[Enregistrement électronique]
Le mercredi 9 octobre 1996
[Traduction]
Le président: J'aimerais ouvrir la séance.
Chers amis, nous avons le quorum. Le délégué du Parti réformiste n'est pas parmi nous car il doit se trouver à la Chambre, mais sans doute viendrait-il se joindre à nous plus tard à moins qu'un autre délégué du Parti réformiste ne le fasse.
Avant de nous occuper de la question à l'ordre du jour, j'aimerais faire une brève annonce à l'intention de quelques collègues. Une table ronde va être organisée par le Centre de droit et politique commerciale sur la question du règlement des différends à l'Organisation mondiale du commerce. Cette réunion, ce séminaire, aura lieu le 16 octobre. Je voulais simplement vous le signaler au cas où vous souhaiteriez y participer ou envoyer quelqu'un de votre parti.
J'ajouterais que la directrice du secrétariat de l'instance d'appel de l'Organisation commerciale du commerce, Mme Debra Steger, sera à Ottawa pour la réunion. Elle a accepté de venir à mon bureau le 17 à 9 h et vous êtes bien sûr invités à vous joindre à nous pour discuter du règlement des différends à l'Organisation mondiale du commerce. Voilà donc la brève annonce que je voulais faire. N'hésitez pas à en faire part aux autres membres du comité, si vous le souhaitez.
Nous allons maintenant nous occuper de la principale question à l'ordre du jour. Nous tenons aujourd'hui une table ronde. Nous pouvons nous permettre de procéder de façon plus souple. Nous avons déjà eu des tables rondes et la règle du jeu est en fait très simple. Nous invitons les participants, nos distingués invités, à prendre la parole l'un après l'autre. Nous leur demandons de ne pas être trop longs pour laisser du temps pour les questions. Après leur intervention, nous passerons aux questions et la discussion sera tout à fait libre.
J'invite évidemment mes confrères de la Chambre des communes à intervenir, mais n'hésitez pas à vous poser des questions entre vous pour que nous puissions profiter au maximum de votre présence.
J'inviterai d'abord Me Greg Tereposky de la Thomas and Davis Law Firm. Nous avons signalé à nos invités que nous souhaitions nous attacher à deux questions primordiales: Pourrait-on réduire le nombre des différends commerciaux en améliorant les accords commerciaux internationaux et, dans l'affirmative, pourquoi? Deuxièmement, comment pourrait-on améliorer le mode de règlement des différends commerciaux?
Vous avez la parole. Nous sommes tout ouïe.
Me Greg Tereposky (avocat, Thomas and Davis Law Firm): Merci, monsieur le président.
Monsieur le président, messieurs les membres du sous-comité, je vais aborder les deux questions l'une après l'autre et je commencerai par essayer de voir s'il est possible de réduire le nombre des différends commerciaux en améliorant les accords commerciaux internationaux.
À mon avis, monsieur le président, la réponse à cette question est non avec réserves. L'amélioration des accords commerciaux ne va pas nécessairement entraîner une diminution des différends. Comme vous le savez sans doute, les accords commerciaux sont le fruit de négociations entre plusieurs États, et ces États ont de nombreux objectifs et intérêts différents dans les négociations. Du fait de ces divergences d'objectifs et d'intérêts, les accords eux-mêmes contiennent souvent des expressions ambiguës ou générales qui donnent une définition imprécise des droits et obligations qu'ils comportent, et c'est cette imprécision qui donne généralement lieu à des différends.
Il y a un autre facteur qu'il faut aussi prendre en compte, c'est qu'à la longue, la portée aussi bien que la précision des accords internationaux évoluent. Le meilleur exemple que l'on puisse en donner est celui des accords négociés récemment sous l'égide de l'Organisation mondiale du commerce. Ces accords vont bien au-delà des limites très restrictives de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1947. La précision plus grande ainsi que la portée plus générale offrent de nouvelles possibilités de différends et sont sources d'ambiguïté et d'imprécision.
L'ensemble du mécanisme des ententes commerciales internationales et des différends qui en découlent vient en réalité du fait que les parties apportent à la longue des précisions à ces accords. À cet égard, les accords commerciaux internationaux ne sont pas statiques. En fait, ils évoluent avec le temps. On a fait quelques tentatives pour résoudre les différends commerciaux en dehors de la méthode de règlement prévue; nous signons, par exemple, un accord parallèle pour un différend donné. Il y a d'ailleurs eu une entente bilatérale avec les États-Unis dans le cas du bois d'oeuvre.
Ces ententes ne sont pas toujours possibles, et lorsqu'elles sont conclues, elles posent des problèmes très délicats de politique gouvernementale - et parfois de souveraineté. Il serait donc, en règle générale, très difficile d'avoir recours à des accords parallèles particuliers pour réduire à la longue le nombre des différends.
Tout cela donne un résultat très intéressant, car en améliorant les accords commerciaux - c'est-à-dire en élargissant leur portée, nous les précisons - on peut en fait augmenter le nombre des différends.
Cette augmentation est due au fait que les pays deviennent davantage conscients de leurs droits et obligations, et partant, au fait qu'ils peuvent négocier des mesures disciplinaires plus importantes pour les actes des autres pays. À cet égard, l'apparition de nouveaux différends n'est pas nécessairement négative. Je pense qu'à la suite des accords de l'Organisation mondiale du commerce, nous allons voir une tendance plus grande aux différends. Je ne crois pas qu'il faille voir cela comme un résultat négatif.
Voilà ce que j'avais à dire sur la première question. En ce qui concerne la seconde - Comment peut-on améliorer le mécanisme de règlement des différends commerciaux? - j'aimerais m'attacher davantage à l'étape préparatoire des différends commerciaux. Il y a plusieurs éléments dans cette étape préparatoire que l'on peut améliorer, et cela entraînerait un progrès général non seulement en ce qui concerne le type des questions qui font l'objet de différends commerciaux, mais aussi la façon dont ces différends sont réglés.
Le premier élément que j'aimerais considérer est celui que l'un de mes collègues appelle souvent «les ressources, encore les ressources, toujours les ressources; la formation, encore la formation, toujours la formation». Ce que nous avons constaté, dans les différends auxquels nous avons pris part, c'est que s'il existe au sein du gouvernement énormément de savoir-faire, tant sur le plan qualitatif que quantitatif, pour faire face à ces différends - et je parle en l'occurrence du gouvernement canadien - nous allons constater que ces ressources sont sollicitées à l'extrême du fait de la grande augmentation du nombre des différends, mais aussi du fait de la profondeur et de la précision de ces différends. L'un des moyens de régler ce problème consisterait à faire porter une plus grande part du fardeau des ressources par le secteur privé qui est directement intéressé par ces différends.
Deux choses positives pourraient en découler. D'abord, le transfert des ressources pourrait alléger le fardeau supporté par les ressources gouvernementales. Lorsque je parle des ressources, je pense non seulement au temps que cela représente et aux heures-personnes nécessaires pour préparer les dossiers, mais aussi aux ressources financières. Le second avantage découle du transfert des ressources financières essentiellement, car on découragerait ainsi les poursuites qui ne sont pas suffisamment fondées.
Comment réaliser ce transfert plus grand des ressources vers le secteur privé? J'aimerais parler brièvement de deux choses qui ont rapport à la formation du secteur privé.
La première est que le gouvernement a besoin de conseiller le secteur privé dans son ensemble - et pas uniquement les avocats - sur la façon dont il pourra faciliter le processus, car c'est un processus très complexe. La deuxième est que le secteur privé doit pouvoir mieux comprendre le fonctionnement du gouvernement.
Pour une affaire dont s'occupe notre cabinet actuellement, de très nombreux ministères sont concernés. Lorsqu'on s'occupe de telles affaires, on ne sait jamais au départ qui sont les intervenants importants. Il y a le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, le ministère des Finances, Industrie Canada, Agriculture Canada - de très nombreux ministères sont impliqués dans ces différends. Même si on arrive à savoir qui sont les intervenants pour chaque affaire, reste la question importante de savoir comment sont prises les décisions concernant le déroulement du processus. Dans ces deux domaines, je crois qu'il est très important d'éduquer davantage le secteur privé pour qu'il puisse contribuer à la préparation de ces dossiers.
Lorsque je parle de transférer les ressources au secteur privé, je veux dire transférer des ressources pour le rôle consultatif. En fait, le secteur privé - qui, de façon générale, connaît mieux les éléments particuliers de l'industrie, et il a les ressources pour étudier son dossier avant de décider d'intenter une action - peut effectuer l'analyse préalable et rassembler la preuve préalable. Cela accélère le processus et le rend plus efficace lorsqu'on commence à traiter avec le gouvernement.
Il est cependant important, lorsqu'on envisage ce transfert de ressources, d'admettre que - du moins dans la plupart des cas, à quelques rares exceptions près - les différends commerciaux sont des différends qui opposent un gouvernement à un autre. C'est donc le gouvernement canadien qui conteste, et dans ce sens c'est lui qui prend les décisions finales concernant le différend et qui fait valoir sa cause. S'il est important d'admettre une telle chose et de limiter d'une certaine façon le transfert des ressources, c'est parce que les intérêts du Canada peuvent être - ou si ce n'est pas dans tous les cas, seront - plus généraux que les intérêts d'un secteur industriel particulier.
Il y a un domaine secondaire où l'étape préparatoire peut être améliorée, c'est celui de la transparence - et cela vaut également pour la procédure proprement dite de règlement du différend - c'est-à-dire des consultations ouvertes avec les secteurs touchés pour préparer le dossier et une procédure ouverte de règlement des différends.
Le fait que la procédure de règlement des différends se déroule en privé a déjà été contestée dans le passé. Le simple fait que cela se passe en privé suscite l'intérêt du grand public. Comme nous l'avons constaté pour les différends relevant du chapitre 19, qui sont en général ouverts au public sauf lorsqu'on discute d'information confidentielle, on s'y intéresse très peu parce que lorsqu'on commence à s'occuper de ces questions commerciales, on constate qu'elles sont très complexes et généralement peu intéressantes pour le public. Mais si l'on rend le processus plus ouvert, le public lui fera bien davantage confiance.
Monsieur le président, voilà qui termine les remarques que j'avais à faire sur les deux questions.
Le président: Merci, maître Tereposky.
Nous passons maintenant, si vous le voulez bien, à Me Charles Gastle, de Shibley Righton.
Me Charles M. Gastle (avocat, Shibley Righton): Oui, monsieur le président.
Je suis avocat mais aussi étudiant, et c'est à titre d'étudiant que je viens aujourd'hui. Je n'ai pas été contaminé par la pratique privée et ce n'est pas d'elle que je tire mon information, mes remarques vont être très nettement axées sur la politique pour ce qui est de la façon dont les mécanismes devraient à mon avis évoluer à l'avenir.
Je souhaite m'attacher au droit matériel des droits compensateurs et à ses répercussions sur les secteurs de la haute technologie. Le principal obstacle en matière de réforme des mécanismes de règlement des différends a été la question des droits compensateurs. On s'entend généralement sur ce qu'il faut faire avec l'antidumping. C'est un système axé sur la concurrence.
