[Enregistrement électronique]
Le mardi 19 novembre 1996
[Traduction]
Le président: Bonjour.
[Français]
Mesdames et messieurs, la séance est ouverte. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous allons nous pencher sur la question des espèces en voie de disparition.
[Traduction]
Inutile de dire que c'est un sujet qui préoccupe beaucoup de monde, à en juger par tous ceux qui sont là ce matin. Rassurez-vous, vous n'êtes pas les seuls. Cela nous préoccupe beaucoup nous aussi au sein de notre comité et à la Chambre des communes, sans compter, nous l'espérons, le Sénat.
Nous sommes heureux de cette occasion de vous entendre ce matin. Nous avons donc la Fédération canadienne de la faune, le Sierra Legal Defence Fund et la Fédération canadienne de la nature. Nous avons deux bonnes heures pour discuter, demander des éclaircissements et entendre vos conseils. J'aimerais que l'un d'entre vous - à vous de choisir - se présente et présente les autres.
Allons-y, comme on dit.
Mme Sandy Baumgartner (chargée des programmes et des communications, Fédération canadienne de la faune): Je m'appelle Sandy Baumgartner et je représente la Fédération canadienne de la faune. Je laisserai mes collègues se présenter au fur et à mesure. Beaucoup d'entre vous connaissent Stewart et Julie pour les avoir déjà entendus.
L'organisation que je représente est la Fédération canadienne de la faune. Nous vous avons distribué de la documentation sur notre organisation. Vous trouverez d'autre part un mémoire qui expose de façon très brève certaines des activités à laquelle se livre la Fédération canadienne de la faune à propos des espèces en voie de disparition. Il faut expliquer un peu cela car c'est un programme dont nous nous occupons depuis que la fédération a été créée au début des années 60. C'est également un domaine dans lequel nous continuerons à oeuvrer, non pas seulement dans le cadre de ce projet de loi mais à l'avenir. C'est pourquoi je voulais insister sur l'importance de notre rôle.
Mon mémoire ne porte pas sur la nature du problème. Julie et Stewart vous en parleront. Nous sommes tous ici, comme nous le savons tous, parce que c'est un grave problème au Canada et qu'il est important que l'on s'en occupe.
Je vais vous parler tout de suite du projet de loi et de certains des problèmes qu'il nous semble poser. Ce n'est pas parce que certains domaines n'ont pas été couverts dans mon mémoire que nous acceptons ou que nous rejetons ce qui est proposé. Il y a bien d'autres domaines dans lesquels à notre avis il faudrait poursuivre la discussion, mais nous avons essayé de nous en tenir à quelques domaines-clés.
Je voudrais tout d'abord vous parler du groupe de travail national dont j'étais membre. Comme vous le savez, ce groupe de travail a été constitué par l'ancien ministre de l'Environnement, Sheila Copps, pour discuter d'un éventuel projet de loi sur les espèces en voie de disparition. Nous avons présenté deux rapports, dont le deuxième, je crois comprendre, est à l'origine de ce projet de loi. J'aimerais dire quelques mots à ce sujet parce que cela m'inquiète.
Tout d'abord, cela m'inquiète parce que ce groupe de travail était composé de représentants de l'entreprise, du secteur privé, d'organisations de conservation, de groupes environnementaux et de milieux agricoles. Nous étions parvenus à un consensus sur un document. Notre document toutefois représentait un tout et non pas un menu à la carte dont on peut tirer certains éléments à mettre dans un projet de loi. Ce qui inquiète notre organisation, c'est que l'on veuille faire croire que le projet de loi découle des recommandations du groupe de travail. Je m'inquiète aussi de ce qui a été ajouté aux recommandations et, surtout, des éléments du rapport du groupe de travail qui n'ont pas été inclus.
Lorsque l'on vous parlera du rapport du groupe de travail et de ses recommandations, je vous invite instamment, tout d'abord, à être prudents et à vous assurer que vous comparez bien les deux documents.
Il importe également de signaler que même si les deux groupes représentés au sein du groupe de travail, soit l'entreprise et les défenseurs de l'environnement, en sont venus à un consensus, certains groupes se préoccupent plus de certaines questions que d'autres. En fait, vous le constaterez probablement lorsque vous entendrez les commentaires des membres du groupe de travail.
On a passé sous silence un aspect que le groupe de travail a abordé dans un petit paragraphe à la fin du document, à propos des éléments qui viennent appuyer toute mesure législative. Notre groupe est d'avis qu'il existe beaucoup d'éléments très importants qui interviennent lorsqu'il est question de légiférer, des outils indépendants du processus législatif qui devraient être inclus soit dans la loi proprement dite, dans l'accord national signé par les provinces et les territoires, ou dans d'autres programmes ou politiques élaborés par le gouvernement.
On n'a pas retenu ces aspects des recommandations finales du groupe de travail, et il s'agit là de questions très importantes. Elles portent sur trois thèmes: l'éducation et la prise de conscience, les incitatifs et les mesures de compensation et enfin le financement. Il s'agit là de trois grands éléments qui ne sont pas mentionnés dans la mesure législative que vous étudiez. Je crois qu'il faut trouver des moyens d'intégrer ces types de recommandations dans le document. Il faudra d'ailleurs en discuter de façon plus détaillée.
Je formule dans mon mémoire une recommandation, et je recommande peut-être même à votre comité, monsieur Caccia, de créer un forum qui serait chargé d'étudier les choses qui ont été faites dans le passé, les réussites et les échecs que nous avons connus, pour que nous puissions en tirer des leçons. Tous ces éléments devraient sous-tendre la mesure législative. Cependant, ce n'est pas le cas et je crains que cette mesure législative ne soit pas utile parce que ces éléments n'y sont pas présents.
Le président: Vous devrez nous donner de plus amples détails sur la façon d'améliorer cette mesure législative si vous voulez que le comité comprenne ce dont il s'agit.
Mme Baumgartner: Oui, monsieur le président. Je le ferai au cours de mon exposé. Je vous brosserai un tableau de ce qu'on peut faire. Il y a d'autres programmes que j'aimerais également aborder.
Au Canada, comme certains d'entre vous le savent peut-être puisque vous avez déjà participé à des séances d'information, il existe des mécanismes pour la protection des espèces en voie de disparition. Il s'agit du COSEPAC et du RESCAPÉ. Le COSEPAC est le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada, un comité qui établir une liste des espèces selon la catégorie de risque. L'autre groupe, RESCAPÉ, est un organisme qui a été mis sur pied pour élaborer des plans de rétablissement pour ces espèces.
Je reconnais que nous sommes ici aujourd'hui pour étudier des mesures législatives parce que ces mécanismes n'ont pas été efficaces. On inscrit toujours de nouvelles espèces à ces listes. Des espèces arrivent toujours au seuil de l'extinction. Nous avons identifié nombre de problèmes dans ces mécanismes: manque de financement, manque de ressources, manque de volonté politique au chapitre de la mise en oeuvre de programmes sur les espèces en péril. J'aborde ces questions dans mon mémoire, et je ne crois pas que le projet de loi règle vraiment les problèmes. Nous ne cherchons pas à cerner la source des problèmes, nous essayons d'imposer une solution sans vraiment avoir étudié les problèmes.
Lors de l'étude de la question et de la mesure législative, nous devons nous assurer que l'on se penche sur ces problèmes. Nous pouvons proposer des projets de loi, mais si nous ne disposons pas des intervenants et des ressources nécessaires pour mettre en oeuvre la mesure législative, elle ne sera certainement pas un mécanisme efficace pour la protection des espèces.
L'accord national est un document signé par le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux; ces gouvernements s'engagent ainsi à collaborer pour protéger les espèces en péril. Il importe que ce document et le concept de la collaboration entre tous les paliers de gouvernements soient incorporés dans le projet de loi, puisqu'aucun palier de gouvernement ne pourra protéger les espèces à lui seul. Comme nous le savons, les espèces ignorent les frontières politiques et se déplacent d'une région à l'autre. Nous devrons collaborer si nous voulons trouver des solutions proactives à ces problèmes.
L'accord national devient donc un instrument très important. C'est une très brève entente de principe, si bien qu'il y a beaucoup de choses qui n'y figurent pas et beaucoup de choses qui préoccupent probablement diverses personnes qui comparaîtront devant vous. Il importe cependant que le principe et l'esprit de coopération soient maintenus et respectés dans le projet de loi. Je recommande en fait que l'accord national soit spécifiquement mentionné dans le texte législatif afin de garantir que cet esprit de coopération soit celui qui sous-tende le projet de loi.
J'aimerais maintenant faire des observations précises au sujet du projet de loi. Je pourrais faire quelques commentaires très généraux...
Le président: Comment proposeriez-vous d'intégrer cet esprit? Le feriez-vous par la voie d'un préambule?
Mme Baumgartner: J'ai proposé que dans le passage sur l'application de la loi, il y ait un libellé similaire à celui qu'on trouve actuellement dans la Loi sur la faune du Canada, où l'on y trouve une expression du genre «le ministre peut recommander, susciter et prendre les mesures de nature à favoriser...»
Le président: Oui, mais la Loi sur la faune du Canada n'est pas à l'étude au comité.
Mme Baumgartner: Non, je propose seulement ici un libellé qu'on y utilise et qui définit les conditions de coopération avec le public, les propriétaires fonciers, les provinces, ce genre de choses. C'est un libellé qui reflète ce type... qui énonce spécifiquement que nous allons... et qui ferait idéalement mention de l'accord national et des principes qui y sont énoncés. On ferait référence à ce document et aux éléments qu'on peut retrouver dans le préambule, les buts et objectifs. Ai-je répondu à votre question?
Très bien. À propos du projet de loi comme tel, j'aimerais faire des observations d'ordre général. Veuillez m'en excuser à l'avance, mais je ne vais pas alléger le ton des discussions de la séance d'aujourd'hui ni de vos débats sur le projet de loi.
Je pense que nos objectifs sont bons et que nous avons de bonnes raisons de vouloir examiner ce texte de loi, mais il y a beaucoup de choses qu'il nous faut approfondir. Nous devons examiner beaucoup plus en profondeur les problèmes qui se posent aujourd'hui en ce qui a trait à la faune et essayer de rompre certaines barrières.
Je vous parlerai d'abord de l'objet du projet de loi. Je pense que le projet de loi a une portée trop restreinte, et cela est confirmé dès les passages sur sa raison d'être. Je sais que je suis peut-être idéaliste, mais il me semble qu'il nous faut vraiment en tant que société, en tant que gouvernement et à titre d'ONG, nous concentrer à nouveau sur la conservation des espèces en voie de disparition, nous écarter d'un style de gestion et de protection qui tient des soins d'urgence, et tenir compte des inquiétudes qu'on a en matière de biodiversité et de protection des écosystèmes. Ce faisant, c'est-à-dire en envisageant la conservation et la gestion de la faune de façon plus holistique, en voyant les problèmes dans leur ensemble plutôt qu'en fonction des espèces prises une à une, ce qui s'est révélé inefficace...
Or, c'est précisément ce que fait ce projet de loi et c'est pourquoi son objectif est trop étroit. On continue ainsi à envisager la protection des espèces en voie de disparition en tenant compte de chaque espèce prise individuellement. Nous devons agir de façon proactive, nous devons adopter une approche qui tienne compte de multiples espèces, et nous devons avoir une approche écosystémique, envisager tout l'ensemble et y implanter des mécanismes.
La tâche n'est pas facile et je ne prétends pas avoir toutes les réponses, mais il y a quand même un exemple que j'aimerais vous soumettre. Dans les trousses que j'ai distribuées, j'ai inclus un document sur un programme d'éducation que nous produisons chaque année pour les enfants d'âge scolaire. Nous le livrons aux écoles chaque année pendant la Semaine nationale de la faune, en avril, initiative qui reçoit l'appui du présent gouvernement. En 1996, la trousse portait sur les écosystèmes, leur importance et l'importance de les protéger.
Nous disons donc aux enfants de protéger les écosystèmes et nous leur disons de les examiner et de les voir dans leur ensemble, mais nous ne le faisons même pas nous-mêmes. Nous ne mettons pas en pratique ce que nous prêchons aux enfants des écoles, à ceux qui représentent l'avenir de notre pays. S'il y a un message que je peux vous laisser aujourd'hui, c'est cela. Il est déplorable que nous ne montrions pas aux futurs gardiens de la Terre, par nos gestes, l'exemple à suivre. Il nous faut donc recentrer et élargir l'objectif même de ce projet de loi.
M. Adams (Peterborough): Nous proposez-vous de retirer ce projet de loi?
Mme Baumgartner: Non, ce n'est pas ce que je suppose.
M. Adams: Je lisais la conclusion de votre rapport, et vous dites être extrêmement déçue. Vous reconnaissez que la majorité des espèces vivent sur des terrains privés, ce qui est tout à fait faux. Ce n'est pas possible.
M. Taylor (The Battlefords - Meadow Lake): En sommes-nous à poser des questions?
M. Adams: N'hésitez pas, monsieur Taylor.
Je vous le redemande, proposez-vous que nous retirions ce projet de loi?
Mme Baumgartner: Non, ce n'est pas ce que je vous demande. Je pense que nous pouvons en étendre la portée et l'améliorer.
M. Taylor: Écoutez ce qu'elle a à vous dire.
M. Adams: J'ai lu le rapport. L'avez-vous lu? Avez-vous lu ceci?
M. Taylor: J'étais en train d'écouter.
Le président: Très bien. Nous allons poursuivre.
Mme Baumgartner: J'avoue que mon mémoire n'est pas très optimiste, et oui, je suis très déçue du projet de loi. Nulle part dans mon mémoire, ni jamais au cours de mon exposé je ne dis de retirer le projet de loi, mais je pense qu'il faut y apporter d'importants changements. Nous devons revoir la façon dont nous concevons la question des espèces en voie de disparition. Je pense que nous pouvons partir de ce que nous avons déjà en main. Je trouverais regrettable d'avoir à repartir à zéro, étant donné le temps qu'on a déjà consacré à ce processus. Un bon nombre de mes collègues du groupe de travail qui m'accompagnent s'en prendraient à moi si je disais qu'il fallait tout recommencer.
Quoi qu'il en soit, je pense que nous devons adopter une approche plus holistique. Après réflexion, tout cela tient peut-être au fait que quand nous avons entamé ce processus, nous avions un but préétabli. Notre but préétabli en tant que groupe de travail était que nous allions examiner la législation fédérale. Je ne dis pas que la législation fait fausse route ou est inutile. Elle est importante, mais ce n'est qu'un outil parmi tant d'autres. Nous oublions de penser aux autres outils que nous avons dans notre coffre, et c'est pourquoi notre objectif est trop étroit. Nous n'avons pas défini de grands objectifs.
Dans mon mémoire, je décris les objectifs de la loi australienne en matière d'espèces en voie de disparition. Leur premier objectif est de protéger les espèces en voie de disparition et d'en rétablir une population viable. Mais l'Australie fait davantage; on établit en fait des objectifs qui incluent le règlement des problèmes des propriétaires fonciers, les possibilités de gestion préventive et la mise en place de mécanismes qui envisagent la conservation des espèces vulnérables et en voie de disparition d'une façon beaucoup plus holistique, dans un cadre écologique.
On s'y occupe des processus qui peuvent constituer une menace et on examine spécifiquement les problèmes; on favorise la gestion concertée entre les diverses populations du pays et entre tous les paliers de l'État ainsi qu'avec les particuliers et les propriétaires fonciers. On adopte donc une perspective beaucoup plus étendue. Dans la législation australienne, on a établi certains éléments qui dépassent largement la simple énumération des espèces et l'interdiction de certaines activités dans les habitats critiques.
Dans mes observations générales, je parle ensuite du ton de la loi. En lisant le texte législatif, je m'inquiétais du fait qu'on disait aux propriétaires fonciers et aux particuliers que nous ne faisions pas un travail acceptable, et c'est pourquoi nous allions mettre en place certains processus pour nous en occuper, mais nous ne faisons pas confiance à ces processus.
À ce propos, je vais vous présenter une façon de voir ce problème. Nous allons énumérer les espèces avec ce comité scientifique, mais nous n'allons pas lui faire confiance parce qu'en fin de compte nous allons laisser le ministre et ses collègues du cabinet prendre la décision finale.
Mais nous allons encore plus loin. Au cas où une décision ne nous plairait pas, nous allons mettre en place un mécanisme pour nous permettre de revoir encore cette décision. En fin de compte, ces décisions vont aboutir devant les tribunaux. Voilà ce qui préoccupe la Fédération canadienne de la faune.
À mon avis, ce n'est pas dans les tribunaux qu'on peut assurer la prévention de la disparition d'espèces ou sa gestion. Cela doit se faire sur le terrain. Je pense que nous laissons vraiment passer l'occasion d'inclure ces éléments dans ce texte de loi, et tout le ton du projet de loi en témoigne.
Je pense pouvoir affirmer que je ne parle pas uniquement en mon simple nom. Quand j'ai lu le projet de loi, je me suis dit, je vais aller demain retenir les services d'un avocat en droit de l'environnement, parce que c'est ce qu'il faudra faire; nous allons devoir présenter des demandes d'examen et nous finirons par nous présenter devant les tribunaux pour remédier aux lacunes de la loi.
Au début, j'ai cité en exemple les définitions. Je n'ai pas examiné précisément toutes les définitions de cet article, mais d'une façon générale, je constate qu'elles sont vagues et ambiguës. Le moment viendra où il faudra préciser ces définitions.
J'aimerais que ce soit fait maintenant, au début, de façon à ce que nous sachions de quelles espèces il est question et ce que nous entendons exactement par habitat et habitat essentiel et à ce que nous sachions quelles sont les répercussions lorsque nous nuisons à des espèces en voie de disparition et ce qu'il en est lorsqu'il est question de territoire privé, provincial ou domanial où vivent les espèces. Je pense qu'il faut le préciser dès le départ de façon à éviter de devoir s'adresser demain à un tribunal pour savoir exactement ce dont il est question dans ce projet de loi.
Dans la partie de mon mémoire qui porte sur l'interprétation, je donne des exemples des définitions boiteuses. Il y en a d'autres, et sans doute d'autres témoins vous en parleront au cours de leurs exposés aujourd'hui. Toutefois, je donne quelques exemples.
