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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 28 mai 1996

.0849

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Payne): La séance est ouverte.

Je m'excuse d'être arrivée un peu en retard ce matin. Les chauffeurs de taxi ne sont pas toujours très ponctuels. La prochaine fois, il me faudra sans doute appeler mon taxi une demi-heure plus tôt.

Conformément à l'article 108(2) du Règlement, nous allons commencer notre étude sur la biotechnologie. Avec votre permission, notre attaché de recherche va nous expliquer un document intitulé «Étude sur la biotechnologie: cadre et objectifs». Je crois qu'il a été distribué à tous les députés.

M. Thomas Curran (attaché de recherche du comité): Je crois que tous les députés ont un exemplaire de ce document. Il a été distribué ce matin. Vous avez peut-être même eu l'occasion de la lire.

Il s'agit donc d'un document de travail encore en cours d'élaboration, mais le greffier, le président, M. Caccia, et moi-même nous sommes rencontrés la semaine dernière et avons discuté de la douzaine de points sur lesquels porte l'étude effectuée par le comité. Nous pouvons maintenant passer le document en revue, si les députés jugent que cela serait être utile. En fait, M. Caccia a expressément demandé que le comité examine ce document et fasse des commentaires au besoin.

.0850

Permettez-moi de souligner qu'il s'agit d'un document de travail, de sorte qu'aucun de ces points n'est coulé dans le béton. Si les députés le souhaitent, d'autres points pourront être ajoutés plus tard.

Par ailleurs, vous avez en votre possession le nouveau calendrier des activités du comité, du27 mai au 20 juin 1996, si la Chambre siège jusque-là. Le document intitulé «Cadre et objectifs» tient compte des séances prévues selon le calendrier. Des représentants des ministères, des ONG et des associations viendront présenter leurs témoignages.

Lorsque j'ai rencontré le président et le greffier, nous avons divisé les points en deux groupes, soit les points cruciaux et les points incidents. Je tiens à souligner que l'expression «points incidents» ne signifie pas nécessairement que ces points sont sans importance ou moins importants. Nous avons tenté de classer les divers points par ordre de priorité.

Le premier point - et en fait nous avons fini par nous éloigner un peu de ce point un peu plus tard dans le document - est que le mandat premier du Comité permanent concerne la protection et la conservation de l'environnement et par voie de conséquence, de la santé humaine. Son étude gravite donc autour de cette question.

Au deuxième point, nous nous appuyons sur une observation de l'Association canadienne du droit de l'environnement (ACDE) qui a affirmé dans un mémoire au ministre en réaction à la réponse du gouvernement, si vous voulez, que certaines lois, notamment la Loi sur les semences, la Loi sur les engrais, la Loi sur les aliments du bétail, en vertu desquelles on propose de réglementer les produits biotechnologiques n'ont aucune autorité législative claire pour l'évaluation de ces produits d'un point de vue environnemental ou sanitaire. L'ACDE craint que cette situation rende des pans entiers du cadre réglementaire vulnérables à la contestation judiciaire. On affirme également qu'un projet de faire chapeauter les règlements par des lois qui n'ont aucune autorité explicite en matière d'évaluation environnementale et sanitaire équivaut à modifier les lois par le truchement de leur règlement.

Dans son étude, le comité tentera de déterminer si les lois susmentionnées conviennent et sont suffisantes pour protéger l'environnement et la santé humaine. Si la réponse est négative - ce qui pourrait contredire la politique actuelle du gouvernement en matière de réglementation de la biotechnologie, c'est-à-dire le cadre de réglementation de 1993 - il faudrait envisager de proposer des changements aux lois actuelles.

Je vais m'arrêter après chaque point pour permettre aux députés de faire leurs commentaires au fur et à mesure.

La vice-présidente (Mme Payne): Au début de la séance, je ne me suis pas présentée et je m'en excuse. La plupart des gens autour de la table savent que je m'appelle Jean Payne et que je suis vice-présidente du comité.

J'aimerais vous demander si vous avez des observations à faire au sujet de ce qui a été lu jusqu'à présent. Les députés ministériels ont-ils des questions ou des commentaires?

M. Curran: Le greffier nous informe que nous avons environ cinq minutes pour finir de vous présenter ces divers points. Si après réflexion les députés aimeraient poser ou soulever des questions, ils pourront communiquer avec le greffier qui m'en fera part. Nous apporterons à ce document tous les amendements qui seront nécessaires.

Le troisième point: Préoccupé qu'il est de l'efficacité de toutes les lois et de tous les règlements pertinents en matière de protection écologique et sanitaire, le comité demandera aux témoins, venant des ministères ou non, leur avis sur l'efficacité des règlements sur la biotechnologie proposés en vertu d'autres lois fédérales, comme la Loi sur les aliments et drogues, la Loi sur les produits antiparasitaires, la Loi sur la santé des animaux et la Loi sur les pêches.

Le quatrième point: Tant les porte-parole des ministères que ceux de l'industrie affirment que ce sont les produits et non les procédés biotechnologiques qui doivent être réglementés, et donc les procédés devraient échapper à la réglementation. Le comité tentera de déterminer s'il faut craindre que les divers procédés servant à obtenir les produits vivants et non vivants de la biotechnologie ne menacent l'environnement et la santé humaine, et s'il faut donc les réglementer. On demandera aux témoins de faire des observations à ce sujet.

.0855

Le cinquième point concerne la question de l'étiquetage des aliments produits à partir de transfert de gènes, par exemple. Cette question a été soulevée fréquemment. C'est Santé Canada et Agriculture Canada qui ont la responsabilité de l'étiquetage des aliments. Il y a une erreur dans ce document. En réalité, les deux ministères se partagent la responsabilité en matière d'étiquetage des aliments.

Techniquement, cette question déborde du mandat du comité. Cependant, la question est importante et les membres du comité s'y intéressent beaucoup, de sorte que nous inviterons des témoins pour aborder cette question.

Le comité juge important de voir s'il existe déjà un système efficace pour identifier et suivre les espèces transgéniques qui entrent dans le système alimentaire canadien, afin de faire en sorte que des protéines potentiellement antigéniques, par exemple des noix - et la noix du Brésil est un exemple qui a été cité à de nombreuses reprises - produites dans les légumineuses, par exemple, dans ce cas-ci le soja, soient identifiées adéquatement aux fins de la sécurité du consommateur.

Le sixième point: Compte tenu de la diversité des produits de la biotechnologie, et du fait que plusieurs lois fédérales administrées par des ministères différents s'y appliquent, on peut se demander s'il y a uniformité suffisante dans les exigences de notification et d'évaluation. Logiquement, on en vient à se demander si les ministères échangent de l'information et collaborent sur cette question, ce qui aura un impact sur la cohérence, la sévérité et l'efficacité des règlements.

Le septième point: Certains groupes de l'industrie, comme l'Institut canadien pour la protection des cultures, considèrent que les directives seules, sans règlements, constituent la façon la plus efficace de régir les produits de la biotechnologie. À l'appui de cette affirmation, on soutient que la technologie avance si vite que seules les directives offrent la souplesse nécessaire pour répondre aux besoins futurs de notification et d'évaluation.

Je vais passer en revue les questions incidentes assez rapidement.

Le huitième point est la question de la participation du public aux décisions réglementaires.

Le neuvième point: L'ACDE et d'autres ont soulevé la question de savoir si le public devrait avoir le droit de formuler des avis d'objection face à l'autorisation d'importer, de fabriquer, d'utiliser, de vendre, d'exporter ou de libérer dans l'environnement des produits biotechnologiques.

Le dixième point: Le comité entend étudier la question de savoir dans quelle mesure le public devrait avoir accès à l'information sur les produits de la biotechnologie, tout en tenant compte du besoin de l'industrie de protéger la confidentialité de ces données.

Le onzième point concerne une base de données sur la libération dans l'environnement des produits biotechnologiques.

Le douzième point: Que le projet du gouvernement de renouveler la LCPE, présenté en réponse à l'examen de cette loi par le comité, propose le recouvrement des coûts par l'État pour le traitement des demandes de permis d'activités de biotechnologie réglementées, la délivrance des permis et le contrôle des effets écologiques des activités autorisées par les permis. La question qu'il convient de poser est la suivante: Le recouvrement des coûts par l'État devrait-il faire partie de toute loi portant sur les produits de la biotechnologie?

Voilà les 12 points. Nous n'avons pas vraiment le temps d'en discuter ce matin. Si les membres du comité ont des observations à faire ou des points qu'ils voudraient ajouter à ce document de travail, je leur demanderais de bien vouloir les communiquer au greffier.

La vice-présidente (Mme Payne): Merci beaucoup. Vous respectez les ordres à la lettre.

M. Curran: Oui.

La vice-présidente (Mme Payne): Monsieur Adams.

M. Adams (Peterborough): Je serais heureux de discuter de cette question plus tard car j'ai peut-être raté quelque chose au tout début, mais cette étude doit-elle déboucher sur un rapport et, dans l'affirmative, quelle serait l'échéance approximative? Ou l'étude pourrait-elle déboucher sur autre chose?

M. Curran: Après en avoir parlé avec le président, nous ne sommes pas sûrs qu'il y aura un rapport.

Mme Kraft Sloan (York-Simcoe): J'en ai parlé au président, qui m'a indiqué que le comité décidera s'il y a lieu, quand l'étude sera terminée, de publier un rapport ou une série de recommandations. Il est probable que, eu égard au calendrier de nos travaux, cela se produise en septembre.

M. Adams: Merci.

La vice-présidente (Mme Payne): Merci beaucoup.

Nos témoins sont là devant nous: Mark Winfield, directeur de la recherche, Institut canadien du droit et de la politique de l'environnement; Audrey Barron, directrice du groupe Canadian Organic Growers; Maureen Press-Merkur, directrice de la Women and Environments Education and Development Foundation; et Cathy Wilkinson, directrice du Réseau canadien de l'environnement.

.0900

Je souhaite la bienvenue à tous et chacun d'entre vous. Nous commencerons par l'exposé deM. Winfield. Les autres pourront suivre dans l'ordre où elles ont été présentées.

Monsieur Winfield.

M. Mark Winfield (directeur de la recherche, Institut canadien du droit et de la politique de l'environnement): Merci, madame la présidente.

Je m'appelle Mark Winfield, et je suis directeur de la recherche à l'Institut canadien du droit et de la politique de l'environnement. Je suis aussi président du caucus de la biotechnologie du Réseau canadien de l'environnement.

Je tiens à remercier le comité d'avoir bien voulu nous permettre de soulever ces questions. Il y a un urgent besoin de discuter de ces questions concernant la réglementation de la biotechnologie et de l'environnement.

J'ai demandé à Cathy Wilkinson de vous présenter la première partie de notre témoignage par un court aperçu du travail du groupe de la biotechnologie dans les domaines auxquels il s'intéresse. Puis, Maureen Press-Merkur présentera une vue d'ensemble des préoccupations environnementales relatives aux applications de la biotechnologie de même qu'un aperçu de certaines des constatations qui ressortent des travaux d'enquête sur l'opinion publique quant à l'idée que le public se fait de la biotechnologie.

Mme Barron vous parlera ensuite de questions liées à la biotechnologie et à l'agriculture, notamment du point de vue des producteurs biologiques. Je conclurai par des observations sur les mesures législatives que le gouvernement propose d'inclure dans la LCPE, comme il l'indique dans sa réponse de décembre 1995 au rapport de juin 1995 du comité sur la LCPE.

Avant de commencer, je tiens à vous signaler quelques documents que nous vous avons distribués. Je veux simplement m'assurer que tous les membres du comité les ont reçus. Nous avons distribué des exemplaires d'un mémoire assez volumineux intitulé «Pour l'avenir de qui?», qui a été rédigé par le caucus de la biotechnologie du RCE en réaction à la réponse du gouvernement au rapport du comité permanent. Ce mémoire a été entériné par 89 organismes de tout le Canada qui représentent une multitude de secteurs. Le document est disponible en anglais et en français.

Je vous ai également fait remettre des exemplaires d'un livret intitulé «Il s'agit toujours de notre santé.» Ce document rédigé par le caucus des substances toxiques traite de l'examen de la LCPE en général. Ce document est aussi disponible en anglais et en français.

En outre, nous avons fait remettre des exemplaires d'un livre publié par l'Institut qui s'intitule The Citizen's Guide to Biotechnology. Malheureusement, ce livre n'est pas disponible dans les deux langues officielles. Nous essayons d'obtenir des fonds pour le faire traduire en français, de sorte que le document n'existe qu'en anglais pour l'instant.

Nous vous avons également distribué des exemplaires d'un petit feuillet qui a été rédigé par le caucus de la biotechnologie et des questions environnementales intitulé «Biotechnology: Forging Ahead in Secret, in Haste and for Profit». Ce document aussi n'existe malheureusement qu'en version anglaise.

