[Enregistrement électronique]
Le lundi 17 mars 1997
[Traduction]
La présidente (Mme Bonnie Hickey (St. John's-Est, Lib.)): Je déclare la séance ouverte; nous pouvons commencer.
Aujourd'hui, nous allons entendre six témoins. Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, nous allons suivre l'ordre du jour. Je prierais les témoins de bien vouloir limiter la durée de leur présentation à cinq minutes et de s'en tenir au contenu du projet de loi. Nous avons de nombreux témoins à entendre, et j'aimerais que l'on ne sorte pas du sujet. Je vous rappelle que le projet de loi porte sur 13 actes prohibés, et je vous demanderais s'il vous plaît, de vous en tenir à cela.
Si le comité est d'accord, nous pourrions attendre que les six témoins se soient exprimés avant de passer aux questions. Est-ce que cela vous convient?
Nous allons commencer par les gens qui sont ici, à droite.
Dr R. Rittmaster (président, Comité des relations gouvernementales, Société canadienne de fertilité et d'andrologie): Merci, madame la présidente. Je m'appelle Roger Rittmaster et je préside le Comité des relations gouvernementales de la Société canadienne de fertilité et d'andrologie. Je suis également médecin et chercheur spécialisé en endocrinologie.
Je suis accompagné aujourd'hui du Dr Arthur Leader, un expert en soins de santé liés à la fonction reproductrice, et du Dr Nongjuj Tanphaichitr, une sommité de la recherche sur les spermatozoïdes.
La SCFA représente des médecins, des scientifiques et d'autres professionnels de la santé qui s'intéressent à la médecine reproductrice et à la recherche dans le domaine de la fertilité. C'est la principale organisation scientifique et médicale au Canada en ce qui concerne la santé génésique. En outre, la SCFA représente directement les scientifiques et les chercheurs qui seront les plus touchés par l'adoption du projet de loi C-47.
Madame la présidente, le comité a eu la possibilité d'examiner le mémoire que nous avons soumis en janvier, ainsi qu'un document précédent, datant de septembre, dans lequel nous commentions en détail le contenu du projet de loi. Par conséquent, nous aimerions aujourd'hui nous en tenir à des observations sur les questions qui touchent le plus directement la communauté scientifique.
Je vous entretiendrai en premier de nos réserves à propos du processus qui a été suivi pour élaborer le projet de loi C-47 et je formulerai quelques observations générales à cet égard. Mes collègues feront ensuite quelques remarques sur des questions plus précises. Nous sommes tous à votre disposition pour répondre aux questions que vous pourriez vouloir nous poser.
Qu'il soit bien clair au départ que la SCFA n'est pas en faveur du projet de loi C-47 dans sa forme actuelle. En outre, nous sommes très déçus du processus suivi pour conceptualiser et préparer ce projet de loi.
Cela dit, je tiens également à préciser que la SCFA ne conteste pas certaines parties du document et reconnaît l'utilité d'une action gouvernementale dans ce secteur complexe.
La SCFA est d'avis qu'il faut mettre en place une structure pour réglementer ce secteur en pleine expansion. Or, au lieu de procéder ainsi, Santé Canada dépose le projet de loi C-47 et diffère jusqu'à une date indéterminée la mise en place d'un système de réglementation plus complet. Il devient alors d'autant plus important que le comité s'assure que l'on remédie aux nombreuses lacunes du projet de loi C-47 avant qu'il n'atteigne l'étape suivante du processus d'adoption.
Jeudi dernier, le comité a entendu les fonctionnaires du ministère de la Santé déclarer que de vastes consultations avaient été tenues avant la présentation du projet de loi, et que celui-ci traduisait la volonté générale de tous ceux qui avaient été consultés. Je ferai remarquer toutefois que l'on n'a pas demandé à la SCFA de donner son avis sur les dispositions spécifiques que l'on trouve dans ce texte législatif avant le stade de la première lecture. En fait, le dernier contact entre le ministère de la Santé et la SCFA à propos des techniques de reproduction artificielles remonte à novembre 1995.
Le fait que les experts en la matière n'ont pas été consultés a contribué aux sérieuses lacunes que l'on relève dans le projet de loi, aussi bien au plan des détails techniques qu'en ce qui a trait à sa conception générale. Pour vous donner un exemple flagrant, la définition du mot «zygote» donnée dans le projet de loi n'est pas correcte. Si l'on avait demandé à un expert des techniques de procréation de revoir le projet de loi au moment de sa finition, une telle erreur ne se serait pas produite.
Plus important encore, le projet de loi met sur le même pied des pratiques comme la recherche sur les embryons, qui est essentielle pour que les soins de santé liés à la fonction reproductrice progressent, et la fusion de matériel génétique humain et animal, qui appartient plutôt au domaine de la science- fiction et qui, de toute façon, serait interdite par tous les organismes de financement, les membres de la profession médicale et les organisations professionnelles du Canada.
Immédiatement après le dépôt du projet de loi, nous avons contacté le ministère et le ministre de la Santé pour faire connaître nos inquiétudes. Jusqu'ici, la SCFA n'a pas reçu d'assurance que les lacunes du projet de loi seraient corrigées. Il est difficile de voir pourquoi le ministère de la Santé continue de refuser d'apporter des changements à un projet de loi sévèrement critiqué à cause de l'impact qu'il aura sur la recherche dans le domaine des soins de santé liés à la fonction reproductrice et sur les soins de santé en général au Canada.
Je vais maintenant aborder les aspects du projet de loi qui se rapportent à la recherche. Vous ne devez en aucun cas considérer qu'il s'agit d'une liste exhaustive des préoccupations que nous inspire ce texte législatif. Une des questions clés pour la SCFA - question à laquelle s'intéressent également beaucoup d'autres groupes - est la disposition interdisant le remboursement des dépenses liées aux dons de sperme et d'ovules. Toutefois, vu que cette question sera abordée par d'autres groupes, nous nous concentrerons sur d'autres carences du projet de loi C-47.
L'article 4 interdit explicitement trois grandes activités de recherche: un, la recherche dans le domaine de l'altération des gènes, laquelle pourrait un jour être à la base de thérapies géniques; deux, l'interdiction totale des recherches sur la maturation des ovocytes foetaux; et trois, la création d'embryons aux fins de recherche.
Contrairement à l'impression qu'ont voulu vous donner jeudi les représentants du ministère de la Santé, la recherche sur les embryons se poursuivra à travers le monde, et à juste titre. Les conséquences probables de ces interdictions au Canada seraient: premièrement, de réduire la probabilité de progrès scientifiques dont pourraient bénéficier 15 p. 100 des couples canadiens victimes d'infertilité; deuxièmement, de stopper le progrès des connaissances scientifiques dans ce domaine; et troisièmement, de faire du Canada un endroit moins attrayant pour la recherche sur la reproduction humaine.
Je vais maintenant passer la parole à mon collègue qui va vous donner quelques détails sur l'impact que pourrait avoir l'interdiction de ces activités de recherche sur les Canadiens.
Dr Nongnuj Tanphaichitr (adhérent, Société canadienne de fertilité et d'andrologie): Merci, Dr Rittmaster.
Pour mémoire, je m'appelle Nongnuj Tanphaichitr. Je suis scientifique de formation et j'enseigne à l'Université d'Ottawa.
Le premier des actes prohibés mentionnés par le Dr Rittmaster se trouve à l'article 4, lequel interdirait les recherches sur la modification de la structure génétique d'un ovule, du sperme, d'un zygote ou d'un embryon sous une forme susceptible d'être transmise aux générations futures.
À vrai dire, l'interdiction de cette activité signifierait que d'importantes recherches sur l'élimination de maladies telles que la mucoviscidose et la dystrophie musculaire progressive devraient être interrompues. Il s'agit de deux maladies héréditaires qui seront vaincues dans le proche avenir grâce à la thérapie génétique, sauf si cette disposition du projet de loi est conservée.
Deuxièmement, un important domaine de recherche en matière de reproduction humaine porte sur la maturation des ovules. Le mongolisme, par exemple, est dû à des anomalies chromosomiques dans l'ovule en voie de maturation. Pour connaître la cause de cette affection, il faut procéder à des recherches sur des ovules en voie de maturation.
L'article 4 interdit le prélèvement d'ovocytes foetaux aux fins de maturation. Il s'agit d'un domaine extrêmement sensible qui doit être abordé avec toutes les précautions voulues. Avant d'autoriser de telles recherches, il faut en examiner le bien-fondé du point de vue scientifique et éthique. Toutefois, le projet de loi C-47 préconise une interdiction générale de toute activité dans ce domaine. C'est cette interdiction totale que n'approuve pas la SCFA.
Troisièmement, l'article 4 interdit la création d'embryons aux fins de recherche. À première vue, c'est une bonne mesure. L'idée qu'un scientifique un peu fou puisse créer des embryons pour un projet de recherche mystérieux sans supervision ni encadrement véritables nous révolte tous. Néanmoins, le problème que soulève cette interdiction, c'est qu'elle ne tient pas compte du fait que la recherche est indissociable de soins médicaux de première qualité.
Par exemple, une nouvelle technique appelée injection intracytoplasmique de sperme ou ICSI permet d'introduire un seul spermatozoïde dans un ovule. C'est la première technique qui permet à de nombreux hommes infertiles de devenir des pères biologiques. L'ICSI a d'abord été mise au point pour les animaux, mais avant qu'elle puisse être appliquée à des êtres humains, les technologues ont dû s'assurer que les embryons ainsi créés étaient normaux. Autrement dit, il a fallu créer des embryons aux fins de recherche sans pour autant avoir l'intention de les implanter dans le corps d'une femme.
Aujourd'hui encore, quand un nouveau centre veut pratiquer l'ICSI ou qu'un laborantin doit se familiariser avec la technique, il faut commencer par démontrer que le technologue est en mesure de réussir à créer des embryons normaux. Il s'agit de recherche, et cela devrait être considéré comme tel.
Il est important de noter que la notion de recherche n'est pas définie dans le projet de loi C-47 où l'on omet totalement de reconnaître le lien entre la recherche et les soins de santé. Comme bon nombre de travaux de recherche scientifiques sur les nouveaux traitements de l'infertilité portent sur la fertilisation, ce qui implique la création d'embryons, ce projet de loi mettrait effectivement fin à ce genre de recherche au Canada.
D'autres progrès résultent aussi directement de travaux de recherche sur des embryons humains. Ainsi, la mise au point du diagnostic génétique préimplantatoire permet d'identifier des maladies graves dans l'embryon et d'éviter ainsi l'implantation d'embryons porteurs de maladies telles que la mucoviscidose.
Madame la présidente, la recherche que mes collègues et moi- même menons au Canada et à travers le monde a pour objet d'améliorer notre système de soins de santé pour que nous soyons mieux en mesure d'aider les gens. Actuellement, l'infertilité frappe plus de 15 p. 100 des couples canadiens. Maintenant, grâce à la mise au point de nouvelles techniques telles que l'ICSI, un grand nombre d'entre eux peuvent devenir des parents biologiques. Par ailleurs, l'étude des maladies transmises génétiquement est importante en elle-même.
En ce qui me concerne, je voudrais ajouter que je travaille essentiellement dans le domaine de la recherche sur le sperme. Bien que je n'aie pas abordé la question des dons de sperme - laquelle, comme l'a mentionné Roger, sera soulevée par de nombreux autres groupes - j'aimerais souligner l'impact qu'aura ce projet de loi sur mon travail.
Si le projet de loi est adopté dans sa mouture actuelle et que l'on interdit le remboursement des dépenses liées aux dons de sperme, s'approvisionner en sperme humain va devenir très difficile, ce qui rendra le diagnostic de l'infertilité masculine et la recherche en ce domaine pratiquement impossibles. En ce qui me concerne, il y aurait peu d'intérêt à ce que je reste au Canada pour poursuivre mes recherches. Je présume que d'autres scientifiques se retrouveraient dans la même situation si le projet de loi C-47 était promulgué sans amendements majeurs.
Pour conclure, le projet de loi C-47 porte sur un éventail très large d'activités qui sont amalgamées sous le titre de techniques de reproduction. Nous pensons qu'il aurait mieux valu créer une structure de réglementation et nous espérons que des initiatives en ce sens vont être prises.
Dans l'intervalle, nous vous encourageons vivement à examiner attentivement les divers articles du projet de loi qui vous est soumis et à modifier ceux qui freineront le développement de la recherche médicale dont le Canada pourrait bénéficier. Nous vous demandons de poser les vraies questions, celles qui ont trait aux conséquences du projet de loi pour la recherche et les services canadiens actuels et futurs se rapportant à l'infertilité.
Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions immédiatement ou après les exposés des autres groupes ici présents.
La présidente: Merci.
[Français]
Dr Pierre Miron (Institut de médecine de la reproduction de Montréal Inc.): Bonjour, madame la présidente et membres du sous-comité. J'aimerais d'abord vous remercier d'avoir accepté de me rencontrer. J'ai malheureusement connu plusieurs démarches personnelles infructueuses depuis plusieurs années avec l'appareil bureaucratique, lorsque j'ai tenté non seulement de faire part de ma position, mais aussi d'établir un dialogue. En bout de ligne, notre objectif est d'aider les couples infertiles face à ces technologies. Je crois qu'il est important que ce dialogue soit établi pour aussi démystifier les technologies qu'on utilise.
Je suis médecin, obstétricien-gynécologue de formation, avec un fellowship en endocrinologie de la reproduction et fertilité. J'ai consacré 100 p. 100 de ma carrière, et je suis probablement un des rares médecins au Canada à l'avoir fait, à répondre aux besoins des couples infertiles.
