[Enregistrement électronique]
Le mardi 16 avril 1996
[Traduction]
Le coprésident (M. Graham): La séance est ouverte. Je veux simplement signaler aux membres du comité, avant que nous ne commencions, que M. Lindbaek, que nous accueillons aujourd'hui, n'est disponible que jusqu'à midi. Je voudrais donc que nous commencions sans plus tarder.
La séance d'aujourd'hui est une séance conjointe du Comité permanent des finances et du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international. M. Brent St. Denis coprésidera avec moi.
[Français]
Nous sommes très heureux d'accueillir devant le comité M. Jannik Lindbaek, le vice-président exécutif de la Société financière internationale, qui est un membre du groupe de la Banque mondiale.
L'année dernière, le Comité permanent des affaires extérieures et du commerce international a fait un long rapport sur les activités des institutions financières. Donc, nous sommes très heureux d'avoir M. Lindbaek avec nous aujourd'hui pour poursuivre nos études.
[Traduction]
Monsieur Lindbaek, nous invitons généralement nos témoins à prendre 15 ou 20 minutes pour nous faire leur exposé, afin que les membres du comité aient ensuite la possibilité de leur poser des questions. Étant donné qu'il s'agit d'une séance conjointe du Comité des finances et du Comité des affaires internationales, nous avons plus de membres qu'à l'ordinaire, de sorte que la séance devrait être intéressante.
M. Lindbaek est accompagné de M. Len Good. Pour ceux d'entre vous qui ne le savent pas,M. Len Good est directeur administratif de la banque, représentant le Canada et les pays des Antilles.
Soyez le bienvenu, monsieur Good.
Le coprésident suppléant (M. St. Denis): Au nom des membres du Comité des finances, je me joins à mon collègue, M. Graham, pour vous souhaiter la bienvenue.
Sans plus tarder, je vous invite à nous faire votre exposé, monsieur Lindbaek. Merci d'être venu.
M. Jannik Lindbaek (vice-président administratif, Société financière internationale, Banque mondiale): Je remercie sincèrement les distingués membres du comité.
Monsieur le président, c'est pour moi un honneur de témoigner devant vous aujourd'hui, et je vous suis reconnaissant de l'accueil chaleureux que vous venez de me faire.
[Français]
Je serai très heureux de répondre aux questions qui me seront posées en français, mais je dois m'excuser pour mon français d'étudiant, qui date de 30 ans, et j'aimerais qu'on me permette de répondre en anglais.
[Traduction]
Avec votre indulgence, je voudrais vous faire un court exposé préliminaire, après quoi je serai heureux de répondre à toutes les questions que vous voudrez poser.
Je commencerai par vous présenter brièvement une vue d'ensemble du travail de la Société financière internationale, ou SFI. J'aborderai ensuite quelques questions susceptibles de vous intéresser eu égard à l'excellent rapport que le comité a produit l'an dernier, De Bretton Woods à Halifax et au-delà: Vers un 21e sommet pour relever le défi du XXIe siècle.
Comme beaucoup d'entre vous, sinon tous, le savent sûrement déjà, la SFI est une filiale du Groupe de la Banque mondiale qui a pour mandat de promouvoir directement le développement par le secteur privé. Nous sommes la propriété du Canada et de 168 autres pays membres. Je tiens à ajouter que la SFI est très reconnaissante pour le soutien énergique que votre gouvernement accorde à notre travail, tant par sa participation financière à notre capital et ses contributions à nos fiducies que par l'excellent travail de ses administrateurs fort compétents. L'actuel représentant du Canada au conseil d'administration de la SFI, M. Good, m'accompagne d'ailleurs aujourd'hui, et c'est lui qui est responsable de l'organisation de cette visite, qui se révèle des plus fructueuses.
