[Enregistrement électronique]
Le mercredi 16 avril 1997
[Traduction]
Le président (M. Michel Dupuy (Laval-Ouest, Lib.)): Nous avons maintenant le quorum. Notre collègue du Bloc ne pourra pas venir. Il a de bonnes raisons de s'absenter cet après-midi.
Aujourd'hui, nous examinons la question du règlement des différends au sein de l'Organisation mondiale du commerce. Nous avons trois témoins que nous connaissons tous très bien. Il s'agit de Winham, de l'Université Dalhousie, de Greg Tereposky, du cabinet juridique Thomas et Davis,
[Français]
et du ministère des Affaires étrangères et du commerce international, Serge Fréchette.
[Traduction]
Monsieur Winham, voulez-vous commencer?
M. Gilbert Winham (professeur, Département des sciences politiques, Université Dalhousie): Merci beaucoup, monsieur le président et messieurs. Je vais lire un document que j'ai préparé et qui présente le contexte des règlements des différends dans le cadre de l'OMC. Je laisserai ensuite mes collègues continuer.
Les dispositions de l'OMC concernant le règlement des différends sont énoncées dans le Mémorandum d'accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends, l'un des accords conclus au cours des négociations de l'Uruguay. C'est inclus dans la structure des accords de l'OMC d'avril 1994. Le Mémorandum relatif au règlement des différends ou MRD représentait une réforme globale des méthodes de règlement des différends utilisées dans le cadre du GATT depuis 1947.
Le mécanisme de règlement des différends du GATT découlait des articles XXII et XXIII. Il partait du principe que le GATT était un contrat qui, s'il était annulé ou compromis par les actes d'une des parties contractantes, conférerait des droits de consultation, et peut-être même rétorsion aux autres parties contractantes ainsi lésées.
L'article XXIII portait que les parties contractantes pouvaient enquêter sur les différends et autoriser une partie contractante à suspendre les avantages auxquels une autre partie aurait droit, si les circonstances le justifiaient.
Le mécanisme de règlement des différends visait à permettre aux parties de conclure une entente mutuellement acceptable et qui soit conforme au GATT. Généralement, cela signifiait que des pressions étaient exercées sur une des parties contractantes pour qu'elle annule ou supprime des mesures contraires au GATT. Avec le temps, le GATT s'est mis à recourir à des groupes spéciaux pour enquêter sur les différends et faire rapport des conclusions au conseil du GATT. Les rapports des groupes spéciaux devaient être adoptés par l'ensemble des parties contractantes, y compris la partie perdante, pour qu'ils deviennent exécutoires.
Au départ, le système de règlement des différends du GATT était de nature diplomatique et politique, mais il a pris un caractère plus officiel et juridique au fil des années. Au cours des 10 ou 15 dernières années, une plus grande proportion des différends découlant du GATT a mené à l'établissement d'un groupe spécial. Les rapports de ces groupes spéciaux ont eu de plus en plus tendance à présenter des arguments mûrement réfléchis, fondés sur les droits et obligations des parties.
L'officialisation du mécanisme de règlement des différends du GATT, qui a été un processus évolutif, a été favorisée davantage par le Mémorandum relatif au règlement des différends de l'OMC. Ce mémorandum représente une réforme négociée fondamentale et non pas progressive du système de règlement des différends du GATT. Il apportait cinq changements importants aux pratiques antérieures.
Premièrement, à l'article 6, le mémorandum garantit aux membres de l'OMC le droit à un groupe spécial. Il prévoit l'adoption quasi automatique des rapports du groupe spécial par l'organisme compétent de l'OMC, c'est-à-dire l'organisme de règlement des différends. Le consensus que le GATT exigeait jusque-là signifiait qu'une partie perdante pouvait bloquer un rapport. Ce n'était évidemment pas conforme au principe de la souveraineté nationale et à l'approche pragmatique qui considérait le GATT comme un instrument de diplomatie.
Le Mémorandum relatif au règlement des différends a mis fin au principe du consensus en exigeant, à l'article 16, qu'un rapport d'un groupe spécial soit adopté à moins que l'organisme de règlement des différends ne décide, par consensus, de ne pas l'adopter. Cela signifie que les décisions sont exécutoires pour les membres de l'OMC à moins qu'on ne puisse convaincre la partie gagnante de voter contre sa propre victoire, ce qui est évidemment peu probable.
On a reproché à l'article 16 de réduire la souveraineté des membres de l'OMC. Il n'en est rien, car même si l'OMC peut autoriser des représailles - et le GATT pouvait évidemment le faire aussi - elle ne peut pas forcer un membre à modifier ses pratiques commerciales. L'article 16 oblige les pays à suivre, à l'avenir, les règles qu'ils ont négociées par le passé. La conception pragmatique et diplomatique du GATT et de l'OMC cède donc la place à une conception juridique. C'est sans doute l'un des changements les plus marqués qu'apporte le système de l'OMC.
Deuxièmement, le mémorandum a mis en place, au sein de l'OMC, une instance d'appel pour entendre les appels en vertu de l'article 17. Il s'agit d'un tribunal commercial permanent composé de sept membres qui supervisent le règlement des différends résultant des divers accords de l'OMC. Selon l'article 17.6, les appels qui peuvent être soumis à l'instance d'appel sont limités aux questions de droit abordées dans le rapport du groupe spécial et aux interprétations juridiques du groupe spécial. Néanmoins, l'instance d'appel a plein pouvoir pour appliquer les ententes qui, dans bien des cas, sont imprécises et ouvrent largement la porte à une interprétation ultérieure.
La création de l'instance d'appel est un autre exemple du caractère de plus en plus juridique du système de règlement des différends du GATT et de l'OMC. Étant donné que le mémorandum confère l'obligation d'adopter et d'appliquer les rapports du groupe spécial, les gouvernements ont craint davantage qu'un groupe spécial ne rende une décision erronée, ne laissant à une partie perdante d'autre recours que celui de refuser de s'y soumettre. L'instance d'appel peut être considérée comme une garantie contre ce genre d'erreur ainsi que la possibilité de constituer une jurisprudence qui pourrait promouvoir davantage l'établissement d'un régime commercial fondé sur des règles.
Troisièmement, l'article 1 du mémorandum porte que celui-ci s'appliquera à tous les différends découlant des accords de l'Uruguay Round. Le champ d'application du mémorandum a été une question épineuse lors des négociations de l'Uruguay. On se demandait si le système de règlement des différends s'appliquerait à toutes les ententes contenues dans l'Accord de l'Uruguay ou si l'on établirait un système distinct pour les différends relatifs aux marchandises, aux services, à la propriété intellectuelle, aux mesures antidumping, à l'agriculture, etc.
D'une part, les négociateurs de l'Uruguay Round voulaient éviter le problème de fragmentation et du manque d'uniformité qu'avaient posé les anciens codes du Tokyo Round, qui prévoyaient des règles de règlement des différends distincts et des instances différentes pour l'application de ces règles.
D'autre part, un système intégré aurait permis de prendre des mesures de rétorsion dans des domaines différents. Cela voulait dire que si le rapport d'un groupe spécial dans un domaine, comme celui de la propriété intellectuelle, n'était pas appliqué, le dédommagement pouvait être obtenu dans un autre domaine, comme celui des textiles, par exemple.
Les pays en développement se sont opposés à ce genre de choses, car cela pouvait permettre aux pays industrialisés de les soumettre à des pressions plus fortes dans de nouveaux domaines commerciaux en menaçant de supprimer des concessions pour les marchandises traditionnelles dans lesquelles les pays en développement bénéficiaient d'un avantage comparatif, par exemple dans celui des textiles.
On a réglé cette question en établissant un système intégré, à l'article 1, qui uniformisera le système de l'OMC et éliminera la tendance à faire le tour des tribunes que favorise l'existence de plusieurs mécanismes de règlement des différends.
Quatrièmement, le Mémorandum relatif au règlement des différends comprenait, à l'article 23.2a) une disposition portant que les membres ne devaient pas:
- déterminer qu'un autre membre de l'OMC s'était soustrait à ses obligations, si ce n'est en ayant
recours au règlement des différends conformément aux règles et procédures établis dans le
mémorandum.
En vertu de ce compromis, les deux superpuissances économiques de l'OMC ont accepté de limiter les interventions unilatérales en faveur d'un système plus efficace d'entente multilatérale et de conformité. Cela présente un gros avantage pour le Canada et les autres puissances intermédiaires membres de l'OMC.
