secteurs, surtout dans le contexte de la libéralisation du commerce. Nous entendons des opinions diverses quant à l'utilité de nos mesures et les priorités qui devraient être celles de notre gouvernement.
J'ai entendu deux opinions différentes ici, aujourd'hui, l'une exprimée par M. McArthur et l'autre par M. Wilkinson et M. Knoerr. Je m'étonne que nous n'en ayons pas discuté un peu plus.
D'une part, l'un de nos témoins nous dit - et c'est la position du gouvernement - que dans un contexte de libre-échange comme l'ALENA, il n'est pas logique d'avoir des droits antidumping et que l'idéal serait de viser leur élimination et l'harmonisation des lois sur la concurrence entre les pays de la zone de libre- échange. Mais pour ce qui est de la Fédération canadienne de l'agriculture, elle a laissé clairement entendre que ces mesures étaient nécessaires pour protéger certains secteurs, et elle a mentionné l'industrie agricole.
Je vais vous citer un exemple. La situation dure depuis deux mois et certains d'entre nous vont devoir l'examiner compte tenu de ses répercussions sur nos circonscriptions. Un conflit oppose actuellement les industries sucrières canadienne et américaine. Nous avons ce qu'on appelle un caucus du sucre - et je pense que tout le monde ici sait de quoi je parle. Les mesures prises par le gouvernement canadien ont été contestées en vertu de l'ALENA. Nous avons eu gain de cause. Néanmoins, la décision de l'ALENA demandait un supplément d'information à Revenu Canada et au gouvernement canadien sur la façon dont nous déterminons la valeur.
Tout cela a été fait et je pensais que la plupart des gens en seraient satisfaits. Néanmoins, et ce n'est peut-être pas étonnant, plusieurs de mes collègues et moi-même avons reçu des lettres d'industries de nos circonscriptions. J'ai dans la mienne une usine des chocolats Moirs qui fabrique un produit pour le marché canadien et américain. On nous dit que, même si nous avons eu gain de cause en vertu de l'ALENA, du fait que nous n'avons pas pu régler ces différends, sans recourir à ce genre de mesure, l'existence de plus d'un millier d'emplois se trouve menacée.
Je voudrais savoir ce que les représentants du secteur agricole et les représentants des importateurs pensent de cette affaire. D'une part, les fabricants de sucre raffiné du Canada semblent satisfaits de la décision de la commission de l'ALENA concernant les mesures prises par le gouvernement canadien pour protéger leur secteur. Mais à cause de cette victoire, l'autre facette de l'industrie, celle qui fabrique des produits, nous dit qu'elle risque d'avoir à déménager une partie de sa production aux États-Unis.
M. McArthur: Vous avez soulevé une question essentielle. Nous devons constamment l'examiner avec nos membres, car nous avons des importateurs qui se contentent d'importer et d'autres qui se servent du produit qu'ils importent comme matière première. C'est là un des gros problèmes que nous avons. Il s'agit donc de voir quelle est la solution qui présente le plus d'avantages. Vaut-il mieux protéger notre industrie nationale contre les pays qui produisent à bas prix ou vaut-il mieux que nos fabricants aient des intrants à faible prix pour pouvoir être plus concurrentiels sur le marché mondial et produire également des marchandises à bas prix pour les consommateurs canadiens? Je ne sais pas quelle est la solution, mais je crois que nos membres préféreraient la dernière. Autrement dit, il vaut mieux donner la préférence au secteur de la fabrication, car c'est ce qui présente le plus d'avantages pour notre pays.
M. MacDonald: Mais ne pensez-vous pas qu'avant de prendre des mesures à l'égard des importations à bas prix qui entrent au Canada, le gouvernement canadien devrait examiner où se situent les répercussions positives ou négatives les plus importantes? Pensez- vous que telle devrait être la priorité?
M. McArthur: Je crois que ce serait prudent, en effet. Il y a également toute la question des prix abusifs qui se pose si l'on recourt à la Loi sur la concurrence. Il faudrait déterminer si les bas prix visent à éliminer la concurrence. Leur but est-il d'éliminer la concurrence nationale? Les bas prix ne visent-ils pas simplement à vendre?
M. Knoerr: Monsieur le président, si le comité veut comprendre ce à quoi nous faisons allusion quand nous parlons des réalités actuelles, ce monsieur a choisi le bon produit.
Jusqu'en 1988, les États-Unis imposaient des restrictions qui s'appliquaient au Canada en ce qui concerne l'importation de sucre. Nous avions très peu accès à leur marché du sucre raffiné. Ils n'ont pas abandonné ce droit; de toute évidence, ils l'ont toujours. Mais ils ont supprimé les restrictions après la mise en place de l'accord de libre-échange.
Nous avons augmenté le commerce bilatéral du sucre raffiné entre le Canada et les États-Unis. Ces derniers ont toutefois un marché protégé et non pas libre. Ils ont des tarifs douaniers très élevés, des restrictions sur les importations et un prix intérieur également très élevé, mais ils ont un programme de drawback des droits pour leurs exportations de sucre. Le secteur agricole s'est opposé à ce que ce soit élargi, mais pour une raison ou une autre, nos négociateurs ont inclus, dans l'ALENA, une exemption pour l'élimination du drawback des droits, si bien que cette disposition est là en permanence.
Il y a eu une croissance des importations et des exportations de sucre, mais les importations ont augmenté beaucoup plus rapidement. En 1995, les États-Unis ont de nouveau imposé des restrictions pour les exportations de sucre canadien. Avec le dumping de sucre américain et l'arrivée au Canada de sucre de la CEE bénéficiant d'une subvention à l'exportation, nos producteurs de betterave sucrière, dont le principal marché est le marché intérieur, se sont trouvés délogés. Ils se sont rabattus sur les exportations vers les États-Unis. En l'absence de mesures antidumping, nos producteurs primaires se seraient fait éliminer de façon permanente par des prix abusifs. En effet, une fois ces usines disparues, elles ne sont jamais rouvertes.
Nous parlons de la production de produits à valeur ajoutée, c'est-à-dire de la transformation d'une matière première. Si l'industrie canadienne de la betterave sucrière s'était trouvée balayée, le sucre canadien aurait été remplacé par du sucre importé, si bien qu'au lieu d'avoir une valeur ajoutée on aurait eu l'inverse. Une fois que notre secteur des raffineries aurait perdu du terrain, que serait-il advenu du prix du sucre importé? Le dumping aurait cessé et le prix aurait commencé à augmenter.