On estime que les secteurs de la haute technologie sont essentiels à la réussite du Canada au XXIe siècle. Ils ont fait récemment l'objet d'une stratégie fédérale scientifique et technologique. Les autres gouvernements s'y intéressent également et il y a un risque croissant de conflit entre les gouvernements et ces secteurs.
J'estime qu'une réforme en profondeur est nécessaire en ce qui concerne les droits compensateurs car ce sont des pratiques qui limitent injustement la capacité du gouvernement canadien de s'occuper des problèmes structurels que connaît le Canada. Elles ont tendance à aller à l'encontre du développement nécessaire d'un secteur de haute technologie.
En second lieu, les droits compensateurs sont incompatibles avec la théorie économique actuelle relative au secteur de la haute technologie. Je sais que la province suggère une réforme en profondeur, mais je crois qu'il faut avoir un objectif à l'esprit lorsqu'on envisage toute forme de réforme progressive.
Le gouvernement fédéral a admis qu'il ne pouvait pas participer directement à la sélection des gagnants et des perdants dans le domaine économique. Il doit s'attacher à l'infrastructure, devenir un catalyseur et un coordonnateur. Son objectif est de créer les conditions propices à la croissance du secteur de la haute technologie.
La stratégie scientifique et technologique du gouvernement fédéral est conçue pour mettre en oeuvre un système national pour l'innovation. Cette stratégie consiste à favoriser les liens entre le gouvernement, l'industrie et les universités. Elle vise essentiellement les petites et moyennes entreprises comme moteur de croissance d'une économie fondée sur l'information.
Il y a un programme particulier qui est recommandé, c'est celui des partenariats technologiques. Il s'agit d'une aide gouvernementale ciblée destinée à des groupes d'entreprises de certains secteurs afin de stimuler et de contrebalancer l'investissement privé. Ces groupes doivent aller au-delà de la recherche fondamentale et prendre des risques en commun. La stratégie fédérale vise à faciliter la croissance de groupes industriels de haute technologie pour combler une lacune qui existe dans notre économie.
Pour en revenir aux droits compensateurs, ils permettent en gros au gouvernement de faire ce qu'il veut jusqu'à ce qu'une plainte soit déposée. Le plaignant doit prouver que l'entreprise canadienne a reçu une subvention et qu'il a subi un préjudice ou qu'il existe un risque de préjudice. Prenons les partenariats technologiques comme exemple. Il ne fait aucun doute que les partenariats seront considérés comme des subventions. Pour ce qui est du préjudice, il y a pratiquement inversion de la charge de la preuve à l'étape des droits provisoires puisque l'entreprise canadienne doit prouver qu'il n'y a pas risque de préjudice.
Par définition, les partenariats technologiques porteront sur des secteurs sensibles pour les États-Unis. Ils ne font pas l'objet d'une exemption de l'OMC car ils vont au-delà de la recherche fondamentale. De ce fait, il y a d'assez grandes chances que des droits soient imposés assez tôt dans le processus et qu'ils vont causer des perturbations importantes dans les exportations de l'entreprise canadienne vers les États-Unis.
Ce régime désavantage nettement le Canada. Nous devons faire face à la concurrence des États-Unis qui disposent d'un secteur de haute technologie bien établi. Dans de nombreux cas, les entreprises américaines ont reçu une aide gouvernementale importante dans le passé, essentiellement par le biais des dépenses militaires. Il est possible de renflouer une structure existante avec des subventions destinées à la recherche fondamentale car les mécanismes sont déjà en place pour commercialiser les résultats. Sematech, dans l'industrie des semi-conducteurs, en est un bon exemple. Mais il nous faut aussi faire face à la concurrence des entreprises japonaises qui bénéficient d'avantages nets, car elles sont exonérées des droits compensateurs.
La structure industrielle japonaise est dominée par des groupes d'entreprises complices qui peuvent cibler les secteurs de la haute technologie tout en conservant des marchés japonais fermés. On peut citer parmi ces avantages la facilité d'obtenir des capitaux de risque et la participation courante d'une entreprise solide de soutien pour la commercialisation dans le monde entier. Ce sont des avantages conçus dans le secteur privé et ils sont donc par définition exclus des mesures compensatrices.
Ainsi, les mécanismes actuels des droits compensateurs ont tendance à protéger l'infrastructure de haute technologie qui existe aux États-Unis et au Japon et à placer un obstacle de taille face aux tentatives canadiennes de création d'entreprises de haute technologie.
L'imposition de droits compensateurs est non seulement injuste, elle est aussi sans scrupule. Le modèle général sur lequel ce mécanisme s'appuie, le modèle économique néo-classique, comporte le modèle mécanique de l'offre et de la demande. Si vous sortez du cadre du marché, le mécanisme du marché va prendre le dessus et atteindre le point d'équilibre unique qui représente l'affectation efficace des ressources. Les subventions sont mauvaises parce qu'elles empêchent le fonctionnement du marché.
Ce modèle ne tient pas dans le secteur de la haute technologie. Il y a un nouveau modèle, qui est apparu à la fin des années 80 et dans les années 90, selon lequel le développement économique est considéré comme un processus évolutionniste qui résulte des interactions dynamiques d'un grand nombre d'agents économiques. C'est le modèle sur lequel se fonde la stratégie scientifique et technologique du gouvernement fédéral. C'est le modèle pour le concept d'innovation que comporte cette stratégie.
Dans ce modèle, il n'y a pas de point d'équilibre unique. Il y a plusieurs points que l'on peut atteindre. On ne suppose pas que l'efficacité sera garantie. L'économie peut dépendre en partie d'une technologie inférieure qui est immobilisée.
Je vais vous donner un exemple rapide: la prochaine fois que vous toucherez votre ordinateur, regardez le clavier. Vous verrez dans l'angle supérieur gauche les lettres Q, W, E, R, T et Y. On l'appelle le clavier QWERTY. Il a été conçu à la fin du XIXe siècle pour ralentir la frappe car les machines à écrire mécaniques qui existaient à l'époque se seraient bloquées. Le fait est que cette technologie est immobilisée alors que le problème qui en est à l'origine a depuis longtemps disparu.
Les mesures gouvernementales peuvent contribuer à décider du point d'équilibre qui va être atteint passivement: il peut s'agir de fixer les normes - on en tient compte dans la stratégie scientifique et technologique du gouvernement fédéral - activement, grâce à l'aide du gouvernement ou à des subventions et, malheureusement, dans le cas de États-Unis, stratégiquement, grâce à des mesures commerciales stratégiques.
L'évolution et l'émergence constituent un facteur important dans ce modèle. Les avantages historiques qui sont accordés à des entreprises données peuvent encore exister et être transférés par le truchement d'entreprises secondaires, les sociétés dites de spin-off. Les anciens schémas d'aide gouvernementale qui existaient dans la période de l'après-guerre aux États-Unis peuvent continuer à influer sur les conditions du marché à l'heure actuelle par le biais de la structure des industries de haute technologie créées aux États-Unis.
La croissance du secteur de la haute technologie au Canada pourrait très bien avoir été retardée par l'importance de l'aide accordée à la haute technologie aux États-Unis par le biais des dépenses militaires, qui sont de toute évidence exonérées dans le cadre du GATT, mais aussi par le mécanisme des marchés publics et par d'autres moyens.
Les principaux éléments de ce nouveau modèle sont les suivants. Premièrement, le modèle économique est fondamentalement changé en ce qui concerne le secteur de la haute technologie. Deuxièmement, la stratégie du gouvernement canadien est juste; le gouvernement devrait jouer le rôle de catalyseur. Il devrait renforcer les liens, s'attacher à l'infrastructure et faciliter l'apparition des conditions qui permettront à la dynamique émergente du marché de l'emporter. Il a raison d'offrir une aide aux industries de haute technologie pour les aider à surmonter la configuration économique créée par les anciens schémas de soutien américains.
Que faire? Une réforme en profondeur sera difficile, voire impossible à réaliser. Malgré cela, il faut avoir une idée de ce qu'il faut faire. L'aide du gouvernement sous forme de partenariat technologique ne devrait être visée que lorsqu'elle nuit à la concurrence, au jeu de la concurrence.
Il faudrait s'attacher non pas au préjudice subi par une entreprise donnée, mais aux intérêts économiques de la communauté en général, y compris ceux des consommateurs. Cela est conforme au nouveau modèle économique, car on laisse ainsi les mécanismes économiques jouer et on intensifie la concurrence qui donnera lieu à ce genre de croissance. La Communauté européenne a mis au point un système axé sur la concurrence. Il existe donc un précédent pour ce genre de modèle.
Il est très difficile de dire ce qu'il faut faire sur le plan pratique à court terme. Je ne crois pas que l'on puisse faire grand-chose pour ce qui est de refondre la Loi sur les mesures spéciales d'importation actuelle. Toutefois, si les États-Unis ne veulent pas négocier avec nous, nous devrions peut-être nous tourner vers la Communauté européenne. Nous devrions peut-être essayer de négocier une sorte de mécanisme entre le Canada et la Communauté européenne, ou entre le Canada et le Mexique ou le Canada et le Chili, ou encore d'approfondir et d'élargir le partenariat de l'ALENA.
Je crois qu'il faut établir un précédent. Il faut mettre en place un mécanisme qui fasse ses preuves avec le temps pour qu'ultérieurement une telle réforme soit possible.
Merci.
Le président: Merci, maître Gastle.
[Français]
J'inviterais Me Jean G. Bertrand de la firme Ogilvy Renault à prendre la parole.
Me Jean G. Bertrand (avocat, Ogilvy Renault): Je m'excuse de mon retard. J'ai manqué certaines des interventions.
Je vous remercie de me donner l'occasion de vous adresser quelques mots sur un sujet qui est d'intérêt non seulement pour moi-même, mais pour plusieurs autres membres de mon cabinet.
Depuis plusieurs années, plusieurs d'entre nous ont été intimement liés à plusieurs différends commerciaux internationaux, surtout depuis l'entrée en vigueur des accords de libre-échange avec les États-Unis, de sorte que les remarques que je vous livre aujourd'hui sont celles d'un praticien. Je me fais aussi l'écho de commentaires recueillis de mes collègues.
Les deux questions auxquelles le sous-comité souhaite avoir des réponses me semblent intimement liées puisqu'à la limite, toute amélioration du processus de règlement des différends fait exercer une pression à la baisse sur le nombre des différends commerciaux.
L'objectif de réduction du nombre des différends commerciaux passe en premier lieu par la mise en place d'un processus de règlement de ces différends qui soit fiable et efficace. C'est sans doute le meilleur outil pour s'assurer qu'à long terme, le nombre de différends commerciaux est gardé à un minimum.
Cette fiabilité et cette efficacité sont essentiellement fonction de cinq facteurs. Je vous les soumets. Le premier facteur est la rapidité du processus; le deuxième, la prévisibilité du résultat; le troisième, le caractère rigoureux de l'examen qui est mené; le quatrième, l'intégrité du processus et la compétence des décideurs; et le dernier, l'accessibilité du processus.