Enfin, nous vous avons fait remettre copie d'un court mémoire de Rod MacRae, coordonnateur de la recherche au Conseil de la politique alimentaire de Toronto. M. MacRae aurait voulu être des nôtres aujourd'hui, mais il lui a été impossible de se joindre à nous. Il a rédigé un court mémoire sur la biotechnologie et l'agriculture durable.

Par ailleurs, nous déposerons auprès du greffier trois autres documents qui pourront être consignés au compte rendu. Le premier s'intitule «Enabling Biotechnology». Il a été rédigé par l'Institut canadien du droit et de la politique de l'environnement en janvier 1995, à l'intention du ministère du Développement économique et du Commerce de l'Ontario. Les questions relatives à la biotechnologie y sont examinées sous divers aspects: environnement, santé, société et éthique. Cette étude sur la biotechnologie contient un certain nombre de communications sur l'avenir de la protection du consommateur, de la protection des animaux, de l'agriculture durable et de la situation de la femme qui ont été spécialement commandées pour l'étude. Sont aussi rapportées dans l'étude les déclarations que diverses organisations ont faites sur la biotechnologie. Je dépose les documents auprès du greffier.

Je voudrais aussi déposer copie d'un document, encore là à titre d'information, qui a été rédigé par la Union of Concerned Scientists des États-Unis. Le document, qui s'intitule Perils Amidst the Promise: Ecological Risks of Transgenic Crops in a Global Market présente une vue d'ensemble des questions environnementales liées aux cultures transgéniques.

Enfin, nous vous ferons remettre des exemplaires des mémoires de l'Institut canadien du droit et de la politique de l'environnement et de l'Association canadienne du droit de l'environnement relativement à la réponse du gouvernement à l'examen de la LCPE.

.0905

Je demanderais à Mme Wilkinson de commencer notre témoignage en faisant le point sur le travail du Caucus de la biotechnologie du RCE.

La vice-présidente (Mme Payne): Merci.

Madame Wilkinson.

[Français]

Mme Cathy Wilkinson (coordonnatrice des caucus et des consultations, Réseau canadien de l'environnement): Bonjour. Je m'appelle Cathy Wilkinson. Je suis coordonnatrice des caucus et des consultations au Réseau canadien de l'environnement. Le Réseau regroupe quelque1 400 groupes écologistes au Canada. Au niveau national, le RCE comprend 16 caucus qui travaillent sur des questions environnementales telles que les substances toxiques, l'évaluation environnementale, les mines et la biotechnologie.

Le Caucus de la biotechnologie existe depuis 1992. Il est composé de 100 groupes écologistes de chaque province et territoire du Canada qui travaillent aux niveaux local, régional, national et international. Pendant quatre ans, le Caucus a participé à un processus pluripartite pour établir des réglementations sous l'égide la Loi canadienne sur la protection de l'environnement concernant les produits de la biotechnologie. Les membres du Caucus suivent également l'examen du LCPE.

En mars, 90 groupes écologistes d'agriculteurs et de consommateurs ont ratifié les recommandations préparées par le Caucus sur la réponse gouvernementale au rapport émis par le Comité permanent de l'environnement et du développement durable. M. Winfield va vous présenter ces recommandations un peu plus tard ce matin.

Les membres du Caucus suivent également la question de l'étiquetage des aliments qui sont des produits de manipulations génétiques. En 1994, le caucus a participé à un atelier d'Agriculture Canada sur l'étiquetage. L'an passé, les membres du Caucus ont fait des commentaires sur l'ébauche d'une ligne de conduite en matière d'étiquetage diffusée par Agriculture Canada.

Malheureusement, les lignes de conduite n'exigeraient pas que les produits de la biotechnologie soient étiquetés. Elles suggèrent plutôt l'étiquetage à titre de mesure volontaire. Plusieurs membres du Caucus estiment que l'étiquetage est essentiel afin de permettre aux Canadiens de choisir leurs aliments en toute connaissance de cause.

Au niveau international, les membres du Caucus suivent les négociations sur le protocole proposé de biosécurité qui portera sur le transport transfrontalier des produits de la biotechnologie. Le protocole proposé sera sous l'égide de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique des espèces.

Le Caucus de la biotechnologie est l'un des caucus les plus divers et les plus actifs du Réseau canadien de l'environnement. Il a la volonté de continuer à travailler avec le comité, le ministère et le ministre sur ces importantes questions. Merci.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Payne): Merci, madame Wilkinson.

Madame Press.

Mme Maureen Press-Merkur (directrice, Women and Environments Education and Development Foundation): Bonjour. Je tiens à remercier le comité de me donner l'occasion de parler de la question des dispositions de la LCPE sur la biotechnologie.

Je prends la parole devant vous aujourd'hui en tant que membre du Women's Network on Health and the Environment (WNHE), projet de la Fondation WEED. Le réseau des femmes est une organisation non gouvernementale à but non lucratif qui a été créé en 1995 dans la foulée du programme sur les Grands Lacs et leurs effets sur la santé et qui a réuni des femmes de tout l'Ontario pour discuter de questions liées à la santé et à l'environnement. Le WNHE fait maintenant partie d'un mouvement mondial qui prend de plus en plus d'ampleur et qui s'intéresse à la prévention de la pollution qu'il considère comme le moyen le plus négligé d'assurer notre santé à tous.

Le WNHE a pour objectif de promouvoir la compréhension des liens qui existent entre la santé et l'état de l'environnement; de diffuser de l'information sur les problèmes de santé qui sont causés ou aggravés par les contaminants qui se retrouvent dans notre environnement; d'amener le public à comprendre et à accueillir les industries et les procédés verts, l'agriculture biologique et les sources d'énergie renouvelables qui ne présentent pas de risques; et de promouvoir les questions environnementales comme des questions de justice sociale. Grâce à notre bulletin, plus de1 200 groupes et particuliers dans les différentes régions du Canada et des États-Unis sont tenus au courant des recherches et des nouvelles les plus récentes.

Je voudrais commencer par vous décrire brièvement la distinction critique qui doit être faite entre la biotechnologie traditionnelle, qui est utilisée depuis des milliers d'années dans le domaine de l'agriculture, et le génie génétique, qui est un élément particulier de la biotechnologie et qui n'est utilisé que depuis les années 1970.

La biotechnologie traditionnelle est simplement la pratique tout à fait courante de se servir d'un organisme vivant pour produire quelque chose. L'exemple le plus ancien, et qui vaut encore aujourd'hui, cela va sans dire, c'est celui de la levure qui est utilisée pour produire de la bière, du vin ou du fromage. Le jardinier amateur qui greffe une variété de rosier sur un autre pour produire une plante unique en son genre se sert, lui aussi, de la biotechnologie.

Le génie génétique est cependant fondamentalement différent. Ici, l'ADN, la base de toute vie, est modifiée par l'incorporation ou l'addition du matériel génétique d'une espèce à une autre; par exemple, on peut prendre le matériel génétique d'un poisson et l'incorporer à un séneçon perle.

.0910

De cette façon, les scientifiques peuvent ajouter des caractéristiques très spécifiques à des plantes, des animaux et des micro-organismes et provoquer des combinaisons génétiques qui ne se produiraient pas naturellement. C'est très différent de la pratique qui consiste à cultiver un aliment ou une récolte à partir des caractéristiques les plus positives naturellement propres à une espèce. La barrière des espèces est maintenant franchie et nous pouvons créer des organismes, des plantes et des animaux jamais encore vus dans la nature.

Les produits biotechnologiques utilisées dans l'agriculture, l'exploitation minière, le traitement des eaux usées, l'exploitation forestière, les pêches et d'autres secteurs présentent un certain nombre de risques spéciaux pour l'environnement et la santé qui les distinguent des produits conventionnels. Deux grands sujets de préoccupations ont été identifiés.

Beaucoup de produits biotechnologiques incluent des formes de vie qui peuvent se reproduire. Une fois libérés dans l'environnement, ils peuvent se répandre et se transformer ou transférer leur matériel génétique. Une fois dans l'environnement, les produits biotechnologiques et leur matériel génétique peuvent difficilement être contrôlés.

Les techniques utilisées pour le développement de produits biotechnologiques existent depuis seulement 20 ans. L'évaluation des résultats, pour ce qui est des dommages possibles à l'environnement, est extrêmement ardue. La littérature scientifique reflète une préoccupation générale reliée à l'absence de méthodes adéquates pour évaluer les effets de ces produits sur l'environnement et la santé.

Les méthodes visant à prédire les répercussions de l'introduction délibérée de nouvelles formes de vie ne sont pas encore au point. Les risques possibles associés aux produits biotechnologiques ont été décrits par l'Environmental Protection Agency américaine comme faibles mais lourds de conséquences. Les choses peuvent bien se passer. S'il survient un problème, cependant, même mineur, l'impact sur l'environnement peut être plus dévastateur et irréversible.

De façon générale, les risques pour l'environnement reliés à la création de produits biotechnologiques sont prédits à partir de l'expérience passée avec ce qu'on appelle des «espèces exotiques»; il s'agit des espèces d'une région du monde qui sont introduites dans une autre et qui n'ont pas de contrôles naturels ou de prédateurs dans leur nouvel environnement, comme les moineaux au Canada, les lapins en Australie, les plantes kudzu dans le sud des États-Unis. Ces espèces peuvent proliférer de façon incontrôlable et perturber, parfois détruire, l'écosystème naturel.

On a identifié un certain nombre de risques précis reliés aux produits issus des biotechnologies ou du génie génétique. Ils incluent la création de nouveaux parasites - par exemple, un riz résistant au sel qui se propagerait en dehors des champs où il serait créé - l'augmentation de l'effet des parasites existants - par exemple, la résistance aux herbicides qui pourrait se transmettre d'une récolte normale à une mauvaise herbe, ce serait facile du canola à son proche cousin, le colza par exemple, les quelque 55 espèces de mauvaises herbes aux États-Unis qui sont maintenant complètement tolérantes aux pesticides du groupe triazine, situation que pourraient aggraver les récoltes résistantes aux herbicides - ; des torts possibles aux espèces non visées, y compris les humains, pour ce qui est des effets, de la toxicité, du pouvoir pathogène; des dommages irréversibles à la biodiversité existante, à la suite de l'élimination d'espèces naturelles désirables; des dommages au fonctionnement de l'écosystème - par exemple, des arbres manipulés génétiquement en vue de croître plus rapidement pourrait s'accaparer tous les nutriments du sol; enfin, la décomposition incomplète des produits chimiques dangereux par les micro-organismes utilisés dans la bio-dégradation accélérée, ce qui laisse présager encore plus de produits toxiques dérivés. Ces risques possibles doivent être examinés attentivement avant que des organismes manipulés génétiquement puissent être libérés dans l'environnement.

Le degré de consensus chez les Canadiens est surprenant pour ce qui est de la biotechnologie et de l'importance de la protection de l'environnement de façon générale. Deux sondages nationaux récents menés l'année dernière par le Groupe Angus Reid et par Ekos Research, indiquent que les Canadiens placent l'environnement au deuxième rang de leurs trois principales préoccupations. Selon le sondage Ekos mené auprès de la population dans son ensemble, les Canadiens placent la liberté au premier rang, suivi de l'écologie, un environnement sain, selon les termes utilisés, et la santé. Le sondage Angus Reid indique que l'environnement vient tout de suite après l'économie dans l'esprit des Canadiens.

Qui plus est, selon le sondage Angus Reid, les Canadiens s'inquiètent de plus en plus de l'impact de la contamination environnementale sur leur santé. Comme le dit John Wright, le vice-président principal aux affaires publiques chez Angus Reid, cette question risque d'être une question clé dans la prochaine phase du débat sur l'environnement.

.0915

Les pratique biotechnologiques qui peuvent entraîner un usage plus fréquent des herbicides ou un retour aux anciens herbicides, aux herbicides plus toxiques, inquiètent plus particulièrement les femmes. La loi ne contient actuellement pas de critères permettant d'évaluer l'oestrogénicité des substances, c'est-à-dire leur habileté à imiter l'hormone oestrogène du corps. La question concerne les hommes comme les femmes.

Beaucoup de substances utilisées couramment dans l'industrie ou l'agriculture sont reliées à des dommages causés au système endocrinien - c'est-à-dire le système hormonal - ou au système immunitaire, lesquels augmentent le nombre de cancers du sein, des testicules et de la prostate. La fertilité chez les hommes comme les femmes a diminué de 50 p. 100 depuis la Seconde Guerre mondiale, époque à partir de laquelle l'utilisation de ces substances s'est répandue. Beaucoup de scientifiques, de chercheurs et de simples Canadiens s'inquiètent de l'impact dévastateur de ces produits chimiques sur leur vie et sur la faune.

Les gens se posent des questions au sujet de pratiques comme le génie génétique qui consacrerait l'usage de produits chimiques en agriculture au augmenterait, dans le cas des récoltes résistantes aux herbicides, les quantités de résidus chimiques dans notre régime alimentaire.

