[Enregistrement électronique]
Le mercredi 5 mars 1997
[Traduction]
Le président: La séance est ouverte. Chers collègues, nous avons quorum avec représentation de l'opposition.
Nous avons la chance d'accueillir aujourd'hui deux éminents professeurs qui vont nous parler de notre sujet favori; ce sont le professeur Donald McRae, de l'Université d'Ottawa, et Jean-Gabriel Castel, d'Osgoode Hall.
Messieurs, conformément à nos habitudes, je vais vous inviter à présenter un exposé, après quoi, nous passerons à une période de questions. Tout ceci est très simple et à peu près dénué de formalisme.
Monsieur McRae, voulez-vous commencer?
M. Donald McRae (professeur, Faculté de droit, Université d'Ottawa): Merci beaucoup. Je voudrais essayer de vous présenter le contexte général dans lequel il convient d'interpréter les accords commerciaux, et en particulier l'ALENA.
De ce point de vue, c'est à la lumière de la nature particulière des accords commerciaux internationaux qu'il convient de situer la question de l'interprétation des accords commerciaux multilatéraux et régionaux. En effet, il faut commencer par comprendre l'effet des accords commerciaux pour avoir une idée de l'interprétation à leur donner et des problèmes que pose cette interprétation.
Selon le principe qui sur lequel reposent les accords commerciaux internationaux, le bien-être économique augmente avec la réduction de l'élimination des obstacles au mouvement des biens à l'intérieur des marchés et au-delà des frontières. L'explication économique de ce principe tient à l'avantage comparatif: la production et le bien-être économique général augmentent lorsque chaque État se consacre à la production dans laquelle il est le plus efficace et importe les biens qu'il produirait moins efficacement.
Ce principe, qui s'applique initialement au commerce des biens, s'applique désormais à celui des services et des investissements, c'est-à-dire au mouvement des personnes et des capitaux au-delà des frontières.
Or, pour que l'avantage comparatif fonctionne, il faut évidemment éliminer les mesures gouvernementales qui imposent des obstacles au mouvement des biens ou qui faussent les coûts de production ou de fourniture d'un service. Et c'est précisément là l'objectif des accords commerciaux. C'est le moyen par lequel les États conviennent de limiter leur intervention dans la réglementation de l'activité économique. Les accords commerciaux limitent les moyens par lesquels un État peut infléchir l'activité économique sur son territoire et à ses frontières.
Le principe fondamental des accords commerciaux est la non-discrimination. Il est interdit aux États de faire une discrimination à leurs frontières entre les biens qui viennent de différents pays étrangers, soit par l'application de tarifs, soit par d'autres mesures applicables aux biens à leurs points d'entrée. C'est le principe de la nation la plus favorisée.
En outre, une fois que les biens sont sur le territoire d'un État, il ne peut faire de distinction entre ces biens et ceux qu'il produit lui-même. C'est le principe du traitement national.
Évidemment, les traités commerciaux vont au-delà de ces principes fondamentaux. Ils consacrent les résultats des réductions tarifaires convenues et formulent des engagements à ne pas rétablir de tarifs ni en imposer de nouveaux. Ils proposent des régimes juridiques applicables aux subventions et aux droits compensateurs. Ils comportent également des garanties qui permettent aux États de prendre des mesures de restrictions du commerce, notamment en situation d'urgence. Ils comportent aussi des mécanismes de règlements des différends.
Cette description générale s'applique aussi bien à l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce, qu'à l'ALENA. À mon sens, il importe de considérer l'ALENA comme une version régionale ou limitée du régime commercial international initialement défini dans le cadre du GATT et qui s'incarne aujourd'hui de façon plus complète dans l'Organisation mondiale du commerce.
Évidemment, il existe des différences importantes entre l'ALENA et l'OMC. La réduction des tarifs dans un certain nombre de domaines va plus loin dans l'ALENA que dans le cadre de l'OMC et elle s'applique à toutes les parties signataires de l'ALENA, mais non pas à tous les membres de l'OMC. L'ALENA s'est intéressé plutôt que l'OMC à certains domaines, comme celui des services, et il impose des mesures disciplinaires plus strictes en matière d'investissement et de propriété intellectuelle.
L'ALENA est donc une version régionale de l'OMC, qui comporte des sanctions plus vastes et plus graves dans certains domaines, mais c'est un accord régional reconnu par l'Organisation mondiale du commerce en tant que zone de libre-échange aux termes de l'article 24. Malgré cette base juridique, le rapport entre les obligations découlant de l'OMC et les obligations découlant de l'ALENA a créé des difficultés dans l'application de l'ALENA et il risque d'en susciter encore à l'avenir.
Le règlement des différends figure naturellement parmi les sources de difficultés éventuelles. L'ALENA prévoit que les États peuvent choisir entre les mécanismes de l'ALENA et ceux de l'OMC pour régler leurs différends. Mais après avoir choisi, ils ne peuvent pas changer d'avis pour saisir l'autre mécanisme. Il y a donc en principe une distinction très nette. En revanche, un État peut essayer de se servir du règlement d'un différend sur une question connexe dans une institution dans le but de limiter ou d'annuler les effets du règlement d'un différend commercial intervenu dans le cadre de l'autre institution. À mon avis, il y a donc un risque de chevauchement entre les deux institutions.
Dans ce contexte, comment faut-il interpréter les accords commerciaux et en particulier l'ALENA? À mon avis, cette question d'interprétation comporte deux aspects: tout d'abord, le mécanisme d'interprétation, et ensuite, la question des règles d'interprétation applicables. Enfin, je pense qu'on peut tirer certaines conséquences pour l'interprétation ou l'application des accords commerciaux internationaux.
Je voudrais tout d'abord parler brièvement du mécanisme. Le GATT a élaboré son propre mécanisme de règlement des différends par la procédure des groupes spéciaux, qui est reprise dans les chapitres 18 et 19 dans l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, ainsi que dans les chapitres 19 et 20 de l'ALENA. Le professeur Castel va parler du chapitre 19, et je n'ai donc pas besoin d'en dire plus.
Selon la procédure prévue au chapitre de l'Accord de libre- échange canado-américain, qui forme la base du chapitre 20 de l'ALENA, les différends entre les deux gouvernements quant à l'interprétation et à l'application de l'accord doivent être soumis à un groupe de cinq experts nommés spécialement pour chaque différend à partir d'une liste préétablie. Le groupe spécial fonctionne comme un tribunal judiciaire ou arbitral et rend une sentence. Aux termes des chapitres 18 et 20, les parties sont tenues de résoudre leurs différends conformément à la sentence du groupe spécial.
Cinq décisions ont été rendues en vertu du chapitre 18 de l'Accord de libre-échange canado-américain. Pour l'essentiel, ce chapitre 18 a été incorporé dans le chapitre 20 de l'ALENA. L'expérience acquise dans le cadre du chapitre 18 est donc un élément important à prendre en compte pour prévoir la façon dont le chapitre 20 va s'appliquer. Je dois revenir la semaine prochaine pour parler de façon plus détaillée du chapitre 20 au cours d'une séance qui lui sera consacrée, et je ne vais donc pas m'approfondir sur ce sujet.
J'en viens maintenant à la question des règles d'interprétation, c'est-à-dire à la deuxième partie de cette question sur l'interprétation. Les accords commerciaux internationaux ne sont que des traités entre États. Ils sont soumis au droit international. L'Organisation mondiale du commerce veut qu'ils soient interprétés conformément aux règles normales d'interprétation du droit international public. L'organisme d'appel de l'Organisation mondiale du commerce a clairement établi que ces principes normaux du droit international obligent à appliquer les dispositions de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Dans l'ALENA, il est prévu que l'accord doit être interprété conformément aux règles applicables du droit international. Dans les différends fondés sur le chapitre 18 de Accord de libre-échange et dans le seul cas où, jusqu'à maintenant, on ait invoqué le chapitre 20 de l'ALENA, les groupes spéciaux ont clairement indiqué que l'interprétation des dispositions était régie par les principes énoncés dans la Convention de Vienne sur le droit des traités.
Quels sont donc ces principes d'interprétation? Pour l'essentiel, ils exigent que le traité soit interprété en fonction du sens ordinaire des termes considérés dans leur contexte et à la lumière de l'objet de l'accord. Je pense que cette notion d'objet est très importante, car elle a des conséquences pour la façon dont les différends sont résolus, ainsi que pour la souveraineté des États.
L'objectif fondamental des accords commerciaux, comme je l'ai dit, est de promouvoir la libéralisation du commerce. C'est ce qu'indique clairement l'ALENA dans l'un des premiers articles consacrés aux objectifs de l'accord, qui sont d'éliminer les obstacles au commerce des biens et services, et de faciliter leur mouvement transfrontalier.
Le préambule de l'accord créant l'Organisation mondiale du commerce est assez semblable. Il évoque une réduction importante des tarifs et autres barrières au commerce, et l'élimination du traitement discriminatoire dans les relations commerciales internationales.
L'importance de la libéralisation du commerce dans l'interprétation de l'ALENA a clairement été établie par le premier groupe spécial créé en vertu du chapitre 20 de l'ALENA. Il a accordé une grande importance à la libéralisation du commerce, qui doit servir de contexte à l'interprétation des accords considérés. Il a dit que les interprétations qu'il donnerait devaient promouvoir les objectifs de l'ALENA, et non les contrecarrer, et il a dit que les exceptions à l'obligation de libéraliser le commerce doivent être considérées avec beaucoup de prudence.
