[Enregistrement électronique]
Le mercredi 29 janvier 1997
[Traduction]
Le président: La séance est ouverte. Bonjour, mesdames et messieurs. Nous sommes heureux de nous retrouver à Edmonton pour reprendre nos consultations et nos audiences.
Ce matin, nous sommes honorés par la présence d'un ancien du Alberta Treaty Nations Environmental Secretariat. Nous allons commencer la séance par une prière prononcée par M. Good Striker.
M. Rufus Good Striker, Ancien (Alberta Treaty Nations Environmental Secretariat): Avant tout, je veux vous expliquer un peu la façon dont nous prions. On nous a enseigné respecter la création de l'Être suprême et on nous a dit qu'il ne fallait pas porter atteinte à cette création. C'est de cela dont il va être question.
Vous allez entendre un ancien parler, prier dans sa langue. Vous l'entendrez aborder les quatre grandes étapes de la vie: l'enfance, la jeunesse, l'âge adulte, puis le retour à l'enfance. Il vous parlera des quatre saisons et des quatre étapes de la vie, qui sont très importantes pour nous, qui représentent notre enseignement.
Je vais maintenant poursuivre dans ma langue, la langue des Pieds-Noirs. [Le témoin poursuit dans sa langue autochtone]
Le président: Merci, M. Good Striker. Pendant que nous attendons quelques minutes l'arrivée de votre neveu, qui doit nous faire un exposé, je vais faire quelques brèves annonces.
Le greffier vient de m'apprendre que certains d'entre vous ont vu dans le Globe and Mail d'hier, un article signé d'Anne McIlroy portant sur un sondage effectué à propos de ce projet de loi, le projet de loi C-65. Que ceux et celles qui voudraient y jeter un coup d'oeil demandent au greffier de leur faire une photocopie.
Ceux d'entre vous qui s'intéressent à ce qui se passe à Ottawa trouveront dans le journal d'aujourd'hui un remarquable article portant sur l'industrie culturelle; on y analyse si celle-ci doit ou non être visée dans l'ALENA. Tous ceux et celles qui s'intéressent à cette question devraient prendre quelques minutes pour le lire, pour des raisons qu'il serait trop long de commenter ici.
En outre, vous trouverez une excellente lettre au rédacteur en chef, envoyée par Zane Boyd et intitulée «Forward to the Past». Je prends la liberté, à titre personnel, d'attirer votre attention sur cette lettre.
De plus, le greffier tient à nous rappeler qu'il aimerait recevoir vos propositions d'amendements dans une semaine demain. Je tenais moi-même à vous le rappeler parce que le respect de cette date est assez important pour le bon déroulement de nos audiences.
Je vois que vous êtes arrivé, M. Good Striker. Bienvenue au comité. Avant votre arrivée, nous avons pu entendre Good Striker nous dire une prière pour laquelle nous lui sommes très reconnaissants.
Je vous donne à présent la parole. Au bout de dix minutes, je vous signalerai qu'il ne vous reste plus que cinq minutes après quoi nous consacrerons le reste de l'heure à une période de questions.
Si vous voulez nous faire distribuer un document, ne vous gênez pas, remettez-le au greffier.
M. Duane Good Striker (directeur, Alberta Treaty Nations Environmental Secretariat): Bonjour et merci de nous accueillir aujourd'hui.
L'Alberta Treaty Nations Environmental Secretariat, l'ATNES, est une émanation du sommet des chefs de l'Alberta. Notre organisme est le chien de garde de toutes les activités environnementales conduites actuellement et ayant un rapport avec les enjeux internationaux, dans les régions de l'Alberta visées dans les Traités 6, 7 et 8. Nous sommes en train de prendre de l'essor en Colombie-Britannique, dans les Territoires du Nord-Ouest, en Saskatchewan et aussi au Montana, à cause du chevauchement des régions visées par les traités.
Mais nous sommes ici pour vous parler d'espèces en voie de disparition, ainsi que de la loi et du règlement qu'on est en train de formuler à cet égard. Au début, nous avons eu de la difficulté à être informés. En effet, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien ne reconnaissait pas l'ATNES, mais le ministre Irwin est venu nous rencontrer en personne en Alberta, au mois de juillet dernier. À cette occasion, nous avons rassemblé tous les chefs et plusieurs employés des Affaires indiennes, pour la région de l'Alberta.
Nous avons pu alors clarifier ce qu'est vraiment l'ATNES. Nous avons donc fait savoir aux gens de la région de l'Alberta que l'ATNES n'est pas un simple conseil de chefs représentant les Traités 6, 7 et 8 - autrement dit James Badger, de Sucker Creek, représentant le Traité 8; Ron Morin, représentant la nation crie d'Enoch, à l'extérieur d'Edmonton, pour le Traité 6; et Philip Big Swan, qui représentait à l'époque la nation Peigan signataire du Traité 7.
L'ATNES n'est donc pas un simple regroupement d'anciens qui guident la façon dont nous devons agir au service des gens et de l'environnement. Nous avons eu l'occasion de faire directement savoir au ministre que l'ATNES représente 65 p. 100 des 75 000 Indiens visés par des traités, qui ne bénéficient d'aucune protection environnementale, d'aucune éducation, d'aucun règlement et qui ne jouissent d'aucun pouvoir sur leur terre. Nous avons pu alors clarifier la situation du point de vue de l'ATNES et, en Alberta, nous sommes maintenant reconnus par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.
Mais je vais tout de suite passer à notre exposé sur les espèces en voie de disparition et sur la position de l'ATNES à ce propos. Je vais commencer par vous entretenir des dispositions des traités qui touchent aux espèces concernées en Alberta.
Les animaux considérés comme étant des espèces éteintes, en voie de disparition, menacées ou en péril ont toujours eu leur place dans l'écosystème, pris dans sa globalité, et ont toujours répondu à une certaine raison d'être, pour le bénéfice des autres animaux. Les nations de l'Alberta et des Amériques signataires de traités estiment qu'il existe un lien direct de parenté entre les animaux et nous ainsi qu'avec toutes les autres formes de vie.
Les droits fonciers issus des traités en Alberta, sont antérieurs à la création de la province, en 1905. Ils ont été signés avec les nations des Pieds-Noirs, des Dénés, des Sarcis, de Castor, des Cris, des Chipewyan et des Nakotas, qui, par le truchement de ces accords, ont convenu de partager leur terre et leurs ressources avec les nouveaux arrivants en échange de médicaments, d'une instruction, d'outils et de moyens pour éduquer leur peuple. La Couronne, elle, a bénéficié en échange du droit de partager la terre et les ressources avec toutes les générations à venir, d'une saine gestion publique et d'une coexistence pacifique. Il n'a jamais été question, dans les négociations des Traités 6, 7 et 8, de la relation unique qui existe entre les nations de l'Alberta signataires de traités et leur milieu environnant respectif.
Les nations de l'Alberta signataires de traités sont parfaitement conscientes de leurs responsabilités envers les autres formes de vie, avec qui elles coexistent au titre d'une survie mutuelle. Les nations signataires de traités, elles qui font partie du grand tissu de la vie, ont toujours compris et maintenu cette bonne relation synonyme de suivie dans la région que nous connaissons maintenant sous le nom d'Alberta. Malheureusement, on ne peut en dire autant de la Couronne qui, au cours du siècle dernier, a encouragé le massacre du bison qui parcourait jadis ces vastes plaines, jusqu'à sa quasi-extinction. C'est un Autochtone qui a sauvé de l'extinction les quelques bisons ayant survécu au massacre, et dont tout le Canada profite maintenant puisqu'on les montre dans les parcs nationaux pour attirer les touristes du monde entier.
Les régions visées par le traité sont, depuis toujours, réservées à l'usage des nations de l'Alberta pour la pêche, la chasse, le piégeage et la cueillette de toutes les espèces sauvages qu'on y trouve. Les nations de l'Alberta signataires de traités jouissent depuis des temps immémoriaux de ce droit que leur a donné le Créateur. Comme vous l'avez entendu de la bouche de nos anciens, ici présents, notre existence a toujours dépendu de nos techniques de cueillette, de chasse et de pêche, qui consistent à ne pas hypothéquer ces ressources pour les générations à venir. Les nations de l'Alberta signataires de traités ont toujours pris grand soin des régions en question parce que nous connaissons bien les cycles naturels à respecter; nous l'illustrons d'ailleurs dans nos cérémonies annuelles dont beaucoup existent encore aujourd'hui grâce à nos anciens et à nos jeunes.
Deuxièmement, nous nous proposons de vous parler de la législation qui a été rédigée pour nos parents qui sont touchés. Les nations de l'Alberta signataires de traités recommandent au Comité permanent de l'environnement et du développement durable d'adopter un régime réglementaire qui suivrait les frontières originales énoncées dans les traités 6, 7 et 8 en Alberta, pour l'application de la Loi concernant la protection des espèces en péril au Canada et pour assurer la protection de toutes les espèces désignées. Cette recommandation est tout à fait justifiée par le fait que le Conseil canadien des ministres de l'Environnement a proposé d'harmoniser les normes qui existent depuis toujours pour les nations de l'Alberta signataires de traités, mais qui n'ont jamais reçu l'appui ni du fédéral ni du provincial quand les ressources en question ne présentaient aucune valeur pécuniaire.
Les droits des nations de l'Alberta signataires de traités sont protégés par la Constitution canadienne, mais ils devraient être élargis à nos parents dont le sort nous préoccupe vraiment, comme le prouve le respect que nous avons pour la nature. Le COSEPAC a compétence sur les terres fédérales, mais son mandat est inadéquat. Sur ce plan, il ne jouit d'aucune crédibilité auprès des nations de l'Alberta signataires de traités.
Troisièmement...
Le président: Excusez-moi de vous interrompre, mais le qualificatif «autochtone» apparaît-il par erreur dans le mémoire ou est-ce voulu?
M. Good Striker: Désolé, ce devait être «contenu autochtone».
Le président: Merci.
M. Good Striker: Mon troisième point concerne la question des droits issus des traités dans le contexte de l'ATRM, l'Accord de transfert des ressources naturelles de 1930.
Celui-ci est devenu loi sans avoir fait l'objet de consultations et sans avoir reçu le consentement des nations de l'Alberta signataires de traités. Cette loi a eu un effet marqué sur l'habitat dont dépend la survie de nombreuses espèces en voie de disparition ou menacées. Les nations d'Alberta signataires des traités ont constitué un dossier sur la façon dont l'ATRM est devenu un véritable instrument de mise en valeur des ressources sur toutes les terres où les nations de l'Alberta signataires de traités conduisent depuis toujours des activités de chasse et de cueillette. Malheureusement, le gouvernement fédéral n'a pas exercé sa responsabilité de fiduciaire envers les nations de l'Alberta signataires de traités qui ont le droit de maintenir un mode de vie s'articulant autour de l'exploitation durable de leurs ressources naturelles, que ce soit pour assurer leur subsistance ou pour se soigner.
Enfin, mon quatrième point touche à la compétence des règlements dans les régions de l'Alberta visées dans les traités.
On devrait aussi tenir compte de la Convention des Nations Unies sur la biodiversité dans la relation qui existe entre les différentes espèces visées dans cette loi. Les nations signataires de traités de l'Alberta et du Canada possèdent une vaste connaissance du milieu naturel qui n'a pas été prise en compte dans la méthode scientifique occidentale de désignation et de classification taxinomiques. Cela est en partie dû au fait que ce n'est que tout récemment qu'on a commencé à considérer qu'en matière de résultats de collecte et d'évaluation des données, la connaissance traditionnelle de l'environnement se compare à la science occidentale. Seule l'approche holistique semble avoir eu un impact gigantesque sur la conscience des scientifiques modernes.
La Convention sur la biodiversité est tout à fait favorable à la mise en commun des résultats de la science occidentale et de la connaissance environnementale traditionnelle - au fait, excusez-moi, «TEK», en anglais, signifie «connaissance environnementale traditionnelle» - , pour le bénéfice du genre humain, mais le gouvernement du Canada ne s'est pas montré responsable en n'informant pas les nations de l'Alberta signataires de traités des implications de cette convention sur la Loi concernant les espèces en voie de disparition. L'avis d'inscription des espèces est le produit de la science occidentale, mais les nations signataires de traités, elles, en connaissent la vraie valeur pour l'environnement en général et pour l'homme en particulier. Il est bien connu que la science occidentale ne possède qu'une infime partie de la connaissance du monde naturel, contrairement aux nations de l'Alberta signataires de traités et aux peuples autochtones d'Amérique, qui en savent énormément.
L'Alberta Treaty Nations Environmental Secretariat prend très au sérieux la portée de la Convention sur la biodiversité en ce qui a trait aux espèces touchées par l'homme ainsi qu'à la survie de toutes les espèces menacées ou en voie de disparition à l'échelle planétaire. Cette convention s'avérera bénéfique pour le genre humain, à condition que tous ceux qui font partie du genre humain aient une même voix au chapitre.
Voilà ce que nous voulions vous dire.
Le président: Merci pour cet exposé fort intéressant, M. Good Striker.
Monsieur Forseth, suivi de Mme Kraft Sloan, puis de MM. Steckle et Adams.
M. Forseth (New Westminster - Burnaby): Merci, monsieur le président.
Au point 3 de votre présentation, on trouve l'énoncé suivant:
- Malheureusement, le gouvernement fédéral n'a pas exercé sa responsabilité de fiduciaire
envers les nations de l'Alberta signataires de traités, qui ont le droit de maintenir un mode de vie
s'articulant autour de l'exploitation durable de leurs ressources naturelles, que ce soit pour
assurer leur subsistance ou pour se soigner.
M. Good Striker: Eh bien, il y a d'abord le cas - parmi tant d'autres qu'on pourrait retenir pour exemples - des Cris du Lubicon, dans le nord de l'Alberta. Cette tribu a une revendication territoriale fondée qui n'a été correctement traitée ni par le gouvernement fédéral, ni par le gouvernement provincial. Entre-temps, la région visée par cette revendication est exploitée par des sociétés forestières, si bien que la capacité de ces indiens de maintenir des activités de subsistance, en exploitant la faune et la flore de façon durable, est considérablement limitée. Cet état de fait est dû à l'LTRN, qui accorde compétence à la province sur cette région.
M. Forseth: Certes, les exemples de revendications territoriales non réglées et de différends en la matière abondent au pays. Je suis de la Colombie-Britannique et je peux vous dire que, là-bas, nous sommes aux prises avec un grave problème dû à des négociations territoriales inachevées, et je comprends tout à fait le sens de votre propos.
Je me permets d'attirer votre attention sur deux passages du projet de loi. Le premier se trouve à la page 5, au paragraphe 2(2) de l'article des définitions, que je vous lis:
- Il demeure entendu que la présente loi ne porte pas atteinte aux droits - ancestraux ou issus de
traités - des peuples autochtones du Canada visés à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de
1982.
Je veux que vous puissiez nous dire ce que vous pensez de ces deux dispositions, qui ont justement pour objet de reconnaître le fait autochtone au Canada. Ces expressions atténuent-elles vos préoccupations? Dans la négative, quelle formulation recommanderiez-vous pour améliorer ou étendre leur portée?
M. Good Striker: Pour ce qui est de la définition des droits issus de traités, tels qu'on les entend dans la Constitution, j'ai essayé de préciser un peu mieux la façon dont nous définissons nos parents. Au moment de la signature des traités, il était question de terres et de ressources. Il était question de la couche supérieure du sol sur environ six pouces, mais il n'a jamais été question de nos parents.
Quand nous avons signé le traité, nous pensions le faire au nom de nos parents. Maintenant, 110 ans plus tard, la société dominante se soucie enfin d'eux. Nous, nous nous en sommes toujours souciés, à l'occasion de nos cycles cérémoniaux, tous les ans, et ce, depuis plus de 7 000 ans. Nous, nous savons ce qu'est une espèce en voie de disparition.
Les droits issus des traités n'ont jamais été clairement définis, mais cela va venir très bientôt. Le Canada en est au point où il doit décider de ce que sont et de ce que ne sont pas ces droits issus de traités. Aujourd'hui, nous voulons vous faire comprendre que nous défendons nos parents, parce que nous estimons que ces espèces sont nos parents. Nous les considérons comme étant partie de notre famille.
Dans le cas du COSEPAC et de la connaissance environnementale traditionnelle, on a affaire à une vaste question liée à la Convention sur la biodiversité. Encore une fois, j'ai tenu à vous rappeler que nous n'avons jamais, absolument jamais été consultés en 1992 quand le Canada a signé la Convention sur la biodiversité qui prévoit la prise en compte de la connaissance traditionnelle par le monde scientifique.
Pour replacer les choses en perspective, dites-vous que vous ne possédez actuellement que 60 p. 100 de la connaissance traditionnelle. Le monde en possède 60 p. 100. Vous avez hérité du tabac, du café, des haricots, de la tomate et du maïs. Dans la Convention sur la biodiversité il est question de droit d'auteur. Il est question d'évaluation. Il est question de protocoles taxinomiques adéquats. C'est bien. Tout cela est fort bien. Comme je l'ai écrit à la dernière ligne, ici, cette Convention sur la biodiversité est merveilleuse, mais mieux vaudrait que vous vous en teniez aux règles voulant que le propriétaire original de cette information bénéficie d'un droit d'auteur, bénéficie d'une évaluation ainsi que de bonnes conditions de taxinomie.
Commençons par les 60 p. 100 que vous possédez, avant même que nous ne parlions des 40 p. 100 restants, ceux qui nous importent vraiment, parce qu'ils constituent le choeur même de notre mode de vie, de notre interaction avec l'environnement. Voilà pourquoi nous estimons tellement important que l'on applique le contenu autochtone dans le cadre du COSEPAC, partout au Canada. Après tout, peu importe puisque c'est la même chose dans tous les cas.
Le président: Merci. Madame Kraft Sloan.
Mme Kraft Sloan (York - Simcoe): Merci.
Je me demandais si vous pourriez clarifier deux ou trois choses pour moi, sur le deuxième point de votre mémoire. Vous dites que vous recommandez au comité d'adopter un régime réglementaire qui suivrait les frontières d'origine précisées dans les traités 6, 7 et 8, pour l'application des dispositions de protection des espèces en voie de disparition. Proposez-vous d'élargir la compétence territoriale à des terres autres que celles visées dans le projet de loi? C'est cela?
M. Good Striker: Parfaitement. Le projet de loi ne doit, je crois, n'être appliqué que sur les terres fédérales, donc dans les parcs nationaux, sur les réserves indiennes et dans les installations fédérales. Mais nous, nous abordons la question du point de vue de nos parents. Nos parents ne respectent pas ces lignes de démarcation imaginaires. Cependant, nous respectons les délimitations territoriales établies dans les traités, avant les lois concernant le transfert des ressources naturelles, avant la naissance du Canada.
Mais pour l'instant, il est essentiellement question de l'Alberta. Eh bien, pour mettre en place un régime réglementaire de ce genre, l'Alberta Treaty Nations Environmental Secretariat, par le truchement du sommet des chefs, recommande que nous réclamions la mise en oeuvre de toutes les activités de nature environnementale sur les zones de traité. C'est ce qui se fait au moment même où nous parlons. Aujourd'hui, à Calgary, les chefs et les dirigeants de la province de l'Alberta, du Manitoba et de la Saskatchewan se rencontrent pour discuter des répercussions de la LTRN. Cette réunion se poursuivra tout au long des deux prochains jours. Comme vous le savez, je crois, une bande de l'Alberta a lancé une poursuite de 10 millions de dollars contre les gouvernements fédéral et provinciaux à propos de la LTRN.
Mme Kraft Sloan: Si je vous comprends bien, vous recommandez que la portée de la Loi concernant la protection des espèces en péril soit élargie aux terres visées dans les traités, et c'est alors votre peuple qui mettrait la réglementation en oeuvre?
M. Good Striker: Le gouvernement de l'Alberta est en train de dégraisser son ministère de l'Environnement et de confier la responsabilité des dossiers au secteur privé. En quelque sorte, cela revient à demander au poulet de surveiller le loup, ou vice-versa.
Le peuple indien est touché sur les terres visées par les traités, sur ses territoires traditionnels de chasse, de piégeage et de cueillette, où vivent les espèces en voie de disparition. Nous croyons que nous avons le droit de mettre ces lois en oeuvre, grâce à l'aide du gouvernement fédéral et à la collaboration du gouvernement provincial.
Mme Kraft Sloan: Effectivement, toute cette question de transfert des responsabilités du gouvernement fédéral aux gouvernements provinciaux, et donc au secteur privé, m'inquiète et je redoute encore plus qu'on plaide de la méconnaissance du sujet ou qu'on feigne de l'ignorer. Hier, le Grand chef Adamson, représentant un organisme du Yukon, est venue nous faire un exposé. Elle a bien indiqué au comité que le gouvernement fédéral n'a absolument pas à se mêler de l'application de la Loi sur les espèces en péril au Yukon. Elle a totalement rejeté la compétence du fédéral en la matière. Mais voilà que vous nous demandez d'élargir la portée de la loi. C'est là une différence d'opinion très intéressante.
Dans votre réponse à ma question, quand vous m'avez donné la précision que je voulais, vous avez indiqué que vous recherchez l'appui du gouvernement fédéral pour mettre le règlement en oeuvre. Pourriez-vous nous préciser un peu la forme que cet appui devrait revêtir, selon vous.
M. Good Striker: Il est très difficile de s'entretenir avec quelque gouvernement que ce soit, parce que ceux qui le forment sont réélus tous les quatre ans; mais nous, nous sommes tout à fait disposés à tenir des discussions sur tout ce que cela signifie et sur la façon dont nous pourrions corriger la situation. Le meilleur mécanisme qui existe à l'heure actuelle est celui de l'harmonisation du processus par l'intermédiaire du CCME. Les nations de l'Alberta signataires de traités, représentées par l'ATNES, ont demandé au CCME de définir des normes qui régiraient l'ensemble des activités environnementales sur les réserves. En ce moment même, le CCME est d'ailleurs en train de préparer une ébauche de document à ce sujet.
Mme Kraft Sloan: C'est une recommandation que notre comité avait formulée à l'occasion de l'examen de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, mais je crois me souvenir que le chapitre en question a été l'un des plus problématiques pour le comité. Nous y avons passé beaucoup de temps, parce que, à l'échelle du pays, toutes les communautés autochtones n'ont pas les mêmes moyens d'entreprendre elles-mêmes certaines de ces activités. J'estime qu'il est tout à fait injuste d'imposer à des gens qui ne disposent pas nécessairement des ressources voulues d'entreprendre de telles activités.