Quand la situation est équitable et qu'il y a une saine concurrence, nous savons quelles sont les règles du jeu et comment s'applique la politique de concurrence et nous pouvons agir en conséquence. Mais dans le contexte actuel, si nous n'avions pas eu la Loi sur les mesures spéciales d'importation à notre disposition, certains des meilleurs producteurs de betterave sucrière au monde - qui ne bénéficient pas comme les autres d'une protection à la frontière - se seraient trouvés éliminés par les pratiques abusives et déloyales auxquelles se livrent les États-Unis pendant qu'ils continuent de protéger entièrement leur marché intérieur.
Telle est la réalité actuelle.
Le coprésident (M. Duhamel): Merci.
Quelqu'un a-t-il quelque chose à ajouter pour répondre à la question de M. MacDonald? Allez-y, monsieur Kronick.
M. Kronick: Merci, monsieur le président.
Pour ce qui est des importations et des industries en aval, en ce qui nous concerne, le tapis importé n'est pas retransformé. Nous n'avons évidemment pas de problème à cet égard. Toutefois, si nous n'avions pas eu la protection de la LMSI en 1991, les 3 000 à 5 000 emplois qui existent actuellement dans le secteur de la fabrication de tapis auraient peut-être disparu. Je tenais seulement à le souligner.
Le coprésident (M. Duhamel): Monsieur Gottlieb.
M. Gottlieb: Monsieur MacDonald, je crois qu'il serait utile de signaler une ou deux choses. Premièrement, pour ce qui est de la Loi sur la concurrence, elle est inefficace à l'égard des prix abusifs. Cette loi ne permettrait pas de déterminer qu'il y a eu préjudice. À ma connaissance, on n'a jamais conclu à des prix abusifs dans des cas de dumping - je ne parle pas en tant qu'avocat commercial pour qui les causes de dumping sont un gagne- pain étant donné que nous nous occupons des cas de concurrence. Ce serait pratiquement impossible, et je ne pense pas qu'il y ait jamais eu au Canada de condamnation prononcée en vertu de la Loi sur la concurrence pour des prix abusifs. Nous avons besoin de la protection des mesures antidumping et compensatoires.
La question que vous avez soulevée au sujet du conflit entre les producteurs de matières premières ou de produits semi- manufacturés ou produits finis pose un problème terrible. Il est très difficile à résoudre et c'est pourquoi nous en avons longuement parlé dans notre mémoire. À notre avis, la loi devrait tenir davantage compte de l'intérêt public que ce n'est le cas actuellement.
Je sais que Moirs était l'un des fabricants qui utilisaient du sucre américain. Comprenez également qu'à l'heure actuelle, lorsque du sucre américain est importé au Canada, il peut être assujetti à des droits antidumping, mais que lorsque le chocolat ou autre produit est réexporté aux États-Unis, ces droits sont remboursés. Même si le tribunal a conclu qu'il y avait préjudice, cela n'empêche pas entièrement d'importer du sucre des États-Unis et les restrictions ne s'appliquent qu'aux produits destinés à être vendus au Canada.
Le coprésident (M. Duhamel): Monsieur MacDonald, cela vous satisfait-il pour le moment ou voulez-vous ajouter quelque chose avant que je ne cède la parole à M. Speller?
M. MacDonald: Non, ça va. J'ai seulement soulevé la question pour montrer qu'à part pour les experts ou les premiers intéressés, ce sont là des questions extrêmement complexes. Et les positions pour et contre sont parfaitement défendables dans chaque cas particulier. J'ai seulement voulu favoriser la discussion, monsieur le président.
Le coprésident (M. Duhamel): J'apprécie votre question. Elle met certainement en lumière la complexité du problème.
Monsieur Speller, c'est votre tour.
M. Speller (Haldimand - Norfolk): Voilà pourquoi je déteste passer derrièreM. MacDonald. Il pose généralement les questions que j'allais poser. Mais je voudrais égalementme lancer dans une discussion.
M. Gottlieb et M. Knoerr ont tous les deux parlé de l'intérêt public et du fait que le public devait avoir son mot à dire à l'égard de ces décisions. Comment définissez-vous, tous les deux, l'intérêt public et comment devrait-il se refléter dans la politique gouvernementale?
Le coprésident (M. Duhamel): Je pense que tout le monde voudra donner sa définition de l'intérêt public. Je vais faire le tour de la table et vous donner l'occasion de répondre.
Monsieur Knoerr.
M. Knoerr: Je parlerai peut-être pour ma chapelle, mais j'aurais deux choses à dire. Ma première observation me paraît assez pertinente. Elle concerne une étude réalisée par l'ancienne Commission du tarif, qui a précédé le TCCE, avant que les tarifs saisonniers ne soient négociés pour les produits horticoles canadiens. Quand la commission a enquêté, elle a constaté que, lorsque des produits canadiens étaient disponibles, les importations se vendaient à un prix plus bas que lorsqu'il n'y avait pas de produits canadiens sur le marché.
Si vous voulez obtenir le maximum d'avantages économiques dans le secteur de l'alimentation, il faut un processus sain du début à la fin. Le producteur de produits primaires n'est pas seulement là pour fournir des intrants à bon marché au secteur de la transformation, car cela ne lui permettra pas de survivre et c'est un avantage que nous perdrons. Il ne faut pas oublier que les avantages à court terme tirés des produits à bon marché peuvent éliminer la sécurité et la compétitivité de l'approvisionnement intérieur, ce qui risque de se traduire, à long terme, par des prix plus élevés pour le consommateur.
Dans le secteur alimentaire canadien, l'intérêt public consiste en partie à bénéficier d'un approvisionnement intérieur stable et à un prix raisonnable - même si nous avons accès à des produits alimentaires du monde entier - et à profiter au maximum de l'ensemble du secteur agro-alimentaire. Pour y parvenir, vous ne pouvez pas ne tenir aucun compte des autres secteurs, mais vous ne pouvez pas non plus vous préoccuper du secteur de la transformation au détriment du secteur primaire. Ce dernier est le point de départ de tout le processus et c'est donc important.
Le coprésident (M. Duhamel): Merci, monsieur McArthur.
Vous n'êtes pas obligé de répondre à la question. Je veux que vous sachiez que je plaisantais.
M. McArthur: Je voudrais répondre.
J'ai répondu à la question de M. MacDonald en disant qu'il fallait servir l'intérêt le plus large, mais ce n'était sans doute pas une bonne façon de répondre. Il y a certainement un intérêt public, ce que M. Gottlieb a expliqué plus en détail.
C'est une question d'équilibre. Comment déterminer s'il vaut mieux protéger une industrie primaire ou l'industrie secondaire ou en aval? Je ne sais pas comment faire.
En préparant notre mémoire, une chose nous a sauté aux yeux. Lorsqu'on détermine qu'un produit a été sous-évalué et qu'un dommage a été causé, la marge de dumping ou le droit antidumping devrait seulement suffire à dédommager l'industrie et non pas être punitif ou arbitraire ou d'un montant si élevé que cela empêcherait l'importation d'une marchandise donnée. C'est une question dont nous parlons dans notre mémoire. Une fois la décision finale rendue, le droit imposé devrait seulement servir à réparer le dommage.