Cinquièmement, le Mémorandum relatif au règlement des différends renfermait certaines mesures techniques visant à améliorer et accélérer les procédures de règlement des différends. Parmi celles-ci, mentionnons des procédures de consultations précises, et notamment la possibilité pour les plaignants ayant des causes multiples de discuter avec le défendeur; des dispositions garantissant la composition expéditive et impartiale des groupes spéciaux, et notamment l'élaboration d'un mandat type et l'établissement d'un échéancier strict pour chaque étape du processus. Il faut bien admettre que ces modifications ne sont pas d'une importance cruciale, mais ensemble, elles rendront le système plus efficace et plus convivial. Finalement, un système de règlement des différends commerciaux est bon lorsqu'il s'applique de manière équitable et efficace. Si c'est le cas, les parties l'invoqueront. Autrement, il sera inutile.
L'expérience des deux premières années d'activités de l'OMC prouve que les États membres ont eu souvent recours aux procédures de règlement des différends. Dans sa mise à jour sur les différends dans le cadre de l'OMC en date du 17 mars 1997, le secrétariat de l'OMC déclarait que 47 questions étaient actuellement à l'étude, pour lesquelles 71 pays avaient présenté des demandes officielles de consultation. Il y avait trois affaires réglées - en fait quatre, maintenant - qui avaient franchi toutes les étapes de l'instance d'appel, et 14 dossiers actifs. Dans 17 autres cas, il était dit que l'affaire était réglée ou le dossier inactif. Les plaignants dans ces affaires allaient depuis les quatre piliers - les États-Unis, l'Union européenne, le Japon et le Canada - jusqu'aux pays en développement comme le Brésil, l'Inde, la Thaïlande, Singapour et le Costa Rica. Comme l'a signalé Debra Steger, de la Division d'appel de l'OMC - elle est d'ailleurs Canadienne, comme vous le savez certainement...
- Le grand nombre de dossiers et la diversité des participants sont une bonne indication que les
gouvernements sont déterminés à veiller à ce que les obligations dans le cadre de l'OMC soient
respectées et à se conformer au système.
Je vous remercie.
Le président: Merci, monsieur Winham.
Monsieur Tereposky.
M. Greg Tereposky (avocat, Thomas & Davis): En fait, monsieur Dupuy, je ferais peut-être mieux d'attendre que M. Fréchette ait terminé. J'ai simplement quelques observations de portée générale à faire sur la participation du secteur privé au processus de règlement des différends.
Le président: Très bien.
Monsieur Fréchette.
[Français]
M. Serge Fréchette (avocat-conseil, Direction du droit commercial international, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Merci, monsieur le président.
Messieurs les membres du comité, pour donner suite à la présentation générale de M. le professeur Winham, qui a porté sur les principaux éléments du mécanisme de règlement des différends, je me contenterai de faire certains commentaires généraux portant sur l'expérience vécue jusqu'à présent par le gouvernement canadien dans le contexte de l'application du mécanisme de règlement des différends.
Mes commentaires seront de deux ordres: d'une part, des commentaires généraux portant sur la philosophie et sur la politique relative au fonctionnement du mécanisme de règlement des différends et, d'autre part, des commentaires plus spécifiques portant sur les aspects procéduraux et pratiques de l'application du mécanisme de règlement des différends.
Comme le professeur Winham l'a mentionné, l'opinion du gouvernement est que jusqu'à présent, l'expérience vécue quant à l'application et à l'utilisation du mécanisme de règlement des différends est tout à fait positive. Bon nombre de pays qui, jusqu'alors, n'avaient pas utilisé un tel mécanisme y ont eu recours. Des pays qui auparavant, de par le poids minime de leur commerce, n'y voyaient pas leur intérêt ou n'avaient tout simplement pas la capacité d'avoir recours à ce mécanisme y ont maintenant recours.
Bon nombre des demandes d'utilisation du mécanisme de règlement des différends et beaucoup de demandes de consultation ont été initiées par des pays en voie de développement, des pays à économie grandissante ou encore des pays qui, jusqu'à présent, se tenaient complètement à l'écart du système.
En bonne partie, ces consultations ont donné des résultats: les parties en général y ont donné suite en essayant d'expliquer les mesures en place, en modifiant certaines mesures ou encore en faisant en sorte que, d'une façon ou d'une autre, les irritants soient réglés.
Pendant plusieurs d'années, pendant les négociations de l'Uruguay Round, un bon nombre de questions importantes ont été tout simplement mises sur la glace en attendant le résultat définitif des négociations. Une fois le mécanisme de règlement des différends mis en place, un nombre énorme de demandes ont été présentées à l'organe de règlement des différends, de telle sorte qu'on a à l'heure actuelle un surplus de travail.
Certaines questions se sont posées et on a pu faire certaines constatations quant à la façon dont a fonctionné le mécanisme jusqu'à présent. Comme je le mentionnais, les premières questions sont d'ordre philosophique: quelles sont les grandes questions qui se posent, maintenant que l'on a pu constater la façon dont fonctionne le mécanisme de règlement des différends? Certaines de ces questions ont été soulevées par l'application particulière du mécanisme dans des cas très précis.
Une des questions fondamentales qui se posent est celle-ci: est-ce que l'on devrait, de la même façon qu'on le fait dans le cadre de recours intérieurs en droit intérieur, créer la possibilité pour les États d'avoir accès à ce qu'on appelle des recours ou remèdes provisoires? De la façon dont le mécanisme de règlement des différends fonctionne à l'heure actuelle, on ne peut obtenir satisfaction, lorsqu'il y a preuve qu'une mesure viole les obligations, que lorsque la totalité du mécanisme de règlement des différends a été utilisée, c'est-à-dire lorsque la décision finale devient applicable et que la partie décide d'y donner suite ou d'assurer sa mise en oeuvre.
Or, dans certains cas, entre le moment où la mesure contestable est mise en oeuvre et celui où le mécanisme de règlement des différends est utilisé de façon telle que la décision devient définitive, un tort considérable peut être causé à l'économie et aux intérêts commerciaux du pays plaignant.
Une question fondamentale se pose: serait-il possible dans certains cas, pour certains États, d'obtenir un remède immédiat par une demande intérimaire du type de l'injonction qu'on connaît en droit intérieur, par exemple?
La question se pose à la lumière d'un fait très particulier qui s'est posé et dont vous êtes sûrement au courant. Vous vous rappellerez que très rapidement après l'entrée en vigueur de l'accord sur l'Organisation mondiale du commerce, les États-Unis et le Japon ont été impliqués dans une dispute commerciale assez importante concernant l'industrie de l'automobile. Les Américains se plaignaient de leur déficit commercial avec les Japonais dans le domaine de l'automobile, ainsi que du fait que certaines pratiques commerciales du gouvernement japonais, maintenues sous le couvert de certaines mesures gouvernementales par l'industrie japonaise, avaient un impact négatif sur les exportations américaines au Japon.
Les Américains, dans ce cas-là, de façon à exercer de la pression sur le Japon pour qu'il modifie ses pratiques, ont tout simplement décidé de façon unilatérale de prendre des sanctions contre le Japon. Ces sanctions, à toutes fins pratiques, avaient pour effet, lorsque mises en oeuvre, de fermer le marché américain aux exportations japonaises d'automobiles.
On peut s'imaginer que le Japon a décidé de contester la mesure américaine. Si la contestation avait été menée jusqu'à son terme, c'est-à-dire pendant une période d'une année, le commerce japonais de l'automobile sur le marché américain aurait pu être complètement annihilé.
Or, la question qui s'est posée, d'un point de vue purement théorique pour ceux qui examinaient la façon dont fonctionnait le mécanisme de règlement des différends, est celle-ci: aurions-nous dû prévoir au moment des négociations la possibilité pour un État, dans un cas comme celui-là, d'obtenir du mécanisme de règlement des différends une ordonnance qui fasse en sorte que les États-Unis, dans le cas dont on parle, soient empêchés de mettre en oeuvre leur mesure jusqu'à ce que la décision finale soit rendue?
Des questions se posent évidemment d'un point de vue purement pratique, et ça met en cause toute la question de la légitimité des mesures du point de vue de la souveraineté nationale jusqu'à ce que la décision définitive soit rendue.
C'est un exemple de questions fondamentales qui se posent. Il y a une autre question fondamentale qui s'est posée ces derniers temps chaque fois qu'une décision importante a été rendue par le mécanisme de règlement des différends, et c'est la question de la confidentialité des décisions jusqu'à ce que ces décisions deviennent définitives.