La libéralisation du commerce signifie la suppression des barrières que pourraient imposer les gouvernements au mouvement transfrontalier de biens, de services ou de capitaux, et des barrières qui résulteraient de l'imposition de conditions concernant la vente de biens étrangers, la fourniture de services étrangers ou l'entrée d'investissements étrangers. On pourrait presque dire que la libération du commerce a pour objectif de faire disparaître la notion même de «caractère étranger» pour ce qui est des biens, des services ou des investissements. Ce sont simplement des biens, des services ou des investissements, quelle que soit leur origine.
Cette conception a des conséquences importantes pour la notion de souveraineté. On entend par souveraineté l'aptitude des États à prendre des décisions concernant ce qui pénètre sur leur territoire ou ce qui se passe une fois que des biens, des services ou des capitaux ont franchi leurs frontières; on serait donc tenté de croire qu'un État peut prendre à l'intérieur de ses frontières toutes les mesures qu'il juge opportunes pour favoriser l'activité économique, l'emploi et la production. Mais, à mon avis, les grands accords commerciaux internationaux que nous avons conclus ont pour effet de limiter notre aptitude à prendre des décisions dans ces domaines.
Je voudrais vous donner quelques exemples simples.
En 1982, un groupe spécial du GATT a décidé que le Canada ne pouvait pas obliger les investisseurs étrangers à acheter des biens produits localement plutôt qu'importés. Une telle obligation était contraire au principe de non-discrimination et de traitement national du GATT.
En 1989, un groupe spécial de l'Accord de libre-échange a décidé que le Canada ne pouvait pas exiger que le saumon et le hareng pêchés dans les zones de pêche de 200 milles situées au large de la côte ouest du Canada soient débarqués au Canada avant d'être exportés. Une telle restriction des exportations était contraire à l'Accord de libre-échange et au GATT.
Enfin, tout récemment, un groupe spécial de l'Organisation mondiale du commerce a décidé, apparemment, que certaines mesures prises par le Canada pour soutenir son industrie du magazine constituent une restriction des importations contraire aux dispositions du GATT, et que d'autres mesures sont discriminatoires et contraires au principe du traitement national énoncé à l'article III du GATT.
Si je cite ces exemples, ce n'est pas pour laisser entendre que le Canada n'a pas profité de la libéralisation du commerce. De toute évidence, il en a profité. On pourrait aussi citer des décisions rendues par des groupes spéciaux de règlement des différends qui ont ouvert des marchés étrangers au Canada ou qui ont permis de maintenir des mesures prises par le Canada pour protéger ses marchés.
Par exemple, une décision récente d'un groupe spécial constitué en vertu du chapitre 20 de l'ALENA a confirmé le droit du Canada de maintenir le système de gestion de l'offre de produits laitiers et de volailles grâce à des coûts tarifaires établis en vertu de l'accord de l'OMC sur l'agriculture, malgré les dispositions de l'ALENA qui interdisent d'augmenter les tarifs ou d'en créer de nouveaux.
Ce que je veux dire, en réalité, c'est qu'à cause de la libéralisation du commerce, les États ont de moins en moins de latitude quant aux mesures de politique intérieure qu'ils peuvent adopter pour favoriser leurs industries, leurs producteurs et leurs distributeurs, ou pour protéger leurs intérêts nationaux des effets de la concurrence étrangère. Ainsi, la latitude du Canada pour ce qui est de prendre des mesures destinées à favoriser les producteurs canadiens sur les marchés étrangers est de plus en plus limitée.
Je ne veux pas dire que les intérêts nationaux ne peuvent jamais être préservés dans le cadre des accords commerciaux internationaux. La vérité, c'est plutôt que ces accords ont pour effet de restreindre la gamme des possibilités d'intervention dans l'économie intérieure et d'étendre la gamme des questions de politique économique qui sont tranchées par la négociation entre États.
Pour un pays comme le Canada et pour la plupart des autres pays, le domaine de l'économie véritablement nationale est en diminution, tandis que celui de l'économie internationale est en expansion. De plus en plus souvent, des mesures qui, autrefois, auraient pu être prises unilatéralement, ne peuvent désormais plus être adoptées que multilatéralement par la négociation avec d'autres États.
En résumé, il y a certains éléments clés à prendre en considération lorsqu'on étudie les accords commerciaux internationaux, y compris l'ALENA, et lorsqu'on essaie de voir comment les mécanismes de règlement des différends fonctionnent dans le cadre de ces accords.
Tout d'abord, il faut bien voir que le domaine d'application des accords commerciaux est en expansion. On a vu qu'il est passé des biens et des services aux investissements et à la propriété intellectuelle.
Deuxièmement, il est clair que les accords commerciaux régissent de plus en plus ce que l'on considérerait normalement comme des domaines de compétence nationale ou internationale. C'est ce qu'on constate dans les rapports entre le commerce et l'environnement, entre le commerce et les normes de travail, et plus récemment, entre le commerce et la culture.
Troisièmement, les accords commerciaux internationaux vont permettre d'élaborer des mécanismes très efficaces de règlement des différends.
Quatrièmement, il en découle que des domaines relevant jusqu'à maintenant de la politique intérieure entrent désormais dans le cadre des accords commerciaux internationaux et sont donc de plus en plus assujettis à des mécanismes de règlement des différends internationaux.
Cinquièmement, les limites entre les domaines de politique intérieure et ceux qui sont assujettis à des accords internationaux sont définies par des mécanismes de règlement des différends internationaux et par des négociations internationales, et non plus de façon unilatérale par chaque État.
Enfin, je considère que cette évolution est plus ou moins inévitable. Dans une économie mondiale, il est impossible de fermer ses frontières et de prendre des décisions qui ne concernent que le commerce intérieur.
Merci.
Le président: Merci, monsieur McRae.
Monsieur Castel.
M. Jean-Gabriel Castel (professeur, Osgoode Hall Law School): Merci, monsieur le président.
J'ai distribué un document qui présente l'essentiel de ce dont j'allais parler de façon plus détaillée, mais que je vais néanmoins essayer de résumer.
Depuis quelques années, je m'inquiète de voir le Canada ouvrir ses marchés alors qu'un pays comme le Japon n'ouvre pas les siens. En outre, notre économie est fortement intégrée à l'économie américaine à cause de l'Accord de libre-échange et de l'ALENA. Les recours commerciaux qu'exercent les Américains contre le Canada, en particulier dans le domaine des subventions, ne conviennent pas véritablement à cette forme d'intégration profonde. Ils conviennent peut-être dans le cas d'autres pays qui ne font pas partie de l'ALENA, mais pas dans le cas du Canada. On peut en dire autant des mesures antidumping.
Je m'inquiète également de la nécessité de stimuler la croissance de la technologie, ainsi que de l'apparition, aux États- Unis, de consortiums qui, dans certaines conditions, sont exonérés de l'application de la législation antitrust.
Au Japon, les consortiums de ce genre existent depuis des années. On autorise les Japonais à profiter d'une aide qui ne vient pas de l'État. Cette aide est fournie par les membres du consortium, et elle n'est donc pas assujettie aux mesures anti- dumping ou aux dispositions sur les subventions qui figurent dans le GATT et dans d'autres accords internationaux.
J'en conclus que le mécanisme de règlement des différends prévu au chapitre 19 est dépassé et qu'il ne saurait être de mise au début du XXIe siècle. On apporte des solutions du XIXe ou du XXe siècle à une situation qui évolue constamment et qui nécessite une approche tout à fait différente. Ces recours ont été invoqués au mépris des principes et de façon abusive, en particulier par les Américains. Ils ont empêché le Canada de s'assurer l'accès au marché de l'ALENA et de progresser dans le domaine de la haute technologie.
C'est pourquoi je propose, quitte à passer pour un iconoclaste, que l'on abandonne le chapitre 19 et les recours concernant les subventions et les mesures antidumping pour remplacer tout cela par une nouvelle formule qui consisterait à assujettir ces activités au droit de la concurrence.
Autrement dit, selon ce nouveau principe, tout recours devrait être fondé sur le droit de la concurrence et sur la législation antitrust - dont je dirai quelques mots tout à l'heure - qu'il s'agisse de la législation antitrust nationale des États membres de l'ALENA, ou d'une sorte de législation antitrust commune à l'ensemble de ces pays, car le GATT ne comporte aucune disposition concernant le droit de la concurrence. Voilà comment je peux résumer ma thèse.
En ce qui concerne les mesures antidumping, le chapitre 19 traite, comme vous le savez, des recours disponibles en cas de décision finale des organismes administratifs des États-Unis, du Canada et du Mexique en matière de dumping et de subventionnement. Pour les mesures antidumping, il est clair, comme l'ont reconnu les Américains lors de la signature de l'Accord de libre-échange - que cette formule convient mal à l'intégration des économies des trois États. Mais les Américains n'ont pas voulu renoncer au recours antidumping avant que la question des subventions soit réglée.
On a fait la même chose avec le Chili. Une disposition de l'accord avec le Chili précise que les recours antidumping ne s'appliquent pas.
Les mesures antidumping servent normalement à remédier à une situation où l'on constate une différence de prix entre le marché intérieur et le marché étranger pour un même produit. Dans une zone de libre-échange ou un marché commun, il n'y a qu'un seul marché. Il n'y a pas lieu d'appliquer des mesures antidumping, puisqu'il n'y a qu'un seul marché. Nous les avons donc écartées dans l'accord avec le Chili. La Nouvelle-Zélande et l'Australie ont également supprimé les mesures antidumping entre leurs deux pays.