En ce qui concerne la définition d'habitat essentiel, nulle part définissons-nous habitat dans le projet de loi. Comme nous le savons tous, et comme vous l'entendrez à maintes reprises au cours des prochaines semaines, le problème le plus grave pour la faune aujourd'hui, c'est la perte d'habitats. Si nous ne définissons même pas ce que cela signifie, comment pouvons-nous remédier au problème? Si nous ne savons pas au juste ce que signifie habitat, ce que signifie habitat essentiel, ce que signifie espèce en voie de disparition, je ne pense pas que nous puissions même commencer à régler le problème.
Il faut définir ces termes. Je donne quelques suggestions de définitions d'habitat tirées d'autres lois. Je fais également référence au rapport du groupe de travail et à sa définition d'habitat essentiel. Je le répète, il faut savoir clairement ce qu'on entend par habitat essentiel.
En ce qui concerne l'application de la loi, je constate qu'encore une fois, nous jouons avec les chiffres. L'article 3 explique comment nous allons tenter de protéger les espèces dans le Nord. Je ne suis pas persuadée que c'est vraiment ce que nous souhaitions faire puisque nous prévoyons un processus d'exemption dans le cas de certaines espèces que nous voulons gérer dans le Nord. Et je me demande si, pour les exemptions qui figurent au paragraphe 3(3), on procédera vraiment espèce par espèce ou si toutes les espèces en voie de disparition du Nord sont visées.
Je ne suis pas certaine de pouvoir répondre à ces questions et vous ne pouvez peut-être pas y répondre non plus ici, mais ce sont les questions que les habitants du Nord me posent. Je ne dis pas que d'inclure les territoires soit ou non approprié, mais je proposerais que nous parlions aux habitants du Nord, aux membres des offices de gestion de la faune et à ceux qui seront le plus touchés par ces dispositions. Je ne pense pas que l'on ait pris la décision d'inclure les territoires dans ce projet de loi de façon efficace.
Je pense que lorsque les habitants du Nord en auront la possibilité, ils auront peut-être des opinions à vous donner. Je m'en tiendrai à cette seule recommandation précise: parler aux habitants du Nord les plus touchés et écouter les membres des offices de gestion de la faune pour apprendre comment ils souhaitent faire partie de cette structure.
Ensuite, je passe à ce qui est sans doute selon moi l'aspect le plus important de ce projet de loi. C'est probablement le plus court article de tout le projet de loi. Je parle des accords de conservation. M. Caccia m'a demandé plus tôt de vous donner des exemples d'une approche proactive et je pense que c'est justement l'article tout indiqué pour le faire.
Malheureusement, le paragraphe est tout court, il est facultatif. On commence en disant que tout ministre compétent peut conclure des accords. Voilà pourquoi je dis que c'est facultatif, puisque l'on peut conclure des accords portant sur la conservation; toutefois, songez à ce qui se passe aux États-Unis et en Australie où l'on trouve à mon avis les plans de protection des espèces et de rétablissement des espèces les plus efficaces, où l'on conclut des accords globaux avec l'industrie, avec les propriétaires fonciers et avec les États. L'approche est beaucoup plus large.
Par exemple, en Australie, depuis l'entrée en vigueur de la loi en 1992, on a élaboré ce que l'on appelle des plans d'action, c'est-à-dire des plans de gestion des espèces et des plans de gestion de l'écosystème sur une grande échelle. On vise des groupes d'espèces plutôt que de s'en tenir à une seule espèce à la fois.
Parallèlement, au fur et à mesure que les Américains ont modifié leur loi, ils ont instauré ce qu'ils appellent «la planification de la conservation de l'habitat». Les services américains de pêche et de faune élaborent des plans de gestion du territoire ou de l'habitat de concert avec l'industrie et les propriétaires fonciers. Dans le cadre du débat actuel aux États-Unis pour reconduire la loi, ce sont justement ces groupes et ces personnes qui interviennent. On considère la planification en vue de la conservation de l'habitat comme une façon de réduire les conflits entre les propriétaires fonciers et les espèces en voie de disparition. Je pense que c'est un outil très efficace que nous devrions sérieusement considérer.
Je vous recommande donc d'inclure les accords portant sur la conservation, non pas en option, mais obligatoirement comme moyen de travailler avec les propriétaires et l'industrie dans l'élaboration de plans de gestion du territoire et de protection de l'habitat.
Je pense que grâce à cet article, nous pouvons remédier à certaines des lacunes que j'ai relevées. Nous pouvons envisager la protection de nombreuses espèces et nous pouvons songer à réduire les préoccupations des propriétaires fonciers. Nous pouvons nous attaquer aux problèmes des écosystèmes d'une façon beaucoup plus globale et nous pouvons vraiment aider la faune de notre pays.
Quand je songe aux exemples américains, je vois le consensus qui se crée là-bas. Dans le cadre des travaux du groupe de travail, nous avons parlé d'un consensus. Je vois celui qui s'est créé aux États-Unis. Dans mon mémoire, je mentionne quelques-unes des recommandations que notre homologue américain, la National Wildlife Federation, a formulées dans le but d'améliorer la Endangered Species Act de ce pays. Je décris ces recommandations ici dans mon mémoire.
Cette fédération encourage le recours accru aux plans régionaux de protection de l'habitat. Elle préconise la mise en place de programmes prévoyant des servitudes pour la conservation. On tente de trouver des façons de réduire les répercussions pour le propriétaire privé en le faisant participer au processus et en mettant en place des mécanismes qui permettent aux propriétaires de recevoir de l'information, en temps opportun, de téléphoner et obtenir de l'aide, etc.
À mon avis, cet article est le meilleur endroit dans ce projet de loi où l'on peut commencer pour améliorer et renforcer cette mesure législative. Si je dis qu'il ne faut pas rejeter carrément cette dernière, c'est parce que je pense qu'à partir de cet article, nous pouvons faire beaucoup pour l'améliorer.
Mes autres commentaires portent sur les autres processus. J'aimerais encore vous entretenir très brièvement du COSEPAC et des plans de rétablissement. Je veux vous parler du COSEPAC parce que cet organisme a été constitué il y a près de 20 ans au Canada pour faire des recherches sur les espèces et en dresser une liste. Donc cela se fait. Nous avons déjà des espèces au Canada qui figurent sur une liste d'espèces en voie de disparition, d'espèces menacées ou d'espèces vulnérables.
Je pense que ce processus est bon. Plusieurs paliers de gouvernement et les ONG y participent. Nous travaillons efficacement en collaboration d'une façon volontaire, bien qu'officieuse. Si vous cherchez un modèle de coopération intergouvernementale, je vous recommande cet organisme. Il fonctionne, il est efficace, n'y touchez pas.
Pour l'essentiel, il a établi des mécanismes permettant d'inscrire les espèces en fonction de critères scientifiques. Il importe à mon avis de laisser à cet organisme la responsabilité d'inscrire les espèces sur la base des critères scientifiques. Ce qui m'inquiète le plus dans cette mesure législative est qu'elle contient des mécanismes permettant de remettre en cause ces décisions. Désormais, chaque fois qu'une recommandation d'inscription sera donnée par le COSEPAC, c'est le ministre et ses collègues du Cabinet qui prendront la décision de l'entériner ou non. C'est une erreur. Si le COSEPAC propose une inscription, c'est qu'il a de bonnes raisons, c'est qu'il s'agit d'une espèce en déclin qui a besoin d'être protégée. Cette décision devrait être prise par ce comité et lui seul. En outre, nous ferions mieux d'appliquer ses méthodes et de suivre ses directives plutôt que d'inventer des mécanismes remettant en cause ses décisions.
Le président: Je vous prierais de conclure car vous prenez sur le temps de vos collègues.
Mme Baumgartner: Très bien, je m'excuse.
J'aimerais pour finir dire quelques mots sur les plans de rétablissement. Les mécanismes pour ces plans de rétablissement sont énoncés. J'aimerais dire deux choses à leur sujet. Je crois qu'il importe qu'il soit obligatoire d'inclure tous ceux qui veulent participer à ces plans, comme par exemple les propriétaires fonciers, les groupes de protection de la nature, etc. Il y a en fait beaucoup de gens sur le terrain qui peuvent faire en définitif le travail nécessaire; il est donc important de les inclure.
J'aimerais enfin dire un mot sur une disposition dont je ne comprends pas bien la raison d'être dans l'article sur les arrêtés d'urgence. Si le ministre estime qu'une situation particulière nécessite la modification du plan de rétablissement, il ou elle peut intervenir en prenant un arrêté d'urgence. Ce n'est pas tout à fait ce qu'avait proposé le groupe de travail.
Nous voulons pouvoir modifier et adapter les plans de rétablissement en fonction des nécessités mais pas à coups d'arrêtés d'urgence. À mon avis, c'est totalement contraire aux principes de ces plans de rétablissement. Il faut que ces plans de rétablissement soient dynamiques et il faut bien sûr pouvoir les adapter, les modifier en fonction de leur évolution, et une certaine souplesse est indispensable.
Je conclurai donc en disant que cette proposition législative me déçoit et il vous suffira de lire mon mémoire pour vous en rendre compte. Cependant, je crois qu'elle est améliorable et que c'est un bon point de départ. Je crois que nous pouvons mettre en place des mécanismes qui permettent véritablement de protéger les espèces en voie de disparition de ce pays et de vraiment faire du bon travail mais il importe que nous agissions ensemble, que nous agissions avec les provinces et que nous agissions avec les propriétaires fonciers et l'industrie. Je crois que pour le moment cette mesure législative ne va pas suffisamment loin pour y parvenir.
Merci.
Le président: Merci.
Qui aimerait être le suivant?
[Français]
Mme Julie Gelfand (directrice exécutive, Fédération canadienne de la nature): Bonjour. Je m'appelle Julie Gelfand et je suis directrice exécutive de la Fédération canadienne de la nature.
[Traduction]
Je m'appelle Julie Gelfand, et je suis la directrice exécutive de la Fédération canadienne de la nature. Je suis accompagnée de Stewart Elgie de la Sierra Legal Defence Fund.
[Français]
Nous allons faire notre présentation ensemble.
[Traduction]
Nous présenterons notre exposé ensemble. Nous avons deux appareils de projection et nous espérons qu'ils marchent. Nous avons un projecteur de clichés et un projecteur de diapositives et nous espérons qu'ils ne nous laisseront pas tomber.
Nous sommes accompagnés aujourd'hui de deux invités qui seront utiles pour répondre à certaines de vos questions. Stewart Hamill est biologiste de la nature et propriétaire foncier. Je crois que lors de vos réunions précédentes vous vous êtes posé certaines questions concernant l'application de cette loi aux terres privées et nous avons pensé qu'il serait utile qu'un propriétaire foncier vienne vous en parler directement.
Mme Lenore Fahrig est professeur d'écologie à l'Université Carleton. Elle nous aidera à répondre à toute question de nature scientifique. Bien évidemment Stewart est juriste et je suis généraliste. Nous avons essayé de réunir une équipe qui pourrait couvrir tout l'éventail de vos questions.
La Fédération canadienne de la nature est membre fondateur du COSEPAC. Elle siège également au sein du RESCAPÉ avec la Fédération canadienne de la faune et le Fonds mondial pour la nature. En tant qu'organisme nous avons une longue expérience en matière d'inscription et d'élaboration de plans de rétablissement et nous devrions donc pouvoir vous aider.
M. Stewart Elgie (conseiller, Sierra Legal Defence Fund): Bonjour.
[Français]
Comme je ne parle pas très bien le français, je vais parler en anglais aujourd'hui. Je m'excuse.
[Traduction]
Pour commencer, j'aimerais remercier votre comité de nous avoir invités à présenter notre point de vue sur ce projet de loi. J'aimerais tout particulièrement vous remercier d'être revenus sur votre idée originale de demander aux membres du groupe de travail de comparaître six jours après le dépôt du projet de loi. Étant donné le temps qu'il m'a fallu pour simplement digérer ce projet de loi, cela aurait été au-dessus de mes forces.
Je travaille comme conseiller juridique pour le Sierra Legal Defence Fund. Pour ceux qui ne le savent pas, le Sierra Legal Defence Fund est un organisme d'intérêt public de droit environnemental qui a des bureaux à Toronto et à Vancouver et compte parmi son personnel des juristes et des scientifiques.
Je suis aussi universitaire à temps partiel et à ce titre j'ai fait un certain nombre de recherches et rédigé un certain nombre d'articles sur la législation sur les espèces en voie de disparition. Troisièmement, tout comme Sandy, j'ai été membre du groupe de travail fédéral sur les espèces en voie de disparition et je vous en dirai un peu plus sur ce rôle.
J'ai donné au comité un résumé de mon mémoire. Un mémoire plus détaillé suivra. Aujourd'hui, comme Julie vous l'a déjà dit, notre intention est de partager notre exposé. Elle commencera par un historique du problème des espèces en voie de disparition puis nous passerons à des points précis. Nous vous avons distribué un document où se trouvent des tableaux que nous allons projeter et nous avons pensé que cela vous aiderait à suivre.
Mme Gelfand: Le premier tableau est intitulé «Le Problème».
[Français]
À travers le monde, deux ou trois espèces disparaissent à chaque heure, et les scientifiques croient qu'on pourrait perdre jusqu'à 20 p. 100 de nos espèces en 30 ans.
Au Canada, nous avons déjà perdu 21 espèces et la liste des espèces en voie de disparition en compte 275 autres. Cette liste croît chaque année.
[Traduction]
Il y a de toute évidence un problème avec les espèces en voie de disparition. Pourquoi certaines espèces disparaissent-elles? À 99 p. 100 pour les espèces modernes, cette disparition est provoquée par les activités humaines. Certaines des espèces dont nous parlons lorsqu'il est question des espèces canadiennes en voie de disparition incluent des espèces comme l'ours polaire. La baleine blanche figure sur la liste des espèces en voie de disparition tout comme la loutre de mer qui semble dernièrement reprendre du poil de la bête, ce qui est une bonne nouvelle.
M. Anawak (Nunatsiaq): La baleine blanche n'est pas une espèce en voie de disparition. C'est seulement dans le Saint-Laurent, n'est-ce pas?
Mme Gelfand: C'est exact, il s'agit uniquement de la population de l'Île du Saint-Laurent. Vous avez raison, mais dans le COSEPAC nous pouvons désigner certaines populations. La population qui vit dans la région de la baie d'Hudson n'est pas menacée.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous avons perdu 20 espèces différentes, y compris le canard du Labrador, le grand pingouin et la tourte. Onze espèces ont disparu, ce qui veut dire qu'il n'y en a plus au Canada mais qu'elles existent encore dans d'autres régions - comme par exemple le furet à pattes noires, la grande poule des prairies et le petit phrynosome de Douglas.
Pourquoi les espèces disparaissent-elles? Principalement à cause de perte d'habitat, comme Sandy l'a dit. Au moins 80 p. 100 des disparitions d'espèces sont dues aux pertes d'habitat, et la raison principale de cette perte d'habitat pour les espèces en voie de disparition, surtout au Canada, est l'agriculture, la disparition des forêts, le bûcheronnage, l'expansion urbaine et l'expansion industrielle. Cela fait donc beaucoup de responsables. Nous avons toutes sortes d'activités, nous construisons des villes, nous avons besoin de nous alimenter et tout cela a un impact sur les espèces en voie de disparition.
On perd toutes les heures environ 240 acres d'habitats au Canada. Pourquoi est-ce important? Comme un écologiste pourrait vous le dire, tout dans la nature est essentiellement relié à tout le reste. On parle souvent de la «toile de la vie» ou d'un «grillage entrelacé». Chaque fois que nous perdons une espèce, nous perdons un fil de la toile ou un maillon du grillage. Nous savons que, à un moment donné, si nous perdons suffisamment de fils de la toile ou de maillons du grillage, tout le grillage ou toute la toile s'effondreront, mais nous ne savons pas quand ce sera exactement.
Nous avons besoin des espèces sauvages pour les raisons suivantes: pour nous nourrir, nous abriter, nous soigner, nous divertir et nous chauffer. Ces espèces font partie de notre identité nationale. Nous nous en servons pour les médicaments, par exemple l'aspirine, et nous en avons besoin pour nous divertir.
Nous avons besoin d'une loi au Canada pour protéger les espèces en voie de disparition. En 1992, le Canada a adopté ou signé la convention sur la biodiversité, qui stipulait que chaque nation devait:
- Élaborer ou conserver les lois et autres mesures réglementaires nécessaires pour protéger les
espèces et les populations en voie de disparition;
- Le gouvernement du Canada a pris cet engagement aux termes de la convention sur la
biodiversité.
Le Canada a été le premier pays occidental à signer la convention sur la biodiversité. Le rôle que nous avions joué à l'époque nous avait valu les félicitations de divers organismes internationaux. Après avoir signé ce même traité, l'Australie, le Japon et d'autres pays développés ont adopté leurs propres lois sur les espèces en voie de disparition. Notre voisin du sud, les États-Unis, a sa propre loi depuis 1973. Il est donc plus que temps que le Canada adopte de son côté une loi sur les espèces en voie de disparition.
Pour l'instant, nous avons au Canada des lois générales qui régissent la faune et la flore sur les terres fédérales, les oiseaux migrateurs et le poisson, mais aucune loi qui n'accorde aux espèces en voie de disparition une protection supplémentaire. Quatre des 12 provinces et territoires ont une loi particulière sur les espèces en voie de disparition, soit le Nouveau-Brunswick, le Québec, l'Ontario et le Manitoba, et cela représente un bon point de départ dans ces régions. Il y a environ un mois, le gouvernement fédéral et six provinces ont aussi négocié et maintenant signé un accord national sur la protection des espèces en voie de disparition. Cet accord contient certaines dispositions minimales que devraient contenir les lois sur les espèces en voie de disparition de chacun des gouvernements signataires, mais je souligne qu'il s'agit d'un document très bref qui ne donne que les exigences de base.
Il s'agit néanmoins d'une mesure importante et nous encourageons les provinces et le gouvernement fédéral à aller de l'avant. J'ajoute, cependant, qu'un accord politique non obligatoire qui ne prévoit aucun délai ne constitue pas une mesure suffisante pour protéger les espèces en voie de disparition. Il importe que l'accord soit appliqué et que les gouvernements respectent et même dépassent leurs obligations. Le gouvernement fédéral devrait jouer un rôle de chef de file et donner l'exemple aux autres échelons gouvernementaux.
Sandy vous a parlé un peu du groupe de travail. Pour ceux que cela intéresse, je vous dirai qu'il s'agit de ce qu'on pourrait appeler les survivants du groupe de travail sur les espèces en voie de disparition. Il y a eu certains changements au cours des 14 mois d'existence de notre groupe de travail. Personne n'est mort, mais certains se sont désistés. Vous pourrez cependant constater qu'ils sont représentés par divers organismes de l'industrie, de l'aménagement du territoire, de la protection de l'environnement et de la protection de la faune. Je dois admettre que nous avions au départ des opinions très divergentes sur bon nombre de questions. Pour ma part, cela m'a étonné de voir que nous pouvions en arriver après 14 mois à un terrain d'entente sur presque tous les aspects d'une loi fédérale sur les espèces en voie de disparition.