Au cours des deux dernières années, j'ai eu l'occasion de rencontrer des douzaines de personnes au pays et aux États-Unis, titulaires de doctorats dans des disciplines comme l'épidémiologie, la toxicologie et, ma favorite, la psychoneuroendocrinologie, des infirmières, des agriculteurs, des maîtresses de maison et des mères. Toutes ont dit s'inquiéter de plus en plus de l'impact de la biotechnologie sur la santé et la santé de leurs enfants.

Il ne saurait être question d'un manque d'information. Beaucoup ont pris le temps de lire les journaux et de s'éduquer, ou ont les connaissances nécessaires pour bien comprendre la question. Au contraire, plus les gens sont informés, plus ils se disent effrayés par les risques reliés à la biotechnologie.

Un sondage Optima publié au mois de novembre 1994, par exemple, donne une bonne idée du sentiment des Canadiens au sujet de la biotechnologie et des produits qui en sont issus. Quelque42 p. 100 des personnes interrogées ont exprimé l'avis que la science et la technologie avaient rendu le monde plus dangereux. En outre, 41 p. 100 d'entre elles ont fait valoir que les Canadiennes ne devraient pas accepter de risques, quels qu'ils soient, reliés aux produits biotechnologiques, même aux dépens de l'économie.

Les Canadiens s'entendent comme jamais auparavant pour ce qui est de l'étiquetage: 96 p. 100 souhaitent que le lait contenant le rBGH ou BST soit étiqueté en conséquence et 94 p. 100 demandent que les tomates manipulées génétiquement soient identifiées comme telles. Ils sont également très clairs pour ce qui est du rôle du gouvernement fédéral. Seulement 37 p. 100 des répondants disent souhaiter que le gouvernement appuie financièrement la recherche au niveau des sociétés. Encore moins, soit 33 p. 100, demandent au gouvernement de développer des produits biotechnologiques à usage commercial. En revanche, une forte majorité des personnes interrogées, soit 87 p. 100, demandent au gouvernement de protéger les travailleurs et d'évaluer la sécurité des produits.

Il est intéressant de noter que 75 p. 100 des répondants disent souhaiter que le gouvernement s'intéresse à l'aspect éthique de la biotechnologie. Ce consensus étonnant montre clairement que les Canadiens veulent s'arrêter à la question et réfléchir à la nécessité, l'efficacité, l'innocuité et l'impact de la biotechnologie avant d'accepter la commercialisation de ces produits sur une grande échelle.

Enfin, je voudrais parler brièvement de ce que je considère comme une question fondamentale reliée à la biotechnologie. Un de mes collègues, Rod MacRea, dont vous avez reçu un mémoire, estime que la biotechnologie offre des solutions technologiques à des problèmes créés au départ par la technologie. Face aux innovations de la biotechnologie, nous sommes sur un tapis roulant dont la vitesse augmente constamment.

Dans bien des cas, la biotechnologie s'attaque aux symptômes, mais non pas à la racine du mal. Les récoltes résistantes aux herbicides par exemple ne contribuent pas à réduire le volume de produits chimiques dans notre atmosphère, notre sol, notre nappe phréatique ou notre régime. C'est plutôt la monoculture, la pratique qui consiste à planter la même récolte au même endroit année après année, et qui permet aux mauvaises herbes de s'établir fermement.

En 1945, lorsque les agriculteurs pratiquaient la rotation et la diversification de leurs cultures, ils ne perdaient que 3 p. 100 de leurs récoltes à cause des parasites. Maintenant, ils peuvent s'attendre en à perdre quelque 12 p. 100. Le chiffre a quadruplé. Manifestement, ce n'est pas en utilisant davantage les produits chimiques ou différents produits chimiques ou en les utilisant différemment qu'on va régler ce problème. Il en va de même dans le cas des arbres et des poissons manipulés sur le plan génétique pour atteindre plus rapidement leur niveau de maturité.

Le problème ne provient pas de la faune, mais de la façon dont nous tenons à récolter ces précieuses ressources naturelles. Ce n'est pas en décimant les ressources actuelles de nos océans et de nos forêts pour les remplacer par des plantes et des animaux modifiés sur le plan génétique qui dépendent complètement d'un usage intensif de produits chimiques et nutritifs que nous réglerons le problème de l'augmentation des contaminents ni des pratiques qui vont à l'encontre du développement durable.

Tout comme la philosophie qui consiste à prévenir la pollution plutôt qu'à en traiter les résultats, il faudrait promouvoir par la LCPE, des pratiques qui soient vraiment durables. Nous ne devons pas mettre en place ou favoriser une technologie qui ne fera qu'accroître nos problèmes actuels.

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La réalité de la biotechnologie se situe quelque part entre l'enthousiasme de l'industrie et la vision cauchemaresque du génie génétique présentée dans le film Le parc jurassique. Une fois créé, un nouveau micro-organisme, une nouvelle plante ou un nouvel animal ne pourra peut-être pas être contrôlé. Il nous faut donc avancer très prudemment.

Merci.

La vice-présidente (Mme Payne): Merci, madame Barron.

Mme Audrey Barron (directrice, Canadian Organic Growers): Madame la présidente, mesdames et messieurs, je tiens moi aussi à vous remercier de me donner l'occasion de vous présenter le point de vue des Canadian Organic Growers. Je fais partie de ce groupe depuis 20 ans, depuis sa création. Je suis membre de l'Association SOIL depuis plus de 30 ans et membre du Forum génétique depuis trois ans.

Le groupe Canadian Organic Growers a comme buts et objectifs d'effectuer des recherches sur des solutions de rechange aux pratiques chimiques traditionnelles et de fournir les personnes- ressources et la tribune nécessaire pour soutenir les systèmes de commercialisation locaux et promouvoir une plus grande autosuffisance alimentaire. Nous aidons également à faire comprendre, par l'éducation et la démonstration, la valeur et l'intégrité des aliments biologiques. Nous constatons qu'au ministère de l'Agriculture, on a tendance à encourager la production agricole et la transformation des aliments de type industriel. Plus nous faisons enquête et plus nous en apprenons, plus nous sommes convaincus que ce n'est pas la voie à suivre pour l'avenir pour la santé de la population, l'environnement et la faune.

Vu le degré d'acceptation de la modification génétique des cultures, des animaux et de la transformation, nous craignons que le public perde confiance dans nos produits biologiques à cause du recours à cette technologie révolutionnaire qu'à notre avis on nous impose. Selon nous, l'étiquetage doit être complet et obligatoire, pour permettre aux consommateurs de faire un choix, comme cela devrait se faire dans une société démocratique.

En notre qualité de producteurs et de consommateurs d'aliments biologiques, nous pensons que nous sommes près de la terre, et donc plus conscients des changements qui se produisent autour de nous. Dans notre culture aujourd'hui, il semble que nous accordons aux sciences et à la technologie, une autorité presque mystique, ne parlant comme nous le faisons que de «progrès», «compétitivité» et «famine», et pourtant, nous sommes persuadés que ce sont les producteurs de produits biologiques écologiques qui sauveront la base alimentaire si la technologie des monocultures à base génétique étroite s'implante et échoue.

La différence d'approche, c'est que l'agriculture industrielle vise à gagner de l'argent, ce qui est bien pour quelques-uns - tout étant axé sur le bilan financier. Le producteur agricole est le plus bas dénominateur commun. Les agriculteurs qui utilisent la technologie des formes de vie modifiées sur le plan génétique deviennent les gardiens de gènes qu'ils ne contrôlent pas comme ils pouvaient le faire par le passé. Ils paieront plus cher des semences brevetées et des services supplémentaires qu'ils devront finir par utiliser. C'est un pouvoir génétique exercé par des sociétés qui contrôlent les marchés de producteurs et qui dictent les prix.

Sauf pour ce qui est de la réglementation gouvernementale qui limite les quantités, le producteur biologique exerce un contrôle complet. Il vise la production d'un produit sans contaminants et il cherche à gagner modestement sa vie. Les producteurs biologiques aimeraient penser qu'ils maintiennent la liberté de choisir, de recycler leurs semences et de les vendre. Ils ne veulent pas payer les droits de brevet ni être obligés d'utiliser des herbicides. Ils ont démontré que peu c'est mieux pour un mode de vie sain, qu'il est préférable de ne pas consommer ou utiliser les insecticides - il suffit de regarder les derniers rapports sur la santé des agriculteurs mâles qui utilisent des produits chimiques.

Comme la production biologique exige demande une main-d'oeuvre, plus de personnes y travaillent. Le principe sous-jacent à l'agriculture biologique durable, selon la Station de recherche de la Ferme Elm au Royaume-Uni, consiste à voir la santé du sol, des plantes, des animaux et de l'homme comme un tout indivisible. Un sol vital et sain, voilà ce qui est essentiel à l'agriculture durable.

L'agriculture biologique est un système de production qui respecte les cycles naturels sans remplacer ni détruire par l'utilisation de techniques inappropriées. Utiliser des organismes modifiés sur le plan génétique, c'est rejeter les raisons d'être les plus fondamentales de l'agriculture biologique. La menace d'une invasion accidentelle de ces organismes pourrait compromettre tout le concept. Une fois libérés, on ne peut pas rappeler les organismes génétiquement modifiés. Il n'y a pas de mécanisme à toute épreuve. Voilà ce qui menace la production agricole biologique. En effet, pour elle, le concept même permet de détruire avant qu'il n'y ait de réel dommage.

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Les producteurs biologiques estiment également qu'il est essentiel de préserver les semences. Comme l'a dit Pat Mooney, ces nouvelles variétés de semences remplaceront les variétés existantes, ce qui pourrait réduire plus que jamais la base génétique des cultures.

Dans une étude publiée en avril 1996, la FAO signalait que la perte massive de gènes de plantes constitue une grave préoccupation. Le rapport présente un plan d'action qui précise comment les petits agriculteurs peuvent conserver les semences à une époque où certaines banques de gènes se détériorent rapidement. L'expansion de l'agriculture commerciale moderne et l'introduction de nouvelles variétés de cultures sont principalement responsables de la perte de diversité génétique. Comment ce plan peut-il être mis en place si l'on brevette les semences sans indiquer sur l'étiquette qu'il s'agit de semences modifiées sur le plan génétique?

Pour l'industrie et les organismes de réglementation gouvernementale, on devrait se baser sur la science pour décider si un produit ou un organisme génétiquement modifié devrait être étiqueté car elle seule permet de juger de l'innocuité d'un aliment. Nous pourrions vous citer de nombreux cas où il est maintenant démontré qu'on s'était trompé. Le problème avec ce genre de débat, c'est qu'il laisse toujours les questions sociales et morales de côté.

Le sous-ministre adjoint de la Santé a déclaré dans son exposé à la Conférence Codex ce mois-ci que l'étiquetage permet au consommateur de faire un choix éclairé et que son contenu et sa présentation influencent manifestement ce choix. Comment choisir si l'industrie n'appose pas d'étiquettes indiquant qu'il s'agit de produits modifiés sur le plan génétique? Si l'industrie est aussi fière de ses produits qu'elle le prétend, pourquoi cette réticence à y apposer des étiquettes? Il peut sembler s'agir d'une question complexe, mais tous les aliments kascher sont étiquetés et ce, semble-t-il, sans problème.

C'est avec appréhension que nous constatons que certains produits sont déjà commercialisés, mélangés à des produits traditionnels comme par exemple les pommes de terre New Leaf. Le ministère de l'Agriculture juge que ces pommes de terre génétiquement modifiées équivalent essentiellement aux pommes de terre normales et que par conséquent, elles n'ont nul besoin d'étiquette. C'est précisément ce caractère invisible qui nourrit la perception du public que les entreprises, peut-être de connivence avec les gouvernements, tentent de nous cacher quelque chose. Voilà ce qui pousse le public à exiger l'étiquetage. C'est, semble-t-il, la seule façon de reprendre un certain contrôle individuel sur ce que nous mangeons.

Les semences sont de la première importance. Si nous ne pouvons nous procurer de semences biologiques, nous ne pouvons pas produire biologiquement. La Fédération internationale des mouvements d'agriculture biologique interdit l'utilisation de semences modifiées sur le plan génétique. L'étiquetage est important, parce que nous devons savoir ce que nous achetons vu les normes d'homologation. Nous ne voyons pas pourquoi on n'étiquetterait pas les semences.

À la lumière de rapports récents provenant de l'Écosse et du Danemark, les risques d'invasion sembleraient plus graves que prévu. Les gènes transplantés peuvent être libérés malgré les obstacles imposés par l'hôte originel et se recombiner pour créer de nouveaux organismes virulents qui peuvent s'attaquer à d'autres espèces.

Vu l'état avancé de cette technologie, il faut que le producteur et le consommateur aient le choix, le droit de savoir ce qu'ils mangent. L'étiquetage est essentiel pour de nombreuses personnes et non pas uniquement pour les consommateurs atteints d'allergies ou pour des raisons religieuses. À n'en pas douter, un pays capable de créer le Canadarm peut trouver un système d'étiquetage.

La vice-présidente (Mme Payne): Merci beaucoup.

Monsieur Winfield, je pense que vous voulez résumer quelque chose.

