[Enregistrement électronique]
Le mercredi 6 novembre 1996
[Traduction]
Le président: Merci beaucoup, mesdames et messieurs. Nous allons poursuivre l'audition des témoins et l'étude du projet de loi C-25 à l'étape de la deuxième lecture.
Nous sommes très heureux d'accueillir aujourd'hui comme témoin Mme Michelle Swenarchuk, directrice générale de l'Association canadienne du droit de l'environnement.
Je vous souhaite la bienvenue et vous invite à nous livrer votre exposé, après quoi nous aurons peut-être quelques questions à vous poser. Si cela vous convient, je vous cède la parole.
Mme Michelle Swenarchuk (directrice générale, Association canadienne du droit de l'environnement): Merci, monsieur le président. Je tiens à remercier le comité de nous avoir donné la chance de comparaître aujourd'hui.
L'association canadienne du droit de l'environnement, ou CELA, comme on l'appelle généralement, existe depuis environ 26 ans. Le court mémoire que j'ai préparé à votre intention est à peu près le 300e d'une longue série de mémoires que notre association a rédigés au fil de ces 26 années sur divers aspects de la réforme du droit de l'environnement et du droit administratif. Notre association offre un service d'aide juridique, qui est toujours financé dans le cadre du Régime d'aide juridique de l'Ontario.
À l'époque où nous en sommes, lorsqu'on nous présente des projets de modification aux lois sur l'environnement ou aux lois sur les pratiques administratives, nous sommes de plus en plus portés à appréhender que ces modifications marquent un pas de plus vers la déréglementation. En fait, le cadre législatif que nous avions réussi à mettre en place en matière d'environnement au cours des 25 ou 30 dernières années est en voie d'être rapidement démantelé. C'est manifestement le cas en Ontario, mais nous craignons que le processus soit également amorcé au niveau fédéral. L'an dernier, nous avons contribué à convaincre le gouvernement de ne pas aller de l'avant avec sa Loi sur l'efficacité de la réglementation, que nous considérions carrément comme une mesure draconienne de déréglementation. C'est pourquoi, en un sens, nous sommes quelque peu rassurés en voyant la Loi sur les règlements. Chose certaine, elle n'est pas aussi radicale que l'était l'autre, mais nous n'en sommes pas moins inquiets de certains de ses éléments.
À la première page de notre mémoire, nous décrivons les facteurs qui nous portent à croire que nous sommes engagés dans une ère de déréglementation. À l'origine de cette tendance, il y a la conclusion d'accords de libéralisation des échanges; la réduction des budgets gouvernementaux; le relâchement, à certains égards, de la volonté politique en matière de protection de l'environnement; ainsi que l'établissement et l'harmonisation des normes à l'échelle internationale.
Il importe de se rappeler qu'en matière de protection de l'environnement, la déréglementation et les reculs n'ont pas l'appui de la population canadienne. Nous avons relevé les résultats des sondages d'opinion publique réalisés depuis 1988, dont un bon nombre ont été commandés par les ministres canadiens de l'environnement par l'entremise du Conseil canadien des ministres de l'Environnement. Ces sondages, menés entre 1988 et 1994, et de nombreux autres sondages indépendants effectués depuis, peignent tous le même tableau. Le plus récent a été réalisé à l'échelle nationale par la maison Environics en juillet dernier. Il comportait de nombreuses questions, mais je vais me contenter d'en résumer succinctement les principales conclusions.
On a demandé aux gens quel sort, à leur avis, les gouvernements devraient réserver aux lois sur l'environnement dans un contexte de restrictions budgétaires et de déréglementation. La moitié des Canadiens interrogés ont dit que, même si le contexte demeurait tel quel, les gouvernements devraient lentement mais constamment améliorer leurs lois sur l'environnement, et 31 p. 100 des répondants se sont dits d'avis que les gouvernements devraient même les améliorer rapidement. Il est donc manifeste que la population tient à ce qu'on protège l'environnement et qu'elle estime que, pour ce faire, il nous faut des lois environnementales énergiques.
Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui ne porte évidemment pas directement sur l'environnement, mais je vais vous citer quelques exemples dans le domaine de l'environnement pour vous donner une idée de certaines de nos inquiétudes. Avant cela, je tiens à vous signaler qu'à mon avis le langage de ce projet de loi constitue une amélioration considérable par rapport à celui de la vieille Loi sur les textes réglementaires, qui est presque absolument incompréhensible. Je crois donc que l'effort qu'on a mis à en simplifier le libellé et à y clarifier la notion de règlement constitue une amélioration en soi. Je crains toutefois que l'interprétation de cette définition pose parfois problème, mais je félicite quand même sincèrement le gouvernement de son effort pour simplifier cette loi qui avait été rédigée à l'ancienne.
Notre premier sujet d'inquiétude a trait aux pouvoirs d'exemption élargis conférés par ce projet de loi, plus précisément par l'article 5, qui stipule que le gouverneur en conseil peut, par règlement, soustraire tout règlement au processus réglementaire. En lisant cet article et en le comparant à l'article 20 de la Loi sur les textes réglementaires, j'ai constaté que le pouvoir d'exemption avait été considérablement élargi dans le projet de loi. L'ancienne loi énumérait un certain nombre de circonstances dans lesquelles les règlements pouvaient être soustraits au processus réglementaire - j'en ai dressé la liste, mais je suis sûre que vous les connaissez déjà - mais je crois que le projet de loi que nous examinons est très différent à cet égard.