Le mécanisme de règlement des différends prévoit à l'heure actuelle une étape intérimaire au cours de laquelle le panel original doit remettre aux parties impliquées dans le règlement des différends une décision intérimaire qui est censée être confidentielle et remise aux parties pour leur permettre de commenter le contenu de la décision. Or, selon les règles actuelles, cette décision intérimaire doit être considérée comme confidentielle. Elle ne doit en aucune façon être communiquée à des personnes autres que les parties impliquées dans l'affaire.
La pratique qui a eu cours jusqu'à présent démontre que ce concept de confidentialité n'est en aucune façon respecté. Il est presque maintenant automatique que dès que les décisions intérimaires sont rendues, d'une façon ou d'une autre, les gouvernements qui y participent trouvent qu'il est à leur avantage - un avantage politique intérieur qu'il est facile d'imaginer - de communiquer clandestinement le contenu de la décision, de telle sorte qu'une fois rendue publique de façon indirecte, cette décision peut influencer d'une façon ou d'une autre la nature des commentaires qui peuvent être faits par l'autre partie et aussi influencer ses motifs ou ses recours en appel lorsque la décision deviendra définitive.
Psychologiquement, il est beaucoup plus difficile pour les membres d'un groupe spécial de modifier le sens ou la portée de la décision intérimaire une fois que son contenu est rendu public. Or, dans certains cas, et plusieurs parties s'en sont rendues coupables, les décisions ayant été rendues publiques au moment de la période intérimaire, il est devenu évident que les commentaires qui pouvaient être faits sur ce rapport intérimaire avaient une portée beaucoup plus limitée et pouvaient affecter ultimement la portée des droits en appel de la partie condamnée. C'est une deuxième question fondamentale.
Une autre question fondamentale se pose, celle-là à la lumière du fait que plus les règles commerciales sont développées, plus elles deviennent compliquées et plus il devient difficile pour les gouvernements de mettre en place des mécanismes et des politiques pour assurer dans tous les cas le respect des règles internationales.
Il peut devenir avantageux pour les gouvernements, dans certains cas, d'obtenir un avis préalable de l'organe de règlement des différends quant à la nature des mécanismes ou encore des politiques commerciales que le gouvernement entend mettre en place, à savoir si elles seraient conformes aux obligations internationales de ce gouvernement.
À l'heure actuelle, le mécanisme de règlement des différends ne prévoit pas la possibilité pour un État d'avoir recours à une décision ou à un jugement déclaratoire de l'organe de règlement des différends sur l'aspect juridique ou la validité de certains programmes à la lumière de ses obligations internationales, de telle sorte que, de façon pratique, ceci a pour effet de mettre beaucoup plus d'accent sur l'utilisation totale du mécanisme de règlement dans le contexte d'un différend, par opposition au règlement des choses par l'obtention d'une opinion juridique préalable par le biais de l'organe de règlement des différends.
La question qui se pose, évidemment, est celle de s'assurer que ce type d'opinion puisse ultimement être obtenu d'une entité ayant une juridiction suffisamment importante sur les droits et les obligations des parties pour assurer que la qualité de ses opinions soit de grande valeur.
Une des avenues imaginées, c'est que l'organe d'appel puisse ultimement servir d'organe judiciaire auquel serait soumis ce type de demande d'opinion juridique. L'organe d'appel étant un organe juridique permanent, il est en mesure d'assurer que les opinions juridiques soient de la plus grande qualité.
Ce sont les trois grandes questions de politique en matière de règlement des différends qui se posent à l'heure actuelle. Il s'en pose beaucoup d'autres de moindre importance, mais celles-ci sont essentiellement les trois plus importantes qui se posent pour la grande majorité des pays.
Au niveau procédural, le professeur Winham a fait allusion au fait qu'énormément de pressions se sont bâties auprès du mécanisme du règlement des différends, simplement de par le nombre d'affaires qui ont été présentées.
Évidemment, dans ce contexte, il est important, puisqu'il s'agit de questions de détermination de droit et d'obligations internationales, que le mécanisme de règlement des différends puisse agir de façon très méthodique et très prévisible. Une des façons d'assurer en général que les tribunaux appelés à adjuger des lois et des obligations puissent agir de façon aussi méthodique, c'est de mettre en place des règles de procédure quant au fonctionnement de la procédure devant ces tribunaux.
Une des failles actuelles, que nous remarquons et que plusieurs parties remarquent, c'est qu'au niveau du panel, au niveau du mécanisme de règlement des différends de première instance, il n'y a pas de règles de procédure, comme c'est le cas au niveau de l'organe d'appel, de telle sorte que très souvent, la façon dont sont menées les procédures devant le mécanisme de règlement des différends en première instance est laissé à la décision ad hoc, si vous voulez, du président du groupe spécial, le président du panel. Ainsi, il s'agit très souvent de refaire la procédure chaque fois qu'on se présente devant un groupe de règlement des différends, et cela affecte très souvent les concepts qu'on connaît en droit intérieur, les concepts d'équité et de justice quant à la façon d'adjuger sur les droits et obligations.
Très souvent, par exemple, l'ordre de présentation des mémoires et des arguments n'est pas le même selon que le président qui siège sur une affaire décide que la procédure qu'il entend adopter est de tel ou tel ordre. La critique actuelle, comme je le mentionnais, est qu'il est nécessaire pour le mécanisme de règlement des différends au niveau de première instance de développer de telles règles de procédure.
Évidemment, il y a, associée à tout cela, la question des délais. Un des objectifs principaux, lors des négociations de l'Uruguay Round en matière de règlement des différends, était de s'assurer que le mécanisme de règlement des différends allait pouvoir mener à l'adoption de décisions très rapidement. On a fait en sorte de bâtir un cadre très précis en matière de délais qui fait qu'ultimement, une décision, y compris le recours en appel, ne peut prendre plus d'une année avant de devenir définitive.
L'expérience démontre à l'heure actuelle que le Canada souffre dans certains cas d'une telle situation, parce que pour débattre de questions juridiques parfois excessivement complexes, qui requièrent le développement et l'administration de preuves très complexes, une année ne suffit pas bien souvent.
La question qui va se poser dans un avenir très rapproché sera celle de savoir quel genre de compromis il est possible de faire. Il faudra essayer de faire en sorte que les affaires présentées devant l'organe de règlement des différends puissent recevoir une considération judicieuse et suffisante sans que l'existence de délais très fermes porte préjudice aux droits et obligations des parties.
Bien entendu, il y a un article du mécanisme de règlement des différends qui prévoit la possibilité pour les parties de relever le panel de cette obligation de rendre une décision dans un délai d'un an, mais la pratique, jusqu'à présent, a été que la partie plaignante n'autorise pas une telle requête tout simplement parce que ce n'est pas à son avantage politique de le faire. Moins la partie plaignante dispose de temps pour se préparer à plaider l'affaire, pour recueillir la preuve et pour présenter la preuve de façon adéquate, mieux cela vaut pour la partie défenderesse, parce que cela rend la défense beaucoup plus facile d'un point de vue stratégique.
Il y a une question d'équité qui se pose là et qu'il faudrait examiner. Jusqu'à présent, on a été assez chanceux; il n'y a pas encore eu de cause en matière de contestation d'un programme de subventions à l'exportation. Vous êtes sûrement au courant que la procédure, dans le cas d'une contestation de programme de subventions en matière d'exportation, est coupée de moitié. Il s'agit très souvent de programmes excessivement complexes et la preuve, que ce soit en plainte ou en défense, est aussi très complexe.
J'imagine que la première fois qu'une partie fera une plainte relative à un tel programme ou aura à défendre un tel programme, ce sera tout un exercice que d'essayer d'administrer les délais à l'intérieur desquels l'affaire doit être présentée ou défendue, parce qu'il y a des étapes supplémentaires à ce qu'on entend généralement pour le règlement des différends dans un contexte autre que celui des subventions à l'exportation.
Donc, essentiellement, l'expérience au cours des deux dernières années, depuis l'entrée en vigueur du mécanisme de règlement des différends, a été très positive, mais évidemment, comme dans le cas de tout nouveau mécanisme, il y a place pour de l'amélioration. Les parties, les membres de l'OMC, en sont conscientes et se sont dotées essentiellement de mécanismes qui permettent de revoir après un certain temps les règles générales applicables en vue de les améliorer.
