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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 4 décembre 1996

.1922

[Français]

Le président: On est prêts, mesdames et messieurs; on peut commencer notre travail. Nous avons seulement un témoin ce soir au lieu de deux.

[Traduction]

Ce soir nous accueillons comme témoin le chef Gordon Peters, chef de la région ontarienne. Bienvenue. Nous sommes ravis de vous revoir. Si vous voulez bien commencer, nous nous ferons un plaisir de vous écouter.

Le chef Gordon B. Peters (chef de la région ontarienne, les chefs de l'Ontario): Merci, monsieur le président. J'adresse mes salutations aux membres du comité.

Je tiens d'abord à remercier le comité de nous avoir fourni l'occasion d'exposer certaines idées directement en rapport avec le projet de loi sur la protection des espèces en péril.

Il est encourageant de voir que le gouvernement fédéral reconnaît qu'il faut en faire davantage pour protéger les espèces en voie de disparition au Canada. Mais, en même temps, nous, Premières nations, nous éprouvons certaines inquiétudes quant à la manière dont cela se fera.

Tout le texte nous semble reconnaître très clairement que le statu quo sera maintenu quant à la question de savoir qui sera responsable de la mise en oeuvre des mesures de protection et qui décidera de ce qu'il y a lieu de protéger.

.1925

J'ai un peu l'impression que nous risquons, si nous n'apportons pas notre soutien à ce texte, de passer pour les méchants qui vont à l'encontre d'un texte de loi visant à protéger les espèces en voie de disparition. Mais, en même temps, nous pensons que c'est important pour nous car ce qui prime, dans notre esprit, c'est l'intégrité de nos communautés et la manière dont elles conçoivent leur juridiction, au sein même des communautés, certes, mais également au-delà, dans les zones relevant des traités. Or, le texte ne comprend aucune reconnaissance de notre juridiction, en tant que Premières nations, à l'égard de nos terres et de notre environnement.

Je crois qu'en Ontario nos traités couvrent la plupart de la province. Il n'y a que trois endroits en Ontario qui ne relèvent pas d'un traité ou d'un autre - qui constituent donc encore des territoires n'ayant fait l'objet d'aucune cession et qui relèveraient donc d'une revendication globale.

Une des choses que nous reconnaissons très clairement dans ce document c'est qu'il y a, actuellement, des efforts qui sont faits en vue de distinguer entre ces deux types de territoires. Mais il est clair qu'il existe à cet égard une très nette différence entre le nord et le sud. Dans le nord, il sera possible de procéder ainsi dans la mesure où l'on crée des mécanismes permettant de traiter avec les peuples qui y sont installés. Dans le sud, c'est beaucoup plus difficile. La région sud de l'Ontario est beaucoup plus peuplée, beaucoup plus développée et il nous sera très difficile de discuter des dispositions permettant d'assurer la protection de l'environnement et de la faune.

Les espèces en voie de disparition se trouvent plutôt dans le sud. Il me semble que, sous sa forme actuelle, le texte ne contient aucune proposition - du moins d'après ce que je peux voir - permettant de faire face à ce qui se passe dans le sud, région de l'Ontario couverte pour la plupart par des traités conclus avant la Confédération.

Il me semble clair que, pour que les Premières nations puissent participer à cet effort, il leur faudrait transiger au niveau de leur juridiction et de leurs idées afin de rejoindre les autres et de participer aux efforts en vue de protéger une espèce donnée.

Il me semble clair que nous ne sommes pas de simples parties prenantes dans tout cela. Les discussions constitutionnelles qui se poursuivent depuis plusieurs années, les arrangements auxquels nous sommes parvenus, montrent clairement que nous ne sommes pas de simples parties prenantes. Nous estimons, pourtant, que dans le texte qui est proposé ici, nous sommes tout simplement considérés comme une partie prenante parmi d'autres, incapables de décider de nous-mêmes de la manière dont nous devrions, dans le cadre de notre juridiction, protéger les espèces en question et de décider de ce qu'il convient de protéger.

Mais je ne pense pas qu'au stade où nous en sommes il existe, au-delà des discussions portant sur la cogestion, de modèle que nous pourrions retenir. Peut-être pourrait-on étudier ce qui se fait dans ce domaine aux États-Unis, avec la police des pêches et de la faune, formée d'Autochtones et crie à l'issue d'une grande concertation entre le Service fédéral de la pêche et de la faune et les tribus indiennes des États-Unis. Depuis plusieurs années, nous avons avec cette organisation des contacts suivis. Au cours des six dernières années nous avons procédé à des échanges d'information quant à la manière d'assurer, dans nos territoires, la gestion et la protection de la faune.

.1930

Il y a encore autre chose qu'il faudrait faire, mais cela relève d'une autre recommandation formulée dans cette partie du document. Il nous faut procéder à de réelles discussions concernant ce qui se passera au niveau des traités. Bien que nos traités soient consacrés par l'article 35.(1) de la Constitution, cet aspect-là de la situation n'a été que très rarement évoqué.

La plupart des discussions ont porté sur les droits et les traités, mais les traités s'appliquent également à de très vastes territoires et il va falloir discuter des moyens de parvenir à des accords sur la place qui sera faite aux Premières nations dans le cadre de la nouvelle législation et sur la question de savoir comment on pourra, à partir des traités en vigueur, définir un rôle plus étendu. Lorsqu'on sera parvenu à mieux cerner ces diverses questions, on pourra davantage préciser notre rôle et la manière dont la loi s'appliquera aux Premières nations.

D'autres questions doivent aussi être analysées. Si, dans le cadre de cette séance, nous ne vous parlions pas de la relation particulière que nous entretenons avec la terre, nous ne rendrions pas justice à nos origines, ni au sens que revêtent les cérémonies qui ont lieu au sein de nos communautés.

Nombreux sont ceux, parmi nos peuples, qui estiment qu'il est actuellement impossible de comprendre cette relation si l'on ne la vit pas. Pendant très longtemps, nous étions chasseurs, trappeurs et pêcheurs, nous allions cueillir des plantes médicinales et nous comprenions les transformations de la nature. C'était ce genre d'étude, ce genre d'observation qui, au fil des générations, permettait à notre peuple de savoir ce qui était bon, et ce qui était nécessaire pour bien gérer les territoires que nous habitions.