Je ne veux pas entrer dans les détails, mais j'ai dressé une liste des principaux éléments mentionnés dans le rapport du groupe de travail. Vous devriez vraiment lire le rapport en entier plus tard. Cela ne se lit peut-être pas comme un roman, mais vous aurez quelque chose d'intéressant auquel vous pourrez comparer le projet de loi.
Voici certaines de nos recommandations clés:
- que la loi s'applique à tous les territoires qui relèvent de la compétence fédérale, et qu'elle protège notamment les espèces en voie de disparition qui traversent les frontières internationales;
- que ce soit le COSEPAC qui décide des espèces à inscrire sur la liste en fonction de données scientifiques et non pas les dirigeants politiques;
- que la loi interdise automatiquement de tuer une espèce, de lui faire du tort ou d'endommager son habitat;
- qu'on accorde des permis d'exception dans le cas d'activités légitimes, à condition qu'on puisse prendre des mesures raisonnables d'atténuation pour éviter de compromettre l'espèce en voie de disparition;
- qu'on exige des ordonnances provisoires de protection avant que le COSEPAC n'inscrive d'urgence une espèce sur la liste;
- que les mesures réglementaires pour l'application des plans de rétablissement comprennent des dispositions relatives à la préservation de l'habitat - et tous les membres du comité conviendront certainement que nous devons conserver suffisamment d'habitats pour permettre aux espèces de survivre;
- que les plans de rétablissement soient élaborés de concert avec les localités et les propriétaires fonciers visés et que l'on encourage et appuie leurs efforts de conservation;
- et, enfin, que l'on effectue un examen préliminaire quelconque pour s'assurer que divers projets et activités ne nuiront pas aux espèces en voie de disparition, tant qu'il n'existe pas déjà d'autres mécanismes d'examen.
Comme je l'ai dit tantôt, le groupe de travail est un excellent exemple de la façon dont des gens qui sont d'habitude des adversaires peuvent arriver à s'entendre sur un projet de loi fédéral très important. J'espère que nous pourrons procéder de la même façon à l'avenir. À mon avis, il importe de faire le nécessaire pour cela et de s'assurer que l'on donnera bien suite à ces recommandations. Sinon, les participants hésiteront beaucoup avant de consacrer autant de temps et d'énergie à un tel processus à l'avenir.
Je vais maintenant donner la parole à Julie qui parlera de certains aspects particuliers du projet de loi.
Mme Gelfand: Nous allons vous faire faire un tour d'horizon du projet de loi comme si vous étiez une espèce en voie de disparition. Comment obtiendriez-vous que votre nom soit ajouté à la liste? Comment la liste fonctionne-t-elle? Nous allons expliquer un peu quelles espèces peuvent être protégées. Une fois qu'une espèce a son nom sur la liste, peut-on vraiment la protéger s'il s'agit d'une espèce en voie de disparition? Dans l'affirmative, que fera-t-on pour vous protéger? Quelles sont les interdictions? Qu'est-il interdit de vous faire si vous êtes une espèce dont le nom figure sur la liste? Nous parlerons aussi de la protection de l'habitat prévue dans le projet de loi, de ce que cela devrait signifier; enfin, de l'élaboration des plans de rétablissement.
Je vais d'abord parler de la liste. C'est une question critique. Sandy vous en a déjà parlé un peu. La FCN, la FCF et le Fonds mondial pour la nature sont représentés au COSEPAC depuis plus de20 ans. La liste qui a été dressée au cours des 20 dernières années l'a été d'après des données scientifiques et non pas pour des raisons politiques. Selon le libellé actuel du projet de loi, le COSEPAC ne ferait que conseiller le gouvernement sur les espèces dont le nom devrait figurer sur la liste et c'est le gouvernement qui déciderait s'il convient ou non d'inclure le nom de l'espèce en question.
À notre avis, ce n'est pas une bonne chose et l'on devrait modifier cette disposition. Si vous voulez un équilibre politique, et c'est effectivement ce que le gouvernement essaie de faire à mon avis, le rôle du gouvernement devrait être d'intervenir plus tôt dans la décision de protéger ou non une espèce et non pas dans celle de l'inscrire ou non sur la liste, parce que le fait d'inclure une espèce sur la liste a bien d'autres effets utiles. Cela a des conséquences éducatives vu que nous indiquons ainsi à la population que ces espèces sont menacées et cela aide aussi à encourager les propriétaires fonciers et les particuliers à prendre des mesures volontaires pour aider l'espèce en question à remonter la pente avant même que la loi ne les y oblige. C'est ce qui s'est passé depuis 20 ans dans le cadre des plans de rétablissement.
Selon nous, la liste officielle des espèces menacées devrait comprendre toutes les espèces identifiées par le COSEPAC. Il ne devrait pas y avoir de discrétion ministérielle à cette étape du processus.
Le projet de loi stipule aussi que le COSEPAC sera composé de neuf membres, alors que nous sommes maintenant une quinzaine. Selon nous, la majorité des membres ne devraient pas faire partie du gouvernement. J'ai moi-même vu un représentant d'un gouvernement provincial essayer d'obtenir qu'une espèce soit retirée de la liste en laissant entendre au représentant d'une autre province qu'un petit service en vaut un autre. Si ce n'était des groupes d'intérêt public comme le Fonds mondial pour la nature et la Fédération canadienne de la nature, qui sont prêts à intervenir et à dire que les données scientifiques montrent que l'espèce est en voie de disparition et doit figurer sur la liste et qu'il ne doit pas y avoir de négociation politique de ce genre, certaines espèces ne figureraient pas sur la liste.
Selon nous, ou bien le COSEPAC devrait comprendre des représentants de l'intérêt public, ou bien vous devriez garantir que la majorité de ses membres ne font pas partie d'un gouvernement quelconque.
M. Elgie: Pour poursuivre dans la même veine que Julie, je sais que cela inquiète le gouvernement. Selon moi, si le gouvernement veut que la liste soit dressée par le Cabinet, c'est parce qu'il veut permettre un certain équilibre politique. Nous en avons longuement discuté au groupe de travail. Nous avions conclu que, si l'on devait prévoir un certain équilibre, ce devrait être à l'étape de la protection. L'équilibre politique ne doit pas intervenir dans l'établissement d'une liste. La liste doit être crédible. C'est là-dessus que se fonde la loi. C'est à cela que tient le processus de permis d'exemption, c'est-à-dire pour permettre d'apporter un équilibre politique à l'étape de la protection.
Selon moi, il importe de noter que la Sierra Legal Defence Fund appuie de tout coeur le dépôt de ce projet de loi. Nous croyons que cela permettra d'aider beaucoup les espèces en voie de disparition. Je sais que la FCN serait du même avis.
Je vais vous parler de certaines de mes propres préoccupations, mais je tiens à bien dire qu'il y a de bons éléments dans le projet de loi. Cela représente une amélioration par rapport à la mesure proposée en 1995. Il y a cependant plusieurs éléments tout à fait essentiels du projet de loi qui sont trop faibles. Il y a d'abord l'inscription sur la liste. Les autres lacunes dont je voudrais maintenant vous parler viennent du fait que le projet de loi ne correspond pas vraiment aux recommandations du groupe de travail ou même à l'accord national.
Cela fera une grande différence si l'on peut renforcer certaines de ces dispositions trop faibles. Au lieu d'avoir une loi qui ne nous permettra pas d'accomplir beaucoup de progrès, nous aurons une mesure qui fera toute la différence du monde pour les espèces en voie de disparition du Canada. C'est dans cet esprit que je voudrais exprimer mes préoccupations. À mon avis, le projet de loi est assez près d'être une très bonne mesure qu'il est possible de l'améliorer de cette façon.
La deuxième chose dont nous devrions discuter après la question de l'inscription sur la liste est la question de savoir quelles espèces peuvent être protégées, plutôt que celle de savoir quelle protection une espèce recevra si elle est admissible. On pourrait parler d'une liste d'admissibilité. Ce que stipule le projet de loi, et le paragraphe 3(1) contient la disposition importante à ce sujet, c'est que les espèces suivantes sont admissibles à être protégées: celles qui vivent sur le territoire domanial, les espèces aquatiques et leur habitat, et les oiseaux migratoires et leur habitat s'ils sont protégés par la loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs.
Voyons un peu chacun de ces éléments. Il est certes très important de protéger les espèces sur le territoire domanial. Le gouvernement fédéral doit s'occuper de son propre territoire. Les lois fédérales doivent s'appliquer dans le Nord, parce que peut-être 95 p. 100 des terres du Nord appartiennent au gouvernement fédéral et que les territoires eux-mêmes reconnaissent ne pas avoir compétence pour adopter des lois pour réglementer l'activité dans les régions naturelles du Nord. Le ministre de la faune du Yukon l'a lui-même déclaré à l'Assemblée législative du territoire il y a environ un mois. Le gouvernement fédéral accordera peut-être ce pouvoir aux territoires plus tard, mais pour l'instant c'est le gouvernement fédéral qui doit protéger le territoire domanial dans le Nord. Ces terres lui appartiennent.
Je pense que tout le monde est aussi d'accord sur les espèces aquatiques et leur habitat.
À mon avis, le comité devrait se pencher de très près sur la question des oiseaux migrateurs. Pour l'instant, ce paragraphe stipule uniquement que les oiseaux migrateurs et leurs habitats seront protégés uniquement s'ils sont visés par la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs.
Il y a deux choses importantes à signaler à cet égard. D'abord, seulement un certain nombre d'oiseaux migrateurs sont protégés par cette loi. En 1916, le roi d'Angleterre et le président des États-Unis n'avaient pas d'inquiétude particulière à propos des oiseaux de proie, comme les éperviers, les aigles, les hiboux et les faucons. Les oiseaux migrateurs comme le faucon pèlerin et la chouette des terriers ne seront pas considérés comme des oiseaux migrateurs d'après le projet de loi.
Deuxièmement, selon le libellé actuel, on ne peut pas être certain que le projet de loi protège même l'habitat des oiseaux migrateurs. L'habitat ne sera protégé que s'il l'est aux termes de la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs, et il n'est pas vraiment certain que cette loi protège l'habitat. Elle protège effectivement les nids et réglemente les activités dans les secteurs où vivent les espèces d'oiseaux migrateurs, mais je suis bien d'accord avec Sandy sur ce point. À cause du libellé actuel, il faudra simplement attendre l'interprétation des tribunaux pour le savoir.
J'encourage le comité à préciser que le projet de loi s'appliquera à l'habitat des oiseaux migrateurs. Les oiseaux migrateurs et leurs habitats relèvent clairement de la compétence du gouvernement fédéral. Le président national de l'Association du Barreau canadien l'a bien dit dans une lettre adressée au ministre de la Justice. Comme j'étais moi-même professeur de droit constitutionnel avant de changer de carrière, je peux vous dire qu'il n'y a aucun doute là-dessus. Le gouvernement peut et doit apporter cette modification. La loi ne fera pas grand-chose pour aider les oiseaux migrateurs si elle ne protège pas l'habitat dont ils ont besoin pour survivre. C'est la principale menace à leur survie. La plupart des oiseaux migrateurs du Canada ne sont pas menacés parce qu'on leur tire dessus; ils sont en péril parce que nous détruisons l'habitat dont ils ont besoin. Le comité pourrait faire quelque chose de vraiment utile à cet égard et je vous encourage à rendre cette disposition plus claire.
Pour ce qui est des espèces transfrontalières, le groupe de travail recommandait que la loi s'applique à tous les secteurs relevant de la compétence fédérale. Ce que dit le projet de loi, c'est que le ministre peut établir des règlements pour protéger les espèces qui traversent les frontières nationales. C'est à l'article 33. Les espèces qui traversent les frontières internationales ne sont pas protégées par le projet de loi. Il est possible qu'elles le soient plus tard. J'ajoute que cette possibilité ne s'applique qu'à la protection contre une menace directe. On ne prévoit pas l'établissement de règlements pour interdire la destruction de leur habitat. Je répète que c'est l'un des principaux problèmes pour toute espèce, que ce soit une espèce qui traverse les frontières ou non.
À la fin du compte, ce que fait le projet de loi, c'est donner au gouvernement fédéral le pouvoir de tirer une cartouche à blanc. Il peut établir un règlement qui ne s'attaquera pas au véritable problème qui menace les espèces transfrontalières.
J'exhorte le comité à apporter deux précisions à cette disposition. D'abord, il faudrait noter clairement qu'il faut établir des règlements pour protéger les espèces transfrontalières. Le gouvernement fédéral a certainement le pouvoir de s'occuper de problèmes environnementaux internationaux, y compris ceux qui touchent les espèces transfrontalières en péril. En réalité, la convention sur la biodiversité l'exige.
Le groupe de travail recommandait que le projet de loi protège les espèces transfrontalières. Deuxièmement, il faudrait qu'il soit bien clair dans la loi que les règlements s'appliqueront aussi à l'habitat. Les permis d'exemption existent. Dans les cas où il existe des mesures équivalentes à l'échelon provincial, je recommanderais qu'on établisse un mécanisme quelconque pour faire face à cette situation. On pourrait peut-être avoir des accords d'équivalence comme on le fait aux termes de la LCPE.
Une autre possibilité, qui existe déjà dans le Code criminel à l'article qui traite de la cruauté envers les animaux, serait de permettre aux provinces de délivrer les permis d'exemption aux termes de cet article. Les provinces pourraient décider dans quel cas certaines activités peuvent être exemptées de l'interdiction si elles ont leurs propres lois dans ce domaine. Il y a diverses façons de s'occuper du problème.
J'encourage donc le comité à clarifier ces deux questions concernant l'admissibilité à la protection.
À titre d'exemple, Julie vous parlera d'une espèce qui méconnaît les frontières, l'ours grizzli. Le grizzly, qui soit dit en passant est en voie de disparition dans le nord des États-Unis, peut se réveiller au Montana, prendre son petit déjeuner en Alberta, vagabonder jusque dans le parc national de Banff qu'il atteindra à la fin de la journée, se réveiller le lendemain et errer jusqu'en Colombie-Britannique, puis le jour d'après entrer dans le nord de l'Idaho. Cela peut se faire en quelques jours. À l'heure actuelle, s'il entre en Alberta et en Colombie-Britannique, on a le droit de le tuer même s'il figure sur la liste des espèces vulnérables. Si par hasard il aboutit dans le parc national, j'imagine qu'il sera en sécurité pendant un certain temps s'il se tient loin de la Transcanadienne.
Le grizzli illustre bien pourquoi seul le gouvernement fédéral est en mesure de protéger une espèce qui méconnaît les frontières politiques. Aucune province n'est en mesure de protéger seule une espèce vagabonde.
Mme Gelfand: Nous voulons vous donner d'autres exemples d'admissibilité. Vous allez trouver dans votre trousse un communiqué d'Environnement Canada qui mentionne un tas d'espèces. Nous voulions vous parler de certaines de ces espèces et savoir si elles seront visées par ce projet de loi parce que vous allez constater que la plupart des espèces mentionnées dans le communiqué d'Environnement Canada ne sont pas visées par le projet de loi C-65.
Le renard véloce, par exemple, franchit une limite internationale. La protection n'est pas obligatoire. Le ministre peut le protéger mais n'y est pas obligé. Comme Stewart vient de le dire, l'habitat de cette espèce ne sera pas protégé. On mentionne aussi la marmotte de l'île Vancouver, dont l'habitat se borne strictement à l'île Vancouver, essentiellement sur des terres qui ne sont pas fédérales. C'est pourquoi cet animal n'est pas du tout visé par ce projet de loi.
Le faucon pèlerin est l'un de ces oiseaux migrateurs qui, comme l'a indiqué Stewart plus tôt, n'est pas visé par la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs. C'est pourquoi il n'est pas visé par ce projet de loi. Rien ne protégera le faucon pèlerin à moins qu'il ne se trouve sur le territoire domanial. Il faudrait qu'il soit dans un parc national - ou peut-être sur la colline du Parlement.
La chouette des terriers est un autre oiseau migrateur qui n'est pas visé par la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs. C'est pourquoi il n'est pas visé par le projet de loi C-65, à moins encore là qu'il ne se trouve sur le territoire domanial. On en trouve dans le parc national des Prairies, mais on les trouve le plus souvent sur des terres privées, dans les champs des fermiers.
Le pluvier siffleur est un cas intéressant. Le pluvier siffleur est un oiseau migrateur qui sera visé par le projet de loi parce qu'il est mentionné dans la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs. Cependant, on n'est pas sûr de son habitat. Encore là, nous tenons à dire que c'est un cas où le comité pourrait apporter un petit changement qui aurait pour effet de protéger l'habitat des oiseaux migrateurs. Cet oiseau consomme aussi une autre plante, pour laquelle je n'ai pas de diapositives, qu'on appelle la tradescantie occidentale. Elle n'est pas non plus mentionnée dans le projet de loi à moins qu'elle ne se trouve sur le territoire domanial.
Nous voulons seulement nous attarder quelques instants sur certaines des espèces mentionnées dans le communiqué. Lorsque nous étions à la conférence de presse, nous avons constaté que le ministre mentionnait ces espèces et nous sommes un peu préoccupés par le fait que la plupart de ces espèces ne seraient pas protégées en fait.
J'aimerais passer à l'article sur les interdictions. Une espèce peut figurer sur la liste et ne pas être protégée. Mais disons qu'elle est sur la liste et qu'elle est admissible à la protection. Qu'arriverait-il dans les faits? À l'heure actuelle, en vertu du projet de loi, on ne pourrait nuire à cette espèce, on ne pourrait pas la tuer, on ne pourrait pas la harceler. De même, on ne pourrait pas endommager sa résidence ou la détruire.
Tout d'abord, cet article sur les interdictions pose plusieurs difficultés. Nous croyons que l'article pourrait interdire tout dérangement des individus et de leurs résidences parce que l'activité humaine peut perturber, par exemple, une zone de mise bas pour le caribou ou de nidification pour un oiseau. Le projet de loi ne prévoit aucune protection de ce genre.
Les lois sur les espèces en voie de disparition du Manitoba et du Nouveau-Brunswick interdisent toute perturbation d'une espèce en voie de disparition, et la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs interdit toute perturbation au niveau des oeufs ou des nids, et c'est pourquoi nous croyons que ce projet de loi devrait offrir la même protection que ces lois.