Les exemptions prévues antérieurement découlaient de pouvoirs discrétionnaires déjà relativement étendus. Par ailleurs, le secret qui entoure tout octroi d'exemption rend impossible l'examen de la façon dont s'exerce ce pouvoir discrétionnaire. Nous ne pourrons porter de jugement sur la façon dont s'exercera ce pouvoir puisque, par définition, nous ne la connaîtrons pas. Il reste que du moment qu'on prévoit que ce pouvoir discrétionnaire d'exemption pourra être exercé sans entrave, on l'élargit dangereusement. Essentiellement, cette disposition enlève toute certitude que la prise d'un règlement pourra être largement soumise à un examen public rigoureux; elle mine donc le fondement même de la démocratie. Elle permet au gouvernement en place de fonctionner presque entièrement en secret s'il le veut. Le retrait de tout critère limitant l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire porte gravement atteinte au droit démocratique fondamental des citoyens de s'assurer que les gouvernements rendent compte de leurs actions.
Comme je vous le signalais, nous avons joué un rôle de premier plan dans la mobilisation nationale de l'an dernier visant à persuader le gouvernement de renoncer à adopter sa Loi sur l'efficacité de la réglementation. Certains d'entre vous se rappelleront sans doute que le personnel du Comité mixte de l'examen de la réglementation avait alors effectué une analyse tout à fait foudroyante de ce projet de loi. En annexe à cette analyse, on trouvait un examen de tous les pouvoirs d'exemption réglementaire. J'en ai reproduit des extraits à la page 3 de mon mémoire, et je vais seulement vous en citer un passage:
- Quand on examine chacune des lois auxquelles le gouvernement s'est référé comme
précédents... (même si) on y trouve des cas d'attribution d'un pouvoir général de prendre des
règlements soustrayant des personnes à l'une ou l'autre des dispositions de la loi habilitante ou
de ses règlements, la plupart des dispositions prévoyant une exemption du processus
réglementaire sont beaucoup plus restrictives... Même lorsque le Parlement confère un pouvoir
relativement étendu de prendre des règlements établissant des exemptions, l'attribution de ce
pouvoir est généralement définie en fonction de circonstances ou de conditions précises.
Outre l'aversion que les sociétés démocratiques ont pour le secret gouvernemental dans la prise de décisions et outre la menace fondamentale qu'un tel secret représente pour la démocratie, il faut se rappeler que le mécanisme juridique de la prise de règlements a, de façon inhérente, constitué jusqu'à présent une source fondamentale d'avis publics et d'information qui a permis aux citoyens de participer au processus et d'exiger des comptes en exprimant leurs points de vue dans des mémoires. Il a également contribué à susciter des débats publics légitimes. La suppression de ce mécanisme minerait sérieusement ces valeurs de notre société.
Vous savez sans doute que les groupes d'intérêt public participent aux quatre coins du pays à la prise des règlements dans nombre de domaines touchant à la sécurité publique - l'environnement, la santé, la sécurité des enfants, la sécurité dans les transports, les règlements en matière de sécurité. C'est ce que nous voulons dire quand nous parlons d'incitation au débat public et de mécanisme fondamental permettant à la population de participer. Il s'agit donc encore là d'une des valeurs démocratiques que ces pouvoirs d'exemption élargis mettent vraiment en péril. C'est pourquoi nous recommandons que le pouvoir de soustraire des règlements au processus réglementaire ne soit pas étendu au-delà de ce qui est déjà prévu actuellement dans la Loi sur les textes réglementaires.
Monsieur le président, je vous signale que j'invite ceux qui auraient des questions à poser ou des points à débattre à ne pas hésiter à m'interrompre au besoin durant mon exposé.
Le président: Nous allons attendre que vous ayez terminé.
Mme Swenarchuk: D'accord.
Notre deuxième sujet d'inquiétude est l'apparente diminution des possibilités d'examen juridique des règlements avant leur promulgation. C'est ce que je constate en comparant, ici encore, les dispositions de ce projet de loi concernant l'examen préalable à la promulgation et celles de la Loi sur les textes réglementaires. Cette modification aura ou n'aura pas d'importance selon l'orientation que voudra bien donner le gouvernement au processus réglementaire. Nous ne pouvons vraiment pas en juger.
Si l'on entend maintenir les mêmes exigences en matière d'examen, les critères énumérés et les examinateurs désignés dans l'ancienne loi devraient figurer dans le projet de loi. Les sceptiques doivent se demander s'il ne s'agit pas là d'une mesure qui vise à réduire les coûts et qui se traduira par une diminution du professionnalisme dans l'examen des projets de règlement. Si les exigences en matière d'examen sont moins rigoureuses, nous risquons de nous retrouver avec des libellés plus pauvres et, partant, avec un nombre accru de litiges portant sur des abus présumés de pouvoir de la part de fonctionnaires. Là encore, notre recommandation serait de maintenir les critères actuels en matière d'examen et de privilégier le même niveau de professionnalisme chez ceux qui seront chargés d'examiner les projets de règlement.
Nous en sommes maintenant à une époque où nous souhaitons tous que les règlements soient énoncés plus simplement pour que la population puisse les comprendre. Nous voulons que la réforme réglementaire contribue à accélérer la procédure et à la rendre plus efficace. S'il fallait que les projets de règlement ne soient plus examinés avec autant de professionnalisme, le libellé des règlements en souffrirait, car il serait de moins bonne qualité et plus complexe. Nous en conviendrons tous, il ne faudrait surtout pas en arriver là.
Notre troisième sujet d'inquiétude est l'absence de garantie que, dans l'avenir, les règlements seront publiés et le seront rapidement. Bien sûr, personne dans notre pays ne trouve la Gazette du Canada très excitante à lire. Par ailleurs, elle est une source officielle et fiable à laquelle ont accès les juristes et quiconque veut savoir où en sont les lois à un moment donné, et dans tel ou tel domaine.