On verra que, selon que l'objectif qu'on vise - on peut modifier certaines des données relatives à ces facteurs - , on a toujours des impacts vis-à-vis des autres éléments.
Je soumets que l'expérience vécue jusqu'à maintenant en Amérique indique qu'à plusieurs égards, le processus qui a vu le jour dans le premier accord et qui a été repris dans l'ALENA donne d'excellents résultats et peut servir de modèle dans le cadre de beaucoup d'autres ententes commerciales.
Quant à la rapidité, il s'en trouvera toujours pour prétendre que les règles existantes ne permettent pas un dénouement assez rapide, mais force nous est de constater que les délais impartis sont somme toute assez courts. Les praticiens que nous sommes autour de la table les trouvent souvent trop courts. Toute réduction substantielle de ces délais engendrerait des pressions additionnelles sur l'ensemble du processus de règlement au risque d'entraîner une baisse de la qualité du produit final. Il ne semble pas, selon moi, y avoir vraiment de place à amélioration du côté des délais et donc de la rapidité avec laquelle une solution finale est apportée.
Quant à la prévisibilité du résultat, on remarque que, nonobstant les dispositions des accords qui visaient à s'assurer que chacune des instances soit un cas d'espèce, l'expérience vécue jusqu'à maintenant nous démontre que les panels ont repris avec une constance rassurante, je dirais, l'interprétation donnée par des panels précédents quant à certaines questions qui sont cruciales au déroulement du processus et à son caractère fiable.
Notamment, les standards de révision judiciaire ont fait l'objet de plusieurs décisions des panels et celles-ci forment, ni plus ni moins, un corpus jurisprudentiel qui permet aux belligérants d'évaluer d'entrée de jeu, avec une certaine précision, leurs chances de succès éventuel dans le cadre d'un différend. C'est drôlement important pour être capable d'éviter une duplication des disputes.
L'adoption d'une règle de stare decisis, selon laquelle un panel serait lié par les décisions précédentes, contribuerait certainement à procurer un caractère encore plus grand de prévisibilité aux décisions à être rendues par les panels.
Il faut reconnaître néanmoins que l'adoption d'une telle règle pourrait difficilement se faire sans que le mécanisme des panels soit institutionnalisé. Par institutionnaliser, je veux dire non pas constituer de panels ad hoc, mais plutôt créer une sorte de cour pannationale, avec toutes les difficultés que cela comporte évidemment.
À la limite, la règle du stare decisis comporte beaucoup d'inconvénients, notamment celui de limiter grandement la possibilité de faire évoluer l'interprétation d'une même règle au fil des ans. Alors, l'interprétation quant à un point donné, avec cette règle-là, risque plus d'être figée dans le temps et donc de lier tous les panels à l'avenir.
Quant au caractère rigoureux de l'examen mené, encore une fois, malgré les termes clairs des ententes conclues jusqu'à maintenant et l'existence d'une jurisprudence canadienne volumineuse quant à la portée somme toute limitée que doit avoir une révision judiciaire, il faut reconnaître que les panels ont interprété de façon constante leur rôle comme devant aller au-delà de la simple révision judiciaire.
Dans plusieurs cas, on ne s'est pas soucié de la déférence qui est normalement due à l'instance décisionnelle dont la décision fait l'objet d'une révision judiciaire. On est allé plus loin pour réviser les faits et s'assurer qu'une bonne décision avait été rendue.
Plusieurs verront là une source d'insécurité dans la mesure où le panel peut être tenté, non pas simplement de contrôler la légalité de la décision qui est rendue, mais plutôt de rendre la décision qui aurait dû être rendue à la place, ce qui peut être dangereux dans certains cas. D'autres, dont je suis, y décèleront surtout un souci des panels de procéder à un examen rigoureux du dossier et de ne pas laisser place aux décisions des organismes nationaux qui pourraient être le fruit d'une vision protectionniste ou partiale.
Il faut y voir également le signe, et je crois que c'est très important, que le processus de règlement a acquis une certaine maturité qui démontre clairement sa capacité de traiter adéquatement les différends qui y sont soumis.
L'intégrité du processus et la compétence des décideurs: Encore là, le processus en place a très bien fonctionné jusqu'à maintenant, surtout grâce au professionnalisme dont fait preuve le secrétariat, surtout du côté canadien. La compétence et l'indépendance des membres qui siègent à des panels sont évidemment essentielles à la crédibilité du processus.
Je vous émets une préoccupation. Ce sont les règles qui ont été resserrées dans le cadre de l'ALENA quant aux conflits d'intérêts. L'objectif poursuivi est très louable. Il faudra sans doute toutefois prendre garde que les nouvelles exigences en matière de conflits d'intérêts n'écartent pas à toutes fins pratiques toute participation des praticiens aux panels.
Comme on le sait, en vertu de l'ALENA, les règles des conflits d'intérêts font en sorte que, non seulement celui qui agit en tant que membre de panel ne doit pas avoir été impliqué dans le conflit à quelque égard que ce soit, mais il est également empêché d'agir en cette capacité pour une très longue période de temps après que le différend ait pris fin.
La sévérité de ces exigences pourrait, à plus ou moins court terme, éliminer les praticiens canadiens de cette fonction, compte tenu du nombre restreint de praticiens de ce domaine au Canada. Ce n'est évidemment pas un problème aussi grave aux États-Unis, mais au Canada, si vous prenez le pouls des praticiens, vous verrez rapidement qu'il y a de moins en moins d'intérêt à ce que ceux-ci agissent en tant que membres des panels, parce qu'on veut évidemment se préserver la possibilité d'agir pour des intérêts devant ces panels.
Donc, l'efficacité ultime du processus pourrait en souffrir puisque la participation de praticiens aux différents panels apporte une vision qui ne peut que contribuer à l'élaboration d'une solution pratique apte à favoriser les échanges commerciaux. C'est dit avec égard pour mes confrères académiciens ou d'autres domaines.
Quant à l'accessibilité du processus, il s'agit là sans doute de l'item auquel il serait le plus facile de suggérer des modifications afin de limiter le nombre des différends. Que l'on pense à des mesures pour faire supporter le coût du processus par les parties ou pour exiger que tout recours fasse l'objet d'un cautionnement quant aux droits compensateurs qui pourraient être exigés ou quant à tout dommage qui pourrait être subi par la partie qui, en attente d'une décision d'un panel, subit un préjudice, ou pour abolir tout simplement le caractère automatique de ce recours.
Il est certain que l'adoption de tout obstacle est de nature à réduire le nombres de différends qui seront soumis au processus. Malheureusement, une réduction du nombre de différends soumis au processus ne se traduit pas nécessairement par une réduction du nombre des différends commerciaux. Il ne faut pas perdre cela de vue. Certaines de ces mesures pourraient même avoir pour effet d'étendre les délais nécessaires avant que les différends soient tranchés de façon définitive. Par exemple, si l'on demande une préautorisation avant d'avoir accès à ce recours à un panel, évidemment, cela entraîne des délais additionnels.
Je crois que, de façon plus importante encore, toute restriction à l'accès au processus qui passerait par l'adoption de mesures visant à augmenter le coût pour les belligérants serait susceptible de défavoriser le Canada par rapport à ses partenaires commerciaux, compte tenu de la taille relative des industries ici. Car, s'il est une belle réalisation des processus de règlement des différends que les accords de libre-échange ont mis de l'avant, c'est celle de permettre à des partenaires de forces économiques très différentes de faire trancher des différends sans égard à ce rapport de forces.
Je ne prétends pas que le processus actuel ne peut être amélioré, mais de grâce, sous prétexte d'apporter certaines améliorations bien mineures, ne donnons pas l'occasion à d'autres partenaires qui pourraient être moins satisfaits des résultats procurés par ce processus jusqu'à maintenant une occasion d'en renégocier des aspects fondamentaux. Ces aspects fondamentaux, ce sont ceux qui ont procuré au Canada des résultats concrets et qui, pour les échanges commerciaux en général, procurent un environnement favorable.
Je crois que vous avez, dans les accords qui ont été conclus entre le Canada et les États-Unis, d'une part et, par la suite, avec le Mexique, un modèle de règlement des différends qui est enviable, qui fonctionne très bien et qui peut certainement servir d'outil de réduction des différends commerciaux sur une base plus étendue que celle sur laquelle il est utilisé actuellement.
Le président: Merci, monsieur Bertrand.
[Traduction]
J'invite maintenant Me Flavell de Flavell, Kubrick and Lalonde à prendre la parole.
Me Michael Flavell (avocat, Flavell, Kubrick and Lalonde): Merci, monsieur le président et messieurs les membres du comité.
L'un des avantages d'être le quatrième au bâton est que l'on peut profiter de ceux qui sont passés avant, je vais donc être privilégié puisque j'ai la possibilité de commenter certaines des excellentes remarques faites par ceux qui m'ont précédé.
J'ai notamment eu un large sourire lorsque mon ami, Me Tereposky, a recommandé une plus grande participation du secteur privé. Étant moi-même praticien du secteur privé, cela ne peut que me porter à sourire en pensant à l'avance aux recettes supplémentaires que cela entraînerait et je vais donc me joindre à lui pour affirmer la même chose. Mais je ne le fais pas par pur égoïsme; je pense réellement qu'un plus grand rôle du secteur privé devrait et pourrait faciliter le processus.
Il a notamment dit, ce qui est vrai, que les intérêts de la personne qui dépose une plainte commerciale ne sont pas toujours les mêmes que ceux de l'État dont elle est citoyenne. Je ne peux pas entrer dans le détail, mais dans l'une des affaires dont je me suis récemment occupé, un plaignant canadien avait de très bons arguments contre les États-Unis. Mais lorsque le gouvernement a pris part à l'affaire, il avait un ensemble beaucoup plus vaste d'ambitions. Son programme était beaucoup plus important et très différent et, d'après notre évaluation, son approche allait nettement affaiblir la cause.
On se trouve donc souvent dans la situation étrange où les secteurs privé et public ne vont pas ensemble. Je crois qu'il serait utile de penser à des façons de permettre au secteur privé et aux plaignants de ce secteur de jouer un plus grand rôle. Je crois que cela rendrait également le processus plus transparent.
J'aimerais faire une brève remarque sur une déclaration de Me Gastle, remarque qu'il a d'ailleurs faite presqu'en passant. Il a dit que tout le monde admettait que la législation antidumping devrait être remplacée par une législation sur la concurrence. Je crois que de nombreux économistes souscrivent à cette théorie et que de nombreux auteurs en ont parlé, mais il va sans dire que de procéder à un tel changement ne revient pas simplement à tourner la page, à téléphoner à quelqu'un et à signer un accord. Les Américains ne sont pas favorables à ce changement, et il nécessiterait par ailleurs une codification de la législation en matière de concurrence des différents pays concernés.