Notre peuple a donné naissance à de nombreux philosophes et nous comprenons l'interdépendance des divers éléments de notre environnement.

Une des choses qui ont été tentées - je crois qu'on appelle ça l'approche fondée sur le concept d'écosystème - est très en évidence dans le projet biosphérique mené aux États-Unis et où l'on a essayé de créer un environnement enfermé dans cette biosphère où les gens devaient pouvoir vivre et travailler ensemble dans un milieu où seraient équilibrés les divers éléments nécessaires à la vie. Mais les deux projets de création d'une biosphère se sont soldés par des échecs. Le dernier a pris fin il y a environ 18 mois lorsqu'il a fallu pomper de l'oxygène dans la biosphère. Cela a révélé, et c'est ce qu'ont confirmé les chercheurs qui avaient cri ce système, qu'on ne saisit pas toutes les complexités de la nature et c'est cela qui fait obstacle aux efforts en vue de contrôler la terre.

Avec le temps, cette participation directe à la vie de la planète s'est perdue. L'approche fondée sur le concept d'écosystème n'est, me semble-t-il, qu'un effort en vue de mieux comprendre l'interaction de diverses espèces. La vision que nous, Autochtones, avons de la nature, va plus loin et tente de comprendre que les plantes, les animaux et la terre fournissent des aliments spirituels, émotionnels, psychiques et physiques à ceux qui y sont ouverts.

.1935

Voilà un des aspects dont il faudra tenir compte. Notre savoir traditionnel existe toujours. Il est encore là et nous sommes nombreux à ne pas avoir perdu ce contact avec la terre. Pourtant, dans ce texte de loi, notre savoir traditionnel semble compter pour bien peu de choses.

Ce que la société canadienne peut en savoir, est surtout le fait d'écrivains non-autochtones, c'est-à-dire d'experts qui viennent étudier notre culture et parler à nos populations. Mais cela ne permet pas vraiment de comprendre cette relation essentielle entre un peuple et la terre qui le fait vivre.

J'imagine que beaucoup de gens ont pu se renseigner auprès de diverses personnes, y compris des chasseurs et des trappeurs, indiens ou autres. Il y a quelque temps, on a commencé à parler des grenouilles et du fait qu'elles semblaient être en train de disparaître. C'est une des choses que nous comprenons. Depuis un certain nombre d'années, la grenouille a tendance à disparaître.

Il y a donc des indicateurs. Notre savoir traditionnel nous a permis de nous apercevoir qu'on ne voit plus de vieilles grenouilles. Il n'en reste guère. Elles ne sont plus aussi nombreuses qu'elles l'étaient auparavant. Voilà une des choses que nous disons depuis un certain temps et qu'on commence seulement à comprendre.

Nous estimons donc qu'il faut chercher à comprendre davantage en quoi consiste notre savoir traditionnel et le rôle qu'il pourrait jouer afin d'améliorer la compréhension qu'on a de ce problème de la raréfaction des animaux, des poissons et des plantes.

Des études ont été menées en raison de la situation dans la région des Grands Lacs. Ces études ont également porté sur un certain nombre d'espèces. L'étude sur les Grands Lacs, appelée aussi l'étude AIGLE, nous a notamment permis de connaître le nombre de personnes qui dépendent encore de la terre, qui continuent à vivre de la terre et de mieux comprendre ce qui se passe au niveau des aliments et des plantes dont ces gens continuent à se nourrir.

Je crois fermement que cela est en partie dû à l'habitat. La protection de l'habitat est donc sans doute la première chose sur laquelle il faudra se pencher. Nos peuples ont constaté un appauvrissement de l'habitat et ils ne peuvent pas continuer à vivre la vie qui a été la leur. Nous savions que nos peuples ne pourraient pas continuer à vivre entièrement comme ils l'avaient fait jadis, mais nous savions également qu'il fallait conserver certains aspects de ce mode de vie.

Mais tout un pan de ce mode de vie a été éliminé en raison de l'appauvrissement de l'habitat. On le constate particulièrement au niveau de l'application des règlements provinciaux. Nous savons bien que nos peuples ne peuvent pas continuer à vivre de la terre, et à être, en quelque sorte, les yeux et les oreilles de la nature.

.1940

Donc, que fait-on actuellement? Des études, telle que l'étude AIGLE, nous apprennent que la plupart de nos gens voudraient pouvoir continuer à vivre comme ils le faisaient jadis. Les statistiques nous démontrent pourtant leur pauvreté actuelle car ils ne parviennent plus à trouver certains animaux et certaines espèces.

J'estime qu'il faut réfléchir aux moyens d'utiliser nos savoirs traditionnels. Il ne s'agit pas d'aller voir nos gens et de leur dire qu'on va utiliser leur savoir, d'aller leur demander conseil, car une fois que leur savoir est approprié, il n'y a rien qui permette de le remplacer.

Il faut donc mettre en place un système qui permettra à nos peuples de retourner à la terre, de continuer à exercer leurs droits dans les régions relevant de traités, tout en créant des partenariats avec le gouvernement fédéral afin d'examiner, ensemble, les moyens qui leur permettront de maintenir leur mode de vie traditionnel. Cela forme une partie très importante de cette nécessaire compréhension des aspects spirituels de la terre. Il s'agit là de quelque chose qui échappe à la notion d'écosystème.

Nous sommes dans une curieuse situation par rapport à ce qui nous est proposé. Nous tentons actuellement de protéger au mieux l'environnement, comme vous pourrez essayer de le faire.

Les provinces continueront à dicter les règles applicables. Le gouvernement de l'Ontario a récemment entrepris d'éliminer certaines des règles de protection de l'environnement dont on pouvait se prévaloir en Ontario.

Cela est en partie dû au besoin d'assurer le développement de la province, d'ouvrir le Nord à des compagnies minières qui, par exemple, ne seront plus tenues d'assurer la remise en état des sites exploités. Cela nous préoccupe particulièrement en raison des effets que cela aura sur l'habitat et parce que cela révèle une certaine attitude vis-à-vis de l'environnement.