La Loi sur les textes réglementaires dit explicitement que l'imprimeur de la Reine doit publier la Gazette du Canada. Cette affirmation n'est pas reprise comme telle dans le projet de loi. Le projet de loi semble dire implicitement que la Gazette du Canada continuera d'être publiée, mais ce qui nous inquiète, c'est que tous les règlements n'y seront pas publiés. Par exemple, le paragraphe 10(3) du projet de loi envisage le recours accru à des modes de publication autres que la Gazette du Canada; il dit:
- Le greffier peut ordonner qu'un règlement soit publié selon tout autre mode qu'il estime
indiqué pour en communiquer la teneur aux intéressés.
Permettez-moi de vous donner ici l'exemple d'un autre processus d'avis avec lequel nous sommes très familiers. En Ontario, on a demandé à des planificateurs forestiers relevant du ministère des Richesses naturelles de donner avis de l'adoption d'un plan de gestion des matières ligneuses à quiconque était susceptible d'être touché par ce plan. Ce que l'on fait normalement dans ce cas, c'est qu'on dresse une liste. Elle peut comporter des centaines de noms. Elle peut comprendre des particuliers, des municipalités, des associations professionnelles, des groupes de protection de l'environnement. On envoie alors un avis par la poste à toutes ces personnes ou organismes. Ce qui se passe généralement, c'est que certaines personnes intéressées ne figurent pas sur la liste, alors qu'une foule de gens reçoivent une information qu'ils n'utiliseront jamais.
Il n'est pas très efficace de demander à un fonctionnaire de s'évertuer à imaginer qui devrait être avisé d'une modification législative imminente. Qu'on publie tout simplement l'avis dans un médium reconnu. Dès lors, les tribunaux pourront présumer que la loi est connue, les autorités pourront l'appliquer plus facilement et tous pourront en connaître la teneur.
Juste un autre point. L'ancienne loi prescrivait un délai précis de publication. Le présent projet de loi n'en prescrit pas. C'est l'expression «dans les plus brefs délais» qui y est utilisée.
Ce que nous recommandons, c'est que le projet de loi C-25 fixe un délai raisonnable pour la publication des règlements dans la Gazette du Canada et que tous les règlements assujettis au processus réglementaire y soient publiés. Dans diverses circonstances, des modes supplémentaires de publication peuvent être indiqués.
Donc, allons-y et donnons des avis supplémentaires, mais, au minimum, assurons-nous que tous les règlements sont publiés dans la Gazette.
Par ailleurs, nous avons de très sérieuses réserves concernant les implications des dispositions sur l'incorporation par renvoi. Bien sûr, elle peut constituer un raccourci pratique pour les fonctionnaires et les autorités réglementantes pour couvrir un vaste domaine, et elle peut parfois être appropriée. Par exemple, j'ai déjà pratiqué le droit aérien, et je me souviens du temps où les ordonnances pour la navigation aérienne, qui étaient des normes techniques rédigées par des inspecteurs de l'aviation civile, ont servi à la prise de règlements.
En réalité, le libellé de ces directives était au départ déficient, et leur incorporation par renvoi n'a rien réglé. Cet exemple illustre en partie les problèmes de libellé que peut occasionner l'incorporation par renvoi. Quand on se contente d'insérer dans un règlement une autre sorte de document qui n'était pas rédigé en langage juridique, on peut se retrouver avec un libellé qui ne convient tout simplement pas.
C'est déjà là un point qui nous inquiète.
En outre, nous croyons que l'intention du gouvernement de recourir davantage à l'incorporation par renvoi, qu'illustre implicitement ce projet de loi, risque d'entraîner une foule de problèmes d'ordre juridique et politique. Bien qu'il puisse être logique et efficace d'incorporer par renvoi des documents dans les règlements, on ne devrait jamais se le permettre sans que le document qu'on entend incorporer ait été minutieusement revu par les autorités réglementantes et ait été convenablement soumis à la consultation publique.
Nous sommes particulièrement inquiets d'une tendance qu'on observe actuellement dans le domaine environnemental et ailleurs, qui consiste à remplacer la réglementation, même si elle est fortement appuyée par la population, par des codes adoptés volontairement par les entreprises, par des mesures d'autoréglementation et d'autocertification. C'est une tendance que le Conseil canadien des normes encourage très activement. Je soupçonne Environnement Canada de souhaiter intensément s'en tenir à l'incorporation des documents du Conseil des normes et de vouloir cesser de donner suite à nos demandes de réglementation. Je crois donc que la tendance dont je veux parler est bien réelle.
Je juge qu'il importerait d'examiner les façons de procéder du Conseil canadien des normes et leurs conséquences. Nous avons surtout pris des exemples dans le domaine de l'environnement.
L'intention manifeste d'incorporer des documents du Conseil canadien des normes et des associations industrielles et commerciales suscite de graves inquiétudes. Ces organismes ne sont ni élus par la population ni responsables devant les citoyens. Pour des raisons d'économies, leurs délibérations sont généralement privées et fermées à la population, et ceux qui y participent ne sont pas représentatifs de la population, car ils proviennent en grande partie de l'industrie. Leurs documents sont préparés en fonction de l'intérêt des industries qui les mandatent et les financent, et non de l'intérêt public. Les gens doivent normalement payer pour se procurer cette documentation, que le projet de loi C-25 propose d'inclure dans la législation officielle du Canada.
À notre avis, le Conseil s'en remet actuellement démesurément à la série ISO 14000, appelée série sur la gestion de l'environnement, l'ISO étant l'Organisation internationale des normes. L'ACNOR - l'Association canadienne des normes - et le Conseil canadien des normes sont affiliés à l'ISO.
Je veux donc parler ici d'un projet d'établissement d'une norme internationale de certification de l'industrie en matière d'environnement. Les organismes que le projet de loi a désignés pour fournir des documents qui seraient incorporés dans nos règlements font la promotion de ce projet au Canada. Il s'agit donc d'un problème très réel.