Je représente aujourd'hui l'Institut de médecine de la reproduction de Montréal, le seul centre francophone en procréation médicalement assistée au Canada. C'est un centre privé, et il faut connaître l'histoire de la procréation médicalement assistée au Québec. En fait, le centre a été fondé en 1990, après de nombreuses démarches en vue d'établir en centre hospitalier un centre d'excellence en procréation médicalement assistée, ce qui fut finalement impossible vu le manque de financement de la part des gouvernements. Je vous mentionne aussi que je suis professeur à l'Université de Montréal.
Cependant, depuis 1994, ce centre regroupe des actionnaires qui représentent le gouvernement du Québec par l'entremise d'organismes paragouvernementaux comme Innovatech Grand Montréal et la Caisse de dépôt et placement du Québec. Vous comprendrez donc que le signal qu'on a eu comme médecins spécialisés dans le domaine, c'est que les gouvernements n'étaient pas prêts à financer ces technologies, mais prêts à nous aider à les améliorer par la recherche, par exemple.
Notre conseil d'administration compte plusieurs membres dont Pierre Bois, qui a été président du Conseil de recherches médicales du Canada pendant 10 ans et doyen en Faculté de médecine, Jean Coutu, qui est officier de l'Ordre du Canada et de l'Ordre du Québec, et plusieurs autres membres hautement crédibles. Il faut aussi considérer que c'est un centre privé.
De plus, nous avons formé un comité d'éthique que préside Sonia Le Bris, qui travaille de façon très étroite avec Bartha Knoppers, que connaissent bien les députés qui sont concernés par les problèmes d'infertilité puisqu'elle a été commissaire de la commission royale.
J'aimerais vous dire, en première ligne, que l'Institut de médecine de la reproduction de Montréal est fortement en faveur d'un encadrement de ces technologies. On ne met pas en doute l'importance d'un agrément et de l'établissement de mécanismes d'agrément.
Nous aimerions cependant vous dire notre inquiétude devant le fait que la communauté médicale spécialisée dans le domaine a été exclue de la préparation du projet de loi C-47. Pourtant, je crois qu'on aurait pu apporter plusieurs points positifs, ne serait-ce qu'en ce qui concerne les termes scientifiques, qui sont souvent erronés dans le projet de loi, et aussi vous faire part de l'évolution de ces technologies.
Je vous rappellerai que la décision d'aller de l'avant ou non avec le projet de loi C-47 est très importante pour les couples infertiles. Jusqu'ici, la commission royale, qui a déposé son rapport et qui a coûté 28 millions de dollars, n'a à mon avis eu aucun impact positif pour les couples infertiles. Au contraire, on a noté plusieurs barrières qui se sont établies à la suite du dépôt du rapport.
Je ne citerai que l'exemple de l'Ontario qui, à la suite de ce rapport, a décidé de couper l'accès à la fécondation in vitro aux couples infertiles en raison de causes autres que l'obstruction complète des trompes de Fallope. Le gouvernement ontarien a finalement invoqué les recommandations 106 et 107 du rapport Baird, qui proposaient que la fécondation in vitro soit reconnue uniquement pour l'obstruction complète des trompes de Fallope, alors qu'on sait maintenant que cette technologie peut être utilisée pour d'autres causes d'infertilité, autant masculines que d'endométriose et autres.
Nous croyons que le Code criminel ne doit être invoqué qu'en dernier recours. Cela ne doit être qu'une mesure extraordinaire. À mon avis, on n'a pas fait de démarches pour envisager d'autres types de ressources. Le gouvernement fédéral devrait profiter de cette occasion assez unique pour collaborer avec les gouvernements provinciaux et établir des mécanismes d'agrément et d'encadrement de ces technologies.
On est très inquiets de l'impact de ce projet sur les couples infertiles. Il s'agit en fait, à notre avis, d'une intrusion dans un domaine de compétence provinciale. Je vous rappelle ici la position du Conseil du statut de la femme, qui a remis son rapport il y a quelques semaines. Il nous a fait part de mécanismes qu'on trouve peu coûteux et très efficaces pour arriver à une solution qui permettrait l'encadrement de ces technologies. Dans notre société, on parle beaucoup de coûts et il est important d'utiliser les mécanismes les plus simples, mais aussi les plus efficaces.
Plus précisément, l'alinéa 4(1)k) du projet de loi qui prévoit que nul ne peut sciemment «produire la fécondation d'un ovule à l'extérieur du corps humain aux fins de recherche», nous inquiète énormément. Vous comprendrez que nos inquiétudes sont les suivantes: qu'est-ce qui est de la recherche et qui définit la recherche?
La recommandation 107 du rapport de la commission Baird mentionne que la fécondation in vitro est considérée comme expérimentale lorsqu'elle est utilisée pour l'infertilité masculine, l'infertilité associée à l'endométriose et l'infertilité inexpliquée. Or, toute la communauté scientifique dans le domaine comprend très bien maintenant cette technologie qui est très efficace pour ces maladies. Ce projet de loi pourrait finalement empêcher des couples infertiles d'avoir recours à des technologies maintenant prouvées efficaces et reconnues dans la communauté médicale internationale.
En ce qui concerne le volet qui vise à interdire toute indemnisation pour le donneur, nous éprouvons certaines craintes à la lumière de l'expérience que nous avons acquise. Notre institut a décidé d'avoir sa propre banque de sperme parce que nous croyions important de suivre nos donneurs adéquatement, de savoir quels types de donneurs nous utilisions et de faire un suivi extensif et compliqué plutôt que d'utiliser des banques américaines. Un projet de loi qui créerait une pénurie de donneurs nous forcerait à utiliser des banques américaines de sperme. Je n'ai pas à vous faire d'images concernant le matériel biologique qui proviendrait de l'extérieur du Canada. On a vécu l'expérience de la banque de sang. Vous pouvez imaginer l'impact de cela.
De plus, vous êtes peut-être au courant du document qui a été présenté à l'Association du Barreau canadien et qui dit clairement que le gouvernement du Canada irait à l'encontre de ses propres ententes internationales en voulant limiter la recherche et forcerait les couples infertiles à aller à la Cour suprême pour défendre leur droit d'avoir accès à des traitements si le projet de loi était adopté tel qu'il est présentement.
En résumé, on est en faveur d'une politique nationale. On devrait utiliser les provinces pour encadrer et agréer les centres. On considère aussi que la meilleure façon de contrôler ces technologies, c'est d'avoir un comité d'éthique à l'interne dans chaque institution, autant publique que privée. Par exemple, nous avons mandaté David Roy, qui est bien connu en bioéthique, pour établir un comité d'éthique qui se penchera sur les politiques et procédures. Nous pensons finalement que c'est à l'interne qu'il y a un meilleur contrôle.
Connaissant maintenant l'histoire de la procréation médicalement assistée au Québec, où on a dû utiliser un système privé pour développer ces technologies parce qu'il n'y avait aucun financement gouvernemental, nous pensons que les critères d'agrément devraient être uniquement des critères de qualité et que le fait qu'un centre est privé ou public, à but lucratif ou non, ne devrait pas entrer en ligne de compte. En bout de ligne, nous devons assurer le bien-être des couples infertiles qui ont besoin de centres comme le nôtre.
Merci. Je suis tout disposé à répondre aux questions des membres du comité.
[Traduction]
La présidente: Merci.
Nous avons convenu d'attendre que tout le monde ait fait son exposé pour poser des questions.
La parole est au Dr Kazimirski.
Dr Judith C. Kazimirski (présidente, Association médicale canadienne): Merci, madame la présidente.
[Français]
Au nom des médecins du Canada, l'Association médicale canadienne remercie le sous-comité de lui permettre de présenter son point de vue sur le projet de loi C-47.
[Traduction]
Je suis le Dr Judith Kazimirski, présidente de l'Association médicale canadienne et médecin de famille à Windsor, en Nouvelle- Écosse. Je suis accompagnée aujourd'hui du Dr John Williams, directeur de l'éthique à l'Association médicale canadienne.
Le témoignage que vous ont présenté les fonctionnaires de Santé Canada la semaine dernière peut vous avoir donné l'impression qu'il n'y avait pas d'opposition au projet de loi C-47. Pourtant, il y en a une, et elle est très forte. Des organismes médicaux nationaux comme le nôtre, par exemple, l'Association médicale canadienne, la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, la Société canadienne de fertilité et d'andrologie, le Collège des médecins de famille du Canada sont tous opposés à ce projet de loi. Des groupes aussi divers que l'Association canadienne de sensibilisation à l'infertilité, le Conseil national de la bioéthique en recherche chez les sujets humains et l'Association nationale de la femme et du droit expriment tous d'importantes réserves à l'égard de ce projet de loi.
Pour quelles raisons l'Association médicale canadienne est- elle opposée à ce projet de loi? Nous avons deux réserves majeures.
La première tient au moment choisi pour introduire le projet de loi. Le gouvernement a annoncé qu'il a l'intention de créer une structure de réglementation pour les techniques de reproduction et de manipulation génétique qui ne sont pas interdites. Vu que plusieurs des techniques et pratiques mentionnées dans le projet de loi C-47 seront prises en compte par cette structure de réglementation, le gouvernement a déclaré qu'il avait l'intention de présenter des amendements à ce projet de loi dès que le cadre réglementaire en question aura été finalisé. À notre avis, c'est un argument de poids pour retarder l'adoption du projet de loi C-47 jusqu'à ce qu'une approche cohérente de ces questions ait été arrêtée.
Si, comme nous le soutenons dans notre mémoire, le cadre réglementaire actuel en matière de pratiques scientifiques et médicales peut être adapté pour prendre en compte l'infertilité et la reproduction, le projet de loi qui nous occupe sera alors tout à fait inutile, et encore bien plus les amendements qui pourraient lui être apportés.
Deuxièmement, pour les raisons mentionnées dans notre mémoire, nous pensons que le projet de loi n'atteindra pas ses propres objectifs qui sont de préserver la santé et la sécurité des Canadiens, d'assurer le traitement convenable, à l'extérieur du corps, des éléments et produits du corps humain servant à la reproduction et de protéger la dignité de toute personne. Pire encore, il créerait un dangereux précédent en criminalisant des activités médicales et scientifiques à partir de motifs vagues et arbitraires.
L'infertilité est l'incapacité d'engendrer durant la période de la vie où cela devrait être biologiquement possible. À cause de la façon dont l'Association médicale canadienne conçoit la notion de santé, elle considère le traitement de l'infertilité comme un service de santé.
L'éventail des techniques de reproduction auxquelles les femmes infertiles peuvent avoir recours sera extrêmement réduit par cette mesure législative. L'interdiction de tester des techniques potentiellement utiles limitera et restreindra les possibilités qui s'ouvrent aux femmes.
Comme l'ont souligné mes collègues de la SCFA, nous avons de sérieuses réserves au sujet du paragraphe 6(2) qui traite du remboursement des frais relatifs aux dons de sperme et d'ovules. L'infertilité est un problème de santé qui entraîne des dépenses acceptables dont le remboursement ne devrait pas relever du droit pénal.
Non seulement ce projet de loi n'atteindra pas ses objectifs, mais la criminalisation de certains actes aura de graves conséquences négatives. Ce sera en effet un sérieux obstacle à des progrès scientifiques et médicaux légitimes et porteurs d'espoir pour les Canadiens qui sont infertiles et qui souhaitent fonder une famille.
La majeure partie du projet de loi C-47 ne porte pas sur la pratique médicale en tant que telle, mais plutôt sur la recherche. L'Association médicale canadienne reconnaît que la recherche génétique et les importantes questions d'ordre moral qui l'entourent doivent être abordées avec toutes les précautions et la considération voulues. Toutefois, nous voudrions aussi insister sur le fait que le système de recherche canadien a toujours parfaitement répondu aux attentes à cet égard, et que le milieu de la recherche au Canada s'est montré tout à fait responsable et hautement crédible. De fait, comme les fonctionnaires du gouvernement en ont informé le comité la semaine dernière, il n'y a aucun indice qui porterait à croire que les chercheurs canadiens travaillent dans l'un des domaines qui font réellement problème comme le clonage humain ou les hybrides animaux-humains.
L'Association médicale canadienne reconnaît que la société canadienne doit se montrer prudente et ne s'aventurer qu'en toute connaissance de cause dans le domaine des techniques de reproduction et de manipulation génétique. Nous ajouterons toutefois que dans des secteurs qui revêtent une telle importance, il n'est pas moins important que le gouvernement fasse preuve de la même circonspection et du même sérieux pour élaborer la législation et les règlements afférents. Le projet de loi C-47 n'est pas de bon augure lorsqu'on songe aux politiques qui devront être créées dans ce domaine extrêmement difficile et complexe. On devrait pouvoir faire beaucoup mieux.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du sous-comité, je dirais, pour me résumer, que le projet de loi C-47 sera un obstacle majeur au traitement de l'infertilité et au progrès scientifique et médical légitime. Cette mesure législative représente une intrusion injustifiée du gouvernement, par le biais de son pouvoir de réglementation pénale, dans la relation patient- médecin. L'accent placé par le projet de loi sur la criminalisation risque de mettre un frein à de très utiles recherches dans le domaine des techniques de reproduction humaine et de manipulation génétique.
Nous vous encourageons vivement à procéder à une étude détaillée de la mesure législative en préparation, pour faire en sorte qu'elle protège adéquatement la population tout en préservant l'accès des femmes canadiennes aux techniques de reproduction humaine et de manipulation génétique.