Ce que je propose - et je crois que c'est le comité qui s'occupe de cette question - c'est que nous fassions pression auprès des Américains pour qu'on abandonne les recours antidumping et qu'on les remplace par la législation sur la concurrence. Le problème qui s'est posé avec le système antidumping, c'est que, dans ce système, on n'a pas à prouver l'intention abusive, contrairement à ce qui se passe dans la législation sur la concurrence où elle doit être établie: on a un producteur qui essaie d'abattre son concurrent, de façon à augmenter les prix par la suite. Mais aussi bien aux États-Unis qu'au Canada, la Loi sur la concurrence n'a permis que très rarement d'obtenir gain de cause en matière de fixation d'un prix abusif.
Je pense que c'est la première chose à faire. Il y a eu un progrès décisif dans l'accord avec le Chili, et je pense qu'il faudrait faire pression pour étendre ce principe.
En ce qui concerne la réforme des droits compensateurs, elle pose un problème plus difficile. L'usage du droit compensateur, qui vise à neutraliser les subventions, peut encore avoir son utilité à l'égard de pays qui ne font pas partie d'une zone de libre- échange. Je ne prétends pas qu'il faut renoncer au recours contre le subventionnement à l'égard de pays qui ne font pas partie de l'ALENA, mais compte tenu de l'intégration entre les États-Unis et le Canada - de ce point de vue, le Mexique présente un cas particulier - , je ne vois pas la nécessité de préserver ce recours au sein de l'ALENA.
À mon avis, nous devrions nous inspirer du régime de l'aide de l'État au sein de l'Union européenne. Une subvention ne devrait être incompatible avec l'ALENA que si elle fausse ou menace le commerce entre États. Autrement dit, il faut veiller à protéger la concurrence, et non pas les concurrents.
Ce point est très important. C'est ce qui se passe au sein du Marché commun. On se préoccupe de la concurrence. Ce qui importe, c'est le préjudice porté à la concurrence, et non pas à un producteur national.
Deuxièmement, je pense que notre régime de subventions devrait être soumis au contrôle des États-Unis, du Canada et du Mexique. C'est ce que fait la Commission des communautés européennes en Europe. Évidemment, les Américains ne sont guère enthousiasmés par cette formule, qui porterait atteinte à leur souveraineté. Ils ne veulent pas qu'on leur demande de faire attention à d'autres formes de subventions qu'ils accordent à leurs agriculteurs, ou à quelque autre groupe. Nous autres, Canadiens, ne sommes guère plus enthousiastes. Pourtant, la formule donne d'excellents résultats au sein de la Communauté européenne.
Ensuite, si l'on constate qu'une subvention porte préjudice à la concurrence au sein de l'ALENA, le recours consisterait à faire supprimer cette subvention par l'État qui l'accorde. Ce n'est pas le cas actuellement, car comme vous le savez peut-être, la Loi sur les mesures spéciales d'importation et la loi américaine équivalente prévoient l'imposition de droits compensateurs. On ne supprime pas la subvention. Mais c'est ce qu'il faudrait faire. Si l'État concerné refuse de supprimer une subvention, elle devrait être remboursée par la société qui en a bénéficié, faute de quoi l'opération contreviendrait au traité ou à l'ALENA.
Je pense donc que, dans une zone intégrée de libre-échange comme l'ALENA, les subventions ne devraient jouer qu'un rôle limité et elles ne devraient être accordées que si elles servent les intérêts de toute la zone de libre-échange, et non pas uniquement les intérêts des États-Unis ou du Canada.
Le GATT nous a permis de faire quelques progrès, car désormais, certaines subventions sont à l'abri des poursuites. C'est particulièrement important pour le Canada, puisque nous voulons développer notre secteur technologique.
J'expose ce thème de façon plus détaillée dans le document que je vous ai distribué. Il existe une solution de remplacement. Dans le domaine de la micro-électronique, les Américains ont constitué des consortiums qui sont exemptés de la législation antitrust. Les Américains essayent de les structurer de façon qu'ils s'occupent non seulement de recherche, mais également de production, alors que le code du GATT n'exempte que la recherche, à l'exclusion de la production. Les Américains ne risquent pas d'imposer des droits compensateurs ni de nous attaquer, mais nous risquons de nous faire prendre si nous subventionnons la recherche et qu'ils nous imposent des droits compensateurs, alors que nous ne pourrons pas leur en imposer.
À mon avis, nous devrions nous joindre à ces consortiums. Ce ne sera peut-être pas facile, mais je considère que c'est la seule solution pour promouvoir la recherche et le développement canadiens dans le domaine de la technologie.
En ce qui concerne les recours, la réforme de procédure, on peut l'aborder de différentes façons. Le principal reproche formulé à l'encontre des procédures du chapitre 19, c'est que les groupes spéciaux binationaux sont assujettis à une norme précise de contrôle judiciaire et qu'ils ne peuvent pas véritablement examiner le bien-fondé du cas. J'ai fait moi-même partie d'un de ces groupes spéciaux, et je me souviens que nous étions très contrariés de devoir nous soumettre à la volonté des organismes administratifs, ce que nous ne faisions pas toujours. Le juge Wilkey s'est mis en colère - je ne faisais pas partie du groupe spécial sur le bois d'oeuvre, et je peux donc en parler - et il a dit qu'il fallait respecter la volonté de l'organisme administratif. À quoi servent donc les recours du chapitre 19 si nous devons...?
L'ingérence politique aux États-Unis se produit au niveau de l'organisme administratif, dont les membres sont nommés par l'autorité politique et doivent se conformer à la volonté des lobbys. C'est à ce niveau que nous devrions intervenir, et non pas au niveau de l'organisme d'appel, car la Cour fédérale d'appel aux États-Unis et la Cour fédérale au Canada sont des organismes très honorables formés de magistrats. Nous n'avons rien à craindre d'elles. C'est du niveau inférieur que nous avons le plus à craindre. Mais à cause de cette obligation de respect, le tribunal supérieur ne peut guère renverser une décision de l'organisme administratif qui porterait préjudice aux intérêts du Canada.
Deuxièmement, à la fin de mon mémoire, j'ai abordé la question de la «décision finale». Le chapitre 19 de l'ALENA ne traite que de la décision finale; il n'y est pas question de la décision préliminaire. Or, les décisions préliminaires revêtent beaucoup d'importance parce que c'est sur elles que repose toute la procédure subséquente. En effet, il est difficile de renverser une détermination préliminaire. Mais aucune disposition du chapitre 19 ne prévoit les déterminations préliminaires.
Troisièmement, il y a les modifications. Voilà comment on comptait procéder dans l'affaire du bois d'oeuvre. On allait lancer une quatrième affaire parce que, entre temps, les Américains avaient modifié leur règlement administratif pour faire en sorte que nous perdions cette quatrième affaire. C'est ce qui explique que le gouvernement a conclu une entente avec les États-Unis pour ce qui est du bois d'oeuvre, mais la situation est insatisfaisante parce qu'aux termes de l'article 19.03, les parties, si elles modifient leurs lois, ne peuvent que discuter de la question et prendre des mesures de représailles; autrement dit, oeil pour oeil, dent pour dent. Comme les Américains vont modifier ce règlement, nous allons donc faire de même. Comme une décision rendue par un groupe spécial aux termes de l'article 19.03 ne lie pas les parties, il n'est pas possible de s'opposer à cette manoeuvre. Il s'agit là encore une fois d'une situation déplorable.
À mon avis, l'arbitrage exécutoire serait sans doute la solution. On pourrait aussi autoriser les groupes spéciaux à se prononcer sur les décisions finales. Quant à l'article 19.03, on pourrait rendre exécutoire les décisions rendues par les groupes spéciaux relativement aux modifications allant à l'encontre de l'ALENA. Pour ma part, la solution que je préférerais, c'est que le Canada, les États-Unis et le Mexique créent un tribunal commercial international doté d'un personnel et de juges permanents, qui ressemblerait au tribunal qui vient d'être créé par l'OMC.
L'autre solution - qui, je crois, est cependant moins réaliste - serait de supprimer complètement le chapitre 19 et de soumettre toutes les affaires à l'OMC. Les décisions rendues par les groupes spéciaux de l'OMC seraient exécutoires. Pour ce faire, il faudrait cependant rouvrir la disposition de l'OMC portant sur le règlement des différends, et je doute qu'après le mal qu'on s'est donné au cours de l'Uruguay Round pour obtenir ce mécanisme, que les 130 signataires de l'accord soient prêts à nous faire cette faveur simplement pour nous permettre de régler le problème qui se pose dans nos relations avec les États-Unis.
Comme je sais que j'ai dépassé le temps qui m'a été imparti, je n'en dirai pas plus. À mon avis, le droit en matière de concurrence suffit pour régler le problème des subventions et des droits antidumping. Le chapitre 19 est vraiment inutile à cet égard. Si nous ne pouvons pas éliminer ce chapitre, nous devrions à tout le moins y apporter les modifications que je vous ai suggérées.
Je vous remercie beaucoup.
Le président: Je vous remercie, monsieur Castel.
[Français]
Si je comprends bien, M. Graham doit nous quitter sous peu. Je demanderais à M. Sauvageau s'il veut bien lui céder son tour. Je reviendrai à lui immédiatement après.