Si le président me le permet - parce que je vais m'écarter un peu de notre sujet - j'aimerais que vous nous parliez un peu de votre secrétariat et des activités que vous pourriez entreprendre au titre de l'application de la Loi sur les espèces en voie de disparition.
M. Good Striker: Nous avons déposé auprès du ministère des Affaires indiennes une ébauche de proposition portant sur la mise en oeuvre d'un projet d'internat à l'intention des agents de l'environnement en Alberta. Le ministère de la Protection de l'environnement de l'Alberta, Santé Canada et le MAIND ont avalisé notre proposition. C'est le grand conseil du Traité 8 qui est en train d'y travailler. Au début, c'était un projet de l'ATNES, mais nous avons tellement de choses à faire qu'en fin de compte, on ne nous a pas confié le mandat de nous en occuper.
Ce projet n'est pas aussi exhaustif que nous le souhaiterions et c'est là que votre comité devrait intervenir. Nous aimerions que Ressources Canada, le DRHC, le MDN, le ministère des Forêts ainsi que tous les organismes fédéraux traitant d'environnement ouvrent leurs portes aux stagiaires du projet d'internat pour que nous puissions effectivement former nos gens sur l'ensemble des dossiers, parce qu'en Alberta, on trouve tout, tout à l'exception du nucléaire.
Notre organisme cherche l'agrément de toutes les tribus, mais comme chacune d'elle a un droit de veto, on peut nous dire d'aller nous faire voir ailleurs. C'est leur prérogative. Le cas de la mine de Cheviot est un très bon exemple actuel de ce genre de situation. La bande locale va subir les conséquences des activités minières, mais les gens préfèrent qu'on s'en tienne à l'application régulière de la loi et ils veulent voir où cela les mènera. Nous sommes prêts à intervenir en brandissant la Convention sur la biodiversité pour les appuyer, aux côtés des 43 autres bandes de l'Alberta, et pour invoquer la connaissance traditionnelle. Mais ce sont les gens sur place qui optent pour la solution leur convenant le mieux.
Avec le CCME, nous parlons de budget de formation. Nous cherchons à obtenir un engagement. Combien d'argent le CCME a-t-il dépensé au cours des deux années et demie qui viennent de s'écouler? Le comité a invité les Indiens à s'asseoir à la table dans les deux ou trois derniers mois de son mandat.
Je me suis rendu au rassemblement de Toronto. J'y ai passé deux jours et j'ai écouté tout ce que les gens avaient à dire à propos de ce que le CCME allait faire. Je me suis levé et j'ai pris la parole en public. J'ai fait une déclaration fort simple, à savoir que s'il doit y avoir des normes environnementales sur les réserves au Canada, elles devront être les plus strictes de toutes. Et qu'a fait le CCME trois ou quatre mois plus tard? Eh bien, il a annoncé qu'il allait imposer les normes les plus strictes possible.
Qu'a-il fallu pour en arriver là? Un Indien fou osant prendre la parole en public après que les gens ont passé deux ans et demi à discuter et à dépenser beaucoup d'argent, alors qu'ils auraient pu instaurer un projet pilote dans une province, au sein de collectivités indiennes, pour élaborer une norme harmonisée? Il n'est pas ici question de science de l'espace. Ce serait simplement une collectivité qui collaborerait avec le gouvernement pour trouver des réponses logiques.
On sait qu'on ne trouve pas sur les réserves d'industries de haute technologie, ce qui n'empêche qu'on envisage de déverser chez nous les déchets nucléaires, si ce n'est déjà fait. Dans le journal d'aujourd'hui on parle d'Ipperwash.
Nous avons, en Alberta, une organisation qui a rencontré les chefs de la province et a formulé six résolutions qui ont été adoptées à l'unanimité lors de trois rencontres. Nous essayons de voir comment parvenir à faire cela de façon efficace, en coopération avec le gouvernement et dans l'intérêt de tout le monde - pas uniquement celui du peau-rouge, mais aussi celui de l'homme blanc, de l'homme noir, de l'homme vert et de l'homme de l'espace. Nous devons tous vivre sur ce rocher. Depuis des milliers d'années, ici, nous comprenons ce qu'est le développement durable, ce que sont les espèces en voie de disparition. Nous sommes disposés à vous faire profiter de cette connaissance, mais il faut que les gens collaborent avec nous et nous avons besoin d'aide.
Mme Kraft Sloan: Merci.
Le président: Merci. Monsieur Steckle, s'il vous plaît.
M. Steckle (Huron - Bruce): Merci de vous être rendu à notre invitation ce matin. Vous avez déjà répondu à certaines des questions que je voulais vous poser, mais j'aimerais que vous m'en disiez un peu plus.
Dans votre exposé, vous nous avez dit être préoccupé par l'absence d'Autochtones au COSEPAC. En quoi la composition du COSEPAC permettrait-elle de régler ce problème, étant donné le large éventail de peuples autochtones au Canada et la diversité des groupes autochtones qu'on retrouve au pays? Quelle représentation équitable envisagez-vous? Voilà pour ma première question.
La deuxième porte sur la connaissance environnementale traditionnelle par rapport à la connaissance scientifique. Peut-être pourriez-vous nous éclairer un peu plus à ce sujet. Nous avons déjà entendu de cela avant, pas plus tard qu'hier d'ailleurs.
Comment pourrions-nous en venir à mieux comprendre votre façon d'envisager ce transfert de connaissance que vous possédez? Puis, comment pourrait-on utiliser au mieux cette connaissance pour déterminer la façon dont le COSEPAC couchera telle ou telle espèce dans la catégorie des espèces disparues ou des espèces en voie de disparition? Comment votre connaissance va-t-elle être transmise? N'a-t-on pas pris en compte votre désir de nous faire profiter de cette connaissance?
Peut-être pourriez-vous nous expliquer quel processus a été appliqué et en quoi nous ne sommes pas parvenus à calmer vos inquiétudes; peut-être pourriez-vous nous faire part des renseignements que vous possédez éventuellement.
M. Good Striker: Je commencerai par répondre à votre première question au sujet du COSEPAC. Ce comité obéit peut-être à une démarche pleine de bon sens, mais soyons réalistes et voyez combien de personnes y siègent à l'heure actuelle.
Une voix: Il y en a 28.
M. Good Striker: C'est beaucoup. Combien d'entre eux sont des scientifiques?
Le président: La plupart.
M. Good Striker: Parfait. Le Canada est essentiellement composé d'une région côtière, d'une région arctique, d'une région de plaines, d'une région montagneuse et d'une autre région côtière. Combien de personnes cela ferait-il? Cinq ou six. Eh bien je crois que c'est insuffisant pour représenter les écosystèmes, les différents types d'espèces animales et végétales qu'on trouve dans ces écosystèmes.
Personnellement, j'estime que les membres du comité devraient être des Autochtones. Mais je crois aussi que pour siéger à ce comité, ils devraient posséder une très bonne connaissance environnementale traditionnelle ainsi qu'une connaissance scientifique acquise par une formation. Il n'est pas impossible de régler le problème de cette façon. Il vous suffit de trouver les gens - et il y en a - qui sont respectés dans leurs collectivités et qui peuvent se faire entendre. Il y en a d'autres qui ne correspondent pas tout à fait à cette description, mais on les nomme pour d'autres raisons et l'on se retrouve alors, je pense, dans une situation de fausse représentation. Mais permettez au moins aux gens de s'en rendre compte d'eux-mêmes.
Cet après-midi et demain, j'ai une réunion avec les gens de l'Association nationale de foresterie autochtone. Nous allons chercher la personne qu'il faut, pour l'Alberta, pour le Manitoba et pour la Saskatchewan. Nous allons déjà dans le sens dont vous parlez. Nous nous préparons en vue de nommer des membres au COSEPAC. Laissez-nous le soin de décider, parce que ce n'est pas ce qu'il y a de mieux quand on consulte un document et qu'on ne sait pas qui l'a écrit. On n'a pas entendu parler de la personne auparavant, et voilà qu'elle fait des commentaires ou rédige des règlements en notre nom, commentaires et règlements qui ne correspondent pas à notre orientation de peuple.
Comme je le disais, vous bénéficiez actuellement de 60 p. 100 de notre connaissance traditionnelle. Et il faut revoir tout cela dans le détail, parce qu'on retrouve déjà beaucoup de choses autochtones. Prenez, par exemple, le nom de villes albertaines: Red Deer, Medicine Hat, autant de noms indiens. Mais derrière chaque nom, celui de Red Deer par exemple, on pourra vous dire qu'il y a toute une histoire, et pas uniquement au sens anecdotique. C'est un peu comme quand un scientifique lit un document. Chaque paragraphe de cette histoire est directement lié à l'environnement, d'une façon ou d'une autre. Malheureusement, vous ne le lisez pas comme il le faudrait. Vous ne voyez que...
Chez les Indiens, on dit qu'il faut croire ce qui est écrit. En réalité, si on parle de quelque chose et qu'on le comprend, on en appréhende toute la valeur.
Il nous faut envisager la question de la connaissance traditionnelle dans un contexte plus large. En Alberta, nous avons trois écosystèmes, trois perspectives différentes, toutes très valables. Prenez le cas des activités pétrolières et gazières... qu'on retrouve dans les trois écosystèmes. Eh bien, on peut leur donner trois sens différents, selon qu'on appartient à l'une ou l'autre de trois cultures.
On possède une incroyable connaissance traditionnelle dans le domaine sylvicole. Mais que fait-on de cette connaissance? Elle n'est pas reconnue ou, quand elle l'est, elle est mise sur des tablettes. En Alberta, nous possédons une connaissance traditionnelle de la forêt. Ici, on rase la forêt ombrophile. Elle est en train de disparaître. Ici, la biodiversité ne va pas non plus vite qu'en Amazone.
On retrouve aussi la connaissance traditionnelle dans l'étude sur les bassins hydrographiques du Nord, un travail fantastique, absolument merveilleux. Eh bien, que nous apprend cette étude? Que l'eau - sur les plans de la qualité et de la quantité - est touchée. La connaissance traditionnelle confirme ce fait. Et que fait le gouvernement de l'Alberta? Il dépose son projet de loi sur l'eau, et il essaie de faire main basse sur toute l'eau douce. C'est la première province, à ma connaissance, qui essaie de revendiquer un droit de propriété sur toutes les eaux de son territoire. Les Indiens ont contre-attaqué en déclarant qu'ils étaient déjà responsables de la bonne intendance de l'eau avant que le pays, que la province n'existent. Forts de notre connaissance traditionnelle, nous nous demandons comment la province peut revendiquer toute l'eau alors qu'elle n'est même pas capable de la gérer correctement, à en croire sa propre étude scientifique?
Ainsi, on constate que la connaissance traditionnelle est tout à fait valable et qu'on peut la mettre à contribution, mais il nous faut d'abord préciser les termes de la Convention sur la biodiversité, qui est un fantastique outil que les méga multinationales peuvent exploiter à leur avantage. Et c'est d'ailleurs ce qui se fait, actuellement, dans les régions de l'Alberta visées par les traités.
L'argent est puissant. Finalement, on en revient toujours à cette forme d'adage voulant que, quand on aura coupé le dernier arbre, on se rendra compte qu'on ne peut se nourrir de billets de banque.
M. Steckle: Histoire de préciser les choses, pour le bénéfice du comité et pour le procès-verbal... vous avez dit que cinq ou six régions devraient être représentées. Voulez-vous dire que les Autochtones devraient compter cinq représentants au COSEPAC ou qu'il faudrait représenter les cinq grandes régions que vous avez mentionnées? Pensez-vous que vous pourriez trouver, parmi votre peuple, des gens qui conviennent, qui possèdent le bagage scientifique voulu, qui aient les connaissances nécessaires et qui puissent être acceptés par tous les Autochtones au Canada?
M. Good Striker: Je suis heureux que vous souleviez cette question ainsi, parce que si l'on considère que dans tous les documents parlant d'environnement, on parle d'Autochtones et de «droits de traités», cinq représentants au COSEPAC d'ascendance autochtone, c'est peu. Voilà pourquoi nous disons que nos parents sont touchés, parce que nous sommes tous dans le même bateau. Si, le long d'une route, vous franchissez la ligne de démarcation imaginaire d'une réserve, vous le saurez tout de suite. Pourquoi? À cause de l'environnement. Nous ne bénéficions pas de protections offertes au reste des Canadiens, ce qui est très triste pour le gouvernement du Canada.
Alors, quand vous vous demandez si nous pourrions trouver cinq personnes qui seraient respectées dans ces cinq régions... eh bien, sachez que nous pourrions le faire très rapidement, parce que ces gens-là existent. Ce sont des gens qui ont reçu une formation en science. Personnellement, je suis biologiste de la faune. J'ai suivi la formation de la GRC. J'ai suivi une formation en soins médicaux d'urgence. Je suis éduqué. Je fais ce que je suis censé faire. Je suis engagé dans ce dossier. Il y en a plein d'autres comme moi. Au cas où vous ne le sauriez pas, nous recevons maintenant la télévision par satellite dans nos tipis.
Le président: Monsieur Adams.
M. Adams (Peterborough): Merci, monsieur le président.
Monsieur Good Striker, je réfléchissais à ce que vous avez dit à propos de la connaissance environnementale traditionnelle et de la Convention sur la biodiversité. Je pense que nous avons, ici, affaire à un changement distinct. Nous avons là un projet de loi dans lequel il est question de connaissance environnementale traditionnelle, ce qui est sans doute un progrès. On en parle comme étant un des critères qui devra présider à la constitution du COSEPAC. Je n'aborderai pas tous les domaines scientifiques dont vous avez parlé, mais le projet de loi mentionne la connaissance environnementale traditionnelle ainsi que la connaissance communautaire, qui correspond en fait à la connaissance géographique, à la connaissance de base, par exemple, dans le cas des régions visées par les traités, régions dont vous avez parlé. Ne pensez-vous pas qu'il s'agit-là d'un progrès?
M. Good Striker: Oui, nous faisons des progrès. Nous comprenons que le Canada et le reste du monde font des progrès vis-à-vis de la connaissance environnementale traditionnelle. Ce que nous nous disons au sujet de cette connaissance traditionnelle et de la Convention sur la biodiversité, c'est qu'il faut d'abord clarifier le protocole qu'il conviendra de suivre. Comme je le disais, personne n'est venu en Alberta quand cette convention a été signée. Personnellement, cela me chipote d'apprendre d'un ancien, ici présent, un renseignement que j'aurais dû obtenir par ailleurs. Je suis prêt à faire profiter le reste du monde de ma connaissance traditionnelle, mais jamais personne n'est venu demander aux nations signataires de traités de le faire. Personne n'a eu le courage de le faire. Je crois qu'il s'appelait Brian.
M. Adams: Quoi qu'il en soit, je crois qu'un des critères établis pour le COSEPAC aura une incidence sur la constitution du comité. Vous avez parlé de l'autre façon de constituer le COSEPAC, c'est-à-dire en fonction des différents écosystèmes. Disons qu'on en resterait à 28 membres. D'abord, si vous disposez d'un texte recommandant cette approche, nous serions heureux que vous nous le remettiez. Deuxièmement, j'estime que nous ne devrions rien changer pour qu'il demeure possible de constituer le COSEPAC de différentes façons.
Vous avez énoncé une stratégie, mais n'oubliez pas qu'il est déjà question de tenir compte de la connaissance environnementale traditionnelle et de la connaissance communautaire. Personnellement, je recommanderais une approche différente qui consisterait à nommer les gens au COSEPAC en fonction des espèces en péril ou sur le point de l'être. Autrement dit, on pourrait se retrouver dans une situation où, grâce à Dieu, un écosystème serait relativement en bonne santé pendant plusieurs années et serait alors sous-représenté au COSEPAC.
Vous voyez ce que je veux dire? Je pense que d'autres approches sont possibles. Une fois qu'on se serait entendu sur la nature fondamentale du COSEPAC, on pourrait adopter d'autres stratégies pour nommer les membres, stratégies qu'on pourrait revoir au fil des ans.
M. Good Striker: C'est ce que j'ai essayé de faire ressortir dans notre document. Une liste a été dressée à partir des connaissances scientifiques occidentales, mais il en existe une autre fondée sur la science traditionnelle. On n'est jamais venu nous demander ce que nous pensons du problème des espèces en voie de disparition. On n'est jamais venu nous demander ce que nous pensons de tel ou tel végétal en voie de disparition ou d'une espèce qu'on trouve ici ou là. Voilà ce que nous essayons de dire à propos du COSEPAC et de la connaissance traditionnelle, à plus grande échelle, et voilà pourquoi nous aimerions voir six personnes représentant six écosystèmes. Envisagez toute cette question d'un point de vue différent, parce qu'aujourd'hui, nous ne savons pas ce qui va nous manquer. Peut-être allons nous passer à côté du remède du cancer dans les prairies albertaines, parce que la dernière plante remède est en train de disparaître. On ne le sait pas, mais nous savons qu'il y a des plantes dans les prairies, des plantes que nous utilisons et qui sont touchées. Nous savons aussi qu'il y a des animaux qui sont touchés.
M. Adams: Eh bien, personnellement, j'estime que nous disposons là d'une mesure législative qui renferme au moins l'amorce de ce dont vous parlez. Un de mes collègues a parlé de l'autre article où il est spécifiquement fait mention des droits issus de traités et des premières nations. Je reconnais, là aussi, que, de votre point de vue, c'est sans doute un progrès lent, mais cela se retrouve dans différents articles. Des représentants des premières nations d'un peu partout au pays, notamment du Nord, nous ont fait part de leurs commentaires sur ces différents articles et s'il y a des parties que nous pourrions renforcer, je ne peux que vous inviter à...
J'aillais vous demander de nous parler des frontières des territoires visés par les traités auxquels vous avez fait allusion. À l'évidence, il s'agit de frontières interprovinciales. Ces terres chevauchent-elles le territoire américain? Est-ce une question stupide à poser?
M. Good Striker: Juste dans le cas du Traité 7, dont nous sommes signataires. Celui-ci englobe le territoire des Pieds-Noirs du Nord et celui des Pieds-Noirs du Sud.
M. Adams: Personnellement, j'estime que ce projet de loi est incomplet en ce qui concerne les espèces qui nous préoccupent parce que celles-ci ne respectent ni les limites définies dans les traités ni les frontières géopolitiques. Ce que j'espère, c'est que nous allons parvenir à quelque chose et que ce quelque chose marquera, pour les provinces par exemple, et peut-être aussi pour les États américains, le début d'un processus d'adoption de lois parallèles - expression qui a en effet été employée. Soit dit en passant, ces lois parallèles seraient naturellement adaptées aux circonstances locales. Je pense que votre intervention à propos des zones de traité va tout à fait dans ce sens.
Là encore, le filet de sécurité fédéral qui est relativement ténu et les législations miroirs ne règlent pas le problème des frontières. Je pense qu'il serait très utile qu'un organisme puisse s'affranchir de certaines frontières. D'ailleurs, M. Good Striker, je crois que ce serait faisable en vertu de ce projet de loi.
M. Good Striker: Il est intéressant que vous souleviez cela. Au sujet des frontières définies dans le Traité 7, qui débordent sur le territoire américain, notre organisme a déposé une proposition auprès du North American Fund for Environmental Cooperation, qui découle de l'Accord de coopération environnementale nord-américain. Cette proposition porte le titre de projet EDGE, EDGE signifiant «environmental development of grassroots elders». Il est question de mettre sur pied un outil pour informer les anciens de l'Alberta et du nord du Montana sur ce que représente l'ALENA relativement au commerce traditionnel des plantes, des parties d'animaux, des plumes et des droits touchant à la propriété intellectuelle.
Le North American fund for environmental cooperation a refusé notre soumission à deux reprises, mais nous allons la reformuler. Nous estimons que c'est une proposition qui en vaut la peine; elle porte effectivement sur les régions visées par les traités qui chevauchent le territoire américain et le territoire canadien.
L'ALENA est un merveilleux document en ce qui concerne le libre-échange. Il y est fait spécifiquement mention des peuples autochtones et des droits issus des traités, mais ces dispositions ne nous concernent pas dès qu'il est question de débloquer de l'argent pour des projets qui s'inscrivent pourtant logiquement dans l'esprit de l'ALENA. Cette situation est très triste pour le Canada et pour les États-Unis.
Le regroupement des territoires visés dans les traités correspond à un concept très simple parce que si vous consultez une carte, vous vous rendrez compte qu'il correspond aux écosystèmes mêmes.
M. Adams: Merci beaucoup.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci.
Est-ce que vous avez également été «refusé», pour reprendre votre expression, par la Commission de l'environnement, à Montréal? Est-ce un des organismes auxquels vous faisiez allusion?
M. Good Striker: Oui. La Commission, elle aussi, a rejeté notre proposition. Dans sa première réponse, elle nous a déclaré - ce qui m'a littéralement sidéré - , que notre projet ne s'adressait pas assez à la base. Je ne sais pas comment on pourrait le faire davantage, quand on sait qu'il s'agit d'un projet destiné à 200 ou 300 anciens d'ascendance autochtone, en Alberta et au Montana. Dans sa deuxième réponse, la Commission a estimé que le projet n'était pas suffisamment axé sur la communauté; mais vous savez qu'une réserve est effectivement une communauté. Elle peut ne s'étendre que sur quelques milles, mais c'est tout de même une communauté, une communauté qui se trouve dans une région visée par un traité.
Nous allons redéposer cette proposition et la reformuler pour répondre aux critères de la Commission, et nous n'allons certainement pas reculer. Nous irons à l'Ambassade du Mexique à Ottawa, et à l'Ambassade des États-Unis pour leur demander d'avaliser notre projet, parce qu'il y est question d'éléments transfrontières comme le commerce des plumes et des plantes, et les droits de propriété intellectuelle.
Le président: Merci.
Monsieur Taylor, puis le président.
M. Good Striker, Ancien: Excusez-moi.
Le président: Oh, pardon.
M. Good Striker, Ancien: En 1892, la frontière américaine qui partageait le territoire des Pieds-Noirs au Canada et celui des Pieds-Noirs au Montana a été prolongée sur quatre milles. Ce travail a débuté en 1892 et s'est terminé l'année l'année suivante. La frontière court le long de notre limite sud-est jusqu'au lac Kootenay et aux lacs Waterton. C'est une frontière de quatre milles. Notre revendication porte sur ce territoire de 160 milles carrés, qui avait été cédé à bail pour une période de 100 ans au district de Cardston, à la municipalité de Cardston. C'est le seul endroit où, à ma connaissance, il y a une frontière de quatre milles. Comme nous évitions de la franchir avec nos chevaux et d'autres choses, elle a été élargie. Les nôtres sont allés chez eux et les leurs sont venus chez nous pour échanger des chevaux. Voilà ce qui explique la frontière de quatre milles: les Pieds-Noirs et les Kainahs.