Le coprésident (M. Duhamel): Merci. Monsieur Gottlieb.
M. Gottlieb: Je ne répéterai pas ce que l'on vient de dire, mais j'ajouterai une ou deux précisions.
La LMSI a pour but de protéger les producteurs canadiens qui sont lésés par le dumping ou le subventionnement. Nous n'avons aucun doute là-dessus. De toute évidence, l'intérêt public n'est pas défini. Autrement, la vie serait merveilleuse et nous n'aurions pas besoin d'avocats.
En fait, quand le tribunal tient une audience pour déterminer si l'intérêt public se trouve lésé, il cherche à établir un juste équilibre entre la nécessité de protéger l'industrie canadienne et celle de protéger les intérêts des utilisateurs, que ce soit les utilisateurs d'intrants ou les consommateurs. Il s'agit de ménager les deux, cas par cas, au nom de l'intérêt public.
Nous estimons qu'il faut élargir la loi afin que le tribunal puisse n'imposer que les droits antidumping minimums comme Don l'a suggéré. Nous faisons une autre proposition à cet égard. Depuis 1984 il n'y a eu, je pense, qu'un cas dans lequel le tribunal a recommandé la réduction des droits antidumping ou compensateurs. C'était dans le cas de maïs importé des États-Unis et à la demande du Canadian Industrial Corn Users Group.
En vertu de la loi actuelle, le tribunal se contente de faire une recommandation. C'est ensuite au ministre de décider s'il y a lieu de l'appliquer ou non. Un processus politique intervient. Il est arrivé que le ministre refuse. Nous suggérons que ce ne soit plus une décision politique. Le tribunal devrait être le seul protecteur de l'intérêt public. Vous pourriez également discuter de cette question. Mais quand on lit les règles du GATT, on n'y trouve pas de disposition prévoyant un contrôle politique.
Le coprésident (M. Duhamel): Merci. Monsieur Kronick.
M. Kronick: Merci, monsieur le président.
Je peux seulement parler de l'intérêt public tel que nous le concevons dans notre cas particulier. Comme je l'ai dit, et comme nous l'avons fait valoir dans notre mémoire, nous croyons que les mesures antidumping qui s'appliquent aux tapis tuftés à la machine continuent à très bien servir le public ou le consommateur. Je vais vous expliquer pourquoi.
Le consommateur continue d'avoir accès à une très vaste gamme de tapis importés. Il peut continuer d'acheter du tapis à un prix très raisonnable. Nous irions même jusqu'à dire que l'intérêt public ne confère à personne, au Canada, le droit d'acheter du tapis à des exportateurs américains à des prix inférieurs à ceux auxquels les fabricants les vendraient dans leur propre pays. C'est ce qui définit le système antidumping et c'est sa raison d'être.
Comme nous le disons dans notre mémoire, de quel droit pourrait-on exiger un sacrifice de la part des producteurs canadiens dans l'espoir d'obtenir des fabricants étrangers des prix plus bas que ceux qu'ils exigent dans leur propre pays?
Le coprésident (M. Duhamel): Merci.
Je voudrais revenir sur une question avant de céder la parole à notre collègue, M. Dupuy.
Apparemment, il y a là un dénominateur commun, mais si j'ai bien compris, la définition de l'intérêt public ou du bien public peut varier d'un secteur à l'autre. C'est peut-être un concept assez flou. Si l'on conçoit la chose comme un bloc, la moitié fait peut-être l'objet d'une interprétation commune, tandis que l'autre peut donner lieu à des variations. Je n'ai peut-être pas compris clairement? Peut-être pourriez-vous y réfléchir et me répondre plus tard.
Je veux laisser à M. Speller la chance de terminer ce qu'il avait à dire.
M. Speller: Monsieur le président, comme c'est la saison du baseball, cette question visait seulement à prendre position.
Pour ce qui est de ma vraie question, monsieur Gottlieb et monsieur McArthur, vous avez dit tout à l'heure qu'il était difficile, pour un gouvernement, de mettre une série d'emplois dans le premier plateau de la balance et une autre dans le deuxième. Monsieur Gottlieb, dans votre cinquième point, vous dites que les utilisateurs d'intrants représentent beaucoup plus d'emplois que les producteurs d'intrants.
Pensez-vous qu'il est dans l'intérêt public - vous dites par exemple, au paragraphe 1, que les représailles contre les États- Unis ne donnent pas grand-chose étant donné la petitesse du Canada - de ne prendre aucune mesure de représailles contre les Américains parce qu'ils sont très puissants? Quelles en seraient les conséquences pour une petite entreprise qui voudrait avoir accès aux États-Unis?
Je m'étonne qu'il soit dans l'intérêt public de ne pas prendre de mesures de représailles contre un gouvernement étranger qui empêche nos intrants d'entrer dans son pays. Je m'étonne également que vous demandiez au gouvernement de comparer le nombre d'emplois en jeu pour déterminer où se situe l'intérêt public.
M. Gottlieb: Monsieur Speller, je me suis entraîné au bâton...
M. Speller: J'aurais une dernière question à poser à M. McArthur pendant que j'y suis. Je m'étonne qu'il soit dans l'intérêt public d'appliquer les droits antidumping uniquement aux achats futurs. Cela ne permettrait-il pas à des intérêts étrangers possédant des stocks d'acier de les vendre au Canada en dessous de leur valeur, de faire une bonne affaire, et de s'en tirer impunément? Je ne vois pas en quoi ce serait dans l'intérêt public. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Gottlieb: Dans le contexte des mesures antidumping dont il est question ici, les représailles auxquelles nous faisons allusion consisteraient à resserrer la loi. Nous ne pensons pas que ce serait efficace étant donné que toutes les marchandises en provenance de tous les pays seraient assujetties à cette loi plus stricte.
Deuxièmement, nous avons constaté que les producteurs canadiens s'abstiennent souvent de s'attaquer aux exportations américaines, même lorsqu'elles font l'objet d'un dumping et qu'elles leur causent un préjudice, parce qu'ils ont peur de représailles. Les expériences de ce genre ne manquent pas. Même une loi plus stricte ne donnera pas de résultats, d'après ce que j'ai constaté.
Nous ne pensons certainement pas que les Canadiens devraient rester les bras croisés. En dehors des droits antidumping, je crois certainement aux représailles lorsque les États-Unis nous causent un préjudice en limitant nos exportations.