Il y a cependant un problème philosophique de taille qui consiste à savoir si on a besoin ou non de la prédation dans ce nouveau régime juridique relatif à la concurrence. Nombreux sont ceux qui croient que la prédation est chose nécessaire et que c'est précisément ce que l'on essaie d'obtenir. M. Trebilcock, de l'université de Toronto, qui a analysé les procès qui ont été intentés au Canada pour le dumping, a conclu qu'aucun d'entre eux n'indiquaient qu'il y avait un élément de prédation.
Si on veut être vraiment honnête, je crois qu'il faut admettre que le fait de remplacer la législation antidumping par une législation sur la concurrence ne constitue pas vraiment un remplacement, car il s'agit de l'annuler grâce aux normes et principes actuels de la législation sur la concurrence. Je ne vais pas m'efforcer de vous donner des arguments pour vous montrer que ce n'est pas une bonne chose, mais je crois que les partisans de ce remplacement de la législation antidumping par une législation sur la concurrence devraient comprendre qu'ils suppriment en fait les recours commerciaux qui protègent les Canadiens. Je ne crois pas que tous les Canadiens, du moins tous les clients que j'ai représentés, soient d'accord avec cette idée.
J'aimerais reprendre aussi quelque chose qu'a affirmé Me Bertrand et qui a de l'importance pour le mode de résolution du différend en instance, à savoir que les universités sont progressivement devenues les seules sources auxquelles on puise pour aller chercher les membres des panels, pour des raisons qui ne sont pas attribuables uniquement à leur égoïsme. Si on suit les tarifs quotidiennement, on ne peut pas acheter des meubles neufs avec l'argent que l'on obtient en étant membre de ces panels. Il se trouve simplement qu'à cause de la règle des conflits sur laquelle on s'appuie et qui a pris de plus en plus d'importance, les praticiens ont en fait été écartés des panels. Je sais par expérience personnelle que certains de mes amis et collègues ont vécu des expériences assez épouvantables parce qu'après être devenus membres de panels, ils ont eu à pâtir du mécanisme des conflits d'intérêts.
Je crois que la seule façon d'atteindre l'objectif visé par ceux qui ont rédigé l'ALE et l'ALENA pour ces panels - c'est-à-dire qu'ils soient constitués à la fois de praticiens, d'universitaires et d'autres personnes - consisterait à changer le code relatif aux conflits.
Je crois que si nous voulons maintenir ce processus, il va nous falloir proposer un code beaucoup moins sévère. Si M. Untel fait partie du panel et a les qualifications voulues, peu m'importe que son associé d'il y a 20 ans ait représenté quelqu'un qui est indirectement lié à la cause. Je crois qu'il faut que l'on puisse dire que ces 15 ou 25 personnes sont dignes de confiance et peuvent figurer au panel.
Il est clair que si ces personnes ou leurs associés représentent activement quelqu'un dans l'affaire du moment, les règles normales de politesse l'emporteront. Mais je crois qu'il faut nous écarter de cette vision procédurière très américaine des conflits selon laquelle quiconque a déjà travaillé dans le domaine commercial est effectivement en situation de conflit. Cela veut bien sûr dire que ceux qui pourraient faire l'affaire seraient nécessairement des personnes qui ne connaissent absolument rien à la question, ce qui semble quelque peu contradictoire.
J'ajouterais que j'applaudis très fort Me Bertrand pour les remarques qu'il a faites à ce sujet. Je crois qu'il est important pour le processus que les panels comportent des éléments mixtes, et ce n'est pas ce que nous avons pour l'instant. Je ne veux pas dire par là que cela a eu des répercussions sur la qualité du travail fait par les panels; je veux simplement laisser entendre que le système des panels, qui fait déjà l'objet de critiques comme nous le savons, qui sont pour la plupart - aux États-Unis - injustes, devrait être aussi solide que possible, car au Canada nous estimons que c'est une bonne chose. Je crois que c'est une façon de le concevoir qui nous permettrait d'éviter les critiques.
Pour ce qui est de la question sur la possibilité de réduire le nombre des différends commerciaux en améliorant les ententes commerciales internationales, je ferai une observation bien banale, à savoir que si on pouvait conclure des accords commerciaux parfaits et prévoir de façon très claire et idéale toutes les éventualités, il y aurait moins de différends commerciaux. Je crois qu'il y a de fortes chances que cela se produise, mais il y a aussi fort peu de chances que cela se produise.
Je crois que Me Tereposky a raison de dire que d'un côté comme de l'autre, on pâtit. Si l'accord est très précis, il y aura des différends sur l'interprétation des termes, et si l'accord est très général, on va vouloir interpréter ce que ces principes très généraux signifient dans un cas particulier. Je ne crois pas vraiment qu'une analyse approfondie, une analyse commandée par ordinateur ou autre d'un accord commercial pour le perfectionner permette d'éviter des différends, car comme on avait l'habitude de le dire avant que la rectitude politique ne soit à la mode, les garçons, on ne les changera pas. Les pays, on ne les changera pas et ils vont faire de vilaines choses.
Nous constatons que nos voisins du sud font de vilaines choses à l'occasion, bien sûr nous savons qu'ils pensent que certaines de nos activités, surtout dans le domaine culturel - ils pensent que nous sommes de vilains garçons. Je crois qu'ils le pensent sans méchanceté. Ils estiment en fait que nous avons une idée trop générale de ce qui constitue ou non une question culturelle.
Quel que soit le pays considéré, selon la politique et l'économie en vigueur à ce moment-là, il va faire des choses qui ne plairont pas à d'autres pays. Il y aura donc toujours des différends de nature commerciale. Je ne crois pas que cela change beaucoup si on améliore les accords commerciaux internationaux ou si on les rend plus précis.
Deuxièmement, comment améliorer le mode de règlement des différends? Je pense en avoir déjà parlé lorsque j'ai fait des commentaires sur les remarques de mon ami: j'estime qu'il est important qu'il soit plus transparent. Comme l'a dit Me Bertrand, les délais sont déjà relativement courts pour obtenir un règlement, je n'ai donc pas de problème avec l'élément rapidité de l'analyse de Me Bertrand. Pour ce qui est de la prévisibilité, du caractère rigoureux de l'examen et de l'accessibilité, je crois que le système fonctionne très bien.
En conclusion, je dirais que les ententes commerciales ne constituent pas le problème; le problème vient des signataires de ces ententes.
Le président: Merci, maître Flavell.
Me Ronald Cheng représente Osler, Hoskin and Harcourt. Vous avez un avantage, vous êtes le dernier de nos invités. N'hésitez donc pas à faire des commentaires. La parole est à vous.
Me Ronald Cheng (avocat, Osler, Hoskin and Harcourt): Merci, monsieur le président. Contrairement à Me Flavell, je ne profiterai pas de l'occasion pour faire des commentaires sur les témoignages précédents.
Je veux revenir sur deux choses que vous avez dites dans vos remarques préliminaires. La première est que nous ne devrions pas prendre trop de temps pour lire nos notes; je ne le ferai donc pas. La deuxième est que vous avez indiqué qu'il s'agissait d'une table ronde. Je vais vous demander, à vous et aux autres membres du comité, de me conseiller sur la forme que devra prendre la discussion qui va suivre car, à mon avis, nous avons un très grand nombre de questions à débattre, qu'il s'agisse du processus du chapitre 19 sur lequel a insisté Me Bertrand... S'il est possible de revenir en arrière, va-t-on discuter du processus prévu au chapitre 20 et du processus de l'OMC qui sont précisément mentionnés dans les documents qui nous ont été envoyés avec les questions que vous nous avez posées pour les délibérations d'aujourd'hui?
En ce qui concerne les deux types de règlement des différends en question, j'estime que vous avez déjà reçu des conseils de personnes plus qualifiées et plus au courant que moi lorsque vous avez entendu le témoignage de fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, puisque, comme vous le savez, ce sont des modèles de règlement des différends intergouvernementaux ou entre deux gouvernements. Mon expérience concernant ces processus a été limitée aux conseils donnés à des représentants du secteur privé que les affaires en litige pouvaient intéresser, mais qui n'étaient pas parties à ces procédures.
Je sais aussi que votre sous-comité et celui qui est chargé de l'examen de la Loi sur les mesures spéciales d'importation ont tenu des réunions conjointes en ce qui concerne l'examen de la loi en question. J'estime que l'existence et les mandats des deux sous-comités reflètent la réalité du commerce international. Vous et vos sous-comités représentez sans doute les deux côtés de la médaille du commerce, si je puis me permettre cette image. Les recours commerciaux face aux autres législations commerciales constituent la réponse de notre gouvernement à un problème commercial international perçu, et sa façon de le gérer. Les différends commerciaux entre deux gouvernements apparaissent lorsqu'un autre gouvernement n'est pas d'accord avec la réponse donnée par un pays à un problème commercial. Il y a donc une ligne de démarcation naturelle entre vos mandats respectifs si l'on considère que le sous-comité chargé de l'examen de la Loi sur les mesures spéciales d'importation étudie les changements proposés à la législation canadienne en matière de recours et que votre sous-comité étudie les éventuels différends entre gouvernements qui pourraient découler des changements proposés.
J'ai de toute façon mon opinion, monsieur le président, sur les différends commerciaux entre gouvernements et sur les procédures. J'ai également une opinion marquée en ce qui concerne la Loi sur les mesures spéciales d'importation, comme M. Paré a pu le constater lorsqu'il a participé aux audiences du comité dont vous relevez sur la législation canadienne de mise en oeuvre de l'Organisation mondiale du commerce il y a deux ans. Mais je crois parler en notre nom à tous, monsieur le président, lorsque je dis que nous nous en remettons à vous pour ce qui est de l'orientation que doit prendre la discussion d'aujourd'hui.
Merci beaucoup.
Le président: Je pense que vous avez fait une très bonne analyse de ce qui occupe les deux sous-comités et il est évident que ces travaux sont liés.
Je ne pense pas que l'on doive consacrer trop de temps à ce qui concerne la Loi sur les mesures spéciales d'importation, surtout parce que c'est une question qui relève de l'autre sous-comité. Jusqu'ici, nous avons eu une description des mécanismes de la part de nos hauts fonctionnaires. Et ils ont fait un excellent travail. Ils nous ont fait passer en revue tous les livres. Ils nous ont montré comment on arrive à un différend, comment on déclenche les mécanismes de règlement et quelle comparaison on peut établir. Nous disposons donc de cette analyse descriptive.
Ce que nous aimerions avoir, et c'est ce que nous avons déjà obtenu en grande partie - vous avez fort bien répondu à notre attente - c'est une opinion critique, une évaluation, une appréciation fondée sur l'expérience. C'est ce que nous pouvons faire aujourd'hui: obtenir d'autres renseignements, d'une nature plus critique, que ce que nous avons entendu jusqu'ici.
Voulez-vous continuer maintenant que vous avez ces indications et nous donner votre opinion? Sinon, je passerai la parole à l'un des membres du comité.
Me Cheng: Monsieur le président, les membres du comité nous ont sans doute écoutés suffisamment longtemps. Peut-être que l'un d'entre eux souhaite exprimer une opinion ou poser une question.
Le président: Monsieur Paré.
[Français]
M. Paré (Louis-Hébert): J'ai plusieurs petites questions qui sont beaucoup plus reliées à mon ignorance qu'à la confusion des propos qui nous ont été communiqués.