Le président: Merci.
Monsieur Taylor, après quoi je prendrai la parole.
M. Taylor (The Battlefords - Meadow Lake): Merci beaucoup.
J'ai deux questions. La première ne nous servira qu'à alimenter le débat à l'aide d'exemples, le comité et les gouvernements ayant pour manie de s'accrocher sur les écrits et sur les exemples qui nous aident pourtant à comprendre les principes en jeu.
Cet échange à propos des frontières des traités qui débordent sur le territoire américain m'a immédiatement rappelé l'exemple de l'aigle et de la façon dont les peuples autochtones se sont rendu compte qu'il était en voie de disparition et se sont mis à collaborer avec les autres, année après année, bien que cet aigle, ainsi que ses parties - notamment les plumes - soient tellement importants dans la culture autochtone, dans les cérémonies. Peut-être pourriez-vous nous expliquer très brièvement la relation entre le travail des gouvernements qui protègent cet aigle et la valeur qu'il représente.
Mais plus important encore, ma question qui découle de discussions antérieures, porte sur le conflit qu'on constate en territoire indien entre le développement économique et la préservation des valeurs traditionnelles. Je réside dans la région visée par le Traité 6. Je travaille en étroite relation avec les chefs des tribus signataires du Traité 6, du côté de la Saskatchewan, et je connais bien les pratiques de foresterie dans l'ouest de la province, et plus particulièrement la formule mise de l'avant par un conseil d'anciens et portant sur les activités de cueillette.
J'ai également été très impressionné par le Conseil des ressources qui a été mis sur pied au Yukon et où les peuples des premières nations sont appelés à travailler sur l'aspect industriel des choses ainsi que sur la cueillette et l'utilisation des ressources naturelles, ce qui permet donc de réunir Autochtones et non-Autochtones.
Je ne sais pas exactement qui se passe en Alberta, et je me demande si nous ne devrions pas adopter pour un grand principe, celui de nous mettre à l'écoute des gens pour définir des façons pratiques de protéger les espèces en question dans le cadre des plans de gestion. J'essaie simplement de voir dans quelle mesure les chefs de l'Alberta sont outillés pour élaborer les plans de gestion, dès l'instant qu'on aura cerné les espèces en voie de disparition, dès qu'on aura cerné les régions concernées et qu'on se mettra au travail pour appliquer les plans.
Quelle est actuellement la position des chefs de l'Alberta relativement aux conflits entre élevage de bestiaux, exploitation pétrolière et gazière et besoins économiques constatés par les chefs pour assurer la survie et le succès de leur peuple?
M. Good Striker: Tout d'abord, en ce qui concerne les aigles, je suis heureux que vous ayez soulevé cette question. C'est un exemple d'application type de la connaissance environnementale traditionnelle en Alberta.
Notre organisme a eu l'honneur de prêter main forte à un centre de réhabilitation d'oiseaux de proie pour relâcher deux aigles en l'honneur de Ralph Klein et du ministre Irwin, dans le cadre d'une cérémonie de dénomination, l'été dernier sur la réserve des Kainahs. Mais voilà que, six mois plus tard, le ministère de l'Environnement de l'Alberta ordonnait à cette installation de réhabilitation des oiseaux d'euthanasier quatre aigles, pensionnaires du centre depuis plusieurs années, qui ne pourraient plus jamais voler parce qu'ils n'avaient qu'une aile. Ils n'auraient pas pu survivre dans la nature. Donc, le ministère de l'Environnement de l'Alberta a maintenant pour politique d'euthanasier les oiseaux dans cet état pour faire de la place afin d'en accueillir d'autres. Le gérant de l'installation nous a contactés et nous a demandé si nous avions une opinion sur ce qu'il devait faire dans une telle situation. Nous lui avons soumis deux options en quelques minutes.
Si l'on euthanasiait les oiseaux, les choses devaient se passer ainsi. On se serait approché des oiseaux, on les aurait piqués, ils seraient morts, puis on les aurait remis à un laboratoire qui les aurait autopsiés, disséqués, congelés, après quoi leurs parties auraient été distribuées entre une cinquantaine de personnes dont les noms apparaissent sur une liste. Ainsi, au moment de leur reprise en compte par la communauté, disons six ou sept mois après, les oiseaux se seraient retrouvés en dix morceaux et en dix endroits différents. On aurait alors fait preuve d'un absolu manque de respect envers une création divine.
L'autre solution consistait à créer, sur cette réserve, une sorte d'auspice destinée à ces oiseaux. Les aigles muent en permanence et ils nous auraient donc continuellement fourni en plumes.
Prenons une autre situation où il a fallu aussi éliminer un oiseau. Certaines de nos cérémonies montrent tout le respect que nous avons pour la gente aviaire. Dans ce genre de cérémonies, nous demandons au Créateur d'inviter l'oiseau à s'enlever la vie de façon honorable pour que ses parties animales puissent nous être directement transférées. Dès qu'il est mort, ses parties sont directement transférées aux gens qui les utilisent ensuite dans le cadre de cérémonies. Donc, son corps continue de vivre au sein de la communauté, dans le cadre de cérémonies consacrées à l'environnement tout entier. C'est ce que nous faisons depuis des milliers d'années, exactement de la même façon. C'est bien mieux que la façon scientifique occidentale de procéder où l'animal est abattu comme à la boucherie.
Toute cette question fait actuellement l'objet d'un réexamen par le ministère de l'Environnement de l'Alberta, au regard de la position des Indiens et de leurs préoccupations vis-à-vis des oiseaux qui ne peuvent être relâchés dans la nature. Nous avons demandé au gouvernement de l'Alberta d'agir de façon proactive, de tenir compte de la Convention sur la biodiversité, de respecter les desiderata du Canada, d'agir de façon responsable et d'écouter ses électeurs.
Pour ce qui est de la foresterie et de la gestion des ressources naturelles, les chefs de l'Alberta font, selon moi, du bon travail. Il y a le cas de l'accord de cogestion entre les Indiens cris de Little Red River et l'Alberta Forest Products Association. Ces groupes travaillent à un plan d'aménagement qui existe depuis quatre ou cinq ans. Ils le respectent, mais ce sont les sociétés multinationales qui sèment la pagaille. Elles jettent le discrédit sur les Indiens parce qu'ils ont conclu un accord. Ils ont en effet le droit, sur leurs territoires visés par les traités, d'extraire les ressources naturelles à un rythme correspondant aux possibilités annuelles de coupe. Mais encore une fois, le sacro-saint dollar intervient et c'est ce dollar qui va dicter ce à quoi correspondront les mesures d'atténuation des impacts.
Pour les communautés indiennes du coin, c'est une véritable farce. Elles savent qu'elles obtiendront les recettes des activités forestières, et elles voient le prix qu'elles paient tous les jours en constatant les vastes étendues de forêt rasées par la coupe à blanc. Il leur faudra s'adapter tout comme on s'est adapté aux pratiques agricoles dans le Sud. Mais il y a des poches de biodiversité qu'il faut protéger et mettre en valeur.
C'est là une des demandes particulières que je voulais formuler au comité. Je sais ce qui se passe sur les réserves indiennes, je sais ce qui se passe dans les parcs nationaux et sur les installations du MDN. Que reste-t-il pour les terres domaniales?
Le président: Pas grand chose.
M. Good Striker: Effectivement. Voilà pourquoi la LTRN est si importante pour nous.
S'agissant de l'approche des chefs de l'Alberta relativement aux espèces en voie de disparition - il s'agit du document que je vous ai remis - l'ATNES s'est présenté devant les chefs au mois de novembre. Nous leur avons demandé de convoquer un sommet exclusivement consacré à l'ensemble des activités environnementales. Jusqu'alors, les chefs de l'Alberta n'avaient jamais tenu un sommet sur un thème particulier. Pourtant, tout le monde avait essayé d'en avoir un, ceux qui s'occupent de santé, de soins des enfants, de justice, d'éducation, etc. Nous les avons rencontrés et nous leur avons dit qu'il leur fallait s'occuper de ce dossier, qu'il n'y avait pas moyen de s'en sortir. Ils ont donc décidé de convoquer un sommet sur le thème de l'environnement. Nous visons le mois d'octobre ou de novembre 1997 pour ce sommet, autrement dit avant que le gouvernement fédéral ne dépose son ébauche de position sur le développement durable, parce que le développement durable englobe tout.
Nous appréhendons l'ensemble des questions qui sont énoncées dans une ébauche de document reprenant les objectifs de l'ATNES. Vient en premier lieu une stratégie de développement durable. Deuxièmement, il y a la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale; troisièmement, la Loi canadienne de protection de l'environnement; quatrièmement, la Loi concernant la protection des espèces en péril au Canada; cinquièmement, la stratégie de gestion des déchets du MAIND, sixièmement, toutes les questions touchant à Santé Canada; septièmement, les pratiques d'Agriculture Canada; huitièmement, le Service canadien des forêts; neuvièmement, la Loi sur la protection des eaux navigables; dixièmement, Transports Canada; onzièmement, Environnement Canada et la biodiversité; douzièmement, le Conseil canadien des ministres de l'Environnement; treizièmement, les modifications touchant aux ressources naturelles à la Loi sur les Indiens; quatorzièmement, la connaissance environnementale traditionnelle et, quinzièmement, le sommet des chefs sur l'environnement.
Nous envisageons donc de mener une action collective vis-à-vis des initiatives du gouvernement fédéral. Nous envisagerons d'entreprendre une action collective relativement aux initiatives provinciales. Nous envisagerons aussi d'entreprendre une action collective relativement aux initiatives internationales. Nous parlons au futur, ici, et nous allons agir en tant que groupe. Le Alberta Treaty Nations Environment Secretariat n'est pas gros, mais nous sommes bien renseignés et les chefs ont confiance en nous.
Nous n'allons pas disparaître. Nous n'allons pas modifier notre gouvernement. Nous allons continuer d'exister au sein de nos communautés, à nous exprimer par la bouche de gens comme celui qui est assis à côté de moi et par la voix de nos enfants, qui ne sont pas encore présents sur la scène publique. Nous n'allons pas disparaître. Nous avons la possibilité de travailler ensemble.
Le président: Le président veut vous poser une brève question. Monsieur Good Striker, dans votre mémoire, au point 2, vous dites qu'il existe déjà des normes appliquées par les nations de l'Alberta signataires de traités. Est-ce que ces normes se transmettent de bouche-à-oreille ou sont-elles disponibles sous forme imprimée?
Ma deuxième question découle du point 4, à propos de l'avis d'inscription des espèces. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet et nous expliquer ce qui se passe pour en arriver à la formulation de l'avis?
M. Good Striker: Excusez-moi, pour ce qui est de la deuxième question, au sujet du point 4...
Le président: À votre point 4, vous parlez de l'avis d'inscription des espèces qui n'ont pas été répertoriées par la science occidentale.
M. Good Striker: Pour ce qui est de la connaissance communautaire et des normes qui sont déjà appliquées dans les régions visées par les traités, il faut savoir que notre culture est orale, mais que c'est une culture axée sur l'exemple. Nous savons à qui nous avons à faire et, vous aussi, vous sauriez la même chose. Si vous vous rendiez dans une réserve, chez quelqu'un dont la maison serait impeccable, la cour propre, les enclos bien tenus, les animaux bien nourris, vous auriez la preuve d'une compréhension de l'environnement, de l'application de la norme transmise de génération en génération. Si vous voulez garder quelque chose, occupez-vous en et si vous voulez prendre quelque chose, remettez-le à sa place.
Nous avons toujours appliqué de telles normes. Certes, nous pourrions les consigner par écrit, mais cette décision doit être prise par les chefs de l'Alberta, au sein de leurs communautés respectives. Est-ce qu'ils veulent le faire? Veulent-ils établir un protocole touchant la connaissance environnementale traditionnelle, comme les normes traditionnelles en matière d'élimination des déchets, pour la cueillette et pour le reste?
Pour ce qui est de la formulation d'avis relativement aux espèces, ce sont des gens comme Rufus, ici présents, qui vous diront quelles espèces risquent d'être touchées par une activité industrielle. Swan Hills est un excellent exemple de cette situation. On voit maintenant les effets de l'usine sur les espèces qui vivent en aval de l'installation, des espèces qui ont été touchées par l'exploitation de l'usine au cours des huit dernières années. Les anciens ne cueilleront plus de plantes dans la zone sous le vent, à cause de la contamination.
Comment peut-on justifier cela? Allez-vous nous dire qu'un de vos scientifiques a fait des tests, a analysé l'ADN et a dénombré les gènes qui sont encore bons dans les plantes? La valeur médicinale d'une plante, elle, est très différente du point de vue des Indiens.
Vous ne voyez pas qui se cache derrière l'ordonnance médicale. En revanche, vous voyez qui vous traite; la plante c'est le médicament, mais ce qui lui confère son efficacité, c'est l'intervention du Créateur, ce sont nos cueilleurs. C'est peut-être difficile à comprendre d'un point de vue scientifique, mais c'est la réalité. Cela a toujours exister et ça fonctionne. Or, nos cueilleurs nous disent maintenant que les plantes ne sont plus bonnes parce que tout ce qui entre dans cette usine est recraché sous la forme de cendres qui sont ingérées par les plantes et par toutes les espèces qui s'en nourrissent, parce que cette pollution est entrée dans la chaîne alimentaire. Nos plantes ne nous guérissent plus.
Donc, nous avons les renseignements voulus, mais nous avons besoin d'aide. Si vous voulez en savoir plus, nous pouvons vous aider, parce que nous ne savons pas tout nous-mêmes. Nous avons suffisamment de problèmes.
Le président: Merci.
Je pense qu'il serait juste de ma part d'interpréter les pensées et les sentiments de mes collègues et de vous remercier de votre comparution aujourd'hui, et de remercier aussi l'ancien qui vous a accompagné. Merci pour la prière et merci à vous pour votre exposé. Nous espérons pouvoir échanger de nouveau avec vous dans les mois à venir.
M. Good Striker: Au nom des nations de l'Alberta signataires de traités, des chefs, des anciens, des enfants et des générations à venir, je tiens à vous remercier d'être venus en Alberta pour nous entendre. Nous allons demeurer ici et nous espérons pouvoir travailler avec vous de façon plus positive.
M. Good Striker, Ancien: Je tiens à vous dire que nous avons été considérablement affaiblis après la signature des traités. À chaque traité que nous avons signé, nous avons eu à faire à une confession religieuse. C'est cela qui a marqué le début de notre échec. Nous étions très près du monde des oiseaux, du monde des animaux. Nos champs, nos hymnes, nous les tenons de ces espèces. Chaque jour qui passe, nous essayons de les retrouver, mais nous sommes très très faibles, parce que nous avons été affaiblis par les confessions religieuses, par vos enseignements sur la façon de prier.
On nous a dit que le Créateur a tout créé, qu'il faut respecter sa création et vivre en harmonie avec elle. C'était cela l'enseignement: le respect. Les parents, depuis toujours, enseignent à leurs enfants l'amour, l'empathie, le partage et la compréhension. Aujourd'hui, il est question de compréhension. Peut-être que nous sommes ici pour essayer de vous faire comprendre.
Depuis le traité de 1877 dans ma région, il y a des catholiques et des anglicans. Ce sont les deux confessions qui ont été présentes dans tous les traités. La semaine dernière, je suis rentré d'un voyage dans la région visée par le Traité 8, en Ontario. J'y ai passé cinq jours. Là bas, j'ai entendu les gens se plaindre de la même chose, du fait que nous avons été très affaiblis après que l'homme blanc a essayé de nous civiliser.
J'ai de la difficulté à franchir les frontières. Je déclenche toujours les alarmes des postes de sécurité. Il se trouve que j'ai un anneau nuptial, parce que dans ma confession, les gens mariés doivent porter ce genre d'anneau. Il déclenche les systèmes de sécurité à chaque fois. Quand ça se produit, les gens attendent derrière moi. À Great Falls, au Montana, j'ai eu des problèmes à cause d'une dame en uniforme. Elle m'a demander d'enlever ma ceinture et j'ai dit au type d'à-côté, la deuxième fois qu'elle me l'a demandé, que j'espérais que mes pantalons ne tomberaient pas. Je lui ai dit, attendez 20 ans encore, nous serons complètement civilisés et nous commencerons à détourner les avions. Je sais que nous sommes un risque sur le plan du trafic des plumes et du tabac, mais c'est quand on commence à détourner des avions, à voler les banques et à tuer pour de l'argent qu'on est vraiment civilisé. Il nous reste encore un bon bout de chemin à faire.
Voilà pourquoi je dis que nous sommes très affaiblis. Nous avons été affaiblis. En fait nous sommes encore très près de la nature. Par exemple, il y a quelques jours à peine, le lendemain de mon arrivée, j'ai dit à ma femme: allons à Lethbridge. Nous avions à peine franchi 150 verges, arrivés au coin de notre étable, que nous nous sommes trouvés nez à nez avec un coyote, là, sur la route, qui ne semblait pas avoir peur. Ce n'est que quand ils sont malades que ces animaux n'ont pas peur. Il se tenait là, en plein milieu de la route. Nous l'avons suivi. Nous ne voulions pas le dépasser. Il a zigzagué sur trois-quarts de milles avant de sauter dans le fossé. J'ai alors dit à ma femme: tu ferais bien de prier, parce qu'il a voulu nous dire quelque chose.
La première personne que nous avons rencontrée ensuite sur la route était une femme âgée, qui est descendu de sa voiture. Nous nous sommes serré la main et je lui ai dit une blague, comme d'habitude. Le lendemain, ma femme, un neveu et moi-même avons pris la voiture pour aller dans l'est de Calgary, pour affaires, et nous sommes revenus plus tard. Le lendemain une conductrice d'autobus est venue nous dire que la femme que nous avions saluée la veille était morte.
C'est cela que le coyote a essayé de nous dire, que quelque chose allait se passer. Il faut prier pour que le coyote ne croise pas notre chemin parce que, comme me le disait mon grand-père, un coyote qui tourne autour de toi et qui court à tes côtés essaie de te dire quelque chose. Ce sont de mauvaises nouvelles. C'est la même chose avec les hiboux.
Nous sommes très près de ce monde qui nous envoie ces messages. D'après les orages qui pointent à l'horizon, on peut dire ce qui va se passer. On voit de drôles de choses.
Nous fonctionnons d'après la nature. Nous sommes très proches d'elle, mais, dans notre façon de prier, nous ne risquons pas d'avoir l'esprit troublé. Nous avons notre façon de prier. Nous ne possédons aucune terre, nous sommes partie de la terre. C'est ce qu'on nous a enseigné: vous faites partie du Canada; vous faites partie de la mère Terre; vous ne possédez pas la terre.
C'est tout ce que j'avais à dire.
Le président: Merci.
La réunion est suspendue pendant quelques minutes.
Le président: Excusez-nous pour ce retard.
Le groupe de témoins suivant est piloté par M. Schindler, professeur d'écologie à l'Université de l'Alberta.
Bienvenue au comité. Voulez-vous nous présenter vos collègues et les membres de votre délégation avant de commencer?
M. David Schindler (département des sciences biologiques, Université de l'Alberta): Merci, monsieur Caccia, de nous avoir invités à comparaître aujourd'hui. Nous voulons nous adresser à vous parce que nous estimons qu'il y a dans le projet de loi des carences fondamentales très importantes sur les plans scientifique et juridique.
Je suis accompagné de deux autres écologistes professionnels et d'un spécialiste du droit de l'environnement, qui m'aideront à traiter de ces questions.
Nous entendrons d'abord Mme Susan Hannon, professeure d'écologie à l'Université de l'Alberta. C'est une spécialiste de la fragmentation des habitats qui a travaillé sur les terres publiques de la province de l'Alberta. Elle a plusieurs questions à soulever.
Nous entendrons ensuite M. John Kansas, de l'Université de Calgary, qui est coordonnateur de l'habitat pour le projet Eastern Slopes Grizzly Bear. Il nous parlera de sa crainte que les grizzlis ne soient pas protégés par ce projet de loi, même à l'intérieur de nos parcs nationaux.
Ensuite, M. Ian Rounthwaite, doyen associé de la faculté de droit de l'Université de Calgary, abordera des questions d'ordre juridique.
Quant à moi, je m'adresserai à vous en dernier. La majeure partie des points que je souhaite aborder pourront l'être pendant la période des questions. J'ai déjà fait partie du groupe de travail sur les espèces menacées de disparition, nommé par Sheila Copps. J'ai participé à des réunions publiques à l'échelle nationale et à l'échelle de l'Alberta à ce sujet, et j'ai lu les comptes rendus des autres réunions. Avec plus de 200 scientifiques, j'ai été coauteur d'une lettre adressée à la ministre fin 1995 pour exprimer nos préoccupations d'ordre scientifique quant au manque de spécificité de l'ébauche du projet de loi concernant la protection de l'habitat. Cette lettre a notamment été signée par plusieurs Prix Nobel, par des membres de l'Ordre du Canada et par des membres de la Société Royale. Je ne parle donc pas ici de jeunes révolutionnaires mais d'écologistes professionnels.
J'ai aussi fait partie d'une équipe d'experts composée de spécialistes des effets cumulatifs, qui ont rassemblé des données sur les questions d'habitat et d'espèces dans les parcs nationaux pour le groupe de travail Banff-Bow Valley. Je crois pouvoir dire que, même dans les parcs nationaux, qui existent pourtant pour protéger les espèces - et la protection de l'habitat et des espèces devrait être leur priorité absolue - la situation n'est pas satisfaisante, et je ne vois rien dans ce projet de loi qui permette de l'améliorer.
L'habitat est la clé du problème. Lors de la conférence qui s'est tenue la semaine dernière à Saskatoon, on a dit que nos forêts disparaissent au rythme d'environ 2 p. 100 par an. Il ne s'agit pas ici de forêts qui sont simplement déboisées mais de forêts qui disparaissent à jamais parce qu'elles sont transformées en terres agricoles ou parce qu'elles sont déboisées et qu'on ne réussit pas à les reboiser.
Les parcs nationaux nous paraissent extrêmement vastes mais il faut dire que seulement 5 p. 100 de leur superficie englobe un habitat qui convient à beaucoup d'animaux. Le reste se compose purement et simplement de rochers et de glace.