Le Canada devrait protéger beaucoup plus énergiquement les exportateurs canadiens aux États-Unis et il devrait porter plainte contre les États-Unis devant l'OMC beaucoup plus souvent qu'il ne l'a fait jusqu'à présent.
Voilà pour la question des représailles. J'ai oublié la deuxième partie.
Le coprésident (M. Duhamel): Les emplois pour déterminer l'intérêt ou le bien public.
M. Gottlieb: C'est déjà dans la loi et c'est déjà ce qui est fait en pratique. Du point de vue pratique, vous ne pouvez pas considérer la loi isolément. Ce sont les emplois et les revenus qui comptent. Je suis pour une façon moins litigieuse et plus raisonnable d'aborder toute la question des différends commerciaux et la recherche d'un terrain d'entente. Je ne parle pas de la collusion en matière de prix. Il y a une disposition à l'égard des engagements, mais j'ai l'impression que le mécanisme de règlement des différends... les conflits entre les importateurs, les exportateurs et les producteurs enrichissent les avocats et les consultants et ne règlent peut-être pas toujours les problèmes qui préoccupent les gens comme vous et les hommes d'affaires. La plupart d'entre eux préféreraient éviter entièrement le mécanisme antidumping. Ils ont demandé, à bien des reprises, si nous ne pourrions pas procéder de façon différente.
Le coprésident (M. Duhamel): Enfin, avant de passer à M. Dupuy, qui a attendu patiemment, la question comportait un troisième élément. On a cité l'exemple d'intérêts étrangers qui vendraient tout un stock d'acier en dessous de sa valeur et qui se sauveraient avec les bénéfices, surtout si une clause indique qu'on ne peut pas les poursuivre, sauf pour les ventes futures. Autrement dit, le mal est déjà fait et ils sont partis. Que se passe-t-il ensuite? Que répondez-vous à cela, monsieur?
M. Gottlieb: Quiconque cause un préjudice important en faisant du dumping ou en bénéficiant d'une subvention illégale devrait en subir les conséquences passées, présentes ou futures. Personnellement, je ne limiterais pas la détermination aux importations futures.
Le coprésident (M. Duhamel): Je vois. Merci.
Monsieur McArthur.
M. McArthur: C'est ce que je voulais dire. Je pensais à des circonstances précises. Si les droits antidumping sont appliqués au cours de l'étape préliminaire ou au début du processus, cela crée beaucoup d'incertitude dans le milieu des affaires. Je pensais à l'importateur de chaussures qui a conclu un contrat avec un grand magasin et qui s'est engagé à fournir des marchandises plusieurs mois à l'avance. Le prix du magasin est fixé à cause du catalogue et, pendant ce temps, le magasin ne sait pas si le prix indiqué au départ est celui qu'il devra payer et s'il va pouvoir vendre la marchandise avec une marge bénéficiaire normale ou à perte. D'autre part, si vous pouvez augmenter le prix, ce sera injuste pour le consommateur, mais je songe surtout au cas où le vendeur n'a aucun recours parce qu'il a conclu une entente avec l'acheteur.
Le coprésident (M. Duhamel): Je voudrais maintenant passer à mon collègue, M. Dupuy, qui a attendu très patiemment.
Le coprésident (M. Dupuy): J'ai également écouté.
Je suppose que je devrais adresser ma question à M. Gottlieb étant donné que certaines de ses observations y répondaient d'avance.
À l'heure actuelle, notre loi ne prévoit pas de droit minimum. Iriez-vous jusqu'à suggérer que ce concept soit inscrit dans la loi? Ce serait certainement très important. Cela reconnaîtrait que les droits antidumping doivent viser non pas nécessairement à combler la marge de dumping, mais à réparer le dommage causé. C'est, bien entendu, une façon différente de tenir compte à la fois des intérêts des utilisateurs et des producteurs. Je crois que ce genre de disposition figure dans la loi de certains autres pays. Quelle est votre position?
M. Gottlieb: D'après ce que nous avons compris, le droit minimum s'appliquerait dans la situation suivante. Disons que la marge de dumping est de 100 p. 100, mais que le produit du producteur canadien ne coûte que 30 p. 100 de plus. La marge de dumping serait alors réduite à35 p. 100 ou à un chiffre qui protégerait quand même le producteur canadien, mais sans exagérer la pénalité. La raison à cela est que... Disons que le sucre américain soit exclu du marché. Le sucre européen, jamaïcain ou d'une autre provenance pourrait venir le remplacer.
Le droit minimum vise également à éviter une situation où l'utilisateur se trouverait à la merci de producteurs canadiens qui voudraient profiter de cette marge de 100 p. 100 pour gonfler le prix énormément, même si une marge raisonnable de 35 ou 40 p. 100 leur offrirait une protection suffisante et un rendement raisonnable sur leur investissement.
Le coprésident (M. Dupuy): Je comprends comment le système fonctionne et pourquoi il est possible d'appliquer le droit minimum. Selon la loi actuelle, c'est plutôt l'exception. C'est au ministre qu'il revient de décider. Je crois que le tribunal s'est rarement prévalu de ses pouvoirs pour appliquer un droit minimum. Serait-il utile d'inclure ce concept dans la version révisée de la loi ou dans les amendements?
M. Gottlieb: Nous suggérons que le tribunal étudie, dans chaque cas, si un droit minimum protégerait la production canadienne sans pénaliser les utilisateurs.
Le coprésident (M. Duhamel): Pour être sûr d'avoir bien compris, vous convenez donc qu'il serait prudent d'inclure cette disposition dans la loi actuelle ou la nouvelle loi, s'il y en a une.
Avez-vous des observations supplémentaires à faire sur ce même sujet avant que je ne donne la parole à M. Sauvageau? Je permettrais également à d'autres collègues comme M. Campbell etM. Graham de poser des questions après mon collègue à ma gauche.
Mon collègue à ma gauche, M. Sauvageau.
[Français]
M. Sauvageau: Monsieur Kronick, j'ai cru comprendre que votre entreprise vivait de nombreuses difficultés lorsqu'elle présentait une demande devant un tribunal, qu'elle devait toujours faire mention du type de carpette ou de tapis et qu'on pouvait en changer le nom sans changer le produit. Vous devez ainsi remplir un formulaire par produit ou presque. Dans les suggestions que vous formulerez, serait-il possible que en vous proposiez une à cette problématique à laquelle les entreprises, tant dans votre secteur d'activité que dans d'autres, doivent faire face?
Ma deuxième question s'adresse à M. McArthur. Vous suggériez que les compagnies ne reçoivent aucun droit avant la décision finale du tribunal. Si plusieurs mois s'écoulaient avant que la décision ne soit rendue, ces compagnies se retrouveraient dans un vide économique et juridique. Doit-on présentement attendre à la fin du processus avant de se voir reconnaître certains droits ou est-ce une modification majeure que vous désirez apporter? Pourriez-vous expliciter un peu plus cet aspect?