La série ISO 14000 tient en cinq documents. Chacun d'eux coûte 60 $. Pour vous procurer la série complète, vous devez donc débourser 300 $. Ces documents ne sont pas disponibles autrement, ce qui revient à dire que si le gouvernement du Canada entend inclure dans la réglementation de tels documents, les citoyens canadiens devront payer très cher pour en prendre connaissance, ce qui m'apparaît proprement antidémocratique.
J'ai eu passablement de difficulté à me procurer ces cinq documents. J'en ai fait la demande auprès de divers paliers de décision de ces organismes, mais on m'a invariablement répondu que pour les obtenir, je n'avais qu'à payer 300 $.
Le processus de normalisation ISO se mondialise de plus en plus par l'entremise de l'Organisation mondiale du commerce, et je m'attends à ce que d'autres mécanismes de normalisation environnementale viennent s'ajouter à celui-ci. J'estime donc important que nous examinions de près cet exemple.
Une intéressante critique de la norme ISO 14000 a été produite pour le Bureau européen de l'environnement par la maison Benchmark Consulting de Portland, Maine. Je tiens à résumer ce que cette norme contient et ne contient pas. La série 14000 de l'Organisation internationale des normes amène l'ISO à envahir un nouveau domaine public plutôt que de s'en tenir à l'établissement de normes techniques et contribue à faire progresser d'un cran la tendance à l'autoréglementation dans les entreprises.
Contrairement aux systèmes britanniques ou européens comparables, l'ISO offre un système de gestion mondiale de l'environnement qui a été élaboré sans débat public; qui sera appliqué sans égard à l'opinion publique ou aux conventions environnementales déjà conclues; qui mesure le degré d'adhésion aux normes d'une entreprise en fonction de son système de gestion et non en fonction de son attitude en matière d'environnement, de santé et de sécurité; qui produit des ouvrages d'information environnementale qui sont confidentiels et qui ne doivent pas être mis à la disposition du public, des autorités gouvernementales ou des travailleurs; et qui exige le respect des seuls règlements locaux et non des normes internationales ni même des normes du pays d'origine d'une entreprise.
J'ai résumé le rapport de la société Benchmark. Il fournit beaucoup d'autres détails bien plus intéressants encore.
Au Canada, un mécanisme similaire de l'ACNOR pour la certification des pratiques forestières a également été sévèrement critiqué.
Une lacune fondamentale de ces mécanismes, c'est qu'ils ne comportent pas de normes d'exécution, comme nous en avons normalement dans la réglementation. Ils se contentent d'offrir des modes de certification des systèmes de gestion. Essentiellement, ils certifient, à partir de vérifications confidentielles, qu'une société donnée est dotée d'un système de gestion qui lui permet d'atteindre ses objectifs environnementaux quels qu'ils soient. Ces objectifs ne précisent pas forcément les mesures concrètes qu'on entend prendre pour protéger l'environnement. Ces documents n'établissent pas de normes; ils obligent tout au plus à respecter les normes en vigueur localement.
Si le gouvernement du Canada cesse d'établir des normes par voie de réglementation, et se contente d'incorporer par renvoi certains documents de l'ISO et de l'ACNOR dans ses règlements, nous nous retrouverons avec des normes d'exécution non exécutoires. Tout au plus, nous aurons l'ISO qui exigera le respect des normes locales. Comme nous n'aurons pas de normes locales, nous en serons réduits à jouer avec des mots creux.
Le deuxième problème que soulève immédiatement l'incorporation par renvoi, c'est la question du caractère exécutoire de la réglementation, d'autant plus que le projet de loi stipule que les documents ainsi incorporés dans la réglementation ne seront pas des règlements. Comment peuvent-ils être exécutés, même si ce sont des documents qui, contrairement à ceux de l'ISO ou de l'ACNOR, renferment des normes? À mon sens, c'est là un problème majeur que pose le projet de loi.
J'étais très heureuse de voir au début du projet de loi cette définition simplifiée des règlements comparée aux pages et aux pages de descriptions que contiennent les textes réglementaires. J'étais ravie d'y trouver une gentille description, toute claire, de ce qu'est un règlement. Mais dès qu'on se met à parler d'incorporation par renvoi et à dire que les documents ainsi incorporés ne sont pas des règlements, cette définition simplifiée de la réglementation ne vaut plus. Il y a là un problème. Plus rien n'est aussi simple.
Si vous incorporez dans un règlement un autre document, ce document doit certes avoir valeur de règlement, ou faire partie du règlement, sinon il n'est pas exécutoire. À quoi sert-il alors de l'incorporer?
Si le gouvernement a vraiment l'intention de donner aux documents incorporés par renvoi la force de normes réglementaires exécutoires, où incorporera-t-il alors les normes d'exécution? Le problème que pose le libellé des articles 18 et 19 et l'apparente contradiction entre ces deux articles devraient être résolus.
Nous avons deux recommandations à formuler à propos de l'incorporation par renvoi. D'abord, aucun document ne devrait être incorporé par renvoi, y compris ceux du Conseil canadien des normes, des associations industrielles et commerciales ou des organismes internationaux, à moins de renfermer des normes d'exécution exécutoires et d'avoir fait l'objet de consultations publiques sérieuses menées par l'autorité réglementante canadienne compétente, ce qui pourrait donner lieu à de nécessaires amendements si l'on entend vraiment prendre des règlements qui tiennent compte de l'intérêt public. Nous ne pouvons tout simplement pas présumer que les organismes internationaux de normalisation vont produire des règlements appropriés à notre pays.
Notre deuxième recommandation propose que l'apparente contradiction entre les articles 18 et 19 du projet de loi soit supprimée pour assurer que les normes d'exécution incorporées par renvoi sont, après consultation publique, nettement exécutoires.