M. Sauvageau (Terrebonne): Bien sûr.
M. Graham (Rosedale): J'ai une question, si vous me le permettez.
Le président: Nous voulons surtout savoir si le professeur Graham remettra en question toutes les recommandations et réflexions du professeur Castel. Ce serait très intéressant.
M. Graham: Jamais je n'oserais me disputer ou discuter avec les professeurs McRae et Castel, qui sont d'éminents experts en matière de commerce international.
[Traduction]
Je dois vraiment partir. Je tiens à remercier messieurs Castel et McRae pour leurs très intéressants exposés. Je lirai attentivement leurs mémoires.
Avant de partir, j'aimerais cependant poser à M. McRae une question qui se rapporte directement à l'OMC. Il a fait remarquer un point très intéressant, à savoir que les tribunaux internationaux seront appelés non seulement à se prononcer sur des questions internes parce que celles-ci sont maintenant régies par des accords internationaux, mais on leur demandera également de déterminer si une question est internationale ou si elle est interne. C'est d'ailleurs exactement la question que soulève la loi Helms-Burton. Si je ne m'abuse, les États-Unis ont dit à cet égard qu'ils n'allaient même pas se présenter devant le tribunal de l'OMC.
Si c'est le cas, comment le mécanisme de règlement des différends de l'OMC pourrait-il être vu comme étant efficace? On pourrait tout aussi bien le supprimer, car si c'est ce que peut dire n'importe quel pays, nous pourrions affirmer que tout ce qui concerne notre culture met en cause notre sécurité nationale, ce qui exclurait toutes ces questions de la compétence du tribunal. On refuserait alors au tribunal le droit de décider si une question est de son ressort ou non. En fait, la compétence du tribunal est presque nulle. Nous nous retrouvons dans la situation où nous nous trouvions quand les États-Unis ont refusé de reconnaître la compétence de la Cour mondiale dans l'affaire du Nicaragua. Cela nous amène à nous demander où nous nous situons. Croyez-vous que j'exagère dans ce cas précis?
M. McRae: Je ne crois pas. Je ne pense pas qu'un système de règles exécutoires puisse exister si un État tient à décider lui- même si les règles s'appliquent à lui ou non.
On pourrait définir en termes très restrictifs une exception portant sur la sécurité nationale qui pourrait être invoquée par un État convaincu qu'une question donnée met en cause sa sécurité nationale. Il faut cependant que la décision de savoir si le fait d'invoquer cette exception est justifié revienne à un organisme chargé d'interpréter les règles.
Si les États-Unis refusent de participer au groupe spécial, cela ne peut qu'avoir un effet dévastateur sur le mécanisme de règlement des différends de l'Organisme mondial du commerce.
M. Graham: Ai-je raison de croire que les États-Unis songent à ne pas participer à ce groupe spécial?
M. McRae: Je l'ignore. On a interprété de diverses façons ce qu'ont dit les représentants des États-Unis. Selon certains, les États-Unis songent à ne pas participer au groupe spécial et selon d'autres, ils ont le choix de ne pas y participer. La vraie question qu'ils se posent est de savoir si les États-Unis seront représentés à une date donnée.
M. Graham: Très bien. Il faudra attendre de voir ce qu'il en est.
M. Castel: J'ai examiné l'article XXI ainsi que l'interprétation qui m'a été fournie de l'histoire de l'article correspondant qui figurait dans le GATT de 1947. D'autres États, comme l'Afrique du Sud et l'Argentine, ont invoqué la question de la sécurité nationale pour se soustraire à l'application de certaines dispositions, et, d'après les documents que j'ai consultés, il semblerait bien que, par le passé, chaque État était libre de décider si une question mettait en cause ou non sa sécurité nationale.
Je pense que les Américains auraient sans doute gain de cause s'ils soumettaient l'affaire à un groupe spécial, et c'est pourquoi je suis surpris qu'ils refusent de le faire. L'ONC vient de faire paraître un livre portant sur toute la jurisprudence se rapportant à chaque article, et je vous invite à y jeter un coup d'oeil. Vous verrez que la jurisprudence va exactement dans le sens de la position des États-Unis, mais elle ne permet pas à un pays de ne pas participer à un groupe spécial. Je conviens avec M. McRae que si chaque pays peut rendre ses propres décisions, cela signifiera la fin... Il n'est pas dans notre intérêt ni dans l'intérêt de qui que se soit qu'il suffise pour un pays de dire qu'une question relève de sa sécurité nationale pour refuser de participer à un groupe spécial.
Je crois cependant que les États-Unis devraient participer à ce groupe spécial parce qu'ils gagneraient.
M. Graham: Je vous remercie beaucoup.
[Français]
Le président: Monsieur Sauvageau.
M. Sauvageau: Je voudrais tout d'abord m'excuser pour mon retard. J'ai été retenu en Chambre.
Si je pose une question à laquelle a répondu M. McRae avant mon arrivée, je m'en excuse d'emblée. Monsieur Castel, dans votre présentation, vous avez dit que s'il n'en tenait qu'à vous, vous feriez tomber les mesures antidumping de l'ensemble des traités commerciaux pour mettre en application la Loi sur la concurrence. Ai-je bien compris?
M. Castel: Oui, à l'intérieur de groupes intégrés.
M. Sauvageau: À l'intérieur de groupes intégrés sous des traités commerciaux, sous des accords de libre-échange.
M. Castel: C'est exact.
M. Sauvageau: Le Canada, en signant un accord avec le Chili, a laissé tomber les mécanismes antidumping, mais on se propose de négocier pour que le Chili adhère à l'ALENA. Selon vous, quelle devrait être la position du Canada concernant les mesures antidumping? Si on veut que le Chili adhère aussi à l'ALENA, il faudra sûrement avoir des discussions sur cet aspect.
M. Castel: Il y a deux possibilités. Le Chili pourrait adhérer à l'ALENA tel qu'il est à l'heure actuelle, ce qui comprend des mesures antidumping et des subventions ou, comme je l'avais d'ailleurs suggéré dans un article il y a un certain temps, on pourrait essayer de persuader les Américains et le Mexique d'adopter la solution que nous avons adoptée dans nos rapports avec le Chili et que l'Australie et la Nouvelle-Zélande ont adoptée dans leurs rapports commerciaux. D'après ce que j'ai pu lire, à l'époque même de l'accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, les Américains n'étaient pas opposés à la suppression des mécanismes antidumping. Ils voulaient d'abord régler la question des subventions. L'ALENA prévoyait la création d'un comité qui se pencherait sur cette question. Je ne sais pas s'ils sont arrivés à des conclusions.
M. Sauvageau: Je pense que selon le Livre rouge, il devait déposer un rapport en décembre 1995. Je pense que le rapport est fini et qu'il va nous arriver pendant la prochaine élection, si je ne m'abuse. Est-ce exact, monsieur Dupuy?
Le président: Il n'a pas été rendu public, mais les vibrations que l'on entend sont plutôt négatives. Nous avons eu ici l'occasion, pendant l'examen du projet de loi sur les mesures spéciales l'importation, d'entendre quelques témoins qui ne nous encourageaient pas du tout à croire que les États-Unis étaient prêts à changer leur position. C'est certainement un fait dont il faut tenir compte. Ça va à l'encontre de ce que vous recommandez, qui est un système beaucoup plus sophistiqué, beaucoup plus parfait, dirais-je, dans le cadre d'une zone de libre-échange.
M. Castel: La difficulté, c'est que je n'arrive pas à le comprendre parce que normalement, les mesures antidumping s'appliquent lorsque vous avez deux marchés: le marché intérieur et le marché étranger. C'est-à-dire que vous vendez des produits au Canada à un prix plus élevé que vous les vendez aux États-Unis. Mais qu'arrivera-t-il lorsqu'il n'existera plus qu'un seul marché, ce qui est le but de l'ALENA? Quand le nombre d'années sera écoulé et que toutes les marchandises circuleront librement, comment est-ce qu'on pourra envisager deux marchés dans le contexte international? Automatiquement, le droit antidumping ne s'appliquera plus. Par contre, on pourra appliquer le droit sur la concurrence, à condition qu'on montre à ce moment-là qu'il y a une intention de nuire aux prédateurs ou aux concurrents.
Le président: On nous a fait valoir que dans le cas de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, c'était un processus évolutif qui avait mené à cette formule parce qu'il fallait qu'il y ait une symétrie presque parfaite dans les lois gouvernant la concurrence. C'est vrai que nous avons des lois qui ressemblent aux lois américaines, mais il y a quand même des différences entre notre système et le système américain.
M. Castel: Au point de vue du droit antitrust, la doctrine américaine est un peu différente. Je lisais justement une décision concernant un consortium sur ce qu'on appelle le Per Se Doctrine. Mais quand même, nos lois sont assez proches les unes des autres. Vous avez entièrement raison.
Il faudrait que les lois soient à peu près identiques, à moins que l'on adopte une loi uniforme. L'organisme pour le commerce international des Nations unies avait préparé il y a une vingtaine d'années une loi sur la concurrence uniforme qui n'a jamais été adoptée par les États.
Le président: Monsieur Sauvageau, je m'excuse d'avoir pris la parole.
M. Sauvageau: Vous nous parliez un peu plus longuement de l'abolition des mécanismes antidumping entre la Nouvelle-Zélande et l'Australie. Les fonctionnaires du ministère du Commerce international en ont fait mention à plusieurs reprises et, bien que nous ayons tenté d'obtenir de l'information de leur part, nous attendons encore. Au niveau des similitudes et des différences qu'on peut appliquer dans notre contexte...