M. David Arditi (président, Corporation des tapis Peerless, Institut canadien du tapis): Je m'appelle David Arditi et je suis le président de la Corporation des tapis Peerless. Je répondrai à la question que vous adressiez à M. Kronick. Le problème auquel fait face l'industrie ne tient pas au fait que nous devons remplir une formule pour chacun des produits, mais plutôt à la grande variété de produits.
Par exemple, un exportateur américain peut avoir une valeur normale pour un produit de 30 onces qu'il dit fabriqué avec un nylon portant la marque Dupont plutôt qu'avec un nylon ne portant aucune marque spécifique. Mais il vendra du nylon; il vendra le même produit fabriqué avec du nylon qui est plus cher, mais avec une valeur normale établie sur le produit fabriqué avec un nylon moins cher. C'est là le problème qu'on rencontre.
M. Sauvageau: D'accord.
M. Arditi: Puisque les produits sont tellement semblables, il est presque impossible pour Revenu Canada de voir la différence quand le tapis arrive.
M. Sauvageau: Y a-t-il des solutions pour régler cette problématique qui peut aussi exister dans d'autres secteurs d'activité, dont celui du tissu? Comment pourrions-nous modifier la loi?
M. Arditi: Je pense que la seule solution serait de tester de temps à autre chacun des produits qui entrent pour nous assurer que le produit importé au Canada est exactement tel que décrit sur la facture.
M. Sauvageau: D'accord. Et c'est faisable?
M. Arditi: Oui, c'est faisable.
M. Sauvageau: Très bien. Je vous remercie.
[Traduction]
M. Kronick: Excusez-moi, mais pourrions-nous y réfléchir et donner une réponse au sous-comité par écrit?
Le coprésident (M. Duhamel): Certainement.
Avez-vous d'autres commentaires...?
M. McArthur: Quand j'ai dit que les droits antidumping devraient s'appliquer aux achats futurs, j'essayais de trouver un moyen d'éviter la situation dans laquelle se retrouverait une entreprise qui a conclu un contrat avant le début de l'action en dumping, avant la mise en branle de la LMSI, afin que ces droits ne s'appliquent pas aux marchandises visées par ce contrat, surtout celles qui ont été vendues à un prix fixe. Ce prix a été fixé avant que les droits provisoires ne soient appliqués. J'essaie d'évite ce genre de situation, car dans les circonstances, un importateur serait plongé dans l'incertitude. En pareil cas, si le dumping est important, les droits seraient plus élevés que sa marge bénéficiaire normale.
[Français]
Le coprésident (M. Duhamel): Ça va, monsieur Sauvageau?
[Traduction]
Avez-vous quelque chose à ajouter à ce sujet? Très bien.
Voyons maintenant si mes collègues, M. Campbell ou M. Graham ont des questions à poser.
Voulez-vous la parole, monsieur Graham?
M. Graham (Rosedale): Excusez-moi, monsieur le président. Je n'étais pas là quand les témoins ont fait leur exposé. J'ai toutefois jeté un coup d'oeil rapide sur le mémoire concernant l'agriculture.
J'ai constaté que selon vous, le projet d'accord de libre- échange entre le Canada et le Chili sera totalement exempt de droits antidumping. Est-ce bien cela?
Le coprésident (M. Duhamel): Il n'y a pas de mécanisme de représailles en cas de dumping. Je crois que c'est ce qui a été dit. Peut-être...
M. Graham: Qui a proposé cela?
M. Knoerr: Non, ce n'est pas ce que propose la Fédération canadienne de l'agriculture. J'ai dit qu'étant donné la politique de notre gouvernement, on pouvait raisonnablement s'attendre à ce qu'il essaie de négocier, avec le Chili, une disposition qui éliminera les droits antidumping entre le Canada et le Chili.
À notre avis, ce ne serait pas prudent à l'heure actuelle et il ne faudrait pas que cela se produise. Cela pourrait poser de sérieux problèmes.
M. Graham: Mais vous ne nous dites pas que c'est ce qu'on cherche à négocier. Il s'agit seulement d'une préoccupation de votre part.
M. Knoerr: Oui, je n'ai aucun moyen de le savoir.
Le coprésident (M. Duhamel): Vous avez certainement entendu des rumeurs. Vous n'êtes pas venu ici aujourd'hui en vous disant que vous alliez inquiéter certaines personnes; dire ce genre de choses pour voir si vous pouviez retenir leur attention.
M. Knoerr: Non, mais j'ai lu votre document d'information. Si vous parlez aux gens qui travaillent dans le secteur du commerce international, le Canada a certainement pour objectif d'éliminer les recours commerciaux. On parle maintenant de droits antidumping, car on a abandonné ces recours - ce qui rend la situation plus asymétrique - dans les zones de libre-échange. Il n'est évidemment pas possible de le faire dans le cas des États-Unis. Les États-Unis ne seront pas d'accord. Ils négocient actuellement un traité distinct avec le Chili. Nous avons fait connaître nos opinions. Nous n'avons pas obtenu la garantie que ce n'était pas négocié. C'est tout ce que je peux vous dire.
Si j'attends que quelqu'un avec qui nous avons négocié fasse une déclaration publique, nous nous trouverons dans la fâcheuse situation d'avoir à nous opposer à tout un traité au lieu d'avoir fait en sorte que ces dispositions n'y figurent pas.
Vous nous offrez une tribune utile au moment où nous négocions ces questions. Il y a là un rapport direct étant donné que la LMSI ne s'appliquera pas au Chili si nous ne pouvons pas prendre ces mesures. Cela me paraît directement en rapport avec la question. Cela se rapporte à la question fondamentale soulevée dans le document d'information quant à savoir s'il est souhaitable de supprimer les mesures antidumping dans un contexte de libre- échange. Nous disons très clairement que ce sera peut-être utile un jour, mais qu'il serait risqué et même très dangereux de le faire maintenant.
Le coprésident (M. Duhamel): Avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Graham: Je n'ai rien à ajouter. Je voulais soulever une autre question, à moins que quelqu'un ne veuille faire des commentaires sur celle-là.
Le coprésident (M. Duhamel): Très bien.
M. Donald J. Goodwin (président, Tracon Consultants Ltd.): Monsieur le président, les journaux ont parlé de cette absence de droits antidumping ou d'un pacte de non-dumping avec le Chili. Il est possible que le Canada s'oriente dans cette voie et essaie de convaincre les États-Unis que c'est effectivement possible; nous pouvons avoir un pacte de non-dumping, même dans le cadre de l'ALENA. Les craintes de M. Knoerr me paraissent donc justifiées.