M. Winfield: En fait, j'aimerais parler essentiellement de la proposition du gouvernement du mois de décembre 1995 en vue de la réglementation de la biotechnologie telle que présentée dans «Mesures législatives sur la protection de l'environnement conçues pour l'avenir». Mes remarques seront tirées du document Pour l'avenir de qui? que vous avez en main. Mes propos sont semblables à ceux de l'Association canadienne du droit de l'environnement et de l'Institut canadien du droit et de la politique de l'environnement.

Nous sommes très préoccupés par les propositions du gouvernement. En fait, nous considérons que par rapport aux dispositions actuelles de la LCPE sur la biotechnologie, elles sont un pas en arrière. À notre avis, elles affaibliront ainsi la protection de la santé et de l'environnement des Canadiens face aux produits de la biotechnologie.

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Nous sommes très préoccupés par certains commentaires formulés par le gouvernement dans sa réponse au sujet de la biotechnologie, notamment par le fait qu'il semblerait qu'il fasse passer la promotion d'innovations, l'investissement dans la biotechnologie et l'obtention d'un avantage concurrentiel pour l'industrie canadienne avant la protection de la santé humaine et la qualité de l'environnement. En fait, vous d'ailleurs constaterez que la première recommandation dans le document intitulé Pour l'avenir de qui? précise qu'à notre avis le gouvernement du Canada devrait faire de la protection de la santé humaine, de la sécurité et de l'environnement ses principales priorités de réglementation en matière de biotechnologie.

À notre avis, les modifications que propose le gouvernement à la LCPE affaibliront les dispositions actuelles de la loi à trois grands titres. Tout d'abord, elles élimineront l'exigence actuelle que tous les produits de la biotechnologie soient évalués sur le plan de l'environnement et de la santé humaine avant d'être importés, ou fabriqués ou vendus au Canada. Les dispositions actuelles prévoient que tout doit faire l'objet d'une notification et d'une évaluation pré-fabrication, que ce soit aux termes des dispositions de la LCPE ou d'une autre loi.

Aux termes des propositions du gouvernement, la LCPE ne s'appliquerait que dans le cas d'un produit qui n'est assujetti à aucune autre loi. En d'autres termes, aussi longtemps qu'il est possible de formuler un règlement, la LCPE ne s'appliquerait pas et on peut supposer qu'un produit pourrait échapper à l'obligation de faire l'objet d'une modification ou d'une évaluation.

Deuxièmement, d'après notre interprétation de la proposition gouvernementale, les normes minimales actuellement appliqués en ce qui concerne le contenu des importations avant fabrication et leur vente, les évaluations en matière de santé humaine et d'environnement des produits de la biotechnologie, se trouveraient éliminées. Les dispositions actuelles de l'article 26(3)a) de la LCPE assurent, par leur libellé, que l'on respecte certaines exigences minimales pour évaluer les nouveaux produits du point de vue de leurs répercussions éventuelles sur l'environnement, du danger ou du risque qu'ils représentent pour la santé humaine et leur incidence éventuelle sur l'environnement dont dépendent la santé et la vie humaine. D'après notre interprétation de la proposition gouvernementale, cette disposition disparaîtrait.

Troisièmement, nous pensons que la proposition gouvernementale affaiblira de façon marquée les rôles d'Environnement Canada et de Santé Canada dans la réglementation des produits de la biotechnologie tout en accordant un rôle accru à Agriculture et Agroalimentaire Canada. Ce résultat nous préoccupe pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, nombreux sont ceux qui craignent une multiplication des conflits d'intérêts qui existent déjà au ministère de l'Agriculture dans le cas de la biotechnologie. Le ministère joue non seulement un rôle important sur le plan de la réglementation, mais depuis 10 ans, il est un des grands promoteurs, concepteurs et bailleurs de fonds des applications agricoles de la biotechnologie. Pour de nombreuses personnes, ce mélange des fonctions promotionnelles et réglementaires constitue un conflit d'intérêts.

Deuxièmement, plusieurs juristes ont soulevé de graves questions quant au caractère inadéquat du cadre juridique de plusieurs des lois aux termes desquelles le ministère de l'Agriculture se propose actuellement de réglementer les produits biotechnologiques, notamment la Loi sur les semences, la Loi sur les engrais et la Loi relative aux aliments du bétail. Il est à noter qu'aucune des ces lois ne mentionne explicitement de méthodes d'évaluation dans le but de protéger l'environnement et la santé humaine. En fait, l'histoire de ces législations révèle qu'elles ont été adoptées dans le but de prévenir les fraudes et non pas dans le but d'effectuer des évaluations de la santé ou de l'environnement. Dans ce contexte, il y a possibilité de contestation judiciaire.

Il nous semble que le seul moyen dont dispose le ministère pour procéder à ces évaluations est de modifier les règlements d'application de ces lois, moyen souvent critiqué par les comités parlementaires, les juristes et les constitutionnalistes.

Comme solution aux propositions du gouvernement, nous faisons un certain nombre de suggestions concernant le contenu d'une nouvelle partie de la LCPE consacrée à la biotechnologie. Nous suggérons entre autres des dispositions qui garantiraient que cette partie s'applique à tous les produits de la biotechnologie susceptibles de pénétrer l'environnement et que cette partie impose l'évaluation de tous les produits biotechnologiques pour déterminer leur impact potentiel, immédiat ou à long terme, directement ou indirectement, sur la vie et la santé des humains, sur l'environnement et la biodiversité, y compris les impacts cumulatifs. Elle inclurait des dispositions d'évaluation de l'efficacité réelle de ces produits conformément au but recherché et imposerait la recherche d'autres solutions permettant d'aboutir au même résultat en utilisant des produits potentiellement moins dangereux pour la santé humaine et pour l'environnement.

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Nous aimerions également voir des dispositions prévoyant la participation du public aux décisions concernant les produits biotechnologiques, y compris des dispositions d'avis publics lorsque des décisions majeures sont prises en matière de produits biotechnologiques, des avis publics sur les essais en vraie grandeur de ces produits, de possibilités d'appel de décisions prises par le gouvernement concernant des produits biotechnologiques, tout particulièrement l'approbation des essais en vraie grandeur et, pour finir, de plus grand accès à l'information concernant les produits de la biotechnologie.

Nous croyons également que la nouvelle partie biotechnologique de la LCPE devrait stipuler la facturation de tous les frais d'homologation de ces produits à leurs fabricants. Il faudrait qu'elle contienne des dispositions permettant d'adopter les règlements nécessaires pour matérialiser les accords internationaux sur la biotechnologie ratifiés par le Canada comme, par exemple, le futur protocole de la biosécurité dans le cadre de la Convention sur la conservation de la diversité biologique. Enfin, nous croyons qu'une disposition devrait permettre la création d'une banque de données sur les rejets environnementaux des produits de la biotechnologie au Canada, analogue au répertoire national de rejets de produits polluants.

Voilà qui conclut mon intervention. Nous sommes prêts à répondre à vos questions.

La vice-présidente (Mme Payne): Merci beaucoup, monsieur Winfield. Un certain nombre de députés veulent vous poser des questions. La matière à réflexion ne manque pas.

Monsieur Asselin.

[Français]

M. Asselin (Charlevoix): En janvier 1993, neuf ministères fédéraux s'occupaient de la biotechnologie, soit Agriculture Canada, Consommation et Sociétés Canada, Environnement Canada, Pêches et Océans Canada, Forêts Canada, Santé et bien-être Canada, Industrie, Sciences et Technologie Canada, Travail Canada et Transports Canada. Aujourd'hui, en 1996, y en a-t-il autant?

Compte tenu de la diversité des produits de la biotechnologie et du fait que plusieurs lois fédérales administrées par différents ministères s'appliquent, y a-t-il une uniformité suffisante dans les exigences de notification et d'évaluation? Logiquement, on en vient à se demander si les neuf ministères échangent l'information et collaborent sur cette question, ce qui a un impact sur la cohérence, la sévérité et l'efficacité des règlements.

Les témoins ont-ils quelque chose à nous dire sur les échanges et la collaboration entre les ministères sur les directives et les règlements touchant l'évaluation des produits technologiques? Les témoins peuvent-ils suggérer au comité une façon d'améliorer les choses?

[Traduction]

M. Winfield: Oui. Vous avez posé plusieurs questions.

Je crois qu'un des problèmes est que le pouvoir de réglementation est réparti entre un certain nombre d'administrations. Un des avantages des dispositions actuelles de la LCPE, tout du moins en théorie, est qu'elles imposent des normes relativement strictes que toutes ces différentes administrations doivent respecter.

Actuellement, un produit peut être réglementé par une loi autre que la LCPE à condition qu'elle contienne des dispositions de notification de préfabrication et d'évaluation de toxicité conformément aux critères contenus dans la LCPE. La norme figurant dans la version actuelle de la loi n'est que juridiquement exécutoire et ne garantit donc qu'un degré minimal de constance.

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La proposition du gouvernement nous inquiète énormément car elle aurait pour effet d'éliminer cette norme commune et de laisser pratiquement la bride sur le cou de tous les ministères. Il y aurait donc plutôt perte de cohérence plutôt que gain et c'est très inquiétant. C'est très inquiétant aux yeux des organismes environnementaux et des organismes de santé car cela signifie que désormais il y aura des différences au niveau des normes et de la qualité des évaluations d'un ministère à l'autre. Cela devrait aussi inquiéter l'industrie car les règlements ne seront plus les mêmes d'un produit à l'autre et d'un ministère à l'autre. Il n'y aura plus de normes.

Nous avons aussi des inquiétudes au niveau des relations entre ministères. D'après ce que nous avons entendu dire, elles ne sont pas toujours sereines. Ce qui nous ramène en partie à ce que je disais tout à l'heure sur les conflits d'intérêts, à savoir que si certains ministères se considèrent comme de simples instances de réglementation, d'autres jouent plusieurs rôles en matière de biotechnologie.

Encore une fois, l'exemple d'Agriculture Canada est celui qui vient tout de suite à l'esprit. Certains craignent que son enthousiasme pour cette technologie fasse oublier son rôle de gendarme.

La vice-présidente (Mme Payne): Merci beaucoup, monsieur Winfield.

Monsieur Asselin, y a-t-il autre chose?

M. Asselin: C'est bon.

La vice-présidente (Mme Payne): Monsieur Steckle.

M. Steckle (Huron - Bruce): Merci, madame la présidente.

J'aimerais commencer par dire à nos témoins de ce matin l'intérêt que je porte à toute cette question. Je partage votre enthousiasme et vos inquiétudes. J'aimerais cependant faire quelques observations de caractère général que je vous demanderais de commenter si vous le voulez bien. Répondra qui voudra. Vous pourrez tous répondre si le temps le permet.

Vous écouter conforte de plus en plus mon envie de quitter ce bas monde pour le paradis car c'est probablement la meilleure solution.

M. Knutson (Elgin - Norfolk): Personne ne doute que vous irez directement au paradis.

M. Steckle: Je fais tout ce qu'il faut pour cela. Être un Libéral est un des prérequis.

Ce sont vos commentaires, Maureen, sur les choses que nous faisons, sur les problèmes des femmes d'aujourd'hui qui m'incitent à me poser ces questions... Je crois que vous avez dit que ces problèmes concernaient la santé de tous les humains et pas seulement des femmes. Étant donné que nous faisons des choix, et que ces choix bien entendu peuvent dépendre des informations figurant sur les étiquettes de ces produits, étant donné que les informations figurant sur les emballages des paquets de cigarettes n'empêchent pas les gens de fumer, comment pouvons-nous dire que la présence de ces informations permettra aux utilisateurs de faire le bon choix? C'est une des questions que je me pose.

Audrey, elle, s'inquiète de l'utilisation des herbicides, des pesticides et se pose des questions sur la culture biologique. Je suis un homme de la terre. J'ai gagné ma vie en pratiquant l'agriculture. Les cultures en rotation ne sont pas un mystère pour moi et je sais que les agriculteurs s'adaptent aujourd'hui aux nouveaux modes de culture. La technique de la jachère, je connais. Utiliser moins d'herbicides, bien entendu, que nos amis européens, je connais aussi. Nous avons grandement réduit l'utilisation de ces produits et les citadins, proportionnellement, utilisent probablement plus d'herbicides que les agriculteurs. Par contre, comment arriverons-nous à nourrir une population qui aura probablement doublé d'ici l'an 2040?

Je connais beaucoup d'agriculteurs qui font dans l'agriculture biologique. Je connais leur taux de production. Comment arriverons-nous à nourrir la population mondiale en l'an 2040 si les consommateurs continuent à réclamer de la nourriture bon marché? Si nous voulons produire ce genre de nourriture il va nous falloir trouver les moyens de rentabiliser cette production. Ce ne sont certainement pas les taux de rendement de la culture biologique qui le permettront.

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Je ne suis pas rassuré. J'ai l'impression que pour certains il suffit de parler de ces questions pour les régler. Ce n'est pas si facile. Parce que c'est le génie génétique qui permet de multiplier par 10 la taille d'un poisson, il ne faudrait pas le manger? Les possibilités qui nous donnent le cancer sont-elles aussi multipliées? C'est le genre de questions qu'il faut se poser. Comment faire comprendre toutes ces choses à Monsieur Tout-le-monde?