Il est un autre aspect des plus essentiel où vous pouvez apporter un changement, et cela consisterait à élargir le concept de résidence. À l'heure actuelle, c'est la seule chose qui peut être protégée, qu'on ne peut pas endommager ou détruire la tanière ou au nid. Comme Stewart et moi l'avons fait remarquer, c'est comme dire: je vais protéger votre maison, mais en fait je ne vais protéger que votre chambre à coucher parce que c'est votre nid ou c'est votre tanière. Le reste de votre maison ne sera pas protégé, mais là où vous dormez huit heures par jour, vous serez en sécurité.
Nous pensons qu'il faut élargir la notion de résidence. Il faut protéger aussi les zones de reproduction, il faut protéger les zones de nutrition, et pas seulement le nid ou la tanière de l'espèce.
Nous croyons aussi que les interdictions doivent s'appliquer aux espèces disparues du pays. À l'heure actuelle, elles ne sont pas mentionnées. Ces espèces n'existent plus au Canada mais elles existent encore aux États-Unis, par exemple, ce qui fait qu'elle pourrait revenir au Canada. À l'heure actuelle, les interdictions ne s'appliquent pas aux espèces disparues du pays. Ce serait un petit changement qui serait fort utile.
Il faut aussi interdire toute tentative de tuer ou de nuire. Encore là, au Nouveau-Brunswick et en Ontario, les tentatives de tuer des espèces ou de leur nuire sont interdites, et l'on ne fait aucune mention de la tentative de tuer ou de nuire dans le projet de loi C-65.
Une raison plus concrète motive l'élargissement du concept de résidence. Le caribou de Peary n'a pas de résidence en tant que telle. Il migre dans le Nord sur un territoire qui fait plusieurs milliers d'acres, alors comment allez-vous protéger sa résidence? Il faut élargir la disposition afin que soit incluses les zones essentielles de reproduction et de nutrition. Où ce caribou met-il bas? Toutes ces zones doivent être protégées si l'on veut assurer la protection de cette espèce.
M. Elgie: Nous allons maintenant parler de la protection de l'habitat, dont le comité sait que c'est une question très importante. Ce projet de loi doit réparer ce qui est brisé, et ce qui est brisé ici, c'est la protection de l'habitat des espèces en voie de disparition.
Si vous lisez les rapports de situation du COSEPAC, vous allez constater que dans 80 p. 100 des cas, la principale menace à une espèce est la perte de l'habitat, et dans presque chaque cas, la perte de l'habitat est une menace pour l'espèce en voie de disparition.
Je suis d'accord avec Sandy pour dire que le projet de loi doit bien définir l'habitat afin que nous sachions de quoi il est question, et mon mémoire propose une définition qui s'inspire de la convention sur la biodiversité. Chose encore plus importante que la définition, il faut une protection, et ce projet de loi n'exige pas la protection de l'habitat.
Voyons d'abord les modalités du projet de loi. Voyez ses articles 38 à 42. Ce qu'on trouve ici, c'est en fait un processus en trois étapes qui permet de déterminer si l'habitat sera protégé. La première étape, bien sûr, consiste à inscrire l'espèce sur la liste. Une fois qu'on a réussi à faire déclarer une espèce admissible et qu'elle figure sur la liste, ce qui n'est le cas aujourd'hui que de30 ou 40 p. 100 des espèces au Canada, si l'on juge le rétablissement faisable, vous avez droit à un plan de rétablissement. Le plan de rétablissement recommandera les mesures voulues pour protéger l'habitat. Ce plan est déposé un an après que l'espèce est inscrite sur la liste.
Étape suivante, le ministre doit réagir au plan de rétablissement et dire quelles mesures seront prises pour qu'il soit mis en oeuvre. Pour ce faire, il a six mois après le dépôt du plan de rétablissement.
Troisième étape, en vertu de l'article 42, le ministre peut prendre un règlement visant à mettre en oeuvre les mesures du plan de rétablissement, mais il n'est pas obligé de faire quoi que ce soit.
Nous avons donc trois objections ici. Tout d'abord, ce processus en trois étapes est très compliqué. Les possibilités d'atermoiement sont énormes, et le plus important, c'est que la protection de l'habitat n'est pas obligatoire, et c'est justement le problème le plus grave qui se pose concernant les espèces en voie de disparition.
Voyez les lois provinciales sur les espèces en voie de disparition. Vous allez constater que quatre d'entre elles interdisent automatiquement la destruction de l'habitat des espèces en voie de disparition. J'en ai d'ailleurs recopié le texte - et c'est dans la trousse que nous vous avez remise - pour vous donner une idée de ce que disent les lois provinciales.
La loi du Nouveau-Brunswick:
- Nul ne détruira ou perturbera délibérément... l'habitat essentiel...
- La loi du Québec dit:
- Dans l'habitat d'une espèce menacée ou vulnérable, nul ne fera quoi que ce soit qui pourrait
modifier les caractéristiques biologiques, physiques ou chimiques de l'habitat...
- Les lois de l'Ontario et du Manitoba disent essentiellement la même chose. Toutes ces lois
disent simplement qu'on n'a pas le droit de perturber un habitat essentiel. Toutes ces lois, sauf
celles de l'Ontario, autorisent cependant des exemptions quelconques dans des circonstances
limitées où il faut prendre des mesures d'atténuation raisonnables.
J'ajoute que la loi fédérale sur les pêches contient une disposition semblable. C'est dans votre trousse. Ça dit: «Nul n'entreprendra la moindre activité... qui pourrait avoir pour effet de nuire... à l'habitat du poisson.» C'est une simple interdiction. L'ironie ici, c'est que l'habitat d'un bon vieux poisson est mieux protégé par cette loi qu'un poisson en voie de disparition au sens de la Loi sur la protection des espèces en péril. Le poisson en péril est moins bien traité.
Enfin, on constate que le gouvernement fédéral a dit qu'il compte sur les provinces pour s'acquitter de leur part de l'accord national, mais le fédéral doit faire sa part aussi. Il a fait sa part dans plusieurs domaines, mais c'est là un domaine essentiel où il n'a pas fait sa part. L'accord national dit que chaque gouvernement s'engage à adopter une loi qui protégera l'habitat des espèces menacées ou en voie de disparition. Donc le gouvernement fédéral doit respecter cet engagement critique de l'accord national. Il doit prendre l'initiative en matière de protection de l'habitat s'il veut que les provinces en fassent autant, ce que font d'ailleurs en ce moment les quatre provinces qui ont une loi en ce sens.
J'encourage le comité à dire clairement que l'habitat des espèces en voie de disparition sera protégé en vertu de cette loi. Nous sommes d'accord pour dire - et le groupe de travail était d'accord lui aussi - qu'il faut une certaine souplesse et que cette souplesse peut être réalisée avec l'article 46, qui autorise des permis d'exemption ou des accords dans presque toutes les situations où des activités peuvent toucher un habitat.
Certains vont peut-être s'inquiéter des incidences que peut avoir la protection de l'habitat, mais je réponds à cela qu'aucune preuve n'a été produite en ce sens. Quatre provinces ont des lois qui interdisent la destruction de l'habitat sur tout leur territoire, et certaines lois remontent maintenant à 24 ans. Cela n'a pas stoppé notre croissance économique. Pour autant que je sache, cela n'a causé aucun problème grave. Ces lois ont seulement aidé les espèces en péril.
J'ajoute, soit dit en passant, que ces lois n'ont suscité aucune poursuite judiciaire. Même si l'Ontario et le Québec permettent aux citoyens d'intenter des poursuites privées pour toutes contraventions à ces lois, on n'a jamais intenté la moindre poursuite pour obliger à respecter ces dispositions sur la protection obligation de l'habitat.
Donc ça a marché. C'est un modèle qui s'est avéré efficace et qui devrait être adopté dans ce projet de loi-ci; autrement, si l'on ne règle pas ce problème essentiel, ce projet de loi ne réussira pas à protéger les espèces en péril. C'est aussi simple que cela.
À titre d'exemple, je vais vous montrer quelques diapositives qui illustrent ma thèse. Le projet de loi protège la résidence. Je vais vous donner un exemple d'espèce, un oiseau migrateur qu'on appelle l'alque marbrée. Nous avons cherché son nid pendant 15 ans au Canada et nous ne l'avons jamais trouvé parce que cet oiseau ne niche que dans des arbres de 150 pieds de haut dans les forêts anciennes de la côte, au bout d'une branche moussue. La seule façon de trouver le nid, c'est de scruter le haut des arbres dans les forêts anciennes à la première lueur de l'aurore, pour espérer voir la silhouette de l'oiseau, deviner sur quelle branche est son nid, grimper sur l'arbre jusqu'à 200 pieds de haut et rechercher une dépression dans la mousse qui a à peu près la taille d'une tasse de thé. C'est exactement ce qu'une équipe de chercheurs universitaires a fait pendant tout l'été de 1990, et en août, ces chercheurs ont trouvé le premier nid de l'alque marbrée jamais vu au Canada.
Je ne suis même pas sûr qu'on puisse le voir ici - ça vous montre à quel point il a été difficile à trouver. Voyez au bas de la diapositive, à peu près au tiers du haut, juste au milieu, il y a une petite marque blanche. Ce sont là des coquilles d'oeuf et des excréments de l'oiseau. C'est une toute petite marque blanche. C'est là que le nid se trouve.
Ils ont donc réussi à trouver ce nid et ils ont fini par en trouver quelques autres dans la même région à la fin de l'été. Mais c'était la première fois qu'on repérait ce nid. Ils étaient tous ravis.
Le problème, c'est qu'en Colombie-Britannique, il n'y a pas de loi sur les espèces en péril. Comme c'est un oiseau migrateur de toute façon, il relève de la compétence fédérale. Même si l'on a interdit à la compagnie de couper l'arbre où l'on avait trouvé le nid, et quelques autres autour, les chercheurs avaient vu aussi des douzaines d'oiseaux de cette espèce dans les arbres à l'aurore dans la forêt autour. Ils n'avaient pas encore trouvé leurs nids, et malheureusement ils ne les ont jamais trouvés, parce que ces forêts ont été rasées. S'il y avait des alques marbrées là, elles n'y nichent plus.
Heureusement, la partie supérieure de la vallée a été déclarée parc provincial quelques années plus tard, et quelques zones de nidification ont survécu. Mais cela vous montre que la stricte protection du nid ne protégera jamais une espèce en péril.
Mme Gelfand: On ne peut souligner assez l'importance de la protection de l'habitat. Si ce projet de loi ne protège pas l'habitat d'une espèce, cette espèce en péril ne sera pas protégée. S'il y a une chose que vous pouvez changer, c'est ça, parce qu'il faut s'assurer de protéger l'habitat.
Une fois qu'une espèce est admissible et qu'elle figure sur la liste, il y a des interdictions, et ce qu'on fait entre autres choses une fois que l'espèce figure sur la liste, on met au point un plan de rétablissement. En fait, cet article du projet de loi est excellent. Le mémoire de la FCN fait état des mesures que nous jugeons bonnes parce qu'il n'y a pas que du mauvais dans ce projet de loi et il est réconfortant aussi de savoir ce qui est bon.
Ce projet de loi est d'ailleurs très bon pour certaines choses. Pour ce qui est du contenu des plans de rétablissement, c'est bon. Pour ce qui est de la production en temps voulu des plans de rétablissement, c'est excellent. Si une espèce est inscrite sur la liste comme espèce en voie de disparition, on a un an pour préparer un plan de rétablissement. C'est excellent. Si une espèce est jugée menacée, un plan de rétablissement doit être produit dans les deux ans qui suivent. Ça aussi c'est excellent, beaucoup mieux que ce qu'on espérait. Il ne s'agit pas seulement de produire des plans de rétablissement pour les espèces menacées ou en voie de disparition; il faut aussi produire des plans de gestion pour les espèces vulnérables.
Sandy a parlé un peu du concept de gestion par expédients. Cela coûte beaucoup moins cher et est beaucoup plus facile de s'occuper d'une espèce lorsqu'elle n'est que vulnérable, lorsqu'on a encore la possibilité de modifier certaines pratiques. Il en coûte beaucoup moins d'empêcher une espèce de figurer sur la liste des espèces en voie de disparition que de l'en enlever. Si l'on peut s'en occuper lorsqu'elle est vulnérable, produire un plan de gestion pour elle et commencer à changer certaines de nos habitudes, on peut empêcher l'espèce de se retrouver sur la liste des espèces en voie de disparition.
C'est grâce aux plans de rétablissement figurant aujourd'hui dans le projet de loi C-65 qu'on pourra contrer les menaces aux habitats des espèces. C'est là qu'on retrouve la disposition que nous recherchions. Mais ce n'est pas suffisant. La protection de l'habitat doit être beaucoup plus vaste. Cependant, le problème aujourd'hui, c'est que ces plans de rétablissement n'ont aucune valeur juridique.
Donc le seul domaine où l'on peut protéger l'habitat aujourd'hui, si l'on s'en tient à la version existante du projet de loi, c'est dans le plan de rétablissement, mais le plan de rétablissement n'a aucune valeur juridique et, chose encore plus importante, il n'existe aucune obligation de mettre en oeuvre les plans de rétablissement. Le calendrier est excellent pour les espèces en péril - un an pour l'espèce en voie de disparition et deux ans pour les espèces menacées - mais on aurait beau avoir tous ces jolis plans, si le gouvernement ou les parties intéressées n'ont nulle obligation de mettre en oeuvre le plan de rétablissement, ça ne sert à rien. Nous pensons que c'est là un changement que le comité pourrait apporter très aisément.
Nous avons aussi des réserves concernant la faisabilité du rétablissement ou ce que nous appelons la «disposition d'extinction». La question de la faisabilité consiste à savoir si c'est faisable, et c'est ce que vise à établir le plan de rétablissement. Quels moyens doit-on prendre, quelles sont les options et quels sont les coûts? À notre avis, la seule chose à déterminer, c'est s'il est possible de faire revivre l'espèce.
S'il est possible de faire revivre l'espèce, il faut automatiquement passer à la phase du plan de rétablissement. Il faut rédiger un plan de rétablissement. Si c'est impossible - comme Stewart l'a dit, s'il ne reste plus qu'un seul mâle, il est impossible de faire revivre l'espèce - il est inutile de produire un plan de rétablissement. Mais si l'on dit que ce doit être faisable, vous inscrivez essentiellement une disposition d'extinction dans le projet de loi. À notre avis, c'est inacceptable.
M. Elgie: Permettez-moi d'ajouter que le groupe de travail a débattu de cette question. Nous nous sommes finalement entendus sur le mot «possible». Le concept de faisabilité nous oblige à considérer les choses comme les options de rétablissement, les coûts et les avantages de chacune. Une fois que c'est fait, on se retrouve ni plus ni moins avec un miniplan de rétablissement. Donc les questions de faisabilité, d'équilibre, devraient être considérées dans le processus de rétablissement.
J'ajoute encore ceci. On ne prévoit pour le moment aucun pouvoir permettant de prendre des règlements pour mettre en oeuvre des plans de gestion pour les espèces vulnérables. On peut produire les plans mais on n'a même pas le pouvoir qu'il faut pour les mettre en oeuvre. Il faut changer ça tout simplement.
Je ne m'attarderai pas sur cela, mais vous trouverez dans nos mémoires plusieurs arguments en ce sens. Permettez-moi de les souligner, de les mentionner parce qu'il s'agit des questions les plus importantes.
Premièrement, il faut obliger le ministre à prendre un arrêté d'urgence lorsque le COSEPAC fait une désignation d'urgence. C'est ce que recommandait le groupe de travail. À l'heure actuelle, à l'article 34, c'est facultatif.
Deuxièmement, il y a l'exemption générale que prévoit le projet de loi pour toutes les activités autorisées relatives à la sécurité nationale ou à la santé des plantes ou des animaux. Rien ne motive une exemption générale des interdictions du projet de loi pour les activités relatives à la sécurité ou à la santé des plantes ou des animaux. Il n'y a ici qu'à suivre tout simplement le processus normal d'exemption, et s'il y a une raison valide pour autoriser l'exemption, qu'on l'autorise. Le groupe de travail recommandait que ces exemptions soient autorisées uniquement dans les situations d'urgence, lorsqu'on n'a pas le temps de demander un permis. Il peut se produire des cas comme ça. Cette disposition est beaucoup trop vague.
Troisièmement, le projet de loi - et je suis d'accord avec Sandy ici - doit faire davantage pour encourager les efforts de conservation des espèces par les propriétaires fonciers et les usagers. Sans le soutien volontaire des propriétaires et gestionnaires fonciers, nous ne pourrons jamais identifier, et encore moins protéger, les espèces en péril. Il faut obtenir leur collaboration au plan de rétablissement dès le début. Le projet de loi doit encourager les plans de conservation, en particulier les plans qui concernent plus d'une propriété, pour que ce soit plus flexible et plus efficient. Il faut prévoir des choses comme des déductions d'impôt et d'autres incitatifs, qu'il faudra peut-être trouver ailleurs que dans ce projet de loi, pour soutenir les efforts de conservation privés.
Il devrait y avoir une exigence au niveau des examens préalables.
Nous avons examiné la situation aux États-Unis - et il y a plusieurs dispositions dans la loi américaine que nous avons évité de copier. Il y a un domaine où tout a vraiment bien marché aux États-Unis, et c'est le processus d'examen préalable. Avant d'aller de l'avant avec un projet qui pourrait nuire à une espèce en péril, il devrait y avoir un genre de mécanisme d'examen préalable où l'on examinerait les solutions de rechange ou des moyens qui permettraient de réduire au minimum les effets sur l'espèce en péril. C'est la clé de toute bonne approche préventive.
Ce qu'on a constaté aux États-unis, c'est que littéralement, si vous regardez le nombre d'examens préalables qui ont été réalisés pour divers projets, plus de 99,9 p. 100 des conflits potentiels entre promoteurs et protecteurs des espèces ont été réglés au stade de l'examen préalable, et les projets sont allés de l'avant, parfois avec modifications mineures. Donc on a besoin de ça dans ce projet de loi.
Enfin, le pouvoir de mise en oeuvre du citoyen représente un progrès important. On tient ainsi une promesse préélectorale qu'avait faite le critique de l'environnement de l'époque, Paul Martin. Il existe des dispositions semblables dans les quatre provinces. Cependant, il faut à mon avis aplanir plusieurs obstacles importants. Le plus important, pour le moment, c'est que si la survie d'une espèce fait l'objet d'une menace immédiate, le citoyen doit demander au gouvernement de faire enquête et attendre le résultat de cette enquête avant de solliciter une injonction judiciaire. L'espèce pourrait être détruite pendant que l'on fait enquête. On pourrait apporter aisément ce changement.