On ne peut donc pas se contenter de débattre de cette loi sur la protection des espèces en péril. Il faut renforcer toutes les dispositions de protection de l'environnement déjà en vigueur. Il faut approfondir notre compréhension de l'environnement et les lois qui s'y appliquent afin d'assurer une protection suffisante aux plantes, aux animaux et aux poissons. À l'heure actuelle, nous n'avons aucun rôle particulier à jouer dans tout cela. On ne nous a pas vraiment consultés pour voir un peu quel rôle nous pourrions jouer.

Je crois que, face à un texte législatif analogue, au cours des négociations avec les Américains au sujet des oiseaux migrateurs, nous avons, dans notre région, tenté de créer des mécanismes de concertation. Nous considérons que ce genre de processus est un des moyens de parvenir à l'objectif voulu.

Je crois qu'une partie du travail que nous avons fait avec le SCF a été un effort de dernière minute en vue de régler un certain nombre de problèmes qui se posaient alors. Il ne faudrait pas prendre cela pour un modèle de concertation dans les domaines en question. On n'a jamais pris en compte certains aspects des savoirs traditionnels dont j'ai parlé tout à l'heure. Cela n'a pas tenu compte non plus des traités en vigueur. Cela ne prend en compte aucune des questions relatives à notre juridiction. Et, d'une manière générale, cela ne prend en compte aucune de nos recommandations ou des choses que nous avons proposées dans le cadre de ce qui serait, à nos yeux, un processus équitable de concertation nous permettant de savoir que les idées et les recommandations que nous proposons recevront l'attention qu'elles méritent.

.1945

J'estime, en ce qui concerne ce projet de loi, qu'il y a lieu d'attribuer aux Premières nations un rôle dans tout cela. J'estime que nous avons quelque chose à contribuer, non seulement au niveau de l'identification des espèces en péril mais également au niveau des moyens permettant de rétablir l'équilibre. Pour que nous puissions participer activement à cela, il faut qu'il y ait une reconnaissance de qui nous sommes et des responsabilités qui incombent particulièrement à notre peuple.

Voilà les quelques observations que je tenais à faire ce soir. C'est très volontiers que je tenterai d'apporter une réponse aux questions que l'on voudrait me poser quant aux mesures proposées. Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, chef Peters. Nous avons hautement apprécié vos observations.

[Français]

Monsieur Asselin, vous êtes prêt à commencer? M. Forseth suivra.

Monsieur Asselin.

M. Asselin (Charlevoix): D'abord, bienvenue au comité. Je dois vous féliciter de nous faire part de l'intérêt des communautés autochtones et des groupes et de nous faire connaître leurs préoccupations relativement au projet de loi C-65 qui a été déposé à la Chambre et que cette dernière adoptera très bientôt.

Vous nous avez fait part des lacunes du projet de loi qui ne tient pas suffisamment compte des opinions des communautés autochtones. Comment le projet de loi pourrait-il adéquatement tenir compte des opinions des communautés autochtones, compte tenu de l'absence d'un représentant autochtone au COSEPAC, des traités que vous avez signés depuis plusieurs années, des lois autochtones qui vont au-delà des lois provinciales et fédérales et des ententes que vous avez conclues? Certaines ententes spécifiques ont été conclues entre différentes communautés ou différentes régions. Je pense entre autres aux régions du Labrador où des ententes ont été conclues entre le gouvernement du Québec et les communautés. Il ne faudrait pas oublier de tenir compte également de vos traditions, comme vous l'avez si bien mentionné.

Seriez-vous intéressés à faire des revendications ou même à exiger du gouvernement fédéral que des représentants des communautés autochtones siègent au COSEPAC afin qu'elles soient bien entendues, que leurs revendications soient bien en place et qu'elles soient assurées que les préoccupations qu'elles pourraient avoir y soient formulées et qu'un suivi soit fait au niveau du COSEPAC?

[Traduction]

Le chef Peters: Il faut d'abord, je crois, mieux comprendre le rôle que les peuples autochtones peuvent jouer dans le cadre de ce processus. À l'heure actuelle, les possibilités, pour notre peuple, de participer à tout cela, sont réduites du fait que, comme vous l'avez dit vous-même, la présence des gouvernements fédéral et provincial paraît à beaucoup un peu lourde.

Alors que la Constitution reconnaît nos droits et que le gouvernement fédéral a même énoncé, en ce domaine, une politique reconnaissant qu'il s'agit de droits inhérents, le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial continuent à exercer sur nos communautés et nos territoires un contrôle assez poussé. Les gens ont beaucoup de peine à participer à un processus lorsqu'ils estiment en fait ne pas avoir voix au chapitre.

.1950

Pour assurer que nos peuples puissent participer pleinement, il faudrait admettre que si l'un de nos représentants siégeait effectivement au comité, c'est-à-dire au COSEPAC, il faudrait veiller à ce que les idées que les peuples autochtones pensent devoir avancer ne soient pas simplement écartées au moment de prendre des décisions.

En participant sans avoir une sorte de droit de regard, nous ne ferions qu'assister passivement aux décisions que le reste du comité pourrait entendre adopter. Nous demeurerions en outre soumis aux mesures d'un groupe public qui déciderait ainsi de ce qui va se passer dans nos territoires.

Il faudrait donc admettre très clairement la nécessité d'un consentement quant à ce qui se ferait dans nos territoires et dans les domaines relevant de notre juridiction. C'est alors que les gens pourraient participer avec l'idée qu'ils peuvent effectivement jouer un rôle actif et influencer le processus qui se déroule.