Mme Press-Merkur: Vous avez cité l'exemple des paquets de cigarettes sur lesquels figurent de gros avertissements, surtout au Canada. Chaque fois que des Américains voient des paquets de cigarettes canadiens sur lesquels est écrit en caractères très gras «La cigarette peut tuer» ils sont choqués. Il y a deux remarques intéressantes à faire à ce sujet. Premièrement, fumer n'est plus socialement acceptable. Il n'y a plus ce petit message minuscule sur le côté des paquets qui disait «Le ministre de la Santé estime que parfois...» Nous disons directement que la cigarette tue, que fumer pendant la grossesse est dangereux et que vivre dans un environnement enfumé n'est pas bon pour les enfants. Et le nombre de fumeurs diminue, malheureusement pas chez les adolescents, mais chez les adultes, le nombre de fumeurs diminue.

Nous nous demandons parfois pourquoi des compagnies comme Monsanto qui fabriquent des tomates Flavr Savr ne veulent pas que nous sachions qu'elles sont génétiquement manipulées. Est-ce parce que ce produit est exactement le même que les autres? Non. Ou est-ce parce qu'elles ont peur que si les consommateurs apprennent qu'elles sont génétiquement manipulées, ils ne les achèteront pas?

Je crois que les avertissements figurant sur les paquets de cigarettes ont fait une différence. Outre à l'interdiction de fumer dans beaucoup d'endroits et toutes sortes d'autres initiatives, passer de la vision de Cary Grant fumant sur grand écran à celle d'individus qui ne peuvent plus fumer que dehors par moins vingt est la preuve de l'impact de ces avertissements. Aujourd'hui, beaucoup de gens lisent ce qu'il y a sur les étiquettes de produits qu'ils achètent dans leurs épiceries pour connaître la teneur en sel, en sucre, en graisse. Cela fait toute une différence. Nous réclamons simplement le droit de choisir.

Vous avez parfaitement le droit d'acheter des cigarettes dont on vous dit qu'elles vous tueront, c'est votre choix. Et vous avez raison, ce n'est pas rationnel. Mais si dès le départ ce message avait figuré sur les paquets de cigarettes, si on avait dit qu'elles créent une plus grande accoutumance que l'héroïne mais que si malgré tout vous voulez en acheter, allez-y, elles n'auraient pas été aussi populaires.

M. Steckle: Si les gens choisissent de fumer malgré que le ministre de la Santé décrète que c'est mauvais pour la santé - le gouvernement sait que c'est mauvais pour la santé - le gouvernement doit-il continuer à financer les soins de ceux qui choisissent de fumer si leurs maladies sont directement liées à l'usage de ces produits? Pourrons-nous décider un beau jour de ne plus offrir certains services à ceux qui choisissent délibérément de mettre en danger leur santé? C'est une question très lourde de conséquences, mais un jour il faudra nous la poser.

Mme Press-Merkur: C'est un tout autre débat à moins que vous ne soyez prêt à offrir des traitements vraiment sérieux à ceux...

M. Steckle: J'ai pris l'exemple du tabac parce que c'est le plus simple.

Mme Press-Merkur: Bien sûr.

L'autre chose à considérer quand on mange du poisson qui a grandi dix fois plus vite pour avoir été génétiquement manipulé est qu'il a soutiré des éléments nutritifs de l'eau dix fois plus vite et que le seul moyen de lui fournir aussi rapidement ces éléments nutritifs est de l'élever en milieu artificiel, de lui donner des aliments qui ne sont plus naturels et des antibiotiques pour qu'il ne tombe pas malade. Ces poissons sont donc élevés dans des conditions qui ne sont pas naturelles, ce qui peut avoir des conséquences pour notre santé.

La vice-présidente (Mme Payne): Merci beaucoup. Je suis certaine que c'est un sujet sur lequel nous reviendrons.

Madame Kraft Sloan, je vous en prie.

Mme Kraft Sloan: Je crois que votre exemple de poisson est un bon exemple pour comprendre que même si nous avons à notre disposition certaines méthodes pour tester les produits au niveau de leurs effets directs sur la santé humaine ou animale, il reste les impacts sur l'environnement qui ne sont pas pris en compte quand ces tests ou ces évaluations sont faits. Donc, les conséquences de l'introduction d'une forme de vie génétiquement manipulée ou d'un produit étranger dans un écosystème naturel ne sont pas forcément prises en compte ou tout du moins les conséquences secondaires. Tout est lié.

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J'aimerais revenir à cette question des lois actuellement en vigueur qui peuvent ne pas contenir les pouvoirs nécessaires pour évaluer l'incidence de certains produits biotechnologiques sur la santé humaine ou l'environnement. Dans ses notes sur la deuxième question, notre attaché de recherche cite la Loi sur les semences, la Loi sur les engrais et la Loi relative aux aliments du bétail. Les produits de la biotechnologie seront réglementés par ces lois, mais d'aucuns suggèrent qu'elles ne sont peut-être pas clairement assorties des pouvoirs législatifs permettant l'évaluation de ces produits au niveau de leurs conséquences sur l'environnement ou la santé des humains.

Je me demandais si, pour la gouverne des membres du comité, un des témoins ne pourrait pas nous rappeler brièvement l'objet de ces lois et nous indiquer les raisons qui les amènent à croire qu'elles ne couvrent pas les questions de santé et d'environnement.

En outre, dans quelles circonstances pourraient-elles être contestées?

M. Winfield: J'aimerais dire un mot à propos de votre premier commentaire concernant l'évaluation des impacts sur l'environnement car une des choses qu'il ne faut pas oublier à propos de la biotechnologie est le stade infantile dans lequel se trouve la science pour prédire sur le long terme ces impacts. Il est d'ailleurs assez remarquable de constater combien peu de scientifiques en Amérique du Nord s'intéressent à cette dimension du problème. Il n'y en a vraiment pas beaucoup. Je pourrais probablement les citer et les compter sans me servir de mes dix doigts. Je crois qu'il est nécessaire de comprendre que des efforts gigantesques ont été investis dans la mise au point de ces produits, mais que pratiquement aucun n'a été fait pour déterminer comment évaluer leurs impacts potentiels à long terme sur l'environnement.

Pour ce qui est des législations agricoles auxquelles nous nous référons dans tous ces cas... La loi que je connais le mieux est celle relative aux semences. Elle est au coeur du problème à cause de son incidence sur la culture. La dernière modification importante de cette loi remonte à 1959. Elle est d'une nature très générale et très habilitante. Il n'y est question nulle part de biotechnologie. Il n'y est question nulle part d'évaluation d'impact sur la santé humaine ou sur l'environnement. Une disposition de caractère général autorise le gouverneur en conseil à réglementer les homologations, et Agriculture Canada estime que c'est suffisant pour autoriser les évaluations d'impact sur la santé humaine et l'environnement.

Nous avons étudié dans le détail le dossier législatif de la Loi sur les semences. Les déclarations du ministre au moment de la deuxième lecture à la Chambre montrent clairement que le principal but recherché est la prévention des fraudes et non pas le pouvoir de mesurer les effets sur la santé humaine ou l'environnement.

En matière de contestation, il y a trois possibilités. Du point de vue strictement juridique, un fabricant de produits réglementés pourrait contester le pouvoir de réglementation du ministère dans le cas concerné. Deuxième possibilité, pour un intéressé, un agriculteur, par exemple, pourrait lui-même prendre en charge une telle contestation. Troisième possibilité, un intervenant, au nom du public, pourrait contester ce pouvoir en disant que le règlement proposé par Agriculture Canada aux fins d'avis d'évaluation est contraire à l'esprit et à la lettre de la loi.

Mme Kraft Sloan: Pourriez-vous me dire exactement ce que vous entendez quand vous parlez de tests pour éviter les fraudes? Pour s'assurer que les produits sont bien ceux que leurs vendeurs prétendent être?

M. Winfield: Essentiellement pour déterminer qu'ils sont efficaces, qu'ils donnent vraiment les résultats affichés. Les lois agricoles se soucient avant tout d'efficacité, de puissance - ce genre de considérations. Est-ce vraiment le produit annoncé et donne-t-il vraiment les résultats annoncés?

Mme Kraft Sloan: Elles ne prévoient pas d'évaluation d'impact sur l'environnement ou sur la santé humaine?

M. Winfield: Il n'est question nulle part dans cette loi de considération pour l'environnement ou la santé humaine. C'est un pouvoir général de test, mais rien dans la loi n'indique que ces tests ont pour objet de mesurer l'impact sur la santé humaine ou l'environnement.

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Mme Kraft Sloan: À votre avis, est-il possible que nous ayons un jour des règlements autorisant spécifiquement ce genre de tests?

M. Winfield: Des règlements de ce genre sont actuellement à l'étude à Agriculture Canada pour les produits agricoles. Environnement Canada prépare également des règlements de ce genre, dans le contexte des dispositions existantes de la LCPE, règlements visant surtout les micro-organismes utilisés, par exemple, dans les usines de traitement des eaux usées ou présents dans les agents de nettoyage biologiques.

Ces règlements, sauf erreur, sont déjà prêts depuis un certain temps et n'ont pas encore été promulgués pour des raisons que je ne comprends pas pleinement. Une des conséquences, c'est qu'à toutes fins utiles, nous sommes actuellement en milieu réglementé.

Mme Kraft Sloan: C'est ça.

M. Winfield: Essentiellement, c'est que le règlement qui sera élaboré pour l'application des dispositions existantes de la LCPE dictera une norme minimale d'évaluation en ce qui a trait aux exigences en matière de contenu et d'information à laquelle tous les autres ministères devront se conformer dans leur propre règlement pour pouvoir se prévaloir de l'exemption en cas d'équivalence prévu à l'alinéa 26.(3)a) de la LCPE et ainsi se soustraire à la réglementation en vertu de la LCPE.

Agriculture Canada et Environnement Canada ont longuement débattu le contenu du règlement. D'après mes renseignements, le règlement est rédigé et prêt à publier dans la Gazette, mais nous attendons toujours. Cela explique en partie la réponse du gouvernement.

Il existe aussi des pressions en ce qui a trait à l'agriculture. Nous savons que le USDA achève la déréglementation des essais en vraie grandeur de plantes génétiquement modifiées. Certains craignent qu'Agriculture Canada ne s'engage dans la même voie. De fait, il n'existe aucun règlement sur la notification et l'évaluation.

Les porte-parole du secteur de la biotechnologie, réagissant à la réponse du gouvernement, ont demandé avec insistance que les procédures de notification et d'évaluation fassent l'objet de lignes directrices plutôt que de règlements étant donné que les lignes directrices n'ont pas force de loi.

La vice-présidente (Mme Payne): Merci.

Nous terminerons ce tour de table avec M. Gar Knutson puis nous ferons un second tour.

M. Knutson: Merci.

Madame Press-Merkur, j'aimerais revenir brièvement à la question de l'étiquetage. Prenons le cas de la STB. Je vais me faire l'avocat du diable. Je me suis laissé dire que le lait qui sort d'une vache traitée à la STB ne diffère en rien du lait d'une vache non traitée et que le vrai débat concerne la santé de l'animal.

Mme Press-Merkur: Il y a une différence. Nous n'en connaissons pas actuellement les implications, mais on constate une augmentation du facteur de croissance insulonoïde. Il y a huit fois plus de facteur de croissance insulonoïde dans le lait des vaches traitées à la STB que dans le lait ordinaire.

Un psychoneuro-endoctrinologue américain est à mettre au point un test qui doit permettre de déterminer si l'hormone de croissance bovine recombinante est différente et présente dans le lait en quantité suffisante pour permettre des tests.

M. Knutson: D'accord.

Mme Press-Merkur: Mais le facteur de croissance insulonoïde-1 est différent. Cela inquiète les gens parce que le facteur de croissance insulonoïde-1 favorise, s'il ne cause pas, une rapide croissance tumorale. Les femmes sont donc inquiètes. Beaucoup de gens à qui j'en ai parlé sont inquiets. Des animaux donnent du lait à leurs jeunes pendant la période de croissance seulement, mais nous continuons de boire du lait même à l'âge adulte. Si nous multiplions par huit le facteur de croissance insulonoïde-1, alors nous avons raison de nous inquiéter de la santé humaine.

Et vous avez raison; nous avons d'amples raisons de nous inquiéter d'une cruauté inutile envers les animaux.

M. Knutson: Supposons que nous soyons plus ou moins convaincus qu'il n'y a pas de différence dans le lait et que ce dernier ne pose aucun danger pour la consommation humaine. J'ai cru comprendre que vous réclameriez néanmoins qu'il soit étiqueté.

Mme Press-Merkur: Le principe sous-jacent c'est le choix du consommateur.