Dernière chose, permettez-moi de vous dire que le comité doit de toute évidence faire des choix importants, des choix qui compteront beaucoup dans l'évolution du Canada et qui détermineront si dans 40, 50 ou 100 ans, il y aura encore des belugas, des grues blanches d'Amérique, des rosiers des prairies ou des grizzlis que pourront voir nos petits enfants. Pour moi, ce projet de loi est un investissement dans l'avenir du Canada. Vous tenez là une chance historique d'adopter une loi qui protégera le vaste patrimoine biologique du Canada. Comme Julie l'a dit, je vous invite fortement à agir aujourd'hui en adoptant une loi efficace au moment où le problème des espèces en péril est relativement traitable comparativement à la situation que l'on retrouve dans d'autres pays développés. Si nous attendons, comme on l'a fait aux États-Unis, il n'en sera que plus difficile et plus cher de résoudre le problème des espèces en péril.
Enfin, sur une note personnelle, je tiens seulement à dire que nous avons beaucoup de chance au Canada et que parfois nous l'oublions. Nous ne sommes que 20 millions d'êtres humains dans le deuxième plus grand pays au monde. Il doit y avoir moyen pour les espèces sauvages et les êtres humains de coexister dans notre pays. Nous avons également beaucoup de chance dans la mesure où nous avons le savoir qu'il faut pour comprendre et anticiper les torts que nous causons à l'environnement, et notre prospérité et notre stabilité sociale nous donnent le luxe de nous inquiéter de tels problèmes. Je dis cela seulement parce que si le Canada ne trouve pas la volonté politique qu'il faut pour protéger les espèces en péril, comment pourrons-nous en exiger autant des autres pays?
Mme Gelfand: Monsieur Caccia, si vous le permettez, l'un de nos invités aimerait dire quelques mots.
M. Stewart Hamill (témoignage à titre personnel): Bonjour, je m'appelle Stewart Hamill. Je suis ici à titre de propriétaire foncier invité par la Fédération canadienne de la nature.
Je tiens à dire qu'une loi sur les espèces en péril, c'est un peu comme fermer la porte de l'écurie après que les chevaux se sont sauvés. Si nos gouvernements fédéral et provinciaux protégeaient mieux l'habitat, cette loi ne serait pas nécessaire. Mais ce projet de loi est très important justement parce que nous faisons mal notre métier.
Car c'est important, il est absolument nécessaire de protéger l'habitat, comme on l'a dit, et cela concerne les terres privées. Comme propriétaire foncier, je tiens à dire que cette loi doit s'étendre à toutes les terres, y compris les terres privées, autrement ça ne servira à rien.
C'est surtout dans les médias qu'on entend parler de ce projet de loi. Ce que j'entends et ce que je lis, c'est: formidable, nous aurons enfin une loi qui interdira de tuer les espèces en péril. La belle affaire. Comme propriétaire, je n'aime pas qu'on insinue par ce projet de loi que les gens tuent les espèces en péril, et comme propriétaire, je me sens visé. Les espèces ne sont pas en péril parce que les gens les tuent; elles sont en péril parce qu'elles perdent leur habitat.
Ce qui pose la question intéressante de savoir qui va identifier les habitats dont les espèces en péril ont besoin. Il faudra, une fois qu'une espèce figurera sur la liste, que quelqu'un identifie l'habitat dont elle a besoin pour se protéger. C'est comme ce qu'on a fait en Ontario lorsqu'on a identifié et évalué les grandes terres humides. Il faut pour ça coopérer avec les provinces, et je pense que c'est une chose très importante et nécessaire dans un projet de loi comme celui-ci.
Enfin, j'ajouterai quelque chose à propos des encouragements aux propriétaires fonciers. En Ontario, nous sommes en train de songer à restaurer le remboursement de taxe pour les boisés. Les taxes foncières sur les terres que je protège parce que je tiens à les protéger étaient calculées sans supposer que je peux à tout moment en faire des lotissements, alors je n'aurais pas besoin d'encouragement pour protéger les espèces en péril qui y vivent.
Toutefois, si l'on m'impose de renoncer à des revenus tirés de ces terres, un peu comme on demanderait à un agriculteur de cesser de cultiver un lopin de terre, ou si je suis forcé de cesser d'abattre des arbres sur un lopin quelconque, on devrait alors me verser un dédommagement. Si, parce que je suis propriétaire foncier, on me demande de faire un effort pour protéger une espèce en péril, ou si on exige que je le fasse, et si cela entraîne pour moi des dépenses, je devrais être dédommagé.
À part ces cas-là, il n'y aurait pas besoin d'encouragement particulier si les impôts fonciers sont calculés de façon raisonnable.
Merci de l'occasion que vous m'avez donné de vous adresser la parole.
Le président: Merci. Votre témoignage est très utile, comme celui des autres témoins, du reste. On voudra sans doute vous poser des questions, et donc
[Français]
on va commencer par Mme Guay.
Mme Guay (Laurentides): L'exposé que vous nous avez fait ce matin était très intéressant. Évidemment, il n'y a jamais rien de parfait. Je suis toujours inquiète quand on dit qu'il nous faut une loi très forte au fédéral, alors qu'on sait qu'on en a dans certaines provinces, entre autres au Québec. On ne peut entrer en conflit avec les lois qui existent déjà. Une entente a été signée entre le fédéral et les provinces pour respecter le fait qu'il y avait déjà des choses qui existaient dans ces provinces-là.
Je comprends que les groupes environnementaux veuillent une loi qui soit très forte, très solide et qui protège bien les espèces en voie de disparition, mais il y a aussi une réalité politique dans tout cela.
Donc, j'aimerais connaître votre opinion sur les lois qui existent déjà. Comment peut-on gérer et administrer une autre loi qui prend naissance ici, au fédéral, et qui va peut-être causer des situations conflictuelles entre les provinces et le gouvernement fédéral?
Mme Gelfand: Je vais essayer de répondre en français. Par la suite, je vais laisser Stewart répondre, car il a plus de connaissances juridiques que moi.
On appuierait des ententes entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux si les lois déjà adoptées par ces provinces étaient à peu près équivalentes à la LCPE. On appuierait de telles ententes si elles
[Traduction]
répondent à des exigences minimales.
[Français]
Il serait alors acceptable qu'il y ait des ententes entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux.
[Traduction]
M. Elgie: Permettez-moi d'ajouter quelque chose en anglais.
Cela ressemble énormément à ce que le groupe de travail a recommandé, à savoir que pour les cas où la loi fédérale et la loi provinciale se chevauchent, il faudrait un mécanisme quelconque. À la vérité, nous ne souhaiterions qu'une loi fédérale offre le même genre de protection que la loi québécoise.
Il y a des secteurs où la présence du gouvernement fédéral est absolument nécessaire. Manifestement, les espèces qui ne peuvent pas survivre sur le seul territoire d'une province, qui émigrent ou qui peuplent deux provinces à la fois, devront être protégées par le gouvernement fédéral jusqu'à un certain point - et je songe ici à des espèces aquatiques qui relèvent des autorités responsables des pêches, et aux espèces qui vivent sur les terres domaniales. De toute façon, il faudra donc faire intervenir le gouvernement fédéral, mais à bien des égards, le Québec est véritablement un modèle. Sa loi n'est pas parfaite mais il serait bon que le genre de protection qui figure dans la loi québécoise se retrouve dans celle-ci.
[Français]
Mme Guay: Si une espèce est en voie de disparition sur le plan international, par exemple dans un territoire qu'on partage avec les États-Unis, comment appliquera-t-on la loi? Comment peut-on dire aux Américains qu'on appliquera notre loi pour protéger ces espèces? Quelles ententes pourrons-nous faire à ce moment-là?
[Traduction]
M. Elgie: Deux choses, à vrai dire. Pour l'instant, la protection des espèces ne constitue pas un problème aux États-Unis. Il existe là-bas une loi qui remonte à 1973 et qui exige la protection des espèces en péril dans leur habitat vital.
Je ne dis pas que la loi américaine est parfaite, mais, de façon générale, il existe là-bas le contre-pied du problème. Ce sont les ours grizzlis, protégés aux États-Unis, qui perdent leur protection dès qu'ils franchissent le 49e parallèle.
De toute façon, il faut dire que très souvent il y a des exigences de coopération. En fait, un certain nombre de nos oiseaux migrateurs vont au Mexique à certaines saisons. Au moins une douzaine d'espèces traversent la frontière mexicaine. À l'heure actuelle, le gouvernement fédéral, étant donné notre situation constitutionnelle, est le palier de gouvernement qui peut conclure des accords exécutoires avec d'autres pays après avoir négocié avec eux une protection réciproque.
Si Bruce Babbitt appelle Sergio Marchi pour lui demander ce qu'il compte faire pour protéger le faucon pèlerin lors de la migration de cet oiseau au Canada, le ministre Marchi ne peut pas lui répondre qu'il est désolé parce qu'il s'agit d'une question locale et qu'il doit s'adresser aux provinces... Que dirions-nous si nous téléphonions aux Américains et qu'ils nous répondaient eux aussi que c'est une question locale, de nous adresser aux autorités de chacun des États pour qu'elles s'occupent des espèces que nous tenons à protéger?
Autrement dit, les deux paliers de gouvernement doivent intervenir. Quand il y a chevauchement, quand les provinces ont adopté des lois équivalentes, il faut qu'on prévoie absolument un mécanisme de raccordement, comme dans le cas de la province de Québec, car il n'y a pas de raison qu'il y ait chevauchement.
Mme Baumgartner: Vous venez d'aborder un des éléments essentiels du débat, et à mon avis, c'est la raison pour laquelle il est capital - et rappelez-vous ce que j'ai dit à propos d'un accord national - que le gouvernement fédéral, au premier chef, assume un rôle de direction tout en exprimant sa volonté de travailler en collaboration avec les provinces et les territoires.
Il semble que quelque part nous ayons supposé que les provinces ne souhaitaient pas protéger ces espèces. C'est tout à fait faux et bien loin de la réalité. Les provinces veulent plutôt qu'on leur dise comment s'y prendre et elles veulent travailler en collaboration avec le gouvernement fédéral pour atteindre l'objectif. À mon avis, un accord national devient dès lors un document capital quand il s'agit des espèces en péril.
Sur le plan international, il faut prévoir des mécanismes pour élaborer des accords de coopération et c'est à cette fin qu'il nous faut cette loi ou tout autre programme. Il existe déjà des plans de rétablissement conjoints permettant de s'occuper de ces espèces-là.
Par exemple, Julie et Stewart ont parlé dans leur exposé de la chouette des terriers. Dans les deux pays, on fait des efforts pour protéger cet oiseau. La même chose pour la grue blanche. Les efforts viennent actuellement des gouvernements centraux dans les deux pays, mais les États et les provinces qui abritent ces espèces travaillent aussi en vue de résoudre ce problème.
À mon avis, un accord national est absolument essentiel.
[Français]
Mme Guay: Merci pour vos commentaires. Il faut quand même faire attention de ne pas pénaliser ceux qui font déjà un travail important au niveau de la protection des espèces en voie de disparition par rapport à ceux qui ne font rien du tout et qui n'ont pas de loi. Je sais que ce n'est pas protégé, mais il y en a qui font déjà un travail extraordinaire.
À Ottawa, on a déjà déposé certains projets de loi, entre autres le projet de loi C-62 qui traite des pêches et de la protection de l'habitat du poisson. On a toujours eu un certain problème de chevauchement, même entre nos propres ministères au fédéral, et j'aimerais avoir votre opinion là-dessus.
Qu'est-ce qui va primer? Pour l'habitat du poisson, est-ce que ce sera la Loi sur la protection des espèces en voie de disparition ou si ce sera le projet de loi C-62? Ne faudrait-il pas qu'on fasse le ménage dans nos propres affaires, au fédéral, avant d'adopter des lois qui vont chevaucher d'autres lois? Pendant ce temps-là, on risque de perdre beaucoup de temps et d'énergie dans les différents ministères.
[Traduction]
M. Elgie: Actuellement, la Loi sur la protection des espèces en péril au Canada fait référence à certains pouvoirs en vertu de la Loi sur les pêches. Par exemple, l'article 47 du projet de loi, où il est question des permis, dispose que les permis délivrés en vertu d'une autre loi fédérale sont considérés comme des permis d'exemption en vertu de la présente loi, dans la mesure où certaines exigences sont remplies. Je crois que la raison d'être de cette disposition est d'éviter le chevauchement de cette nature avec les pouvoirs que prévoit la Loi sur les pêches.
J'ajouterai cependant qu'actuellement, pour ce qui est de l'habitat, la Loi sur les pêches est plus exigeante, de sorte qu'il ne sera pas nécessaire d'invoquer les dispositions de la Loi sur la protection des espèces en péril si jamais il y a une espèce aquatique qui est en péril. Pour l'instant, la protection est faible.
On est en droit de se poser certaines questions quant au chevauchement des compétences fédérales et provinciales dans les dispositions de la loi. L'essentiel, qu'il ne faut pas oublier, et j'espère que vous ne le ferez pas, c'est que les espèces en péril, elles, ne se préoccupent guère de quel palier de gouvernement, quel ministre, est censé les protéger. Ces espèces ont tout simplement besoin d'être protégées. La question des compétences en matière de protection doit donc être secondaire et l'on doit se préoccuper avant tout de les protéger. Si, au bout du compte, dans tous ces rapiéçages, les espèces sont protégées, on ne se souciera pas de savoir qui s'en occupe, si la loi affiche une fleur de lys ou une feuille d'érable, car pour nos petits-enfants, dans 100 ans, cela n'aura pas grande importante.
Le président: Monsieur Adams.
M. Adams: Merci, monsieur le président.
Madame Baumgartner, veuillez m'excuser d'avoir interrompu votre exposé. Je pense que c'est la première fois que je... D'habitude, je suis très discipliné quand il s'agit d'écouter des témoins, mais je tiens à vous dire que tous les députés réunis autour de cette table aujourd'hui, tous, ou presque tous, tous ceux qui sont ici en ce moment...
Des voix: Sont des gens formidables.
M. Adams: ...sont des gens formidables, c'est vrai, mais ils appuient ces dispositions législatives. Nous savons qu'il faut les améliorer. Toutefois, nous savons très bien, et nous nous en réjouissons, qu'on fait ce qu'il faut actuellement pour que promptement ce projet de loi soit examiné et qu'il soit adopté. Nous savons que certains groupes ont travaillé très très dur, mais quant à nous, nous devons saisir la chance parce qu'elle est en train de passer. Nous vivons dans un monde de réalités politiques et juridiques avec lesquelles il faut composer.
Votre fédération a participé au COSEPAC. Si ces dispositions législatives étaient adoptées telles quelles, le processus du COSEPAC s'en trouverait-il mieux ou pire?
Mme Baumgartner: Pire. Les décisions prises par le COSEPAC n'auront aucune garantie d'être mises en oeuvre. Le fait que les membres du comité doivent s'adresser au ministre et, au bout du compte, à ses collègues ou au conseil des ministres pour obtenir leur accord quant à la teneur des règlements qui sont essentiels si l'on veut que la loi soit efficace empire les choses pour le COSEPAC car il y a cette ingérence politique qui intervient.
Julie a fait allusion aux modalités de fonctionnement actuelles du COSEPAC. Il fut un temps, je le reconnais, où...
Le président: Pourquoi est-ce qu'il y aurait selon vous ingérence politique? Ce pourrait très bien être un appui politique.
Mme Baumgartner: Ce serait l'idéal, mais je pense que nous ne pouvons pas...
Le président: Il faudrait que vous puissiez le prouver.
Mme Baumgartner: Je voulais dire que le gouvernement qui gouverne à un moment donné n'est pas toujours celui qui a adopté la loi. Les gouvernements changent, vous le savez, mais il y a quand même un précédent qui est créé dont devront s'inspirer les gouvernements à l'avenir. Les décisions prises par le COSEPAC ont un fondement scientifique... Effectivement, il est vrai que par le passé il y a eu parfois ingérence politique, à petites doses, mais au bout du compte, le COSEPAC prend des décisions fondées sur des arguments scientifiques. Si vous ne lui faites pas confiance, trouvez un autre mécanisme.
M. Adams: C'est juste. Je respecte votre avis. Nous venons de terminer une étude intense de la biotechnologie, et des scientifiques en la matière sont, c'est le moins qu'on puisse dire, partagés. Les préoccupations de l'homme de la rue sont fondées, selon moi, et ce sont les scientifiques qui font fausse route. En voilà encore un exemple.
Je vous ai prié de m'excuser d'être intervenu alors que vous présentiez votre exposé parce que vous disiez que la plupart des espèces en péril vivent sur des terres privées.
Monsieur le président, je ne sais pas si cela est vrai ou faux, mais je trouve cela un peu singulier. Toutes les fermes, toutes les villes, en Ontario, par exemple, ne constituent que 13 p. 100 des terres, de sorte que 87 p. 100... Serait-ce que toutes les espèces s'entassent dans 13 p. 100 de la superficie, mais assurément, étant donné que vous avez pour la science... Ce que vous avez dit, est-ce vrai?
Mme Baumgartner: Je dois vous prier de m'excuser. À un moment donné, pour beaucoup d'espèces, celles qui migrent... Ces espèces ne sont pas sédentaires et dans bien des régions - dans l'Ouest... Vous allez entendre plus tard ce matin les exposés de grands propriétaires fonciers qui possèdent des milliers d'acres où vivent des espèces en péril.
Je suppose que c'était une généralisation, mais dans bien des régions, à un moment donné, surtout quand il s'agit d'espèces migratrices ou d'espèces qui se déplacent... L'ours grizzli dont Stewart parlait peut à l'occasion passer par des terres privées au moment de ses pérégrinations. Il existe des terres privées et je pense qu'on ne peut pas les mettre dans une catégorie à part.
M. Adams: Vous sembliez dire que la plupart des espèces vivaient sur des terres privées. Si les terres dont je vous parlais tout à l'heure représentent 13 p. 100 du territoire en Ontario, et c'est la province la plus populeuse, qu'est-ce que cela représente dans le reste du pays?
M. Elgie: Nous avons des données brutes là-dessus.
M. Adams: D'accord.
Monsieur le président, je m'inquiète énormément de cette question du fédéral...
Le président: Un instant. Quelqu'un veut dire quelque chose.