Notre dernière inquiétude a trait au fait que nous en sommes à une époque où la population veut participer et s'attend à participer à l'élaboration des règlements et des politiques gouvernementales. Une façon d'y parvenir consisterait à établir clairement que, lorsqu'il y a prise de règlements, la population a le droit d'en être informée et de donner son opinion.
À cet égard, la Charte des droits environnementaux de l'Ontario offre un modèle intéressant. En vertu de cette charte, on a installé dans les bibliothèques de toute la province des terminaux donnant accès à un registre électronique que les citoyens peuvent consulter et dans lequel les ministères sont tenus d'afficher les avis de modifications réglementaires imminentes.
Nous déplorons que le gouvernement du Canada n'ait pas choisi une voie comme celle-là ou une autre peut-être un peu différente. À notre avis, une réforme réglementaire fondamentale comme celle-ci aurait dû, et devrait encore, être une occasion d'inclure dans tout processus réglementaire l'obligation de donner avis du projet de règlement et de permettre aux citoyens de formuler des commentaires.
Ce sont là nos inquiétudes. Merci.
Le président: Merci beaucoup. Je donne maintenant la parole à M. Lebel
[Français]
pour quelques questions.
M. Lebel (Chambly): J'aimerais d'abord féliciter Mme Swenarchuk qui nous a livré une présentation bien élaborée et bien faite. Je vous félicite également de votre courage puisque vous n'êtes pas venue ici vanter le projet de loi C-25.
Je vous laissais parler parce que vous faisiez mon travail. Je n'en dirai pas plus, parce que je ne voudrais pas que mes amis d'en face oublient les vérités que vous avez exprimées.
À mon avis, il y a un seul point que vous n'ayez pas abordé et au sujet duquel j'aimerais bien humblement connaître votre opinion. Certains prétendent actuellement que le fait de ne pas publier ou d'exclure certains règlements contreviendrait à l'article 133 de la Constitution, de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. On dit que les lois et les jugements récents des tribunaux ont confirmé que les règlements étaient également des lois et devaient être écrits et publiés dans les deux langues officielles du Canada.
Comment réagissez-vous quand un document qui est en substance un règlement par le pouvoir d'exclusion qui lui est conféré ici n'est ni publié ni écrit? Vous ne doutez pas de sa validité ou de sa légalité? Est-ce que les membres de l'Association canadienne du droit de l'environnement se sont interrogés sur cette question?
[Traduction]
Mme Swenarchuk: Je suis désolée, mais nous ne nous sommes pas vraiment penchés sur cette question. Elle risque en effet de donner lieu à une kyrielle de contestations et de litiges judiciaires dans l'avenir. Je n'ai pas à cet égard d'opinion bien arrêtée dans un sens ou dans l'autre, mais le point que vous soulevez rejoint un de mes motifs d'inquiétude, à savoir que le manque de clarté des règlements et leur inaccessibilité risquent de provoquer encore d'autres litiges et d'autres contestations à propos du manque de transparence du gouvernement, rien de moins.
[Français]
M. Lebel: Vous niez qu'en réduisant le processus réglementaire, tel que le propose le projet de loi C-25, on pourrait réaliser des économies. Vous nous dites que nous risquons de subir des frais grandement plus élevés en distribuant le règlement aux personnes visées ou concernées par la forêt ontarienne qu'en le publiant dans la Gazette du Canada.
Mme Swenarchuk: C'est exact.
M. Lebel: Je vous remercie. Je trouve ça très bien et je vous remercie beaucoup.
Mme Swenarchuk: Merci, monsieur.
Le président: Merci, monsieur Lebel.
[Traduction]
Monsieur Maloney.
M. Maloney (Erie): Dans votre troisième recommandation, vous suggérez qu'il soit prévu dans le projet de loi C-25 un délai raisonnable pour la publication des règlements. À votre avis, quel devrait être ce délai?
Mme Swenarchuk: À vrai dire, je ne le sais pas. L'expression utilisée dans le projet de loi C-25 est «dans les plus brefs délais», mais le Bureau du Conseil privé et le ministère de la Justice semblent vouloir plus de temps qu'ils n'en ont maintenant. Je crois qu'il faudrait fixer un délai pratique. D'après moi, il ne devrait pas dépasser un mois. Je crois qu'actuellement il est de 23 jours. Peut-être que le Bureau du Conseil privé et le ministère de la Justice ont besoin de deux fois plus de temps; peut-être ont-ils besoin d'un mois et demi. À mon avis, mieux vaudrait un mois et demi que pas de publication du tout.
Encore là, ce qui nous inquiète, c'est qu'on ne sait pas à quoi le gouvernement veut en venir. Prévoit-on qu'il y aura tellement de congédiements au ministère de la Justice qu'on ne pourra plus s'y occuper des règlements? Est-ce pour cette raison qu'on aura besoin de beaucoup plus de temps? Veut-on allonger le délai parce qu'il est vraiment trop court actuellement? Ne faisant pas partie de la fonction publique, je ne saurais le dire.
Il faut prévoir un délai qui tienne raisonnablement compte des ressources disponibles au ministère de la Justice ainsi que de la nécessité, dans l'intérêt public, de faciliter l'accès aux lois. Peut-être a-t-on besoin de deux fois plus de temps que maintenant, d'un mois et demi plutôt que de 23 jours. J'aimerais bien entendre les arguments de ceux qui prétendent que le délai devrait être plus long, mais je pense que le délai devrait être précisé.
M. Maloney: Merci.
La deuxième partie de votre recommandation porte sur l'utilisation d'autres modes de publication que la Gazette du Canada pour donner avis des règlements. Pourriez-vous nous donner des exemples de modes de publication qui vous paraissent indiqués?
Mme Swenarchuk: Je me sens un peu drôle, moi qui pratique le droit depuis nombre d'années, de me trouver ici à défendre la Gazette, dont tout le monde se moque parce que trop difficile à lire. Mais je continue de penser qu'elle doit demeurer l'outil essentiel d'information pour tous les spécialistes du droit et pour les tribunaux. C'est le document officiel où est consignée la loi canadienne.