Je vais maintenant demander au Dr Hannon de commencer notre exposé.
Mme Susan Hannon (professeure d'écologie, Université de l'Alberta): Je vous remercie de prendre le temps de nous écouter aujourd'hui.
J'ai l'intention d'aborder six questions principales. Tout d'abord, je pense que les habitats des espèces menacées de disparition ne sont pas adéquatement protégés par ce projet de loi. Celui-ci ne donne de protection qu'aux espèces se trouvant sur les terres fédérales, alors que beaucoup d'espèces menacées se trouvent dans d'autres écorégions ou régions naturelles.
En outre, des projets d'aménagement à grande échelle sont en cours de réalisation sur des terres de l'État relevant des compétences provinciales, et la législation de l'Alberta sur les espèces menacées de disparition ne protège pas de manière adéquate l'habitat essentiel de ces espèces.
Les espèces transfrontalières ne sont pas protégées par la loi fédérale et ne recevront pas de protection adéquate avec ce projet de loi.
Le projet comporte des mesures d'exécution facultatives et non pas obligatoires. À notre avis, il faudrait intégrer à la loi des plans de rétablissement des espèces en péril, et il faudrait que ces plans soient exécutoires si l'on veut qu'ils soient efficaces.
Finalement, il conviendrait de réserver des fonds suffisants pour assurer le rétablissement des espèces menacées de disparition, ainsi qu'un personnel adéquat pour participer à des recherches et à la protection de ces espèces.
Je vais maintenant aborder ces questions l'une après l'autre. Premièrement, les habitats et les espèces menacés de disparition ne sont pas protégés de manière adéquate par ce projet de loi. Cela résulte du fait que les habitats ne sont pas clairement définis dans le texte. Il nous faut une définition claire, et je vais vous en proposer une.
Qu'est-ce qu'un habitat? Si vous lisez n'importe quel ouvrage scientifique sur la gestion et la conservation de la faune, vous y trouverez une définition très similaire à celle que je vais vous donner. Essentiellement, un habitat est un type de collectivité biologique au sein de laquelle vit un individu ou une population. Un habitat adéquat est celui qui répond à tous les besoins d'une population pendant une saison - ce qui permet de distinguer un habitat d'hibernation d'un habitat de reproduction - ou pendant toute l'année, afin que les espèces résidentes puissent rester sur place.
Les besoins d'un habitat comprennent des aliments, de l'eau, une protection contre les éléments et des facteurs de sécurité. Quand je parle de facteurs de sécurité, je veux parler de choses telles que des échappatoires pour les animaux, par exemple, pour qu'ils puissent échapper aux prédateurs. Tous ces éléments sont nécessaires à la survie et à la reproduction des individus et de la population.
Voici ce que dit l'article d'interdiction de la loi sous sa forme actuelle:
Il est interdit d'endommager ou de détruire la résidence d'un individu d'une espèce inscrite comme espèce menacée ou en voie de disparition.
La «résidence» est définie ainsi dans l'article des définitions du projet de loi:
- aire spécifique, tel un terrier, un nid ou tout autre endroit semblable habituellement occupé par
l'individu pendant tout ou partie de sa vie.
Pour bien me faire comprendre, je vais vous proposer une analogie. Supposons que quelqu'un vienne vous dire qu'il ne va pas détruire votre maison mais qu'il ne va pas se gêner pour détruire votre quartier, le dépanneur du coin, la station d'essence et tout ce qu'il y a autour. Toutefois, dit-il, ne vous inquiétez pas, nous ne toucherons pas à votre maison. Il est évident que cela ne serait pas suffisant pour protéger une espèce menacée de disparition.
Par exemple, on pourrait détruire toute une forêt mais ne pas toucher à l'arbre dans lequel un aigle royal a fait son nid. Il est évident que cela ne va pas garantir que l'aigle royal restera dans la forêt puisque tous les autres éléments de son habitat auront été détruits. Or, les recherches ont montré que les espèces qui ont besoin de forêts disparaissent lorsqu'on détruit leur habitat.
Il faut donc renforcer cet article pour interdire clairement toute destruction d'un habitat essentiel, au sens plein du terme.
Je précise que la perte de l'habitat est la principale cause de disparition des espèces dans le monde et en Amérique du Nord. Lors de la colonisation de l'Amérique du Nord par les Européens, plusieurs espèces importantes sont disparues, et certaines sont arrivées très près de l'extinction. Nous avons sans doute tous entendu parler de la disparition du pigeon voyageur et du grand pingouin, par exemple, et nous savons que le bison des Plaines était à une époque au bord de l'extinction. Or, bon nombre de ces premiers exemples de disparition d'espèces en Amérique du Nord ont été causés par la surexploitation, la chasse commerciale et l'abattage incontrôlé. À l'époque, les gouvernements ont réagi en adoptant des textes de loi réglementant la chasse, par exemple, et interdisant la chasse commerciale.
Aujourd'hui, la plus grande cause de disparition des espèces est la perte de l'habitat. Ce facteur est incontestable à l'échelle mondiale; il suffit pour s'en convaincre d'examiner la liste des facteurs contribuant à la disparition des espèces. Vous voyez ici toutes les espèces au monde qui ont été poussées au bord d'une disparition dont on peut attribuer la cause. Vous voyez que la cause principale est la transformation de l'habitat.
Plusieurs autres facteurs ont contribué au fait que des espèces soient menacées. En Amérique du Nord, nous avons mis en oeuvre des mesures de contrôle qui s'appliquent à bon nombre des autres facteurs mettant les espèces en péril. Selon certaines estimations, près de 80 p. 100 des espèces qui ont été menacées de disparition l'ont été par la perte directe de leur habitat. Vous voyez ici des chiffres concernant le phénomène à l'échelle mondiale mais, pour ce qui est de l'Amérique du Nord, la perte de l'habitat vaut dans 80 p. 100 des cas.
Nous aimons souvent au Canada pointer du doigt nos voisins du Sud et dire, en outre, que la disparition de bon nombre d'espèces à l'échelle internationale s'explique par la destruction des forêts tropicales, par exemple, mais nous devrions d'abord regarder ce que nous faisons chez nous. Le Dr Schindler vient juste de parler de la disparition permanente d'habitats forestiers en Amérique du Nord, phénomène qui se produit à un rythme très rapide.
Deuxièmement, le projet de loi n'assure la protection des espèces que sur les terres fédérales. Or, bon nombre d'espèces en péril ou menacées vivent dans des régions naturelles qui ne sont pas des terres fédérales.
Vous voyez sur cette acétate les 20 sous-régions naturelles de l'Alberta. Je vous montre uniquement les données de l'Alberta. Ces sous-régions naturelles ont été définies en fonction de la géologie, des formes terrestres, des types de sol, de l'hydrologie et de la végétation. Ce sont toutes des régions naturelles distinctes. À l'intérieur de ces régions, on trouve des communautés biologiques de plantes et d'animaux qui en sont originaires.
Si nous examinons la répartition des terres fédérales - et je n'ai tracé ici que les réserves militaires et les parcs nationaux - nous constatons que celles qui sont protégées en Alberta ne représentent qu'un très faible pourcentage de toute la province et ne constituent pas la totalité des écorégions de la province. Si l'on examine le total des 20 régions naturelles de l'Alberta, on constate que seulement des parties de neuf d'entre elles sont effectivement protégées par leur désignation comme terres fédérales.
Je vais maintenant vous montrer la répartition des espèces menacées et des espèces en péril à partir de la liste du COSEPAC d'avril 1996. Voici les espèces menacées. Je tiens à vous faire remarquer que les lignes bleues représentent la distribution de ces espèces en Alberta. Vous pouvez voir que plusieurs sont concentrées dans la partie sud de la province, dans certaines des écorégions des Prairies.
Je vais maintenant vous montrer la même chose pour les espèces, la plantes et les animaux menacés, à partir de la liste du COSEPAC. Encore une fois, vous pouvez voir qu'il y a un groupe d'espèces ici en bas, dans le sud de l'Alberta, dans les écosystèmes des Prairies et dans des régions qui sont à peine protégées par les terres fédérales. La majeure partie des territoires que je vous montre appartient à des intérêts privés. Or, ces systèmes écologiques abritent un très grand nombre d'espèces en péril.
Moins du quart des espèces végétales recevront une protection quelconque en vertu de la loi, sous sa forme actuelle, et je ne parle même pas du nombre incroyable d'espèces invertébrées qui sont associées à ces plantes. On a tendance à ne pas parler des invertébrés mais il est évident que beaucoup d'insectes, dont certains n'ont peut-être même pas encore été décrits, sont associés à la vie végétale dans ces écorégions.
Protéger des zones représentatives de chaque région ferait déjà beaucoup pour protéger les espèces qui dépendent de ces habitats et nous éviterait en grande mesure de devoir déployer plus tard des efforts désespérés pour assurer le rétablissement d'espèces au bord de la disparition. Au fond, si nous protégeons l'habitat, nous ne serons pas obligés de courir dans tous les sens pour essayer de protéger les derniers individus d'espèces au bord de la disparition. Ce qu'il faut, c'est empêcher que les espèces ne deviennent menacées, et il nous pour cela une législation vigoureuse pour protéger les régions, ainsi qu'une législation vigoureuse pour protéger les espèces. On estime que seulement 40 p. 100 des espèces en péril seront protégés sur les terres fédérales du Canada. Il nous faut une solide loi fédérale s'appliquant aux terres provinciales et aux terres privées.
Troisièmement, de vastes projets d'aménagement sont en cours de réalisation sur des terres publiques de l'Alberta. J'ai déjà parlé de la partie sud de la province, où la majeure partie des terres est sous propriété privée et a évidemment été convertie en terres agricoles. Si nous examinons maintenant le nord de la province, nous voyons ici les zones touchées par des ententes de gestion forestière. Ce sont des ententes que la province de l'Alberta a ratifiées avec des entreprises qui s'occupent de gestion des forêts.
Il y a en outre dans toute la province de vastes projets d'exploitation du pétrole et du gaz naturel. Par exemple, des milliers de kilomètres de lignes sismiques sont tracés chaque année dans cette province. Vous pouvez voir ainsi qu'un très grand pourcentage de la partie septentrionale du territoire est assujetti à des ententes de gestion forestière. Je parle ici de zones où l'on va procéder à l'exploitation du bois. Une très grande partie de la région septentrionale de la province est touchée par ces ententes, mais on y trouve très peu de terres fédérales qui assureraient la protection des espèces en péril.
J'aimerais vous montrer rapidement trois acétates qui démontrent certains des effets cumulatifs des activités d'exploitation des terres forestières. Voici une séquence de photographies prises dans la même région. La première est une photographie aérienne d'une partie de la vallée de Drayton, en Alberta. Elle a été prise en 1950. La région que vous voyez ici est une région forestière où il n'y a aucun type d'exploitation.
La deuxième photographie a été prise en 1963. Vous y voyez déjà tout un réseau de lignes sismiques, de puits de pétrole et de routes.
La troisième date de 1985. On y voit que l'exploitation pétrolière a continué, ainsi que l'exploitation forestière en coupe à blanc, entre autres. On voit clairement qu'il reste très peu de l'habitat forestier d'origine.
Cet exemple est particulièrement spectaculaire mais je puis vous dire que cette évolution se produit quotidiennement dans toute l'Alberta, au moment même où je vous parle. Il s'agit de l'effet cumulé de l'exploitation des terres par plusieurs types d'industries des ressources naturelles. Or, ces activités ne sont pas gérées de manière intégrée à l'échelle provinciale, ce qui veut dire que la main gauche ne sait pas ce que fait la main droite. Le résultat est que les habitats naturels disparaissent. Ce genre de fragmentation est extrêmement préjudiciable à de nombreuses espèces qui ont besoin de vastes territoires d'habitats ininterrompus, comme les loups et les grizzlis - sur lesquels nous reviendrons dans un instant.
L'Alberta n'a pas adopté de loi sur les espèces en péril mais le gouvernement peut désigner des espèces en péril en vertu de sa loi sur la faune. Quiconque tue des espèces en péril ou en fait le trafic risque des sanctions, et il est interdit de perturber les nids ou les repaires des espèces menacées de disparition. En revanche, rien n'interdit de détruire d'autres éléments d'habitats essentiels. Encore une fois, les carences de cette législation sont tout à fait similaires à celles de la législation fédérale. Rien, sur le plan législatif, ne nous protège contre la perte cumulée d'habitats essentiels. Voilà pourquoi il nous faut des ententes fédérales-provinciales vigoureuses sur la protection des espèces en péril, afin d'éviter ce genre d'exploitation cumulative des terres.
Mon quatrième argument est que les espèces transfrontalières ne sont pas protégées par la législation fédérale et ne bénéficieront pas d'une protection adéquate en vertu de ce projet de loi. Nous savons que certaines espèces ont besoin de vastes territoires où errer. Par exemple, les grizzlis, les oiseaux de proie et d'autres vont évidemment errer à l'extérieur des terres fédérales et vont aussi franchir les frontières nationales et provinciales.
D'autres espèces, comme les oiseaux de proie migrateurs, ne sont pas protégées par la législation actuelle. La Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs ne protège pas les oiseaux de proie migrateurs. Les oiseaux de proie sont des rapaces. Comme ils se situent en haut de la chaîne alimentaire, ils souffrent souvent de la bioaccumulation de toxines utilisées pour combattre les insectes nuisibles à l'agriculture dans la partie méridionale de la province. Beaucoup ont besoin de très vastes territoires pour se déplacer, et beaucoup sont sensibles au type de fragmentation de l'habitat dont je viens de parler. Certaines espèces des Prairies, comme la chouette des terriers, vivent essentiellement sur des terres privées où leur sort dépend du bon vouloir des propriétaires.
Même les espèces actuellement protégées par la législation ne le sont pas vraiment parce que celle-ci n'est pas appliquée de manière adéquate. Par exemple, la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs dispose que personne ne peut perturber, détruire ou emporter le nid d'un oiseau migrateur. Hélas, cette disposition est rarement appliquée, voire jamais. En outre, l'habitat au sens écologique dont j'ai parlé au début de mon exposé n'est pas protégé en ce qui concerne les espèces migratoires à l'extérieur des terres fédérales. Seul le gouvernement fédéral peut garantir la protection des espèces transfrontalières. Il est essentiel d'assurer dans le projet de loi la protection de l'habitat des espèces transfrontalières et des oiseaux migrateurs.
Mon cinquième argument est que les dispositions d'exécution du projet de loi sont facultatives et non pas obligatoires. Or, il est essentiel que les espèces en péril et les espèces menacées soient étudiées et gérées par les biologistes, et que les décisions de mise en oeuvre des plans de rétablissement soient prises par des scientifiques et non pas par des politiciens. Voilà pourquoi il faut remplacer dans le projet de loi des expressions aussi faibles que «le ministre peut» ou «le COSEPAC peut» par des termes beaucoup plus forts, tels que «le ministre doit». Sinon, la législation n'aura aucune valeur face à l'exploitation continue de nos terres naturelles.
Nous avons souvent vu des écologistes s'opposer aux habitants de certaines régions qui s'inquiétaient de pertes d'emplois. Si nous avions une législation sévère, tous les projets d'exploitation des ressources naturelles devraient répondre à des critères environnementaux, notamment concernant la préservation des espèces en péril, avant d'obtenir le feu vert du gouvernement. J'estime d'ailleurs que tous les projets susceptibles d'avoir un effet sur l'habitat des espèces en péril devraient faire l'objet d'une évaluation environnementale avant d'être autorisés.
Il n'est pas rare que les collectivités locales s'imaginent qu'une évaluation environnementale a d'office été effectuée lorsqu'un projet d'aménagement est autorisé. Si l'approbation tacite est accordée, la collectivité s'attend à bénéficier d'un certain nombre d'emplois, de développement économique, etc. Voilà pourquoi il importe que les évaluations environnementales soient imposées dès le départ, afin d'éviter que des projets ne soient approuvés sans évaluation, ce qui obligerait à vérifier après coup s'ils risquent ou non de causer du tort à des espèces menacées.
Finalement, il faut prévoir dans la loi une disposition réservant des crédits à l'élaboration de plans de rétablissement et à l'exécution des recherches nécessaires pour établir si des espèces sont menacées ou non. Il faut également prévoir du personnel à cette fin. Par exemple, si l'on s'en remet au gouvernement provincial pour s'occuper des espèces en péril, cela veut dire qu'il y aura en Alberta deux biologistes non spécialisés sur la faune qui vont s'occuper de toutes les espèces en péril de la province. Il est évident que cela n'est pas suffisant pour effectuer les recherches nécessaires, rédiger les rapports et mettre en oeuvre les plans de rétablissement nécessaires.
Merci de votre attention.
Le président: Merci.
Qui aimerait maintenant...?
M. Schindler: Voulez-vous que nous fassions tous notre exposé, monsieur le président, avant de passer aux questions?
Le suivant sera John Kansas, qui va parler du dilemme que pose la protection des grizzlis à l'intérieur et à l'extérieur de notre système de parcs nationaux.
Le président: J'ai oublié de vous donner des précisions sur notre méthode de travail. Au bout de dix minutes, je vous donnerai le signal qu'il ne vous en reste plus que cinq.
M. John L. Kansas (coordonnateur de l'habitat, Eastern Slopes Grizzly Bear Project, Université de Calgary): Merci, monsieur le président.
Je vous remercie de me donner la parole aujourd'hui. J'ai remis au comité des exemplaires d'une lettre résumant mes préoccupations. Elle est datée du 29 janvier et on y voit l'image d'un ours, qui est le symbole du projet Eastern Slopes Grizzly Bear.
Je m'adresse à vous aujourd'hui à titre de coordonnateur du projet pour l'habitat mais aussi, ce qui est plus important, à titre de biologiste professionnel enregistré en vertu de la Professional & Occupational Associations Registration Act de l'Alberta. Je gagne ma vie depuis la fin des années 70 en m'occupant de questions d'habitat en Alberta, notamment d'habitat faunique. Je travaille avec des entreprises, le gouvernement et le public pour essayer de garantir une application éclairée des données scientifiques dans la prise de décisions sur l'utilisation des sols. J'ai apporté avec moi plusieurs acétates que je vais vous présenter pendant mon exposé. Ce que je voudrais demander aux membres du comité...
Je vais vous présenter brièvement ma lettre. Mes préoccupations sont très similaires à celles de Sue. En fait, s'il y avait autour de cette table 20 ou 30 biologistes chevronnés connaissant les espèces menacées de disparition, je suis certain qu'ils exprimeraient les mêmes préoccupations que nous. Je n'en ai aucun doute et je ne vais donc pas...
Le président: Je puis vous garantir que nous avons déjà entendu la même chose dans d'autres régions.
M. Kansas: Je n'en doute pas et je vais donc essayer de ne pas répéter les mêmes choses. Je vais plutôt vous parler de l'exemple unique des grizzlis de la région de Banff, en vous invitant à garder ces préoccupations à l'esprit pendant mon exposé.
Je vais vous présenter mes acétates et m'efforcer de ne pas limiter mon exposé à une seule espèce, ce qui est un risque auquel on s'expose souvent quand on traite de ce genre de question.
Bien des choses ont changé au cours des trois ou quatre dernières années en ce qui concerne la gestion de l'écosystème, c'est-à-dire la manière dont le biologiste fait son travail. Je parle ici de changements très importants qui trouvent leur origine dans le Plan vert. Toute la notion d'intégrité écologique et de protection de la biodiversité a pris une importance considérable au cours des dernières années. Si vous le voulez, je pourrai vous remettre le texte de ces acétates. En un mot, notre travail est devenu beaucoup plus précis en très peu de temps.
La définition que vous voyez sur l'écran est importante car, lorsqu'on parle d'espèces en péril, on ne parle pas seulement des espèces mais de tout un écosystème. Autrement dit, on parle d'assurer l'intégrité de l'écosystème et, évidemment, de protéger un habitat qui est essentiel si l'on veut préserver les espèces. Ces définitions sont acceptées par les scientifiques du monde entier.
Je ne vais pas vous demander de lire tout le texte qui suit mais seulement les passages soulignés. Lorsqu'on parle de protection de la biodiversité, on parle en fait de niveaux multiples de diversité, comme on vous l'a déjà dit. On parle aussi bien de vastes écosystèmes régionaux, comme le disait Sue, que de systèmes locaux. Lorsqu'il s'agit d'espèces en péril, il y a trois grands niveaux de protection dans le cadre des mesures contemporaines de protection de la diversité biologique.
Cette acétate émane du Conseil du président des États-Unis sur la qualité de l'environnement, qui guide le processus de protection de l'environnement dans ce pays. Vous pouvez voir que la biodiversité est un domaine beaucoup plus vaste que des espèces particulières. Il s'agit d'écosystèmes différents, de communautés, de diversité génétique, etc. Toutes ces questions sont suivies de près aux États-Unis et je crois comprendre que Ian va vous en parler.
Une remarque sur les niveaux de perturbation. Ceci remonte à 1985. Les grandes régions dont Sue vous a parlé... Vous pouvez voir qu'il y a dans les régions des Prairies jusqu'à 90 p. 100 ou 95 p. 100 de perturbations de surface. À mesure que l'on atteint des zones plus élevées, plus froides et moins productives, on constate généralement moins de perturbations de surface, ce qui s'explique par le fait que les gens ne veulent pas vivre dans les parties subalpines des parcs nationaux. Ils sont prêts à aller s'y détendre mais ils ne peuvent pas y vivre. On constate donc une différence réelle de productivité et de climat qui influe sur la manière dont les êtres humains utilisent les sols, ce qui exerce une influence sur la faune. C'est un facteur très important.
En Alberta, chaque fois qu'il y a un grand projet d'exploitation de ressources au pied des Rocheuses, on doit poser le problème de cet animal. Les effets cumulés sur cet animal sont ce qui semble toujours provoquer des controverses.
Les problèmes que pose la protection des grizzlis sont très réels. Ils ne sont pas artificiels. Autrefois, on trouvait des grizzlis jusqu'en Californie. Vous pouvez voir ce qui s'est produit depuis. Notre crainte est que le Canada connaisse le même phénomène que les États-Unis.
Pourquoi y a-t-il un problème de grizzlis? Tout simplement parce que les grizzlis ont un très faible taux de reproduction. Il leur faut un très vaste territoire et ils peuvent faire face à de nombreuses difficultés. Le grizzli est un animal typique du point de vue des problèmes transfrontaliers. La population de grizzlis est très dispersée et les animaux ont beaucoup de difficulté à trouver des partenaires pour se reproduire.