On vous a remis notre mémoire qui contient neuf recommandations précises. Si la première est acceptée, il ne sera pas nécessaire de s'occuper des autres. Je vous rappellerai la recommandation numéro un, où nous demandons que les questions abordées par le projet de loi C-47 soient traitées dans le contexte d'une structure de réglementation et d'une politique globale qui s'appuieraient sur les organes de réglementation actuels, plutôt que sur le droit criminel.
Si vous décidez de procéder à un examen détaillé du projet de loi, nous vous prions instamment de l'amender dans le sens de nos recommandations deux à neuf.
[Français]
Merci, madame la présidente.
[Traduction]
La présidente: Merci beaucoup.
Vous avez la parole.
Mme Kathryn Tregunna (directrice, Élaboration des politiques et des programmes, Association canadienne de santé publique): Bonjour. Bien que l'ACSP se réjouisse que le gouvernement fédéral envisage de légiférer pour préserver la santé et la dignité humaine, notre association est aussi très déçue de constater qu'une fois encore, la promotion de la santé et la prévention des maladies, deux choses qui sont liées à une saine sexualité, à l'éducation sexuelle, à l'accès aux services cliniques et éducatifs et à la prévention des maladies transmissibles sexuellement aient été marginalisées par les techniques curatives et restauratrices.
Le SIDA et le VIH sont des sujets de préoccupation grandissants pour les femmes, les jeunes, les peuples autochtones et autres groupes marginalisés. L'éducation sexuelle n'est toujours pas accessible à tous les jeunes Canadiens. Il n'y a toujours pas d'approche nationale coordonnée en matière de prévention et de contrôle des maladies transmissibles sexuellement. Tous les Canadiens n'ont toujours pas accès à des services cliniques de santé sexuelle. Il n'existe toujours pas de structure réglementaire en matière de santé sexuelle et génésique, bien que nous sachions que Santé Canada s'en occupe.
Contrairement à un grand nombre de nos collègues ici présents, ce qui a attiré notre attention lorsque nous avons examiné ce projet de loi, c'est que l'on n'y trouve aucune disposition sur la promotion de la santé et la prophylaxie. Ce qui ne nous empêche pas toutefois d'avoir certaines inquiétudes à propos de ce que renferme cette mesure législative.
En septembre 1996, les critiques de l'ACSP chargés de l'examen du projet de loi ont conclu que, foncièrement, ce texte était valable. S'ils étaient présents parmi nous aujourd'hui et s'ils entendaient les observations de certains de nos collègues qui possèdent des connaissances techniques plus poussées, ils changeraient peut-être d'opinion. Mais du point de vue de la santé publique, nous avons trouvé qu'il était satisfaisant, bien que nous ayons fait plusieurs suggestions. Vous en trouverez le récapitulatif dans notre mémoire. Mon intention n'est pas de les passer toutes en revue, mais je ferais quelques observations.
En ce qui concerne le préambule, nous proposons l'amendement du troisième paragraphe qui reconnaît la nécessité de mesures visant à protéger et à promouvoir les intérêts des femmes et des enfants touchés par de telles techniques ou opérations commerciales. Nous avons aussi noté l'utilisation erronée des mots «embryon» et «zygote», mais nous ne nous y attarderons pas pour le moment.
À l'alinéa 4(1) i), il nous paraît nécessaire de poser comme principe que fonder l'interruption d'une grossesse sur la connaissance du sexe de l'enfant, sauf par exemple en cas de troubles liés au sexe, devrait être interdit. Nous avons suggéré une nouvelle rédaction dans notre mémoire.
Nous proposons également un nouveau texte concernant les mères porteuses. Je n'entrerai pas dans les détails pour le moment.
Pour ce qui est de l'achat et de la vente mentionnés au paragraphe 6(1), pouvoir utiliser sans danger une source alternative de sperme est une préoccupation réelle et légitime parmi les femmes célibataires, les lesbiennes et les couples hétérosexuels, aussi bien qu'au sein des défenseurs de la santé publique, et l'on craint que les dons de sperme non rémunérés aboutissent au recueil de sperme à risque. Rien ne prouve que l'on ait abusé du système payant ni qu'il ait, d'une façon ou d'une autre, porté atteinte à la dignité des femmes ou des hommes.
L'ACSP est d'avis que la santé publique sera mise en péril si les femmes contournent le système clinique actuellement pourvoyeur de spermatozoïdes sains. L'ACSP recommande vivement que l'on reconsidère l'interdiction de la vente de sperme.
Nous avons également des changements à suggérer concernant l'utilisation de sperme sans consentement mentionnée au paragraphe 7(2).
Pour ce qui est des ordonnances des tribunaux mentionnées à l'article 10 b), on peut dire qu'il s'agit d'une affirmation générale qui laisse penser que le ministre pourrait faire révoquer un médecin car cette pratique risquerait d'entraîner la perpétration d'une infraction. Ces pouvoirs considérables en ce qui concerne l'octroi de permis et la réglementation des professionnels de la santé sont totalement inacceptables. Cet article devrait être supprimé. Les gens qui commettent des actes prohibés risquent des amendes ou l'emprisonnement et quiconque, y compris le ministre, peut transmettre tout dossier à un organisme de réglementation professionnel.
Pour ce qui est des inspecteurs et des analystes mentionnés à l'article 12, la loi doit prévoir un processus d'appel, inexistant à l'heure actuelle du fait que seul le gouvernement fédéral peut désigner les personnes dont il est question dans cet article. L'ACSP propose qu'au minimum, les règlements stipulent qu'une personne ou une catégorie de personnes jugées recevables puissent fournir un deuxième avis en cas de désaccord avec les conclusions de l'inspecteur ou de l'analyste.
Notre mémoire examine ensuite les principaux éléments du document intitulé «Fixer des limites et protéger la santé». Je n'en dirai pas plus pour l'instant, vu que le sujet fera probablement surface pendant la période de questions.
J'aimerais conclure en disant que l'ACSP espère que ces commentaires ainsi que ceux des autres intervenants qui sont présents aujourd'hui aboutiront à améliorer la loi en préparation.
Je vous remercie.
La présidente: Merci beaucoup.
Dr Nan Schuurmans (présidente, Société des obstétriciens et gynécologues du Canada): Merci, madame la présidente, et mesdames et messieurs les membres du comité.
Je suis le Dr Nan Schuurmans. Je suis obstétricienne et gynécologue à l'Université de l'Alberta, à Edmonton, et présidente de la SOGC, la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada.
Je suis accompagnée aujourd'hui du Dr André Lalonde, le vice- président exécutif de la Société.
La SOGC rassemble plus de 1 800 obstétriciens, gynécologues et membres affiliés tels que des omnipraticiens et des infirmières. Il s'agit d'un organisme bénévole qui a pour mission de promouvoir les meilleurs soins de santé possible pour les femmes et les familles canadiennes.
Nous sommes venus aujourd'hui dire que nous nous opposons à l'adoption du projet de loi C-47 dans sa forme actuelle. Je dis bien «dans sa forme actuelle», car de nombreux éléments de ce texte législatif nous paraissent raisonnables. Ainsi, la SOGC appuie l'interdiction du clonage des êtres humains, mentionnée à l'article 4, et approuve l'article 7 qui introduit le concept de consentement éclairé avant que tout tissu reproducteur obtenu par donation puisse être utilisé par un médecin ou un chercheur.
Néanmoins, le projet de loi comporte également de graves imperfections auxquelles il faut remédier avant d'aller plus loin. Je vais vous faire part des principales réserves de la SOGC à propos de certaines parties du projet de loi, mais auparavant, j'aimerais dire quelques mots sur le ton et la structure générale de ce texte.
Quelque chose nous a frappés, et c'est un sujet sur lequel devrait se pencher le comité: on ne trouve dans le projet de loi aucun commentaire positif sur le traitement de l'infertilité au Canada. Le ton du texte est totalement négatif, l'on n'y trouve que des avertissements sur les dangers et les risques de la procédure, et jamais il n'est fait la moindre allusion au fait que plus de 15 p. 100 des couples canadiens souffrent d'infertilité. Leur détresse ne devrait pas être prise à la légère, mais elle a été complètement ignorée dans la législation en préparation.
Il faut rétablir un certain équilibre dans le débat en s'intéressant à la façon dont la totalité des Canadiens pourraient être le mieux servis par cette branche de la communauté médicale et scientifique. À cette fin, la SOGC recommande que l'on élabore des normes nationales sur l'utilisation des nouvelles techniques de reproduction et de manipulation génétique que l'on pourrait ensuite faire appliquer par les ministères provinciaux de la Santé et les académies de médecine appropriés.
Grâce à ce système, on pourrait homologuer et contrôler toutes les cliniques de soins relatifs à la reproduction ainsi que les installations sanitaires connexes, en se basant sur la qualité des soins effectivement fournis. À l'heure actuelle, le projet de loi n'entrevoit rien de la sorte.
En effet, pour élaborer le projet de loi C-47, le Canada n'a pas adopté ce genre de procédure ouverte et évolutive. Au contraire, le projet de loi prévoit des sanctions pénales destinées à faire respecter l'interdiction générale de diverses pratiques scientifiques et médicales. Les critères utilisés pour définir les actes prohibés sont souvent flous, et les justifications sont formulées dans bien des cas en termes généraux comme «porter atteinte à la dignité humaine».
La criminalisation, si jamais elle est utilisée dans le contexte scientifique, ne doit être que le dernier recours d'un rigoureux processus servant à déterminer les pratiques qui sont encouragées, tolérées, limitées ou interdites.
Malheureusement, le gouvernement a choisi de se dispenser de cette analyse rigoureuse. Il a formulé les interdictions contenues dans le projet de loi C-47 sans commencer par mettre en place un organisme capable d'examiner ces questions. C'est la raison pour laquelle on relève de nombreuses inexactitudes dans les termes et les articles du projet de loi C-47.
Cela peut s'expliquer en partie par le fait que les praticiens oeuvrant dans le domaine de la santé génésique n'ont pas été suffisamment consultés lors de la mise en forme de cette mesure législative. Ainsi, comme quelqu'un l'a déjà fait remarquer, la définition de «zygote», un terme fondamental, est incorrecte. En outre, le mot «cadavre» qui figure dans plusieurs articles du projet de loi n'est pas non plus utilisé de façon tout à fait exacte.
Plus important encore, l'article 4, dans sa rédaction actuelle, interdit aux membres de la profession médicale de dire à un patient quel est le sexe d'un enfant à naître. Même si cette interdiction vise à juste raison l'utilisation des procédures de détermination du sexe à des fins de sélection, l'article devrait être beaucoup plus explicitement rédigé de manière à exclure la communication circonstanciée de cette information. Nous avons suggéré des formulations alternatives dans notre mémoire.
Non seulement le projet de loi C-47 est mal rédigé, mais on y décèle également de graves lacunes sur le plan de ses objectifs fonciers. Les trois grandes questions qui préoccupent la SOGC sont son impact sur la recherche génétique, la prestation effective de services aux patients infertiles et le problème de l'accès.
Un grand nombre de maladies, comme le diabète, la dystrophie musculaire progressive et la mucoviscidose, sont transmises héréditairement. Le projet de loi C-47 tente, de façon inexplicable, d'interdire, dans son article 4, les recherches qui pourraient précisément nous permettre d'envisager vaincre un jour ces maladies.
La SOGC partage l'opinion de la SCFA qui souhaite que l'on supprime cet article. Il est indubitable que ce secteur de la recherche doit être réglementé adéquatement, mais une interdiction générale est absurde.
La question de la recherche sur les embryons, dont il est principalement question à l'article 4 du projet de loi, a été traitée abondamment par mes collègues de la SCFA. Néanmoins, j'aimerais revenir sur l'importance de cette recherche pour le traitement efficace de l'infertilité. L'interdiction de créer des embryons aux fins de recherche serait néfaste aux patients qui se font soigner actuellement et remettrait sérieusement en question l'amélioration des soins médicaux disponibles à l'avenir.
J'aimerais, pour terminer, en venir à la question de l'accès au traitement de l'infertilité. Il faut commencer par bien comprendre qu'il y a actuellement une pénurie d'ovules et d'embryons au Canada.
Vous pouvez avoir l'impression que les dons d'ovules et de sperme sont aussi courants que les dons de sang. Permettez-moi de vous détromper; tel n'est pas le cas.
Pour ce qui est des dons d'ovules, la procédure requise est effractive au point que peu de femmes se portent volontaires.
Les dons de sperme exigent des tests virologiques, sérologiques et bactériologiques ainsi que des analyses de la semence répétés. Afin d'assurer la sécurité maximale de ces tissus humains, les donneurs doivent subir une batterie de tests pendant au moins six mois avant que les échantillons de sperme puissent être utilisés. Il ne s'agit pas d'une procédure anodine, cela exige au contraire un véritable engagement de la part du donneur. C'est dans ce contexte que la SOGC pose la question suivante: Pourquoi le gouvernement choisit-il de rendre les dons plus difficiles?
L'article 6 du projet de loi est celui qui soulève le plus de problèmes par rapport au système de donation actuel. Bien que la SOGC appuie sans réserve la notion que personne ne devrait vendre ou acheter du sperme, des ovules, des zygotes, des embryons ou des foetus, nous ne pouvons accepter que le remboursement des dépenses raisonnablement attribuables au processus de donation soit interdit.
Je vous ai décrit le processus à suivre pour le don de sperme: on voit bien que des visites répétées à des hôpitaux ou des cliniques pendant environ six mois entraînent des coûts considérables. Par exemple, les frais de stationnement à eux seuls peuvent être de l'ordre d'une centaine de dollars.