Il est évident que certaines des questions que j'ai soulevées devront faire l'objet de consultations entre les principaux membres de l'OMC et d'un consensus avant qu'on réussisse à modifier le mécanisme de règlement des différends. Il va de soi que plus les règles de fond deviendront judiciarisées et plus conformes à ce qu'on connaît du droit intérieur, plus le mécanisme de règlement des différends va devoir ressembler à ce qu'on connaît en droit intérieur. Des règles très définitives et très fermes devront être prévues quant à l'administration de la preuve et quant à la façon dont seront traitées les parties devant un mécanismes de règlement des différends, et il faudra faire en sorte que les parties puissent avoir accès à des recours très efficaces qui leur permettent essentiellement de protéger leurs intérêts commerciaux.
Je vais terminer mes commentaires sur cette note. J'imagine qu'on aura une période de questions par la suite. Je pourrai donc répondre aux questions que vous aurez.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Fréchette.
[Traduction]
Monsieur Tereposky, avez-vous des observations à faire sur cette intervention?
M. Tereposky: Oui, j'ai quelques brèves observations à faire, monsieur le président. J'aimerais vous expliquer comment le système de règlement des différends de l'OMC fonctionne par rapport au secteur privé. Quand je parle de «secteur priv;, je parle des entreprises canadiennes touchées par une violation des obligations prévues dans les accords de l'OMC de la part d'un autre État membre.
Comme vous le savez bien, dans le cadre de l'OMC, le règlement des différends s'effectue au niveau des gouvernements; ainsi, si un secteur d'activités canadien se heurte à un problème parce qu'un État membre ne respecte pas ses obligations aux termes de l'OMC, ce secteur ne peut pas invoquer directement le mécanisme de règlement des différends. En fait, le secteur ou l'entreprise doit communiquer avec le gouvernement du Canada, lequel décide s'il y a lieu ou non d'invoquer ses droits dans le cadre de l'OMC. Dans ce contexte, le rôle de l'industrie privée est indirect. Elle peut aider le gouvernement du Canada à déclencher et mener à bien la procédure de règlement du différend.
En général, cette aide peut revêtir deux formes. Premièrement, pour recueillir des preuves. Dans presque tous les cas, l'industrie connaît beaucoup mieux que le gouvernement tous les faits entourant une affaire, et il est évident qu'elle peut donc aider le gouvernement à ce chapitre.
Le deuxième domaine dans lequel cette aide s'effectue est l'analyse des obligations applicables de l'OMC. Celles-ci deviennent de plus en plus complexes. Souvent, l'application des obligations dépend des conditions de fonctionnement du secteur d'activités en cause et du comportement du marché. Dans la mesure où ces facteurs sont en rapport avec un dossier, l'industrie peut aider considérablement le gouvernement. Cette participation de l'industrie est presque essentielle étant donné l'importance des preuves factuelles et pour permettre au gouvernement de défendre au mieux les intérêts de l'industrie lors du règlement du différend.
Un certain nombre d'éléments précis, toutefois, sont avantageux. Par exemple, si l'industrie participe au processus dès le début, toutes les étapes de l'analyse et de l'étude du dossier peuvent être accélérées. Étant donné les échéanciers serrés imposés au mécanisme de règlement des différends dans le cadre de l'OMC, c'est un facteur très important.
Deuxièmement, comme je l'ai déjà dit, il est presque essentiel de connaître en détail les faits et les circonstances de l'affaire. Si une demande de règlement du différend est présentée qui se fonde sur des hypothèses erronées, qu'il s'agisse des faits ou des circonstances de l'affaire, cela risque de poser de gros problèmes par la suite; pour éviter ce genre de choses, il faut faire en sorte que l'industrie participe de près au processus de règlement du différend dès le départ.
Enfin, en cette époque de compressions dans tous les domaines, toute aide supplémentaire offerte par l'industrie est toujours utile. MM. Winham et Fréchette ont tous deux parlé de la complexité du processus et des droits et obligations découlant des accords. Ces facteurs soulignent encore davantage l'importance de faire participer l'industrie nationale à toutes les étapes du processus. D'après mon expérience jusqu'ici, le gouvernement canadien a un excellent bilan à ce chapitre, et c'est une condition qui devrait faire partie intégrante du processus à l'avenir.
Voilà qui conclut mes observations.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Penson.
M. Charlie Penson (Peace River, Réf.): J'ai pris quelques notes en écoutant les exposés. Tout d'abord, je sais qu'il y a eu beaucoup de causes portées devant les instances pertinentes pendant les premiers temps. N'est-ce pas une bonne chose pour créer une certaine jurisprudence et bien ancrer le processus? Le nombre de plaintes ne va-t-il pas commencer à diminuer à mesure que les États membres comprendront comment le système fonctionne et ce qu'il faut faire?
M. Winham: Oui, c'est une bonne chose et en effet, le nombre de causes va sans doute diminuer. Vous trouverez au chapitre 19 de l'Accord de libre-échange et de l'ALENA des explications générales qui en sont la preuve.
M. Charlie Penson: Ce processus a évolué au cours d'une longue période. J'espère qu'il continuera d'évoluer, car l'autre aspect qui me pose des problèmes est la question des mesures de rétorsion, le fait qu'un pays membre touché ne soit pas nécessairement tenu de se conformer à la décision mais qu'il puisse tout simplement exercer des représailles. Étant donné que ce n'est pas nécessairement le même secteur d'activités qui est touché, je pense que cela dissuade certains secteurs de déposer une plainte. Tout en étant convaincus que leurs arguments sont solides, ils craignent les mesures de rétorsion même s'ils gagnent leur cause.
J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Allons-nous en arriver au point où, lorsqu'un plaignant obtient gain de cause, la partie en infraction devra cesser cette pratique? Est-ce une possibilité encore lointaine, ou va-t-on continuer de s'en remettre aux mesures de rétorsion comme seule option possible si cette partie décide de ne pas rentrer dans le droit chemin? Faudra-t-il attendre encore longtemps pour que les choses changent?
M. Fréchette: À mon humble avis, les probabilités de représailles de la part d'une partie sont pratiquement nulles pour le moment. L'expérience jusqu'ici a prouvé que les États membres n'ont pas recours à ce système. J'ai cité l'exemple des États-Unis. C'est un cas isolé et ce n'est pas un problème qui s'est posé dans le cadre d'un véritable différend, c'est-à-dire un différend ayant fait l'objet d'un mémorandum, comme cela aurait dû être le cas. Immédiatement après l'entrée en vigueur de l'OMC, les États-Unis ont essayé d'avoir recours à la même vieille tactique qu'avant la création de l'Organisation mondiale du commerce. C'est le seul cas où cela s'est produit. Jusqu'ici, l'expérience a prouvé que toutes les décisions rendues par les groupes spéciaux de l'OMC ont été mises en vigueur ou sont en voie de l'être - je veux parler évidemment des décisions qui sont sans recours.
N'oubliez-pas que les mesures de rétorsion sont un outil de dernier recours. C'est pour ainsi dire la mesure ultime dont dispose une partie pour se dédommager de ses pertes. Il lui faut obtenir l'autorisation de s'en servir auprès de l'organisme de règlement des différends qui détermine la valeur des mesures de représailles accordées.
M. Charlie Penson: Mais, quand vous dites la partie, vous parlez du pays, n'est-ce pas?
M. Fréchette: C'est cela.
M. Charlie Penson: Mais, pour un secteur touché, il se peut que ce ne soit pas très utile.
M. Fréchette: Vous avez raison jusqu'à un certain point. Mais les pays, les gouvernements en général, sont tout à fait conscients des intérêts des industries qu'ils représentent en l'occurrence - soit qu'ils les représentent lorsqu'ils portent une affaire devant l'OMC au nom d'une industrie donnée, soit qu'ils défendent les intérêts de cette industrie en défendant la mesure contestée qui parfois existe pour protéger cette même industrie. Les gouvernements en litige sont toujours conscients des conséquences possibles et si l'on a recours à des représailles dans un autre secteur que celui qui est en cause, c'est parce que les dédommagements possibles dans le secteur qui fait l'objet d'un différend, ne suffisent pas. Cette forme de rétorsion ne sera autorisée que si la partie plaignante ou la partie qui réclame des mesures de rétorsion dans un secteur donné fait la preuve qu'elle ne peut pas obtenir un dédommagement suffisant dans ce secteur-là.