Le coprésident (M. Duhamel): Merci. Monsieur Graham.
M. Graham: Je m'abstiendrai de parler de la véracité de ce qu'on peut lire dans les journaux. Je le dis en passant.
Je m'excuse encore une fois de n'avoir pas été là quand M. McArthur a fait son exposé. Bien entendu, nous tenons tous à établir un juste équilibre entre les intérêts des consommateurs de produits importés et la nécessité de protéger nos producteurs contre les pratiques commerciales déloyales de leurs concurrents étrangers. Dans quelle mesure votre association représente-t-elle les fabricants canadiens qui utilisent des matières premières pour la fabrication et qui les réexportent sous la forme de produits finis? Les droits antidumping risquent de compromettre notre compétitivité sur les marchés d'exportation.
Comme vous le savez sans doute, cela pose un sérieux problème en Europe. Voilà pourquoi les pays européens ont éliminé les droits antidumping entre eux. Lorsque vous avez un marché intégré, la situation devient extrêmement complexe étant donné que rien n'est entièrement fabriqué au même endroit. Le prix d'un produit fini dépend donc énormément des intrants, dont certains sont importés et d'autres exportés.
Je me demande dans quelle mesure votre association a examiné cet aspect de la situation, et si vous en avez parlé dans votre exposé au comité.
M. McArthur: Nous nous sommes effectivement penchés assez longuement sur la question. La plupart de nos membres, qui sont des fabricants et qui représentent à peu près le tiers de notre association, importent des intrants pour la transformation. S'ils ne le font pas, ce sont des multinationales qui font fabriquer certains produits au Canada et qui importent des produits finis pour compléter leur production au Canada. Les produits fabriqués au Canada sont ensuite exportés.
Cela devient pour nous un problème fondamental. Dans l'ensemble, compte tenu de la composition de notre association, nos opinions sont celles des transformateurs - pas nécessairement ceux du secteur primaire, mais ceux qui fabriquent les marchandises, les producteurs en aval. C'est le secteur de la transformation secondaire qui emploie un grand nombre de Canadiens.
M. Graham: Dans ce cas, pouvez-vous nous donner une idée générale de ce que vos membres pensent des droits antidumping? Sont-ils pour le régime actuel? Voudraient-ils qu'il soit renforcé? Préféreraient-ils qu'il soit éliminé? Où se situent-ils par rapport au juste équilibre auquel nous essayons de parvenir?
M. McArthur: Cela dépend. S'ils font du commerce avec les États-Unis... Comme vous le savez, environ 80 p. 100 de notre commerce international total se fait avec les États-Unis. Nos membres se demandent sérieusement si la LMSI est le processus qui convient pour régler les différends entre les partenaires commerciaux de l'ALENA. Nous avons eu, tout à l'heure, une assez longue discussion à ce sujet, comme vous le verrez dans les procès- verbaux. C'est une question qui nous préoccupe donc beaucoup et qui a été mentionnée par plusieurs personnes.
Si nous examinons le processus de la LMSI, surtout en ce qui concerne des transactions avec des pays tiers, je dirais que nous sommes pour le processus canadien. Nous n'aimons pas du tout le processus américain, comme nous le disons dans notre mémoire.
Nous voyons des avantages à la LMSI, au système canadien, pour les transactions avec des pays tiers. Nous avons fait six ou sept recommandations qui contribueraient, selon nous, à améliorer le système et à abaisser les coûts pour tous les intéressés. Également, nos fabricants bénéficieraient des prix les plus bas possibles pour leurs intrants afin de pouvoir être concurrentiels sur le marché international.
M. Graham: En fait, on pourrait dire que tout le monde serait d'accord pour renoncer aux droits antidumping si les Américains renonçaient aux leurs. Par exemple, l'industrie sidérurgique est pour le renforcement du système. Tout le monde est convaincu, je pense, que cela ne se fera pas, du moins à court terme.
Par conséquent, pour ce qui est du commerce entre le Canada et les États-Unis, vous estimez qu'il faudrait laisser les choses telles qu'elles sont, à l'exception des améliorations que vous recommandez dans votre mémoire.
M. McArthur: Oui. Nous nuançons nos recommandations. Après avoir examiné les autres solutions, nous sommes convaincus que le gouvernement canadien devrait envisager cette possibilité, voire même exercer des pressions dans ce sens.
M. Graham: Merci, monsieur le président.
Le coprésident (M. Duhamel): Je voudrais procéder de la façon suivante. Je demanderais à M. Campbell de poser des questions. Ensuite, je ferais le tour de la table afin de laisser à chacun l'occasion de faire une dernière déclaration. Encore une fois, ce n'est pas une obligation. Je n'oublie pas que nous allons devoir partir dans une quinzaine de minutes.
Monsieur Campbell.
M. Campbell (St. Paul's): Merci, monsieur le président.
J'ai une ou deux questions. L'une d'elles fait suite aux commentaires de M. Graham. Dans le cadre de notre examen, nous devons évidemment nous demander, entre autres choses, si la loi actuelle établit ou non un juste équilibre.
Monsieur McArthur, dans votre mémoire, vous dites à de nombreuses reprises, que le système canadien est supérieur au système américain sur tous les plans. Je me demande si vous voulez dire ou non que les Américains n'ont pas établi un juste équilibre alors que nous l'avons fait. Ont-ils établi un genre d'équilibre différent? Pourriez-vous nous dire ce qui vous amène à tirer cette conclusion?
M. McArthur: Il y a plusieurs raisons. Je vais demander à M. Goodwin de m'aider. Je ne connais pas parfaitement le système américain étant donné que notre association s'intéresse plutôt au côté canadien.
M. Campbell: Vous comprendrez, bien sûr, que nous devons examiner ce que font les autres pays. S'il y a quelque chose à apprendre ou à imiter ou encore un exemple à ne pas suivre, nous voulons le savoir.
M. McArthur: Ce qui nous préoccupe notamment, même en ce qui concerne notre propre système, c'est le moment où les droits sont appliqués. Notre système est tourné vers l'avenir tandis que le système américain est rétrospectif et crée encore plus d'incertitudes. Sur ce plan, il n'est pas aussi équilibré que le nôtre.
M. Campbell: Mais puis-je vous demander - et j'ignore si votre collègue ou quelqu'un d'autre désire en parler - si les États-Unis penchent davantage en faveur d'un segment du milieu des affaires américain par rapport aux autres ou...
M. Graham: Je vais répondre à cette question.
M. Campbell: Non, mais je crois que nous avons besoin d'opinions à cet égard. M. Graham et moi-même avons travaillé de temps à autre dans ce domaine au cours des années et nous avons certainement notre propre opinion, mais j'aimerais la vôtre. Je voudrais savoir si les Américains abordent la question différemment ou penchent dans un sens ou un autre, et si nous avons des leçons à en tirer. Ma question est malheureusement assez vague, mais...