M. Castel: Je me suis surtout penché sur la situation du Chili. Je n'ai pas réussi à obtenir une copie du traité entre l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Puisque je ne l'ai pas sous la main, je ne saurais vous répondre. Je peux simplement vous répondre en ce qui concerne le Chili et le Canada. Je m'en excuse.
M. Sauvageau: Il n'y a pas de problème.
[Traduction]
M. Castel: Peut-être que mon collègue connaît ce traité.
M. McRae: Je ne connais pas ce traité, mais je crois que ce qui se passe en Nouvelle-Zélande et en Australie, ce n'est pas qu'on uniformise les lois, mais que chaque pays peut appliquer ses lois dans l'autre. C'est comme si le Canada appliquait ses lois en matière de concurrence aux États-Unis et qu'il aurait le pouvoir d'aller aux États-Unis recueillir la preuve nécessaire à la tenue d'audiences, et que les États-Unis pourraient faire de même au Canada.
[Français]
M. Sauvageau: Je sais que c'est une question hypothétique si vous n'avez pas vu le document, mais a priori, selon votre connaissance de la situation, est-ce qu'il est normal que l'idéologie du gouvernement canadien dans les traités ou accords de libre-échange s'oriente vers cet aspect au niveau de l'abolition des mesures antidumping? On nous revient toujours avec l'exemple de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie. Je pense que M. Castel en a parlé un peu, mais vous, monsieur McRae, qu'en pensez-vous?
[Traduction]
M. McRae: On s'écarte maintenant de mon domaine de compétence qui est le droit, mais j'ai l'impression que l'idée que les tribunaux américains aient une certaine compétence au Canada et vice versa serait assez bien accueillie sur le plan politique.
Un choix s'impose à un moment donné en ce qui touche l'ALENA. Ce qui nous intéresse est-ce seulement une zone de libre-échange avec les contraintes que cela suppose, ou est-ce à long terme une union douanière s'accompagnant d'une harmonisation dans le domaine des lois?
Si ce que nous voulons, c'est une union douanière s'accompagnant d'une harmonisation complète de nos lois, il devient alors possible d'harmoniser nos pratiques en matière de droits antidumping ou d'éliminer ces droits et d'adopter une véritable politique en matière de concurrence.
Tant que ce qui nous intéresse n'est qu'une zone de libre- échange et étant donné le lobby en faveur des lois antidumping qui existe aux États-Unis, je soupçonne qu'on attendra très longtemps avant que quoi que ce soit ne change dans ce domaine.
Le président: Monsieur Penson.
M. Penson (Peace River): Je vous remercie, monsieur le président.
Je m'intéresse aussi à la question qu'a soulevée M. Castel au sujet du droit de la concurrence. Ayant participé aux discussions de l'ONC tenues à Singapour peu avant Noël, je sais que plusieurs pays souhaiteraient qu'on relance l'idée d'une politique sur la concurrence. On n'a jamais adopté une telle politique, et je crois qu'il en sera question.
On peut faire une analogie entre nos rapports avec les États- Unis et le cas du champion de boxe amateur canadien qui a livré un combat à Edmonton il y a quelques années à un Américain de Detroit. À la télévision, le commentateur sportif lui a posé la question suivante: «Le fait qu'il n'y ait que des arbitres canadiens vous dérange-t-il?» Le boxeur américain lui a montré son poing et a dit: «J'ai amené mes propres arbitres.» J'ai l'impression que c'est la façon dont les États-Unis voient aussi les choses quand ils traitent avec le Canada.
Je me demande quelle serait la meilleure méthode. Si nous croyons que c'est le droit de la concurrence qui constituerait le meilleur mécanisme pour éliminer les droits antidumping et les droits compensateurs, quelle serait la meilleure façon de parvenir à ce but? Serait-ce par un accord bilatéral ou faudrait-il demander aux autres membres de l'ONC d'accepter que cette question soit portée à l'ordre du jour des prochaines réunions de l'ONC?
M. Castel: On peut adopter trois approches. La première est celle que j'ai déjà mentionnée. La CNUDCI, un organe des Nations Unies, a proposé une loi sur la concurrence uniforme qui devait être adoptée par un certain nombre de pays dont les économies se prêtent à la concurrence, mais comme tous les pays du monde, et notamment les pays en développement, n'ont pas atteint l'étape dans leur développement économique où ils peuvent se permettre de faire face à la concurrence, on visait très haut... Je me souviens que le libellé de la loi était assez bon. On combinait les articles sur la concurrence prévus dans le Traité de Rome pour la Communauté européenne et les dispositions des lois antitrust américaines. Cette loi convenait vraiment aux pays occidentaux ayant des économies de marché très avancées.
Il n'est sans doute pas réaliste pour l'instant de croire que cette loi pourrait être adoptée à l'échelle internationale. L'ONC adoptera peut-être certaines dispositions qui pourront servir de base à des politiques générales en matière de concurrence, comme celles qui existent déjà dans l'ALENA - lesquelles sont un peu plus étoffées que celles qui existaient dans le cadre de l'ALE - , mais cela ne serait pas vraiment très utile.
La deuxième approche serait d'appliquer dans nos deux pays nos lois internes respectives. Si des biens faisaient l'objet d'un dumping au Canada, ce serait donc les lois sur la concurrence canadiennes qui s'appliqueraient. À l'inverse, si une entreprise canadienne faisait du dumping aux États-Unis, ce seraient les lois antitrust américaines qui s'appliqueraient. Ces lois sont d'ailleurs les mêmes, à quelques différences près.
La troisième approche est celle que vous avez suggérée, soit l'intégration des lois sur la concurrence à l'échelle bilatérale ou trilatérale, et, dans ce cas, le Mexique serait inclus. Le Mexique a dû adopter des lois antitrust, mais comme ces lois vont quelque peu à l'encontre du système économique mexicain, je crois qu'elles comportent des lacunes.
Voilà donc les deux approches les plus réalistes, soit une intégration trilatérale des lois antitrust, soit... C'est l'approche que je préférerais du point de vue juridique. Si les activités qui sont anticoncurrentielles... C'est l'approche la plus simple. Si l'activité qui est anticoncurrentielle a lieu au Canada, ce serait la loi canadienne, soit la Loi sur la concurrence, qui s'appliquerait. Si cette activité a lieu aux États-Unis, et qu'elle est le fait d'une entreprise canadienne - il faudrait qu'il y ait un élément international - , ce serait alors la loi américaine qui s'appliquerait. Ce serait les tribunaux américains et canadiens normaux qui seraient saisis de l'affaire.
M. Penson: Puis-je poser une question pendant que nous sommes toujours sur ce sujet? À votre avis, la Loi sur la concurrence serait-elle suffisamment efficace?
M. Castel: Pour ce qui est des cas de dumping, on ne peut pas dire qu'elle soit efficace ou inefficace. Il faut prouver qu'il y a eu intention abusive, et d'après ce que je sais des lois antitrust, c'est très difficile à faire. Voilà là un aspect de la loi qui n'est pas généralement... Il est rare qu'on intente une action de ce genre parce que la preuve est très difficile à établir. Sur le marché national - étant donné que la Loi sur la concurrence ne porte que sur le marché interne - , pour prouver que les prix demandés sont inférieurs aux prix... Il a été prouvé dans bien des cas devant les tribunaux qu'il était tout à fait légitime qu'un commerçant vende son produit à un prix inférieur au prix du marché. Il peut y avoir toutes sortes de raisons valables pour lesquelles un commerçant décide de vendre son produit à un prix inférieur à celui de ses concurrents sans qu'on puisse pour autant lui reprocher d'avoir eu une intention abusive.
M. Penson: Monsieur, vous avez dit qu'il fallait «protéger la concurrence et non pas les concurrents», et je suis d'accord avec vous, mais il y a eu des cas au Canada... Tout récemment, des producteurs d'engrais de l'Ouest canadien ont fusionné leurs entreprises. À l'issue de cette fusion, une seule société détient maintenant 80 p. 100 du marché des engrais au Canada. Ma question est la suivante...
M. Castel: Ce sont les dispositions portant sur les monopoles et les fusions qui s'appliqueraient, lesquelles se distinguent des dispositions antitrust...
M. Penson: Mais cela fait partie du droit de la concurrence.
M. Castel: Oui.
M. Penson: Pourrions-nous adopter une loi semblable à la loi américaine pour que ce système fonctionne?
M. Castel: Je ne le pense pas.
M. McRae: Pour revenir à la question que vous posiez quant à savoir si c'est à l'ONC qu'il convient de discuter de ces questions, outre l'approche proposée par M. Castel, le seul autre endroit où ces discussions pourraient avoir lieu, c'est dans le cadre de l'initiative prise en vue de la création d'une zone de libre-échange dans toute l'Amérique. On étudiera alors évidemment le modèle Canada-Chili, et c'est donc à cette occasion qu'on pourrait discuter de l'adoption d'une loi uniforme sur la concurrence.
Les États-Unis continuent cependant de faire obstacle au projet. Si l'on adopte la proposition de M. Castel, il s'ensuivra que les mesures antidumping ne seront plus régies par la politique sur la concurrence; il n'y aura pas de recours dans les cas antidumping car, comme M. Castel l'a fait remarquer, il est presque impossible de prouver qu'il y a eu établissement de prix abusifs. Ces commerçants ne violeraient donc pas la Loi sur la concurrence.