[Français]

M. Asselin: On prévoit que les dispositions du projet de loi C-65, Loi concernant la protection des espèces en péril au Canada, vont s'appliquer aux territoires fédéraux. Selon les communautés autochtones, est-ce que les territoires appartenant aux communautés autochtones sont des territoires qui relèvent du fédéral? Ainsi, si les territoires appartenant aux autochtones sont de juridiction fédérale, on pourrait conclure que les dispositions du projet de loi C-65 s'appliquent à vos territoires et non pas nécessairement aux territoires des Blancs, qui sont habituellement gérés par les provinces. Selon vous, est-ce qu'on pourrait nuire aux territoires où l'on exploite la chasse, la pêche et la trappe, bref aux coutumes et aux traditions de votre communauté, si les fonds de terres appartenaient au gouvernement fédéral et que les dispositions du projet de loi C-65 s'appliquaient chez vous?

[Traduction]

Le chef Peters: J'estime que déjà nous pâtissons de l'application des lois fédérales dans nos communautés, et en particulier de la Loi sur les Indiens qui est effectivement un des textes qu'on nous applique.

Oui, nous considérons que nos communautés nous appartiennent en propre. Nous considérons également que nos territoires comprennent les zones couvertes par les traités et qu'ils s'étendent bien au-delà de nos communautés proprement dites. Ce dont il s'agit ici, c'est de l'application des règles fédérales au sein de nos communautés et de l'application des règles provinciales à l'extérieur de nos communautés mais tout de même dans les zones où nous trappons, chassons et pêchons.

À nos yeux, il s'agit donc d'un autre que nous qui décide de ce qui va se passer au sein même de nos communautés en raison de la partie fédérale du texte, et d'un autre encore qui a la haute main sur nos activités en dehors de nos communautés proprement dites, c'est-à-dire dans les zones où nous chassons, pêchons et trappons.

Nous serions ainsi soumis aux décisions du COSEPAC qui déciderait quelles sont les espèces en péril et quelles sont les mesures qu'il y aurait lieu de prendre. C'est également ce comité qui déciderait de ce qu'il faut faire pour rétablir l'équilibre naturel. Si vous vous trouviez dans une situation où vous n'avez aucun contrôle sur ce qui se passe dans votre région, je crois que vous diriez que le processus en question vous est défavorable. C'est bien ce que nous pensons.

[Français]

M. Asselin: Selon vos traités et vos lois, est-ce que vous avez juridiction? Est-ce que vos traités et vos lois ont préséance sur toute loi fédérale dans les territoires que les communautés autochtones occupent? Ainsi, si vous avez juridiction et que vos lois et traités priment, est-ce que le projet de loi C-65 concernant la protection des espèces en péril s'appliquera sur vos territoires?

.1955

On nous disait hier que les lois et traités des communautés autochtones allaient au-delà des lois fédérales. À ce moment-là, le projet de loi C-65 deviendrait caduc dans les territoires occupés par les autochtones.

[Traduction]

Le chef Peters: Je ne crois pas qu'à l'étape où nous en sommes les lois des communautés des Premières nations l'emportent sur les lois fédérales. C'est justement de cela qu'il s'agit lors des négociations et des discussions en cours. Il s'agit d'inverser la situation afin que, dans nos territoires, ce soient nos lois qui l'emportent sur les autres.

Sous sa forme actuelle, à moins qu'il y ait un arrangement qui crée, dans le cadre des mécanismes de négociation, une relation d'un type nouveau avec la communauté, le texte dont il est ici question s'appliquera directement à nos communautés.

[Français]

M. Asselin: Merci.

Le président: Merci, monsieur Asselin.

[Traduction]

M. Forseth (New Westminster - Burnaby): Merci beaucoup, monsieur Peters. Bienvenue devant le comité.

J'ai sous les yeux la page 5 du projet de loi. Ce texte prévoit nettement, au paragraphe 2(2), sous la rubrique Droits des Autochtones:

C'est une disposition très forte inscrite au début même du texte de loi et qui prévoit que cette loi n'entravera en rien l'exercice des droits que vous estimez détenir de la Constitution. Vous avez dit plus tôt qu'il en serait ainsi. Je constate que la loi affirme clairement qu'il n'en sera pas ainsi.

Pouvez-vous donc me dire où se situe le problème? Il est prévu, au début même du texte, là où sont exposées les définitions, que ce texte n'abroge aucun droit ancestral ou droit issu d'un traité. Pouvez-vous m'en dire un peu plus à cet égard?

Le chef Peters: Je crois que c'est une question d'interprétation. Nous constatons, dans les textes de loi adoptés ces derniers temps, l'inscription de clauses de non-dérogation. Les gens semblent penser que cela offre une sorte de protection générale aux communautés des Premières nations. Mais, lorsqu'une disposition prévoit qu'il n'y aura aucune abrogation ou dérogation à nos droits ancestraux ou aux droits qui nous sont reconnus en vertu des traités, il faut savoir quels sont, au juste, les droits ancestraux ou les droits issus des traités susceptibles d'être abrogés ou de subir une dérogation.

Aux termes de l'actuelle politique fédérale des droits inhérents, nous n'avons en fait aucun droit. Selon cette politique, nos droits n'existent pas tant que les gouvernements fédéral et provincial n'ont pas convenu qu'ils existent effectivement. J'estime donc que le fait d'inscrire une clause de non-dérogation dans des textes de loi ne nous accorde aucunement la protection qu'il nous faudrait pour assurer que nos communautés pourront fonctionner sans ingérence et pourront donc s'occuper de ce que nous devons être en mesure de faire.

M. Forseth: Mais je vois, à la page 19 du projet de loi, à l'article 39, sous la rubrique Consultations, par exemple:

Le plan de rétablissement est élaboré en consultation avec les conseils de gestion des ressources fauniques établis en application de textes législatifs portant sur les revendications territoriales autochtones qui sont touchés, de même qu'avec toute autre personne que le Ministre compétent croit directement touchée ou intéressée.

Les communautés autochtones sont tout à fait intéressées par ce plan. Elles peuvent ainsi se reconnaître dans cet article. Cela ne résout-il pas le problème? Cela ne vous convainc pas?

Le chef Peters: La réponse serait oui pour quelqu'un qui habite le nord. C'est une des choses que j'essayais d'expliquer plus tôt dans mon exposé. Il existe une différence très nette entre ce qui se passe dans le nord et ce qui se passe dans le sud.