Je vais les prendre dans l'ordre des intervenants. Lorsque M. Tereposky nous a dit que les accords récents étaient plus détaillés que les précédents, j'ai été tout heureux d'entendre cela, mais il a ajouté tout de suite après que cela donnait prise à plus de différends.
Il me semble que c'est un peu contradictoire parce que si on a un accord qui n'est pas détaillé, il peut être interprété de toutes sortes de façons et il m'apparaît que, de toute façon, il y aura des différends dans l'interprétation.
Le caractère détaillé d'un accord me semble être relié à la prévisibilité dont parlait M. Bertrand, et j'aimerais que vous m'en disiez un peu plus long là-dessus.
[Traduction]
Me Tereposky: Monsieur le président, j'aimerais donner un exemple pour répondre à la question. C'est l'exemple d'une entente qui, à la suite de l'OMC, est devenue plus précise et ce supplément de détails a permis d'avoir une idée plus claire des droits et obligations prévus dans l'accord en question. Du fait de cette plus grande clarté, il est apparu qu'une mesure donnée, qu'il était peut-être plus difficile de contester dans le passé - les motifs de la contestation sont beaucoup plus clairs. Il s'agit de l'entente récente sur les subventions et les mesures compensatrices qui fixent le régime concernant les subventions interdites et les subventions ouvrant droit à poursuite.
Lorsque nous avons parlé du processus et des subventions du chapitre 19, nous avons discuté la plupart du temps de la législation relative aux droits compensateurs qui permet à un pays donné d'intenter des poursuites avec sa législation nationale et de tâcher d'assujettir les importations à des droits. Ces nouvelles dispositions, qui sont beaucoup plus détaillées en ce qui concerne les subventions à l'exportation et les autres subventions ouvrant droit à poursuite, sont conçues comme des mesures disciplinaires appliquées aux subventions faites en dehors du pays d'un signataire. Ainsi, si le Canada trouve à redire à une subvention d'un pays tiers qui a des effets sur d'autres pays que le Canada, il peut invoquer ces nouvelles dispositions, qui sont beaucoup plus détaillées, pour intenter des poursuites à l'égard de ces subventions.
Dans le passé, en vertu du code de Tokyo de 1979 qui était l'accord précédent, ces mesures disciplinaires officielles à l'égard des subventions étaient rarement invoquées. Ce que l'on constate maintenant, c'est qu'étant donné le nombre et le détail de ces mesures disciplinaires, c'est que l'on a davantage recours à ces dispositions. Nous commençons déjà à voir des affaires dans le cadre de l'OMC qui vont arriver au mécanisme de règlement des différends. Voilà donc un exemple.
On peut donner un autre exemple de cas où les précisions vont sans doute créer un plus grand nombre de différends, c'est lorsque ces détails commencent à porter sur de nouveaux domaines. Par exemple, nous avons maintenant un accord sur les mesures relatives à la propriété intellectuelle liées au commerce. C'est un nouveau domaine qui n'existait pas auparavant. Il y aura donc de nouvelles mesures disciplinaires qui pourraient aussi donner lieu à de nouveaux différends.
Merci.
[Français]
M. Paré: Avant que je ne passe à une autre, si quelqu'un d'autre veut ajouter quelque chose...
[Traduction]
Me Flavell: Si vous me permettez une observation, je pense que ce que Me Tereposky veut dire, c'est qu'en ajoutant des mots, on peut résoudre des litiges mais aussi en créer de nouveaux. Je crois qu'un supplément de mots peut entraîner de nouveaux problèmes et donner lieu aussi, si vous le voulez à d'autres recours, et de fait les parties auraient davantage de raisons de débattre les questions en litige. Par ailleurs, un supplément de mots - cela veut dire des ententes plus longues et plus précises - peut prévenir certains litiges ou les supprimer parce qu'il donne en quelque sorte la réponse à la question.
Ce à quoi je veux en venir, et je crois que je suis d'accord à cet égard avec Me Tereposky, c'est qu'on ne résout pas nécessairement les litiges en ayant davantage de détails et de dispositions. Un plus grand nombre de mots n'entraîne pas nécessairement un moins grand nombre de litiges.
Me Gastle: Il est parfois nécessaire d'avoir davantage de mots. L'illustration de Me Tereposky en est un bon exemple.
Je vais vous faire un bref historique des droits compensateurs dans le cadre du GATT. En 1979, pour les codes du Tokyo Round, on s'était efforcé de donner une liste des subventions autorisées pour montrer aux gouvernements ce qu'il était licite de faire. Le Canada était favorable à cette mesure. Je crois que M. Dupuy pourrait nous en dire beaucoup plus là-dessus que n'importe lequel d'entre nous.
Le fait est que pour le classement dont a parlé Me Tereposky, l'un des principaux objectifs était de créer une catégorie n'ouvrant pas droit à poursuite pour aider les gouvernements et leur permettre de prévoir des subventions possibles. C'est là que l'on trouve une exemption pour la recherche fondamentale. Il y a une autre exemption pour les subventions à des fins écologiques et il y en a une autre pour le développement régional.
Avec ces ajouts, c'est la première fois, du moins dans le cadre de la structure GATT-OMC, que l'on trouve une définition de ce que peut faire le gouvernement fédéral en matière de subventions. L'une des autres possibilités légitimes de réforme consisterait à essayer d'élargir et d'approfondir certaines de ces catégories n'ouvrant pas droit à poursuite.
[Français]
M. Paré: J'aurais une autre question, toujours pour M. Tereposky.
J'ai compris à un moment donné, dans votre exposé, que vous avez dit que le nombre d'intervenants gouvernementaux - le nombre de ministères qui pouvaient intervenir - étant assez grand, cela pouvait rendre les choses plus complexes. Parliez-vous de cela comme d'un mal nécessaire ou s'il y a moyen de réduire le nombre d'intervenants gouvernementaux?
[Traduction]
Me Tereposky: Je ne dirais pas que c'est un mal nécessaire. Je crois qu'un différend commercial porte inévitablement sur tout un ensemble de questions de politique gouvernementale. Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international intervient invariablement pour les questions de réglementation commerciale et pour présenter des arguments. Industrie Canada d'une part et Agriculture et Agroalimentaire Canada d'autre part auraient à intervenir pour les questions de politique industrielle. Je crois qu'il est inévitable qu'un très grand nombre de ministères interviennent. Pour l'instant, je ne vois pas le moyen, ni la nécessité, de réduire ce nombre. Il s'agit simplement de savoir qui est concerné pour pouvoir comprendre le processus.
[Français]
M. Paré: Mon autre question s'adresse à M. Gastle. J'ai cru comprendre que les droits compensateurs empêchaient le gouvernement de régler des problèmes au Canada. J'aurais aimé que vous explicitiez un peu plus ce point.
[Traduction]
Me Gastle: La question est alors de savoir quel rôle le gouvernement canadien doit jouer, et aussi bien n'importe quelle province, pour voir ce que le Canada doit faire pour être plus concurrentiel tandis qu'il s'achemine vers la prochaine décennie? Si vous regardez les politiques élaborées par les gouvernements fédéral et québécois, aussi bien que par d'autres gouvernements, on constate nettement une lacune dans la structure industrielle canadienne.
Nous avons une économie axée sur les ressources à de nombreux égards. Nous avons des îlots d'excellence en matière de fabrication, comme l'aérospatiale dans certains cas précis, les télécommunications, mais aussi l'industrie automobile, mais il se trouve que l'on juge nécessaire de créer davantage de sociétés de haute technologie qui peuvent nous offrir la compétitivité nécessaire pour nous permettre d'avancer.
De fait, les politiques qui existent actuellement en matière de droits compensateurs constituent un obstacle éventuel à ce genre de choses. Le gouvernement canadien, ou n'importe quel autre gouvernement, peut mettre dans n'importe quelle politique ce qu'il veut, mais une fois cela fait, il crée un risque, à savoir qu'un concurrent américain pourra déposer une plainte contre le Canada du fait de la subvention.
Les mécanismes et les pourcentages sont si faibles à l'heure actuelle qu'une fois qu'une plainte est déposée, tant qu'il peut y avoir un soupçon de risque de préjudice, on peut imposer des droits préliminaires. Ces droits préliminaires peuvent être assez importants et faire obstacle à la capacité d'une société canadienne de vendre aux États-Unis.
Ce dont le Canada a besoin, c'est de pouvoir commercialiser la technologie dont il dispose et la diffuser par l'entremise de plusieurs sociétés. Le problème est que ces deux choses sont irrégulières en vertu de la législation actuelle relative aux droits compensateurs.
[Français]
M. Paré: Je dois comprendre, à la suite de la dernière partie de votre réponse, que la solution n'est pas dans l'augmentation des subventions aux entreprises.
[Traduction]
Me Gastle: On admet dans la stratégie scientifique et technologique qu'il faut fournir un mécanisme pour lancer en bloc les innovations qu'on réalise. Les partenariats technologiques en sont un exemple. Mais une fois qu'on instaure une subvention, on crée un risque.
Cela m'amène à une question. Lorsque la stratégie scientifique et technologique a été mise au point et que les partenariats technologiques ont été conçus, quelqu'un a-t-il vérifié s'ils étaient conformes aux principes juridiques du commerce international? J'ai essayé de poser cette question au gouvernement, mais je n'ai pas encore reçu de réponse.
J'aimerais savoir comment le gouvernement fédéral aborde la question des risques éventuels créés par ces partenariats technologiques. Tant que les mesures compensatrices actuelles existent, chaque fois que l'on met en place un tel programme, on crée un risque. Lorsqu'on le fait dans les secteurs de la haute technologie, c'est d'autant plus le cas car ce sont les secteurs les plus importants pour les États-Unis et ceux qui peuvent devenir vulnérables.
Le président: Monsieur Steckle.
M. Steckle (Huron - Bruce): Merci, monsieur le président. Je vous prie de m'excuser pour mon retard. Je ne suis pas un habitué du comité.
Autant que je me souvienne, c'est la première fois que j'ai la possibilité de faire face à cinq avocats pour leur poser des questions. C'est effectivement un défi. J'ai presque l'impression que c'est moi qui suis mis au défi en l'occurrence.
Bien que je ne connaisse pas aussi bien ce domaine que d'autres, je souhaite néanmoins poser plusieurs questions.
Le Canada a fait récemment l'objet de contestations dans plusieurs domaines. Et il a été bien traité dans l'interprétation finale des décisions qui ont été prises en sa faveur.
Avons-nous fait l'objet de contestations plus fréquentes en raison de la nature de notre pays? Nous sommes un pays de plus petite taille. Je ne suis pas sûr que la définition précise des subventions figure quelque part. Peut-être que c'est simplement quelque chose que les avocats essaient de préciser de temps à autre. Peut-être doivent-ils le faire dans chaque cas particulier. C'est peut-être pour cela que vous continuez à avoir du travail.