M. Adams: Excusez-moi.
Le président: Pouvez-vous vous présenter, s'il vous plaît?
Mme Lenore Fahrig (professeure, maître de conférence, Département de biologie, Université Carleton): Je m'appelle Lenore Fahrig. Je suis écologiste à l'Université Carleton.
La plupart des espèces qui vivent au Canada, vivent le long du corridor septentrional, et au fur et à mesure qu'on va vers le nord, il y a moins de diversité. Il y a plus de terres privées dans la partie sud du pays que dans la partie nord. Voilà peut-être ce qui explique que la corrélation entre le péril que courent certaines espèces et les terres privées. La plupart des espèces, et par conséquent la plupart des espèces en péril, vivent dans le Sud et le gros des terres dans le sud sont privées.
M. Hamill: En outre, si certaines espèces sont en péril, c'est à cause de l'activité humaine. Par conséquent, là où il y a le plus d'activités, c'est là où vous trouverez le plus grand nombre d'espèces en péril, et c'est dans le sud où se trouvent les terres privées.
M. Elgie: Voulez-vous les statistiques...
M. Adams: Formidable. Volontiers. C'est une question grave et vous...
M. Elgie: Les données scientifiques ne sont pas précises. Il s'agit d'une donnée statistique... Nous avons examiné tous les rapports de situation préparés par le COSEPAC jusqu'à présent, et Sandy a raison, près de 50 p. 100 des espèces en péril vivent à un moment donné du cycle annuel sur des terres privées. L'on constate cependant que pour leur survie, moins de 10 p. 100 de ces espèces doivent compter de façon sensible sur les terres privées.
M. Adams: Je vois.
M. Elgie: Il y en a donc au moins la moitié qui y passe à un moment donné, mais seulement de 12 à 20 p. 100 comptent essentiellement sur les terres privées.
M. Adams: Merci.
Je m'inquiète énormément de l'aspect juridique et politique de certaines choses ici, et je voudrais que l'un ou l'autre d'entre vous me parle de ce que Stewart a qualifié d'ambigu en ce qui a trait à l'habitat. Qu'est-ce qui est nettement de compétence fédérale? Et pour les espèces qui traversent des frontières... Je sais que vous avez donné des explications. Nous avons le résumé ici et vous allez nous donner un mémoire exhaustif. Toutefois, j'aimerais que vous nous en parliez. Pourriez-vous nous parler également des aspects juridiques et politiques?
Si je ne m'abuse, en Ontario, il existe des dispositions législatives très strictes pour l'instant, mais néanmoins c'est une loi qu'on envisage de modifier.
Mme Gelfand: De modifier?
M. Elgie: Je voudrais être sûr de bien comprendre votre question...
M. Adams: Il s'agit d'une compétence fédérale, n'est-ce pas, puisqu'il est question d'habitat...
M. Elgie: Il s'agit des espèces qui migrent au-delà de la frontière ou de l'habitat...
M. Adams: Il s'agit de l'habitat en général. Il y a des espèces qui passent d'un territoire domanial à un autre. Vous avez également parlé très éloquemment de la question des oiseaux qui franchissent une frontière lors de leur migration... Je pense que vous avez parlé de la convention sur la biodiversité et de sa définition. Pouvez-vous développer votre pensée?
M. Elgie: Volontiers. Je serai beaucoup plus bref que je ne le devrais mais beaucoup plus long, sur certaines choses, que mes collègues ne souhaiteraient que je le sois. Ce que je recommanderais - et je pourrais vous en donner un exemplaire si vous le souhaitez - car il s'agit d'une lettre fort intéressante de la main du président de l'Association du Barreau canadien et qui répond à certaines préoccupations juridiques. Je vais en donner copie au greffier.
En deux mots, s'agissant des pouvoirs du gouvernement fédéral sur l'habitat, la loi veut que si le gouvernement fédéral a compétence en la matière, il peut faire tout ce qu'il juge nécessaire et même accessoire pour régler le problème efficacement. Il s'agit de la doctrine de l'accessoirement nécessaire.
Si donc le gouvernement fédéral a compétence pour protéger une espèce, qu'il s'agit d'un oiseau ou d'un poisson migrateur, il a le pouvoir de protéger l'habitat de cette espèce. C'est la raison pour laquelle les dispositions de la Loi sur les pêches prévoient la protection de l'habitat. Selon la Constitution, le gouvernement fédéral a compétence pour gérer les pêches - et non pas l'habitat du poisson - mais la Loi sur les pêches contient de telles dispositions de protection car le gouvernement fédéral a le droit d'inclure certains pouvoirs nécessaires pour l'exercice de ses pouvoirs constitutionnels.
Sur les terres domaniales, c'est facile. Le gouvernement est propriétaire des terres et il peut y exercer ses responsabilités. Sur les autres terres cependant, si le gouvernement fédéral a compétence dans un domaine - en l'occurrence, la protection des espèces en péril - , il a le pouvoir de faire ce qui est nécessaire à cette fin.
M. Adams: Permettez-moi d'ajouter quelque chose. Si je représentais une province ou une autre entité, et si je voulais contester la deuxième partie... Je constate que personne ne songerait à contester la propriété des terres domaniales et la situation actuelle. Que va-t-il arriver si les provinces ne se dotent d'une loi, car il semble qu'elles n'en aient pas la volonté, pour régler ce problème?
M. Elgie: Est-ce que vous parlez d'une contestation politique ou juridique?
M. Adams: Les deux.
M. Elgie: Sur le plan juridique, je vous répondrai que pratiquement toutes les lois principales adoptées par le gouvernement fédéral en matière d'environnement ont fait l'objet d'une contestation en vertu de la Constitution. C'est inévitable dans le domaine de l'environnement. La Loi sur les pêches... et maintenant c'est le tour de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement.
Si vous voulez une loi qui soit à l'abri de toute contestation, arrangez-vous pour que rien n'y soit dit, ainsi, elle ne donnera lieu à aucune contestation.
En ce qui concerne la contestation politique, je pense que vous avez raison. Certaines provinces sont favorables à l'idée du leadership fédéral, mais d'autres s'en inquiètent. Cela n'a rien d'étonnant. C'est une réalité dans notre pays. Je pourrais cependant dire que si une province venait dire au gouvernement qu'il n'a pas à légiférer en matière de protection d'espèces migratrices qui se trouvent sur un habitat provincial, cette province étant disposée à mettre en place elle-même la protection nécessaire, ce serait un argument creux.
Si une province dit qu'une telle protection est déjà en place et que l'intervention du gouvernement fédéral est superflue, peut-être faudrait-il alors prévoir un mécanisme pour éviter tout chevauchement. Mais si la province demande de ne pas intervenir alors qu'elle n'a pas l'intention d'intervenir elle-même, c'est tout à fait différent.
Je suis d'accord avec Sandy lorsqu'elle dit que les provinces ne souhaitent certainement pas la disparition de certaines espèces, mais dans certains cas, comme dans celui du nid d'alque marbrée que je vous ai montré, il faut faire des choix politiques difficiles. Lorsqu'on a à choisir entre le risque de froisser les sensibilités de certaines provinces qui ne veulent pas d'intervention du gouvernement fédéral et le risque d'acquiescer à l'extinction de certaines espèces dont les provinces ne veulent pas protéger l'habitat, on n'a pas à hésiter bien longtemps.
M. Adams: Pourriez-vous nous parler de la même façon du problème transfrontalier?
Disons que le gouvernement fédéral a pris un engagement au nom du Canada en vertu de la convention sur la biodiversité et qu'il se heurte encore à des contestations juridiques et politiques. Est-ce que vous pouvez nous parler de cette éventualité? Sommes-nous sur un terrain ferme? Nous avons signé cette convention et nous avons donc assumé nous-mêmes les pouvoirs qu'elle comporte; que va-t-il se passer au plan intérieur...
M. Elgie: D'un point de vue juridique, il n'est pas douteux que le gouvernement fédéral a compétence en ce qui concerne les aspects internationaux de la protection des espèces en voie de disparition. Je n'emploierai pas le mot «jamais», mais je ne pense pas qu'il y ait un seul professeur de droit constitutionnel au Canada qui puisse sérieusement remettre cela en cause. On peut sans doute se demander où se trouve la limite, mais tous les spécialistes sont d'accord sur le principe.
Ce principe veut que les problèmes internationaux de l'environnement - les problèmes transfrontaliers - relèvent de la compétence fédérale. Nous avons la Loi sur les ouvrages destinés à l'amélioration des cours d'eau internationaux qui s'applique aux cours d'eau internationaux au Canada. La LCPE comporte déjà des dispositions sur la pollution atmosphérique transfrontalière. Dans l'arrêt Interprovincial Cooperatives, la Cour suprême du Canada a déjà décidé que les problèmes environnementaux transfrontaliers relèvent de la compétence fédérale.
D'un point de vue juridique, le gouvernement fédéral est donc manifestement habilité à assurer la protection des espèces dont la survie dépend d'une protection transfrontalière, qu'elle soit de nature internationale ou interprovinciale. À ce titre, il est habilité à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer leur protection, à savoir leur habitat. Je peux donc dire qu'au plan juridique, le gouvernement fédéral campe sur des positions solides.
S'il veut adopter une loi traitant de toutes les espèces en péril quel que soit leur habitat - même s'il s'agit d'une plante qui se trouve sur la pelouse de l'Assemblée législative albertaine - , on peut valablement prétendre qu'il aura sans doute le pouvoir constitutionnel nécessaire, mais je pense que sa démarche sera contestable - et le président de l'Association du Barreau canadien dit la même chose. Vous avez sans doute les pouvoirs nécessaires, mais nous ne pouvons l'affirmer de façon certaine. Cependant, le gouvernement fédéral est de toute évidence compétent en ce qui concerne les espèces transfrontalières, les oiseaux migrateurs et leur habitat, les espèces aquatiques, etc.
M. Adams: À un moment, je ne sais plus exactement quand, vous avez parlé d'une définition dans l'article sur la biodiversité, je crois - la définition de l'habitat ou la définition... Est-ce que vous pouvez revenir là-dessus?
M. Elgie: Il faudrait que je consulte mon mémoire, mais le fait est que le projet de loi ne définit pas l'habitat; or, la portée de cette notion ne semble pas évidente.
Cela pose en outre un problème d'application de la loi, mais c'est aussi un problème de reconnaissance. Ce n'est pas évident, pour le Canadien moyen ni même pour un policier chargé d'appliquer la loi, de savoir quel est l'habitat de la pédiculaire de Furbish ou celui de la pie-grièche migratrice. Nous avons sans doute une idée un peu meilleure de l'habitat des poissons, puisqu'ils vivent dans les rivières et dans les lacs. Je pense donc qu'il est important que l'on définisse la notion d'habitat.
Voici une proposition qui reprend le modèle de la convention sur la biodiversité; il s'agit d'une zone ou un site où un organisme or une population est présente naturellement ou a déjà été présente et pourrait être réintroduite.
Le dernier élément vient de la loi australienne; comme on parle d'espèces en péril, on ne s'intéresse pas uniquement aux zones où une espèce vit actuellement; il faut aussi considérer les zones où l'espèce a déjà vécu et où elle pourrait être réintroduite.
M. Adams: Mais si nous acceptons la définition de la convention sur la biodiversité et que cela nous confère certains pouvoirs, l'acceptation ne vaut-elle pas pour l'ensemble du pays?
M. Elgie: Nous sommes ici dans une zone grise. Techniquement, les conventions internationales ne peuvent pas être appliquées par les tribunaux canadiens. Un pays étranger peut poursuivre le Canada devant un tribunal international s'il ne se conforme pas à une convention internationale, ou il peut y avoir, par exemple, contestation commerciale devant la commission de l'environnement. Les traités environnementaux sont parfois incorporés par renvoi, mais le gouvernement fédéral a manifestement un engagement politique à respecter. Il a des obligations envers d'autres nations.
En ce qui concerne les tribunaux canadiens, il est difficile de dire si un citoyen canadien pourrait demander à un tribunal de déclarer que le gouvernement fédéral est obligé d'adopter immédiatement une loi sur les espèces en péril. Un autre pays pourrait certainement obliger le Canada à honorer ses obligations, et c'est pourquoi les espèces internationales sont si importantes. Tous les pays du monde ont reconnu que la protection de la biodiversité était l'un des problèmes les plus critiques qui se posent sur la terre et il existe en quelque sorte une entente entre tous les pays sur la protection des espèces en péril. Le Canada doit évidemment faire sa part en s'assurant que les espèces qu'il partage avec d'autres pays sont protégées sur son territoire.
M. Adams: Merci, monsieur le président.
Le président: Madame Kraft Sloan, s'il vous plaît.
Mme Kraft Sloan (York - Simcoe): Merci.
Sandy et Julie, vous avez travaillé avec le COSEPAC. Pouvez-vous me dire comment ce comité fonctionne actuellement? Quels sont ses aspects positifs, et quels changements faudrait-il y apporter? Pensez-vous que le projet de loi permette d'apporter certains de ces changements? Vous avez parlé du processus d'inscription sur les listes, mais je pense plutôt à l'organisation du COSEPAC telle qu'elle est prévue dans la loi. J'aimerais avoir votre avis à ce sujet.
Mme Gelfand: Selon le mode de fonctionnement actuel, il y a un scientifique provenant de chacune des instances, c'est-à-dire de chaque province, de chaque territoire et du gouvernement fédéral, et d'au moins deux ministères, sinon trois...
Mme Baumgartner: C'est Parcs Canada, Pêches et Océans, Environnement Canada et le Musée canadien de la nature.
Mme Gelfand: Il y a aussi trois représentants d'organismes non gouvernementaux, à savoir le Fonds mondial pour la nature, la Fédération canadienne de la nature et la Fédération canadienne de la faune.
Les scientifiques rédigent des rapports qui sont envoyés au COSEPAC et étudient...
Mme Baumgartner: Vous avez oublié les présidents de sous-comité.
Mme Gelfand: C'est exact. Il y a également des sous-comités sur chaque type d'espèces. Ces sous-comités ont un président et des membres qui ne font pas nécessairement partie du COSEPAC.
Mme Baumgartner: Par contre, les présidents de ces sous-comités doivent être membres du conseil.
Mme Kraft Sloan: Ces scientifiques viennent-ils d'établissements d'enseignement supérieur, du secteur public ou des organismes non gouvernementaux?
Mme Baumgartner: Les présidents de sous-comité viennent généralement des universités ou du milieu scientifique en général. Par exemple, le président actuel du COSEPAC n'est lié à aucun autre organisme.
Mme Gelfand: Il y a aussi le Musée canadien de la nature, mais je ne sais plus s'il s'agit d'un organisme gouvernemental ou non gouvernemental.
Comme nous avons déjà assisté à des actions de lobbying politiques, je pense que l'un des aspects positifs du comité, c'est l'intérêt qu'il suscite auprès du public. Les scientifiques y participent en tant que scientifiques, mais parfois, ils ont des comptes à rendre à l'autorité politique dont dépend en fin de compte leur chèque de paie. Il y a eu des cas où l'on a essayé, par des négociations politiques, de déterminer si une espèce devrait être considérée comme en voie de disparition ou menacée. Cela ne me semble pas opportun. L'essentiel c'est qu'il y ait au comité des scientifiques indépendants provenant par exemple des organismes à but non lucratif, qui puissent intervenir de façon décisive lorsqu'une telle situation se produit.
Mme Kraft Sloan: Quels sont les autres points positifs?
Mme Baumgartner: En fait, les rapports de situation sont en général de bons documents parce qu'ils contiennent de bonnes informations sur les espèces. Ils expliquent l'état actuel des espèces sur la base des informations les plus récentes. Dans ces rapports, on parle des besoins sur le plan de l'habitat, on explique la répartition des espèces et les tendances. Est-ce que la population augmente ou diminue? On explique également quelles sont les activités en cours pour protéger les espèces. Autrement dit, c'est un «instantané» excellent de la situation d'une espèce.
Ce qui ne figure pas dans le projet de loi, et qui va devoir être ajouté, c'est une chose que le COSEPAC n'a jamais vraiment réussi à cerner, la question de savoir si, oui ou non, ce comité doit faire de la recherche sur le terrain. Le COSEPAC a pris de l'expansion, a étudié les espèces végétales et les invertébrés, mais en même temps, il y a eu un manque d'information. Une des lacunes du projet de loi, c'est qu'il confie la préparation des rapports de situation au COSEPAC, sur la base des informations disponibles. Pour beaucoup d'espèces, il n'y a aucune information. Il va falloir recueillir cette information, et cela exige des études sur le terrain, mais cela n'est pas si coûteux.
Certaines de ces études se sont intéressées à trois ou quatre espèces végétales. Des auteurs sont allés sur le terrain faire ces études. Évidemment, c'est bénévole, ou du moins la rémunération n'était pas considérable, parce qu'il en coûte 2 000 $ ou 3 000 $ pour préparer un rapport de situation sur deux ou trois espèces végétales. Je vous cite cet exemple sur la base d'un de ces rapports qui vient d'être publié.
Mme Kraft Sloan: Est-ce qu'on peut utiliser les travaux des groupes communautaires? Il y a des groupes communautaires qui font des travaux d'inventaire, d'identification, de restauration, etc. Ce ne sont peut-être pas des chercheurs accrédités, mais ils travaillent en collaboration avec des chercheurs et ils font beaucoup de travail sur le terrain.
Mme Baumgartner: Les informations ainsi recueillies sont précieuses car elles permettent d'orienter le travail. Comme vous le savez, il s'agit de tendances, de conclusions fondées sur des observations sur le terrain qui remontent à plusieurs années. Effectivement, ces informations viennent alimenter la machine scientifique, et il faut espérer que le processus sera intégré.
Mme Kraft Sloan: C'est donc presque comme si ces rapports de situation pouvaient servir de base à un plan de rétablissement. Il y a beaucoup d'information qui parviennent au...
Mme Gelfand: J'aimerais souligner les mauvais aspects du COSEPAC. À l'heure actuelle, le fait de figurer sur la liste ne veut absolument rien dire. Une espèce est inscrite, et ça s'arrête là. Les Canadiens pensent que les espèces inscrites vont être traitées différemment à cause de la publication annuelle de cette liste, mais pour l'instant, rien ne se fait.