.2000

Si vous relevez d'un accord global sur les revendications territoriales ou sur la cogestion des territoires, alors vous êtes en mesure de traiter de ces questions. Si vous habitez le sud, pas seulement de l'Ontario, mais plus généralement du Canada, les circonstances sont différentes. Il n'y a aucune revendication globale et il n'y a que très peu d'accords de cogestion dans le sud, en raison de la population et du fait que la plupart des zones définies par les traités sont maintenant peuplées.

Il existe de très nettes différences dans la manière dont on pourrait invoquer les dispositions dont vous avez parlé, mais il est clair qu'en ce qui nous concerne, dans le sud, cela ne peut pas s'appliquer.

M. Forseth: Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Forseth. Madame Kraft Sloan.

Mme Kraft Sloan (York - Simcoe): Merci.

Pourriez-vous me parler un peu du traité Williams? Je sais que ce traité concerne plusieurs communautés de l'Ontario pour qui certains détails de ce traité ne sont peut-être pas très clairs. Les droits de chasse et de pêche ne s'inscrivent-ils pas dans le cadre d'une relation avec la province de l'Ontario? Est-ce exact? Comment cela fonctionne-t-il?

Le chef Peters: Le traité Williams, signé en 1923, n'a jamais été ratifié par le gouvernement fédéral. Dans les années 80, un monsieur a été arrêté parce qu'il pêchait. Il a été poursuivi en justice. Il y a eu plusieurs procès et, en fin de compte, la cour a déclaré qu'il y avait eu, en ce qui concerne la zone couverte par le traité Williams, abandon des droits de chasse et de pêche.

Après cela, des accords de cueillette ont été conclus avec le gouvernement de l'Ontario. Il s'agissait de trouver un arrangement dans l'intérêt des communautés relevant du traité Williams. Très récemment, le gouvernement de l'Ontario a abrogé ces accords. Aujourd'hui, les communautés estiment qu'on ne leur reconnaît que le droit de chasser ou de pêcher que dans les limites de la communauté.

Mme Kraft Sloan: Comment ce texte-ci s'appliquerait-il aux communautés relevant, disons, du traité Williams? Plus tôt vous parliez des différences qui existent entre le nord et le sud et voici un exemple du genre de situation sur laquelle nous pourrions nous pencher. Je crois savoir que dans le nord, la situation est très différente.

Le chef Peters: En ce qui concerne le traité Williams, le plus important est de dire que la législation provinciale s'appliquerait à l'ensemble du territoire relevant de ce traité. En ce qui concerne la réserve, j'imagine que ce serait la loi fédérale qui s'appliquerait.

À l'heure actuelle, en Ontario, les communautés en question ne peuvent jouer aucun rôle au-delà des limites mêmes de la communauté. Elles ne pourraient donc s'occuper que des questions qui surgissent au sein même de la communauté.

Mme Kraft Sloan: Toute participation de leur part, disons en matière d'identification, de plan de rétablissement ou de mise en oeuvre de ce plan, serait donc limitée à la seule réserve? Cela n'irait pas au-delà des...?

Le chef Peters: Non, ça s'arrêterait là. Je crois que pendant un certain temps, on a envisagé d'y ajouter les eaux adjacentes, mais depuis que le gouvernement de l'Ontario a abrogé les accords de cueillette, les communautés n'auraient plus aucun rôle si ce n'est au sein même de la communauté.

Mme Kraft Sloan: Comment renforcer le texte afin de donner à certaines de ces communautés l'occasion de jouer un rôle plus officiel, mieux reconnu ou mieux défini?

Le chef Peters: Malgré ce qui se passe actuellement avec le traité Williams, il faut engager des discussions plus globales et accorder la reconnaissance aux zones définies dans les traités telles qu'elles sont reconnues dans la Constitution.

.2005

Disons que, d'une manière générale, très peu d'activités se déroulent dans cette zone. Auparavant, les gens pouvaient parcourir librement les territoires domaniaux qui étaient inoccupés, mais au cours des quelque six dernières années, les provinces ont mis en place un certain nombre d'arrangements prévoyant, par exemple, l'utilisation de ces territoires comme outils de développement. Dans de nombreux territoires domaniaux, les gouvernements ont institué des plans de gestion et ces terres sont donc maintenant considérées comme étant occupées.

Pour pouvoir faire quelque chose, il faut donc d'abord s'asseoir autour d'une table et discuter de la manière dont nos populations pourront participer dans les zones définies par les traités, au-delà des simples limites de leurs communautés.

On a essayé plusieurs fois de le faire au cours des années 80. Une des tentatives qui a peut-être reçu le plus d'attention a été l'effort en vue d'établir, dans la région Bear Island-Temagami, ce qu'on a appelé le Wendaban Stewardship Authority, alors que les territoires étaient détenus sous toute réserve. Il s'agissait d'un effort, de la part des populations indiennes et non indiennes, en vue de s'entendre sur la gestion de cette zone.

Il n'était nullement question de l'exploitation des ressources car les gens étaient persuadés que cela attirerait dans leur région des multinationales qui obtiendraient, par exemple, une autorisation d'exploiter la forêt et qui, dans dix ans, repartiraient après avoir abattu tous les arbres. Afin d'assurer un développement durable des territoires, afin de permettre aux générations futures de continuer à gagner leur vie, nous avons prôné très vigoureusement un contrôle local et un bon système de gestion durable.

C'est probablement un des meilleurs exemples de collaboration entre les Indiens et les non-Indiens, afin de chercher les moyens d'assurer un rythme de développement responsable tout en conservant une zone pour la faune, les plantes et le poisson, zone qui pourrait d'ailleurs être elle aussi utilisée.

Mme Kraft Sloan: Vous évoquez là la question du renforcement des capacités au sein même des communautés. Parfois cela consiste à aider les gens à voir ce qui existe déjà et à aider d'autres personnes à reconnaître ce qui existe déjà au sein de la communauté, afin qu'on respecte ce qui a été fait et qu'on s'en serve comme point de départ.