Je tiens d'abord à vous signaler que je ne vois pas de problème à ce que la Gazette électronique en vienne à remplacer la Gazette imprimée. Je n'en vois pas personnellement. À l'heure actuelle, beaucoup de Canadiens n'y auraient toutefois pas accès si elle n'était pas imprimée. C'est pourquoi même ce genre de transition devrait être effectuée de manière prudente et réfléchie.
Mais à l'aide des moyens électroniques, il y a maintenant d'autres façons de donner avis des modifications législatives et de les rendre plus accessibles. En Ontario, les gens peuvent, grâce au registre électronique installé dans les bibliothèques publiques, prendre directement connaissance des changements législatifs au lieu d'avoir à feuilleter un à un les fascicules de la Gazette. C'est un moyen pratique de véhiculer l'information.
On utilise aussi parfois les journaux pour annoncer au grand public certains changements de politique ou divers événements publics, comme des audiences de comité, ou je ne sais quoi. Je persiste à croire que les avis d'examen de questions touchant l'environnement, la santé ou la sécurité doivent faire l'objet de la plus vaste diffusion possible.
M. Maloney: Ces avis devraient-ils toutefois être codifiés? J'ai souvent entendu des gens se demander qui peut bien lire la Gazette du Canada. Puis tout à coup, quelqu'un se fait couper l'herbe sous le pied parce qu'il n'était pas au courant de quelque obscur règlement publié dans la Gazette.
Mme Swenarchuk: Exactement. D'ailleurs, la présentation de la Gazette ou de tout document législatif publié par le gouvernement fédéral pourrait certes être améliorée.
M. Maloney: Mais devrions-nous codifier la publication de ces règlements dans les journaux, comme vous l'avez indiqué?
Mme Swenarchuk: Je ne suis pas sûre de comprendre ce que vous entendez par «codifier» dans le présent contexte.
M. Maloney: Je veux dire que le mode de publication auquel on entend recourir à la place de la Gazette du Canada devrait peut-être être précisé dans le projet de loi.
Mme Swenarchuk: À la place de la Gazette, ou en plus?
M. Maloney: Je pense qu'il serait préférable de dire «en plus».
Mme Swenarchuk: Vous voudriez que les autres modes de publication possibles soient précisés dans le projet de loi? Ce serait certes souhaitable, j'en conviens.
M. Maloney: Dans le même ordre d'idée, pourriez-vous nous donner un peu plus de détails sur l'établissement du registre électronique prévu dans la Charte des droits environnementaux de l'Ontario?
Mme Swenarchuk: La Charte exige que les ministères ontariens, par étapes s'échelonnant sur un certain nombre d'années, entreprennent de consigner dans un registre électronique, créé et administré par le ministère de l'Environnement et de l'Énergie, la liste, je crois... La Charte enjoint les ministères de donner avis dans ce registre des modifications imminentes, qu'il s'agisse, selon les ministères, de modifications réglementaires ou de certificats d'approbation. Les ministères doivent donner avis des modifications imminentes ou des décisions qui ont une incidence importante sur l'environnement. Les citoyens ont alors un certain temps, au moins 30 jours, pour formuler des commentaires à propos de ces modifications.
La Charte elle-même prévoit des procédures d'appel, mais elles n'ont rien à voir avec la question de la publication des avis et des appels de commentaires.
Au minimum, il y a dans les bibliothèques publiques de toute la province des ordinateurs à l'aide desquels on peut accéder au registre de la Charte des droits environnementaux de l'Ontario. Les Ontariens peuvent le consulter et y repérer les décisions imminentes qui touchent leur localité, la gestion des déchets, la gestion des forêts - la gestion des forêts, nous espérons, y figurera bientôt - , l'industrie locale, par exemple en matière de pollution. Les Ontariens peuvent consulter ce registre dans leur bibliothèque publique locale, dans toute la province, voir ce qui se passe, et formuler des commentaires s'ils le désirent.
M. Maloney: Merci, monsieur le président.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Maloney.
Oui, monsieur Lebel.
[Français]
M. Lebel: Je voudrais préciser, madame, qu'on parle souvent à partir d'une prémisse qui est fausse au départ. On dit que les gens ne lisent pas la Gazette du Canada, mais je commence à constater que c'est un point de départ faussé. Il suffit de déposer un projet de loi quelconque pour s'en rendre compte. Par exemple, de quelle façon vous a-t-on contactée pour vous inviter à venir commenter cette question?
Au Comité de l'examen de la réglementation, bien souvent on n'a même pas besoin de lancer d'invitations à qui que ce soit et on se retrouve avec une salle pleine lorsqu'on étudie un règlement une journée donnée. Comment les gens l'ont-il su? Je ne le sais pas; ce n'est même pas publié dans la Gazette officielle. Je concède que dans l'autobus, le matin, on rencontre rarement des personnes avec leur Gazette officielle. Toutefois, les groupes de pression, les gens qui interviennent en faveur d'autres, les syndicats ouvriers, bref tous les organismes communautaires et d'intérêts plus particuliers sont au courant des publications dans la Gazette du Canada. Je pense qu'on nous a induits en erreur en nous disant, dès nos premières rencontres avec les personnes qui avaient rédigé le projet de loi, que la Gazette du Canada n'est ni vue ni lue par qui que ce soit. C'est faux. Beaucoup de gens la lisent, parfois par des personnes interposées ou par des associations. Vous auriez été surpris de la réaction suscitée lorsque le gouvernement a pondu son code de déontologie pour les syndics de faillite. La réaction a été presque instantanée; à peu près tous les spécialistes de la faillite et de l'insolvabilité nous ont appelés pendant les trois jours qui ont suivi. Pourtant, cela avait été publié strictement dans la Gazette du Canada.