En fait, je ne devrais pas dire cela, parce que c'est une exagération. Dans le cadre du RESCAPÉ, il y a des plans de rétablissement, mais le problème du COSEPAC et du RESCAPÉ à l'heure actuelle, c'est que tout cela est volontaire. Il n'y a jamais suffisamment d'argent. Certains ministères menacent même d'enlever de l'argent au COSEPAC. Certains ministères jouent un petit jeu politique, même quand il s'agit de décider s'il convient ou pas de produire un rapport de situation. Par exemple, faut-il un rapport de situation pour la morue ou le saumon? À mon avis, les gens du COSEPAC auraient probablement préféré rédiger un rapport sur la morue, mais le ministère ne voulait pas que nous le fassions.
Mme Baumgartner: Cela me ramène à ce que je disais tout à l'heure au sujet du sort des espèces qui figurent sur la liste. Si on confie cette responsabilité à un autre organisme qui les intégrera dans la législation ou dans la réglementation - et vous me pardonnerez de critiquer un ministère de ce gouvernement - certains ministères vont essayer d'exercer une influence. C'est ce qui s'est produit à la réunion de l'UICN; le MPO s'inquiétait qu'on envisage d'inscrire la morue du Nord sur la liste.
Il y a beaucoup de facteurs à considérer quand on étudie une espèce, en particulier une espèce de poisson. Ce n'est pas aussi facile à compter que les ours grizzlis, mais en fin de compte, je doute que vous trouviez au Canada quelqu'un qui prétende que la morue du Nord n'a pas beaucoup décliné et qu'elle ne devrait pas figurer sur la liste. L'UICN l'inscrivait sur la liste des espèces que nous appellerions vulnérables. Autrement dit, il y avait un petit problème. Cela aurait dû être fait il y a cinq ou dix ans, puisqu'il s'agissait simplement de signaler un problème.
Nous voudrions donc éviter que ce genre de chose se produise avec ce processus. Donc effectivement, même pendant l'étape préparatoire, il faut s'assurer que toutes les espèces sont étudiées pour des raisons valables, et que sur cette base, on prend les meilleures décisions possible pour leur protection.
Julie vous a parlé du financement, et j'aimerais en parler également. S'il y a un problème au COSEPAC à l'heure actuelle, c'est le manque de fonds. Pour vous donner une idée, jusqu'à maintenant, Environnement Canada contribuait une certaine quantité d'argent, et depuis trois ans, notre organisation faisait une contribution équivalente. Avant cela, cette contribution venait du Fonds mondial pour la nature.
L'argent que nous percevions auprès des particuliers canadiens servait à préparer ces rapports de situation. C'est là qu'on s'est aperçu à quel point le gouvernement fédéral hésitait à financer cette entreprise. La seule raison pour laquelle il n'y a que 276 espèces sur la liste, c'est qu'au Canada on n'a ni le temps ni l'argent ni les ressources nécessaires pour étudier véritablement les autres espèces et déterminer si elles méritent d'être désignées. Le comité a fait du mieux qu'il pouvait avec les ressources dont il disposait. Nous devons être certains de pouvoir continuer cette tâche, mais il va falloir des ressources, des effectifs et de l'argent.
Mme Kraft Sloan: Comment les provinces...
Le président: Je suis désolé, madame Kraft Sloan, mais je dois maintenant donner la parole à M. Taylor, M. Knutson, à Mme Payne, et également au président.
M. Taylor: Merci beaucoup, monsieur le président.
Je tiens à souhaiter la bienvenue aux témoins. J'ai trouvé les exposés que nous avons entendus ce matin particulièrement intéressants. Je vous remercie pour tout le travail que vous avez fait. Stewart a dit que tout cela avait été préparé très rapidement, mais de toute évidence, c'est également le fruit d'une vie entière de recherches, d'intérêts et d'activités. C'est tout à notre avantage, et je vous remercie d'avoir réussi à préparer tout cela en si peu de temps.
Je suis un peu inquiet quand j'entends toutes ces excuses. À mon avis, il n'est pas du tout nécessaire de s'excuser lorsqu'on critique la législation ou les ministères. En ce qui concerne la législation, nous avons besoin de connaître ses défauts, et également les défauts des ministères s'ils en ont. Tout cela doit donc être mis en évidence. Il n'est pas nécessaire de s'excuser.
M. Adams s'est excusé également pour les observations qu'il avait faites plus tôt, mais il a cité comme raison que nous devions nous dépêcher. À mon avis, il n'y a aucune presse, parce que le processus pour arriver où nous en sommes a déjà duré très longtemps. Ce n'est pas parce que le gouvernement a déposé ce projet de loi que nous devons précipiter les choses. Il a fallu beaucoup de temps pour parvenir à ce point, prenons donc le temps qui nous est nécessaire pour faire les choses convenablement, même si cela doit être très long. Nous avons encore des choses à discuter. Le projet du gouvernement n'est pas la bonne solution, n'est pas suffisant, et si nous pouvons répondre aux attentes du groupe de travail, faisons-le dans toute la mesure du possible. Les informations que vous nous apportées sont particulièrement précieuses.
À mon avis, la question des compétences est importante, et vous l'avez d'ailleurs souligné. À ce sujet, j'aimerais revenir sur certains éléments. Les députés de la majorité ont parlé des proportions allant de 60 p. 100 à 40 p. 100. Vous avez donné une réponse en quelque sorte collective, mais il y a une chose que vous n'avez pas mentionné quand vous expliquiez pourquoi ce projet de loi ne couvrirait que 40 p. 100. C'est que les provinces et les territoires, et en particulier les provinces, ont compétence principalement pour les mammifères et les végétaux. Cela représente un pourcentage important des espèces désignées. Par conséquent, quand on considère l'ensemble, l'accord prend une très grande importance.
Les médias l'ont présenté comme un accord signé par le gouvernement fédéral et les provinces. Vous insisté sur le fait que six provinces ont signé cet accord. Quelles sont les conséquences de l'abstention des autres? S'ils ne le signent pas ou qu'ils ne respectent pas les dispositions, pensez-vous que le gouvernement fédéral ait le pouvoir d'intervenir? Pouvez-nous nous expliquer cela, s'il vous plaît?
Mme Gelfand: L'accord ne lui confère pas de pouvoir d'application.
M. Taylor: Aucun pouvoir d'application?
Mme Gelfand: Non, pas actuellement.
M. Taylor: Aux termes de la Loi canadienne sur la santé, par exemple, si les provinces prennent des mesures qui ne correspondent pas aux normes nationales, le gouvernement fédéral a des pouvoirs financiers pour faire pression auprès des provinces afin qu'elles se conforment à la responsabilité nationale énoncée par la loi. Le gouvernement fédéral n'a-t-il aucun pouvoir pour le cas où des provinces ne signeraient pas l'accord, ou ne se conformeraient pas aux obligations qui sont prévues?
Mme Gelfand: Sans être avocate, je ne pense pas qu'il ait de tel pouvoir, mais...
M. Elgie: Vous avez posé deux questions. Tout d'abord, que se passe-t-il en ce qui concerne l'adhésion des provinces et leur application de l'accord et, deuxièmement, que peut faire le gouvernement fédéral? Vous pourriez sans doute demander au ministre de l'Environnement quelles sont les provinces qui ont signé l'accord. J'ai assisté à la séance de négociation, mais je ne sais pas qui a signé. Je sais que dans une lettre au Globe and Mail, le ministre a dit la semaine dernière que six provinces l'avaient signé. Il y en a au moins deux qui auraient déclaré par la suite, selon la presse provinciale, qu'elles ne pensaient pas avoir à adopter de mesures législatives spécifiques sur les espèces en péril pour se conformer à l'accord. Donc, dans au moins deux cas, le niveau d'enthousiasme pour le sujet s'est quelque peu atténué depuis que tout le monde a quitté Charlottetown.
Ce qui m'inquiète, c'est qu'on parle d'une entente de principe. Il n'est pas question d'un accord. Il n'y a rien d'exécutoire, il n'y a pas de mécanisme d'application ni de délai d'action.
Cela étant dit, c'est tout de même une bonne chose. Cette entente de principe constitue au moins un bon début, mais pour le salut des espèces en péril, le fait qu'elles soient protégées par un accord de principe non exécutoire n'est guère rassurant.
En ce qui concerne les possibilités d'intervention du gouvernement, l'entente ne lui confère aucun pouvoir. Le gouvernement fédéral n'acquerrait des pouvoirs que s'il les créait dans une loi. C'est pourquoi je vous propose de faire en sorte que le gouvernement fédéral légifère dans toute la mesure de sa compétence, malgré les risques de chevauchement. La Constitution ne trace pas de frontière rigide entre les pouvoirs fédéraux et provinciaux en matière d'environnement ou dans tout autre domaine. Dans bien des cas, la Loi sur les pêches et les lois provinciales en matière de pollution aquatique se recoupent presque intégralement.
Le gouvernement fédéral devrait disposer d'une loi qui lui permette d'assurer au besoin la protection des espèces placées sous son autorité. Lorsqu'il existe une loi provinciale dans le même domaine, nous n'avons évidemment pas besoin d'une deuxième loi. Mais il existe de nombreux modèles dont on peut s'inspirer pour l'éviter. Il y a des attentes conclues en vertu de la LCEE et de la LCPE. Il existe aussi des dispositions du Code criminel concernant la cruauté envers les animaux dans le cas où les provinces émettent des permis par dérogation à une interdiction fédérale.
C'est donc tout un problème de savoir comment éviter les situations de chevauchement. Le gouvernement fédéral peut bien acquérir des pouvoirs grâce à un projet de loi comme celui-ci, mais ces pouvoirs risquent d'être battus en brèche lorsque les provinces en exercent déjà de comparables ou de plus étendus. Mais il doit passer par ce projet de loi.
M. Taylor: Je voudrais également poser une brève question à Sandy. Je ne pense pas qu'elle ait eu le temps de tout traiter dans son rapport. Dans son mot d'ouverture, elle a parlé du groupe de travail et de ses recommandations concernant les mesures incitatives, les mesures de compensation et le financement.
Pourriez-vous nous en dire davantage, surtout pour ce qui est du financement et des fonds supplémentaires qui pourraient être nécessaires?
Mme Baumgartner: En fait, je n'ai pas abordé cette question dans mon mémoire. Je me suis sans doute sentie frustrée en fin de rédaction et j'ai sans doute pensé que c'était à quelqu'un d'autre d'imaginer comment payer la facture. Je me suis montrée indûment cynique. Tout cela entraîne évidemment des coûts, mais je ne crois pas que ces coûts soient très élevés. C'est une dépense que nous devrions être prêts... et cela aurait dû être fait bien avant.
Le groupe de travail a brièvement discuté de la collecte de fonds. Il y a pour cela des méthodes innovatrices. Nous avons mentionné la possibilité de créer des obligations de conservation. Il y a peut-être des motifs juridiques qui empêchent la mise en place d'un tel système. Aux États-Unis, on est en train de mettre à l'essai l'imposition d'une taxe - et je sais que c'est un sujet dont les Canadiens n'aiment pas beaucoup entendre parler; ce n'est qu'à l'essai là-bas - sur l'équipement de plein air, comme par exemple les jumelles et l'équipement de camping; les produits de cette taxe sont directement versés au programme de protection des espèces en voie de disparition.
Nous envisageons diverses façons de réunir des fonds, que ce soit au moyen de taxes ou d'obligations de conservation. Mais, comme pourrons vous le dire Julie et Stewart, le grand public souhaite également participer à cet effort. Par le truchement d'organismes comme le nôtre, il est possible de recueillir également de l'argent ou des ressources. Les provinces fournissent également des ressources.
Il y a des gouvernements provinciaux qui participent à ce processus. Ce sont des gens des gouvernements, tant fédéral que provinciaux, et des représentants des ONG qui travaillent à l'élaboration des plans de rétablissement et à leur mise en oeuvre. On investit du temps, de la volonté et de l'argent, et la mise en oeuvre se fait à partir de là. Nous devons vraiment faire preuve de créativité.
Le groupe de travail a essayé d'aborder cette question, mais nous n'avons pas eu le temps d'en discuter dans les détails. Parmi les autres mesures d'encouragement dont nous avons discuté, il y avait entre autres celle qu'a brièvement abordée ce monsieur, dont les incitatifs destinés aux propriétaires fonciers où les mesures de compensation.
Si quelqu'un doit cesser d'exploiter son terrain pour protéger une espèce menacée, il faudrait peut-être prévoir une compensation ou des mesures d'encouragement pour que ces terres soient cédées à des organismes de conservation par le moyen de servitudes de conservation. Le train de mesures pourrait comprendre, entre autres choses, des avantages fiscaux.
Malheureusement, le groupe de travail n'a pas eu le temps d'étudier ces questions, pour lesquelles nous n'avions d'ailleurs pas les compétences nécessaires, mais elles sont néanmoins essentielles à l'efficacité de la mesure législative.
Le président: Merci.
Monsieur Knutson, madame Payne, puis le président.
M. Knutson (Elgin - Norfolk): Est-ce que la mesure législative proposée contient des dispositions relatives au financement du COSEPAC?
Mme Gelfand: Non.
M. Elgie: En fait, la mesure législative est plutôt floue. Le groupe de travail a recommandé que le ministre fournisse tout l'appui nécessaire. Dans le projet de loi, on dit que le COSEPAC «peut» obtenir du ministre le soutien administratif nécessaire à l'exercice de ses fonctions.
Pour ce qui est des coûts, toutefois, d'après les meilleures estimations que j'ai pu obtenir, nous dépensons de 2 à 3 millions de dollars chaque année, au niveau fédéral, à la protection des espèces en voie de disparition. Si vous faites la comparaison avec l'Australie et les États-Unis, deux pays où il y a des lois fédérales pour la protection des espèces en voie de disparition, la dépense est d'environ 35c. par habitant. Si vous faites la transposition au Canada, cela représenterait environ 8 ou 9 millions de dollars au total. Mais tout ça ne se trouve pas dans le projet de loi. C'est discrétionnaire.
M. Knutson: Vous avez parlé du processus d'élaboration des plans de rétablissement, et vous avez dit que ces plans risquent d'être placés sur des étagères et de ne pas être mis en oeuvre. Pourriez-vous nous donner des exemples de ce qui se fait dans d'autres pays afin de nous montrer comment nous pourrions rendre la mesure législative plus rigoureuse.
M. Elgie: Pour ce qui est des trois étapes des plans de rétablissement, il faut décider si le projet est réalisable. Dans l'affirmative, on établit un plan de rétablissement. Six mois plus tard, le gouvernement rédige un rapport sur la mise en oeuvre du plan. Mais en fin de compte, le problème se trouve au paragraphe 42(1), dans lequel on dit que le ministre peut prendre des règlements concernant la mise en oeuvre des mesures prévues dans les plans de rétablissement qu'il a élaborés.
C'est très simple. On dit que le ministre prendra des règlements - c'est-à-dire, si le plan de rétablissement démontre à quels problèmes l'espèce est confrontée et quelles sont les mesures à prendre pour la sauver. N'oubliez pas que les plans de rétablissement sont préparés par le ministre; ils ne lui sont pas imposés. Je ne vois pas pourquoi le ministre ne serait pas tenu de prendre les règlements nécessaires pour mettre en oeuvre ces mesures.
Mme Baumgartner: Permettez-moi de faire une mise en garde. Ce qui est important - et je l'ai inclus dans notre recommandation - c'est que le plan de rétablissement doit énoncer toutes les options possibles puis, dans la mise en oeuvre, les solutions que le gouvernement fédéral apportera. Il n'est pas nécessaire que ces solutions représentent l'ensemble du plan de rétablissement, car d'autres partenaires, par exemple un gouvernement provincial ou un ONG, souhaiteront peut-être mettre en oeuvre d'autres parties du plan.
Le plan de rétablissement doit donc énoncer toutes les options, mais il devrait également y avoir un mécanisme par lequel le gouvernement fédéral devrait indiquer, dans la mesure du possible, de quelle partie du plan il s'occupera.
M. Knutson: Votre recommandation se fonde-t-elle sur ce qui se fait ailleurs?
M. Elgie: Non. Les autres pays n'ont pas de dispositions sur la planification du rétablissement comme on en trouve dans ce projet de loi. Leur loi stipule simplement qu'il est interdit de nuire aux animaux d'une espèce menacée ou de les tuer, et qu'il est interdit de détruire ou de déranger leur habitat essentiel.
Jusqu'à présent, les plans de rétablissement ont toujours été appliqués par le truchement du RESCAPÉ. Ces dispositions serviront sans doute de modèle aux plans de rétablissement qui seront établis aux niveaux fédéral et provincial. Les lois australienne et américaine comportent des dispositions semblables, mais il n'y a pas, dans les lois provinciales, de détails quant à la mise en oeuvre des plans de rétablissement.
M. Knutson: Vous avez parlé de la morue et de la politique appliquée au COSEPAC pour déterminer si la morue est une espèce en voie de disparition ou vulnérable. Si vous deviez résumer les événements qui ont mené à l'interdiction de pêche de cette espèce, diriez-vous qu'il y a eu, dans ce cas, une violation patente de l'intérêt public?
Mme Gelfand: Je dirais que oui. Le COSEPAC aurait dû commander un rapport de façon à ce que ses membres puissent décider s'il convenait de l'inscrire à la liste - le COSEPAC suit la situation des espèces qu'il étudie mais ne les inscrit pas sur une liste - pour voir s'il y avait suffisamment de renseignements, ou pour décider si l'espèce est menacée, vulnérable ou en voie de disparition.
À mon avis, il s'agissait là d'une violation.
M. Knutson: Il y a bien sûr un processus parallèle. Je ne suis pas un expert de la morue ou de la pêche sur la côte est. Mais à un moment donné, quelqu'un a indiqué qu'il y avait un problème grave. On a donc imposé un moratoire et on a investi des sommes énormes pour aider les personnes touchées à traverser la période de transition. Je me demande quelle différence cela aurait fait, en fin de compte.
Mme Gelfand: Si le COSEPAC existait dans un monde idéal, nous aurions...
M. Knutson: Ce n'est pas le cas.
Mme Gelfand: Non, mais si cela avait été le cas, nous aurions sans doute reçu un rapport bien avant d'en arriver aux mesures qu'il a fallu prendre. Si nous avions reçu un rapport il y a 15 ou peut-être 20 ans, nous aurions sans doute été en mesure de prendre des décisions. Nous aurions du moins exercé davantage de pression au niveau politique pour signaler qu'il y avait là une espèce vulnérable et qu'il fallait agir immédiatement.
M. Knutson: Savez-vous pourquoi il n'y a pas eu de rapport il y a 15 ou 20 ans?
Mme Gelfand: Je n'en sais rien. À cette époque, je ne faisais pas partie du COSEPAC.