Contrairement à ce que vous avez peut-être entendu dire jusqu'ici, aucun pays du monde n'interdit le remboursement des dépenses des donneurs. Au Royaume-Uni et en France, où la vente du sperme est interdite, le remboursement des dépenses est explicitement autorisé et c'est une pratique courante. La SOGC considère que si l'on ne rembourse pas les faux frais, le nombre des donations chutera dramatiquement au Canada, ce qui rendra une situation déjà difficile tout à fait problématique.
Nous aimerions aussi attirer l'attention du comité sur le fait que la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, qui a étudié cette question à fond, en est également arrivée à la conclusion que l'on devrait autoriser le remboursement des dépenses.
Je dirais en conclusion, madame la présidente, que nous exhortons le comité à examiner attentivement ce projet de loi qui risque d'avoir des conséquences extrêmement graves pour les femmes et leur famille au Canada. À défaut d'amendements appropriés, un projet de loi à la fois mal conçu et mal rédigé pourrait détruire tous les espoirs que nourrissent 15 p. 100 des couples canadiens. Il pourrait aussi ralentir la progression de notre connaissance et de notre compréhension d'un grand nombre de maladies génétiques graves.
Je vous remercie de votre attention.
La présidente: Je vous remercie. Qui va intervenir maintenant?
Mme Madeline Boscoe (membre du personnel, Winnipeg Women's Health Clinic): Je vous remercie de nous avoir invitées aujourd'hui. J'avoue que nous pensions qu'il s'agirait d'une table ronde très informelle, et je ne suis pas sûre d'être aussi bien préparée que mes collègues. Je m'attendais plutôt à une discussion autour d'une tasse de thé. Je crois utile de vous en faire part.
Je m'appelle Madeline Boscoe. Je travaille dans un organisme unique au Canada. La Winnipeg Women's Health Clinic est un centre de santé communautaire pour les femmes. Ce centre, qui existe depuis 20 ans, s'efforce de se faire le champion des femmes qui ont recours à des services de santé conçus à leur intention.
Dans cette perspective, la gestion des techniques de reproduction nous intéresse depuis plus de dix ans. Nous avons commencé par des études et une évaluation des besoins, puis nous avons fait de la recherche pour la commission royale.
Dans le cadre de l'élaboration de nos politiques et de nos positions, les consultations que nous menons au sein de notre communauté vont toutefois beaucoup plus loin. Les questions que je voudrais soulever aujourd'hui devant vous s'inspirent de multiples discussions avec de nombreuses femmes souffrant de handicaps et d'infertilité, ainsi qu'avec des femmes qui ont une grande expérience de ces techniques. Nous avons tenté de forger un consensus et de parvenir à une communauté de vues, ce qui est très difficile pour nous tous au Canada, comme l'atteste ce que l'on entend aujourd'hui.
Le programme d'action de la clinique porte également sur les problèmes d'infertilité. Je coordonne un groupe de soutien aux femmes souffrant d'endométriose et je m'occupe particulièrement de l'accès des femmes aux techniques médicales. Quoi qu'il en soit, nous sommes infiniment reconnaissantes que le gouvernement ait préparé cette mesure législative, et je suis ici aujourd'hui pour en appuyer le principe. Nous sommes enthousiasmées par le leadership dont le gouvernement a fait preuve.
Nous sommes cependant frustrées par le manque de coordination, le manque de compréhension et le fait que les sociétés et les grandes entreprises utilisent les besoins et les problèmes des femmes pour mettre au point certains produits et, si l'on veut être franc, faire avancer certaines carrières.
Je considère ce projet de loi comme une importante affirmation des Canadiens en faveur d'une approche de la recherche médicale et de la prestation des services axée sur les besoins.
Je conteste les statistiques qui vous ont été présentées aujourd'hui et qui situent le taux d'infertilité à 15 p. 100. Je suis ici pour vous dire, moi qui travaille en première ligne au niveau communautaire, qu'il n'y a pas tant un problème d'infertilité dans ce pays qu'un problème de contrôle de la fertilité, de prévention des maladies reproductives et de soutien aux mères et aux enfants qui vivent dans la pauvreté.
Nos meilleurs et nos plus brillants scientifiques se consacrent à certaines de ces techniques, alors que j'ai besoin de leur aide pour régler les vrais problèmes. Pour moi, c'est dans ce contexte que l'on devrait situer ces techniques afin de réorienter les choses dans la bonne direction. C'est le point de départ de mon intervention.
On peut vouloir peaufiner l'énoncé de ce texte législatif, mais il est très important pour nous, à la Winnipeg Women's Health Clinic, que la question soit perçue comme une question de santé sur laquelle tous les Canadiens doivent pouvoir s'exprimer. Il ne s'agit pas d'une question réservée aux médecins, aux chercheurs ou à l'industrie. La santé générique touche tous les Canadiens, leurs familles, leurs enfants et leur avenir. Cela n'a rien à voir avec la recherche d'une solution aux problèmes économiques de ce pays.
Je suis très frustrée de me retrouver dans des milieux où ces questions sont souvent amalgamées. C'est de l'identité des gens dont on parle, de qui ils sont. Je pense qu'envisager la manipulation génétique pour régler des problèmes de santé, c'est avoir une vision très étroite des choses. C'est donc dans cette perspective que je m'adresse à vous aujourd'hui.
Nous sommes très heureuses de cette initiative, mais je voudrais dire - d'autres l'ont déjà mentionné - que les femmes auprès de qui nous intervenons ont besoin d'une stratégie globale. Nous considérons qu'il s'agit d'un premier pas. Il est infiniment important que l'on établisse très rapidement une structure réglementaire ainsi qu'un cadre de référence en matière de santé sexuelle et, par-dessus tout, un processus d'éducation communautaire qui permettra le débat de ces questions dans nos collectivités.
Je prendrai l'exemple du tabac, si cela ne vous ennuie pas. Il y a une vingtaine d'années, nous ne nous sommes pas contentés d'adopter des lois sur le tabac, nous avons dépensé de l'argent pour éduquer les collectivités et les consommateurs et leur faire comprendre pourquoi nous agissions ainsi.
Un homme très sage m'a dit un jour que j'accordais énormément d'importance aux lois, mais que les lois sont souvent utilisées pour combler l'absence d'éducation. Je ne m'oppose pas à cette mesure législative, mais je pense qu'à mesure que nous progressons, nous devons reconnaître qu'il y a beaucoup de confusion, de préoccupations et de malentendus au sein de la population.
Je peux vous en donner un exemple. Nous recevons perpétuellement des appels de femmes qui veulent faire un don d'ovules à leur soeur et qui se demandent à qui s'adresser. Quand je demande à une de ces femmes si elle a véritablement réfléchi à la question, elle me dira qu'elle veut être gentille avec sa soeur qui n'est pas capable d'avoir un enfant. Quand je lui demande comment elle s'entend avec sa soeur, elle répond qu'elle ne s'entend pas vraiment bien avec elle. Quand je lui demande comment elle va réagir à Noël quand elle verra sa soeur avec son enfant à elle, elle répond qu'elle n'a pas vraiment réfléchi à tout cela. Elle n'est pas certaine de la façon dont elle réagira dans cette situation.
Cela démontre, à mon avis, que bien des gens se précipitent sur ces techniques sans totalement saisir les conséquences complexes que cela peut avoir sur leur famille et sur eux-mêmes.
Nous sommes également préoccupées, au plan des ressources fiscales, par la demande générée par ces techniques alors que l'on ne peut satisfaire les besoins existants en toute équité. Mme Tregunna y a fait allusion.
Nous avons des recommandations précises à formuler. Je suppose que vous avez un exemplaire du document que nous vous avons envoyé et je n'ai donc pas vraiment besoin de m'y attarder. La première recommandation nous tient particulièrement à coeur actuellement, car nous sommes partie intervenante devant la Cour suprême dans une affaire concernant une jeune femme enceinte qui reniflait de la colle et que les Services à l'enfant et à la famille voulaient soumettre à un traitement obligatoire.
Je pense qu'il est très important, du fait que cette mesure législative tente d'établir le cadre au sein duquel nous allons gérer ces questions, que l'on affirme dans la loi que le gouvernement ne doit pas indûment réglementer le secteur de la reproduction, excepté dans l'intérêt public le plus large.
Dans cette perspective, j'aimerais que les deux recommandations de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction figurent dans le train de mesures législatives du gouvernement, à savoir que l'intervention du judiciaire en matière de grossesse et d'enfantement ne devrait pas être autorisée, et que les traitements médicaux non désirés et autres interférences ou menaces d'interférences avec l'intégrité physique des femmes soient reconnus explicitement dans le Code criminel comme des voies de fait en droit criminel. Nous disons cela car nous pensons que les femmes ont également besoin de protection contre ceux qui prétendent les protéger.
Nous aimerions aussi que l'on ajoute quelque chose pour rehausser le fondement philosophique de cette loi, notamment que l'on utilise un langage reflétant l'importance qui doit être accordée aux droits de la personne, à la diversité et à la dignité humaine. Une partie des dangers que recèlent ces techniques à nos yeux touche le fondement de notre conception de l'être humain et de ce qui constitue raisonnablement la vie. Par conséquent, nous pensons qu'inclure ce genre de considérations dans le préambule contribuerait à une meilleure compréhension et à une meilleure expression des valeurs canadiennes.
On a longuement débattu dans les milieux féminins de l'interdiction de la sélection sexuelle. Après en avoir discuté en long et en large au Manitoba, nous en sommes arrivées à la conclusion que nous appuyons fermement la criminalisation de cette sélection. Les questions soulevées par la génétique et la sélection génétique - ainsi que l'impact et les effets préjudiciables que cela peut avoir sur les gens handicapés dans notre pays - ne sont pas abordées dans le projet de loi, et cela nous préoccupe; toutefois, à notre avis, il n'y pas de place pour la sélection sexuelle, sauf pour des raisons de santé.
J'aimerais aussi faire allusion à la question des choix qui s'offrent aux femmes. Si l'on se fie à notre expérience au Manitoba, quand les femmes parlent de choisir, elles veulent dire choisir quand et où avoir des enfants, ainsi que le genre de traitement dont elles peuvent se prévaloir. C'est impossible à l'heure actuelle même si nous réclamons ces droits depuis vingt ans. Nous préférerions de beaucoup que l'on règle cette question avant de passer à d'autres. Nous préférerions de beaucoup que l'on prenne du recul et que l'on réponde à un besoin plus général plutôt qu'à ceux qui sont générés par la disponibilité de certaines techniques.
J'en ai fini. Je conclurai en félicitant le gouvernement: nous savons que c'est difficile, mais nous sommes très reconnaissantes aux autorités fédérales d'avoir fait preuve de leadership et nous attendons avec enthousiasme la législation relative à la structure réglementaire. Enfin, nous nous attendons à ce qu'un programme éducatif soit mis en place pour mettre ces questions à la portée de la population en général.
Je vous remercie de votre attention.
La présidente: Merci. Merci à tous pour vos présentations.
Nous allons commencer avec Mme Picard la période de dix minutes consacrée aux questions et aux réponses. Ensuite, nous entendrons le point de vue du gouvernement.
Et nous n'allons pas non plus vous oublier, monsieur, simplement parce que vous êtes un homme!
Des voix: Oh! oh!
La présidente: Pauline.
[Français]
Mme Pauline Picard (Drummond, BQ): Je voudrais faire un commentaire avant de commencer à poser mes questions. J'ai été très surprise d'entendre les propos de certains scientifiques; peut-être les ai-je mal perçus. Je conviendrai avec tout le monde que le projet de loi C-47 n'est peut-être pas parfait et qu'il devrait faire l'objet de plusieurs modifications. Ce n'est peut-être pas le projet de loi idéal, mais vous êtes ici pour qu'on puisse travailler en vue de formuler une loi qui saura bien encadrer ces techniques qui nous devancent peut-être; on est peut-être en retard.
J'ai été un peu déçue en entendant une réflexion disant qu'on ne voulait pas du projet de loi, qu'on devrait vous laisser faire votre travail, sinon vous déménagerez à l'extérieur. Je ne suis ni scientifique ni médecin, mais j'ai quand même été élue. Je suis une législatrice et je veux bien faire mon travail. Je représente des gens qui ont à vivre avec les lois qu'on adopte ici.
Il est important dans un pays comme le Canada, où les technologies sont avancées, que nous ayons des règles. De plus en plus, nous avons des chercheurs très efficaces qui trouvent des solutions et de nouvelles techniques pour protéger la santé et développer des moyens d'enrayer certaines maladies. On ne peut pas se permettre n'importe quoi. Il est très important qu'on ait des règles, ce qu'à l'heure actuelle nous n'avons pas. J'ai l'impression qu'on est en retard par rapport à bien des pays.
Maintenant, je voudrais poser une question à M. Miron de l'Institut de médecine de la reproduction de Montréal. Je trouve qu'il fait un travail admirable au Québec.
Il nous a dit que son institut s'était doté d'un comité spécial de conseillers en éthique. J'aimerais savoir comment ça se passe lorsque vous menez de nouvelles recherches. Quel genre d'encadrement vous donnez-vous pour ne pas déborder les cadres de la morale, de l'éthique et du respect de ces valeurs?
Dr Miron: Je vous remercie pour votre question, madame Picard. Je dois vous dire que nous avons constitué notre comité dès le début de l'Institut de médecine de la reproduction de Montréal. Nous pensions, comme médecins, qu'il était important d'avoir sur place des membres représentant la communauté au complet pour aider les médecins à prendre des décisions qui ne sont pas toujours faciles.