C'est une question sur laquelle le comité s'est longuement penché lors de la rédaction de son rapport sur la Loi canadienne sur la protection de l'environnement. Au fur et à mesure qu'avance le processus d'autonomie, et que de plus en plus de communautés deviennent responsables de leur propre administration, comment, au niveau de la protection de l'environnement, allez-vous assurer que ces mêmes communautés auront les ressources et les capacités nécessaires pour entreprendre ce genre d'initiatives?

Les communautés disposent, en ce domaine, de savoirs traditionnels qui se sont accumulés depuis des centaines d'années, mais lorsqu'il s'agit d'engager des mesures correctives qui exigent une formation supplémentaire ainsi que certaines autres techniques ou méthodes, comment ces communautés vont-elles se procurer les moyens nécessaires?

D'après ce que vous avez pu constater en Ontario, de quelles ressources les communautés des Premières nations disposent-elles au niveau de ce qu'il faut pour protéger l'environnement et participer aux plans de rétablissement? De quoi ont-elles besoin? Quelle aide faudrait-il?

.2010

Le chef Peters: D'abord, je suis d'accord avec vous qu'il existe, au sein des communautés, de très grandes capacités au niveau des problèmes liés à l'environnement. Mais, en même temps, étant donné que ce savoir sur l'environnement n'est pas considéré comme scientifique, on a un peu tenu nos populations à l'écart en ne reconnaissant pas leurs connaissances en ce domaine.

La plupart de nos communautés n'ont que de très minces ressources leur permettant de participer à des plans de gestion des ressources fauniques et de parvenir par cela à gérer l'environnement. J'estime que les communautés qui jouent un rôle en ce domaine s'acquittent très bien de leurs responsabilités.

Une des communautés actives actuellement en ce domaine, est la communauté de Nawash, également connue sous le nom de Cape Croker. Ils ont, par exemple, fixé leurs propres quotas en matière de pêche. Ils ont élaboré leur propre plan de gestion. D'ailleurs, le gouvernement de l'Ontario a voulu leur confier, ainsi qu'à une ou deux autres communautés de la région, l'ensemble des pêches commerciales de la zone. Mais les communautés qui ne tirent aucun revenu de l'exploitation des ressources et qui ne sont pas parvenues à trouver une autre source de revenu, ont du mal à participer à ce processus de gestion. C'est pourquoi nous devons actuellement avoir recours à des méthodes scientifiques.

Au début des années 90, nous avons également formé, et cela pour la première fois, un grand nombre de chercheurs qui ont maintenant à la fois la position et les capacités pour tenter d'opérer une jonction entre les savoirs traditionnels et les connaissances scientifiques. Voilà certaines des très bonnes choses qui se passent actuellement.

Songez à Akwesasne et au travail qui se fait actuellement en matière de pêche, de faune et de sylviculture. Il s'agit, dans tous ces projets-là, d'essayer de faire la jonction entre la science et les connaissances traditionnelles de nos peuples.

Mme Kraft Sloan: Je suis très intéressée par l'intégration des savoirs traditionnels en matière d'écologie et des connaissances scientifiques occidentales. Il y a plusieurs exemples d'anciens que des universités ont invités à donner des cours et, aussi, d'étudiants qui vont vivre dans les communautés. Il y a donc un échange qui se fait.

Au printemps dernier, la télévision a retransmis une table ronde au cours de laquelle nous nous sommes penchés sur l'environnement, sur le développement durable ainsi que sur l'emploi. Un groupe québécois appliquait les savoirs traditionnels en matière d'écologie, auxquels ils avaient trouvé le moyen d'intégrer des systèmes d'information géographique.

Le président: Chef Peters, si je vous comprends bien, vous disiez, plus tôt, que la protection de l'habitat est la chose la plus importante dans un texte de ce genre. On a plusieurs fois demandé à ce comité d'inscrire dans le projet de loi une définition de ce qu'on entend par «habitat», puisqu'il ne contient qu'une définition de «habitat essentiel». Si le texte comprenait une définition d'«habitat», pourriez-vous nous dire comment, selon vous, il conviendrait de la rédiger?

M. Forseth: À la page 2 du projet de loi, on trouve la définition suivante:

.2015

Le chef Peters: Si l'on voulait donner de l'habitat une description qui dépasse ce qui est nécessaire à la simple survie d'une espèce, monsieur le président, il faudrait se pencher sur le problème des effets de la pollution et de tous les autres facteurs qui pèsent sur l'habitat. Cette définition peut être interprétée comme fixant les exigences minimums de ce qui est nécessaire pour assurer la survie d'une espèce. Si nous voulons aller au-delà du simple minimum et reconnaître qu'il faut recréer les conditions générales d'existence de la faune, il faudra adopter en matière d'habitat une approche plus globale qui permettra de protéger certaines zones à la fois contre le développement et contre les produits polluants.

Tout cela exigerait qu'on instaure une réglementation beaucoup plus stricte en matière d'environnement. Cela prendrait, de la part des gouvernements, beaucoup de volonté politique si l'on veut aller au-delà du minimum prévu dans ce projet de loi pour assurer la simple survie.

Le président: D'après ce que vous venez de dire, et à supposer que le texte proposé puisse s'appliquer dans les régions du nord mais soit impraticable dans le sud, comme vous le disiez tout à l'heure, que pensez-vous qu'il faudrait faire dans le sud pour parvenir aux résultats voulus?

Le chef Peters: Ce qu'il faudrait faire dans le sud n'affecterait pas seulement nos communautés mais également les communautés non indiennes. La solution se trouve en partie dans la réponse que j'ai donnée au sujet de l'habitat. Il faut prévoir des mesures plus globales qui permettront d'examiner les divers facteurs dont il faut tenir compte pour constituer un habitat propice au développement durable de l'ensemble des espèces.

Dans le sud, il faudra également réfléchir de manière très globale aux mesures qui pourraient être prises. Si l'on veut reconstituer les espèces actuellement en péril dans le sud, il va falloir faire un énorme travail.

Le président: C'est dire que ce projet de loi n'y parviendra pas à lui seul. Il faudra également un programme de soutien. Ai-je bien interprété votre pensée?