M. Charlie Penson: Je vois.
M. Tereposky: Permettez-moi d'ajouter quelque chose. Si une partie ne met pas en oeuvre la décision de l'OMC autorisant des mesures de rétorsion, c'est très dangereux, car très souvent, des secteurs très fragiles risquent d'être visés - du moins il y aura des tentatives - pour l'imposition de contre-mesures. C'est donc un élément dissuasif très convaincant. Un pays qui refuse de mettre en oeuvre une décision ignore quel secteur pourrait être visé et c'est pourquoi on évite que les choses s'enveniment à ce point.
M. Charlie Penson: Je vois. Vous avez dit qu'il n'y a pas beaucoup de pays qui avaient choisi de ne pas respecter la décision rendue, n'est-ce pas?
M. Tereposky: Au niveau de l'OMC, jusqu'à présent, toutes les décisions finales ont été ou seront mises en oeuvre.
M. Charlie Penson: Je voudrais poser une autre question.
M. Winham: Monsieur Penson, permettez-moi d'ajouter que je suis tout à fait d'accord avec mes collègues pour ce qui est de la pratique. Il est rare que l'on applique des mesures de rétorsion. En fait, d'habitude, les difficultés sont aplanies. Puisque je suis professeur, laissez-moi le plaisir de répondre sur le plan théorique.
En théorie, si un pays qui s'entête après l'étude d'une plainte à refuser de retirer la mesure visée, qui le forcera à le faire et en vertu de quoi? Dans l'affaire du thon et des dauphins, les États-Unis avaient tort, mais ils n'ont pas modifié leur réglementation. Ils n'ont pas retiré la mesure visée, en l'occurrence, la Loi sur la protection des mammifères marins, et le Mexique comme le GATT étaient impuissants et ne pouvaient rien y faire.
La rétorsion existe donc en théorie parce que cela permet au moins une forme d'indemnisation, même si elle ne convient pas parfois, comme vous l'avez signalé très justement, mais c'est ainsi parce que nous vivons dans un monde de pays souverains.
M. Charlie Penson: Je vois.
Je voudrais aborder une dernière chose, monsieur le président. On a dit que c'était les industriels canadiens qui devaient demander au gouvernement du Canada de porter une affaire devant l'instance. Voici l'inconvénient que j'y vois. Je comprends le processus, mais je pense qu'il est parfois difficile de défendre les intérêts de toute l'industrie canadienne, de toutes les parties en cause, et il me semble voir là, au niveau de l'OMC, une faiblesse qui n'existe pas dans le cas de l'ALENA. Grâce aux dispositions de l'ALENA, une société peut de son propre chef porter plainte et ce n'est pas possible dans le cas de l'OMC.
Prenez, par exemple, l'industrie du bois d'oeuvre. Elle regroupe des sociétés canadiennes - je pense que 40 p. 100 de ce secteur au Canada appartient à des intérêts américains - et il se peut qu'elles n'aient pas avantage à porter plainte parce que les sociétés-mères s'accommodent peut-être très bien d'une politique donnée. Qu'avez-vous à me répondre pour ce qui est des intérêts d'une société canadienne en particulier par rapport aux intérêts de tout un secteur industriel?
M. Tereposky: Je vais vous donner le point de vue du secteur privé là-dessus. Cela se produit assez souvent. Même au sein d'une association d'industriels, il y a des intérêts divergents et un des éléments majeurs d'un mécanisme de règlement de gouvernement à gouvernement tient au fait que le gouvernement qui porte une affaire devant un organisme - en l'occurrence le gouvernement du Canada - peut essayer de ménager les intérêts des uns et des autres bien que ce ne soit pas toujours chose facile. Il est toutefois évident que quand on invoque le chapitre 20 de l'ALENA, c'est-à-dire le mécanisme général de règlement des différends en vertu de l'accord, ou qu'on porte l'affaire devant l'OMC, le gouvernement du Canada a déjà soupesé toute la gamme des intérêts en cause avant de décider de porter plainte.
Le cas du bois d'oeuvre est un peu différent car c'est en vertu du chapitre 19 et des mesures de droits compensateurs qu'on a procédé et dans les affaires de droits compensateurs et antidumping, il y a d'ordinaire un seuil juridique fixé pour la participation des industriels à des procédures juridiques, pour qu'ils décident de saisir les autorités d'une affaire.
Dans le cas qui nous occupe, le différend a été résolu finalement de gouvernement à gouvernement en vertu du protocole d'entente signé par le gouvernement du Canada et celui des États-Unis et dans lequel les autorités gouvernementales avaient tenu compte des divers intérêts en cause.
M. Charlie Penson: Les choses se passent-elles ainsi à l'OMC?
M. Fréchette: Permettez-moi de répondre à cette question. Non, on ne peut pas nécessairement procéder de la sorte parce qu'une partie privée ne peut se prévaloir du mécanisme de règlement des différends de l'OMC.
Dans la pratique, toutefois, le gouvernement procède de la même façon car quand une partie privée demande au gouvernement de saisir l'OMC d'une affaire, le gouvernement auparavant évaluera les intérêts de tout un secteur industriel pour prendre connaissance de la situation et pour évaluer le mérite de l'affaire. À bien des égards, les intérêts de tout le secteur industriel sont ainsi préservés. Il est vrai que le système comporte une faiblesse car il ne permet pas à des sociétés d'avoir accès individuellement au mécanisme de règlement des différends car nous n'en sommes pas encore là.
Au cours de la prochaine phase de négociations, il se peut fort bien que ce soit là une des questions dont on parlera: à savoir la possibilité pour des parties privées ou des groupes d'intérêt autres que les gouvernements de saisir l'OMC d'une plainte. Il faudra déterminer dans quel secteur. En effet, sera-t-il possible pour les investissements en vertu d'une entente semblable au chapitre 11 de l'ALENA, par exemple, ou permettra-t-on aux intérêts privés d'intervenir directement dans d'autres secteurs également?
Nous n'en sommes pas encore là à l'OMC, mais, en règle générale, le gouvernement prend en compte les intérêts d'un secteur industriel sans pour autant oublier les intérêts d'une partie en particulier.
M. Charlie Penson: C'est assurément à espérer. Je ne sais pas si les choses se passent toujours ainsi.
Le président: Monsieur Cullen.
M. Roy Cullen (Etobicoke-Nord, Lib.): Merci, monsieur le président.
Merci, messieurs. J'ai quelques questions à vous poser dans la même veine que celle de M. Penson, mais avec une légère différence.
Tout d'abord, monsieur Tereposky, de quel recours une industrie canadienne... supposons qu'au sein d'un secteur, on s'entende à dire qu'il y a violation de l'Accord de l'OMC et que ce secteur s'adresse collectivement au gouvernement canadien qui peut, tout en reconnaissant la validité de certains arguments, refuser de porter l'affaire devant l'OMC ou, au contraire, trouver des arguments peu convaincants, pour une raison quelconque... refuser tout autant d'aller de l'avant. L'industrie dispose-t-elle d'un recours quelconque? Cela s'est-il produit? Qu'avez-vous à nous dire à ce propos?
M. Tereposky: Officiellement, une industrie qui se trouverait dans cette situation n'aurait aucun recours. La seule chose qu'il lui resterait à faire serait d'exercer des pressions en formant un lobby plus vigoureux pour convaincre le gouvernement à changer d'idée.
D'après mon expérience dans des cas de ce genre, dans le contexte du GATT et maintenant dans le contexte de l'OMC, il y a consultation pleine et entière et, dès que le gouvernement peut vous aider, il le fera. Toutefois, si le gouvernement, après avoir pesé le pour et le contre et jauger les intérêts canadiens en cause, estime que l'affaire ne mérite pas son appui, des obstacles peuvent alors surgir et, dans certains cas, ils peuvent même être insurmontables.
M. Roy Cullen: Quelqu'un d'autre aurait-il quelque chose à ajouter là-dessus?
C'est toujours difficile d'atteindre l'optimum de Pareto, mais supposons que dans une situation donnée, l'intérêt public général n'est pas en jeu, mais qu'un secteur de l'économie industrielle pourrait en tirer des avantages par opposition à un autre secteur.
Que ferait le gouvernement en pareil cas, monsieur Fréchette?
M. Fréchette: Il faut étudier chaque cas isolément, mais j'en reviens encore à ce que je disais tout à l'heure. Le gouvernement devra réfléchir sérieusement à ce qu'il devrait faire en pareil cas. Il arrive de temps à autre que les intérêts des importateurs et des exportateurs divergent dans un dossier donné, auquel cas le gouvernement doit prendre une décision difficile.