Tout comme la Banque mondiale et l'AID, la SFI a pour objectif d'atténuer la pauvreté, de promouvoir l'écodéveloppement et de chercher à accroître les niveaux de vie et la qualité de vie dans nos pays membres en développement. Contrairement à la Banque mondiale et à l'AID, la SFI ne prête pas aux gouvernements et n'accepte pas non plus de garanties de prêt de la part des gouvernements. Nous cherchons plutôt à nous acquitter de notre mandat de favoriser le développement en investissant dans des entreprises et des institutions financières privées dans nos pays membres en voie de développement.
Notre rôle est triple: premièrement, nous participons au financement par emprunts et par actions de divers projets; deuxièmement, nous mobilisons des capitaux par notre programme de syndicats de prêts bancaires commerciaux et en faisant aussi appel à d'autres sources de financement; et, troisièmement, nous fournissons conseils et assistance technique.
De par sa charte, la SFI est tenue de gérer ses activités selon le mode de gestion des entreprises, et chaque année depuis notre fondation en 1956, il y a près de 40 ans, nous avons toujours réalisé un bénéfice. Nous sommes fermement acquis à l'idée que la rentabilité et le développement sont des objectifs, non pas contradictoires, mais complémentaires.
Par conséquent, notre objectif est, non pas de concurrencer les investissements et les sources de financement privées, mais de les compléter. La SFI a toutefois un rôle important à jouer dans les régions où investisseurs et prêteurs privés hésitent à s'engager dans de solides projets commerciaux en raison du risque politique qu'ils perçoivent.
La SFI a connu une croissance considérable ces dernières années. Cette croissance est en fait attribuable à la privatisation d'un nombre toujours plus grand d'entreprises productives dans les pays en développement.
Permettez-moi de vous donner quelques chiffres à l'appui de ce que j'avance. Depuis sa fondation il y a 40 ans, la SFI a investi dans plus de 1 100 entreprises réparties dans plus de 100 pays en développement. Au cours de nos 10 derniers exercices financiers, le nombre d'entreprises incluses dans notre portefeuille d'engagements financiers est passé de 377 à près de 1 000. Au cours de la même période, la valeur des demandes de financement par emprunts et par actions qui ont été approuvées par la SFI est passée de 700 millions de dollars à près de 3 milliards de dollars par année, et cet accroissement de la demande ne semble aucunement vouloir s'essouffler.
Au cours de ces 40 ans, les entreprises canadiennes ont joué un rôle considérable dans nos activités, 84 entreprises et banques canadiennes ayant investi environ 650 millions de dollars U.S. dans des projets dont la valeur totale s'élève à plus de 7 milliards de dollars U.S.
Des entreprises canadiennes ont fourni des biens d'équipement et des services à l'appui de 64 projets. Presque la moitié de la valeur en dollars de la participation des entreprises canadiennes est venue en 1995 en raison d'importants projets d'exploitation minière auxquels participaient des entreprises canadiennes. Cependant, un des principaux objectifs de ma visite au Canada est de faire en sorte qu'il y ait encore bien plus de partenariats entre la SFI et les entreprises canadiennes.
Vous vous demandez peut-être: pourquoi est-ce important? Naturellement, sur le plan politique, plus les intérêts commerciaux du Canada sont servis directement, plus vous et vos collègues serez susceptibles d'appuyer l'important travail que nous faisons au chapitre du développement.
Pour effectuer ce travail, nous avons besoin de partenariats. Ces partenariats sont essentiels, car, le plus souvent, la SFI ne finance pas plus de 25 p. 100 du coût total d'un projet donné. Par conséquent, nous devons constamment être à la recherche de partenaires qui peuvent investir et prêter avec nous. C'est pour cette raison que j'accorde tellement d'importance à ma visite ici et que je passe beaucoup de temps à rencontrer les membres du milieu financier et du milieu des affaires canadiens.
L'évolution de la pensée économique au cours des 10 dernières années a un effet direct sur les priorités opérationnelles actuelles de la SFI. Parmi ces priorités, il convient d'inclure l'infrastructure, le développement des marchés de capitaux et l'aide aux petites et moyennes entreprises.