Comme vous le voyez, si on a présenté un projet de loi, c'est parce qu'il y a des inquiétudes. Nous sentions le besoin d'avoir recours aux membres du comité d'éthique. Ensuite, l'Institut a grandi et un volet recherche s'est ajouté il y a environ deux ans, d'où l'importance de consolider ce comité d'éthique. Nous avons mandaté M. David Roy, qui travaille à l'Institut de recherches cliniques de Montréal et qui est reconnu comme un bioéthicien et un théologien, pour préparer à notre intention un document sur les protocoles et procédures. Il a consulté environ 50 cliniques partout dans le monde, tant en Angleterre qu'aux États-Unis et dans d'autres pays. Il a été quelque peu étonné d'apprendre que plusieurs cliniques ne se sont pas dotées d'un comité d'éthique sur place. Une des recommandations importantes de son rapport, qu'il nous remettait finalement l'automne dernier, c'était qu'il était important que la présidence du comité d'éthique, dans notre cas la présidente, relève directement du conseil d'administration plutôt que des médecins ou scientifiques.
De plus, je dois vous mentionner que l'Institut de médecine de la reproduction de Montréal a une extension dans un centre de recherche universitaire situé au Pavillon Notre-Dame du CHUM où s'effectue la recherche. Avant qu'elle ne débutent, toutes les recherches sont présentées au comité d'éthique hospitalier afin d'être approuvées. Nous considérons que ce processus est une protection parce que, tout en étant conscients des inquiétudes, nous jugeons important que ces recherches soient développées pour le bien-être des couples infertiles.
En tant que médecin, j'ai décidé de rester au Canada; j'en ai fait une question personnelle. Je pense qu'on est choyés en tant que médecins de pouvoir pratiquer; on a une profession extraordinaire. Effectivement, j'ai eu un choix à faire à un moment donné de ma carrière parce qu'il n'y avait aucun moyen financier de développer ces technologies. Il faut se rappeler que les banques de sperme, du moins au Québec, ne sont aucunement financées par les gouvernements. Il fallait donc trouver des moyens originaux. Après trois ans de démarches en vue de développer un centre public, on s'est fait dire non, qu'il n'y a pas d'argent. La solution était-elle de se retourner et d'aller prendre un travail aux États-Unis, ce qui aurait été une solution facile? Cela n'a pas été notre choix. Notre choix a été de rester au Québec, au Canada, et de pratiquer pour des couples qui ont besoin de nous. Malheureusement, l'infertilité est un sujet très tabou. Porter un projet de loi au criminel va créer encore plus de tabous pour les couples infertiles. Il est quand même étrange qu'il n'y ait pas ici de couples infertiles qui viennent témoigner. Il y a des raisons très spéciales; les couples infertiles ont peur de venir présenter devant tout le monde leur vie privée. Cela demeure très tabou, principalement parce que ces technologies ne sont pas financièrement appuyées par les gouvernements. Elles sont appuyées quand il est question de mettre un cadre législatif et d'utiliser le Code criminel. Je trouve aberrant que d'un autre côté, on n'appuie pas ces couples. Comme je le disais plus tôt, tout cela n'a créé que des barrières pour les couples infertiles.
Qui saurait me dire où a été le bien pour les couples infertiles jusqu'ici à la suite des recommandations qui ont été faites? On n'en voit pas. Les couples infertiles sont laissés à eux-mêmes. Ils ne sont pas aidés par les gouvernements et les assureurs privés. Ils vivent une situation seuls. Ils ne peuvent pas partager avec d'autres la situation qu'ils vivent. Une des faiblesses du dossier, c'est que malheureusement, on n'a pas de couples infertiles qui sont prêts à venir se battre; ils se disent que c'est trop douloureux pour eux. Cela devient tabou. Ils préfèrent garder cela pour eux, d'où l'importance que nous venions vous voir pour vous faire part de nos préoccupations. Je pense qu'il y a des moyens, madame Picard, d'arriver aux mêmes objectifs en n'utilisant pas le Code criminel, mais plutôt des mécanismes d'agrément.
Mme Pauline Picard: Docteur Miron, que faut-il penser du scientifique ou médecin qui a implanté deux embryons de couples différents chez une mère porteuse? Je pense que c'est tout à fait aberrant et c'est pourquoi je crois qu'il faut criminaliser de tels actes quelque part. Le corps de la femme n'est pas un laboratoire.
Dr Miron: Je peux vous dire que cette situation ne s'est jamais présentée au Canada. Il y a des codes d'éthique, et il y a aujourd'hui des sociétés très sérieuses, dont l'Association canadienne des gynécologues et obstétriciens qui a formulé des recommandations précises relativement à cette technologie de fertilité.
L'établissement de mécanismes d'agrément par les provinces serait très puissant. Pour un médecin, perdre son droit de pratique, c'est terrible. Vous avez donc déjà une puissance. Vous pouvez utiliser des mécanismes qui ne sont pas coûteux, qui ne sont pas extraordinaires et qui ne sont pas appuyés par le Code criminel. Vous avez des moyens. Je ne comprends pas qu'on n'ait pas d'abord traversé cette étape. À mon avis, un des mécanismes les plus sains serait de tenter de créer d'abord un organisme qui établirait des mécanismes d'agrément pour ces centres. Et si cette approche ne fonctionnait pas, il serait alors justifié de faire appel au Code criminel.
Je suis convaincu qu'avec ces moyens simples, vous réussiriez à contrôler toute déviance. Comme médecins, mes collègues et moi sommes tous d'accord qu'il faut éviter les déviances avec ces technologies, qu'il faut les apprivoiser progressivement et que ce n'est pas nécessairement simple. Mais, d'autre part, nous devons nous rendre compte qu'en créant un cadre législatif quand la science évolue, il y a un danger énorme de limiter l'amélioration de nos technologies. En bout de ligne, les personnes qui bénéficieront de ces améliorations, ce sont les couples infertiles, la société en général. Je crois que lorsqu'on aide des couples infertiles, on aide la société en général.
Mme Pauline Picard: Vous ne seriez pas tentés de criminaliser le clonage humain?
Dr Miron: Je peux vous dire que je suis personnellement contre le clonage humain. Je pense que l'avantage qu'on a au Canada, c'est qu'il y a une recherche très éthique grâce aux comités. Je crois que le rapport qu'a déposé le comité tripartite prévoit des mécanismes. Il y a moyen de fonctionner avec les provinces et d'arriver à nous protéger contre ces déviances.
Mme Pauline Picard: Merci.
[Traduction]
La présidente: Je vous remercie, madame.
Monsieur Volpe.
M. Joseph Volpe (Eglinton - Lawrence, Lib.): Merci à tous d'être venus témoigner et merci de partager avec nous quelques réflexions à la suite de vos présentations. Je me demande si une préoccupation particulière ne se fait pas jour dans les milieux professionnels et si elle n'a pas largement trait aux craintes associées avec votre pratique, plutôt qu'avec la législation elle- même. Permettez-moi de m'expliquer.
Comme vous le savez, cette mesure législative est le rejeton d'une commission royale d'enquête qui a parcouru le pays pendant une assez longue période de temps, de 1989 à 1993, si je ne m'abuse. C'est une période relativement longue, et la commission a procédé à de très vastes consultations auxquelles pratiquement tout le monde a participé. Toutes les parties prenantes imaginables du Canada ont été impliquées à un moment où les techniques, tout du moins en ce qui concerne le Canada, n'étaient pas du tout aussi avancées qu'elles semblaient l'être il y a environ trois ou quatre semaines.
Je ne sais pas comment formuler mon idée avec diplomatie. Cette mesure législative ne génère-t-elle pas plus d'anxiété qu'elle ne devrait?
Dr Schuurmans: Pourrais-je répondre à cette question?
M. Joseph Volpe: Bien sûr.
Dr Schuurmans: Il y a manifestement des parties du projet de loi que nous appuyons totalement. Je pense à la question de Mme Picard sur le clonage humain, le prêt d'utérus; nous sommes tout aussi opposés à de telles pratiques que le Canadien ordinaire. Toutefois, il y a des dispositions techniques du projet de loi que l'on a manifestement rédigé sans tenir compte suffisamment de l'opinion informée des experts. On a adopté une approche globale qui recouvre des pratiques courantes dans tous les pays. Disons-le clairement, de grandes parties du projet de loi nous conviennent, mais il y en a d'autres où il est manifeste que la personne qui les a rédigées ignore comment les choses se passent effectivement.
Un grand nombre des questions que nous avons soulevées ont été abordées par la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction. Quand le projet de loi a été rédigé, ses auteurs n'ont pas tenu compte de tout ce qui avait été dit par la commission. Par exemple, je l'ai mentionné, le remboursement des dépenses relatives aux dons de sperme a été préconisé par la commission. Celle-ci a également traité de questions plus techniques, dont mes collègues de la SCFA ont discuté, par exemple, les dispositions à prendre quand on parle de recherche sur l'infertilité. Selon moi, certains articles du projet de loi, notamment l'article 4 relatif aux interdictions, sont plutôt simplistes et ont été rédigés par quelqu'un qui n'a pas une connaissance détaillée de la question.
Il ne faut donc pas conclure que nous nous opposons en bloc au projet de loi. Cela doit être clair.
M. Joseph Volpe: Je sais que le Dr Kazimirski voudrait intervenir. Si vous me promettez de me donner une très brève réponse, j'arrêterai là, car la présidente me chronomètre. Étant quelque peu égoïste, je souhaite me réserver tout le temps dont je dispose. Êtes-vous d'accord?
Dr Kazimirski: Je répondrai très rapidement. Je pense que l'anxiété est réelle. C'est un domaine complexe. La lecture des articles publiés la semaine dernière dans la presse à propos du mouton Dolly a soulevé des craintes et créé une certaine anxiété non seulement dans le milieu professionnel mais dans la population en général qui doit être protégée.
Mais le vrai problème c'est que cette mesure législative entrave l'accès à certains services et à certaines recherches légitimes dans le domaine de la reproduction dont bénéficient les femmes. C'est le vrai problème, c'est là où se situe la préoccupation foncière.
Par ailleurs, en ce qui concerne ce qu'inclut ou ce qu'exclut la mesure législative, on n'a pas consulté énormément, et quand cela a été fait, on n'a pas tenu compte de l'avis des propres experts de la Commission. Pour commencer, la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction était déjà dépassée il y a cinq ans. Les choses ont changé. Ensuite, les recommandations de son propre groupe de recherche sur les embryons n'ont pas été acceptées.
Par conséquent, les craintes qu'exprime la communauté scientifique reposent sur le fait que cette mesure législative ne correspond pas à la réalité des besoins des femmes et des besoins de la recherche dans le domaine de la reproduction au Canada.
M. Joseph Volpe: Permettez-moi de vous remercier d'attirer notre attention sur les progrès accomplis en quatre ans. En fait, nous avons beaucoup progressé dans les six derniers mois. Lorsque j'ai présenté le projet de loi à la Chambre des communes en deuxième lecture, il n'y avait pas beaucoup d'intérêt dans le pays, et bien des gens trouvaient que cela tenait quelque peu de la science-fiction. Je me rappelle qu'à Toronto, où j'étais il y a environ trois semaines, les invités de toutes les émissions-débats se demandaient pourquoi le gouvernement canadien faisait preuve de tant de laxisme et de lenteur dans sa réaction.
Bref, vous avez dit quelque chose qui me chicote un peu. Le processus normal pour l'élaboration d'une loi ne nécessite pas obligatoirement que l'on s'adresse à tous les intéressés pour leur demander leur opinion sur des aspects particuliers de la mesure législative. Il y a de larges consultations, comme vous l'avez reconnu, mais cela ne signifie pas que toutes les parties prenantes retrouvent exactement ce qu'elles souhaitent dans la loi. Celle-ci est rédigée en termes suffisamment généraux pour englober tous les aspects de l'objectif poursuivi par la loi.
La loi contient toujours - et vous le constaterez avec la mesure législative qui nous occupe - un article qui permet et prévoit l'élaboration de règlements, qui sont eux-mêmes sujets à modification ultérieurement. Lorsque ces règlements sont présentés, la population a la possibilité de donner son avis sur des points très précis.
Je pense que cela ferait justice à certaines des craintes déjà évoquées par le Dr Schuurmans.
Avant de me laisser emporter par mon enthousiasme, je voudrais faire remarquer qu'il y a eu déjà beaucoup d'interdictions en France, en Nouvelle-Zélande et dans d'autres pays. Quand j'ai pris connaissance du projet de loi, je me suis demandé ce qu'il contenait de neuf. J'ai l'impression que le Canada ne fait que rattraper le temps perdu. Nous n'innovons pas.
Je voudrais demander au Dr Rittmaster d'imaginer qu'il est assis dans une voiture et qu'il écoute les émissions-débats où l'on discute des mesures à prendre au Canada. Si vous écoutiez l'une de ces émissions, seriez-vous pour ou contre le transfert d'embryons entre les êtres humains et les autres espèces? L'utilisation de sperme, d'ovules ou d'embryons humains dans la procréation médicalement assistée ou pour la recherche médicale sans le consentement éclairé du donneur? Ou peut-être la recherche sur les embryons humains passé le quatorzième jour après la conception, ou la création d'embryons uniquement à des fins de recherche?
Je ne peux pas me targuer de l'objectivité dont jouissent les chercheurs scientifiques. Je ne fais que réagir comme la population le ferait à certaines activités auxquelles nous consentons ou que nous autorisons dans la société.