Il n'en demeure pas moins que si le problème persiste... Lorsqu'il y a marché commun - même si ce n'est pas une union douanière - , les lois antidumping ne constituent qu'une mesure protectionniste sur l'un des marchés.
Le président: Monsieur Cullen.
M. Cullen (Etobicoke-Nord): Je vous remercie, monsieur le président ainsi que messieurs Castel et McRae.
Monsieur Castel, votre idée d'un régime fondé sur la Loi sur la concurrence ou sur l'accès aux marchés m'intrigue. Pourriez-vous étoffer ce concept dans le contexte du différend sur le bois d'oeuvre que je connais mieux. Jusqu'ici - et vous y faites aussi allusion dans votre mémoire - vous parlez surtout des secteurs de la haute technologie... Pourriez-vous nous décrire comment ces régimes fondés sur la Loi sur la concurrence ou l'accès aux marchés pourraient permettre de prévenir un autre différend comme celui du bois d'oeuvre? Comment cela fonctionnerait-il?
M. Castel: Voici comment je vois les choses. C'est vrai que je parlais seulement du contexte de la technologie, mais on pourrait donner en exemple les droits de coupe. Le tribunal commercial international administratif des États-Unis a statué que ces droits constituaient une subvention illégale. Pour reprendre les termes qui figurent dans le nouvel accord du GATT, on parle d'une «contestation portant sur des subventions».
Si seule la Loi sur la concurrence s'appliquait, il suffirait de savoir si les subventions entraveraient la concurrence dans l'ensemble de l'industrie du bois d'oeuvre, et on n'aurait pas à se demander si elles causent des préjudices à la société XW de Seattle. Il faudrait établir si ces subventions réduisent la concurrence dans le secteur du bois d'oeuvre tant au Canada qu'aux États-Unis. Il s'agirait non pas d'établir si une entreprise de bois d'oeuvre en particulier a subi un préjudice, mais si les subventions ont constitué une entrave à la concurrence dans le secteur lui-même. C'est la façon dont je vois les choses.
Des droits compensateurs ne sont imposés que lorsqu'on a prouvé qu'un segment donné de l'industrie a subi un préjudice... Il ne suffit peut-être pas que ce soit 51 p. 100, parce qu'en vertu de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, ou la loi équivalente aux États-Unis, il faut qu'une partie importante de l'industrie soit touchée, mais ce n'est pas de la même façon que lorsqu'on contrevient aux lois sur la concurrence. Il doit y avoir entrave à la concurrence entre les fabricants, et je ne vois pas comment des droits de coupe peuvent être vus comme touchant la concurrence entre les fabricants de planches et de 2 x 4.
M. Cullen: Je m'intéresse au concept des subventions nettes. Je sais que ce concept pose des difficultés. Nous savons cependant que les fabricants de produits forestiers jouissent, tant à l'échelon local qu'à l'échelon des États-Unis, de certaines subventions, mais nous n'y pouvons rien. On nous reproche cependant à nous de subventionner nos producteurs.
Je me demande si vous pourriez nous donner des précisions au sujet du concept du «préjudice grave». Je ne comprends pas tout à fait ce dont il s'agit.
Prenons le cas des droits de coupe qui, selon vous, pourraient, s'ils étaient appliqués au Canada, causer un préjudice à l'ensemble de l'industrie du bois d'oeuvre en Amérique du Nord. Pourrait-on dire que les subventions nettes constituent un «préjudice grave»? Ces deux questions sont-elles liées?
M. Castel: Non. Il s'agirait simplement de savoir si la subvention elle-même constitue une entrave à la concurrence. Il faudrait voir ce qu'il en est pour l'ensemble de l'industrie. C'est la façon dont je comprends les choses.
Il serait intéressant de voir si on pourrait faire une distinction entre, d'une part, l'industrie canadienne, et d'autre part, l'industrie américaine. En raison de l'ALENA et l'ALE, le Canada et les États-Unis sont étroitement intégrés et constituent un marché unique. Il n'est pas vraiment possible de séparer le marché à la frontière.
Voilà le paradoxe. D'une part, les Américains s'intéressent comme nous, à l'intégration, et d'autre part, ils continuent d'imposer des droits antidumping et des droits compensateurs bien que ces droits soient contraires à l'intégration. Si l'on prend l'exemple du Japon, on peut dire que le Japon n'est pas étroitement intégré avec d'autres pays bien qu'il existe des consortiums internationaux, et le Japon peut recourir à toutes sortes de mesures pour limiter la concurrence. Le MITI et le gouvernement les encouragent même à agir ainsi, mais les droits antidumping ou les droits compensateurs n'existent pas au Japon parce que tout le commerce est interne. Ce n'est pas l'État qui aide les autres sociétés, mais ces sociétés font partie d'un consortium ou d'un cartel et du Keiretsu.
En Amérique du Nord, les subventions, les droits antidumping ainsi que les droits compensateurs n'ont pas leur place parce que les économies des États-Unis et du Canada sont intégrées.
M. Cullen: Je comprends le concept du marché intégré. Je sais qu'on a songé dans l'industrie forestière à créer un consortium mais pour d'autres raisons, c'est-à-dire pour réduire les fluctuations de prix. L'idée n'est pas allée très loin en raison de l'existence aux États-Unis de lois antitrust.
Je crois que je comprends mieux comment le concept que vous avez décrit s'applique à l'industrie des produits forestiers. S'il faut envisager le marché comme un marché nord-américain et si les prix demandés pour le bois d'oeuvre aux États-Unis et au Canada n'ont pas vraiment grand-chose à voir avec la question que vous abordez, pourriez-vous nous dire quelle forme le débat pourrait prendre en ce qui touche le bois d'oeuvre? Si les Américains soutiennent, par exemple, que le Canada verse aux producteurs des subventions qui constituent une entrave à la concurrence dans l'industrie du bois d'oeuvre en Amérique du Nord, sur quel argument se fonderont-ils? C'est ça que j'ai du mal à comprendre.
M. Castel: Voici comment je vois les choses. Quelle différence cela fait-il si les concurrents ou ceux qui reçoivent des subventions...? Supposons que l'État de l'Oregon verse des subventions à une société de l'Oregon. Qu'en est-il des producteurs de pins de l'Alabama? Ne pourraient-ils pas soutenir eux aussi que l'entreprise de l'Oregon jouit d'une subvention et que des droits compensateurs s'imposent? Or, on ne peut pas imposer de droits compensateurs à l'égard d'un autre État.
M. Cullen: Voilà donc pourquoi, à votre avis, ces mesures ne constituent pas une entrave à la concurrence.
M. Castel: Mais on pourrait considérer qu'il s'agit d'une entrave à la concurrence si des frais de coupe moins élevés équivalent à une subvention. Peut-être que les producteurs de bois d'oeuvre de la Colombie-Britannique ou de l'Alabama jouissent d'un autre type de subvention... Si, pour cette raison, la concurrence diminue, les lois antitrust des États-Unis ou du Canada s'appliqueraient alors.
La concurrence diminuerait certainement. Ce serait cependant beaucoup plus difficile à prouver à moins qu'il y ait fixation des prix. Autrement, ce serait au plaignant de prouver que les lois antitrust ont été enfreintes. Si on ne peut pas prouver que les droits de coupe élevés constituent une pratique déraisonnable, on ne pourrait alors pas dire que les lois antitrust américaines ou que les lois sur la concurrence canadienne ont été enfreintes.
M. Cullen: Comme je suis Canadien et que j'ai travaillé dans le secteur des produits forestiers, je crois que la façon dont vous concevez les choses présente de l'intérêt. Je me demande cependant si les Américains seraient du même avis que vous. Je ne sais pas encore vraiment sur quels arguments on se fonderait...
M. Castel: Évidemment...
M. Cullen: Oui, mais c'est une autre affaire. Les producteurs américains avanceraient des arguments techniques pour justifier le fait qu'ils veulent avoir accès au marché, mais sur quoi se fonderaient-ils pour alléguer que des droits de coupe élevés entravent la concurrence, par exemple? Je ne vois pas sur quels arguments ils se fonderaient.
M. Castel: Vous me demandez vraiment de répondre à une question que je n'ai pas vraiment étudiée à fond, mais voici ce que j'en pense.
Aux États-Unis même, les producteurs américains sont assujettis aux lois antitrust nationales. Je propose simplement que ces lois s'appliquent à l'ensemble de l'Amérique du Nord. Comment les producteurs pourraient-ils alors se plaindre de lois auxquelles ils sont déjà assujettis? Les producteurs de bois d'oeuvre américains sont déjà assujettis aux lois antitrust américaines. Ils deviendraient alors simplement aussi assujettis aux lois sur la concurrence canadienne. À mon avis, on ne ferait alors qu'élargir la portée de ces lois.
Le fait d'appliquer à ces producteurs de bois d'oeuvre des lois antitrust canadiennes pourrait cependant être vu comme une mesure extraterritoriale ou une mesure portant atteinte à la souveraineté du pays. En bout de ligne, ils ne pourraient cependant se plaindre...
Tout ce que nous disons, c'est que si les pratiques du gouvernement ou des producteurs de bois d'oeuvre constituent une atteinte à la concurrence, il sera possible d'invoquer des recours. On pourra alléguer qu'il y a eu dommage simple ou dommage triple.