Vous, madame, est-ce que vous lisez la Gazette du Canada?
[Traduction]
Mme Swenarchuk: Je crois qu'il y a au moins deux catégories de gens qui lisent la Gazette. La plupart d'entre nous ne s'arrêtent pas non plus pour lire les lois, à moins d'y être obligés, mais je crois qu'il y a deux catégories de gens qui le font.
D'abord, il est absolument essentiel au bon fonctionnement de notre système juridique qu'on sache précisément au jour le jour où en est la loi. Tout juriste, qu'il s'agisse d'un avocat ou d'un juge, c'est-à-dire quiconque est mêlé d'une façon ou d'une autre au domaine du droit se doit de savoir exactement où en sont les règlements. Le fait pour un avocat de représenter un client sans être absolument certain de l'état exact de la réglementation au moment où il est saisi d'un litige friserait la négligence, ou serait, dans certaines circonstances, carrément de la négligence. Il est par conséquent essentiel au bon fonctionnement de notre système juridique que les lois et les règlements soient publiés intégralement et fidèlement au fur et à mesure de leur promulgation. Nous avons donc là un premier groupe qui utilise et lit régulièrement la Gazette du Canada.
Le deuxième groupe auquel je peux penser comprend les militants qui défendent la cause des gens ordinaires et les professionnels de tous les secteurs, y compris, bien sûr, ceux de l'industrie, qui lisent la Gazette pour la conduite de leur entreprise ou de leurs campagnes. Naturellement, il y a aussi tous les intervenants du secteur médical qui se doivent d'être au fait de la réglementation médicale, car ils sont tenus de l'appliquer. Tout directeur de société minière se tiendra bien au courant des règlements auxquels son entreprise doit se conformer. Comment peut-il savoir s'il les connaît? En se référant à la publication officielle qui les renferme tous.
Donc, oui, une foule de gens comptent sur la Gazette, non par plaisir mais par affaire.
[Français]
M. Lebel: Vous faites allusion au manque de professionnalisme de l'avocat qui ne lirait pas la Gazette du Canada. Comment dorénavant pourra-t-il exercer sa profession correctement si le fameux règlement n'est pas publiable ou n'est jamais publié? Voyez-vous là un embarras quelconque pour le praticien du droit?
[Traduction]
Mme Swenarchuk: C'est ce que je veux dire quand je signale qu'il y a deux ou trois différents niveaux de problèmes qui découlent de la non-publication. Le premier concerne la négation des droits démocratiques. Notre démocratie n'aime pas le secret dans les actions gouvernementales, sauf dans certaines circonstances très précises. Ainsi, la non-publication, dans ce cas-ci par manque de transparence, est contraire au processus démocratique.
Deuxièmement, la situation que vous décrivez est en elle-même problématique. Qui de nous, qu'il soit avocat, professionnel de la santé tenu d'appliquer les normes locales en matière de soins médicaux, inspecteur de la santé et de la sécurité, inspecteur du travail, inspecteur de l'environnement, peut bien faire son travail s'il ne connaît pas tous les règlements qui régissent le secteur dans lequel il intervient?
[Français]
M. Lebel: Je vous remercie, madame.
Le président: Merci, monsieur Lebel.
[Traduction]
Le président: J'aurais deux ou trois questions à vous poser. Que pensez-vous de la proposition voulant que la réglementation entre en vigueur le jour même de sa publication?
Mme Swenarchuk: Par opposition à la date précédant sa publication?
Le président: Oui.
Mme Swenarchuk: Naturellement, il est très difficile d'exiger que quelqu'un se conforme à un règlement qui n'est pas encore en vigueur. Et de un. Deuxièmement, dans le cas de certains règlements, il faut prévoir une période d'application progressive avant leur promulgation officielle. Je ne serais donc pas prête à dire qu'en principe tous les règlements doivent entrer en vigueur le jour même de leur publication, mais je pense qu'il conviendrait que le texte du règlement précise, s'il y a lieu, la période d'application progressive à la suite de laquelle le règlement entrera en vigueur.
Je verrais mal, toutefois, que quelqu'un soit tenu de respecter une norme réglementaire qui n'a pas encore été dûment appliquée, qui ne sera promulguée qu'après une certaine période de mise en application.
Le président: Vous avez également parlé de déréglementation. Qu'entendez-vous exactement par déréglementation? Pourriez-vous expliquer un peu plus précisément au comité ce qui vous laisse croire qu'on a actuellement tendance à déréglementer? Je pense que c'est important.
Mme Swenarchuk: En Ontario, le gouvernement provincial a démantelé, depuis le 1er janvier, tellement de lois sur l'environnement que je n'arriverais pas à me les rappeler toutes. Nous avons assisté à des changements ou à des reculs concernant la Loi sur les évaluations environnementales, la Loi sur l'aménagement du territoire, la Loi sur les municipalités, la Loi sur le projet d'aide financière aux intervenants, les normes visant les lieux d'enfouissement et les décharges publiques, la Loi sur les ressources et agrégats qui régit les gravières, les lois sur les forêts - la liste s'allonge sans cesse.
Par déréglementation, j'entends l'abolition de règlements auxquels les citoyens et les sociétés devaient se conformer pour atteindre divers objectifs en matière d'environnement.
Le président: Et vous avez le sentiment que le projet de loi C-25 fait partie d'un processus de déréglementation au niveau fédéral?
Mme Swenarchuk: Ce pourrait être le cas, je crois. Ce que j'ai voulu dire, c'est que nous pourrions nous retrouver avec un cadre législatif à deux niveaux, où l'on aurait, d'une part, des règlements qui sont publiés, qui s'appliquent à tout le monde et que nous connaissons et, d'autre part, une série de règlements qui ne sont pas publiés, auxquels nous pouvons très bien être tenus de nous conformer, mais dont on ne nous mettra pas au courant.