Habituellement, le gouvernement s'efforce d'établir un consensus avant de prendre une décision, mais il arrive parfois que le gouvernement soit appelé à trancher en fonction de ce qu'il estime l'intérêt supérieur de l'industrie et du secteur en général.
M. Roy Cullen: Y a-t-il eu jusqu'ici des exemples de cas où notre gouvernement a refusé d'accéder à la demande d'un secteur qui voulait soumettre un litige à l'OMC?
M. Fréchette: Vous comprendrez que je ne peux pas discuter de cas particuliers, mais il y a eu des cas où le gouvernement du Canada a étudié le bien-fondé de l'affaire et tous les intérêts en cause et a décidé qu'il n'était pas dans l'intérêt du gouvernement canadien ni dans l'intérêt des parties d'en saisir l'OMC. Mais en pareil cas, il y a toujours consultation de tous les intéressés.
M. Tereposky: Je voudrais ajouter quelque chose. Je crois que le plus important dans de tels dossiers, c'est la consultation, parce que le pire des scénarios, c'est de ne pas consulter un groupe qui pourrait être lésé. Peut-être que c'est un mécanisme que l'on pourrait mettre en place pour améliorer l'efficacité globale du système: un processus formel pour porter plainte avant de faire intervenir le mécanisme de règlements des différends; ainsi, au sein même du Canada, il y aurait un processus officiel et ouvert.
Peut-être que les pourparlers ne seraient pas tous publics, mais ce serait du moins ouvert en ce sens que toutes les parties intéressées sauraient que l'on discute d'une question donnée et que l'on réfléchit à l'affaire.
M. Fréchette: Je peux dire sans aucune hésitation que dans la plupart des cas dont j'ai eu connaissance, le gouvernement fait tout en son pouvoir pour s'assurer de consulter pleinement toutes les parties intéressées. Peu importe que ces parties prennent l'initiative ou que le gouvernement doive faire des démarches, il y a consultation. Et je parle des intérêts des secteurs, des provinces ou de tout autre groupe susceptible d'être touché. Il serait complètement irresponsable de la part du gouvernement de ne pas le faire. Nous nous en occupons.
M. Winham: Monsieur Cullen, je voudrais faire quelques observations sur ce point, surtout sur l'opportunité de permettre à des intérêts privés de porter leur propre cause devant l'OMC. Vous ne devez pas oublier, premièrement, que l'OMC résulte d'un accord entre les États membres et qu'il est de l'intérêt du Canada de s'assurer que nos partenaires commerciaux respectent les règles, encore plus qu'il est de l'intérêt des groupes du secteur privé de s'assurer qu'ils respectent les règles.
S'il était possible pour un groupe privé du Canada de faire jouer le mécanisme de règlement des différends pour obtenir une décision contre les États-Unis, par exemple, cela constituerait un progrès radical de la notion même de règlement des différends. Il faudrait prévoir une capacité fortement accrue sur le plan de la procédure, par rapport à ce qui existe actuellement.
Deuxièmement, on a tendance à s'inspirer du modèle de l'ALENA dans ce domaine. Mais en fait, cela n'arrive qu'aux termes du chapitre 19, et encore, seulement pour les doits antidumping et compensateurs. C'est beaucoup plus un prolongement de l'examen judiciaire qu'un exemple du règlement des conflits tel qu'il a été mis au point à l'origine pour le GATT ou même tel qu'il a été appliqué selon le chapitre 20 de l'ALENA, qui prévoit plutôt un règlement d'État à État.
Je pense qu'il est possible qu'à l'avenir, on puisse obtenir une meilleure représentation des intérêts privés, mais il faudra y réfléchir très sérieusement. Le principal inconvénient, de mon point de vue, c'est que cela augmenterait considérablement la possibilité que des cas frivoles soient présentés, ce qui peut même se produire parfois, à mon avis, dans le cadre de la procédure actuelle prévue au chapitre 19 de l'ALENA.
M. Roy Cullen: Je m'intéresse de près à un dossier qui a rapport à l'ALENA. Il s'agit des raffineries de sucre. Les fabricants utilisent des produits qui contiennent du sucre et bénéficient du programme américain de réexportation. Il y a des gagnants dans un secteur et des perdants dans un autre. Quant au grand public, le résultat est plutôt neutre. Je comprends que c'est excellent de consulter et qu'il faut le faire, mais dans certains cas, il n'y a aucune solution facile et c'est assurément le cas dans ce dossier.
M. Tereposky: Monsieur Cullen, je vais répondre brièvement à votre observation, mais avant de le faire, je dois vous dire que je représente le secteur du sucre dans ce dossier et que j'ai donc un parti pris dans cette affaire.
Des voix: Oh, oh!
M. Tereposky: Il y a un autre principe sous-jacent dans certains dossiers, à savoir l'intérêt à long terme du Canada pour ce qui est de faire respecter ses droits et d'assumer ses obligations aux termes des ententes commerciales. Dans les cas où il faut peser le pour et le contre, je pense qu'il faut toujours prendre en compte ce principe sous-jacent. Si le Canada choisit de ne pas faire respecter ses droits et de ne pas assumer ses obligations, c'est mauvais pour les intérêts à long terme du Canada.
M. Roy Cullen: D'accord. Vous travaillez manifestement pour les raffineurs de sucre et j'ai beaucoup de fabricants dans ma circonscription.
Des voix: Oh, oh!
M. Roy Cullen: Mais nous pourrions laisser cela de côté pour un instant, car je vais peut-être manquer de temps...
Le président: Monsieur Cullen, sur ce point, M. Fréchette voulait ajouter quelque chose.
M. Fréchette: Je voulais seulement ajouter à ce que M. Winham a dit. Il y a une autre partie de l'ALENA qui permet aux parties privées d'intervenir. Il s'agit de la partie B du chapitre 11, traitant du règlement des différends entre les États investisseurs. Aux termes de ces dispositions, l'investisseur a fondamentalement l'obligation de respecter le traitement national et d'autres obligations qui sont inscrites dans le mécanisme de règlement des différends entre États investisseurs. Dans ce secteur, on a donc progressé, si l'on peut dire, en ouvrant la porte aux parties privées qui peuvent accéder à des mécanismes de règlement des différends entre gouvernements. C'est pourquoi je disais...
M. Charlie Penson: [Inaudible] les sociétés? Cela en serait un exemple?
M. Fréchette: Les investisseurs privés peuvent intenter une poursuite contre le gouvernement pour n'avoir pas respecté les obligations de traitement national ou les expropriations, selon le cas. Mais c'est un secteur où l'on a cri ce précédent.
Le président: Monsieur Cullen.
M. Roy Cullen: Je voudrais revenir à mon dossier préféré, celui du bois d'oeuvre. Je ne suis pas tout à fait à jour dans ce dossier, mais je sais qu'à un moment donné, on envisageait dans ce secteur de s'adresser directement à l'OMC. Bien sûr, l'affaire a ensuite été soumise à un groupe spécial qui a tranché en notre faveur, mais elle ne s'est pas arrêtée là. Le protocole d'entente a été signé pour cinq ans, instaurant des contingents et la paix commerciale.
Si ce dossier vous est familier, pourriez-vous me dire si on a toujours encore tendance à porter l'affaire devant l'OMC, ou si une telle démarche serait inconséquente? Lorsqu'un protocole d'entente a été conclu, ne serait-ce pas manquer de logique que de porter le cas devant l'OMC? Dans cette hypothèse, si vous prépariez votre dossier et si le secteur en question avait décidé de s'adresser au gouvernement en lui demandant de ne pas transiger, mais de porter l'affaire devant l'OMC, quels recours ou options y aurait-il, d'une façon générale, - il s'agit là d'une hypothèse, bien entendu - dont disposerait le secteur en question et qu'il n'aurait pu avoir par le processus de l'ALENA?
M. Tereposky: Je ne voudrais pas entrer dans les détails; je me contenterai d'un bref commentaire pour vous dire ce qui n'aurait pas été possible par le truchement de l'OMC, selon la loi américaine. Lorsque les obligations de l'OMC ont été mises en vigueur, les Américains ont introduit une règle d'après laquelle les décisions des groupes spéciaux de l'OMC ne seront pas appliquées rétroactivement. Dans le cas de l'Accord sur le bois d'oeuvre résineux, les droits n'auraient donc pas été remboursés, alors que le problème a pu être résolu grâce au protocole d'entente et il y a eu de gros remboursements de droits de douane. L'OMC n'aurait cependant pas réglé cette affaire, bien antérieure à la création de cet organisme.