Voici ce qui peut leur arriver dans la nature. Comme ils errent sur de très vastes territoires, ils peuvent être confrontés à beaucoup de problèmes causés par les industries, par exemple à la disparition de leurs pacages suite aux mesures d'évitement des incendies naturels. Évidemment, la chasse est un problème très réel dans leur cas. L'exploitation des forêts peut être bénéfique mais le problème est que cela met les ours à la merci des chasseurs.
Les routes sont le plus gros problème pour les grizzlis. De fait, c'est dans les habitats sécuritaires, sans routes, qu'on les trouve le plus souvent.
Il y a aussi le problème des gens. Il n'est pas exagéré de dire qu'on peut aimer les animaux à mort. Quand des régions commencent à se peupler, les ours les abandonnent.
La zone que nous étudions dans le cadre du projet Eastern Slopes Grizzly Bear est définie par les voies que tracent les animaux. Nous avons mis des colliers avec transmetteur radio sur 25 ours, ce qui nous a permis de cerner leur territoire. Celui-ci est énorme puisqu'il fait près de 15 000 kilomètres carrés.
M. Forseth: Pour 25 ours seulement?
M. Kansas: De 25 à 30. Il peut y avoir des fluctuations. Je précise qu'il y a plus d'ours que cela dans la population que nous étudions, probablement trois fois plus, mais que nous n'avons pu en capturer qu'un certain nombre.
Notre objectif est d'évaluer la qualité de l'habitat en tenant compte du degré d'activité humaine et d'essayer de faire un lien entre les grizzlis et la protection de la biodiversité globale puisqu'il s'agit d'animaux qui utilisent des territoires extrêmement vastes.
Nous avons mis sur pied un comité qui essaie de délimiter ces très vastes territoires. Nous bénéficions de crédits d'entreprises pétrolières, d'entreprises forestières et d'organismes gouvernementaux. Même la Commission du bétail de l'Alberta nous a donné des fonds. Tous ces organismes s'intéressent au problème car ils veulent comprendre comment il serait possible d'entreprendre l'exploitation de certaines régions sans nuire aux ours.
Utiliser le grizzli comme succédané de la biodiversité, pour faire la planification, est une méthode très efficace car c'est un animal qui utilise le territoire à de nombreux niveaux, par exemple au niveau régional et au niveau de la flore, et c'est aussi un animal qui est sensible aux problèmes génétiques.
Vous voyez ici le territoire des femelles que nous avons équipées de transmetteur radio. C'est un territoire qui couvre la pente Est de la région de Banff et la région de Kananaskis. Il s'agit uniquement de femelles, qui sont les membres les plus importants de la population puisque ce sont elles qui assurent la reproduction.
Nous faisions tranquillement notre travail, comme le font les scientifiques, en essayant d'y prendre du plaisir. C'est alors qu'est arrivée l'étude Banff-Bow Valley et que l'on nous a demandé de mettre nos recherches de côté, alors qu'elles n'avaient commencé que deux ou trois ans auparavant, pour aborder la question des effets cumulatifs, afin d'informer le ministre.
Nous avons donc fait cela de plusieurs manières. Nous avons utilisé trois méthodes différentes pour examiner les effets cumulatifs sur les ours du parc national de Banff et de la région environnante. Chacune de ces méthodes a révélé des problèmes très graves.
L'un des problèmes de la législation existante est que ce n'est pas seulement la disparition de l'habitat qui met les espèces en péril. En effet, il peut arriver que les animaux n'utilisent pas un habitat d'excellente qualité parce qu'ils y sont perturbés par le bruit et par les routes. Donc, même si l'habitat existe encore, il est à toutes fins pratiques perdu pour les animaux. C'est ce que nous appelons la perte effective de l'habitat.
En analysant plusieurs vastes habitats de qualité, nous avons constaté que les activités humaines, comme les routes, les terrains de camping et d'autres choses, ont amené les grizzlis à ne plus les utiliser.
Le chiffre magique aux États-Unis, lorsqu'on parle d'habitat perdu à cause des routes et des activités humaines, est d'environ 70 p. 100. Lorsque la perte effective de l'habitat atteint environ 70 p. 100, les ours semblent abandonner la région.
Dans le parc national de Banff, nous avons constaté que l'on atteint souvent le chiffre de 70 p. 100. Si l'on compare cela au parc naturel de Yellowstone, on voit que l'habitat effectif reste un peu plus vaste là-bas, même s'il est vrai que le grizzli est une espèce extrêmement menacée de disparition aux États-Unis. À Banff, le même phénomène risquait de se produire à notre insu.
Nous pensions que tout allait bien à Banff, même si certains scientifiques avaient l'intuition qu'il pouvait y avoir un problème. Lorsque nous avons commencé à étudier les choses au moyen de modèles beaucoup plus sophistiqués, nous avons immédiatement obtenu confirmation du problème, notamment en comparant nos résultats à ceux des États-Unis.
Nous avons ensuite essayé de modifier un peu notre méthode. Au lieu d'analyser uniquement la qualité de l'habitat, nous avons essayé de déterminer les zones sûres. Autrement dit, quelles sont les zones sans routes qu'utilisent les ours? Les recherches effectuées en Amérique du Nord montrent que les ours continueront d'utiliser toute région comportant une zone sûre d'environ 60 p. 100, c'est-à-dire une zone où il n'y a pas de routes ni d'activité humaine. Lorsque les routes sont trop nombreuses et que la zone sûre devient trop petite, les ours disparaissent. Cela ne veut pas dire que l'habitat soit disparu mais simplement l'habitat effectif.
Nous avons ensuite interrogé de vieux habitants de Banff en leur demandant de nous dire à quoi ressemblait leur monde dans les années 50, c'est-à-dire de nous indiquer où se trouvaient les pistes sur les pentes et dans les vallées. En reproduisant ces informations sur des cartes, nous avons pu évaluer la superficie des zones qui étaient sûres pour les ours dans les années 1950.
Vous voyez ici en rouge les zones que les êtres humains utilisaient dans le parc dans les années 50. Vous voyez en vert celles qui étaient sûres pour les ours. Finalement, vous voyez en blanc les zones de rochers et de glaces. Une bonne partie du parc national de Banff et des pentes des montagnes Rocheuses se compose uniquement de rochers. La proportion peut aller jusqu'à 50 p. 100, ce qui peut être surprenant. On ne le réalise pas lorsqu'on se trouve au sol, étant donné qu'on ne marche pas sur les rochers. Concentrez-vous donc sur les zones rouges et vertes.
Nous avons ensuite examiné la situation en 1995. Vous pouvez voir que les parties rouges se sont étendues et que les vertes ont rétréci. Finalement, nous avons essayé de projeter la situation jusqu'en l'an 2050 pour voir quelle serait l'étendue de la zone subsistant pour les ours, et nous avons trouvé ce chiffre. En poussant l'analyse, nous avons constaté que la situation était loin d'être encourageante pour les ours. De fait, il n'y aurait quasiment plus aucun grizzli dans le parc national de Banff d'ici à l'an 2050.
L'acétate suivante présente des données plus spécialisées sur lesquelles je passerai rapidement. L'élément important concerne les zones fragmentées dont Sue vous a parlé... et, si un ours ne peut circuler pour se reproduire avec un autre et transférer le bon et le mauvais côté de son patrimoine génétique, on se retrouve avec un phénomène d'appauvrissement génétique. Nous pouvons obtenir ces informations en analysant les poils que laissent les ours aux stations d'appât, grâce à des techniques extrêmement sophistiquées.
Nous avons ensuite constaté que la diversité génétique dans la région de Banff est extrêmement faible par rapport à d'autres régions. Aucune de nos femelles équipées d'un transmetteur radio ne traverse la Transcanadienne. Aucune ne bouge. Comme il y a du trafic toute la nuit, je suppose que les femelles ont peur de traverser la route. Elles ne se sentent pas en sécurité. De ce fait, le patrimoine génétique de ces femelles est isolé par des obstacles de cette nature.
L'acétate suivante montre que nous avons établi une corrélation entre l'activité humaine et la perte de diversité génétique. Or, cette perte de diversité génétique est quelque chose qui pourrait nuire à l'animal dans un siècle, par exemple s'il y avait une épidémie à laquelle il ne pouvait plus résister. Ce n'est pas un problème immédiat mais c'est l'indice d'un problème plus large concernant l'utilisation des sols et la fragmentation des territoires.
Cette acétate-ci nous montre un grizzli mâle de la région de Banff. Nos études ont montré que seulement un ours sur 15 traverse régulièrement la Transcanadienne.
L'acétate suivante montre que nous avons essayé d'utiliser certaines techniques américaines de modélisation pour savoir où se trouvent les zones perméables le long du couloir allant de Bow Valley à Banff en passant par Radium. Pour cette étude, nous nous sommes fondés sur l'ampleur de l'activité humaine actuelle et sur la qualité de l'habitat permettant aux ours de se cacher. Regardez les petits diamants jaunes et la zone hachurée. Ce sont les seules régions que nous estimons vraiment adéquates pour assurer la traversée des ours.
Nous essayons de lutter contre le problème en utilisant des structures comme celle-ci. Bien des gens ont vu ces structures assez bizarres apparaître sur les terrains le long de la Transcanadienne. Il s'agit de ponts, et non pas de tunnels, pour permettre aux ours de franchir la route. Pour l'instant, nous ne savons pas s'ils vont les utiliser mais nous surveillons la situation. Il s'agit de ponts larges d'une cinquantaine de mètres et, si les ours les utilisent, nous pouvons espérer que les transferts génétiques reprendront. Malheureusement, je ne nourris pas beaucoup d'espoir à ce sujet. En effet, comment un ours pourrait-il trouver ce passage minuscule?
Voici ma dernière acétate, qui vous donne un très bon exemple des problèmes que connaissent les grizzlis. Vous voyez qu'il y a beaucoup de rochers et de glaces, ce qui ne permet pas aux animaux de se nourrir. Plus bas, il y a de l'eau et il y a moins de neige en hiver. On trouve de gros animaux, comme des élans, dont les grizzlis se nourrissent aussi. Ils se nourrissent essentiellement de plantes mais il leur arrive aussi de dévorer d'autres animaux.
Il y a donc plus de diversité. Voyez la diversité le long de la vallée. Plus haut, les ours utilisent les territoires de manière saisonnière mais ils ne peuvent survivre dans une seule vallée.
Nos modèles nous ont montré que l'habitat qui a incontestablement la meilleure qualité se trouve dans les 3 p. 100 de cette écorégion montagneuse des parcs. Le reste est utilisé de manière variable par les ours mais je ne pense pas que ces derniers puissent survivre à long terme sans le type d'habitat qu'ils trouvent au fond des vallées. Voilà l'un des plus gros problèmes auxquels sont confrontés les ours.
Le président: Merci.
Accueillons maintenant notre témoin suivant, M. Rounthwaite.
M. Ian Rounthwaite (professeur, doyen adjoint de la faculté de droit, Université de Calgary): Je vous remercie, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité.
J'ai, moi aussi, rédigé à votre intention un mémoire. J'ai malheureusement manqué mon avion ce matin, ayant été pris dans des embouteillages, et le mémoire ne vous a, par conséquent, peut-être pas encore été distribué. Je l'ai remis au secrétaire du comité. J'espère que vous aurez l'occasion de le lire. Le temps nous étant compté, il ne nous sera guère possible d'aborder ici l'ensemble des points que je tente d'exposer dans mon mémoire. J'essayerai donc, plutôt, de mettre en relief les points qui me semblent cruciaux au niveau de ce qu'on doit attendre d'un texte concernant la protection des espèces en voie de disparition. Après cela, j'exposerai quelles sont, d'après moi, les lacunes de ce texte, lacunes qui pourraient faire complètement échouer nos efforts en vue d'assurer la protection des espèces sauvages au Canada.
J'ai quatre grandes observations à formuler, mais je voudrais commencer par quelques remarques d'ordre préliminaire. Après cela, j'attirerai votre attention sur certaines des déclarations de principe inscrites dans le préambule du projet de loi C-65. J'espère que vous avez chacun un exemplaire de ce projet de loi. De temps à autre, par souci de clarté, j'aurai peut-être à attirer votre attention sur les termes précis de telle ou telle disposition. Il y a plusieurs arguments que je tiens à développer au sujet de ce préambule, arguments que j'engage les membres du comité à retenir.
En troisième lieu, je voudrais me livrer à un examen détaillé des dispositions du projet de loi concernant son champ d'application, et notamment la question de savoir si le texte dont vous êtes saisi s'appliquera ou non à l'habitat d'une espèce donnée, en insistant sur le point de savoir comment les dispositions du projet de loi s'appliqueront aux espèces sauvages et à leurs habitats lorsque ceux-ci se trouvent sur des terres appartenant aux provinces ou à des propriétaires privés.
Je voudrais, enfin, évoquer dans quelle mesure ce projet de loi permet et encourage la participation de la population dans la prise de décisions concernant la protection de certaines espèces au Canada.
Le président: Professeur, nous vous savons gré de l'exposé que vous allez nous faire sur le projet de loi, étant bien entendu que les membres du comité ont déjà, à plusieurs reprises, eu l'occasion de se pencher sur le texte. Nous espérons que vous nous fournirez des éléments d'analyse complémentaires.
M. Rounthwaite: Je ferai, effectivement, de mon mieux.
D'abord, quelques remarques préliminaires. Il s'agit des remarques que j'avais supprimées de mon mémoire puisque j'avais cru comprendre qu'elles intéressaient un sujet sur lequel votre comité n'entendait pas s'attarder. Il s'agit de la question de la compétence du gouvernement fédéral pour adopter des dispositions législatives énergiques et efficaces en vue de la protection des espèces en voie de disparition, et pour faire appliquer ces dispositions non seulement sur les territoires domaniaux, mais également sur les terres appartenant aux provinces ou à des propriétaires privés.
J'ai supprimé cette partie de mon mémoire, mais je manquerais à mes devoirs si je ne rappelais pas aux membres du comité que, dans votre excellent examen du projet d'amendement de la LCPE, publié dans votre rapport Notre santé en dépend!, sur les moyens de prévenir la pollution, vous avez analysé de manière très complète la compétence constitutionnelle du gouvernement fédéral en matière de protection de l'environnement selon la répartition des pouvoirs prévue dans la Constitution, au regard, non seulement des divers chefs de compétence, mais aussi du pouvoir «Paix, ordre et bon gouvernement». Je tiens simplement à dire que, d'après moi, le gouvernement fédéral a effectivement, au regard de la Constitution, compétence pour adopter des dispositions législatives visant la protection des espèces en péril, ainsi que celle de faire appliquer ces dispositions sur les terres relevant des provinces ou appartenant à des propriétaires privés.
Cela dit, dans le préambule - et cela m'amène à mon second point - je relève l'absence manifeste, de la part du gouvernement fédéral, de toute déclaration reconnaissant que la protection des espèces en voie de disparition revêt une importance nationale. Il est remarquable que cela ne se trouve pas dans la déclaration de principes inscrite dans le préambule.
On trouve, dans ce préambule, plusieurs autres énoncés qui méritent de retenir l'attention du comité et je voudrais, à cet égard, dire quelque chose qui n'a peut-être pas été dit par les autres témoins.
D'abord, le préambule reconnaît que les espèces sauvages font partie du patrimoine national et qu'elles forment donc une partie intégrante de notre identité canadienne. Il s'agit là du premier exemple d'un principe important énoncé dans le préambule mais non repris dans le dispositif du projet de loi C-65.
Si les espèces sauvages font effectivement partie de notre patrimoine naturel, et si l'on veut qu'il soit tenu compte de cela dans le dispositif de la loi, il faut y inclure des définitions permettant aux décideurs de savoir sur quoi ils doivent se baser pour décider de l'importance que revêt, pour notre identité et pour notre patrimoine national, telle ou telle espèce.
Par exemple, c'est l'article 49 qui permet de déclencher les mécanismes prévus par la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. Ainsi que Susan l'a fait remarquer, il faut procéder, dès le départ, à des évaluations environnementales si l'on veut pouvoir cerner les effets néfastes que tel ou tel projet pourrait avoir, non seulement sur une espèce sauvage, mais aussi sur l'habitat essentiel de l'espèce en question.
Ce projet de loi pourrait facilement être modifié afin d'inclure une disposition prévoyant que, dans le cadre d'une évaluation environnementale, un organisme fédéral doit s'attacher à cerner l'importance que revêtent pour l'identité canadienne telle ou telle espèce et son habitat essentiel.
Les Américains considèrent certaines espèces sauvages comme de véritables symboles de l'identité américaine. Les Canadiens font la même chose. Certaines espèces sauvages revêtent, aux yeux de la plupart des Canadiens, cette importance symbolique au niveau de l'identité nationale. Ces espèces constituent de puissantes représentations symboliques de notre pays.
J'estime donc que les décideurs devraient cerner les liens existant entre une espèce pouvant être défavorablement touchée et l'importance que cette espèce revêt pour notre identité nationale. À ce niveau-là, cependant, rien n'est prévu, ni à l'article 49 du projet de loi C-65, ni dans la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale telle qu'elle est actuellement formulée.
La deuxième déclaration du préambule est celle qui m'a tant enthousiasmé lorsque j'ai pris connaissance du texte même du projet de loi. J'y vois une merveilleuse déclaration de principe. Elle reconnaît que les espèces sauvages ont leur valeur intrinsèque.
Sont ensuite énoncées toutes les bonnes raisons qui portent les Canadiens à apprécier les espèces sauvages.
Je relève, en passant, que dans la version française, on parle d'«appréciation», alors que dans la version anglaise on parle de «value». Je préfère penser que les Canadiens apprécient les espèces sauvages plus encore qu'ils n'en voient la valeur.
Quoi qu'il en soit, cette déclaration pose un principe éthique. En effet, le gouvernement fédéral reconnaît que les choses humaines ne sont pas les seules à avoir de la valeur, reconnaissant ainsi la valeur intrinsèque du règne animal.
J'ai fait de l'éthique ma spécialité, et je vois dans cette déclaration une extension de la catégorie des sujets auxquels s'appliquent des considérations éthiques, cette catégorie n'englobant plus seulement des êtres humains, mais aussi des membres du règne animal.
L'éthique exige donc qu'à chaque fois qu'il s'agit de prendre une décision susceptible de passer outre à l'intérêt d'autres créatures, le décideur ne se contente pas de citer à l'appui de sa décision des intérêts d'ordre économique ou humain, mais qu'il présente également des arguments d'ordre éthique justifiant en quoi il sera loisible de permettre aux intérêts humains de l'emporter sur les intérêts des espèces sauvages qui, elles aussi, font l'objet de considérations d'ordre moral.
Malheureusement, encore une fois, je ne vois pas où, dans le texte officiel du projet de loi C-65, l'on oblige ou encourage les décideurs à fournir ce type d'argument moral lorsqu'il s'agit de permettre à des intérêts humains de l'emporter sur les intérêts de la faune. Je voudrais que ce qui est déclaré dans le préambule se retrouve dans le dispositif. Il y aurait plusieurs manières d'y parvenir.
Troisièmement, le préambule reconnaît l'importance de la diversité biologique, et intègre au préambule ce principe de prudence qui veut que, face à l'incertitude de la science, ce soit la prudence qui l'emporte. Il s'agit là d'une partie particulièrement importante du préambule puisqu'elle concerne et rejoint le texte de l'actuel projet de Loi canadienne sur la protection de l'environnement de 1997, texte que, dans mon mémoire, je cite sous la forme LCPE-97.
On ne trouve, cependant, dans le projet de loi C-65, qu'une seule disposition reconnaissant l'importance de la biodiversité. Il s'agit du paragraphe 38(5). Selon ce paragraphe, lors de son examen d'un plan de rétablissement, le ministre compétent doit tenir compte des exigences de la diversité biologique et fonder ses efforts, en vue d'en assurer la conservation, sur le concept d'écosystème. Je relève que si, contrairement à la LCPE-97, qui contient une définition de ce que l'on entend par biodiversité, par intégrité écologique ainsi que par un certain nombre d'autres termes scientifiques et écologiques absolument essentiels, on ne trouve, dans la partie du projet de loi C-65 réservée aux définitions, aucune définition de ces termes.
Je voudrais que soit ajoutée, à cette partie du projet de loi C-65, une définition de ce qu'on entend par «habitat». Dans l'optique du rédacteur législatif, si l'on inclut des définitions, c'est en partie pour clarifier les termes que l'on retrouve tout au long du texte. Or, un des termes qui reviennent constamment dans le projet de loi C-65, c'est le mot «habitat». Pourtant, dans la partie réservée aux définitions, on ne trouve aucune définition d'habitat, aucune définition d'écosystème non plus, ni de définition de diversité biologique. Je vois dans ces lacunes des faiblesses. En rajoutant ces diverses définitions, on permettrait à ces principes tout à fait essentiels d'imprégner le texte même du projet de loi.
Et enfin, si le préambule reconnaît combien il est important que les Canadiens participent à la conservation et à la protection des espèces sauvages au Canada, s'il reconnaît que les Canadiens devraient participer à la protection des espèces en péril au Canada, j'estime - et j'en reparlerai dans un instant - que le rôle reconnu à la population par le texte est extrêmement limité. J'estime aussi que le dispositif du projet de loi ne correspond pas à l'engagement pris par le gouvernement fédéral dans le préambule, reconnaissant le rôle qui revient au public. J'ai certaines idées sur la manière de renforcer la participation du public.
Passons maintenant à la question de l'applicabilité du texte. Puis-je attirer votre attention sur l'article 3 du projet de loi. Il s'agit de la disposition touchant le champ d'application de la LPEPC et prévoyant les dispositions de cette loi qui s'appliquent aux territoires domaniaux. On entend par territoires domaniaux les terres qui appartiennent à Sa Majesté du chef du Canada ou qu'elle a le pouvoir d'aliéner.
Susan a projeté une très intéressante diapositive montrant la répartition des territoires domaniaux en Alberta, ainsi que la situation, par rapport à ces territoires, des espèces en péril. On trouve, sur ces territoires domaniaux, deux bases militaires, le champ de tir de Suffield et celui de Cold Lake.
Je ne suis pas entièrement sûr de ce que j'avance ici, et je vous demande de m'en excuser, j'aurais dû vérifier cela, mais je crois savoir qu'au Canada de nombreuses bases militaires et champs de tir ne se trouvent pas en fait sur des terrains appartenant au gouvernement fédéral ou sur des terrains que le gouvernement fédéral a le pouvoir d'aliéner. Au contraire, de nombreux établissements et bases militaires sont installés sur des terrains appartenant aux provinces et loués au gouvernement fédéral.