Le chef Peters: Oui. Il faudrait instaurer un régime global de protection de l'environnement si l'on veut obtenir les résultats voulus.

Le président: Plus tôt, vous avez dit que l'apport autochtone va au-delà de l'approche fondée sur le concept d'écosystème et vous nous en avez dit quelque chose. Comment l'approche traditionnelle autochtone peut-elle remplacer l'approche fondée sur le concept d'écosystème? Vous avez dit qu'il faut tenir compte des savoirs traditionnels et des valeurs spirituelles. Pouvez-vous nous dire, en quelques mots, en quoi cela consiste?

Le chef Peters: On y a fait allusion lorsqu'on a parlé de l'habitat et des régimes de protection de l'environnement. À l'heure actuelle, on comprend mal les complexités de la nature et je n'en veux pour preuve que les tentatives en vue de créer des biosphères à l'intérieur desquelles les gens pourraient vivre.

.2020

Il faut aller au-delà de ce genre de théorie et reconnaître que si vous voulez vivre avec d'autres êtres humains, il faut les respecter afin de parvenir à vivre en harmonie. Cela vaut également pour les plantes, les animaux et les poissons. Il faut leur accorder ce même genre de respect si l'on veut qu'ils survivent et ce n'est actuellement pas le cas.

La science a propagé l'idée que tout peut être réparé ou que tout peut être remplacé. C'est sans doute l'attitude la plus désastreuse que l'on puisse avoir lorsqu'il s'agit de remédier à la situation dans laquelle se trouvent actuellement toutes les formes de vie de la planète.

Le président: J'aimerais maintenant passer à une autre série de questions. Madame Kraft Sloan, vous avez la parole.

Mme Kraft Sloan: J'aimerais peut-être davantage dialoguer que poser des questions.

Vous avez parlé de la biosphère. Il y a quelques années, je me trouvais dans la région avec ma famille et, comme cela, pour nous amuser, nous avons décidé d'aller visiter la biosphère II, aux alentours de Tucson, en Arizona. J'ai demandé à notre guide de nous dire où se trouvait la source d'énergie. Il a répondu qu'elle était à l'extérieur de la biosphère. Je lui ai alors dit, vous avez cri un monde complet, mais comment se fait-il alors que la source d'énergie se trouve à l'extérieur? On s'était contenté de brancher la machine. On voit très bien le problème.

Je voudrais maintenant ajouter quelques observations à ce qu'a dit le président. Lorsque je pense à l'approche fondée sur le concept d'écosystème, je ne pense pas seulement à la dimension biologique. Je pense à l'interaction qui se fait. Pour moi, l'être humain est dans la nature et la nature est dans l'être humain. J'ai toujours pris pour acquis que c'est en partie cela l'approche fondée sur la notion d'écosystème.

Or, vous avez ajouté ici une nouvelle dimension. Ce que vous avez dit évoque certaines des choses dont parle Thomas Berry, un écothéologien. Il s'agit de respecter la communauté terrestre et d'être reconnaissant de ce qu'elle nous donne. Il y a, dans son livre, un passage où il rappelle, en fait, que si vous n'êtes pas gentil avec la nature, elle vous le rendra bien. Je crois que cela fait partie de ce qui n'est guère évoqué dans le cadre de nos dialogues avec les divers témoins que nous accueillons ici. J'ai l'impression que les gens ont oublié qu'ils font eux-mêmes partie de la nature, qu'ils sont dans la nature et que la nature est en eux. Le respect et la spiritualité constituent des éléments très importants dans ce débat.

Vous avez également parlé de développement durable. Je pense toujours qu'en matière de développement durable, la chose la plus importante est le concept d'équité. Il s'agit d'équité entre les générations, et aussi entre les espèces. C'est une notion qu'il est parfois difficile de faire comprendre.

Je ne sais pas ce que vous pensez de ce que je viens de dire, mais j'aimerais recueillir votre sentiment à cet égard.

Comment, en plus, aider les gens qui se voient comme extérieurs à la nature et comme ayant le pouvoir de la manipuler? Comment les encourager à saisir cette autre dimension?

Le chef Peters: Je ne sais pas comment il faudrait s'y prendre.

Je suis d'accord lorsque vous dites que l'homme se situe souvent en dehors de la vie et que cette attitude porte les germes de la destruction de tout ce qu'il y a sur terre.

.2025

Je ne suis pas pêcheur, mais je pêche parce que j'ai le droit de pêcher dans une certaine zone de la communauté où je suis né et j'enseigne à mes fils comment pêcher comme mon père me l'a enseigné.

Une des choses que les gens vont devoir commencer à comprendre, c'est ce que nous constatons actuellement lorsque nous attrapons des poissons difformes. Nous attrapons des poissons avec des nageoires curieusement placées. Nous attrapons des poissons qui n'ont pas de queue. Nous attrapons des poissons de couleur verte.

Lorsque les gens peuvent voir de leurs propres yeux ce qui se passe chez les animaux et la responsabilité qu'ils ont dans tout cela, c'est un peu comme un électrochoc. Il faut que les gens puissent constater la dévastation d'une manière qui les frappe vraiment.

L'autre jour je lisais un autre article dans le journal au sujet des grenouilles qui sortent du Saint-Laurent. On a pêché divers types de grenouilles et l'on s'est aperçu que toutes avaient des malformations. Elles n'avaient pas de jambes et on constatait aussi toutes sortes d'autres malformations.

À partir du moment où les gens commencent à comprendre ce que l'on est en train de faire avec les polluants et qu'ils comprennent que nos formes actuelles de développement vont tuer nos petits- enfants... Car en fait nous sommes en train de tuer nos enfants et nos petits-enfants. Si l'on parvient à comprendre ce que l'on est en train de faire à notre avenir et à saisir la responsabilité qui nous incombe, peut-être pourra-t-on faire quelque chose.

Je suis encouragé par le fait qu'aujourd'hui, dans les écoles, on donne des cours sur l'environnement. Au début, on n'enseignait cette matière que dans certaines classes, mais maintenant on l'enseigne pendant tout le cycle scolaire et même, parfois, dans les universités. C'est, d'après moi, le seul moyen de changer la manière dont les gens envisagent l'interaction entre les êtres humains et les autres formes de vie sur notre planète.