Je m'en tiendrai là sur ce sujet.
M. Roy Cullen: À quel moment l'OMC a-t-elle été mise en oeuvre?
M. Fréchette: Le 1er janvier 1995.
M. Roy Cullen: Ah bon, en 1995.
M. Tereposky: Ses règles ne s'appliqueraient qu'aux cas de droits compensateurs exigés par les États-Unis après le 1er janvier 1995, alors que le cas cité est antérieur à cette date.
M. Roy Cullen: Mes souvenirs sont vagues sur ce point, mais il me semble qu'à un certain moment il était question de porter l'affaire du bois d'oeuvre résineux devant l'OMC. Examinons la question du point de vue du processus, ou du point de vue des règles de preuve imposées aux recours ou options. Avec l'OMC, y aurait-il eu ou y aurait-il pu avoir des recours ou options que n'aurait pas eus ce secteur avec l'ALENA, si on laisse de côté l'accord qui vient d'être conclu?
M. Fréchette: Avant que ne soit prise la décision du tribunal d'appel tranchant ce différend avec l'OMC nouvellement crie, les règles en matière de subventions ou de droits compensateurs ne s'appliquent qu'aux droits compensateurs imposés après l'entrée en vigueur; certaines branches de ce secteur affirmaient que le Canada, avec les nouvelles règles plus précises après l'entrée en vigueur de l'accord, pourrait plaider sa cause devant l'OMC.
En toute franchise, je ne me rappelle pas de la teneur du débat, à l'époque; ce n'est pas un dossier que je connais à fond, mais je me souviens que peu après la conclusion des négociations commerciales, en avril 1994 - avant que nous n'ayons mis le point final à la loi d'application canadienne - et avant l'entrée en vigueur de l'accord, le 1er janvier, certaines branches du secteur demandaient que le Canada, s'il n'était pas satisfait des mesures américaines, devrait porter l'affaire devant l'OMC. C'est tout ce que je peux dire là-dessus.
M. Roy Cullen: Très bien.
M. Winham: Il serait peut-être bon d'ajouter qu'en principe, avec l'ALENA, on peut faire appel à une question de procédures aux fins de savoir si les États-Unis ont, ou non, mis en place leurs procédures correctement, et en conformité avec les preuves. Par ailleurs, on peut saisir l'OMC de questions touchant au fond de la loi dans le cas où celle-ci soit en contradiction, par la suite, avec ses obligations aux termes de l'OMC. C'est sur cette base que vous pouvez décider de vous adresser à l'une ou l'autre tribune.
M. Roy Cullen: C'est exact: les États-Unis peuvent, à tout moment, exiger des droits compensateurs sur le bois d'oeuvre résineux.
M. Winham: C'est certain.
M. Roy Cullen: Ils pourraient soutenir, par exemple, que les contingents ne sont pas respectés, ou ils pourraient le faire tout simplement parce que ça leur chante. Ce que vous voulez dire, monsieur Winham, c'est que dans un cas pareil le gouvernement canadien pourrait présenter des arguments comme vous le proposiez, et que devant l'OMC ces arguments auraient une chance d'être entendus.
M. Winham: C'est exact. Si l'on pouvait prouver qu'une telle démarche est en contradiction avec les obligations des États-Unis aux termes du code des subventions et droits compensateurs, c'est à l'OMC qu'il conviendrait de se saisir de la question.
M. Charlie Penson: Je voudrais revenir là-dessus. Nous avons parlé de l'obligation du gouvernement canadien de consulter tous les intervenants et de donner le meilleur avis possible. Peu de temps après la conclusion du protocole d'entente, j'ai consulté un grand nombre de personnes du secteur du bois d'oeuvre résineux, et j'ai été horrifié de constater à quel point ils comprenaient insuffisamment la possibilité de saisir l'OMC de l'affaire si on nous imposait, en réalité, des droits compensateurs. Dans bien des cas, ils en étaient restés aux règles du GATT, et ne comprenaient pas les nouvelles possibilités qui s'offraient à eux.
Il était peut-être de l'intérêt de certains des membres de ce secteur d'en donner une autre interprétation, mais il me semble que lorsque ces associations professionnelles sont consultées, on devrait leur donner une information mise à jour. Elles ne semblaient pas avoir compris qu'avec la nouvelle série de négociations du GATT, dans le cadre de l'OMC, il y avait eu de gros progrès.
Je livre cela simplement à votre réflexion.
Je voudrais faire un commentaire sur la question des appels. Je ne sais qui disait que lorsqu'une décision officielle a été prise par l'OMC, la teneur de cette décision se répand et porte atteinte à la possibilité d'appel du groupe. Que répondre à cela? Faut-il conseiller de mettre fin au processus d'appel et d'accepter que la décision préliminaire devienne définitive?
M. Fréchette: La réponse la plus simple serait, pour les membres de l'OMC impliqués dans le différend, de respecter l'obligation de confidentialité.
M. Charlie Penson: Oui, mais si ce n'est pas là ce qui se passe?
M. Fréchette: En ce cas, c'est aux parties de s'incliner devant le fait que dans chaque cas, il sera porté atteinte à leurs droits pendant la période de commentaires sur ces rapports préliminaires dont elles disposent.
Ce que j'entends par là, c'est que parce que du fait que la décision devient publique, elle limite la latitude des parties en question de trouver des solutions hors du mécanisme de règlement des différends. Lorsque l'affaire devient publique, les gouvernements ont beaucoup plus de difficultés à trouver un compromis.
C'est là l'une des conséquences et la seconde, d'un point de vue purement juridique, c'est qu'il est normal pour les membres d'un groupe spécial de vouloir protéger, une fois rendue publique, une décision qu'ils ont prise. Le résultat est donc influencé par la possibilité des parties impliquées dans le différend d'influencer certains éléments qui, à leur avis, pourraient être modifiés à la suite de leurs commentaires sur la décision préliminaire.
M. Charlie Penson: Je ne vois toujours pas encore comment on pourrait porter remède à cela. Il est sans doute difficile de savoir qui divulgue l'information.
M. Fréchette: C'est tout simplement impossible. Comment savoir...
M. Charlie Penson: Les soupçons abondent. Comment pourrions-nous alors porter remède à cela sans compromettre tout le processus d'appel?
M. Fréchette: On pourrait simplement éliminer le stade du rapport préliminaire, comme l'ont proposé certaines parties...
M. Charlie Penson: Je vois.
M. Fréchette: ... et le rapport préliminaire devrait être rendu avant le rapport définitif. Mais le stade préliminaire est important, dans la mesure où certains commentaires pourraient être très positifs pour améliorer la qualité et le raisonnement des décisions. Il arrive très souvent que le groupe spécial n'ait pas examiné toutes les questions: on pourrait envisager de lui dire: auriez-vous l'obligeance d'examiner les questions suivantes que nous avons soulevées, et le groupe spécial pourrait s'y refuser, parce que la décision a déjà été rendue.
M. Charlie Penson: De tous les cas présentés jusqu'ici, il n'y en a que trois qui sont passés par le processus d'appel. Quelle a été la décision dans ces trois cas? Est-ce que la première décision a été maintenue? C'est peut-être M. Winham qui en a parlé.
M. Winham: En effet, c'était moi. Je n'ai pas lu ces décisions, mais j'ai discuté de cette question avec Debra Steger. Le problème, bien sûr, c'est qu'un cas porte peut-être sur une question, alors que l'appel ne concerne qu'une petite sous-question très étroite. Par conséquent, l'appel n'a pas forcément d'incidence sur le rapport du groupe spécial. Autrement, si je me souviens bien, elle a dit que la décision était confirmée en appel, qu'aucune n'a été renversée. Il y a jusqu'ici quatre cas qui ont fait l'objet d'un appel.
M. Charlie Penson: Une fois qu'il y a eu une décision préliminaire, il doit y avoir beaucoup de pression sur le groupe qui entend l'appel de ne pas la modifier. C'est bien ce que vous avez dit?
M. Fréchette: Je ne parle pas de l'organisme d'appel, car les remarques sur le rapport préliminaire sont présentées au premier groupe, qui a l'occasion de rendre définitive sa décision à la lumière des remarques.
M. Charlie Penson: Ah bon.
M. Fréchette: Ce que je vous dis c'est que lorsque la partie concernée par le différend essaie de soulever des questions auprès du groupe, ce dernier se trouve dans une situation très difficile. Selon la décision prise à ce moment-là, la partie aura peut-être du mal à soulever certaines questions dans son appel.