Je me pose la question parce que nous avons été contestés et que la décision a été rendue en notre faveur, surtout dans le cadre de l'ALENA, face à nos homologues américains. Il me semble que lorsqu'on décide de signer un accord, on doit comprendre clairement quelles sont ses conditions. Qui nous entraîne dans ces litiges qui nous forcent à la confrontation et qui font qu'on s'en prend à nous? Le Canada s'en sort de toute évidence bien la plupart du temps.
Que faire alors à cet égard? Le système fonctionne assez bien. Nous devons admettre que le mécanisme en place fonctionne très bien, mais j'imagine qu'il nous faut nous poser certaines questions. Quand la chance va-t-elle tourner pour nous? Où avons-nous seulement agi lorsque nous étions sûrs de notre fait? Voilà les remarques que je tenais à faire avant de passer à mes questions suivantes.
Je n'ai pas lu vos curriculum vitae et je ne sais donc pas à qui adresser la question. J'ai donc parlé à la cantonade.
Me Flavell: Je suis le plus âgé, aussi vais-je me lancer le premier.
Tout d'abord, les systèmes dont il est question, si nous voulons parler de l'ALENA et même de l'ALE, sont relativement récents. Ils sont même très récents. Nous n'avons donc pas énormément d'antécédents à prendre en considération.
Par exemple, l'affaire du bois d'oeuvre est sans doute la plus connue. Nous l'avons emporté à juste titre. Je ne crois pas qu'il y ait vraiment autant de contestations que vous le dites, mais que c'est plutôt que l'on a donné une importance démesurée à celles qui ont été faites. Je ne pense pas devoir souscrire à l'idée que le Canada a été soumis à de nombreuses contestations.
Mais le Canada, malgré ce que l'on peut lire parfois dans les documents provenant des ministres du commerce et autres, n'est pas parfait. Nous faisons donc des choses que d'autres désapprouvent, à tort ou à raison. La gestion de l'offre représente l'une de ces mesures et elle concerne le secteur de la volaille et des produits laitiers. Je suis sûr que nombreux sont les Canadiens qui ne sont pas aussi heureux que les agriculteurs de la gestion de l'offre. Pour certaines des choses que l'on fait dans le domaine culturel, je crois que les avocats d'autres pays qui sont spécialisés en commerce international diraient qu'elles sont pour le moins discutables.
Nous ne sommes pas toujours entièrement innocents. On nous conteste. Nous ne sommes certainement pas toujours coupables et nous l'emportons donc parfois. Mais je crois que le système fonctionne. Je crois que nous sommes à peu près comme la plupart des autres pays, c'est-à-dire que nous sommes formidables à certains égards et un peu moins formidables à d'autres égards.
Me Bertrand: J'aimerais, si possible, dire quelque chose sur le processus proprement dit. J'y ai fait allusion préalablement dans mes remarques. Tout ce processus a eu un résultat extraordinaire, à savoir qu'il a ramené un certain équilibre dans les relations avec des partenaires plus importants.
Cela explique en partie la situation, car si nous avons eu gain de cause plus souvent, en général, c'est peut-être parce que notre partenaire essaie un peu trop de tirer la couverture à lui. Je crois que cela explique en partie la situation et c'est pour ça que le processus est si agréable.
Je dirais deuxièmement que, quel que soit le processus ou ce qu'il prétend être, et quels que soient les accords auxquels souscrivent les gouvernements, ils ne maîtrisent la situation qu'en partie. Il y a ceux qui agissent sur le terrain et qui font ce qu'ils veulent pour commercialiser leurs produits à leur guise. Ce sont bien évidemment eux la principale source de litiges.
Vous souhaitez les contrôler le moins possible, car vous voulez encourager la libre concurrence et le libre-échange. Vous faites donc partie de l'ensemble du tableau sur lequel vous n'avez que très peu de contrôle. C'est plus ou moins un point d'interrogation et cela donne une dynamique tout à fait différente à l'ensemble du processus.
Dieu merci, même si nous n'avons que très peu d'expérience dans le cadre des deux accords de libre-échange nord-américains, cela prouve qu'un bon mécanisme peut redresser la plupart des situations.
J'en profite pour dire que la réduction du nombre des différends est un objectif louable, mais qu'il ne doit pas être une fin en soi. Il est peut-être plus raisonnable et plus réaliste de chercher à obtenir un moyen efficace de régler tous les différends qui se présentent plutôt que de tâcher de réduire le nombre des différends commerciaux. En essayant de resserrer le mécanisme de règlement des différends pour le rendre plus efficace, on pourrait être tenté d'augmenter le nombre des différends.
L'un de mes collègues croit que le Canada n'a pas suffisamment recours à l'article 20. Pour faire contrepoids à l'impression que beaucoup ont, et que vous avez exprimée plus tôt, à savoir que le Canada a gagné davantage de batailles que les États-Unis, le Canada devrait utiliser davantage l'article 20 pour bien faire savoir qu'il tient fermement à sa position. Il se pourrait que pour équilibrer les choses il soit bon que l'on perde certaines causes pour que les Américains ne puissent pas dire qu'on gagne tout le temps.
Le président: Maître Cheng, vous vouliez ajouter quelque chose.
Me Cheng: Vos questions me portent également à faire plusieurs remarques. Lorsque vous parlez du plus grand nombre de subventions compensatrices qui concernent le Canada, c'est parce qu'en Amérique du Nord nous avons tendance à regarder cela sous cet angle.
Lorsqu'on prend le chapitre 19 sur le mécanisme de règlement des différends commerciaux de l'ALENA, par exemple, lorsqu'on cite l'affaire du bois d'oeuvre, etc., c'est le résultat direct du fait que nous sommes le plus gros partenaire commercial des États-Unis. Cela ne veut pas dire, par exemple, que les États-Unis n'ont pas contesté les subventions d'autres gouvernements pour d'autres produits.
Deuxièmement, il nous faut nous rappeler que même si l'on a l'impression de l'avoir emporté dans la plupart des cas, comme Me Bertrand l'a dit, cette constatation peut être légèrement trompeuse. Si le panel prévu au chapitre 20... Nous avons le rapport provisoire, mais la décision définitive ne sera pas donnée en réalité avant novembre. S'il se peut que le Canada l'emporte, une société américaine prévoit, par exemple, de contester pour la première fois un projet de loi canadien en vertu des dispositions du chapitre 11 de l'ALENA qui concerne les investissements. Je suis sûr que vous êtes tous au courant. Cela concerne les interdictions relatives à l'additif de l'essence qu'est le MMT.
Si nous l'avons emporté dans les affaires importantes de subvention auxquelles vous vous êtes attachés - et Me Flavell a mentionné précisément le bois d'oeuvre - il ne faut pas oublier qu'en vertu de la législation de mise en oeuvre de l'Organisation mondiale du commerce, les Américains ont en fait réussi à faire annuler deux des décisions qui avaient été rendues en notre faveur. Comme vous êtes nombreux à le savoir, il existe dans l'ALENA des dispositions concernant les contestations selon lesquelles tout partenaire peut contester les modifications apportées par les autres partenaires à la législation sur les recours commerciaux ou selon lesquelles cette législation annule en fait les décisions prises par des panels nationaux.
Jusqu'ici, nous avons décidé de ne pas contester les modifications qui ont effectivement annulé les décisions favorables que nous avions obtenues pour le bois d'oeuvre. On peut l'accepter pour poser la question au gouvernement. On peut l'accepter dans l'espoir que le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, en étudiant la portée plus générale des questions en litige, a décidé qu'une contestation n'était pas justifiée car il s'agit ici de tout un éventail de relations commerciales. Mais il est important de ne pas oublier de mitiger votre impression selon laquelle nous avons eu gain de cause la plupart du temps.
M. Steckle: Permettez-moi de vous amener à parler d'autre chose. Je ne veux pas politiser la question, mais...
Le président: Je regrette de vous interrompre, mais avant que vous ne vous lanciez dans une autre direction, je crois que Me Gastle souhaitait prendre la part à la discussion.
Me Gastle: Merci.
Je crois que l'un des aspects de votre question relève de l'entretien préventif. Si l'accord existe, que doit-on faire? Lorsqu'on met au point des programmes, il faut procéder à une sorte d'analyse de sensibilité pour voir quels sont les risques que l'on court.
Permettez-moi de revenir à mon dada, je veux parler des partenariats technologiques. J'ai essayé de voir à quel examen se livraient les analystes commerciaux. Autrement dit, si nous mettons en place tel programme pour telles industries, voilà les risques que nous courons. Je crois qu'il faudrait faire ce genre d'analyse. Au chapitre de l'entretien préventif, c'est ce que je suggérerais.
J'aimerais revenir sur les remarques de Me Cheng concernant le bois d'oeuvre. Oui, nous avons eu gain de cause, et nous avons maintenant un système de contingentement.
Me Flavell: Nous avons choisi de l'avoir?
Me Gastle: Nous allions devoir faire face à une autre plainte. Pour le bois d'oeuvre numéro trois, nous avions une majorité canadienne tant au niveau du comité qu'à celui du panel. L'affaire avait tendance à porter sur le pouvoir discrétionnaire qui est accordé au commerce et sur l'interprétation qu'on en fait.
Si vous regardez l'opinion dissidente du juge Wilkey à cet égard, elle contient des arguments solides qui laissent entendre que si une autre plainte était déposée et que s'il y avait une majorité américaine à l'un ou l'autre niveau, il y a fort à parier que la décision soit annulée, surtout étant donné que ces dispositions existent. Oui, c'est bien nous qui l'avons choisi. Nous l'avons fait sous la menace du fusil. Nous n'avions pas le choix.
Le président: Monsieur Steckle, vous souhaitiez continuer?
M. Steckle: Vous avez mis le doigt sur le problème que je visais en parlant d'entretien préventif. Le Canada a fait cela à plusieurs reprises pour essayer de voir ce que cela entraînerait pour nous. Même pour nos contingents tarifaires sur les importations de boeuf, surtout sur celles qui proviennent d'outre-mer, nous avons cherché à concevoir l'accord pour que les États-Unis soient les premiers à être pris en considération avant même le boeuf provenant d'outre-mer. Je crois que nous avons compris qu'il nous faut prendre en compte nos plus proches voisins.
Mais sur une autre question - et comme je l'ai déjà dit il y a quelques instants, je ne veux pas politiser la question - les sanctions commerciales auxquelles les Américains voulaient nous soumettre en vertu de la loi Helms-Burton, nous n'avons pas eu à les contester car je crois que cette loi va mourir de sa belle mort après l'élection américaine de novembre.
Je ne vois pas le Canada proposer ce genre d'initiatives, comme une contestation groupée visant les États-Unis, mais sommes-nous suffisamment importants pour contester ces mesures législatives, si une telle chose était envisagée? Sommes-nous assez importants pour le faire?
J'ai hésité à poser cette question, mais je crois que nous sommes ici pour parler de différends. C'est le genre de choses que nous aurions pu avoir à contester.