J'ai l'impression que les gens sont contre la création d'hybrides animal-humain, le prélèvement de sperme ou d'ovules sur des cadavres ou des foetus dans le but de les féconder et de les implanter, contre le clonage des embryons humains, comme j'ai pu le constater au cours de discussions qui ont eu lieu ces dernières semaines, sont contre l'altération des gènes génétiques. De fait, c'est la même chose dans les autres pays.
Je n'invente rien. Ce sont des questions qui sont toutes abordées dans le projet de loi. Il me semble qu'il porte sur des sujets qui ont été soulevés dans le passé et qui ont suscité d'énormes craintes dans la population. Cela me paraît manifestement faire partie des responsabilités de tout corps législatif. Vous avez raison de dire que nous souhaitons faire ce qu'il convient pour la santé des Canadiens, plus particulièrement pour les couples infertiles. Vous avez mentionné un chiffre qui est, je crois, contesté, qui est environ deux fois plus élevé que ce qui est généralement accepté. Mais mon intention n'est pas de polémiquer. Vous aviez quelque chose à souligner, vous l'avez fait, mais si l'on s'en tient à la santé des Canadiens, alors, comme je l'ai dit plus tôt, je me demande si on ne dramatise pas un peu trop uniquement pour faire valoir ce que l'on veut souligner.
Dr Rittmaster: Permettez-moi de dire pour commencer que nous avons certainement manqué notre coup aujourd'hui si nous vous avons donné l'impression que nous étions contre ce que vous défendez.
M. Joseph Volpe: C'est l'impression que vous m'avez donnée.
Dr Rittmaster: Je pense que la plupart des interdictions que vous avez mentionnées recueilleraient l'adhésion de tout le monde ici présent. Ce n'est pas ce qui nous préoccupe. Deux choses nous inquiètent: cherchons-nous à rattraper un certain retard? Nous serions le premier pays du monde à interdire l'indemnisation des donneurs de sperme. Aucun autre pays n'interdit l'indemnisation qu'il ne faut pas confondre avec la rémunération - il s'agit de rembourser les dépenses. Donc oui, effectivement, nous créerions un précédent.
M. Joseph Volpe: Mais à vrai dire, la législation envisage déjà le remboursement des dépenses engagées. De plus, on va mettre en place un cadre réglementaire dont on discute déjà. Donc, s'il s'agit strictement d'indemniser les gens, vous savez déjà qu'il y a d'autres pays qui ont opté pour un système totalement bénévole.
Mais dans le cours de nos discussions, je pense que nous devons faire le point sur ce que cela signifie exactement, s'il s'agit de payer pour obtenir des dons de sperme ou si, en fait, on parle, comme vous l'avez mentionné plus tôt, de la santé des Canadiens qui dépend du processus retenu pour assurer l'approvisionnement en sperme d'une banque de sperme, à quelque fin qu'il puisse être utilisé.
J'ai rencontré un groupe qui gérait l'une des plus anciennes banques de sperme au Canada. Ils ont mis au point un système très élaboré de dépistage. Ils ont argumenté, croyez-le ou non, en faveur d'un simple remboursement des dépenses engagées - et non d'une autre forme de rémunération. En fait, à la fin de la réunion, ils ont déclaré qu'un système bénévole représentait, à leur avis, la meilleure solution, du moment que les donneurs n'ont pas à payer de leur poche les dépenses encourues.
Cela m'a paru beaucoup plus équitable que de dire qu'il faut s'y prendre autrement.
La présidente: Monsieur Volpe, votre temps de parole est écoulé.
M. Joseph Volpe: Il ne me reste plus de temps. Vous voyez, docteur...
La présidente: Mais on trouvera probablement le temps de vous redonner la parole plus tard.
M. Joseph Volpe: ... elle a trouvé le moyen de vous donner les deux minutes supplémentaires.
Dr Rittmaster: Il y a, à propos de la recherche sur les embryons, un autre point sur lequel nous avons beaucoup insisté.
Le problème, c'est que dans les milieux médicaux, nous avons amalgamé la recherche à un bon nombre de soins médicaux - ce que nous faisons en matière de soins de santé - en développant de nouvelles techniques pour améliorer le processus de fécondation in vitro. En fait, quand un médecin ou un technicien essaie pour la première fois de réaliser une injection intracytoplasmique de spermatozoïdes - l'introduction d'un spermatozoïde dans un ovule - il crée un embryon. Il n'est pas possible d'apprendre cette technique d'un seul coup avec du matériel humain. On commence avec les animaux et l'on passe ensuite aux humains. Si l'on dit que ce n'est pas de la recherche mais le développement d'une technique, par exemple, il n'y a pas vraiment de problème. Mais dans les milieux médicaux, ce genre d'activité est définie comme de la recherche. C'est pourquoi je pense que si le projet de loi interdit la création d'embryons aux fins de recherche, il faut définir minutieusement ce qu'est la recherche et ce qu'elle n'est pas.
La présidente: Merci.
M. Joseph Volpe: Elle ne me laissera pas répondre.
La présidente: Vous aurez peut-être une autre occasion d'intervenir.
Carolyn.
Mme Carolyn Parrish (Mississauga-Ouest, Lib.): Je suis d'accord avec Mme Picard. J'aimerais vous faire remarquer à vous tous qui êtes des scientifiques - nous avons entendu une note discordante dans le concert, et je suis d'ailleurs curieuse de savoir pourquoi on vous a invitée à comparaître avec ce groupe, madame, mais nous verrons cela plus tard - qu'en tant que législateurs, nous tenons compte d'un grand nombre de choses, comme l'a déclaré Mme Picard. Je suis tout à fait en faveur de la science et de la recherche. Je penche plutôt dans ce sens que dans celui de la religion. Mais en tant que législateurs, nous devons prendre en considération les souhaits de tous nos électeurs, et il y en a beaucoup parmi eux qui pensent que lorsqu'un ovule et un spermatozoïde sont réunis, on a créé la vie; s'en servir pour se livrer à des expériences offusquerait probablement entre 40 et 50 p. 100 de la population canadienne. Vous devez donc essayer de comprendre ce qui nous motive. Nous devons faire très attention.
J'aimerais savoir s'il y a un ecclésiastique parmi les membres du comité consultatif du Dr Miron, car je suis sûre qu'il risque d'être réprimandé et même excommunié par les autorités religieuses quelles qu'elles soient dont il dépend.
Je souhaite, je le répète, que l'on reflète les normes qui sont acceptées par la population canadienne en général. Il y a 250 000 personnes qui vivent dans ma circonscription. Je me suis donné la peine de publier les règlements dans mon dernier bulletin parlementaire. On aurait pu penser que vu le nombre de professionnels de la santé qui habitent dans ma circonscription, il y aurait eu de nombreuses objections. Rien. On aurait pu penser qu'il y aurait eu des objections de la part des couples infertiles. Rien. J'ai reçu de nombreuses lettres de femmes qui avaient subi plusieurs implantations, alors que le docteur savait pertinemment qu'elles ne seraient jamais en mesure d'avoir des enfants, et qui espéraient que ces règlements vous aideraient à sélectionner plus attentivement vos patients.
Je suis très préoccupée par le fait qu'au coin de ma rue, un énorme centre de plusieurs millions de dollars a été construit par trois médecins qui se livrent à ces pratiques pour gagner leur vie, leur seule préoccupation étant que lorsqu'ils dépassent le plafond fixé par l'OHIP, l'argent continue de rentrer. Cela m'inquiète beaucoup en tant que législatrice. Me voilà en train de faire tout un discours. Cela n'arrive pas souvent, mais de temps en temps c'est nécessaire.
La Société canadienne de fertilité et d'andrologie a parlé de la technique consistant à injecter un spermatozoïde dans un ovule afin d'aider les mâles infertiles à devenir pères - une idée que j'ai trouvée fascinante - et vous avez utilisé le terme «normal» ou «normalité». Je n'ai pas beaucoup étudié la science, mais je connais le processus de sélection naturelle, et dans certains cas, lorsque les mâles produisent du sperme défectueux ou faible, ils ne sont pas censés se reproduire... Cela s'appuie sur la religion, la science ou la nature. Quand vous vous livrez à cette pratique, y a- t-il une garantie que le couplage du sperme et de l'ovule donnera un être normal? Que faites-vous pour le vérifier? Que faites-vous si vous vous rendez compte que ce ne sera pas le cas?
Dr A. Leader (vice-président, Société canadienne de fertilité et d'andrologie): Comme l'a déclaré la commission royale, il faut partir des faits. Autrement dit, les faits déterminent la pratique et devraient déterminer la politique.
Dans les études qui ont été faites au centre de Bruxelles qui a mis au point l'ICSI et dans celles qui ont suivi, on n'a rapporté aucun effet négatif. Ces études ont été faites par des généticiens qui ont examiné attentivement plus de 1 000 enfants, et plus de deux ans se sont maintenant écoulés depuis l'introduction de l'ICSI. On peut donc dire que l'incidence d'anomalies chromosomiques parmi ces enfants est la même que parmi la population en général.
Mme Carolyn Parrish: Y a-t-il un moment où, lorsque vous procédez à un test, vous avortez le foetus s'il est anormal?
Dr Leader: Les couples qui veulent avoir un enfant peuvent toujours faire faire des tests génétiques. La procédure habituelle est de vérifier les chromosomes du mâle dont le sperme va être utilisé et, si l'on détecte une anomalie chromosomique manifeste, la déontologie exige que l'on conseille au couple de ne pas recourir à cette technique. Autrement dit, si l'homme est porteur d'une anomalie génétique évidente, on conseille de recourir à une autre solution, par exemple, à l'insémination par don de sperme.
La question de la recherche sur les embryons fait aussi partie de celles auxquelles vous devez vous intéresser. Il y a des techniques qui font actuellement l'objet de recherches en Australie - pays qui réglemente mais qui ne criminalise pas ces activités - qui permettent de développer l'embryon jusqu'au sixième ou septième jour. On reste donc dans la limite des quatorze jours, mais on obtient un blastocyste, et au lieu d'avoir à faire deux, trois ou quatre tentatives, on arrive à un taux de conception par tentative de 70 p. 100, selon les premières études qui ont été effectuées là-bas et aux États-Unis.
La recherche, qui en fait reste à faire, épargnerait aux femmes et à leurs partenaires le problème ou la contrainte d'avoir à subir des tentatives répétées. Mais il n'est pas possible de simplement transplanter ce genre de recherche de Melbourne ou de Sydney, en Australie, au Canada. Il y a un moment où il faut évaluer votre propre capacité à mettre la technique en oeuvre.
Ce que nous reprochons au projet de loi, c'est le caractère global de ses interdictions. Si vous pouviez mettre en place un cadre réglementaire et un organe de réglementation... Cette instance pourrait dire, non, c'est interdit et si vous le faites, vous devenez un criminel. Or, en l'occurrence, on commence par criminaliser avant de réglementer, c'est cela le problème. Ce n'est pas tant la substance que le fait: le processus qui a été suivi est différent de celui qui a été adopté dans les autres pays, et de tenter de faire une comparaison en bloc n'est pas approprié.
Mme Carolyn Parrish: Si vous le permettez, madame la présidente, j'aimerais poser une question au Dr Miron.
Vous avez dit que vous travaillez dans un hôpital privé et vous avez parlé de conseil d'administration ou de conseillers. Ce n'est pas une question oiseuse, docteur Miron, mais pourriez-vous me dire s'il y a des religieux, un ecclésiastique, qui siègent à ce conseil consultatif?
[Français]
Dr Miron: Au sein du conseil d'administration, non.
[Traduction]
Mme Carolyn Parrish: Il n'y en a pas parmi les membres de votre conseil consultatif.
[Français]
Dr Miron: Jusqu'à tout récemment, Hubert Doucet, qui était doyen à la Faculté de théologie de l'Université d'Ottawa, faisait partie de notre comité et nous devons maintenant le remplacer. Comme vous le savez, il concentre maintenant ses activités dans son domaine. Il considérait qu'Ottawa était éloigné, mais nous étions fiers qu'il soit parmi nous parce qu'il apportait son côté théologie. Sonia Le Bris préside maintenant le comité. Elle est une juriste qui a justement fait sa thèse sur la procréation médicalement assistée. Elle connaît donc bien ce volet.
[Traduction]
Mme Carolyn Parrish: Excusez-moi de vous interrompre, docteur Miron, mais je n'ai pas beaucoup de temps. Mme Hickey va nous tomber dessus dans une minute.
Voici ce qui m'intéresse. Vous avez dit que vous avez créé votre propre comité d'éthique et que vos collaborateurs vous aident à établir des procédures éthiques pour votre hôpital. Excusez-moi si je me trompe, mais je présume que l'hôpital francophone où vous travaillez doit beaucoup ressembler aux hôpitaux polonais que je connais; presque tout le monde est catholique. Avez-vous des ecclésiastiques, des religieux, parmi les membres de votre comité d'éthique?
[Français]
Dr Miron: Comme je le disais, Hubert Doucet, qui est en théologie, siégeait jusqu'à récemment à notre comité d'éthique et il sera remplacé, je l'espère, par quelqu'un du domaine religieux, ce qui est important pour nous. Je précise que notre institut n'est pas un hôpital, mais un centre privé, à l'extérieur d'un centre hospitalier, bien qu'on ait une affiliation avec un centre hospitalier universitaire.