M. Charlie Penson: Il existe donc la décision préliminaire, la décision définitive et l'appel. Pour régler le problème, vous dites qu'il faudrait peut-être envisager la possibilité de supprimer la décision préliminaire.
M. Fréchette: Je n'ai pas fait une telle suggestion. Je dis, tout simplement, que les parties doivent respecter l'obligation, qu'il y ait ou non...
M. Charlie Penson: Je comprends, mais que faire si ce n'est pas le cas?
M. Fréchette: Eh bien, dans ce cas il faut que les parties essaient de trouver une solution. La seule solution qui a été trouvée jusqu'ici consiste à dire que les parties doivent respecter l'obligation. Si la situation persiste encore après deux ou trois ans, il faudra se demander sérieusement comment mettre fin à cela.
Le président: Normalement, si, dans une décision, un groupe condamne certaines pratiques commerciales, ou bien la partie qui les a adoptées peut les modifier pour respecter la décision, ou bien la partie lésée prend des mesures de rétorsion. Ces mesures peuvent être excessives, et entraîner un autre différend commercial, si je comprends bien. A-t-on déjà fait des efforts dans le cadre des décisions pour dire quelles mesures de rétorsion ou de dédommagement seraient raisonnables?
M. Fréchette: Le protocole de règlement des différends contient des dispositions à cet égard. Il faut, par exemple, que la sévérité des mesures de rétorsion ait un effet commercial équivalent sur les intérêts commerciaux touchés par la mesure. La partie lésée peut même discuter de cette question devant un groupe avant que les mesures de rétorsion ne soient prises s'il y a désaccord quant au niveau approprié des mesures de rétorsion.
Le président: Si j'ai posé la question, c'est parce que nous entendons de temps en temps des menaces assez directes de mesures de rétorsion de la part de nos amis américains. Il doit être possible de déterminer quelles mesures ils seraient autorisés à prendre selon les circonstances. Si nous n'étions pas prêts à modifier les pratiques, en supposant que l'on considérerait que certaines des mesures que nous avons prises n'étaient pas légitimes... il nous serait possible d'obtenir de la part de l'OMC une idée de l'étendue des mesures de rétorsion que les États-Unis seraient autorisés à prendre contre nous.
M. Fréchette: Tout à fait. Il y aurait une façon de le faire et c'est ce que je viens de mentionner. J'aimerais simplement vous signaler que ce genre d'allégations ont surtout été faites dans le contexte d'un différend ou d'un débat concernant l'ALENA et essentiellement dans le domaine général des industries culturelles et des mesures culturelles qu'applique le Canada. Même là, il y a une mesure spécifique dont l'objet est de contrôler le niveau des mesures de rétorsion que pourraient prendre les États-Unis contre le Canada s'il s'agissait spécifiquement d'un effet commercial équivalent.
Le président: En donnant la préférence au même secteur; c'est-à-dire que la rétorsion toucherait le secteur concerné plutôt que d'autres.
M. Fréchette: Dans le contexte de l'ALENA et dans le contexte précis des industries culturelles, il n'y a pas de dispositions spécifiques limitant le domaine auquel peut s'appliquer la rétorsion.
[Français]
Le président: Dans un tout autre domaine, vous faisiez allusion un peu plus tôt à la possibilité de développer un système qui permettrait des injonctions, des mesures conservatoires. Quelle est l'attitude du gouvernement canadien face à cette question? Il est sûr que ça demanderait un système beaucoup plus sophistiqué, beaucoup plus complexe et plus judiciaire peut-être, mais ça aurait l'avantage d'éviter des dommages et peut-être aussi de laisser plus de temps pour une décision finale.
M. Fréchette: Sur cette question très précise, le gouvernement canadien n'a pas encore d'opinion ferme. Cela fait partie des débats qui ont lieu à l'heure actuelle dans certains milieux, à Genève, où des parties commentent le fonctionnement général du mécanisme de règlement des différends. Certaines de ces parties prennent à témoin la situation à laquelle j'ai fait allusion pour dire que nous aurions peut-être dû prévoir de tels types de mécanismes.
Il est encore beaucoup trop tôt pour prédire si de tels mécanismes seront jugés appropriés. En fait, un des débats est celui de savoir si on peut affecter la capacité souveraine d'un pays d'adopter certaines mesures tant et aussi longtemps que cette mesure-là n'a pas été déclarée illégale. Dans un contexte interne, la question de la souveraineté ne se pose pas. Dans un contexte international, la légitimité des mesures adoptées par un gouvernement ou par un parlement national à l'intérieur de ses frontières est une question fondamentale. Ce type de concept, c'est-à-dire des recours pour mesures conservatoires, soulève ce genre de débats. Ce sont des débats très importants parce que les pays et les membres de l'OMC, comme dans n'importe quel contexte international, sont très jaloux de leur souveraineté nationale.
Comme je le disais, cela soulève très certainement des questions fondamentales, des questions fondamentales auxquelles nous ne sommes pas encore confrontés d'un point de vue de développement de politiques gouvernementales canadiennes. Je faisais allusion à ce genre de questions parce que ce sont des questions philosophiques qui se posent, mais à un niveau très préliminaire pour l'instant.
Le président: J'imagine qu'un tel système n'empêcherait pas un État souverain de prendre certaines mesures ou d'adopter des lois; il en suspendrait l'application pendant une période provisoire.
M. Fréchette: C'est en fait ce qui est envisagé par ceux qui favorisent ce genre d'approche. On veut faire en sorte de ne pas condamner immédiatement la mesure, mais tout simplement de voir à ce qu'elle n'ait pas d'application immédiate. Par exemple, une mesure en matière tarifaire pourrait être maintenue et serait toujours légale, mais au point de vue de son application au commerce visé par l'application de la mesure, cette mesure-là ne s'appliquerait pas. C'est un peu le genre de remède auquel certaine parties pensent à l'heure actuelle.
Le président: Notre attaché de recherche se demande si le nombre de contestations n'augmenterait pas si un tel système était disponible.
M. Fréchette: Il ne fait aucun doute que l'ajout d'un quelconque recours intermédiaire aurait pour effet d'augmenter le niveau de contestation devant l'organisme de règlement des différends. Cela en serait un exemple patent, j'imagine.
Le président: Merci beaucoup.
Oui, monsieur Penson.
[Traduction]
M. Charlie Penson: J'aimerais avoir un éclaircissement sur un domaine qui me semble un peu confus, monsieur le président.
Dans le cas d'un pays qui présente une plainte à l'OMC, si le pays pris en défaut ne respecte pas la décision et que l'on autorise une mesure de rétorsion, cela signifie-t-il que cette rétorsion s'appliquerait au même secteur dans toute la mesure du possible avant que l'on envisage d'étendre le champ de rétorsion? Pourriez-vous m'expliquer un peu les choses?
M. Winham: Non, pas d'après ce que je comprends. Il ne faut pas oublier que quelquefois les mesures de rétorsion dans le même secteur seraient impossibles parce qu'il n'y a pas de marché. On risque ainsi d'être obligé d'étendre la portée des mesures de rétorsion si l'on en arrive là.
M. Charlie Penson: Qui autorise donc cela? Est-ce que c'est l'OMC qui autorise les mesures de rétorsion?
M. Winham: L'OMC autorise des mesures de rétorsion mais c'est à la partie concernée de les appliquer.
M. Charlie Penson: Cela peut s'appliquer à n'importe quel secteur. Pas forcément au même secteur.
M. Winham: En effet. Le terme utilisé par M. Fréchette tout à l'heure était «valeur commerciale équivalente».
M. Charlie Penson: C'est la difficulté que je vois là parce qu'un certain secteur parfaitement innocent peut être touché de façon parfaitement injuste.
M. Winham: Oui, bien sûr, et c'est le problème que présentent les mesures de rétorsion dans cette formule. Mais il n'y a pas vraiment d'autres moyens de s'y prendre.
M. Charlie Penson: Je voulais simplement que ce soit clair.
M. Fréchette: À bien des égards, c'est pour faire pression sur le gouvernement en question afin qu'il fasse appliquer la décision du groupe spécial.
Le président: Il semble que notre temps soit écoulé et que nous n'ayons d'ailleurs plus de questions à poser. Permettez-moi de remercier nos trois témoins de cet exposé qui a été très utile. Nous espérons vous revoir.
La séance est levée.