M. Goodwin: Demandez-vous si les industries qui se plaignent aux États-Unis sont traitées différemment? Est-ce là votre question?
M. Campbell: Il y a deux camps bien distincts à cette table, lorsque les gens nous parlent de cette question. Il y a ceux qui voudraient resserrer le système parce qu'ils sont producteurs plutôt qu'utilisateurs d'intrants provenant des États-Unis. Je suppose que le même genre de discussion se déroule au sud de la frontière.
Tel est le conflit qui oppose les utilisateurs d'intrants importés et ceux qui concurrencent les étrangers pour la production d'intrants. L'équilibre est-il différent au sud de la frontière?
M. Goodwin: J'ignore si l'équilibre est différent. Nous avons un système entièrement différent, qui rend peut-être la situation plus égale. Le système américain ne favorise peut-être pas cette égalité que crée le système canadien fondé sur la valeur normale. C'est une de nos principales préoccupations.
M. McArthur: Comme M. Goodwin vient peut-être de me le rappeler, si vous parlez de l'efficacité, nous croyons que notre système est efficace parce qu'il se fonde sur la valeur normale alors qu'aux États-Unis, où s'appliquent des droits antidumping, ces droits ne sont pas nécessairement inclus dans le prix de vente final aux États-Unis, et ils peuvent être absorbés par le fournisseur étranger.
M. Campbell: Je n'ai peut-être pas été assez objectif. En principe, le but de cette loi est de protéger les intérêts du Canada. Nous devons établir un juste équilibre en n'oubliant pas que nous avons à la fois des producteurs et des entreprises qui comptent sur les intrants de l'étranger pour fabriquer des marchandises pour l'exportation ou la consommation au Canada.
Il y a toujours une tension entre les divers éléments du secteur des affaires dont certains produisent et dont certains importent des intrants quand il faut établir un juste équilibre. Comme nous sommes un pays commercial important, le genre d'équilibre que nous essayons d'atteindre n'est pas le même ici qu'aux États-Unis.
Je laisserai ce sujet de côté, car j'ai une autre question que j'aimerais poser sur une chose beaucoup plus simple, la question de l'intérêt public. Je m'excuse d'avoir manqué une partie des témoignages, tout à l'heure.
Je me suis toujours dit que, même si nous nous livrons à un examen de nos lois, s'il est une chose qu'il serait bon d'accomplir aux États-Unis, ce serait de les amener à inclure, dans leur loi, une disposition relative à l'intérêt public afin que les consommateurs entrent en ligne de compte.
Mais pour en revenir à ce que nous faisons chez nous, pensez- vous - et tout le monde pourra donner son opinion - qu'il faudrait modifier notre loi de façon à guider davantage le tribunal, à lui donner des critères précis, des définitions précises? Nos témoins d'aujourd'hui souhaitent-ils que la loi soit aussi précise? Je ne sais pas si M. Gottlieb désire dire quelque chose.
M. McArthur: Pour ce qui est des droits minimums dont on a parlé, qui correspondraient uniquement au montant des dommages au lieu d'être fixés de façon arbitraire ou de dépasser la marge bénéficiaire de l'industrie en question, je crois que cette formule contribuerait à établir le juste équilibre que nous recherchons tous. Je devrais peut-être céder la parole à M. Gottlieb, qui s'est intéressé à la question beaucoup plus que je ne suis en mesure de le faire.
Le coprésident (M. Duhamel): Monsieur Gottlieb, avez-vous quelque chose à ajouter...?
M. Gottlieb: C'est une bonne question, monsieur Campbell. Je ne pense pas que vous pouvez lier les mains d'un tribunal en établissant des lignes directrices. Le tribunal élabore ses propres lignes directrices en fonction de l'expérience qu'il acquiert dans l'établissement des dommages. Je laisserais donc au tribunal davantage de latitude quant aux recommandations et aux décisions qu'il pourra formuler au sujet de l'intérêt public.
Il y a un élément de l'intérêt public qui n'a pas été mentionné. À part les utilisateurs, qu'ils soient producteurs ou consommateurs, il faut tenir compte de l'intérêt public général du pays.
De 75 p. 100 à 80 p. 100 de nos producteurs sont sous le contrôle de sociétés américaines. Au cours des années, il y a eu un certain nombre de cas où des sociétés ostensiblement canadiennes se sont battues, au Canada, à l'instigation de leurs maisons mères américaines, pour empêcher l'entrée de produits de pays tiers. Cela a eu tendance à limiter la concurrence sur le marché canadien, non seulement pour les produits de consommation, mais également pour les intrants de fabrication.
C'est une question qui n'a pas encore été abordée lors des audiences sur l'intérêt public, mais elle devrait certainement préoccuper le gouvernement. J'ai dit tout à l'heure que la défense de l'intérêt public ne devrait pas être confiée à des politiciens, mais a posteriori, si je pense à ce genre de cas, je dirais que le gouvernement a peut-être un rôle à jouer dans ce domaine.
Le coprésident (M. Duhamel): Je crois que M. Dupuy voulait demander un éclaircissement ou poser une question.
Le coprésident (M. Dupuy): Un éclaircissement. Vous avez dit que le tribunal devrait assumer davantage de responsabilités vis-à- vis de l'intérêt public mais, si j'ai bien compris, il n'a pas le pouvoir d'instituer une enquête pour déterminer où se situe l'intérêt public. Proposez-vous de modifier la loi pour que le tribunal ait ce pouvoir?
M. Gottlieb: Je n'y verrais pas d'objection. Dans certains cas, les parties ne connaissent pas les répercussions de l'action intentée devant le tribunal ou des décisions de ce dernier ou elles n'ont pas les fonds nécessaires - ce qui arrive souvent - pour défendre leurs intérêts.
Le tribunal devrait pouvoir prendre l'initiative lorsqu'il pense que l'intérêt public est en jeu. Il est arrivé que des parties se présentent devant le tribunal sans être aidées d'un avocat. Le tribunal pourrait inviter les parties à se présenter pour exprimer leurs opinions sur la question. C'est une excellente idée, monsieur Dupuy.
Le coprésident (M. Duhamel): Merci, monsieur Dupuy et monsieur Gottlieb.
Sur le même sujet, avant de donner la parole à M. Campbell, qui m'a promis de poser une question très brève afin que nous puissions entendre nos invités qui ont peut-être un dernier mot à nous dire, avez-vous quelque chose à ajouter sur le sujet dont on vient de parler? Monsieur Campbell, votre brève question.