Un problème très technique se pose. Il est possible que l'État A ne soit pas assujetti aux lois antitrust des États-Unis. Certains consortiums n'y sont pas assujettis. Si la production ou la recherche a lieu aux États-Unis, les lois antitrust continuent de s'appliquer de façon limitée, mais il n'y a pas de recours pour les dommages triples; seuls des dommages simples peuvent être accordés s'il y a eu violation des lois antitrust.
Cela pourrait s'arranger. Comme je l'ai dit, vous me posez toutes ces questions mais je ne parlais pas de l'industrie du bois d'oeuvre, du bois de construction.
En fait, j'ai l'intime conviction qu'on pourrait, à cause de l'intégration de nos économies, organiser quelque chose qui fera que nous allons remplacer à la fois les mesures antidumping, qui est le moindre des problèmes, et les subventions dans les deux pays. Je ne veux pas dire qu'il suffira de se débarrasser de toutes les subventions et de tous les droits compensateurs de tous les pays du monde pour la seule raison que nos économies seraient intégrées.
Il suffit de regarder ce qui se passe en Europe. M. McRae avait parfaitement raison lorsqu'il a demandé si nous voulions une zone de libre-échange ou une union douanière. Cela donc risque de faire une différence.
Mais sans devoir répondre à cette question - je persiste à penser que les Américains n'accepteraient de toute façon pas une union douanière - et dans la perspective de la zone de libre- échange, je persiste à penser que nous pourrions arriver à un système qui nous permettrait de remplacer ces deux genres de recours par celui de la concurrence.
M. Penson: Ce qui me préoccupe, c'est le précédent que nous créons en acceptant de plafonner les exportations dans des secteurs comme celui du bois tendre. Nous l'avons constaté dans le cas du blé il y a deux ans. Selon ce que j'ai constaté, les États-Unis recommencent à hausser le ton et à demander de nouvelles restrictions sur les importations de blé canadien.
Avec l'ALENA, nous avons un accord de libre-échange. Maintenant, nous avons l'OMC, mais nous ne nous en servons pas.
C'est précisément ce sur quoi je m'interroge. Prenez le cas du bois tendre. Vous avez dit, je le sais, que vous n'étiez pas prêt, mais voici ce à quoi je veux en venir. Étant donné que les États- Unis ont marqué un dernier point en changeant leur réglementation, il nous serait probablement impossible d'avoir gain de cause à l'ALENA. N'appartient-il donc pas au Canada de soumettre un litige comme celui-là à l'OMC, qui dira une fois pour toutes si oui ou non nous subventionnons notre industrie forestière au moyen des droits de coupe? Après tout, nous avons signé un accord international. Mon avis personnel est que nous obtiendrions probablement gain de cause. C'est vraiment mon sentiment. Et même dans le cas contraire, ne sommes-nous pas tenus d'accepter ce que nous avons négocié?
Admettons que les États-Unis nous imposent des droits compensateurs. Admettons que nous nous adressions à l'OMC pour obtenir une décision et que l'OMC conclue que nous subventionnons effectivement notre industrie forestière selon les critères établis par l'OMC lors de la dernière ronde du GATT. À ce moment-là, monsieur, vous me dites que nous devrions probablement abandonner ces subventions plutôt que d'avoir recours à des droits compensateurs.
Je me demande, messieurs, ce que vous pensez de l'idée qu'il s'agit peut-être du vecteur que nous devrions utiliser pour savoir une fois pour toutes si nous avons raison ou non sur ce plan. Comme vous le savez, c'est un contentieux de longue date.
M. Castel: Le chapitre 19 est un recours exclusif pour ce qui est de la détermination finale, mais nous pouvons toujours saisir le GATT, l'OMC, de la question des subventions.
M. Penson: Mais c'est l'un ou l'autre, n'est-ce pas?
M. Castel: Non, cela ne vaut que si vous contestez une décision d'un tribunal administratif auquel vous devez avoir recours en vertu du chapitre 19. Mais si vous contestez l'existence d'une subvention qui serait une violation de l'Accord du GATT, pour savoir si c'est une violation de l'article VIII ou d'une violation de la spécificité dont fait état l'article II du GATT, je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas en saisir l'OMC.
M. McRae: Je pense qu'effectivement nous pourrions en saisir l'OMC pour obtenir une réponse.
J'imagine que cela a trait au fait que parfois, il est préférable de vivre avec les conséquences du différend qu'avec celles d'une véritable réponse. Il est fort possible que, même si cette question du bois tendre demeure un irritant, il soit préférable de vivre avec cet accord, du moins à court terme, qu'avoir à supporter les conséquences d'un recours à l'OMC, qui décidera de ce qu'est une subvention. À ce moment-là, nous devrions subir les conséquences politiques, c'est-à-dire obliger les provinces à modifier leurs propres lois, si c'est de cela qu'il s'agit.
Cela dit, si nous gagnons, tant mieux, mais j'imagine que nous devons avoir le moyen de savoir si, sur le plan économique, l'industrie souffre effectivement de l'existence d'un accord qui établit des quotas, du moins à court terme, et, à ce moment-là, il suffit d'attendre pour voir ce qui se passera.
Mais je pense néanmoins qu'il ne fait aucun doute que la solution au problème de savoir s'il s'agit ou non d'une subvention selon l'ONC réside bien là et peut être utilisée.
La plupart des gens et des gouvernements ont le sentiment qu'ils ne doivent pas aller devant le tribunal tant que quelqu'un ne les y traîne pas. Si vous avez un dispositif, si vous pensez qu'il se justifie, vous n'allez pas demander au tribunal si vous avez raison. Vous attendez que quelqu'un vous y traîne.
M. Penson: Je suis on ne peut plus d'accord avec vous, mais je ne pense pas qu'on puisse traiter l'industrie de façon monolithique. Dans tout cela, il y a des gagnants et des perdants, c'est certain, et les gagnants sont peut-être précisément ces 40 p. 100 de l'industrie forestière canadienne qui appartiennent à des compagnies américaines, étant donné que leurs actions ont beaucoup grimpé suite à tout cela.
Pour bien me situer, monsieur Castel, car il se peut que je me trompe, j'ai cru comprendre que nous avions le choix de porter le différend, s'il y a contestation et s'il y a droit compensateur, devant le groupe spécial de l'ALENA ou devant l'OMC, mais que nous ne pouvons pas saisir la...
M. Castel: En vertu du chapitre 20, vous avez effectivement le choix. En vertu du chapitre 19, vous devez en saisir les groupes spéciaux, mais il ne s'agit ici que d'une détermination finale d'un dumping ou d'une subvention.
M. Penson: Dans ce cas d'espèce-ci. Admettons que...
M. Castel: C'est ce qui s'est fait déjà dans le cas du boeuf, entre autres. Il s'agit de séparer les choses. Certaines questions, même si elles portent sur des subventions en matière de dumping peuvent être soumises à l'OMC. Des questions qui ont trait à la détermination des organismes administratifs doivent être traitées selon les procédures qui figurent au chapitre 19.
M. McRae: Je pense que si une cause de dumping est invoquée aux États-Unis, la décision du service du commerce international du ministère américain du Commerce peut être examinée par un groupe spécial en vertu du chapitre 19. C'est le seul recours. Une décision de la CCI peut être examinée par un groupe spécial de l'ALENA. La seule question que ce groupe spécial peut trancher est celle de savoir si l'organisme a appliqué correctement la loi américaine.
Si, ayant ainsi procédé via le chapitre 19, le Canada part du principe que les États-Unis ont violé l'accord du GATT en appliquant leur législation antidumping, il peut alors en saisir un groupe spécial de l'OMC qui décidera que la loi américaine, dans son ensemble, n'est purement et simplement pas conforme au GATT. À ce moment-là, la question peut être renvoyée devant un groupe spécial du GATT.
M. Penson: J'aimerais approfondir encore un peu les choses. Prenons le cas du bois tendre et allons jusqu'au bout des choses. Admettons que le Canada n'accepte pas le marché et que les États- Unis nous imposent un droit compensateur. Selon moi, puisque les États-Unis ont changé leur réglementation nationale, nos chances d'avoir gain de cause ne seraient pas très bonnes.
Ainsi, au lieu de procéder de cette façon pour découvrir qu'effectivement les États-Unis appliquent correctement leurs lois, et d'aller ensuite devant l'OMC, ne pourrions-nous pas simplement saisir l'OMC - nous aurions le choix de la tribune - en disant que nous souhaitons qu'elle tranche? Les États-Unis nous imposent un droit compensateur en disant que nous subventionnons notre industrie forestière et nous voulons une décision.
Nous pourrions en saisir l'OMC en disant que les États-Unis ont interprété incorrectement leurs obligations en vertu de l'OMC, en vertu du GATT, en considérant qu'il s'agit d'une subvention. Selon les textes du GATT, il ne s'agit pas d'une subvention, de sorte qu'il n'est pas permis d'imposer un droit compensateur. Nous pourrions poser la question à l'OMC.
M. Castel: Je comprends pourquoi vous posez la question. Il y a cet article 19.03 dont j'ai déjà parlé, et c'est précisément ce que les Américains ont fait. Ils ont modifié leur réglementation et tout ce qui s'ensuit. En temps normal, aux termes de l'article 19.03, nous devrions en saisir un groupe spécial de l'ALENA, ce qui n'est pas exécutoire. Mais c'est un cas extrêmement limité. Si vous prenez l'article 19.03, vous constatez que son champ d'application est très limité. Et je suis d'accord ici avec M. McRae. Vous pourriez toujours vous en prendre à ces modifications au préalable, même si, de prime abord, il semblerait que le seul recours soit l'article 19.03. Mais s'il y a violation, vous devez prouver que ces amendements et ces règlements enfreignent effectivement le code des subventions.