J'aimerais appuyer les propos du Dr Leader et les préciser. Il est certain que notre crainte comme médecins ou scientifiques, c'est que la recherche soit criminalisée, que la loi soit tellement large que les médecins n'osent plus faire de la recherche pour améliorer les technologies et avancer. Vous pouvez en imaginer l'impact finalement. L'exemple du Dr Leader est un bon exemple de l'impact du refus d'améliorer les technologies, de l'incapacité de les simplifier pour la femme et de l'interdiction de la création d'embryons à des fins de recherche. L'alinéa 4(1)k) stipule que nul ne peut sciemment «produire la fécondation d'un ovule à l'extérieur du corps humain aux fins de recherche».
Lorsque nous aidons un couple en lui offrant la fécondation in vitro, nous considérons que nous faisons une recherche en vue d'améliorer le milieu de culture en transférant l'embryon à un stade plus avancé. Pour nous, c'est de la recherche.
Est-ce qu'en tant que médecins, nous refuserons de toucher à cela par crainte de nous faire pénaliser, d'enfreindre le Code criminel, d'être emprisonnés ou de devoir débourser une amende de 500 000 $? L'impact sera excessivement négatif en bout de ligne pour les couples infertiles. Il faut que nous soyons conscients de cet impact.
[Traduction]
Mme Carolyn Parrish: Dans la présentation de l'Association médicale canadienne, il a été question d'un code d'éthique et de consentement éclairé. Pour moi, la question du consentement éclairé est très complexe, tout comme celle qui nous occupe. À moins d'avoir étudié quelque peu la science, les termes que vous avez employés peuvent être difficiles à comprendre.
Quand un couple est désespéré, dans quelle mesure son consentement peut-il être éclairé? N'est-il pas facile de manipuler des gens qui souhaitent désespérément avoir des enfants? N'est-il pas facile de leur dire que la procédure n'est peut-être pas très fiable, mais que vous allez l'essayer pour les aider? Comment pouvez-vous garantir que le consentement est éclairé quand on a affaire à des gens désespérés?
Dr Kazimirski: Vous avez raison de dire que les couples infertiles sont «désespérés». Je suis clinicienne, j'ai été chef du service d'obstétrique dans un hôpital communautaire et j'ai élaboré des programmes de santé offerts aux femmes dans notre province. J'affirme que l'incidence de l'infertilité dans ma pratique est de 15 p. 100.
Quand des couples viennent me consulter, à mon niveau, on reste plus ou moins au stade des généralités, mais le concept de consentement éclairé signifie que le patient ou le couple doit savoir, avant tout, quel est le problème. Il faut faire un diagnostic. Ils doivent se plier à un processus d'investigation. Le patient et le couple reçoivent des informations sur leur propre situation. Leur consentement éclairé concerne en fait à la fois l'information sur la procédure et les conséquences de cette procédure pour eux, en tant qu'individu, et en tant que couple.
S'ils sont dirigés vers un centre d'infertilité - et le Dr Schuurmans peut vous donner plus de détails à ce sujet - il existe des directives très précises et très strictes concernant l'information à fournir aux couples infertiles. Les services d'un travailleur social ou d'un conseiller leur sont proposés, et cette personne peut les aider, premièrement, à examiner quelles sont les options qui s'offrent à eux. Il ne s'agit pas uniquement de l'application des techniques de reproduction. Il s'agit d'examiner les options une fois que l'incapacité de concevoir de façon normale a fait l'objet d'une investigation et que l'on a déterminé que le couple ne peut pas avoir d'enfant. Le consentement éclairé signifie aussi réfléchir à cela.
Si le couple choisit de s'engager plus avant dans le recours à la technologie, le processus devient très détaillé. Effectivement, ce sont des gens désespérés, mais ils sont également impliqués dans un processus qui est tellement long qu'ils ont toute l'information voulue pour leur permettre de nous donner ce que je considère comme un consentement véritablement éclairé.
Si l'on se place dans la perspective de la responsabilité du praticien, ces personnes ont affaire à des praticiens à divers niveaux: leur médecin de famille coordonne habituellement des soins qu'ils reçoivent et c'est lui qui procède à l'orientation initiale et qui leur explique aussi souvent certains des détails scientifiques; ils ont aussi des contacts avec les spécialistes et sous-spécialistes qui participent à leur prise en charge médicale. Je pense que le Dr Schuurmans pourrait sans doute vous donner plus de détails sur le rôle du spécialiste, mais c'est...
Mme Carolyn Parrish: Je comprends le processus, mais ce que j'essaie de dire, c'est que si le taux de réussite est de 1 sur 10 ou de 1 sur 20, n'importe quel couple désespéré qui vient vous consulter pensera qu'il est celui pour qui, sur les 20 ou les 10 en question, la procédure réussira. Je crains fort qu'en l'absence d'une forme quelconque de réglementation, ces procédures soient proposées à des gens qui ont en réalité peu de chance de pouvoir concevoir des enfants.
Dr Kazimirski: Je comprends vos préoccupations et je remarque que vous utilisez le mot «réglementer»: vous avez tout à fait raison. Il faut qu'il y ait des règlements plus stricts dans tout ce domaine. Mais la criminalisation? Non. Je ne pense pas que cela soit la solution.
Oui, les gens reçoivent de l'information, et ce qu'ils en retiennent quand ils vivent une situation critique dépend énormément des personnes en cause, mais je pense qu'il y a un système en place dans la plupart des centres et que ce risque n'est pas ignoré.
Il est important de rappeler comment cela se passe dans notre pays. Premièrement, nos praticiens sont réglementés. Il y a aussi une réglementation pour les installations. Au Canada, la recherche est fortement réglementée par l'entremise d'un organe appelé le «Comité d'éthique pour la recherche».
Par conséquent, en ce qui concerne vos préoccupations au sujet des dispositions touchant la recherche dans ce document, lorsque des propositions aboutissent devant des Comités d'éthique pour la recherche, elles sont présentées à un comité où siègent des représentants des consommateurs et des professionnels de la médecine qui les évaluent dans une perspective morale et scientifique et qui prennent une décision basée sur des normes nationales très strictes.
Il faut savoir que l'élaboration et la surveillance de l'application des normes nationales dans le domaine de la recherche sur les sujets humains dans ce pays concernent, entre autres, les mécanismes de reproduction et la génétique, et que c'est très étroitement réglementé par les Comités d'éthique pour la recherche dont les décisions peuvent être revues par le Conseil de recherche médicale et par le CNBRH, c'est-à-dire le Conseil national de la bioéthique en recherche sur les sujets humains.
Il existe une directive nationale sur les normes à respecter que l'on est en train de moderniser et qui est examinée par les trois organismes subventionnaires. Je vous rassure donc, il existe un processus approprié de réglementation des activités de recherche qui est parfaitement élaboré, examiné et mis en oeuvre dans notre pays.
Mme Carolyn Parrish: Docteur Kazimirski, vous me pardonnerez de ne pas avoir autant confiance dans les comités d'examen professionnel que je le devrais, car dans le pays dont vous parlez, on autorise les avortements pendant les trois derniers mois de la grossesse. Les comités ne réglementent pas cela, ils ne l'interdisent pas. Le pays qui autorise les avortements...
Dr Kazimirski: Excusez-moi. Qu'entendez-vous par avortement au cours des trois derniers mois de la grossesse? Cela n'existe pas. L'avortement est défini comme l'interruption d'une grossesse avant que le foetus ait la capacité de survivre en dehors de l'utérus. Pendant les trois derniers mois, il n'est pas loin de pouvoir survivre par lui-même...
Mme Carolyn Parrish: Et vous affirmez que l'on ne pratique pas cette intervention dans notre pays...
Dr Kazimirski: Personne au Canada n'avorterait une femme au cours des trois derniers mois de sa grossesse. Absolument personne.
La présidente: Madame Parrish, vous avez épuisé votre temps de parole.
Madame Boscoe, je m'excuse car à plusieurs reprises, vous avez tenté d'intervenir, en vain. Aimeriez-vous dire quelques mots?
Mme Boscoe: Quel dénouement!
Des voix: Oh! oh!
Mme Boscoe: J'ai deux observations. Ce que j'ai entendu me pousse à dire quelque chose au sujet de l'injection de spermatozoïdes dans l'ovule pour traiter l'infertilité masculine. L'infertilité masculine est un problème, mais pourquoi la solution implique-t-elle un traitement qui médicalise les femmes et les expose aux risques que comportent les interventions chirurgicales? Cela ne se fait dans aucun autre domaine. Il me paraît bizarre que l'on puisse considérer cela comme une solution médicale légitime au problème de l'infertilité masculine.
En ce qui concerne le consentement éclairé, nous avons effectué des recherches à la Women's Health Clinic et je pense que l'on a découvert ailleurs également... Je dis cela un peu en m'excusant car je crois à la sincérité et à l'intérêt manifestés par les membres de la profession qui sont ici aujourd'hui. Toutefois, quand on regarde ce qui se passe en pratique, dans les faits, trop souvent il s'agit de séances d'information sur la procédure médicale. Cela tient au fait qu'elles se déroulent en milieu hospitalier et que les gens impliqués ont beaucoup trop d'autres responsabilités, comme la gestion d'un projet de recherche ou des patients qui font la queue pour recevoir un traitement. C'est ce qui se passe pour le traitement de l'infertilité, mais également, plus grave encore, au niveau du dépistage génétique.
C'est pourquoi je partage les préoccupations qui ont été exprimées. Les recherches sur le sujet que nous avons faites à la clinique montrent que les femmes ne bénéficient pas d'une information complète; elles n'ont pas la possibilité de l'absorber dans un milieu sécurisant, et les renseignements qui sont donnés ont tendance à n'être que de nature médicale.
Je vais vous donner un exemple. Vous venez consulter pour cause d'infertilité et on vous dit: «À partir de maintenant votre vie sexuelle va être chronométrée. Avez-vous déjà réfléchi à l'impact que cela peut avoir sur votre relation? Comprenez-vous la colère que peut ressentir votre conjoint?» Il s'agit de processus complexes. Ou encore il y a l'histoire que je vous ai racontée au sujet de la personne qui souhaitait donner un ovule à sa soeur. L'élargissement au contexte familial est très rare car les processus d'information s'inscrivent dans le cadre des procédures médicales. Tout se passe en fonction des procédures. La question du consentement éclairé est beaucoup plus vaste et doit dépasser le cadre de la consultation médicale. C'est une partie du problème.
Je pense que l'autre chose dont il est question ici aujourd'hui, c'est de la répartition des ressources. Que font nos plus brillants esprits? On entend dire que les crédits de recherche pourraient être coupés.
Et je conteste le taux d'infertilité de 15 p. 100 de la population canadienne. Nous avons toutes sortes de problèmes, y compris des gens qui se disent eux-mêmes infertiles car on est en septembre et ils veulent avoir un enfant en juin. Ce n'est pas comme cela qu'on fait des enfants. Nous rencontrons également à la clinique un assez grand nombre de femmes qui repoussent leur première maternité pour des considérations économiques et auxquelles on ne dit pas que c'est un choix qui ne peut pas être retardé indéfiniment. Il faut qu'il y ait une autre sorte d'éducation dirigée dans nos collectivités afin que les gens sachent quand ils peuvent avoir des enfants, si vous comprenez ce que je veux dire.
La présidente: Merci.
Le comité était censé terminer ses travaux à 17 heures, mais si vous me le permettez, j'ai une question à laquelle j'aimerais que l'on réponde avant de lever la séance. Ensuite, si tout le monde a le temps et si mes collègues ont une deuxième question à nous poser, nous pourrions peut-être poursuivre jusqu'à 17 h 30.
Colleen, vous voulez poser une question? Vous avez la parole. Veuillez m'excuser.
Mme Colleen Beaumier (Brampton, Lib.): Je pense que la plupart des intervenants comprennent que la question est en vérité beaucoup plus qu'un vaste problème de recherche ou un problème médical.
J'ai eu l'impression, docteur Rittmaster, que vous considérez qu'il n'est pas vraiment nécessaire de légiférer. Pourtant il n'y a pas très longtemps aux États-Unis, on a procédé au clonage de primates. Quand les milieux médicaux ont réalisé ce qui se passait, on s'est précipité et on a détruit tous les dossiers médicaux. Vous pouvez dire que cela ne se produit pas encore au Canada - mais quand même. Comment peut-on être sûr qu'il n'y aura pas de dérapage scientifique un jour?
Dr Rittmaster: Premièrement, je vous ai, vous aussi induite en erreur. Nous ne nous opposons pas à ce que l'on légifère dans ce domaine et nous serions prêts à appuyer une bonne partie du contenu du projet de loi C-47.
Deuxièmement, bien des sujets dont on a discuté au cours des quinze dernières minutes ne concernent pas du tout le projet de loi C-47. On n'y aborde pas la question du consentement éclairé. L'interaction entre le médecin, le patient et le reste de l'équipe médicale n'est pas vraiment abordée.
Nous considérons qu'une réglementation est nécessaire dans ce domaine. Elle dépasse en grande partie la portée du projet de loi C-47, et je pense donc qu'il n'y a pas beaucoup de différence entre ce que vous dites et ce que nous soutenons. Il y a dans le projet de loi, quelques dispositions qui nous posent de gros problèmes. Nous pensons qu'il serait nécessaire d'en tenir compte. Nous n'avons pas l'impression que Santé Canada nous a écoutés quand nous avons dit qu'il fallait apporter certains amendements.
Mme Colleen Beaumier: Il y a une autre chose qui me frappe: le fait que nous parlions d'argent. La majeure partie de la procédure n'est pas prise en charge par les régimes de soins médicaux, et par conséquent, elle est réservée à des gens qui ont les moyens de financer et qui peuvent exercer des pressions. Les pauvres sont certainement désavantagés à cet égard. Si vous êtes pauvre et infertile vous n'aurez probablement pas d'enfant, mais si vous avez de l'argent... Comment peut-on faire pour renverser la vapeur? Je suis certain que plusieurs d'entre vous font l'objet de pressions considérables de la part d'un grand nombre de ces groupes. Je ne sais pas trop comment faire pour rétablir un certain équilibre. Pensez-vous que cela soit possible?