M. Knutson: D'accord. J'y viendrai dans un instant.

Dans un monde où une personne normale... Prenez mon cas, par exemple. J'ai trois jeunes enfants. J'ai ce travail. Je n'ai pas beaucoup de temps à consacrer à tous ces problèmes. Je suis membre du Comité de l'environnement et c'est donc mon rôle d'essayer d'y voir clair.

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Cela dit, je pense qu'en général les gens n'ont pas vraiment le temps d'essayer d'y voir clair. Ils n'en ont pas l'énergie. Ils n'ont peut-être pas les connaissances. Toute une série de facteurs font que l'étiquette en elle-même n'est pas d'une grande utilité.

Je ne sais pas si vous vous rappelez la bande dessinée au sujet des mouches qui se trouve à la page 14. J'imagine que si les gens étaient convaincus qu'ils seraient transformés en mouches - pas que ce serait le cas mais c'est pertinent pour juger de l'efficacité de cette étiquette - ils seraient beaucoup moins nombreux à boire du lait et leur santé en souffrirait, et tout cela à cause d'une attitude alarmiste qui tient du Parc jurassique, où ça tourne mal. Cela nous remet en mémoire la thalidomide. La liste serait longue et au bout du compte nous aurions une population en moins bonne santé qu'au départ parce que les gens boiraient moins de lait - lequel est bon pour nous, n'est-ce pas? Admettons-nous tous que le lait est bon pour nous?

Mme Press-Merkur: Non.

Des voix: Ah, ah.

M. Knutson: Le lait n'est pas bon pour nous! J'ai des idées dépassées, alors.

Mme Press-Merkur: Pas pour un adulte.

M. Knutson: Bon, les enfants boiront moins de lait - et le lait est bon pour eux - parce que leurs parents ont mal lu une étiquette ou mal compris le sens de l'étiquette.

Mme Barron: J'aimerais dire quelques mots des règlements relatifs à la STB ou à l'hormone de croissance bovine dans le lait. Un rapport publié en Europe par le Forum de génétique dont je suis membre révèle qu'étant donné la réglementation là-bas, du lait issu du génie génétique pourrait aisément être vendu aux agriculteurs qui n'en connaîtraient pas les caractéristiques. Malgré l'interdiction en vigueur dans un pays, la STB, l'hormone de croissance bovine, pourrait se retrouver dans le lait en poudre vendu sur le marché par les producteurs de pays où ce n'est pas interdit. Il faudrait donc des règles d'étiquetage internationales.

M. Knutson: Non. Ce que j'essayais de dire c'est que dans un monde où les gens... Vous dites que l'étiquette donne le choix aux consommateurs, mais vous supposez que pour faire un choix intelligent, ils ont les connaissances voulues ou sont en mesure de prendre des décisions rationnelles, mais ce n'est peut-être pas le cas. Ils ont peut-être des préjugés. Prenez l'exemple de la bande dessinée au sujet des mouches qui peut créer certains préjugés dans l'esprit des gens.

Ce que j'essaie de dire c'est que l'étiquette elle-même peut créer un autre problème. Nous pourrions nous retrouver dans un monde où l'on vend du lait de vaches traitées à la STB, lequel serait bien étiqueté et cela vous contenterait, mais la santé s'en ressentirait car les enfants boiraient moins de lait.

M. Winfield: C'est une supposition.

Mme Barron: Je pense que nous sous-estimons souvent les connaissances des consommateurs.

M. Knutson: C'est pour cela que les gens ont cessé de fumer.

M. Winfield: Ce qu'il faut retenir, c'est que le consommateur ne peut choisir que s'il dispose de l'information. Aucun choix n'est possible sans information, de sorte que c'est une condition préalable. C'est au coeur même de l'argumentation. C'est au consommateur de se renseigner et d'exercer ensuite son droit de choisir. Nous sommes convaincus que le choix doit appartenir au consommateur et non au gouvernement: nous n'allons pas vous fournir de renseignements parce que nous savons ce qui vous convient et que vous ne ferez pas le nécessaire pour prendre une décision éclairée.

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Ensuite, des recherches ont été faites au Canada au moyen de sondages sur l'étiquetage de produits contenant de la STBr, et les résultats sont tout à fait incroyables. Ils sont repris dans ce document. Il s'agit d'un sondage d'opinion. Il a...

M. Knutson: Mark, je n'en doute pas; mais cela tient peut-être au phénomène qu'illustre la bande dessinée au sujet de la mouche. Si nous devions montrer cette bande dessinée à tous les Canadiens et leur demander ensuite: «Voulez-vous que soit étiqueté le lait contenant de la SBT?», je ne doute pas un seul instant que chacun répondrait «absolument». Je crains qu'on nous accuse d'être alarmiste.

M. Winfield: En réalité, nous devons avoir confiance en la capacité de nos citoyens de prendre des décisions intelligentes à partir de l'information qu'on leur fournit sur le marché. Je suis bien certain que les fabricants de produits de la biotechnologie les bombarderont d'informations leur disant qu'il n'y a aucun danger.

Nous devons donc donner au consommateur les moyens de choisir. C'est un élément fondamental d'une économie de marché. Pour qu'un marché fonctionne bien, il faut que l'information soit disponible. S'ajoute à cela le fait que toute la politique et la réglementation du gouvernement relatives aux biotechnologies énoncent explicitement que les décisions quant à la valeur ou à l'utilité des produits de la biotechnologie doivent être prises par les consommateurs et que ces derniers doivent donc disposer de toute l'information voulue pour pouvoir faire des choix éclairés.

La vice-présidente (Mme Payne): Je voulais demander à Mme Barron si elle peut nous faire part de ses commentaires sur un sujet abordé plus tôt par M. Steckle. Comment pouvons-nous à la fois interdire l'utilisation de produits de la biotechnologie et en même temps nourrir la population mondiale à un coût raisonnable?

Mme Barron: D'abord, nous mangeons tous trop. Il suffit de jeter un coup d'oeil dans les poubelles des gens pour voir la quantité d'aliments qui se retrouvent aux déchets.

Nous croyons aussi que les aliments sont peu chers aujourd'hui comparativement à ce qu'ils étaient bien que le prix des aliments dans les supermarchés aujourd'hui ne reflète pas leur vraie valeur puisque le contribuable transfère des sommes considérables aux agriculteurs et au titre de la recherche-développement. C'est une subvention à la production alimentaire tandis que l'agriculteur biologique assume lui-même tous ses frais. Il produit des aliments par son seul labeur. En plus, des études récentes révèlent qu'au fil des ans un producteur biologique peut produire autant, sinon plus, qu'un agriculteur qui utilise des produits chimiques.

Je pense que nous serions en bien meilleure santé si nous pouvions obtenir des aliments de meilleure qualité et bons pour la santé sans utiliser de produits chimiques et sans manipulation génétique. Il se peut que nos problèmes de santé soient en grande partie attribuables aux aliments que nous consommons depuis 50 ans, et cela de plus en plus.

La vice-présidente (Mme Payne): Je ne veux pas me lancer dans un débat, mais depuis l'effondrement des stocks de morue nous intensifions l'effort de production de morues d'élevage et cela à un rythme 10 fois plus rapide que la normale. Les gouvernements subventionnent cette production.

Mme Barron: Oui. Pourquoi n'y a-t-il plus de morue? À cause d'une exploitation abusive. Trop de gens... Très souvent le poisson est utilisé pour fabriquer des engrais ou d'autres produits comme les aliments pour animaux domestiques.

Quant à la pisciculture, cela m'inquiète énormément parce que nous découvrons maintenant que le saumon d'élevage fraie avec le saumon sauvage et cela provoque des mutations. Où cela nous mènera-t-il? Il y aura une famine plus grave.

.1010

La vice-présidente (Mme Payne): Merci.

Je suis certaine que nous pourrions poursuivre la discussion jusqu'à la fin de la journée mais, monsieur Asselin, la parole est à vous.

[Français]

M. Asselin: Seriez-vous prêts à demander au premier ministre et au ministre de l'Environnement de respecter l'engagement décrit dans le plan d'action du Parti libéral en ce qui a trait à la création d'emplois et à la relance économique, plan qui a été fortement appuyé par le Comité permanent de l'environnement et du développement durable?

Seriez-vous prêts à faire des recommandations afin de rendre le ministère de l'Environnement plus efficace, ce qui pourrait permettre au gouvernement de mettre de l'ordre dans les affaires fédérales, principalement en ce qui a trait à l'environnement et aux produits de la biotechnologie?

[Traduction]

M. Winfield: La réponse courte c'est oui. Dans notre mémoire, nous réclamons que la LCPE soit utilisée pour mettre de l'ordre dans la maison fédérale, particulièrement en ce qui a trait aux biotechnologies. Dans le mémoire de mon propre institut, nous réclamons une révision de la LCPE dans son ensemble. Voilà notre intention.

Nous craignons que les propositions du gouvernement en ce qui a trait à la biotechnologie et à la LCPE en particulier n'aboutissent à augmenter le désordre plutôt qu'à le réduire. C'est en partie pour cette raison que nous nous inquiétons de ce que propose le gouvernement: nous croyons que les dispositions actuelles, bien qu'elles soient inadéquates, sont meilleures à bien des égards que les nouvelles propositions.

M. Steckle: Je me fais l'avocat du diable auprès de ma collègue ce matin. Audrey, je tiens à préciser pour votre gouverne qu'en Ontario, l'agriculture biologique donne droit aux mêmes subventions et aux mêmes allégements fiscaux que l'agriculture classique. Tous les agriculteurs ont droit au remboursement de la TPS. L'agriculture biologique donne droit aux mêmes allégements fiscaux et aux mêmes programmes d'aide.

Les producteurs biologiques sont admissibles aux mêmes programmes d'aide à la recherche-développement s'ils choisissent de s'en prévaloir.

Je conteste aussi l'affirmation selon laquelle on peut produire autant sur 100 acres ou sur n'importe quelle parcelle en utilisant des pratiques biologiques plutôt que les pratiques utilisées par la majorité des agriculteurs aujourd'hui. Je ne suis pas d'accord avec vous. Je suis agriculteur depuis trop longtemps et je sais qu'on ne peut pas produire les mêmes quantités.

Beaucoup de gens en Ontario s'inquiètent de la région entourant les Grands Lacs. Dans les Grands Lacs, nous avons un problème de lamproie marine. Ce n'est pas un problème nouveau. La lamproie a été introduite par les eaux de ballast des navires. C'est une espèce que nous devons contrôler. Si nous ne le faisons pas, nous perdrons certaines des espèces indigènes qui fréquentent actuellement nos Grands Lacs. Nous devrons pour cela prendre des mesures que certains pourraient juger nuisibles à la santé des Grands Lacs.

Lequel des deux maux est le plus grand? Est-ce la lamproie marine, qui détruira des espèces utiles? Ou prenons-nous le risque d'utiliser certains pesticides afin de détruire ces espèces nuisibles?

Compte tenu des circonstances, nous devrons faire certains choix. C'est un exemple que je donne. Je pourrais en citer de nombreux autres, mais celui-là est bon.

M. Winfield: Je m'oppose à ce que vous avez dit au sujet des subventions et de l'agriculture biologique. En Ontario, les producteurs classiques ont certains avantages que n'ont pas les producteurs biologiques. Je vous recommande une étude réalisée par John Girt et Associates, je crois, pour la Table ronde sur l'environnement et l'économie de l'Ontario il y a quelques années, laquelle portait plus précisément sur le rôle des subventions et l'agriculture durable dans cette province.

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Ensuite, en ce qui a trait à la recherche-développement, il est très important de comprendre le déséquilibre entre les dépenses publiques au titre du développement des produits de la biotechnologie qui, dans le cas de cultures résistantes aux herbicides, est étroitement lié à l'utilisation d'herbicides, et les sommes consacrées à la mise au point de nouvelles méthodes de lutte antiparasitaire. D'après nos calculs, Agriculture Canada a consacré ces dernières années 26 millions de dollars, grosso modo, aux biotechnologies.

Mme Press-Merkur: En une seule année.

M. Winfield: En une seule année, pardon. Par contraste, environ 2,5 millions de dollars ont été consacrés au Bureau des nouvelles méthodes de lutte antiparasitaire.

Troisièmement, sur l'agriculture biologique versus l'agriculture conventionnelle, d'après ce que j'ai lu, les producteurs biologiques quand ils font la transition de l'agriculture classique à l'agriculture biologique enregistrent normalement une baisse de production à court terme suivie d'une remontée. Il convient aussi de noter que les producteurs biologiques utilisent beaucoup moins d'intrants.

C'est un élément très important de la réponse à vos questions précédentes sur l'agriculture durable et l'alimentation mondiale. Il y a deux points à retenir. D'abord, la plupart des applications de la biotechnologie en agriculture ne concernent que très peu l'augmentation de la production. On a surtout cherché à modifier les végétaux pour les rendre résistants à certaines marques d'herbicides et, plus récemment, à les modifier pour y intégrer des pesticides, habituellement la toxine Bt. Ces manipulations en elles-mêmes ne feront rien pour améliorer la production alimentaire.