Me Gastle: Avec votre permission, pour reprendre ce que vous avez dit sur les subventions notamment, il existe une politique au Canada qui consiste à ne pas contester les subventions américaines. Cela figure dans le manuel de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, du moins dans la dernière version qui en est parue. On y lit que si une telle contestation doit se produire, cela pose de véritables problèmes de politique. Le gouvernement canadien craint de déclencher et d'utiliser ce mécanisme contre les États-Unis en l'officialisant davantage. Vous constaterez sans doute que la Communauté européenne réagit de la même façon. Nous avons un peu peur d'attaquer. Nous ne voulons pas utiliser ce mécanisme parce que si nous le faisons, nous l'institutionnalisons.
Sommes-nous donc assez importants? Oui, nous le sommes sans doute, mais si nous le faisons, il y aura un élément négatif. Notre économie est beaucoup plus ouverte que celle des États-Unis aux échanges commerciaux. Et ce pays est notre principal partenaire.
Le président: Maître Cheng.
Me Cheng: Puis-je me permettre de faire une très brève remarque sur la loi Helms-Burton puisque vous l'avez mentionnée? Peut-être est-ce après mûres réflexions, peut-être est-ce par chance, mais vous savez parfaitement, monsieur, que nous ne sommes pas les seuls à nous y opposer. Les Européens ont notamment formulé de solides objections à son égard.
Vous savez peut-être d'ailleurs que la Communauté, ou plutôt l'Union européenne, envisage actuellement de se doter d'une législation de rétorsion. Ainsi, si une société fait l'objet d'un procès en vertu de la loi Helms-Burton, elle a le droit d'intenter un procès en représailles, par exemple. Je ne crois pas que notre gouvernement soit jamais allé aussi loin dans sa discussion ou dans sa réflexion.
Ce que je voulais dire, c'est sans doute qu'en l'occurrence, quelqu'un pourrait le faire pour nous.
Le président: Maître Flavell.
Me Flavell: Je pense que la loi Helms-Burton est d'une certaine façon une chose extraordinaire; c'est l'une de ces rares choses sur lesquelles tout le monde s'entend.
Souvent, nous n'aimons pas ce que font les États-Unis, mais nous devons toujours admettre, en tant qu'êtres raisonnables, qu'il y a peut-être un argument dans tel ou tel sens. Dans ce cas, de l'avis de tout le monde, les États-Unis semblent tout à fait être à côté de la plaque. Si j'ai bien compris, nous prenons part à la contestation à divers chapitres, législatif et autres, mais nous n'aurons jamais de meilleures occasions de nous féliciter et de crier de joie. En l'occurrence, nous avons le soutien général car les Américains ont fait quelque chose d'inacceptable selon les normes en vigueur pour les règles internationales.
Mais je ne crois pas que ce genre de situation se reproduise souvent. Il y aura toujours des zones d'ombre comme pour les différends dont on a parlé. Par exemple, en matière de dumping - et il s'agit là de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, je ne ferai donc qu'une remarque en passant - les Canadiens ont tendance à s'estimer battus par les Américains. Les États-Unis n'ont pas intenté de poursuites contre le Canada pour le dumping depuis 1993. Nous l'avons fait à plusieurs reprises à leur endroit. À la longue, nous intentons davantage de poursuites contre les États-Unis qu'eux contre nous.
Ce qui rééquilibre les choses, je vous l'accorde, c'est que lorsqu'ils s'en prennent à nous, les dommages sont plus grands car nous dépendons beaucoup plus des exportations. Si une société américaine est frappée par une mesure antidumping canadienne, ce qui se passe normalement, si elle représente de un à trois pour cent du marché, c'est qu'elle fait machine arrière car les dommages ne se font pas sentir.
Nous intentons sans doute plus de poursuites qu'eux en matière de dumping, mais lorsqu'ils le font, les dommages sont plus grands. Alors, quand faut-il se manifester?
[Français]
M. Paré: Il me restait quelques questions, dont une à M. Bertrand. J'ai bien apprécié que vous énumériez les caractéristiques nécessaires pour qu'un mécanisme soit fiable et efficace.
Je me questionne cependant sur la prévisibilité du résultat. Vous avez dit que les résultats des panels qui ont déjà rendu des décisions avaient un peu confirmé le caractère prévisible du mécanisme. Ma question est la suivante, et je vais la personnaliser: Est-ce que les États-Unis vont finir par comprendre que le mécanisme est prévisible?
M. Bertrand: C'est une question à laquelle il est difficile d'apporter une réponse précise.
[Traduction]
Ont-ils déjà compris? J'en doute. Essaient-ils encore? Certainement. Mais je ne crois pas que la réponse soit vraiment importante. Le fait que le processus soit de nature prévisible constitue un atout. Autrement dit, il y a certitude. On a une certaine garantie de justice en définitive.
On ne peut empêcher l'autre partie de tâcher de contester une décision, mais on est quelque peu réconforté de savoir qu'on va en sortir vainqueur dans un délai très raisonnable.
Je dirais donc que non, on ne réduit pas le nombre des différends, mais que oui, on le fait dans la mesure où on dispose d'un mécanisme qui favorisera pour finir une plus grande liberté du commerce car, par sa nature, il n'est pas propice à cela. Les décisions sont constantes, ou du moins l'interprétation est constante, et on encourage donc une plus grande liberté du commerce même si on n'a pas réduit le nombre des différends. Je vous l'accorde.
[Français]
Le président: M. Gastle voulait ajouter quelque chose.
[Traduction]
Me Gastle: En ce qui concerne le processus prévu au chapitre 19, il y a des limites. L'une d'entre elles est qu'il s'agit d'un processus itératif. Parce que vous avez gain de cause une fois, cela ne veut pas dire que vous allez devoir faire face à une autre plainte. En fait, dans certains différends, on a déposé une plainte pour une période commerciale donnée et nous avons eu gain de cause.
Prenons la période suivante. Le différend concernant le bois d'oeuvre en est un exemple. Je crois que la période en question allait de 1990 à 1991. C'est pour cette période que toute l'analyse a été faite. L'une des menaces proférées par la coalition américaine était qu'elle allait revenir avec le bois d'oeuvre numéro quatre, qu'elle allait étudier les années 1992 et 1993, et que si elle ne l'emportait pas, elle allait revenir pour 1994 et 1995.
Ce sont des menaces multiples. C'est peut-être une chose qu'il est impossible d'éviter, mais le simple fait d'avoir gain de cause une fois, ne signifie pas que vous n'allez pas être confrontés à la même plainte exactement trois mois plus tard.
[Français]
M. Paré: Une partie de la réponse de M. Flavell m'amène à poser une autre question. Vous avez dit, à propos du différend sur le bois d'oeuvre, que nous avions remporté le morceau. Moi, j'en fais une lecture un peu différente. Il me semble que si on avait remporté le morceau, on n'aurait pas été obligés, encore une fois, de renégocier des arrangements nouveaux qui nous imposent des quotas et une durée de cinq ans.
[Traduction]
Me Flavell: Pour en revenir à l'affaire du bois d'oeuvre et à son historique, il n'y a pas de doute qu'à un moment donné, nous l'avons emporté. Nous l'avons fait tout au long du processus: à l'étape du processus américain, à l'étape du panel binational, et même à l'étape de la contestation extraordinaire.
On dit qu'à ce moment-là, si on lit les articles de journaux, les Américains changent la loi pour pouvoir l'emporter la prochaine fois. Comme mon ami, maître Cheng, l'a dit, si les Américains ont effectivement changé la loi, nous avions le droit de faire quelque chose à cet égard. Il existe un mécanisme dans l'ALENA qui veut que, lorsque quelqu'un change la loi, on est autorisé à obtenir des conseils et il y a un processus. Ce n'est pas ce qu'a choisi de faire le gouvernement de l'époque dans sa sagesse. Et Me Cheng a laissé entendre, et je crois qu'il a raison, que le gouvernement avait des objectifs plus vastes, des inquiétudes plus générales.
On revient encore une fois au fait que le gouvernement a des préoccupations légèrement différentes des individus. Mais en définitive, on a prétendu que la loi avait été changée. La coalition américaine du bois d'oeuvre a alors dit: «Nous allons encore nous en prendre à vous si nous n'acceptez pas un règlement raisonnable.»
Je crois que le gouvernement et les entreprises forestières ont reçu des conseils différents. Je serai franc. Je crois qu'ils ont reçu des conseils différents en ce qui concerne la possibilité de l'emporter la deuxième fois ou la fois suivante. Dans leur sagesse, et pour prendre une décision commerciale d'ordre pratique, ils ont choisi de conclure une affaire et d'accepter effectivement le contingentement.
J'ai lu de savants articles dans les journaux où l'on critiquait cette décision, et j'ai lu des articles raisonnables où on la louait parce qu'elle permettait d'éviter deux ou trois années supplémentaires de bataille. Vous payez donc le prix et vous choisissez en l'occurrence.
Me Gastle: En ce qui concerne l'affaire du bois d'oeuvre, nous ne l'avons pas emporté à tous les échelons. Nous avons perdu à l'étape préliminaire relative aux droits aux États-Unis et nous avons perdu notre cause au moment de la décision finale, avant l'intervention des tribunaux administratifs. En outre, le mécanisme dont parlait Me Cheng pour ce qui est de contester toute modification ultérieure, n'est pas exécutoire.
L'un des problèmes que nous pose ce mécanisme, c'est que les États-Unis peuvent changer leur législation, la modifier, et nous n'avons aucun recours pour les obliger à abroger cette modification. Nous pouvons obtenir d'un panel qu'il donne tort aux États-Unis, mais la décision n'est pas exécutoire.
En ce qui concerne le bois d'oeuvre et le résultat de cette affaire, oui, un système de contingentement a été mis en place. L'un des avantages qu'il présente est que s'il y avait eu une autre plainte, des droits provisoires de 10 à 15 p. 100 auraient été immédiatement imposés. À un moment donné, je me suis amusé à calculer le montant que cela représente pour une période de trois ans - si le différend s'était étendu sur une telle période - et il aurait sans doute été de l'ordre de deux milliards de dollars de droits. C'est ce qu'on a évité en mettant en place le système de contingentement.
Me Cheng: À titre de précision, Me Gastle a peut-être raison de dire que ce n'est pas exécutoire, mais la disposition figurant dans l'article 1903 de l'ALENA prévoit en gros que si une contestation se produit, et qu'une décision en faveur de la partie contestataire est prise, que d'autre part une recommandation demande la modification de la législation, alors si la législation corrective n'entre pas en vigueur dans un certain délai, la partie contestataire a le droit de prendre des mesures législatives correspondantes, de prendre des mesures exécutives semblables ou de mettre fin à l'accord. Il s'agit là de l'ensemble de l'ALENA.
Il y a donc certaines possibilités, mais, comme je l'ai précisé, ce n'était qu'un point de clarification. Cela ne veut pas dire que je ne suis pas d'accord avec Me Gastle.
Me Gastle: J'ajouterais qu'il faudrait peut-être étudier un instant le recours. Nous pouvons adopter les mesures américaines quelles qu'elles soient si les Américains apportent un changement à leur législation visant le bois d'oeuvre. Notre recours est que nous pouvons les adopter, c'est-à-dire apporter les mêmes changements à notre législation et la rendre plus abstraite. Mais cela ne me semble pas constituer un recours. La sanction finale qui autorise à dénoncer un accord n'est pas une sanction du tout puisqu'elle existe dans l'autre partie de l'accord pour commencer et qu'elle ne constitue pas un recours.