[Français]
Le président: Si j'ai bonne mémoire, pendant la négociation de l'Accord de libre-échange avec les États-Unis, une tentative avait été faite pour identifier les mesures de subvention qui étaient acceptables et celles qui ne l'étaient pas, ce qui en un sens limitait la possibilité d'appliquer des mesures compensatoires en autant que certaines mesures de subvention avaient été été considérées comme légitimes.
Est-ce une approche valable? Est-ce une négociation qui devrait être prise? Elle a été interrompue et n'a pas abouti, largement parce qu'on était arrivé au bout du rouleau au point de vue du temps, semble-t-il. On ne pouvait plus prolonger la négociation.
M. Castel: Les chapitres 18 et 19 du premier accord entre le Canada et les États-Unis ont été faits à la va-vite, à la dernière minute, et on les a insérés parce que, comme vous le dites, on avait essayé de négocier sur les droits antidumping et les droits compensateurs, ce qui n'a pas pu se faire parce que c'était un sujet tellement controversé. Quant aux droits compensateurs, on avait attendu parce qu'à cette époque on avait déjà entamé la négociation pour l'Uruguay Round et décidé de laisser les choses telles qu'elles étaient jusqu'à ce que le GATT ait adopté de nouvelles règles. Ça semble un peu bizarre et je me suis toujours posé cette question. On ne peut pas avoir deux règles différentes sur les droits antidumping et les droits compensateurs, deux régimes différents. Comment peut-on avoir à la fois le régime du GATT et le régime de l'ALENA? À mon avis, ça ne tient pas debout parce que les principes sont les mêmes.
Dans le document que je vous ai soumis, je suggère une solution relativement à la technologie, dont traite le paragraphe 8.2 du code sur les subventions qui est assez limité. D'autre part, les Américains ont étendu dans leur consortium la notion de recherche, le R & D. Nous pourrions peut-être modifier l'Accord du GATT sur les droits compensateurs dans ce domaine. Nous pourrions tenter de restreindre ou d'étendre ceux qui ne sont pas actionnables pour pouvoir exempter de l'application des droits compensateurs certaines pratiques de subventions que nous avons au Canada aussi bien qu'aux États-Unis. Aux États-Unis, on a l'air de ne pas se gêner dans cette histoire puisqu'on est même exempté du droit antitrust. Lorsque nous faisons quelque chose dans un autre domaine, ils nous imposent des droits compensateurs. Alors, il me semble qu'il y a quelque chose qui ne va pas; il faudrait renégocier.
D'ailleurs, on prévoit la formation d'un comité puisqu'on devait avoir un chapitre spécial sur les droits compensateurs, mais le GATT est intervenu.
On a un exemple à peu près parallèle. Lisez le chapitre du GATT qui traite de ce qu'on appelle les TRIP et le chapitre que nous avons dans l'ALENA. Vous le connaissez bien puisque c'était dans votre domaine au moment où vous étiez ministre. Ils sont pratiquement identiques, mais il y a quand même des différences. On pourrait faire la même chose: on pourrait avoir un code sur les droits compensateurs sur les subventions qui serait légèrement différent de celui du GATT. C'est possible.
Le président: Ce serait donc une approche au point de vue des négociations qui, selon votre jugement, serait valable.
M. Castel: À vrai dire, je ne pense pas que ça donnera des résultats. Ce sont les Américains qui veulent, comme on dit en anglais,
[Traduction]
avoir le beurre et l'argent du beurre.
[Français]
Ils veulent d'un côté avoir leur système de droits compensateurs et s'en exempter quand cela leur convient. Vu leur puissance économique, je préfère le système d'intégration. Ainsi, on n'a pas besoin d'entrer dans tous ces détails. On applique simplement le droit antitrust, qu'ils aiment bien et auquel ils sont habitués. À mon avis, ça passerait mieux, mais personnellement, je suis plutôt pessimiste quant à l'adoption d'un accord spécial entre les trois partenaires. Le comité y travaille, mais je serais étonné que ça aboutisse.
[Traduction]
Le président: Monsieur Cullen.
M. Cullen: Merci, monsieur le président.
Monsieur Castel, je trouve toute cette notion de régime fondé sur la loi de la concurrence ou de régime fondé sur l'accès aux marchés extrêmement séduisant. Lorsque je vois les choses dans la perspective, mettons du bois tendre, je ne suis pas avocat spécialisé en droit de la concurrence et peut-être n'ai-je pas suffisamment entendu ce genre d'argumentation, mais s'il faut prouver que, par exemple, un droit de coupe ou un autre programme de soutien offert par un gouvernement à l'industrie forestière a pour effet de provoquer une concurrence déloyale ou de restreindre l'accès à un marché, dans le cas du marché nord américain dans son ensemble, je dois avouer que j'ai du mal à trouver beaucoup d'exemples ou d'arguments en réplique à ce genre de choses qui, pour moi qui suis Canadien et qui défend les producteurs canadiens, seraient valables. J'ai la conviction que quelque part aux États- Unis, il y a quelqu'un qui pourrait facilement trouver le moyen de prouver que les politiques des provinces canadiennes en matière de droit de coupe par exemple ont pour effet de limiter la concurrence ou l'accès au marché. Si vous aviez d'autres réflexions sur le genre d'arguments qu'on pourrait opposer à cela, cela nous serait précieux.
Mais la question principale est de savoir si les parties y consentiraient. À ce moment-là, si nous avons un régime de ce genre, nous devrions voir au niveau national quels seraient les secteurs autres que celui de la technologie ou des produits forestiers... Comment nous nous en tirerions avec ce genre de régime. Intuitivement, je serais porté à conclure que nous nous en tirerions bien.
M. Castel: Cela s'appliquerait d'un bout à l'autre de la gamme.
Pour commencer, nous devons je pense faire table rase de nos idées reçues. Nous devons nous abstenir de penser aux recours antidumping et aux subventions parce qu'en l'occurrence, nous pensons ici aux droits de coupe: s'agit-il d'une subvention parce que les droits sont modiques et ainsi de suite? Nous devons faire table rase de tout cela. Nous devons penser d'une façon tout à fait différente: est-ce que les pratiques du gouvernement de la Colombie-Britannique ou les pratiques de l'industrie du bois de construction battent en brèche le droit de la concurrence?
J'ai ici un excellent exemple, un exemple qui vient des États- Unis. Il s'agit de la cause Addamax Corporation vs Open Software Foundation. Pour mémoire, la référence est 1995-888, federal supplement 274. Il s'agit d'une question de technologie, mais qui porte également sur toute la question des subventions qui ont été accordées aux États-Unis sur le plan intérieur. Il s'agissait d'une entreprise en coparticipation qui bénéficiait d'un concours financier du gouvernement. Certains concurrents ont attaqué le consortium en prétendant qu'il violait la législation antitrust. Le jugement est excellent car il montre comment les choses se passent dans le contexte américain. Étant donné que le droit canadien et le droit américain ne diffèrent pas vraiment l'un de l'autre pour ce qui est des questions de concurrence déloyale, cette cause illustre bien la façon dont les choses se passeraient dans ce contexte.
M. Cullen: Pourrais-je en obtenir copie? Quel en est encore la référence?
M. Castel: J'ai ce jugement ici et mon adjointe pourra vous en faire une copie car je n'en ai qu'un exemplaire. Avez-vous une photocopieuse rapide dans les environs? Je ne tiens pas à me dessaisir de cet exemplaire.
[Français]
Le président: Il semble que nos services d'impression et de photocopie sont fermés à cette heure-ci. Vous pourriez peut-être nous en faire parvenir des exemplaires.
M. Castel: Oui.
Le président: Vous pourriez l'envoyer au greffier et nous le distribuerons aux membres du comité.
[Traduction]
M. Castel: Je ne me prétends nullement expert en la matière car comme je le disais, je commence seulement à envisager cela comme une possibilité tant soit peu sérieuse. Je suis donc un peu plus avancé que vous, mais pas tellement. C'est une perspective à envisager car je pense que l'idée est prometteuse.
Je travaille avec un collègue avec lequel nous avons rédigé le texte sur les logiciels. Nous travaillons dans le domaine de la technologie et c'est donc une possibilité que nous explorons. Personnellement, j'ai la conviction que cela pourrait s'appliquer dans n'importe quel domaine. Ce n'est point la théorie unificatrice d'Einstein, mais c'est néanmoins une formule beaucoup plus prometteuse parce qu'elle n'exige pas nécessairement qu'on modifie des lois ou qu'on en adopte de nouvelles. Les Américains n'en seraient évidemment pas très heureux. Mais si nous leur imposons l'argument des lois antitrust, nous jouons sur leur terrain.
M. Cullen: Je pense que cette possibilité ne manque pas d'intérêt et, comme vous le dites, c'est une façon tout à fait différente... Il faut complètement changer de paradigme. J'essaie là aussi de m'y retrouver.
M. Castel: C'est aussi quelque chose que je dois moi-même approfondir.
M. Cullen: Je vous remercie.
Le président: Monsieur McRae,
[Français]
professeur Castel, je vous remercie infiniment de votre présence et de vos commentaires. Nous en tiendrons compte dans nos réflexions ultérieures.
[Traduction]
Je vous remercie.
La séance est levée.