L'autre problème qui sous-tend l'utilisation de méthodes biotechnologiques comme elles le sont actuellement en agriculture c'est que de nombreux chercheurs ont soulevé de sérieux doutes quant à leur caractère durable étant donné le recours massif à des intrants externes comme les pesticides et les engrais et l'énergie mécanique. C'est un sérieux problème puisque nous pouvons effectivement augmenter le niveau de production à court terme, mais nous le faisons en épuisant le capital naturel sous ses diverses formes et cela ce n'est pas très durable.

Enfin, l'exemple de la lamproie marine est intéressant puisque c'est une espèce introduite. Ce n'est pas une espèce indigène des Grands Lacs. Cela illustre parfaitement le genre de problèmes qui inquiètent les gens quand on leur parle de l'introduction d'espèces transgéniques: Une fois introduite dans l'environnement, elles échappent à tout contrôle et créent des problèmes qui seront très difficiles, voire impossibles, à corriger.

De fait, à ma connaissance, on n'a jamais réussi à corriger en Amérique du Nord les problèmes causés par des espèces introduites - lamproies marines, salicaire pourpre, étourneaux, scolyte de l'orme. La crainte la plus vive c'est que l'on ne réussisse pas à remettre le génie dans sa bouteille après l'avoir laissé sortir.

Dans le cas des pesticides chimiques, si l'on constate qu'il y a un problème, on peut à tout le moins cesser de les produire. On peut cesser la production et petit à petit la quantité de produits dans l'environnement diminuera. Dans le cas des produits de la biotechnologie, la crainte c'est que le problème aille en s'aggravant puisqu'il s'agit d'organismes vivants capables de se reproduire et de se propager. Cela explique en partie pourquoi tant de gens recommandent la plus grande prudence.

Les données scientifiques sur les espèces introduites et l'évaluation de leur impact sont si fragmentaires qu'elles ne font que renforcer les craintes des gens.

Mme Kraft Sloan: En 1993, le gouvernement du Canada a publié un cadre de réglementation pour la biotechnologie. Ce cadre de réglementation comportait six principes et l'un des premiers c'était le maintien des normes élevées du Canada pour la protection de la santé humaine et de l'environnement.

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Étant donné ce que vous avez dit au sujet de certaines lois que pourra utiliser Agriculture Canada pour réglementer les biotechnologies ou qu'elle utilise déjà pour ce faire, et cela même si l'autorité législative n'est pas très claire comme vous le dites, et étant donné vos commentaires sur la réponse du gouvernement, je me demande quel... En vertu de l'actuelle LCPE, certaines normes minimales devaient être appliquées. Dans sa réponse, le gouvernement annule ses normes minimales et laisse un vide réglementaire. Je me demande dans quelle position juridique cela nous met.

M. Winfield: C'est un fouillis. Pour toute une série de raisons, comme je l'ai déjà dit, vous perdrez les normes législatives qui garantissent une certaine cohérence entre les règlements des divers ministères pris en vertu des dispositions existantes. Ensuite, à la lecture de la réponse du gouvernement, on comprend que certaines applications de la biotechnologie pourraient ne pas être réglementées du tout. Je crois qu'il y a lieu de s'inquiéter sérieusement de la possibilité que certains produits soient mis en marché sans notification et sans évaluation préalable.

C'est particulièrement inquiétant pour les produits agricoles puisque nous savons que les fabricants de produits biotechnologiques exercent déjà des pressions en ce sens. Ils réclament avec insistance des lignes directrices plutôt que des règlements. Nous savons aussi que le Département de l'agriculture américain semble engagé dans la voie d'une déréglementation totale. On peut supposer que si le USDA va dans ce sens-là, des pressions assez fortes s'exerceront pour que le Canada fasse de même, et cela pour toute une foule de raisons. L'industrie pourrait soulever des arguments liés à la concurrence. Si le Canada applique des exigences en matière d'évaluation et que les États-Unis ne le font pas, nous nous exposons à des contestations en vertu de l'ALENA ou de l'Accord de libre-échange canado-américain.

Mme Kraft Sloan: Vous avez dit que le Canada pourrait s'engager dans la voie de la déréglementation. Avez-vous des exemples de cela?

M. Winfield: Le problème tient en partie au fait qu'il existe actuellement un vide réglementaire. Aucun règlement n'est en vigueur actuellement. Le Règlement concernant les renseignements à fournir pour les nouveaux produits de la biotechnologie, pris en vertu de la LCPE, est au coeur de ce débat. Quand il sera publié, alors les règlements des autres ministères le seront aussi. Le règlement pris en vertu de la LCPE comporte une annexe qui englobera les cas imprévus en ce qui a trait notamment au poisson et aux animaux pour lesquels aucun règlement n'a encore été rédigé.

Je crois que c'est un élément important à retenir. À l'heure actuelle il y a un vide réglementaire. De nouveaux produits sont mis en marché sans notification ou évaluation préalable, car les dispositions actuelles de la LCPE relatives à la biotechnologie n'entreront en vigueur qu'au moment de la promulgation du règlement. En attendant, il y a un vide.

Mme Kraft Sloan: Mais étant donné la réponse du gouvernement...et vous avez aussi mentionné l'annexe de la LCPE qui s'appliquerait aux imprévus. Vous voulez parler de l'ancienne LCPE, n'est-ce pas?

M. Winfield: Oui. Le règlement pris en vertu des dispositions actuelles de la LCPE édicterait des procédures de notification et des exigences en matière d'information applicables à certains produits de la biotechnologie dont on croit qu'ils ne seraient réglementés en vertu d'aucune autre loi du Parlement de manière à répondre aux exigences d'équivalence de l'alinéa 26(3)a) de la LCPE.

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La principale cible de ce règlement sont les applications liées aux micro-organismes: la biorestauration, le traitement des eaux usées et les mines. Or, dans le règlement d'application de la LCPE, dans sa version actuelle, il est question d'une annexe qui engloberait tout ce qui échapperait aux dispositions d'équivalence des règlements en matière de notification et d'évaluation pris en vertu d'autres lois ou en vertu de la LCPE. À l'heure actuelle, cette annexe pourrait vraisemblablement englober le poisson et les animaux. À l'heure actuelle, à ma connaissance, aucun ministère n'a publié ne serait-ce que l'ébauche d'un règlement de notification et d'évaluation pour ces produits.

Mme Kraft Sloan: Si la proposition du gouvernement devient loi, les poissons et les animaux seraient-ils réglementés en vertu de la LCPE ou d'une autre loi?

M. Winfield: Ils ne seraient probablement pas réglementés en vertu de la LCPE. Étant donné le libellé de la réponse du gouvernement, pour qu'ils échappent à l'application de la LCPE il suffirait qu'ils puissent éventuellement être réglementés en vertu d'une autre loi. Il faut qu'il y ait une disposition dans une autre loi qui crée la possibilité d'adopter un règlement relatif à la notification et à l'évaluation. À l'heure actuelle, la loi dit qu'un règlement doit exister en vertu de la LCPE ou d'une autre loi.

Mme Kraft Sloan: J'aimerais vous poser quelques questions au sujet des essais au champ. Que disent les lignes directrices actuelles d'Agriculture Canada en ce qui a trait aux essais au champ?

M. Winfield: Agriculture Canada a publié un certain nombre de lignes directrices pour l'approbation d'essais au champ en vertu de la Loi sur les semences, d'après ce que j'en sais. Un des règlements pris en vertu de la Loi sur les semences a été modifié pour y ajouter la biotechnologie. Agriculture Canada prétend pouvoir ainsi, en vertu de la loi, contrôler les essais au champ.

Il y a eu au Canada un très grand nombre d'essais au champ. Il y en a eu, je crois, près de 2 000 au cours des cinq dernières années. Les données que nous avons ne sont pas très claires. Nous n'avons pas l'impression qu'il y a eu de nombreux refus - et c'est peu dire. Les données ne nous permettent pas de savoir combien d'essais ont eu lieu, mais elles nous portent à croire qu'il y a eu peu de refus.

Il y a une certaine ambiguïté juridique dans tout cela. Le problème s'est fait jour quand les médias ont rapporté que certains lots de pommes de terre New Leaf destinés à des essais ont été mis en marché. Étant donné le vide réglementaire qui existe actuellement, il n'y a aucun obstacle juridique à ce que cela se produise. Santé Canada n'a qu'une ébauche de règlement de notification en vertu de la Loi sur les aliments et drogues. Là encore, il y a un vide.

On ne connaît pas exactement le fondement juridique des décisions qui sont prises. Santé Canada ou Agriculture Canada publie des avis disant que le ministère n'a «pas d'objection» à la commercialisation d'un nouveau produit ou n'a identifié «aucun problème pour la santé», mais comme il n'existe aucune structure juridique ni aucun règlement, je ne vois pas bien sur quoi un ministère pourrait se fonder pour justifier un éventuel refus.

Mme Kraft Sloan: Quelle est l'ampleur de ces essais au champ?

M. Winfield: Ils peuvent varier de quelques plantes à plusieurs centaines d'hectares. En fait, un certain nombre de cultures, notamment de canola et de pommes de terre New Leaf, ont été approuvées pour utilisation sans restrictions, ce qui équivaut à la production à des fins commerciales. Je crois que l'année dernière on a cultivé environ 40 000 hectares de canola résistant aux herbicides en Alberta et en Saskatchewan.

Mme Kraft Sloan: Est-ce une superficie normale pour un essai au champ?

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M. Winfield: En fait, ce n'est plus un essai au champ, c'est de la véritable production. Les dimensions normales d'un essai au champ, comme je l'ai dit, peuvent varier considérablement, d'une plate-bande d'un mètre carré à plusieurs centaines d'hectares.

Mme Kraft Sloan: Au cours de ces essais au champ, quelles mesures de protection prend-on pour qu'aucun élément végétal ne puisse s'échapper en dehors de la zone d'expérimentation? Vous avez parlé de certains problèmes que posent les matériaux qui ont subi des manipulations génétiques et qui peuvent se recombiner, par exemple, avec une autre plante pour donner une espèce végétale résistante à toutes sortes de produits, et dont il devient impossible de se débarrasser.

M. Winfield: Tout dépend de la culture considérée. On peut prendre différentes mesures. Autour de la zone d'expérimentation, on peut établir une zone tampon dans laquelle rien ne pousse. Dans certains cas, on peut placer des filets au-dessus des cultures pour les protéger des insectes et des oiseaux et éviter toute pollinisation. Dans certains cas, on peut même stériliser la plante.

Depuis un certain temps, on se préoccupe de la pertinence de ce genre de contrôles. Des rapports scientifiques récents - et je pense en particulier aux données venant du Scottish Crop Research Institute, publiées l'automne dernier dans le New Scientist - indiquent que certaines hypothèses d'expérimentateurs concernant la viabilité du pollen et des graines, de même que la distance qu'ils pourraient parcourir à partir des zones d'expérimentation, n'étaient pas entièrement valides. Des graines et du pollen ont été trouvés beaucoup plus loin de la zone d'expérimentation qu'on ne s'y attendait.

Mme Kraft Sloan: Y a-t-il au Canada des situations où des plantes transformées se sont recombinées avec des plantes sauvages?

M. Winfield: Pour l'instant, nous n'avons pas de données à ce sujet, mais il faut comprendre qu'il est très difficile d'obtenir des données détaillées concernant les essais au champ proprement dits. Nous recevons d'Agriculture Canada des données indiquant essentiellement la nature de la culture, son emplacement, l'identité de ses promoteurs, mais il est très difficile d'obtenir des données sur les résultats des tests ou des inspections, qui pourraient indiquer l'existence d'un problème.

Mme Kraft Sloan: Pourquoi?

M. Winfield: Pour différentes raisons. Tout d'abord, on se préoccupe beaucoup du caractère privé de l'information. Les essais sont souvent réalisés par des universités ou par le gouvernement en partenariat avec des intervenants du secteur privé, qui se préoccupent de la confidentialité des renseignements de nature commerciale concernant ces essais.

C'est là une préoccupation importante, car il est difficile d'obtenir des renseignements en dehors de l'information élémentaire concernant la nature des cultures et les caractéristiques recherchées dans les essais. Il est très difficile d'obtenir d'autres renseignements.

Mme Kraft Sloan: Y a-t-il eu, à l'occasion d'essais de ce genre en Europe ou ailleurs, des échappées qui se seraient recombinées avec d'autres végétaux?

M. Winfield: En ce qui concerne les végétaux, l'exemple le plus flagrant est celui des travaux du Scottish Crop Research Institute. Mais plus encore que dans le domaine des végétaux, il y a eu toutes sortes de problèmes avec les poissons, en aquaculture.

Mme Kraft Sloan: Oui.

M. Winfield: Nous n'avons guère de données fiables en ce qui concerne les végétaux, sans doute notamment parce qu'il n'y a que très peu de scientifiques qui se consacrent aux échappées et aux conséquences environnementales. Les essais au champ ont essentiellement pour objet de tester l'efficacité des produits plutôt que leurs conséquences pour l'environnement et pour la santé.