[Français]
M. Paré: Je suis assez d'accord avec mon collègue d'en face qu'il est rare qu'on puisse avoir un avis de cinq avocats qui sont devant nous en même temps.
Avant même que M. Cheng ne parle du MMT, je l'avais inscrit comme étant ma dernière question. La compagnie menace le gouvernement canadien, si ce dernier fait adopter le projet de loi C-29, d'intenter des poursuites de 201 millions de dollars. J'aimerais savoir de nos brillants invités s'ils croient que c'est du bluff de la part de la compagnie ou si c'est fondé au sens de l'ALENA.
[Traduction]
Me Cheng: Monsieur Paré, si j'agissais au nom d'Ethel Corp., j'hésiterais à dire quoi que ce soit. Mais étant donné que je n'agis pas pour cette société, j'hésite tout de même à dire que c'est du bluff, mais je suis personnellement heureux de pouvoir prouver qu'il s'agit de bluff car, comme je l'ai dit, c'est la première fois qu'on invoquera les dispositions du chapitre 11 et il pourra être intéressant de voir jusqu'où cela les mènera.
Me Flavell: Si on voulait généraliser, monsieur Paré, on pourrait dire, en présentant la chose sous son meilleur angle, que les Américains sont plus disposés que nous à tenter leur chance dans ce genre de choses. Cela revient à ce que Me Gastle, Me Cheng et d'autres ont dit, c'est-à-dire que nous restons une souris et qu'ils sont toujours un éléphant. Tout ce que nous faisons qui comporte un risque, les risques que nous prenons, ou une intervention agressive entraîne une réaction très désagréable, alors que dans le cas des États-Unis, la plupart du temps, ils peuvent dire: «Tentons notre chance et si nous ne l'emportons pas, ce n'est pas la fin du monde.» Si l'on ajoute à cela leur - j'essaie de trouver l'expression la plus généreuse possible - nature procédurière, on constate que ce n'est pas drôle de vivre à côté d'un éléphant, mais que cela présente tout de même certains avantages. Profitons donc des avantages et tâchons de minimiser les mauvais côtés.
Le président: Maître Tereposky, vous avez laissé entendre que vous verriez d'un bon oeil une plus grande participation du secteur privé dans ces différends qui opposent essentiellement un État à un autre, un gouvernement à un autre. Pourriez-vous préciser un peu votre pensée? Comment envisageriez-vous la participation du secteur privé?
Me Tereposky: Certainement. L'habitude du gouvernement canadien consiste à consulter l'industrie lorsque des différends l'opposent à un autre gouvernement. Ce que nous avons vu apparaître à la longue, surtout avec les accords de l'OMC, c'est que la complexité des différends augmente sans cesse, non seulement en ce qui concerne les règles, mais également parce que la preuve devient de plus en plus importante.
Dans le passé, lorsqu'il y avait un différend entre deux gouvernements, c'était souvent comme une cour d'appel telle que la Cour suprême du Canada où on interprète seulement ou essentiellement les dispositions. Maintenant ça commence à ressembler beaucoup plus à un litige où il faut apprécier la preuve.
Il y a de nombreux seuils qui sont des seuils concernant la preuve, ou qui y ressemblent, dans les accords de l'OMC, et je crois que la fonction de l'industrie privée doit être de fixer ces seuils concernant la preuve car c'est elle qui sait comment l'industrie fonctionne. La plupart de ces seuils, lorsqu'on les prend en considération, exigent une connaissance très approfondie de l'industrie et de la façon dont l'obligation s'appliquerait pour l'industrie elle-même.
En officialisant le processus pour faire participer l'industrie privée, on active en fait l'affaire de beaucoup. Il y a l'analyse et le travail initial qui est fait d'abord et cela exige certainement beaucoup de ressources de la part du gouvernement. Et cela aide aussi le gouvernement à effectuer son analyse. C'est ce que nous avons vu dans la pratique, et je crois que c'est la direction dans laquelle nous allons nous diriger à l'avenir étant donné les restrictions qui s'appliquent aux ressources gouvernementales.
Le président: Merci beaucoup. Oui, maître Cheng.
Me Cheng: Monsieur le président, j'aimerais faire une très brève remarque avec laquelle je présume que Me Tereposky sera d'accord.
Dans ces situations, on peut envisager la question de l'autre manière, monsieur le président. Bien souvent l'industrie privée, comme vous le savez, regroupe tout le monde et pas seulement les fabricants et les producteurs, mais également les associations agricoles, etc. et bien souvent, même dans le cas de différends entre deux gouvernements, ces parties se tournent vers le gouvernement pour obtenir les ressources nécessaires pour assurer la défense, si vous le voulez. On hésite donc quelque peu à contrebalancer les déclarations de Me Tereposky avec lequel je suis d'accord pour ce qui est de dire que c'est la méthode la plus efficace pour mener l'affaire.
Les parties du secteur privé comptent souvent sur le gouvernement et se tournent vers lui pour obtenir de l'aide. C'est en fait l'un des domaines où l'on considère que c'est le gouvernement qui doit assumer les coûts, si j'ose m'exprimer ainsi.
Le président: Merci, maître Flavell.
Me Flavell: J'allais simplement dire qu'il me semble que la question de l'accès privé est aussi une simple tentative pour garantir qu'on va présenter la meilleure cause possible. Selon la nature de l'affaire, qu'il s'agisse d'une affaire de dumping, de droits compensateurs, de la loi Helms-Burton ou autres, bien souvent le plaignant du secteur privé a travaillé sur l'affaire pendant des mois voire des années et à accumuler des connaissances importantes sur la question. Je crois que ces personnes pourraient être utiles au gouvernement jusqu'à un certain point. Tous ceux qui, parmi nous, sont avocats savent que lorsqu'il faut s'occuper d'une affaire qui en est à un stade avancé, surtout lorsqu'elle est jugée en appel et non pas en première instance, on ne connaît pas le dossier aussi bien que l'autre personne.
Je crois donc que l'accès du secteur privé est important et qu'il pourrait être utile si on suppose que ce que l'on veut, c'est avoir gain de cause.
Le président: Il y a une question liée, qui a déjà été abordée dans le cadre de ce comité ou dans le cadre du comité chargé de l'étude de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, qui concerne le coût du litige pour les plaignants du secteur privé. Avez-vous une opinion sur la question? Les coûts peuvent en effet être si élevés que seules les industries très riches peuvent envisager le règlement d'un différend ou du moins l'aspect privé de ces différends.
Me Tereposky: J'aimerais simplement revenir sur une remarque faite par Me Cheng. Toutes les sociétés privées n'ont pas les moyens d'engager leur propre avocat dans ces affaires. Cela se rapporte directement à votre question, monsieur le président. Je crois qu'en autorisant ou en accueillant la participation d'un avocat pour les groupes ou les compagnies qui en ont les moyens, on libère des ressources de sorte que le gouvernement canadien peut en consacrer davantage aux autres affaires.
Il va sans dire que Me Cheng a raison. Il y a des groupes qui ne peuvent tout simplement pas rassembler les ressources nécessaires. C'est donc un rôle très important du gouvernement canadien que de défendre leurs intérêts, et il le fait fort bien.
[Français]
M. Bertrand: Je pense que la préoccupation des coûts en est une qui est justifiée. La solution que propose M. Tereposky quant à la participation du secteur privé dans le mécanisme de gouvernement à gouvernement est certainement une solution pratique.
Quant au règlement en tant que tel, au chapitre 19, le caractère d'accessibilité qu'offre l'actuel mécanisme est un avantage qui serait perdu si on exigeait des parties qu'elles défraient une partie ou la totalité des coûts.
Cela deviendrait la course à celui qui a le plus d'argent et, encore une fois, je pense que dans l'optique de rétablir un certain rapport de forces, on peut tenir pour acquis que les industries américaines, avec leur lobby, sont plus à même de mener ce genre de bataille, de revenir deux, trois ou quatre fois à la charge, qu'une industrie canadienne du même secteur.
[Traduction]
Le président: Maître Flavell.
Me Flavell: Une fois encore, je pense que je vais manquer légèrement de rectitude politique.
Je suis d'accord avec l'hypothèse de départ. Il est difficile à une petite ou moyenne entreprise de financer ce genre d'affaires, surtout si l'on parle d'affaires de dumping ou de droits compensateurs. Mais je vais oser faire une proposition extraordinaire: Ça peut bien être onéreux, car on demande au gouvernement canadien d'imposer un tarif douanier qui est généralement prohibitif lorsque Revenu Canada a fini ses calculs. Il s'agit de marges de dumping de 50, 60, 70 p. 100. C'est un tarif douanier prohibitif et je suis surpris que l'on demande à quelqu'un de payer un juste prix pour que le gouvernement du Canada impose ce genre de droits pendant cinq ans. Cette demande est plutôt scandaleuse, si on la regarde sous l'angle du libre-échange.
Je ne suis donc pas tout à fait aussi scandalisé par le coût de ces procès.
Me Gastle: Je vais aborder la question des coûts sous un angle légèrement différent. Ce que nous essayons d'obtenir avec l'ALENA, c'est un marché intégré entre le Canada et les États-Unis. Il me semble qu'un marché intégré, cela veut dire qu'il ne doit pas y avoir de différences de traitement entre les produits qui franchissent les frontières nationales et ceux qui franchissent les frontières des États.
Si on pouvait concevoir la législation et les accords comme bon nous semble, il me paraîtrait indiqué de prévoir des conséquences relatives au coût dans le différend. Si, par exemple, les Américains présentent une contestation et perdent le procès, j'estime que le coût devrait être payé par le gouvernement américain ou par les participants américains des parties contre lesquels la plainte a été déposée.
Nous n'avons pas vraiment discuté du problème des droits préliminaires, mais c'est un problème de taille car il fait vraiment pencher la balance de l'équité du système. Si vous essayez d'obtenir un redressement interlocutoire et provisoire extraordinaire en Ontario ou dans la plupart des autres provinces, il vous faudra présenter une demande de dommages-intérêts.
J'aimerais qu'un mécanisme de ce genre soit mis en place pour les différends commerciaux internationaux. On verrait sans doute alors les gens hésiter à se lancer dans de faux litiges. À l'heure actuelle, on a un système qui encourage n'importe quel secteur industriel américain à déposer une plainte contre le Canada parce qu'il y a de grandes chances, à l'étape préliminaire, que des droits préliminaires soient imposés et lorsque cela est fait, vous avez énormément de poids pour obtenir un accord limitatif volontaire.
Le président: Il me semble que nous ayons épuisé les questions tout comme le temps qui nous était imparti.
Je vous remercie infiniment de votre participation. Ces deux petites heures que nous avons passées ensemble ont été très utiles. Au nom du sous-comité, merci à tous. Nous utiliserons à bon escient vos opinions. Merci.
La séance est levée.