Il faut aimer la terre, car on ne protège que ce que l'on aime. Si vous n'aimez pas la terre, si vous n'aimez pas les animaux, si vous n'aimez pas toute la création, vous ne chercherez pas à la protéger. C'est quelque chose qu'il faut enseigner aux gens. On ne se réveille pas comme cela un jour en décidant qu'on va commencer à protéger tout cela. Le seul moyen de le faire est de montrer aux gens ce qui se passe et en enseignant tout cela aux jeunes. C'est un processus de longue haleine.

Ce n'est guère qu'en 1970 qu'on a commencé aux États-Unis à se préoccuper de l'environnement, et un peu plus tard ici au Canada. On n'accordait à ce genre de problème aucune importance avant de s'apercevoir des destructions que l'on était en train de causer, puis d'essayer de réparer le mal qu'on avait fait.

Mais, en ce qui concerne les espèces qui ont disparu, il n'y a plus rien à faire. On ne peut pas les faire revenir. En ce qui concerne les plantes qui ont disparu, on ne peut pas les faire revenir. Pas plus qu'on ne peut faire revenir les membres de notre communauté qui ont disparu. On a parfois agi avec une véritable malveillance.

J'estime qu'on ne peut enseigner aux gens à mieux vivre ensemble qu'en les prenant quand ils sont petits et en leur enseignant jusqu'à ce qu'ils comprennent qu'ils ont dans tout cela un rôle à jouer.

Mme Kraft Sloan: Merci.

Le président: Chef Peters, si je vous ai bien compris, vous prônez, entre autres, l'instauration d'un système qui permettrait aux gens de vivre à nouveau de la terre. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce point?

Chef Peters: Oui.

Au cours des ans, beaucoup de choses ont poussé les gens à quitter la terre. Ils auraient voulu pouvoir faire autrement, mais l'état de la législation, la baisse du prix des fourrures, la fin des pêches commerciales dans le Nord, etc. enfin tout un tas de circonstances ont imposé cela à nos peuples. S'ils ont quitté leurs terres ancestrales, c'est pour de très nombreuses raisons.

.2030

C'est pour moi un des défis qu'il s'agit actuellement de relever et je crois que c'est une des réponses que l'on peut apporter aux problèmes sociaux que l'on observe dans nos communautés, car le fait de nous réinstaller sur nos terres permettra de régler un certain nombre de problèmes sociaux qui touchent nos communautés. J'y vois quelque chose de très important.

D'après ce qu'il m'a été donné de voir et d'entendre, je peux vous dire que cela est nécessaire si l'on veut que les gens assument à nouveau une certaine responsabilité vis-à-vis de leur propre existence. Cela permettrait aux gens de vivre dans un environnement où les gens collaborent naturellement entre eux.

Lorsqu'on vit de la terre, il faut mettre en commun ses efforts. Il n'y a pas d'autre moyen. Pour vivre de la terre, il faut prendre certaines responsabilités. Mais, lorsque l'on rentre dans nos communautés, tout cela est oublié, car il n'est pas actuellement nécessaire de prendre ses responsabilités pour vivre au sein d'une communauté.

Le fait de nous réinstaller sur nos terres aura deux conséquences: cela permettra aux gens de renouer avec leurs valeurs et leur mode de vie traditionnels et cela leur permettra de résoudre un certain nombre de problèmes sociaux qui affectent nos communautés. C'est une question de nécessité.

Je félicite les communautés du nord de l'Ontario qui ont mis en place des programmes qui permettent à leur population de s'installer à nouveau sur leurs terres et leur assurent un certain niveau de vie. C'est novateur et cela a marché dans certaines régions. Il convient de reconnaître que cela fait partie intégrante de notre concept de développement qui permet de renouer à la fois avec la spiritualité et avec la terre.

Le président: Chef Peters, nous vous remercions. J'espère que Ron Irwin est au courant des points de vue que vous avez exprimés puisqu'il est en train de préparer une nouvelle loi portant notamment sur la participation des peuples autochtones dans les décisions qui vont être prises dans un certain nombre de domaines. Nous espérons que vous aurez l'occasion de vous entretenir avec lui.

Est-ce trop optimiste?

Le chef Peters: J'espère en effet que l'on va écouter les préoccupations qui sont les nôtres et que des mesures seront prises afin de renforcer les relations que nous avons actuellement.

Je tiens à ajouter une chose à mes déclarations d'aujourd'hui. J'y avais pensé plus tôt mais je ne m'y suis pas attardé. Cela fait partie de ce qui se passe actuellement à l'échelle mondiale en matière de propriété intellectuelle dans le domaine de la recherche génétique. Certains d'entre vous savent peut-être que l'on considère que les peuples autochtones constituent l'un des groupes sur lesquels il convient de faire porter les recherches en ce domaine.

Cela me paraît être lié à l'idée des espèces en péril car nous sommes, d'une certaine manière, en tant que peuple, considérés comme une espèce en péril. Nous possédons encore certaines propriétés génétiques qui pourraient être utilisées par les compagnies pharmaceutiques ainsi que par la médecine pour trouver des remèdes à un certain nombre de maladies.

Je tenais simplement à ajouter cela à l'intention du comité, car il ne s'agit pas seulement de plantes, d'animaux et de poissons. Nous comptons dans tout cela également les êtres humains et l'extraction de certaines propriétés génétiques à partir de cheveux, de sang ou d'autres spécimens que nous pourrions fournir.

Il ne me reste qu'à vous remercier de cette occasion de vous présenter cet exposé. Nous espérons que les points de vue que nous avons exprimés seront pris en compte.

.2035

Le président: Eh bien, nous ne manquerons pas de retenir ce que vous nous avez dit. Je suis sûr que tous les membres du comité sont d'accord sur ce point.

Chef Peters, merci beaucoup.

La séance est levée jusqu'à demain matin 8 h 30 dans la salle 705 de l'immeuble où nous étions cet après-midi.

Merci.

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