Selon la définition qu'on donne actuellement de «territoires domaniaux», les terrains loués par le gouvernement fédéral ne sont pas des terrains qu'il a le pouvoir d'aliéner et, par conséquent, ces terrains ne relèvent pas des dispositions énoncées dans le texte. C'est pour cela que je voudrais que la définition de «territoire domanial» soit élargie afin de comprendre, en plus des terrains appartenant au gouvernement fédéral, ou que celui-ci a le pouvoir d'aliéner, les terrains qu'il loue. Cela permettrait de voir les dispositions de ce très important projet de loi s'appliquer à l'ensemble des terrains militaires, qu'ils appartiennent effectivement à la Couronne fédérale ou qu'ils soient loués au gouvernement fédéral par les autorités provinciales.
Les territoires domaniaux sont parfois appelés, dans les milieux de l'environnement, «le domaine fédéral». Mais, lorsque j'évoque ce domaine, je ne fais pas seulement allusion aux territoires domaniaux; j'évoque le fait que la législation fédérale en matière d'environnement s'applique aux territoires domaniaux et que cela constitue un des éléments du dispositif législatif fédéral, qui comprend aussi des règlements et des politiques, le tout formant un ensemble cohérent. Donc, quand je fais allusion au domaine fédéral, je ne veux pas seulement parler des territoires domaniaux.
Mais le paragraphe 3(2), prévoit que les articles 30 à 32, les règlements pris au titre de l'article 42 et les arrêtés d'urgence ne s'appliquent aux terres provinciales que dans la mesure où des individus d'une espèce en voie de disparition se retrouvent sur un territoire domanial. La diapositive projetée par Susan me paraît cependant montrer qu'on ne retrouve pas sur des territoires domaniaux plusieurs des espèces en voie de disparition que l'on retrouve sur les terres provinciales.
Les paragraphes 3(1) et 3(2) touchant le champ d'application de dispositions envisagées sont le premier indice, dans le texte même du projet de loi, du fait que la protection des espèces sauvages n'est pas fondée sur le concept d'écosystème. En effet, les espèces sauvages ne décident pas de leur habitat en fonction de la répartition constitutionnelle des compétences, pas plus qu'elles ne se fondent en matière d'habitat sur des considérations d'ordre politique, voire juridique. Ces espèces choisissent leur habitat en fonction de la santé de la région environnante, au sein d'un écosystème ou d'une écorégion en bon état. Les paragraphes 3(1) et 3(2) soustraient au jeu des nouvelles dispositions une grande partie de l'habitat des espèces visées, c'est-à-dire une grande partie de l'écosystème habitée par des espèces en péril.
Mais il y a autre chose à retenir. L'application des articles 30, 31 et 32, des règlements pris au titre de l'article 42, et des arrêtés d'urgence ne concernent que les espèces menacées ou en voie de disparition. Ces dispositions ne s'appliquent pas en effet aux espèces vulnérables. L'article 31 interdit de tuer un individu d'une espèce menacée ou en voie de disparition, ou de lui nuire. Or, cette prohibition ne s'applique pas aux espèces vulnérables. J'ajoute que l'article 32 protège le nid des espèces menacées ou en voie de disparition. Encore une fois, cela ne s'applique pas aux espèces vulnérables. Je ne suis pas écologiste, mais le simple bon sens me dit qu'une espèce vulnérable devient une espèce menacée ou en voie de disparition si les gens en tuent ou portent atteinte à son habitation, et nous devrions aussi protéger contre ce genre d'agissements les espèces vulnérables afin que le COSEPAC n'ait pas, justement, à recommander au ministre de faire passer une espèce «vulnérable» dans la catégorie des espèces «menacées» ou «en voie de disparition».
De simples motifs économiques nous porteraient à protéger les espèces qui ne sont encore que «vulnérables», lorsqu'il est possible de le faire économiquement, plutôt que d'avoir à prendre des mesures plus draconiennes, et donc plus coûteuses, pour les protéger lorsqu'elles sont menacées ou en voie de disparition.
Ainsi, l'article 31 ne s'applique pas. Qu'est-ce que cela veut dire? Cela veut dire que dans une province qui n'a pas adopté de loi protégeant les espèces en voie de disparition ou menacées, il est possible de tuer impunément les membres de ces espèces, du moment que vous chassez sur des terrains de la Couronne provinciale et qu'il ne s'agit pas d'une espèce que l'on retrouve sur des territoires domaniaux.
L'article 32 ne s'applique pas. Qu'est-ce que cela veut dire? Encore une fois, cela veut dire que vous pouvez, sur des terres provinciales ou des terres appartenant à des propriétaires privés, détruire la résidence ou le nid d'oiseaux non aquatiques ou non migratoires dans la mesure où ils n'appartiennent pas à une espèce que l'on retrouve sur des territoires domaniaux.
L'article 42 ne s'applique pas, et cela m'inquiète beaucoup. L'article 42 permet au ministre compétent de prendre des règlements concernant la mise en oeuvre d'une mesure prévue dans le plan de rétablissement. Un plan de rétablissement doit être établi dans l'année qui suit l'inscription d'une espèce sur la liste des espèces en voie de disparition, menacées ou disparues du pays. Mais, le contenu même de ce plan de rétablissement, fixé par le ministre, va, aux termes de ce projet de loi, être mis en oeuvre par les règlements pris, eux aussi, par le ministre.
Le fait que l'article 42 soit exclu du champ d'application de la loi veut dire que lorsqu'on trouve, sur des terres provinciales, une espèce disparue du pays, en voie de disparition ou menacée qu'on ne retrouve pas sur des territoires domaniaux, le ministre compétent ne pourra pas prendre de règlement concernant la mise en oeuvre d'un plan de rétablissement, et tout règlement pris en vue de la mise en oeuvre d'un plan de rétablissement ne pourra s'appliquer qu'aux territoires domaniaux. Si une partie d'un habitat ou du territoire de l'espèce en question se trouve sur les terres relevant de la Couronne provinciale, eh bien les règlements concernant la mise en oeuvre ne pourront pas s'y appliquer.
Si vous me permettez, monsieur le président, d'aborder très rapidement la question de la participation du public, il y a plusieurs choses que je voudrais dire, notamment au sujet de l'action en protection.
J'ai beaucoup de mal à comprendre l'action en protection qui est prévue à l'article 60, car je ne comprends absolument pas comment quelqu'un, un avocat par exemple, pourrait conseiller à son client d'intenter une telle action. D'abord, pour intenter une action en protection, il faut que l'individu en question demande au ministre compétent de procéder à une enquête, et pour pouvoir demander l'ouverture d'une enquête, il faut alléguer l'existence d'une infraction.
Ainsi, un particulier peut demander au ministre d'ouvrir une enquête afin de déterminer si une infraction a été commise. Mais rien de ce qui a pu se produire sur des terres relevant de la Couronne provinciale ne constitue une infraction au regard de cette loi et, par conséquent, les seules infractions possibles seraient des infractions aux articles 31 et 32, commises sur des territoires domaniaux. En pareille hypothèse, l'ouverture de l'enquête est demandée et le ministre a plusieurs possibilités: procéder à l'enquête - il est même tenu de le faire - et fournir un rapport à l'auteur de la demande et aux personnes dont le comportement a fait l'objet de l'enquête, motivant les mesures qui ont été prises et indiquant si l'enquête a été suspendue ou menée à terme. À toute époque, le dossier peut être transmis au procureur général qui pourra prendre les mesures qui s'imposent.
Dans l'hypothèse où une infraction aux dispositions du projet de loi C-65, constitue également une infraction à la LCPE-97, je conseillerais à mon client de demander l'ouverture d'une enquête au titre de la LCPE-97, et non pas au titre des dispositions du présent projet de loi.
Dans un même ordre d'idée, si l'infraction commise permet d'intenter une action en protection d'une espèce en voie de disparition ou une action en protection de l'environnement au titre de la LCPE-97, je conseillerais à mon client d'intenter l'action sur le fondement de la LCPE, et non pas sur le fondement des dispositions de ce projet de loi. Si je dis cela c'est parce que le présent projet de loi ne prévoit à peu près aucune participation du public, si ce n'est au niveau de l'évaluation environnementale lorsque le mécanisme prévu à l'article 49 est déclenché. Aucune activité menée sur des territoires relevant de la Couronne provinciale ne constitue à ce titre une infraction. Le ministre n'est aucunement tenu d'ouvrir une enquête. Or, l'ouverture d'une enquête est une des conditions préalables à toute action en protection. Faute d'infraction, une telle action ne saurait être intentée. Et même dans l'hypothèse où une action peut être intentée, les dispositions du projet de loi exigent que soit rapportée la preuve de l'infraction. Le demandeur doit ainsi, avant d'obtenir le moindre redressement, démontrer à la cour l'existence d'une infraction. C'est dire qu'il s'agit d'une procédure fort lourde et fort coûteuse.
S'agissant d'établir qu'une infraction a bien été commise, et même si le projet de loi adopte en matière de biodiversité un principe de prudence, rien dans les articles 60 à 75, concernant l'action à la protection, ne vient modifier le fardeau de la preuve applicable en matière civile et rien ne pose à l'intention de la cour le principe que, pour obtenir gain de cause dans le cadre d'une action en protection, il n'est pas nécessaire de démontrer, selon la prépondérance de la preuve, que la science elle-même est incertaine. Je voudrais voir changer le libellé de certaines de ces dispositions afin que les tribunaux puissent imposer des mesures correctives s'il paraît probable qu'une infraction a été commise au regard de la loi et si cette infraction est susceptible d'entraîner, pour une espèce en voie de disparition, même pas une atteinte importante mais, tout simplement, une atteinte.
Je suis désolé, monsieur le président, mais je crois avoir épuisé le temps qui m'était imparti.
Le président: Avez-vous terminé votre examen? Avez-vous autre chose à ajouter?
M. Rounthwaite: Monsieur le président, je n'ai pas encore abordé les détails, mais ils se trouvent dans mon mémoire.
Le président: Reste-t-il, dans les ruines du projet de loi C-65, autre chose que vous aimeriez abolir?
M. Rounthwaite: J'aimerais, pour finir, dire que je relève plusieurs insuffisances au niveau de la méthode permettant aux tribunaux d'accorder une mesure corrective dans le cadre d'une action en protection d'une espèce en voie de disparition. La cour peut faire une déclaration, rendre une ordonnance provisoire - ces ordonnances provisoires peuvent elles-mêmes prévoir soit une obligation de faire, soit une obligation de ne pas faire - et la cour peut également ordonner que soient engagées des négociations en vue de l'établissement d'un plan permettant la mise en oeuvre de mesures correctives afin, j'imagine, d'éliminer l'atteinte, ou l'atteinte importante que peut avoir causé l'infraction.
Si la cour ordonne la tenue de négociations, elle peut également ordonner aux parties de lui rendre compte de ce qui sera fait. Compte tenu de notre procédure civile, la cour devra, cependant, finir par rendre une ordonnance définitive. Conformément à la procédure civile en vigueur dans les provinces de common law, la cour est dessaisie de l'affaire dès qu'elle rend son ordonnance définitive. Le rôle de la cour est, pour ainsi dire, terminé.
Lorsque la cour ordonne des négociations en vue de l'établissement de mesures correctives et qu'elle ordonne aux parties de rendre compte des mesures qu'elles doivent prendre, le juge ayant rendu l'ordonnance devrait également rendre une ordonnance provisoire prorogeant sa saisine afin que la cour puisse veiller à la mise en oeuvre des mesures correctives décrétées.
J'imagine qu'en l'espèce le législateur a voulu conférer aux tribunaux un certain pouvoir de supervision au niveau du redressement décrété dans le cadre d'une action en protection où le demandeur obtient gain de cause. Si, cependant, la cour ne rend pas d'ordonnance provisoire, elle risque d'être dessaisie et de ne pas pouvoir veiller à la mise en oeuvre des mesures correctives. Je voudrais que le projet de loi soit modifié afin de prévoir que la cour restera saisie de l'affaire tant que les mesures correctives n'auront pas été mises en oeuvre de manière satisfaisante.
Les dispositions relatives aux ordonnances provisoires ne confèrent pas, cependant, aux tribunaux un rôle de supervision correspondant au pouvoir qui permet à la cour, dans le cadre des ordonnances provisoires qu'elle rend, de citer une des parties pour outrage au tribunal. Ces dispositions sont en effet limitées par la manière dont sont libellés les alinéas 60(3)b) et c). J'estime que ces dispositions ne correspondent pas au pouvoir de surveillance que le législateur semble avoir envisagé ici.
Et enfin, je pose la question de savoir si les tribunaux compétents possèdent l'expertise, les ressources, ou même la capacité nécessaires pour exercer une surveillance à l'égard de quelque chose qui relève essentiellement de l'écologie, donc de la science.
Voilà quelles sont, pour l'essentiel, les observations que je tenais à faire.
Le président: Merci, monsieur Rounthwaite.
Monsieur Schindler, vous avez la parole.
M. Schindler: Monsieur le président, je n'ai pas apporté de diapositives et je n'ai que quelques observations à faire.
D'abord, je voudrais, en tant que scientifique qui s'intéresse aux écosystèmes, ajouter une ou deux choses aux propos de John et de Susan.
Si j'ai demandé à John d'évoquer le cas du grizzly, c'est en partie parce que la protection d'espèces aussi grandes et aussi visibles revêt, pour une raison supplémentaire, une grande importance. L'étude qui a été menée sur la vallée Banff-Bow a permis de constater qu'en protégeant l'habitat du grizzly, on protège aussi, automatiquement, l'habitat d'environ 100 autres espèces, moins connues, moins prisées et occupant des territoires plus limités.
J'ajoute que, bien sûr, chacun sait que nous continuons d'ignorer de nombreuses espèces d'invertébrés habitant le Canada et que la protection de grands territoires permettra automatiquement de protéger aussi ces espèces invisibles.
Souvent la destruction des espèces tropicales porte les gens à complètement oublier ce qui se passe ici au niveau des espèces habitant le Canada. Tous les jours, dans les journaux, nous lisons des articles concernant les milliers d'espèces en cours d'élimination en raison de la déforestation et d'autres activités menées sous les tropiques. Or, ce faisant, on oublie quelque chose de très important. Dans certains cas, les écosystèmes qui sont soutenus par des milliers, voire par des millions d'espèces dans ces régions tropicales sont, au Canada, soutenus par quelques centaines d'espèces seulement. Notre faune et notre flore sont au Canada beaucoup plus pauvres. Nous avons ici beaucoup moins d'espèces spécialisées, ce qui veut dire que les quelques espèces que nous avons, exercent chacune plusieurs fonctions. Nous ne comprenons pas très bien comment il peut en être ainsi, mais c'est un fait qu'elles agissent de la sorte. À mon avis, donc, en supprimant d'un écosystème ici une ou deux espèces clés, nous risquons de compromettre le fonctionnement de systèmes tout entiers alors que, sous les tropiques, un tel dérèglement aurait exigé l'élimination de milliers d'espèces.
Cela dit, je vais maintenant aborder la principale objection que j'ai vis-à-vis de ce qui se fait actuellement. En effet, ayant participé à diverses étapes du processus, j'estime que le cheminement suivi pour l'élaboration de ce texte législatif et son évaluation par le public ne rend pas bien compte de ce qui s'est vraiment passé.
D'abord, le groupe de travail comprenait deux universitaires, plusieurs représentants des groupes de protection de l'environnement, ainsi que plusieurs représentants des entreprises concernées. À chaque réunion, nous forgions un projet comprenant de vigoureuses mesures de protection des habitats et, invariablement, ces dispositions avaient disparu du texte rendu par notre président nommé - et non pas choisi par nous. Dans un même ordre d'idée, les articles commençant par l'expression «le ministre [doit]» prenait la forme «le ministre [peut]». Nous avons enfin décidé de contourner l'action de notre président, les membres du groupe de travail décidant de se réunir entre eux - c'est-à-dire les représentants des entreprises concernées, les universitaires et les membres représentant les associations de protection de l'environnement - et de restituer le texte initial. Mais, à nouveau, les mots en question disparaissaient à un échelon qui me demeure inconnu.
Puis, j'ai participé aux audiences nationales ainsi qu'à la réunion provinciale organisée autour de ce document, et j'ai également lu les autres documents provinciaux. Le cheminement décrit dans ces rapports, et le sentiment public qui en ressort, ressemble exactement à ce que nous avons constaté au sein du groupe de travail. La population de notre pays exige l'adoption de dispositions législatives vigoureuses en vue de la protection des espèces en péril et de leurs habitats. Si un référendum était organisé sur la question, je prévois qu'on obtiendrait au moins 80 p. 100 de réponses favorables, les exceptions venant surtout d'un certain nombre de grosses entreprises ayant de puissants intérêts dans ce secteur.
Et enfin, l'aspect scientifique de la question a déjà été exposé. Plus de 200 scientifiques, y compris de très éminentes personnalités, ont envoyé, à la fin de 1995, une lettre au ministre et, pourtant, les lacunes de ce projet de loi sur le plan de l'écologie n'ont toujours pas été corrigées. Il s'est donc passé quelque chose de très bizarre et le moins qu'on puisse en dire c'est que ce qui a été fait n'a rien de démocratique.
J'ai une dernière petite suggestion à faire. Je sais que beaucoup d'entre vous songent à l'harmonisation des dispositions de ce projet de loi avec la législation des diverses provinces. Je me demande si le problème ne serait pas réglé si chaque province adoptait ses propres règles et ses propres mesures d'application, mais dans le cadre d'une sorte de comité national, qui pourrait être présidé par un représentant du gouvernement fédéral et au sein duquel toutes les provinces seraient représentées. Ce comité se verrait confier l'objectif précis d'assurer l'uniformisation des mesures législatives décrétées et des règles d'application sur l'ensemble du territoire national.
Ian vous a cité plusieurs exemples qui permettent de voir que ce texte s'insère très mal dans les dispositifs définis par le BFEEE et la LCPE. J'aimerais citer un autre exemple car j'ai également la plus grande peine à comprendre comment les dispositions en question pourraient s'intégrer harmonieusement aux mesures décrétées par la Loi sur les parcs nationaux.
L'étude sur la vallée Bow, dont John vous a parlé, contient un examen approfondi de l'ensemble des données écologiques relatives à la vallée Bow ainsi qu'au parc national de Banff. Cette étude a été menée par les meilleurs experts canadiens et soumis à l'évaluation des meilleurs experts internationaux. Sur la base de cette étude, le groupe de travail a formulé, à l'intention du ministre, plusieurs centaines de recommandations. Ces recommandations ont été transmises à un comité de mise en oeuvre ainsi qu'à Parcs Canada, les deux organismes ayant, vendredi et samedi dernier, annoncé leur réponse.
Eh bien, la réponse qu'ils ont annoncée est totalement insuffisante. Ce qu'ils envisagent de faire ne permettra pas de protéger le grizzly, ni même de protéger de nombreuses autres espèces habitant le parc national. Je me sens tenu de demander comment le texte ici envisagé pourrait modifier cet état de choses. On nous dit que ce nouveau plan de gestion des parcs nationaux sera mis en oeuvre d'ici le mois d'avril prochain. Je constate à regret que ces décisions, prises par les personnes chargées, justement, de protéger ces écosystèmes, vont à l'encontre des données qui leur étaient fournies et constituent, en fait, un plan destiné à ne pas en assurer la protection.
Les arguments scientifiques qui ont pourtant été portés à leur connaissance sont beaucoup plus solides et beaucoup plus complets que ceux que l'on peut trouver dans les plans de rétablissement établis par le COSEPAC pour les territoires provinciaux. L'absence de protection des espèces en péril est un scandale. Mais si l'on ne parvient même pas à les protéger au sein de parcs nationaux justement établis à cette fin, le scandale paraîtra encore plus honteux.
Je n'en dirai pas plus.
C'est avec plaisir que les membres de notre groupe répondront aux questions que vous pourriez vouloir leur poser.
Le président: C'est très volontiers que nous le ferons, et nous allons tout de suite passer la parole à M. Forseth, à Mme Kraft Sloan, à M. Adams ainsi qu'à Mme Payne. Vous avez la parole.
M. Forseth: Merci, monsieur le président.
Je tiens d'abord à faire quelques commentaires au sujet des diapositives que nous a projetées Susan Hannon. On y a vu un schéma des accords de gestion forestière. Pourrions-nous avoir quelques renseignements supplémentaires à cet égard?
Ces accords ne tiennent-ils pas compte du souci de protéger l'environnement et d'assurer la protection des espèces? Nous connaissons le problème que posent les biens communs, et certains prétendent que la meilleure manière de protéger les espèces et l'écosystème serait d'en transférer la propriété à une société ou à un organisme donné qui en deviendrait ainsi responsable. Ils seraient davantage portés à s'en occuper puisque la chose leur appartiendrait au lieu d'appartenir en même temps à tout le monde. On m'a laissé entendre tout à l'heure que ces accords seraient peut-être nuisibles à l'écosystème de ces zones. Pourriez-vous nous expliquer en quoi il en serait ainsi.
Ensuite, vous avez projeté des vues aériennes de la vallée, dont certaines remontent à 1950 et je voudrais que vous nous fournissiez des éclaircissements à ce sujet. Est-ce à dire, d'après vous, qu'il n'aurait jamais fallu entreprendre l'exploitation de la zone en question? Vous laissez entendre que l'environnement de cette région a subi d'importants dégâts. Étant donné que l'activité humaine a déjà eu des effets importants dans cette zone, que conviendrait-il de faire? Quelles sont vos propositions sur ce point? Pourriez-vous nous dire un peu pourquoi vous avez projeté ces diapositives?
En somme, je vous demande de nous dire comment ce projet de loi pourrait être modifié afin de protéger l'habitat faunique, étant donné qu'il n'est guère possible de soustraire à toute activité économique l'ensemble de la zone. Pensez-vous que l'on devrait fermer des régions entières du territoire national, ou existe-t-il des moyens permettant de protéger l'habitat tout en protégeant nos agriculteurs, nos éleveurs, l'emploi et notre production forestière et minière?
M. Hannon: J'espère que je parviendrai à me souvenir de l'ensemble de vos questions. Vous me rafraîchirez la mémoire si j'en ai oubliées.