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Mme Kraft Sloan: Pouvez-vous nous parler des problèmes que posent les poissons qui s'échappent des élevages? Je crois savoir que lorsqu'ils s'accouplent avec des saumons sauvages ceux-ci perdent leur aptitude à se reproduire. Ils deviennent incapables de retrouver leur rivière d'origine. Y a-t-il d'autres problèmes?

M. Winfield: Il y a eu toutes sortes de problèmes liés aux échappées de poissons en aquaculture. Le principal d'entre eux est ce qu'on appelle la pollution génétique des peuplements sauvages lorsqu'ils sont croisés avec des individus échappés des piscicultures. Comme vous le dites, on a remarqué toutes sortes de problèmes concernant le frai, la force et la rusticité du poisson, et sa résistance aux maladies. Les échappées restreignent considérablement le bassin génétique des peuplements sauvages, puisque généralement les poissons d'élevage proviennent tous des mêmes parents. Ils sont génétiquement uniformes, ou presque; c'est en effet ce qui facilite leur croissance et leur élevage. C'est là une source de préoccupations importante.

Par ailleurs, les poissons d'élevage sont plus susceptibles de contracter des maladies. Et l'on craint que les échappées ne transmettent des maladies aux peuplements sauvages.

Mme Kraft Sloan: Lorsque vous faites part de ces préoccupations à Agriculture Canada - et Mme Barron a parlé abondamment des préoccupations concernant notamment les graines - de quelle façon réagissent les fonctionnaires du ministère?

M. Winfield: Ils manifestent un intérêt poli.

Mme Barron: «Nous comprenons vos préoccupations.»

M. Winfield: Oui - «mais vous faites fausse route».

Généralement, on nous dit que les problèmes que nous évoquons ont déjà été réglés d'une façon ou d'une autre, ou on nous demande de fournir des données scientifiques supplémentaires à l'appui de nos réclamations, mais malheureusement ces données n'existent pratiquement pas au Canada.

Voilà la réaction que nous avons observée jusqu'à maintenant: un intérêt poli. Le ministère se dit intéressé et prétend qu'il tient compte de ces questions dans ses évaluations.

Tout cela fait l'objet d'un débat. Certains ont posé des questions très précises concernant la décision prise par les organismes de réglementation. Le cas le plus évident est celui de l'approbation de la pomme de terre New Leaf dotée d'un gène de résistance Bt, qui pourrait transmettre la résistance Bt à des peuplements d'insectes, ce qui a fait l'objet d'un débat important aux États-Unis. Malgré tout, l'utilisation de cette pomme de terre a fait l'objet d'une approbation inconditionnelle.

On s'est également préoccupé du fait que dans certains documents présentés à l'appui des décisions on reconnaissait la possibilité que des caractéristiques des variétés génétiquement transformées se transmettent à des espèces sauvages voisines; on trouve des indications en ce sens dans certains documents accompagnant les décisions d'Agriculture Canada, mais par la suite le ministère a signalé que cela ne posait pas véritablement de problème. Voilà autant d'éléments qui ajoutent aux préoccupations concernant la qualité du processus décisionnel. On nous a même présenté les choses en disant que dans certains cas les auteurs de la décision avaient voulu contrebalancer la volonté d'expansion économique de l'industrie et la nécessité de protéger l'environnement et la santé.

La vice-présidente (Mme Payne): J'aimerais prolonger vos propos, madame Kraft Sloan, en posant une question sur l'aquaculture. Le Canada n'est pas considéré comme un leader dans ce domaine, par rapport à certains autres pays. Je voudrais savoir s'il y a eu des discussions entre le Canada et d'autres pays à ce sujet. Nous savons que des poissons d'élevage se retrouvent dans la nature et nous savons qu'ils sont porteurs de maladies. Je ne peux m'empêcher de supposer que ce phénomène s'est produit à plus grande échelle dans d'autres pays du monde.

Savez-vous si cette question a déjà été abordée quelque part, et où il serait possible de l'aborder?

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M. Winfield: La question de l'aquaculture ne m'est pas très familière.

Il existe des tribunes où l'on a parlé de certaines autres applications de la biotechnologie. Il y a des conférences régulières d'Environnement Canada et de l'EPA. Le mois prochain, l'une de ces conférences sera consacrée aux micro-organismes. Il y a des contacts dans le domaine des végétaux, en particulier par l'intermédiaire de l'OCDE. Mais je ne connais pas très bien les organismes qui s'occupent particulièrement d'aquaculture.

La vice-présidente (Mme Payne): Pensez-vous qu'il faudrait discuter de ce sujet au sein d'autres organismes?

M. Winfield: C'est une situation extrêmement délicate. L'aquaculture est un bon exemple des problèmes sous-jacents évoqués ce matin par Maureen, Audrey et les autres dans le domaine des applications de la biotechnologie. L'aquaculture aborde le problème du dépérissement des stocks de poisson en créant une nouvelle méthode technologique avancée pour élever le poisson, qui est très préjudiciable à l'environnement et fait massivement appel à des éléments extérieurs, comme les antibiotiques et les aliments industriels.

Cette démarche apparaît comme une réponse à un symptôme du problème plutôt que comme une solution traitant le problème à sa source. Bien des gens considèrent que c'est là un point commun à de nombreuses applications de la biotechnologie en agriculture. On s'intéresse aux symptômes des problèmes, comme la résistance croissante des mauvaises herbes aux herbicides, mais on ne traite pas le problème à la source.

Pour faire un parallèle, ces applications sont semblables aux technologies de contrôle de la pollution en agriculture, par opposition aux technologies de prévention de la pollution.

Mme Kraft Sloan: Sauf que certains effets du contrôle de la pollution sont d'une ampleur supérieure à ceux de la pollution initiale.

Je voudrais vous poser une question complémentaire. D'après ce que vous nous dites aujourd'hui, vous vous préoccupez sérieusement de la réglementation de ces activités, de leur évaluation et de la façon dont la population en est avertie. À part ce que vous nous avez dit sur la LCPE au cours de la discussion sur Agriculture Canada, pensez-vous que des améliorations soient possibles?

M. Winfield: Au niveau de la LCPE proprement dite, ou...?

Mme Kraft Sloan: Vous avez déjà parlé des éléments que vous aimeriez voir figurer dans la loi. Après la discussion que nous avons consacrée à Agriculture Canada, aux essais au champ, etc., pensez-vous qu'on puisse améliorer le processus?

M. Winfield: On pourrait prendre un certain nombre de mesures. Tout d'abord, il existe maintenant un processus plus officiel pour informer les gens, et en particulier les propriétaires du voisinage, que des essais au champ se déroulent dans leur communauté. Il serait très utile de prévoir une structure qui permette aux personnes concernées d'intervenir dans le processus décisionnel.

Le processus actuel - et cela concerne la LCPE et ses dispositions concernant les nouvelles substances chimiques - semble fondé sur l'hypothèse de l'omniscience des autorités gouvernementales; personne d'autre ne serait en mesure de dire quoi que ce soit d'utile quant aux produits soumis à une évaluation. D'après notre expérience des approbations environnementales dans la province de l'Ontario, il en va tout autrement, en particulier dans le cas des essais au champ. Il faudrait donc prévoir des mécanismes pour remédier à cette situation.

Il serait aussi utile de prévoir des dispositifs d'appel concernant en particulier les essais au champ, mais également dans le domaine des approbations inconditionnelles, comme celle de la pomme de terre New Leaf, lorsque le nouveau produit suscite de sérieuses préoccupations concernant non seulement ses effets proprement dits, mais également ses répercussions négatives sur les usages des autres agriculteurs, avec la possibilité de voir apparaître des parasites résistants au Bt.

Il faudrait assurer l'accès à l'information concernant ces produits. Comme je l'ai dit, on peut obtenir une information rudimentaire concernant les essais au champ, et c'est déjà une amélioration. Il a fallu que notre organisme se batte avec Agriculture Canada pour amorcer ce processus par des demandes fondées sur la Loi sur l'accès à l'information, mais il faudrait des renseignements complémentaires pour que les gens puissent faire des commentaires éclairés sur les mesures soumises au processus de réglementation.

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En général, je pense qu'une des préoccupations, c'est que le contenu des processus d'évaluation se concentre très étroitement sur les produits et ne les situent pas dans le contexte de leur système agricole ou écologique. C'est une des grandes préoccupations concernant le processus réglementaire: certaines de ces questions n'ont jamais vraiment été posées de façon ouverte. Elles s'appliquent surtout au domaine de l'agriculture.

En termes absolus, au Canada il n'y a jamais eu de discussion publique pour déterminer si faire de grands investissements publics dans la création de cultures qui résistent aux herbicides ou qui produisent leurs propres pesticides est vraiment une bonne idée, vu nos ressources limitées en matière de recherche agricole et de recherche en général. On ne s'est jamais demandé si cela sert et encourage l'agriculture durable ou si, au mieux, cela renforce encore plus des pratiques non durables, ou si en fait cela risque de miner des pratiques plus durables. Je sais qu'il est un peu tard, maintenant que nous sommes sur le point de commercialiser beaucoup de ces cultures, mais il nous semble qu'on aurait dû poser ces questions il y a longtemps.

Cela touche au coeur des critiques du public. Selon ces critiques, il y a des niveaux de préoccupations concernant ces produits. Certaines de ces préoccupations sont liées à l'impact particulier de ces produits sur l'environnement ou sur la santé humaine, mais il y a tout un autre niveau de questions posées par beaucoup de personnes à l'échelle internationale sur la valeur et l'objet de bon nombre de ces nouvelles applications biotechnologiques. Cette discussion ou ce débat n'a jamais eu lieu au Canada. Je pense que c'est en partie la raison de toute cette frustration.

M. Knutson: Je veux revenir sur votre dernier point, à savoir qu'il est un peu tard. Est-il plus juste de comparer la révolution biotechnologique à un déferlement de vagues ou à quelqu'un qui va tomber du haut d'une falaise? Je préfère penser qu'il n'est jamais trop tard pour poser les bonnes questions. Si on s'y prenait tout de suite, on pourrait au moins anticiper une partie de ce qui se passera dans 25 ou 30 ans. Je reconnais qu'on ne peut pas faire marche arrière et défaire certaines choses, mais quand vous dites qu'il est tard, que voulez-vous dire?

M. Winfield: Je pense que cela veut dire qu'on en est rendu au point où soit on commercialise, soit on s'apprête à commercialiser une si vaste gamme de produits génétiquement modifiés, surtout des produits agricoles, que...

M. Knutson: Mais c'est la première vague, n'est-ce pas?

M. Winfield: De ces espèces, oui. On les développe depuis dix ans. On fait des essais au champ depuis 1988. Au cours des deux dernières années, soit la dernière saison de végétation et celle qui commence, on s'est lancé dans la production commerciale de ces cultures. On ne parle plus d'essais au champ de 100 hectares, mais de dizaines de milliers d'hectares de dispersion sans contrôle - des champs et des champs.

La prochaine étape aura lieu l'automne prochain. On suppose que ces produits vont apparaître, avec ou sans étiquette - on ne sait pas pour l'instant - , en quantité importante sur les rayons des magasins. Le grand tournant de la commercialisation se produira au cours des deux ou trois prochaines années. C'est à ce moment-là qu'on va vraiment passer de l'expérimentation à la production commerciale. Une fois qu'on se sera lancé dans cela, je pense qu'il sera très difficile de faire marche arrière, même si on choisit de le faire. C'est pour ça que je pense qu'il est presque trop tard. C'est aussi en partie la raison pour laquelle la question de l'étiquetage revient continuellement. C'est une dernière façon de permettre aux Canadiens de faire un choix.

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À mon avis, ils ont été privés de la possibilité d'avoir un débat public sérieux là-dessus. Lorsque la stratégie nationale en matière de biotechnologie a été lancée en 1984, le gouvernement du Canada a décidé sciemment de ne pas entamer de grand débat ou consultation publique sur le rôle que joue la biotechnologie dans la société canadienne. Je pense que c'était une erreur.

Mais vu que cela n'a jamais eu lieu, d'une certaine façon l'étiquetage semble donner aux Canadiens une dernière chance de s'exprimer, ou du moins d'exprimer leurs préférences et de prendre leurs propres décisions au sujet des risques associés à ces aliments, de décider si, du point de vue éthique, environnemental, social, culturel, ou religieux, ces aliments leur sont acceptables.

La vice-présidente (Mme Payne): Merci beaucoup.

Monsieur Winfield, sur ces propos saisissants, je vous remercie, ainsi que les membres de votre groupe, pour vos réponses détaillées aux questions que nous avons posées aujourd'hui et pour les exposés que vous avez si bien préparés. Il est évident qu'il reste encore beaucoup de questions d'ordre juridique, social et autres à poser sur ce sujet. Je suis certaine qu'il y aura d'autres séances, et qu'on en reparlera avec vous, ou certainement avec d'autres qui sont dans ce domaine. Je vous remercie encore pour votre témoignage, et nous espérons avoir d'autres discussions avec vous.

La séance est levée.

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