M. Knutson: C'est donc peut-être la faute des scientifiques et pas nécessairement le résultat d'ingérence.
Mme Gelfand: C'est possible mais ce n'est pas probable.
Mme Baumgartner: Je dois m'en tenir à des suppositions, mais le COSEPAC est peut-être assujetti à certaines influences, tacites ou non. D'une façon générale, il ne s'occupe pas des espèces commerciales. Je généralise peut-être, et de toute façon, je ne me fonde que sur ma propre opinion. La tendance, au COSEPAC, est de ne pas s'occuper de telles espèces.
Encore une fois, si nous étions dans un monde parfait et s'il y avait eu un plan en place, cela aurait peut-être atténué les effets. Je n'en sais rien. Je ne suis pas de la côte est. Peut-être que non. Mais si nous avions pu prévoir, il y a 15 ans, ce qui allait se passer - je sais que l'enjeu, c'est la protection de certaines espèces par opposition à l'intérêt économique - , cela aurait peut-être contribué à tout le moins à ralentir le déclin.
On me dit aussi qu'il y a de nombreux autres facteurs qui peuvent provoquer l'augmentation ou la diminution de la population de la morue, mais je pense qu'il est très important de pouvoir tirer très tôt une sonnette d'alarme pour toutes les espèces, qu'elles soient commerciales ou non.
Le président: Merci.
Madame Payne, s'il vous plaît.
Mme Payne (St John's-Ouest): Merci, monsieur le président.
Je vous remercie de vos exposés. À cause de mon retard, je ne les ai pas tous entendus, mais depuis mon arrivée, je piaffe d'impatience d'entendre quelqu'un mentionner les pêches de la côte est. Mon collègue, M. Knutson, l'a enfin fait.
Il est plutôt irritant pour quelqu'un comme moi, qui vient de Terre-Neuve, de savoir que pendant des années et des années, les pêcheurs de morue disaient à qui voulait bien les entendre que cette espèce était en péril, et pourtant, personne n'a rien fait à ce sujet.
Nous nous retrouvons aujourd'hui dans une situation analogue. Nous sommes en présence d'un groupe de gens qui affirment que certaines espèces de phoques sont en péril, alors qu'en réalité, elles ne le sont pas. En fait, elles sont en train de détruire une partie de la chaîne alimentaire de la morue qui, d'après des gens comme vous, devrait se trouver sur la liste des espèces en voie de disparition ou vulnérables.
Depuis 10 ou 15 ans, les pêcheurs disent qu'il faut arrêter de prendre du capelan. Personne n'écoute. Le COSEPAC peut-il intervenir concrètement pour régler ce problème? Le COSEPAC peut-il faire quelque chose? Ce problème n'est pas un secret. On en parle depuis des années, mais comme dans le cas de la morue du Nord, on ne fait rien.
Soit dit en passant, si vous voulez l'avis de quelqu'un dont le mari est pêcheur, je ne pense pas que la morue soit en voie de disparition. Je pense qu'elle est vulnérable, mais qu'elle n'est pas en voie de disparition.
Merci, monsieur le président.
M. Elgie: En tant qu'intervenant qui n'est pas membre du COSEPAC, j'aimerais ajouter une chose. Je pense qu'il est extrêmement important de faire tout en notre pouvoir pour créer une liste aussi crédible que possible sur le plan scientifique selon les dispositions du projet de loi.
À mon avis, il faut absolument faire la distinction entre deux décisions différentes. La première consiste à identifier les espèces en péril au Canada et les menaces auxquelles elles font face et la seconde, à choisir des mesures de protection pour contrer ces menaces.
Le premier volet ne devrait pas être influencé par des questions politiques. L'exercice d'identification des espèces en péril et des menaces auxquelles elles font face devrait être à l'abri de toute ingérence politique et se faire de la façon la plus crédible qui soit sur le plan scientifique.
C'est au niveau des mesures à prendre pour protéger les espèces en question qu'entreront en jeu, à juste titre, des considérations de nature politique et économique. Voilà pourquoi on a prévu un processus d'exception, non pas parce que ces exceptions visent à protéger les espèces, mais parce que nous les exemptons de toute protection.
Je pense que le groupe de travail serait d'accord avec moi à ce sujet. Il est impératif qu'autant que faire se peut, la liste ait un fondement scientifique. Cela signifie que si le gouvernement entendait vraiment prendre des mesures à l'égard de toutes les espèces figurant sur la liste du COSEPAC, il serait inutile de prévoir l'exercice de la discrétion dans le projet de loi. Si l'intention des législateurs était de les englober toutes, le projet de loi stipulerait simplement qu'elles sont toutes visées. Certaines lois provinciales autorisent le Cabinet à décider des inscriptions sur la liste et, dans de nombreux cas, des cabinets provinciaux n'ont pas fait figurer sur leur liste des espèces dont le COSEPAC nous dit, raisons scientifiques à l'appui, qu'elles sont en voie de disparition.
Hormis la protection juridique qu'elle conserve, l'identification des espèces ne se traduit pas automatiquement par des avantages. La meilleure façon de faire en sorte que l'on reconnaisse que le capelan - ou la morue, à mon avis, - est une espèce en voie de disparition, lorsque les données scientifiques le prouvent, c'est de prendre toutes les mesures pour isoler le processus du COSEPAC de toute ingérence politique et de reléguer les considérations politiques dans le volet protection du projet de loi.
Mme Payne: Je suis d'accord avec vous en partie, mais si nous attendons pour protéger le capelan d'avoir toutes les données et les preuves scientifiques, comme nous l'avons fait dans le cas de la morue, on aura le temps de pêcher tous les capelans de l'océan. Et ce, parce qu'il ne s'agit pas simplement de la pêche au capelan. Nous sommes aux prises avec le recours à une technologie qui détruit les zones de frai et d'alimentation. De plus, on pêche et on vend les femelles car seules les femelles ont quelque valeur sur les marchés.
Au mieux, la science des pêches est une science inexacte.
Mme Baumgartner: Je pense qu'on aborde brièvement l'objectif du COSEPAC dans le projet de loi. On n'en parle peut-être pas de façon très détaillée, mais chose certaine, nous en avons parlé au sein du groupe de travail. L'objectif visé est de recueillir également les connaissances traditionnelles du milieu car ce sont sans doute les personnes concernées au premier chef qui sont le mieux au fait de la situation d'une espèce. Elles connaissent les tendances. Elles savent que les poissons reviennent à tel ou tel endroit chaque année et que, par exemple, une année donnée, il y en a moins.
Vous avez mentionné la morue, et je voulais apporter une précision. Parfois, nous interchangeons certains termes. Nous disons qu'une espèce est en voie d'extinction alors que ce n'est pas tout à fait ce que nous voulons dire. Vous avez raison. La morue est sans doute une espèce vulnérable. L'un des bons côtés du projet de loi - si tant est qu'il en ait un - c'est que les espèces vulnérables seront identifiées et qu'il faudra établir à leur égard des plans d'aménagement.
J'espère que ces plans d'aménagement seront suffisamment exhaustifs. J'espère qu'ils ne viseront pas seulement des espèces uniques, qu'ils couvriront toute une zone. Les membres du COSEPAC vont regarder l'ensemble de la situation et constater la vulnérabilité de la morue. Ils vont se demander pourquoi il en est ainsi et quelles mesures d'aménagement il y a lieu d'appliquer pour faire en sorte que la population augmente au lieu de continuer à décliner.
Je pense que s'il est un aspect important de la mesure où le COSEPAC pourrait être utile, c'est celui de l'identification des espèces vulnérables.
Mme Gelfand: Sous sa forme actuelle, le projet de loi ne mentionne pas uniquement les connaissances scientifiques, ce qui, à mon avis, aidera le COSEPAC. Il y est aussi question de la connaissance traditionnelle ou communautaire. Outre les scientifiques, les personnes qui résident dans la région pourront communiquer leurs informations aux membres du COSEPAC pour les aider à décider s'il existe ou non un problème.
Vous dites que votre mari est pêcheur et qu'il est au fait de la situation. Compte tenu du mandat que l'on accorde au COSEPAC dans ce projet de loi, ce genre d'information serait pris en compte et je pense que ce serait utile. À mon avis, il est bon que le projet de loi précise que les membres du COSEPAC sont ouverts à la connaissance traditionnelle aussi bien qu'aux connaissances scientifiques.
Il convient aussi de se rappeler qu'on retrouve dans le préambule du projet de loi le principe de la prudence. Au sujet d'une espèce sauvage, il est dit: «le manque de certitude scientifique ne doit pas être prétexte à retarder la prise de mesures efficientes pour prévenir sa disparition ou sa décroissance».
Il n'est pas nécessaire d'attendre que les scientifiques aient des certitudes absolues. Si nous avons des doutes, si nous craignons un déclin et si les exploitants traditionnels et communautaires de l'espèce en question nous disent qu'il existe un problème, nous devrions être en mesure d'agir.
Mme Payne: J'ai une autre question que je voudrais poser au monsieur qui est propriétaire foncier. Je suis désolée, je n'ai pas compris votre nom. Êtes-vous agriculteur? De quel genre de terrain êtes-vous propriétaire?
M. Hamill: Je suis propriétaire d'un boisé. C'était autrefois une ferme qui n'aurait pas dû être exploitée. Je la rends à sa vocation première, surtout à des fins récréatives et écologiques.
Mme Payne: À quels autres incitatifs pensez-vous? Vous avez parlé d'incitatifs fiscaux et d'après vous, le projet de loi n'accorde pas suffisamment d'incitatifs aux propriétaires fonciers pour qu'ils protègent l'habitat. Y a-t-il d'autres mesures qu'on pourrait prendre outre les allégements fiscaux?
M. Hamill: Je pense qu'il faudrait tout d'abord procéder à un exercice d'identification. Il faudrait que je sache que je possède un habitat, que l'on reconnaisse que je protège un habitat ou des espèces en voie d'extinction sur ma propriété, un peu de la même façon qu'on reconnaît que certains propriétaires protègent les terres humides. J'imagine un programme analogue à celui qui a cours en Ontario pour les identifications et la protection des terres humides importantes, et l'indemnisation requise serait de beaucoup plus généreuse que ce que l'on propose actuellement au titre de l'impôt foncier.
Mme Payne: Vous n'envisagez donc pas de monnayer la valeur de la portion inutilisée de votre propriété. Autrement dit, si vous l'utilisiez pour la coupe du bois, la valeur du bois perdu du fait que le lot n'est pas exploité.
M. Hamill: Effectivement, s'il y a perte de revenu parce que les arbres ne sont pas coupés ou que la terre n'est pas cultivée, on devrait prévoir une indemnisation.
Mme Payne: Merci.
Le président: Je voudrais poser moi-même quelques brèves questions. Comme je ne veux pas trop empiéter sur le temps prévu pour la prochaine séance, qui doit commencer incessamment, j'apprécierais que vos réponses soient courtes.
Tout d'abord, quelqu'un pourrait-il nous fournir, ultérieurement, une définition d'«écosystème» pour que nous puissions à tout le moins l'examiner?
Mme Gelfand: Oui.
Le président: Très bien.
Ma prochaine question porte sur l'expansion tentaculaire des villes. Comment proposez-vous de faire échec à l'expansion tentaculaire des villes étant donné que ce phénomène a pour effet d'endommager ou de réduire l'habitat?
M. Elgie: Est-ce une question précise?
Le président: Oui, ça l'est.
M. Elgie: Il est évident que le problème de l'expansion tentaculaire des villes dépasse la portée du projet de loi. Il a essayé quelque chose de très novateur récemment...
Le président: Ce matin, vous avez fait certaines propositions qui dépassaient les limites précises du projet de loi. En fait, c'est ce que vous faites depuis deux heures. Il n'est donc que juste de vous poser une question qui dépasse la portée du projet de loi.
M. Elgie: Il y a deux choses que l'on puisse faire. Tout d'abord, le projet de loi peut fournir un indicateur concret, tangible d'un étalement urbain abusif. En effet, les espèces qui dépendent des terres qui seront victimes de cette expansion tentaculaire nous donneront un signal d'alarme clair. Un peu comme le canari dans la mine de charbon, si vous voulez. Et cela nous forcera à examiner le problème.
Deuxièmement, il y a des endroits - et je ne m'attarderai pas trop longtemps là-dessus - comme la Colombie-Britannique et l'Oregon, où l'on envisage une planification exhaustive de l'utilisation des terres. Je pense qu'au bout du compte, c'est ce qu'il convient de faire pour régler le problème de l'étalement urbain. Il faut recourir à une planification exhaustive de l'utilisation des terres qui fasse une place aux valeurs écologiques. Cela dit, le projet de loi peut nous être fort utile en nous fournissant des indicateurs mesurables de la destruction de zones naturelles à la suite de la progression abusive des villes.
Le président: Dans les provinces, fait-on des efforts parallèles, sous forme de mesures législatives, pour contrer l'étalement urbain préjudiciable aux habitats existants?
M. Elgie: L'Ontario vient d'abroger tous les amendements progressistes de la Loi sur la planification urbaine prévoyant une planification des terres respectueuse de l'environnement, de sorte que j'ai le regret de dire que pour ce qui est de cette province, à tout le moins, la réponse est non. En Colombie-Britannique, il y a un mouvement en ce sens qui prend la forme d'un processus de planification exhaustive de l'utilisation des terres. Je ne sais pas ce qu'il en est dans les autres provinces.
Le président: Ce matin, on a parlé fréquemment du chevauchement de certaines lois. En politique, c'est un terme dangereux à l'heure actuelle. Il aurait sans doute été préférable de parler de complémentarité, c'est-à-dire de lois qui se complètent et se renforcent les unes les autres dans les différentes provinces, pour que l'objectif que chacun a en tête soit réalisé. Mais dès que vous parlez de «chevauchement», cela évoque immédiatement des cas de dédoublement d'efforts, de dépenses inutiles, etc.
Voulez-vous me dire si, à votre avis, cette observation est juste.
Mme Baumgartner: En ce qui a trait à cette mesure législative en particulier, vous avez absolument raison. Je ne pense pas qu'il y ait de chevauchement entre les gouvernements fédéral et provinciaux, pas plus que je ne prévois qu'il y aura de problème avec les autres mesures législatives relatives à la faune, comme la Loi sur les pêches.
Je crois que toutes ces mesures sont nécessaires et très complémentaires. Si le fait d'utiliser le terme «chevauchement» donne l'impression qu'il y aura double emploi, vous avez raison, nous devrions parler de complémentarité ou de miroirs. On a besoin de toutes ces mesures.
Le président: Pourrait-on en conclure que toutes les personnes dans la salle partagent le même souhait, c'est-à-dire qu'il y ait aux niveaux fédéral et provincial une législation miroir qui permette une définition cruciale de l'habitat et la meilleure protection possible pour ce dernier?
Mme Gelfand: Oui.
Le président: Merci.
M. Elgie: Le problème, c'est que...
Mme Gelfand: Le leadership.
M. Elgie: ... va-t-il se passer si certains éléments de la coalition ne font pas leur part?
Le président: Enfin, au sujet de la morue, madame Baumgartner, je pense que vous avez tout à fait raison d'exprimer - à ma grande consternation, je l'avoue - un certain malaise face à l'idée de laisser toute décision concernant le COSEPAC entre les mains du pouvoir politique. D'une certaine façon, l'expérience de la morue renforce votre opinion. D'après Statistique Canada, et en me fondant sur ma mémoire, nous avons pêché quelque 600 000 tonnes par année de morue au large de la côte de Terre-Neuve dans la zone 2J dans les années 70. Dans les années 80, les prises n'ont été que de200 000 à 250 000 tonnes.
Un jour, en février 1990, un professeur de l'Université Memorial du nom de Leslie Harris a produit un rapport préconisant que l'on mette un terme à la pêche à la morue. Il a fait un plaidoyer en faveur d'un moratoire. Il a fallu deux ans et demi, soit jusqu'en juillet 1992, pour que le pouvoir politique agisse et que John Crosbie annonce le moratoire. Depuis, nous sommes passés de 200 000 tonnes à zéro, et vous savez où nous en sommes aujourd'hui.
Si cette décision n'avait pas été laissée entre les mains des politiques, mais qu'elle avait été confiée à un organisme scientifique quelconque reconnu par la loi, la réaction aurait sans doute été immédiate. Je ne sais pas. Mais il faut se demander qui aurait assumé la responsabilité politique d'imposer un moratoire touchant les collectivités de la côte Est.
Il faut qu'à quelque part dans notre système le pouvoir politique puisse assumer ses responsabilités, même si cela se traduit par de mauvaises décisions. Vous n'avez pas tort dans vos propos, mais nous ne pouvons fonctionner de la façon que vous proposez. Dans notre régime, il faut que s'exerce la responsabilité politique. Dès lors qu'on ferait du COSEPAC l'organisme chargé de prendre la décision ultime, on se prive de l'exercice de la responsabilité politique, et c'est une chose que j'ai beaucoup de mal à accepter.
Pourriez-vous faire un bref commentaire, s'il vous plaît.
Mme Baumgartner: Cependant, nous convenons tous que l'intervention politique, les décisions politiques concernant la liste doivent constituer une étape ultérieure. C'est là la différence par rapport à la façon dont vous entendez traiter le problème.
Si vous n'avez pas l'intention de faire en sorte que l'inscription sur la liste soit pure, dans ce sens que les espèces y seraient inscrites strictement pour des motifs scientifiques, pourquoi constituer un tel organisme puisque les décisions seront prises dans l'arène politique de toute façon?
Je conviens que le volet politique doit intervenir, mais il faut que ce soit après l'inscription sur la liste. Il faut identifier les espèces quelque part. Si l'on prend le cas de la morue, il est évident... nous savions qu'il existait un problème, mais la volonté politique d'inscrire la morue sur la liste faisait défaut.
Le président: C'est une précision très utile car le CRTC, l'Office national des transports du Canada et d'autres organismes prennent des décisions, mais ces décisions peuvent être modifiées par le Cabinet pour que puisse s'exercer la responsabilité politique ultime. Si vous acceptez cette procédure, dans ce cas, nous comprenons mieux ce que vous proposez.
Mme Baumgartner: Nous souhaitons qu'on dresse une liste des espèces. Quant à savoir ce qu'il convient de faire une fois qu'une espèce a été inscrite, cela relève du processus décisionnel politique.
Le président: Il est 11 h 10 et nous avons volé de précieuses minutes au prochain groupe de témoins. Par conséquent, je vous exprimerai brièvement notre gratitude pour votre exposé et nous allons passer à la prochaine étape. Merci beaucoup.
La séance est levée.