Dr Rittmaster: Je vais laisser à l'un des spécialistes de la fertilité le soin de vous répondre.
Dr Leader: Je pense qu'il s'agit d'une question de justice sociale. Dans la Loi canadienne sur la santé... À la réunion des ministres, à Banff, ils ont déclaré précisément que la fécondation in vitro devait être soustraite des régimes d'assurance-maladie. Je parle de la façon dont les choses se présentent à Ottawa et ailleurs. Si vous êtes de religion islamique et que vous êtes un homme, vous ne pouvez pas vous servir du sperme d'un donneur. Vous n'avez pas le droit d'adopter car c'est contre les enseignements de votre religion. Par conséquent, vous n'avez qu'une solution si vous avez du sperme, à savoir l'injection de sperme, un point c'est tout. Et vous trouverez l'argent nécessaire puisqu'il n'y a pas d'autre solution. Ce dont vous parlez, c'est de justice sociale.
Ce que vous devriez faire, c'est dire que la Loi canadienne sur la santé couvre l'infertilité et le traitement de l'infertilité et par conséquent, les provinces devront payer. Si elles se conforment à cela, il va falloir qu'elles paient.
Plus précisément, le ministère fédéral de la Santé a déclaré à Banff, il y a deux ou trois ans, que le traitement de l'infertilité, notamment la FIV, devrait être soustrait de la couverture médicale et mis sur le même pied que la chirurgie esthétique, comme s'il s'agissait de réparer un lobe arraché ou d'effacer des tatouages.
Faites-en une question de justice sociale et alors, l'accessibilité ne fera plus problème.
Je peux vous dire - car je tiens le registre canadien de la FIV - que le recours à cette technique a diminué, plutôt qu'augmenté, et que nous traitons les patients plus tard au Canada que ce n'est le cas dans tout autre pays. Et quel que soit le pourcentage d'infertilité que vous voulez utiliser, que ce soit 8 p. 100, qui est le chiffre pour les États-Unis, ou 8 ou 9 p. 100, qui est le chiffre avancé par la commission royale, nous sous- utilisons quand même cette technologie par rapport aux autres pays du monde. Les médecins et les patients se montrent très prudents à l'égard de cette technique. La question de savoir qui l'utilise est de l'ordre de la justice sociale, et cela doit être abordé dans une optique politique.
Mme Colleen Beaumier: Ne pensez-vous pas que l'on a peut-être moins recours à cette technique à cause de quelques histoires d'horreur dont on a entendu parler, du taux de réussite et...
Dr Leader: Non. La population vieillit et les gens qui font partie des baby boomers traversent une période où ils s'intéressent à la reproduction. Les cas en souffrance ont été réglés. On se retrouve maintenant avec moins de gens qui ont des problèmes techniquement plus difficiles à régler que ne l'étaient les précédents.
En outre, la pratique est en déclin car son aspect scientifique devient beaucoup plus important. Par conséquent, le nombre de centres qui offrent ce service est en diminution au Canada parce qu'ils n'ont pas tous le savoir-faire nécessaire. Pour un scientifique ou un clinicien, la question n'est pas: «Si vous ne me laissez pas agir à ma façon, je vais faire mes bagages et aller aux États-Unis», c'est: «Si vous ne me laissez pas faire mon travail, qui le fera?»
La commission royale s'est penchée sur la question du consentement éclairé. Elle l'a passée en revue. J'ai participé à cet examen. Les patients qui se sont prêtés à la FIV ou à des traitements de l'infertilité, et qui ont été interrogés par un certain Dr Stephens, ne se sont pas plaints du processus relatif au consentement éclairé.
Par conséquent, si vous souhaitez une étude objective qui a été effectuée dans le cadre de la commission royale, les données sont là. Je dis cela pour mémoire.
Je pense que les gens craignent que, foncièrement, vous criminalisiez une activité, que vous y mettiez fin et qu'en bout de ligne, vous ne fassiez qu'empirer la situation sur le plan de la justice sociale. Vous rendez les choses plus difficiles pour les gens. Il faudra aller aux États-Unis, où cela coûte deux fois plus cher. Je ne pense pas que ce soit ce que vous recherchez.
La présidente: J'aimerais juste poser une brève question. Quiconque le souhaite peut me répondre.
J'ai remarqué que dans certaines de vos déclarations, vous mentionnez que 15 p. 100 des Canadiens sont infertiles. Je me demande d'où vous tirez ces statistiques? D'une enquête nationale effectuée aux États-Unis ou au Canada? Comment peut-on mesurer l'infertilité? Est-ce que parce qu'après avoir eu des relations sexuelles pendant un an, une femme n'est toujours pas enceinte ou que vous n'avez pas d'enfant deux ans plus tard? Comment mesure-t- on l'infertilité chez les gens?
Dr Rittmaster: Ces 15 p. 100 reflètent la situation que vous avez décrite. Nous n'aurions probablement pas dû utiliser ce pourcentage précis. Cela signifie qu'après un an d'essais, 15 p. 100 des couples ne parviennent pas à concevoir. Je reconnais que cela ne signifie pas nécessairement qu'ils sont infertiles, mais c'est ce qu'ils pensent.
Aucun spécialiste de l'infertilité n'envisagerait recevoir un couple avant ce délai à moins qu'il y ait une raison de soupçonner qu'il existe un problème. Mais le chiffre plus réaliste, en ce qui concerne les gens qui éventuellement pourraient avoir besoin de recourir à cette technique, est de l'ordre de 7 ou 8 p. 100. C'est donc environ la moitié de ce dont on a parlé.
La présidente: Environ la moitié.
Dr Schuurmans: Nous n'avons pas mentionné le chiffre de 15 p. 100 dans l'intention de vous tromper. Comme mon collègue l'a déclaré, nous ne recevons pas une femme qui prétend avoir un problème d'infertilité à moins qu'elle n'ait essayé de concevoir avec son mari ou son partenaire pendant un an.
La présidente: Puis-je vous demander combien de temps doivent durer les «essais»? Je pense que je peux citer mon propre exemple. Pendant sept ans, je n'ai pas eu d'enfant et ensuite, je me suis retrouvée avec des jumeaux. Étais-je infertile?
Dr Schuurmans: Beaucoup de gens se présentent après six mois de tentatives et déclarent vouloir des tests d'infertilité. La plupart des médecins leur diront que ce qui leur arrive est tout à fait normal.
Mais si c'est une femme de 34 ans qui déclare avoir activement cherché à concevoir avec son mari qui vient vous consulter, il est alors raisonnable d'entreprendre des tests d'infertilité après un an d'essai. C'est donc un peu comme ça que nous en sommes arrivés à ce chiffre.
La présidente: Ma mère me disait toujours que si je n'y pensais pas, je finirais par tomber enceinte. Je n'y ai pas pensé, mais cela a duré sept ans.
Mme Tregunna: Puis-je faire une observation qui porte sur la santé publique? Ce n'est pas lié directement au projet de loi, mais la question n'est pas seulement de savoir combien de gens sont infertiles, mais comment prévenir l'infertilité plutôt que de devoir y faire face. C'est un sujet dont on ne traite pas dans ce projet de loi, alors que la prévention et la promotion occupaient une place très importante dans les conclusions de la commission royale.
La présidente: Je sais qu'il ne nous reste que quelques minutes. Monsieur Volpe?
M. Joseph Volpe: Il y a une chose dont nous n'avons pas discuté: l'un des objectifs du projet de loi est de garantir que les femmes et les enfants ne puissent pas être traités comme des marchandises. Nous en n'avons pas du tout parlé. Je pense que vous y avez fait allusion.
Je me demande, premièrement, si vous pensez qu'il s'agit d'un objectif louable. Deuxièmement, nous avons parlé du consentement éclairé. Vous me permettrez d'aborder la question du consentement éclairé sous un angle différent. En ce qui me concerne, il s'agit de la capacité à gérer l'information dont vous disposez d'une manière relativement logique qui prend en compte les systèmes de valeur qui vous ont menés au point où vous avez pris une décision. Je ne suis pas sûr, sur la base de ce que j'ai entendu, d'être tout à fait convaincu que les gens ont la possibilité de donner un consentement éclairé.
Je me demande si en fait votre point de vue - et j'espère ne pas me montrer injuste - ne s'explique pas par un désir d'examiner les choses sur une base purement scientifique, en écartant tout autre aspect, par le désir de s'en tenir à la recherche scientifique qui, pour certains, doit être libre de toute autre considération, qu'elle soit sociétale, morale ou éthique. Le projet de loi, en essayant de préserver une approche laïque, suggère malgré tout qu'il existe certaines choses que la société rejette dans le contexte d'un modèle purement scientifique. Par conséquent, nous devons tenter d'élaborer un texte législatif qui tient compte de ces dimensions.
Pour conclure, je remarque que vous avez utilisé l'expression «criminaliser certaines activités» à plusieurs reprises. Je me demande si vous pensez que criminaliser certaines activités est une façon impropre de signifier que la société, dans son ensemble, ne prend pas à la légère les conséquences de ces activités.
Dr Schuurmans: J'aimerais répondre. Pour ce qui est de la première partie de votre question, à savoir si nous sommes en faveur d'utiliser les femmes et les enfants comme des marchandises, je pense que tout le monde dans cette pièce appuie les mesures prises par le gouvernement pour que cela ne se produise pas. Dans ces cas-là, je pense que la criminalisation est une solution appropriée.
En revanche, quand on parle des aspects purement techniques de l'infertilité, à propos desquels il existe encore beaucoup d'incertitude - d'ailleurs, parfois, ces questions complexes devraient faire l'objet d'un examen cas par cas par un organe réglementaire ou quelque chose comme ça - la criminalisation n'est pas appropriée, car il est trop difficile d'établir des règles absolues. Je crois que c'est ce que nous avons essayé de dire.
Les parties du projet de loi que nous appuyons sont celles qui portent sur des activités dont nous jugeons la criminalisation justifiée. Les parties auxquelles nous nous opposons, qui sont parfaitement décrites dans tous nos mémoires, sont celles qui, à notre avis, devraient relever plutôt d'un organisme de réglementation approprié.
Dr Tanphaichitr: J'aimerais faire une observation. En tant que chercheur dans le domaine de la reproduction humaine, je voudrais dire qu'une grande partie de la recherche que nous effectuons est au bénéfice des femmes.
Prenez, par exemple, la maturation et la congélation des ovules. Cela évitera aux femmes de subir une procédure de déclenchement de l'ovulation qui a des effets secondaires. L'article du projet de loi qui interdit la fécondation d'un ovule par un spermatozoïde aux fins de la recherche entraverait les progrès dans ce secteur.
[Français]
Dr Miron: J'aimerais apporter un commentaire. On entend souvent dire que les couples infertiles sont des enfants. Or, ce sont des adultes et je pense qu'ils sont souvent beaucoup mieux informés que d'autres au point de vue médical. Il est assez impressionnant de voir à quel point ces couples s'informent bien à propos des technologies. Certains des couples que nous traitons sont même abonnés à des journaux médicaux en matière de fertilité et de stérilité. Souvent, ce sont des gens qui ont une instruction avancée et qui font de la recherche sur leur cause.
Avant d'aller en fécondation in vitro ou en insémination avec sperme donneur, notre exigeons habituellement que tous les couples rencontrent un psychologue. Cette étape est obligatoire avant que nous orientions des couples vers un traitement. Notre objectif n'est pas d'évaluer leur capacité parentale, mais de nous assurer qu'ils ont vraiment fait un choix éclairé. Pour nous, la relation médecin-patient ne suffisait pas; on jugeait important d'ajouter cet élément.
Ce processus peut être sujet à débat. Souvent des couples diront qu'ils n'ont pas besoin de voir un psychologue, qu'ils sont des adultes et non pas des enfants et que, comme tout le monde, ils savent dans quoi ils s'embarquent. Malheureusement, notre société a tendance à infantiliser cette population infertile et particulière, ce qu'elle n'est pas. Mon expérience, qui est semblable à celle de pas mal tous les médecins, révèle que ces gens vont chercher beaucoup d'information. C'est probablement un secteur dans le domaine médical où on transmet énormément d'information et où on parle des différentes options, y compris l'adoption qui peut être un autre choix pour ces couples.
[Traduction]
Dr Kazimirski: Il est important de réfléchir un instant à ce dont nous avons discuté cet après-midi. Ces questions sont extrêmement complexes. Certains concepts font peur, d'autres engendrent l'espoir; tout dépend de l'auditoire auquel on a affaire.
Toutefois, beaucoup des sujets que nous avons abordés ne sont même pas couverts par cette loi en préparation. Un grand nombre de pratiques qui pourraient s'ajouter à ce dont disposent les femmes pourraient être prises en compte dans un cadre réglementaire approprié. Nous nous demandons tous pourquoi tout devrait être criminalisé, et non certaines activités, uniquement? Pourquoi ne pas envisager un modèle différent, un cadre réglementaire approprié qui remplirait ce rôle?
La présidente: Je voudrais maintenant remercier chacun d'entre vous de s'être déplacé aujourd'hui. Merci de vos mémoires et de l'information intéressante que vous nous avez communiquée.
Avant que le comité ne se sépare, je voudrais rappeler que notre prochaine réunion est fixée à jeudi, 15 h 30.
La séance est levée.