M. Campbell: Très rapidement, monsieur le président.
Je m'adresse de nouveau à M. McArthur. À propos de vos commentaires au sujet de votre association et des changements apportés aux pratiques administratives de Revenu Canada, avez-vous constaté - et si vous en avez parlé avant mon arrivée, je m'en excuse - les résultats de ces changements dans les procédures administratives?
M. McArthur: C'est également une question très intéressante, car nous avons constaté quelques résultats. Nous n'en avons pas parlé dans notre mémoire, mais nous nous sommes déjà engagés à le faire si le comité le désire. Je demanderai à M. Goodwin, qui connaît très bien les cinq questions soulevées dans notre mémoire, de vous en parler si vous le désirez.
M. Goodwin: Je ne passerai pas en revue ces cinq questions, mais je pourrais peut-être vous répondre directement. Oui, nous avons constaté les effets des changements apportés à l'examen que Revenu Canada fait de la valeur normale, si je peux m'exprimer ainsi. Il s'agit d'examens annuels. Nous avons constaté une diminution spectaculaire - et c'est peut-être voulu - de la participation des exportateurs étrangers au processus d'examen. Ils ont dit que cela représentait trop de travail.
M. Campbell: Quel est le résultat pour les entreprises canadiennes et les Canadiens?
M. Goodwin: Ils perdent l'intrant en question, un point c'est tout.
M. Campbell: Merci.
Le coprésident (M. Duhamel): Merci, monsieur Campbell. Merci, monsieur Goodwin.
Je vais maintenant donner la parole à nos invités. Je commencerai par M. Knoerr. Si vous le désirez, je vais vous laisser dire un dernier mot avant que nous ne terminions.
M. Knoerr: J'essaierai d'être très bref. Les mesures que prévoit la LMSI sont nécessaires dans tous les contextes commerciaux, y compris l'accord avec le Chili et l'ALENA, compte tenu des réalités actuelles. Cela ne veut pas dire qu'il ne faudrait pas prévoir autre chose à long terme, mais il vaudrait mieux d'abord préparer le terrain.
Dans le secteur agro-alimentaire, si vous ne reconnaissez pas le rôle fondamental du secteur primaire, vous laisserez de côté un élément important de l'intérêt public à long terme et c'est le consommateur qui en paiera sans doute le prix et cela littéralement.
Troisièmement, les deux changements pour lesquels il faudrait modifier les règles de l'OMC, afin que ce soit vraiment efficace, consisteraient à donner aux producteurs primaires l'accès aux recours commerciaux lorsque leur produit est vendu uniquement sous la forme d'un produit transformé et, dans des cas critiques où un produit horticole hautement périssable pose un problème, il faudrait qu'une mesure temporaire puisse être prise très rapidement, avant la décision finale.
Le coprésident (M. Duhamel): Merci. Monsieur McArthur.
M. McArthur: Pour conclure, je répéterai qu'à notre avis, notre système est préférable au système américain et cela, sur tous les plans.
Cela dit, certains changements, non pas majeurs, peuvent être apportés au système canadien pour l'améliorer.
Troisièmement, nous estimons que pour les transactions entre pays de l'ALENA, il faudrait songer sérieusement à mettre en place une autre façon de régler les différends. Nous vous demandons d'envisager pour cela la loi sur la concurrence.
Le coprésident (M. Duhamel): Merci. Monsieur Gottlieb.
M. Gottlieb: Seulement deux brefs commentaires. Premièrement, je demande encore une fois que les mémoires soient publiés afin que nous puissions y répondre utilement.
Deuxièmement, pour revenir sur ce que M. Campbell a dit tout à l'heure, je ne vois pas pourquoi la loi américaine ne devrait pas contenir une disposition à l'égard de l'intérêt public. C'est dans le GATT et nous devrions certainement explorer la possibilité de soulever la question à l'OMC.
Le coprésident (M. Duhamel): Merci, monsieur Gottlieb.
Je voulais seulement vous dire que tous les documents que nous obtenons sont disponibles. Si vous le désirez, vous pouvez prendre en sortant ceux que nous avons reçus aujourd'hui. Merci.
Monsieur Kronick.
M. Kronick: Merci, monsieur le président.
Je voudrais seulement souligner que, selon l'Institut canadien du tapis, la LMSI donne de bons résultats. Notre secteur a subi les effets du dumping. Nous avons invoqué la LMSI et la loi s'est révélée efficace sans désavantager les consommateurs ou les industries en aval.
Nous avons certaines préoccupations dont nous avons parlé au sujet de son application. J'aimerais qu'en guise de conclusion M. Arditi parle un peu de la question que M. Speller, je pense, a soulevée et dont on n'a pas beaucoup parlé. Il s'agit de l'argument selon lequel la LMSI n'a pas sa place dans une zone de libre- échange et il faudrait plutôt harmoniser la loi sur la concurrence.
M. Arditi: Merci, monsieur Kronick. Je voudrais répondre à cela en décrivant ce qui se serait passé en l'absence de la LMSI.
Je vois sans doute la situation sous un angle très particulier par rapport aux autres personnes autour de cette table. Quand le dumping de tapis a posé un problème, j'étais à la fois coupable et victime du dumping étant donné que nous possédions une société américaine. Je tiens à préciser que nous étions en dessous du niveau moyen de dumping, mais que nous faisions du dumping à ce moment-là.
Ayant passé cinq ans dans ce secteur aux États-Unis, j'ai pu constater de visu quelle était la mentalité de l'industrie américaine. C'est à Dalton, en Georgie, qu'est fabriqué 85 p. 100 du tapis d'Amérique du Nord. Nous exportions également du tapis vers le Canada et d'autres pays du monde.
Les Américains de ce secteur cherchent constamment à augmenter leur volume. En tant qu'Américains, nous avons fait du dumping dans le monde entier. À l'heure actuelle, un fabricant de tapis des États-Unis est en mesure de produire tout le tapis nécessaire pour répondre à la demande actuelle de ce pays, et cela au niveau le plus élevé que nous ayons jamais eu.
Je peux vous assurer, pour l'avoir constaté moi-même et pas seulement parce que les fabricants américains l'ont déclaré publiquement à certains de nos clients, qu'une fois l'industrie canadienne éliminée, les prix remonteraient au même niveau qu'aux États-Unis où ils correspondent à peu près à la valeur normale qui leur a été imposée par la LMSI.
Merci.
[Français]
Le coprésident (M. Duhamel): Je remercie tous les participants. Nous avons beaucoup apprécié vos témoignages. Je voulais simplement vous rappeler l'invitation de M. Sauvageau à nous écrire pour décrire de façon assez précise les changements que vous souhaitez.
De plus, si vous voulez ajouter à ce débat d'intérêt public, n'hésitez pas à participer et y contribuer. Merci aux députés aussi.
[Traduction]
La séance est levée.