En ce qui concerne l'exploitation forestière du nord de l'Alberta, et, à cet égard, je vous ai indiqué les zones comprises dans les accords de gestion forestière, accords négociés individuellement par le gouvernement provincial et les diverses entreprises concernées. En fait, le bois exploitable est réparti en fonction des quantités disponibles. Ce n'est donc pas la forêt que l'on gère mais le bois. Il s'agit de maintenir la production d'une certaine quantité de bois dans les zones en question.
Certains des accords de gestion forestière englobent les préoccupations qui ont été exprimées à l'égard des espèces sauvages. La plupart du temps il s'agit d'espèces qui, tel l'orignal, sont prisées par les chasseurs. On a donc prévu certaines restrictions concernant les lignes de mire que pourraient ménager les zones d'abattage, ainsi que la forme de celles-ci afin, justement, de protéger certaines espèces de gibier.
Certaines entreprises... Vous avez évoqué les biens communs. Eh bien oui, dans une certaine mesure, en négociant des accords avec les entreprises, on encourage celles-ci à assurer le renouvellement des ressources forestières. Mais cela ne garantit pas nécessairement que les entreprises vont maintenir la biodiversité de la zone en question étant donné qu'elles s'intéressent principalement au bois qu'elles peuvent en sortir.
Ai-je répondu à votre première question?
M. Forseth: Divers types d'accords ont été élaborés au cours des ans et il est possible que les accords les plus récents s'inspirent davantage du concept d'écosystème, c'est-à-dire de l'idée de gérer non seulement les ressources en bois mais l'ensemble du territoire concerné. Je cite, à ce titre, l'exemple du Code de pratiques forestières adopté en Colombie-Britannique.
M. Hannon: En effet, en Alberta aussi nous allons vers cela. Une stratégie de conservation de la nature a été élaborée en Alberta de concert avec les environnementalistes et autres personnes intéressées, telles les entreprises forestières. Il s'agissait, essentiellement, de fixer les règles de base en vue de développer en Alberta une industrie forestière davantage compatible avec la protection de notre environnement.
Je dois dire qu'en Alberta plusieurs entreprises ont pris l'initiative afin de répondre aux préoccupations exprimées par le public en matière de biodiversité. Certaines de ces initiatives sont dues, je crois, aux mouvements d'opinions qui se sont manifestés notamment en Europe pour dire que nos pratiques forestières actuelles ne pouvaient plus durer, en réponse aussi à l'idée qu'il fallait bien obtenir un certificat de bonne conduite écologique pour conserver ses marchés. Ce genre de considérations seront progressivement intégrées aux frais généraux. Il est donc clair que certaines entreprises vont progressivement intégrer la notion d'écosystème.
M. Forseth: Quelle est la raison qui vous a poussé à nous projeter ces diapositives de la vallée du fleuve? Quel était le sens de cette démonstration?
M. Hannon: L'idée était de montrer que si nous entendons mieux gérer l'habitat des espèces sauvages, il faut s'arrêter davantage aux effets cumulatifs que peuvent avoir les diverses pratiques en matière de gestion des terres. Par exemple, dans les zones couvertes par les accords de gestion forestière, la difficulté provient du fait qu'il n'y a pas seulement l'exploitation forestière mais également l'exploitation pétrolière et gazière, et que l'on procède aussi à l'extraction du gravier ainsi qu'à d'autres types d'activités économiques. Le problème provient du fait que les accords de gestion forestière, par exemple, ne tiennent pas compte des arbres abattus dans le cadre, des activités de prospection sismique menées par les compagnies pétrolières et gazières.
Ce que je veux dire, c'est qu'il nous faut adopter, en matière de gestion de l'habitat, une approche intégrée qui nous permet de tenir compte des effets cumulatifs des divers types d'exploitations menées dans ces zones. John a déjà évoqué les impacts cumulatifs qui peuvent se produire. Il s'agissait, bien sûr, d'un cas limite, mais mes propres travaux portent sur une zone du nord de l'Alberta, mesurant 10 kilomètres sur 10 kilomètres. J'y poursuis mes recherches depuis 1992 et je constate, chaque année, davantage d'activités économiques: la construction d'un pipeline, des activités de prospection sismique, l'extraction de gravier, par exemple.
Il nous faut adopter une approche intégrée, sinon, petit à petit, l'ensemble se dégrade. Si nous voulons vraiment nous pencher sur les habitats essentiels des espèces en question, il nous faut adopter une approche intégrée et nous pencher sur tous les types d'exploitations menées sur le territoire concerné.
M. Forseth: Cela nous ramène à la dernière partie de ma question au sujet du projet de loi. Comment améliorer le texte tout en maintenant l'équilibre autorisant certaines activités économiques qui nous permettent d'assumer les coûts des plans de rétablissement afin, justement, de pouvoir assurer la protection des espèces? Un arbre, par exemple, peut être considéré comme un objet d'adoration, ou bien comme le moyen de nous procurer des soins médicaux, des moyens d'enseignement, enfin comme le moyen de mettre sur pied les universités qui vous ont permis d'acquérir les connaissances dont vous pouvez faire état aujourd'hui.
Il s'agit donc d'un cycle. Nous entrons dans un nouveau champ d'activité législatif et il nous faut examiner attentivement le libellé des textes si nous voulons parvenir à l'objectif visé.
M. Hannon: Effectivement. Je ne dis nullement qu'il nous faudrait mettre un terme à toute activité économique sur ces territoires. Ce qu'il faut, cependant, c'est faire en sorte que ces diverses activités soient menées d'une manière compatible avec l'intégrité de l'écosystème, et de tenir compte, donc, d'un contexte plus large que celui de l'activité économique concernée.
Il est vrai que, dans mon mémoire, j'affirme que ce projet de loi devrait assurer la protection des habitats essentiels et certaines dispositions doivent être prises avant d'approuver de nouveaux travaux d'exploitation en évitant, par exemple, les zones qui peuvent constituer, pour certaines espèces, un habitat essentiel - un habitat hivernal par exemple.
Il existe un certain nombre de techniques qui permettent, si l'on y recourt avant d'engager des projets d'exploitation, d'en réduire l'impact. Il convient, peut-être, d'éviter les zones sensibles. Il s'agirait peut-être de prévoir autour de ces zones, des zones tampons.
En ce qui concerne les autres espèces, eh bien oui, il va peut-être falloir, pour reprendre notre expression, constituer des réserves autour de ces habitats. Il peut exister des zones où l'on entendra assurer la protection d'une espèce qui ne se trouve que là. Eh bien oui, nous allons peut-être devoir soustraire cette zone restreinte à toute activité de développement.
Ce n'est pas dire qu'il faille mettre un terme à l'activité économique, mais il existe des moyens d'intégrer aux projets des mesures permettant d'en tempérer l'impact, mais ces évaluations environnementales doivent être effectuées avant que le projet ne soit approuvé.
Le président: Je crois que d'autres personnes voulaient intervenir.
M. Forseth: J'espère que les interventions porteront sur la manière d'améliorer le texte du projet de loi.
M. Rounthwaite: Monsieur Forseth, je précise que, en ce qui concerne la première partie de votre question, bon nombre d'accords de gestion forestière, ainsi que d'autres projets privés en Alberta, ont été concédés dans le cadre des dispositions du Public Lands Amendment Act, de 1982. C'est ainsi que d'importants territoires ont été attribués aux éleveurs de bétail dans le cadre de baux de pâturage signés en vertu du Public Lands Amendment Act, de 1982.
Selon un arrêt récemment rendu par la Cour d'appel de l'Alberta dans l'affaire OH Ranch Ltd. v. Patton, un bail de pâturage confère au preneur des droits qui sont très près du droit de propriété pour tout ce qui concerne la gestion de ces baux de pâturage. Actuellement, le Public Lands Amendment Act de 1982 ne contient aucune disposition permettant d'exiger du détenteur de ces droits - et je précise que l'accord de gestion forestière confère des droits analogues - qu'il tienne compte, dans la gestion des ressources qui lui sont attribuées en vertu de la loi, des espèces sauvages pouvant habiter la même zone.
Il me semble, cependant, que le comité pourrait peut-être se pencher sur le libellé de l'article 7 du projet de loi, qui concerne le pouvoir qu'a le ministre de conclure des accords administratifs. Le comité entendra peut-être imposer au ministre une obligation de préavis et d'explication, comme le prévoit l'article 9 de la LCPE-97. On pourrait ainsi prévoir que le ministre devra, dans tout accord administratif, insérer des dispositions applicables au niveau provincial et conformes aux préoccupations que vous avez exprimées, afin de parvenir à un équilibre entre l'existence des espèces concernées et les intérêts économiques en cause.
Le comité entendra peut-être aussi rajouter au projet de loi une disposition sur les accords d'équivalence étant donné l'importance que revêtent l'accord national et la coopération fédérale-provinciale. Il conviendrait peut-être de prévoir une disposition analogue à l'article 10 de la LCPE-97 afin de permettre au ministre de conclure des accords d'équivalence avec les diverses provinces pour permettre au gouvernement fédéral de négocier avec les ministres provinciaux des mesures permettant de concilier la conservation des espèces, la protection de leurs habitats et les intérêts économiques en jeu.
M. Kansas: Permettez-moi une observation très brève. Nous avons, en ce qui concerne le grizzly, la chance de pouvoir bénéficier des millions de dollars qui ont été consacrés à la recherche en ce domaine aux États-Unis, en raison de la place que cet ours occupe dans la conscience publique. Mais la notion de seuil est entourée d'une grande incertitude quant à l'étendue des activités pouvant être menées sur un territoire donné, quant au degré limite de fragmentation des habitats, quant à la question de savoir jusqu'où on peut aller - je pense à la diapositive qui a été projetée - avant de voir disparaître certaines espèces. Je précise que ces espèces ne disparaissent pas toutes en même temps mais bien une à une. Si nous n'éprouvions pas cette incertitude et si nous savions déterminer avec exactitude les seuils, nous pourrions en tenir compte pour fixer des taux d'exploitation respectant ces limites, mais à l'heure actuelle je crois que l'incertitude de la science constitue un réel problème. Je ne sais pas comment le résoudre, mais je crois que seul le temps nous permettra d'y parvenir.
M. Schindler: Je vais faire une observation qui ne porte pas directement sur le projet de loi, mais je sais que le comité se penchera la semaine prochaine sur la LCPE et je crois pouvoir préciser qu'une grande partie des choses que nous regrettons au plan de l'environnement sont le résultat d'une mauvaise planification.
Prenons l'exemple précis d'une importante usine de pâte à papier installée, dans cette province, à Grande Prairie, sur les rives d'une toute petite rivière. Si cette usine avait été installée un peu plus en aval, là où ses effluents auraient pu être dilués afin d'en éliminer suffisamment la toxicité pour qu'ils ne consomment pas l'oxygène du principal bras de la rivière de la Paix, il n'y aurait pas eu d'impact sur l'environnement, alors qu'en fait l'impact a été très grave.
Je pourrais vous citer d'autres exemples où, si nous nous cherchions à mieux connaître les habitudes de déplacement des espèces importantes - et je crois que Susan sera d'accord sur ce point - et que nous intégrions très tôt ce genre de données à des plans d'exploitation forestière ou autres, nous ferions beaucoup pour tempérer les effets du développement industriel.
Voilà quelque chose qu'on ne trouve toujours pas dans la LCPE et dans les mesures prises en vue de son application, lors des évaluations environnementales par exemple. C'est peut-être dans cet autre texte qu'il y aurait lieu d'inscrire les mesures permettant de résoudre ce problème, mais il est clair qu'il s'agit d'un problème qu'il faudra bien régler.
Le président: Professeur, pourrais-je revenir à vous dans un deuxième temps? Beaucoup de personnes aimeraient intervenir.
Madame Kraft Sloan, vous avez la parole.
Mme Kraft Sloan: Je vous remercie.
[Difficultés techniques]
Nous avons parlé d'effets cumulatifs, d'examen préalable et de mesures de ce genre. Je m'écarte un tout petit peu du sujet mais je reste dans le contexte de l'application du projet de loi. Quelqu'un pourrait-il me dire quelque chose des changements qu'on envisage d'apporter au paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches, disposition qui a utilement joué le rôle de déclencheur de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, notamment en ce qui concerne des projets de moindre envergure.
S'agissant d'effets cumulatifs, si l'on ne se penche que sur les projets très importants, le problème des effets cumulatifs des projets de moindre envergure prend encore plus d'acuité. Quelqu'un pourrait-il me dire quelque chose des changements qu'on envisage d'apporter au paragraphe 35(2).
M. Schindler: Je ne suis pas au courant des changements envisagés, mais je vois d'un oeil très critique la manière dont a été appliquée la Loi sur les pêches. On a pu constater, dans la récente affaire BHP, que l'énoncé de la compagnie sur les incidences environnementales montrait bien que l'habitat serait détruit et qu'il n'était pas possible de développer un habitat compensatoire permettant d'invoquer le principe de l'équivalence. La société BHP s'en est tirée en versant une modeste somme d'argent dans l'intérêt général des pêches.
C'est encore ce qu'on se propose de faire à la mine Cheviot, située sur le périmètre du parc national de Jasper. Cette mine est située sur le dernier habitat printanier des ours, mais elle est également en train de détruire les lieux où fraie l'omble à tête plate, une des espèces désignées, ainsi que la truite arc-en-ciel de l'Athabasca, une espèce qu'on ne trouve que sur le versant est et qui a déjà disparu du parc national Jasper en raison des activités de l'homme.
Ce qu'on propose pour ces pêcheries fluviales, c'est simplement d'inonder quelques puits de mine et de les empoissonner avec des ombles de fontaine et des ombles à tête plate. D'après ce qu'on m'a dit - et je n'ai pas encore pu le constater moi-même - le ministère des Pêches va probablement donner son autorisation. Je commence à me demander si nous avons, au Canada, une législation efficace. Il semblerait que l'on puisse toujours monnayer une exemption.
Mme Kraft Sloan: On envisage de confier aux provinces l'application du paragraphe 35(2)... touchant les poissons d'eau douce.
Vous proposiez de rajouter la catégorie des espèces «vulnérables»... mais rien n'est dit des espèces «disparues» à l'article traitant des interdictions.
Conviendrait-il de modifier le texte sur ce point et d'ajouter, à l'article touchant les interdictions, les espèces disparues du pays?
M. Rounthwaite: Oui, tout à fait. Sous sa forme actuelle, le projet de loi évoque les espèces disparues du pays au niveau de la préparation d'un plan de rétablissement. L'article 42 ne confère cependant pas au ministre le pouvoir de prendre des règlements et de mettre en oeuvre un plan de rétablissement concernant les espèces disparues du pays. L'article 42 ne s'applique que dans le cas des espèces menacées ou en voie de disparition. Il conviendrait effectivement, d'après moi, d'y ajouter les espèces disparues du pays.
Dans mon mémoire, je cite un exemple. Il s'agit des efforts actuellement engagés afin de réintroduire le renard véloce des prairies dans la région des Prairies de l'Alberta et de la Saskatchewan. Cela se passe à Cochrane, près de Calgary. Pour que l'on obtienne les résultats voulus et pour que le texte de loi puisse s'appliquer, il faudrait que le renard véloce soit lâché sur des territoires domaniaux. Or, en Alberta, il n'y a que très peu de territoires domaniaux abritant des prairies susceptibles de servir d'habitat au renard véloce. D'après moi, les seuls territoires domaniaux sont des zones militaires et les membres du comité savent pertinemment que, dans certaines circonstances, les zones militaires peuvent être soustraites à l'application de la loi.
Je trouve assez paradoxal le fait de vouloir lâcher dans la nature des individus d'une espèce disparue du pays, dans l'espoir de pouvoir transformer cette espèce disparue en espèce en voie de disparition ou d'espèce menacée, surtout lorsqu'on les lâche sur un champ de tir militaire. C'est bien, cependant, ce qui risque de se produire.
Mais, si vous me demandez de parler du paragraphe 35(2), je le ferai volontiers, et très brièvement. Je ne tiens pas à ce que le gouvernement fédéral confie aux provinces l'application et l'administration des dispositions touchant les pêches en eau douce. Cela me paraît particulièrement vrai de cette province-ci, en partie pour des raisons d'ordre pratique. Le ministère de l'Environnement de cette province a subi des coupures budgétaires draconiennes. Il n'a donc pas actuellement les ressources nécessaires pour faire appliquer les dispositions de la Loi sur les pêches.
On peut constater que les personnes accusées d'infractions à la Loi sur les pêches, sont extrêmement rares en Alberta. Dans ces provinces, on n'a jamais très bien réussi à faire appliquer les lois fédérales.
Le président: Malheureusement, professeur, c'est chose faite, sauf en Colombie-Britannique et dans les provinces de l'Atlantique.
Pouvons-nous passer à quelqu'un d'autre ou avez-vous une dernière question à poser?
Mme Kraft Sloan: Je pense que les personnes réunies ici sont en grande partie d'accord sur les recommandations que vous avez faites. Nous comprenons fort bien votre position. Cela dit, hier, des témoins du Yukon nous ont prévenus que l'adoption de ce projet de loi donnera lieu à une action en inconstitutionnalité.
Vous n'ignorez sans doute rien des préoccupations exprimées par certains propriétaires, ainsi que par certaines provinces. Si, du point de vue scientifique, vos recommandations sont fondées et si ceux d'entre nous qui sont des profanes - je vous demande, monsieur Schindler, de me passer l'expression - ceux qui ne sont que des verts, sont acquis aux idées que vous avez exprimées - je suis heureuse de voir que nous avons la science avec nous sur ce point - nous devons tout de même tenir compte de l'éventualité d'une action en inconstitutionnalité et aux préoccupations manifestées par certains propriétaires terriens.
De nombreux membres du comité ont fait clairement savoir que les dispositions contenues dans ce projet de loi ne seront d'aucune efficacité si l'on n'obtient pas la coopération de tous les intéressés. Le problème est moins de savoir quoi faire que d'obtenir de l'aide pour faire ce que nous devons faire. Je serais heureuse d'entendre vos points de vue à cet égard.
M. Schindler: Permettez-moi de répondre brièvement. Je n'habite pas la ville. Je me trouve même rarement à l'université. J'habite une ferme. Mes voisins sont fermiers. J'habite près de la vallée Drayton, près du lieu que Susan vous a montré en diapositive.
Il me paraît exact de dire que la plupart de mes voisins fermiers aimeraient voir adopter certaines règles minimums. Certains d'entre eux vont déjà au-delà de ce qu'exige la loi. Ils tiennent compte des espèces qui habitent leurs terres et, parfois, s'ils estiment qu'une espèce est en péril, ils vont prendre des initiatives mal inspirées et, par exemple, les nourrir pendant l'hiver. Mais, il y a également des éléments peu recommandables, comme dans toutes les professions, y compris celle de professeur d'université. Si aucune limite n'est fixée, ils ne sauront pas où s'arrêter; c'est ainsi qu'ils peuvent, s'ils trouvent ça pratique, abattre tous les arbres d'une forêt avec un bulldozer et les déverser dans la rivière. Je pourrais vous citer des exemples de cela tout près de chez moi.
Je pense donc qu'il faut adopter des mesures législatives vigoureuses. Si les propriétaires terriens veulent surpasser les normes prescrites, tant mieux, mais ne les laissons pas se soustraire aux normes minimums. J'estime que cette idée traduit bien l'issue des consultations qu'il y a eues, aussi bien au niveau national qu'au niveau provincial.
Mme Kraft Sloan: Je tiens également à dire que, d'après moi, les propriétaires privés ne devraient pas avoir à subventionner le reste du pays en étant tenus d'assurer, sur leurs propres terres, la protection des espèces en péril. Il faut intégrer aux plans de rétablissement des mesures d'incitation économique à l'intention des propriétaires terriens, si l'on exige qu'ils mettent de côté une partie de leurs terres. Voilà une idée que je ne trouve pas actuellement dans le texte.
M. Kansas: D'après moi, tout dépend de l'élaboration de plans régionaux d'occupation des sols et cela est lui-même lié à des dispositions législatives vigoureuses imposant un effort de planification. La planification réduira dans une certaine mesure l'incertitude et cela favorisera l'esprit de coopération.
Une grande partie du problème est dû à l'incertitude et c'est cela qui met en concurrence les divers usagers des terres en question. J'ai pu constater une augmentation sensible de la coopération suite à un complément d'information qu'on a pu obtenir grâce aux techniques dont nous disposions déjà et qui nous ont permis de mieux comprendre les écosystèmes.
Mme Kraft Sloan: Merci.
Le président: Merci.
Nous passons maintenant à M. Adams, puis à Mme Payne et, ensuite, si personne n'ajoute son nom à la liste, au président.
M. Adams: Merci, monsieur le président.
D'abord, je propose que, lorsque nous aborderons l'examen article par article, nous disposions tous du compte rendu de l'exposé que vient de nous faire le professeur Rounthwaite, et aussi de son mémoire. Dans la mesure du possible, je pense que nous devrions intégrer ses commentaires à notre schéma d'amendement. Je sais que cela ne sera pas facile, étant donné que ses observations sont un peu... Elles ont pour elles de relier les diverses parties du projet de loi, et je pense vraiment que nous devrions faire l'effort d'avoir cette documentation sous la main lorsque nous aborderons notre examen article par article.
Ainsi que d'autres l'ont fait, je tiens à vous remercier de votre présence ici. Vous êtes parvenus à une belle synthèse du juridique et du scientifique. Au fait, Dave, je n'ai pas oublié vos préoccupations à l'égard du processus que nous avons suivi. Nous arrivons à la fin de trois années d'étude. Si nous n'agissons pas bientôt, rien ne se passera. C'est bien pour cela que nous sommes ici. Vous connaissant comme je vous connais tous les quatre, je voudrais que vous ayez à nouveau l'occasion d'évoquer des mesures qui pourraient être prises pour protéger l'habitat, ainsi que la manière d'améliorer la définition qu'on donne du mot «espèce».
En ce qui concerne l'habitat, partons de la définition inscrite dans le projet de loi et tenons-en compte dans l'ensemble du texte. Il y a aussi des notions de «résidence» et d'«habitat», et on a proposé d'inclure aussi la notion de «habitat essentiel». Mais, pour vous citer un exemple, quelqu'un a également recommandé qu'on cesse d'utiliser l'expression «habitat essentiel», car il est en pratique impossible de dire quelle partie de l'habitat d'une espèce ne serait pas, en fait, essentielle. Quelqu'un a donc proposé l'expression «habitat de base», et quelqu'un d'autre a proposé autre chose. Étant donné qu'on en arrive au point où il va falloir s'entendre sur le libellé, il faudra bien trouver quelque chose.