J'estime que le projet de soustraire n'importe quel type de règlement au processus réglementaire est un pas important vers la déréglementation. La discrétion est absolue. Nous ne saurons jamais comment elle est exercée, puisque par définition tous les règlements qui n'ont pas été publiés ne le seront jamais. Il s'agit donc d'un recul très important, à mon avis.
Le président: J'ai une dernière question, si vous me le permettez.
Vous avez parlé de l'incorporation par renvoi et vous avez dit que le libellé des textes ainsi incorporés n'est pas judiciaire. Il se peut qu'il ne soit pas...
Mme Swenarchuk: Dans certaines circonstances.
Le président: D'accord, et vous estimez que cela est inquiétant. Pourriez-vous peut-être nous expliquer davantage pourquoi?
Mme Swenarchuk: Je crois qu'il existe toutes sortes de documents auxquels doivent se conformer jusqu'à un certain point les divers secteurs. En Ontario, par exemple, nous avons des lignes directrices sur l'eau potable. Ce ne sont pas des lois; ce ne sont que des lignes directrices. Il y a des codes dans le secteur du bâtiment qui ne sont pas des lois, mais simplement des lignes directrices. Dans tous les secteurs, il existe, je crois, de tels documents.
Parfois, il s'agit de lignes directrices qui ont été élaborées à l'origine par quelqu'un du domaine et dont l'application a été généralisée par la suite. Disons dès le départ que personne ne les a examinées pour voir s'il était justifié de les ériger en loi ni même pour s'assurer qu'elles reposaient sur des principes acceptables en loi. De même, personne n'a été chargé de vérifier la qualité de leur libellé et leur clarté.
Le souvenir me revient de ces ordonnances pour la navigation aérienne qui sont devenues des lois du jour au lendemain. Il était souhaitable de les rendre exécutoires, mais je me souviens qu'en m'y référant avec des pilotes, nous n'en revenions pas de leur manque de clarté. Elles comportaient même parfois des contradictions, car on n'avait tout simplement pas pris soin de les examiner dans un esprit critique. C'est un type de problème auquel nous pouvons nous attendre.
Je ne crois pas qu'il soit sage de promulguer rapidement des mesures législatives sans même s'être assuré de les rendre claires et cohérentes, objectif qu'est censée viser la Loi sur les règlements. C'est un des problèmes que pose l'incorporation par renvoi.
Un autre problème se pose également, je crois, en ce qui concerne le caractère exécutoire ou non de ces textes réglementaires. Quand le projet de loi dit que des documents pourront être incorporés dans un règlement, sans pour autant être des règlements, que seront-ils alors?
Quand viendra le temps de déterminer si le règlement est exécutoire, en particulier lorsqu'il s'agit de juger une affaire criminelle ou quasi-criminelle dans laquelle une société ou un particulier est accusé d'avoir enfreint un règlement, le tribunal insistera pour que la loi soit interprétée à la lettre et, partant, qu'elle soit claire. À mon avis, personne ne sera condamné aux termes de documents incorporés par renvoi qui ne sont pas clairs.
Le président: Estimez-vous que le principal problème n'est pas tant celui du libellé proprement dit, mais le risque que les documents qui sont incorporés contredisent à l'occasion d'autres règlements, ou qu'ils entrent suffisamment en contradiction les uns par rapport aux autres pour qu'on ne sache plus trop à quoi s'en tenir? Avez-vous l'impression que le citoyen moyen pourra faire la distinction entre les règlements et les lignes directrices?
Mme Swenarchuk: Moi qui suis avocate, je ne saurais même pas faire cette distinction. Si on me dit que tel document incorporé par renvoi dans un règlement n'est pas en soi un règlement, alors, je ne sais pas de quoi il s'agit. Peut-être que les gens du ministère de la Justice pourraient nous dire de quoi il en retourne. Personnellement, j'ai du mal à m'y retrouver.
Le libellé peut donc poser problème. Mais un autre aspect qui nous préoccupe vraiment, c'est celui de l'intention du gouvernement. Encore là, l'incorporation dans les règlements canadiens des documents de normalisation de l'ISO, qui ne sont pas des normes, ne servirait-il pas de prétexte pour ne pas adopter de normes? Je vous avouerai franchement que j'ai entendu dire que certains de nos politiciens parlent de cette possibilité dans le cas de l'environnement. Ils disent qu'ils vont se contenter d'incorporer les documents de la série ISO 14000, et que ce seront là nos normes.
Et pourtant non, la série ISO 14000 ne comporte pas de normes.
Donc, il y a les problèmes relatifs au libellé qui concernent les rédacteurs et les juristes et ceux relatifs à l'applicabilité qui concernent les juristes. Enfin, il y a ceux d'ordre politique qui nous amènent à nous interroger sur les véritables intentions du législateur.
Le président: Merci beaucoup, madame Swenarchuk.
Y a-t-il d'autres questions?
Madame Swenarchuk, vous nous avez été très utile. Merci de votre exposé.
Mme Swenarchuk: Merci.
Le président: Chers collègues du comité, merci de vos questions et du temps que vous avez consacré à nos travaux cet après-midi.
Le comité s'ajourne jusqu'au 19 novembre. Nous entendrons alors trois témoins dans l'avant-midi, soit les représentants du Barreau du Québec, de l'Université d'Ottawa et de l'Université du Québec à Montréal. Sauf erreur, dans l'après-midi, nous allons entendreM. Anisman, dont la venue n'est pas encore confirmée, puis MM. Lee et Wappel. Le 20 novembre, à 15 h 30, notre témoin sera le professeur Roderick Macdonald de l'Université McGill.
La séance est levée.