Monsieur le président, étant donné les discussions qui ont eu lieu aujourd'hui, il nous faut trouver quelque chose qui réponde à l'un de vos principaux soucis, c'est-à-dire la fragmentation de l'habitat. Nous nous imaginions une forêt préservée à 80 p. 100, mais en fait les 20 p. 100 qui sont atteints sont répartis de telle manière qu'ils ôtent une grande partie de leur valeur aux autres 80 p. 100.
Puis-je vous demander, à certains ou à tous, de commencer par cette question-là.
M. Schindler: Peut-être pourrais-je commencer en proposant quelque chose. Nous avons vu l'exemple - que nous a montré John - du grizzly, pour lequel nous possédons une définition très précise de ce qu'est un habitat essentiel, de ce qui est marginal à cet égard et de ce qui ne constitue pas du tout un territoire d'habitation. Si nous nous concentrions sur des espèces telles que celle-là, je pense que nous parviendrions à protéger en même temps bon nombre d'autres espèces. Il existe un assez grand nombre d'espèces pour lesquelles nous possédons de tels critères et, pour d'autres espèces, nos connaissances s'améliorent de jour en jour. Je pense qu'il ne serait pas aussi difficile que certains le prétendent de retenir ce concept d'espèce «fédérative».
L'un de vous voudrait-il...?
M. Kansas: Je suis tout à fait d'accord. Je ne suis pas avocat, et je ne sais par conséquent pas comment le dire avec précision, mais selon une définition que l'on donne de l'habitat, une espèce a besoin de nourriture, de couverture et d'un espace où elle puisse évoluer en toute sécurité. Lorsque vous parlez d'habitat de base, je crois que c'est de l'élément sécurité qu'il s'agit. Tout animal a besoin d'une certaine sécurité et je crois que si le texte ne tient pas compte de cela, c'est qu'on renonce à la notion de perte d'habitat essentiel, ce qui serait regrettable.
Je vais en rester là pour l'instant.
M. Adams: Votre observation nous est utile. Elle sera consignée dans le compte rendu et nous conserverons ainsi la trace de ce que vous venez de dire. Mais, encore une fois, au niveau du libellé... Je vous ai cité un exemple - et au fait, c'est un biologiste qui suggérait de parler d'«habitat» plutôt que d'«habitat essentiel» - et je me demande si vous pourriez nous parler de l'aspect juridique du problème. Serait-il préférable de nous en tenir à quelque chose de général, ou devrions-nous, plutôt, trouver une expression qui reprend certains de ces mots, tel «abri»?
M. Rounthwaite: Compte tenu de la manière dont les décisions sont traditionnellement prises au Canada, et le fait que nous avons toujours laissé une certaine marge de manoeuvre afin que chaque cas puisse être jugé en fonction des circonstances qui lui sont propres, afin de donner une certaine souplesse aux décisions, je pense qu'il faudrait adopter le mot plus général d'«habitat» plutôt que l'expression «habitat essentiel». Cela dit, l'on pourrait aussi intégrer au texte un certain nombre de dispositions permettant de bien situer les responsabilités et permettant au public d'exercer une certaine surveillance s'il trouve douteuse une décision prise en matière d'habitat.
Au paragraphe 38(5), qui précise le contenu minimum d'un plan de rétablissement, on pourrait intégrer des garanties visant, précisément, l'habitat. On prévoirait ainsi l'obligation de bien cerner l'habitat et, si possible, l'habitat essentiel. Il existe plusieurs moyens de le faire, mais ce qui me gêne ici c'est qu'il ne s'agit pas vraiment d'une question d'ordre juridique. J'estime, en effet, qu'un bon rédacteur législatif pourra trouver l'expression qui convient, dans la mesure où la politique retenue est claire et que les instructions sont suffisamment précises. Cette question me semble être d'ordre scientifique et écologique et je ne suis pas...
M. Schindler: Peut-être pourrais-je intervenir rapidement ici, et John pourra, tout de suite après, ajouter ses propres observations.
En fait, selon la définition qui en a été donnée, une espèce peut survivre après avoir perdu son habitat essentiel, dans la mesure où elle dispose d'un certain nombre de choses. Si je ne m'abuse, je crois qu'on trouve à l'heure actuelle à Banff des ours qui parviennent à survivre dans un habitat marginal étant donné les bouleversements subis par leur habitat essentiel. La manière la plus efficace est, bien sûr, de protéger le coeur de l'habitat essentiel, avec un environnement suffisamment favorable afin de ne tomber en deçà de la population critique. Pour ce faire, il est clair qu'il faudra protéger, en plus d'une partie de l'habitat essentiel, des habitats marginaux ou intermédiaires.
M. Adams: John, ne quittez pas de l'oeil le président, car j'ai une dernière question à poser et il me coupe toujours la parole.
M. Kansas: En ce qui concerne le lien entre habitat et seuil critique de population, la seule raison de protéger l'habitat n'est-elle pas de protéger la population? Pour maintenir la population minimum critique d'une espèce, il faut que celle-ci dispose d'un habitat sûr et suffisant, ainsi que de la nourriture et d'une protection naturelle suffisantes. Une science est actuellement en train de se constituer autour de cette question; il s'agit de l'analyse de viabilité des populations. Le problème provient du fait que, dans le contexte de l'exploitation des terres et de l'habitat de telle ou telle espèce sauvage, nous n'avons pas effectué suffisamment de recherches pour savoir où se situe le seuil critique d'une population. Il me paraît important d'ajouter au texte quelque chose qui précise le lien entre l'habitat et ce seuil critique car les deux sont, en effet, indissociables.
M. Adams: Ce que vous dites me paraît très utile.
Si vous me le permettez, monsieur le président, je voudrais également poser une question au sujet de ce qu'on entend par espèce. Je vais commencer par la définition qui en est donnée, car elle se retrouve un peu partout dans le texte.
Vous avez dit que les grizzlys s'appauvrissent sur le plan génétique. La même chose a été dite du saumon. Prenons le cas du saumon rouge. D'après moi, on pourrait constater, une année, que ce saumon se porte bien mais, dans dix ans, alors que, pourtant, leur nombre n'aurait pas baissé, on constaterait que la race s'est génétiquement appauvrie. Dans dix ans, donc, à population constante, le péril pourrait s'être aggravé. C'est un peu ce que vous disiez des grizzlys.
Si vous me permettez de vous citer d'autres exemples, on trouve:
- Remplacer «espèce sauvage» par «espèce, sous-espèce ou population géographiquement ou
génétiquement distincte d'animaux, de végétaux ou d'autres organismes».
- Me suivez-vous? Je voulais vous demander de nous parler de cela, car j'ai l'impression que la
vulnérabilité d'une espèce ne dépend pas simplement d'une baisse de sa population.
M. Schindler: On en a longuement discuté au sein du groupe de travail. Il est, je crois, évident que la plupart des biologistes admettraient volontiers ne pas savoir jusqu'où un patrimoine génétique peut s'amoindrir sans mettre en cause la survie de la population touchée. Il y a de cela plusieurs exemples, mais certains d'entre eux portent à conclure à un nombre d'individus beaucoup plus restreint que d'autres, ce qui pourrait vouloir dire que certaines espèces produisent des mutations qui entretiennent une plus grande diversité génétique.
Je crois qu'on constaterait des difficultés au niveau de l'application. La question a beaucoup préoccupé les membres du groupe de travail, notamment les non-scientifiques - où fixer la barre? Si, par exemple, je vous citais l'exemple de la truite arc-en-ciel de l'Athabasca ou le naseux de rapides de Banff, et que des scientifiques se trouvaient là, certains d'entre eux entameraient immédiatement une discussion sur la question de savoir s'il s'agit d'une race, d'une sous-espèce ou d'une espèce. Ils parleraient tout de suite de variations méristiques et de caeca pyloriques, enfin vous voyez ce que je veux dire. Je ne pense pas que l'on puisse entrer dans ce genre de considérations.
Très franchement, je serais parfaitement satisfait de voir une législation qui ne tiendrait compte que des espèces, en utilisant, pour les cerner, une définition biologique classique. Plus tard, nous aurons sans doute les outils nous permettant d'approfondir la chose, mais je pense qu'actuellement nous ne possédons pas tous les éléments nécessaires.
M. Hannon: Je ne peux vous suivre qu'en partie sur ce point car il est possible, chez les caribous, par exemple, de tenir compte des sous-espèces. Le caribou de Peary est actuellement inscrit sur la liste que le COSEPAC a dressée des catégories en voie de disparition.
M. Adams: Les Inuit qui ont comparu devant le comité prétendent que ce n'est pas le cas. Ils affirment que ce n'est vrai que sur l'île Banks.
M. Hannon: Dans ce cas, laissez-moi simplement le citer à titre d'exemple. Au plan de la morphologie, cette sous-espèce se différencie nettement des autres sous-espèces de caribou que l'on peut trouver dans d'autres lieux, ce caribou-là étant particulièrement adapté aux conditions de ces îles arctiques. Il est clair que si vous affirmiez tout simplement que le caribou est en voie de disparition, vous verriez naître toute une série de problèmes législatifs dans l'ensemble des territoires habités par les caribous.
M. Adams: Bon exemple.
M. Hannon: Il s'agit très clairement de la sous-espèce. Et d'autres sous-espèces sont vulnérables, telles le caribou des bois, alors que cela n'est pas vrai du petit renne arctique. Il y a donc ce genre de difficulté. Je dirais, par conséquent, que les sous-espèces qui se différencient nettement au plan morphologique, et qui sont particulièrement adaptées à un ensemble donné de circonstances, devront faire l'objet d'une inscription distincte, et ne pas simplement être répertoriées au niveau de l'espèce.
Le président: Madame Payne, à vous la parole.
Mme Payne (St. John's-Ouest): Merci, monsieur le président. Peut-être devrais-je laisser M. Adams poursuivre, car bon nombre de questions que j'envisageais de poser ont déjà reçu une réponse, ou un élément de réponse.
Étant donné ma région d'origine, j'éprouve parfois une certaine difficulté à siéger au sein du comité. Tellement de choses dépendent de nos ressources naturelles. Je ne sais pas si vous êtes nombreux à avoir lu le Globe and Mail d'hier, mais je suis tombée sur un article de Barbara Yaffe qui explique que Terre-Neuve va se transformer en province nantie.
M. Knutson (Elgin - Norfolk): Bravo!
Mme Payne: Il m'est très difficile de parler de tout cela avec ceux qui se chargeront d'exploiter nos ressources, et peut-être de polluer l'environnement par la même occasion, car les gens, et notamment ceux de ma circonscription, n'ont pu, depuis de si nombreuses années, compter que sur le bien-être social et de très maigres salaires. J'imagine que ce qu'il nous faut faire c'est rechercher le délicat équilibre où l'on parvient à satisfaire à peu près tout le monde mais, surtout, où chacun est traité équitablement.
J'ai été frappée - je devrais peut-être dire «choquée» - M. Hannon, par la diapositive que vous avez projetée pour nous montrer le rétrécissement de l'habitat du grizzly. Mais, si, en rentrant à Terre-Neuve, je déclarais qu'il faudrait que la province adopte une loi spéciale pour protéger les habitats essentiels, beaucoup de gens me regarderaient en pensant que je perds la raison.
J'aimerais par conséquent savoir s'il existe un moyen d'équilibrer les diverses activités industrielles afin d'utiliser, sans surexploitation, nos ressources naturelles tout en protégeant les habitats essentiels et les espèces en voie de disparition - je dirais même, en empêchant que certaines espèces sauvages deviennent des espèces en voie de disparition.
Je sais que vous avez déjà en partie traité de la question, mais d'autres voudront peut-être également en parler.
M. Hannon: Je trouve que Terre-Neuve est un excellent exemple d'une région où certaines ressources ont été mal gérées. Songez à la morue. Tout récemment, j'ai lu dans le journal un article signalant une baisse dramatique du nombre de homards. Il s'agit, encore une fois, d'une situation où les ressources doivent être exploitées dans le cadre d'une politique à long terme. Le problème est que l'ingérence politique au niveau de la gestion entraîne une surexploitation des ressources. Cela finit par créer un très fort chômage dans les populations qui auraient le plus besoin de ces ressources halieutiques. Si, par exemple, la flotte de pêche avait été ramenée à des dimensions permettant une exploitation à long terme des ressources disponibles, et adaptées à celles-ci, les chômeurs d'aujourd'hui auraient conservé un emploi.
Il est clair qu'il nous faut gérer nos ressources naturelles dans le cadre d'une politique à long terme. Il est bien évident qu'il existe des moyens de modifier et de tempérer certains effets de notre activité économique afin d'assurer la protection et la pérennité d'espèces en voie de disparition sur notre territoire. Dans certains cas, il nous faudra peut-être créer des réserves. Il faut prévoir tout cela dès le début. Il faut que chaque projet soit évalué et que l'on trouve les moyens d'en tempérer les incidences avant de l'autoriser.
Mme Payne: Merci beaucoup. J'ai fait exprès de ne pas évoquer le problème des pêches, car j'espérais que quelqu'un d'autre aborderait le problème. J'ai cité cet excellent exemple tout au long des audiences.
J'ai pris grand intérêt à ce qu'un ancien nous a dit ce matin au sujet du savoir traditionnel. Comme vous avez eu raison de le dire, si les dirigeants politiques de toutes tendances, au pouvoir à l'époque, avaient écouté les personnes empreintes de ce savoir traditionnel, nous ne nous trouverions peut-être pas dans la situation actuelle.
Merci.
Le président: Merci.
Avant que j'en arrive à mes observations finales, M. Taylor ou M. Steckle auraient-ils quelque chose à ajouter.
M. Knutson: En ce qui concerne le dernier point, et puisque nous nous trouvons en Alberta, j'estime important de reconnaître que, d'après certains travaux, si les populations de poissons à Terre-Neuve ont diminué, c'est principalement en raison de changements climatiques et d'une modification de la température de l'océan. La surpêche y a peut-être contribué, mais d'autres actions humaines ont également joué et les liens existant entre les divers facteurs ne sont pas toujours très clairs. Ne l'oublions pas.
M. Schindler: Ayant, pendant 22 ans, fait partie du ministère fédéral des Pêches et des Océans, je suis en mesure de vous dire que les changements climatiques ne sont qu'une des raisons permettant d'expliquer ce qui s'est passé là-bas. J'estime qu'on risque de subir ici en Alberta une situation analogue.
Normalement, lorsque je tente de scruter l'avenir, je me penche sur les lieux qui nous ont précédés dans ce genre d'évolution. Ici, sur le versant est des Rocheuses, je crois pouvoir dire que nous devrions examiner ce qui s'est passé sur le versant est aux États-Unis.
Il y a quelques années, par simple curiosité, je m'y suis rendu pour voir quelles étaient les bases de l'économie de ces États. Disons, d'une manière générale, que l'extraction minière y est en déclin et qu'une grande partie de leurs forêts ont disparu. Beaucoup de ces régions ont eu l'intelligence de faire procéder à des analyses économiques prospectives et - grande surprise - le moteur de l'économie de l'avenir c'est le tourisme. Les maires et les conseillers municipaux qui, il y a 20 ans, insistaient pour attirer une compagnie minière ou une compagnie d'exploitation forestière, affirment maintenant qu'il faut mettre un terme aux activités de ce type d'entreprise car on manque d'espaces pour développer le tourisme. Les touristes n'aiment ni les arbres qui ont six pouces de hauteur et un sommet aplati, ni les profondes cicatrices qui défigurent les terres. Je crois qu'il y a une leçon à tirer de tout cela.
J'éprouve moi-même des préoccupations économiques, mais j'estime que les considérations de cet ordre ont pris beaucoup trop d'importance. J'ai grandi dans une maison qui n'avait ni chauffage central, ni d'eau courante. Lorsque j'ai postulé une place dans une université, j'ai été vraiment choqué de m'apercevoir qu'on me considérait comme étant issu d'une famille pauvre, car je m'étais, moi, toujours cru très riche. Maintenant je suis effectivement très riche, mais je ne pense pas être plus heureux pour autant. Je songe à mes voisins de l'époque ainsi qu'à mes voisins d'aujourd'hui. Tous ont de gros téléviseurs, de nouvelles camionnettes et l'eau courante chez eux. Ils ne sont pourtant pas plus heureux qu'ils ne l'étaient dans les années 40 et 50.
L'argent ne fait pas le bonheur. Il faudrait que chacun s'en convainque. Je pense que nous pourrions exploiter nos ressources naturelles de manière beaucoup moins intensive, en laissant quelque chose pour les générations à venir. Je crains que pour notre prochaine génération, l'Alberta ne se transforme en un autre Terre- Neuve.
Le président: Permettez-moi, très rapidement, d'apporter une réfutation de caractère politique aux arguments très puissants que vous avez avancés en tant que groupe pour critiquer les lacunes du projet de loi, au seul niveau des compétences fédérales, puis de faire une observation de caractère général sur quelque chose qui n'a rien à voir avec ce projet de loi.
Il est vrai, comme vous l'avez fait remarquer, vous et d'autres encore, que le champ d'application du projet de loi est limité. Il y a pour cela une raison. Le gouvernement fédéral ne peut guère intervenir de manière efficace dans les domaines relevant de la compétence provinciale, en l'absence d'une sorte d'accord, comme vous l'avez vous-même dit, ou enfin d'un mécanisme quelconque. Il est clair qu'à une époque où le transfert des responsabilités se situe, en matière de relations fédérales-provinciales, au coeur du débat politique, Ottawa ne peut qu'adopter un texte conforme aux compétences fédérales et inviter les provinces à en faire autant. C'est là, essentiellement, ce qui a été décidé lors de la rencontre fédérale-provinciale des premiers ministres, à Charlottetown, il y a quelque mois.
Si, donc, du point de vue technique, vous avez raison, politiquement la réalité est tout autre et le comité n'est pas en mesure de modifier le projet de loi dans le cadre de ses délibérations. Le comité ne peut donc pas faire rapport à la Chambre d'un projet d'articles dont le champ d'application dépasserait le domaine de compétence fédérale. Ce que nous pouvons espérer et tenter d'obtenir, et j'espère qu'en cela le public nous apportera son concours, c'est que s'exercent divers types de pressions afin que des textes analogues soient adoptés par les divers gouvernements provinciaux, et que les deux paliers de gouvernement travaillent de concert au service d'objectifs communs. Cela est conforme à la nature même de notre confédération et il s'agit d'impératifs politiques que nous devons respecter.
Si nous voulons agir de manière efficace dans le dossier des espèces en voie de disparition, nous devons également faire preuve de sens politique. Je ne pense pas que nous puissions beaucoup progresser en exigeant que ce projet de loi en fasse davantage en matière de compétence.
En ce qui concerne les autres points avancés par le professeur Rounthwaite, nous allons, bien sûr, les examiner avec attention et nous tenterons d'arranger les choses là où nous pouvons le faire. Mais, même là, nous nous heurtons à des limites d'ordre technique, car, selon une règle parlementaire bien connue, on ne peut pas proposer des amendements ayant une portée plus large que celle du projet de loi lui-même. Sur ce point, nous devons nous montrer très prudents.
Disons que, d'une manière générale, cette réunion avec vous et avec les autres témoins de ce matin, nous a été de la plus grande utilité. Permettez-moi de conclure en faisant une remarque qui m'est venue à l'esprit lorsque, plus tôt, je vous écoutais parler.
La ville de Berlin tire son nom d'un mot allemand signifiant ours. Cela est également vrai pour Berne, la capitale de la Suisse. Il y avait, jadis, des ours dans les régions où ces deux villes ont été fondées. La population de l'Europe n'a pas permis à ces espèces de survivre. Comme nous le savons tous, la pression démographique les a fait disparaître entièrement d'Europe.
Ici, nous nous trouvons dans cette zone intermédiaire où il nous est encore peut-être possible de faire quelque chose, mais il nous faut tirer les leçons des pressions démographiques et de la disparition de certaines espèces. Je n'arrive absolument pas à comprendre pourquoi nous ne lançons pas un débat sur la question de la population au Canada. Le temps serait venu de le faire. Au cours des 40 dernières années, notre population a doublé. On nous dit qu'elle doublera encore au cours des 30 prochaines années.
La pression la plus forte s'exerce, bien sûr, à l'intérieur d'une bande de 100 kilomètres à partir de la frontière canado-américaine, et il est clair que l'être humain est à l'origine de la menace. Nous le savons tous et pourtant nous semblons hésiter à franchir le Rubicon et à jeter un regard objectif sur notre mode de vie et sur nos activités.
Professeur Schindler, je suis tout à fait d'accord avec vous lorsque vous dites que nous devrions procéder de manière beaucoup plus prudente, ainsi que vous nous l'avez expliqué. Il existe, dans le monde entier, des centaines de cas où cela s'est fait et nous pourrions en faire autant ici. Mais il faudrait également se pencher sur la question des pressions démographiques si nous voulons parvenir, à long terme, à réussir ce rétablissement qui est si nécessaire.
Nous pouvons donc dire aux personnes qui ont comparu devant le comité, ainsi qu'à celles qui comparaîtront devant lui par la suite, et qui s'inquiètent, soit parce que ce projet de loi va trop loin, soit parce qu'il leur paraît trop mou, que très franchement, personne ne devrait passer des nuits blanches pour cela. Il n'y a aucun souci à se faire. Ce texte ne représente qu'une petite pierre, même si c'est une pierre angulaire, dans la construction d'un édifice qui reste à bâtir. Ceux d'entre vous qui s'inquiétaient, ont pu, ce matin, constater ce qu'il en est en fait.
J'espère que ce que ce projet de loi ne parvient pas à faire pourra quand même être obtenu par un effort de pédagogie, par une mobilisation de l'opinion publique, par la coopération entre les divers paliers de gouvernement et, peut-être, en convainquant la population d'aller plus vite que les gouvernements, en prenant conscience du fait qu'il y a un problème et en exigeant une solution et la prise de mesures législatives, comme c'est déjà souvent arrivé.
Je demande pardon à mes collègues, mais ils sont déjà habitués à mon sermon quotidien. Je promets que je m'en tiendrai là pour aujourd'hui. Je m'engage à ne pas reprendre mon homélie plus tard, mais je ne promets rien en ce qui concerne demain.
Mme Kraft Sloan: Si tant est que ce soit effectivement notre sermon quotidien, c'est avec plaisir que je vois en ce lieu notre église.
Le président: Je tiens, encore une fois, à vous remercier au nom de mes collègues. Nous nous pencherons avec attention sur tout ce que vous nous avez dit.
La séance est suspendue. Nous reprendrons à 13 h 30 dans cette même salle.