C'est dans le domaine des infrastructures, de la production énergétique, des télécommunications, des transports, de l'approvisionnement en eau et de l'épuration des eaux que les conséquences de la tendance mondiale à la privatisation se sont le plus fait sentir. Environ 25p. 100 des nouveaux projets qui ont été approuvés par la SFI l'an dernier étaient dans le domaine des infrastructures. Les besoins sont immenses, et nous prévoyons qu'ils continueront à croître de façon importante.
Nous mettons aussi l'accent sur le développement des marchés de capitaux. Ainsi, la SFI a une multitude d'activités qui visent à bâtir le secteur financier des pays en développement. L'écodéveloppement passe par un objectif à long terme fondamental, celui de faire en sorte que les pays en développement puissent amener leurs épargnants à investir à long terme dans leurs propres institutions. C'est pourquoi le développement des marchés de capitaux a toujours été une des grandes priorités de la SFI. Au fil des ans, nous avons collaboré à l'établissement et au soutien de près de 200 institutions financières aux quatre coins du globe, le plus souvent avec un excellent taux de réussite.
La troisième grande priorité de la SFI, priorité dont je sais qu'elle intéresse votre comité, est d'aider les petites et moyennes entreprises dans des contextes difficiles, par exemple dans des pays n'ayant que de petits marchés, dans des pays en transition et dans des pays où l'accès au financement par actions ou au financement à long terme est limité. Au fil des ans, nous avons investi avec succès dans des activités destinées à soutenir des entreprises de ce genre par l'entremise de nos services de développement de projets et de nos services de conseil aux entreprises. Tous ces services ont été créés en partenariat avec une multitude de donateurs, y compris le Canada.
Nos activités dans ce domaine ont débuté en Afrique subsaharienne. Récemment, nous les avons étendues au Pacifique Sud. Nous prévoyons bientôt lancer un service de développement de projets et un service de prêt aux petites et moyennes entreprises visant à aider le Viêt-nam, le Laos et le Cambodge. Nous prévoyons aussi de mettre sur pied un service destiné aux pays de l'Europe de l'Est et de l'ex-Union soviétique. Nous devons être plus proactifs dans cette région, et nous sommes constamment à la recherche de nouveaux mécanismes pour répondre à ces besoins évidents, notamment dans les régions ou les pays qui attirent le moins de capitaux privés.
Voici un exemple qui illustre bien la situation: dans des pays comme le Pérou et la Bolivie, plus de la moitié du PIB serait attribuable aux micro-entrepreneurs, au soi-disant secteur informel.
Le mois dernier, nous avons approuvé notre premier investissement dans un fonds qui investira dans des micro-institutions financières. Grâce à ce fonds, les micro-institutions financières auront accès à du capital de risque qui leur permettra d'étendre leurs activités et d'élargir leur clientèle de petits entrepreneurs. Le fonds, appelé Pro-fund, est toutefois novateur en ce sens qu'il cherchera à obtenir un fort taux de rendement pour ses investisseurs en misant sur la rentabilité des micro-institutions financières dans lesquelles il investira. Je devrais ajouter que la Calmeadow Foundation of Canada est l'investisseur fondateur de cette compagnie.
Comme toute autre organisation, nous ne sommes pas parfaits, mais nous nous efforçons d'être à l'écoute de nos clients, de nos actionnaires et des auditoires de l'extérieur; s'il y a lieu d'apporter des changements, nous en apportons.
À ce propos, permettez-moi de signaler que nous avons récemment examiné et analysé notre relation avec les institutions financières du secteur privé et que, à la suite d'un effort de collaboration avec plusieurs banques des quatre coins du globe, nous avons émis de nouvelles lignes directrices à l'intention de notre personnel afin d'accroître, non pas la concurrence, mais la collaboration avec les autres institutions financières.
Cet objectif est important tant pour conserver la relation favorable que nous avons avec les investisseurs qui sont nos partenaires que pour nous permettre de jouer au maximum la carte de l'effet de levier. L'effet de levier est nécessaire dans un monde où la privatisation fait augmenter la demande de services financiers et où il faut donc être sélectifs et optimiser l'impact sur le développement. Nous estimons donc avoir l'obligation d'utiliser les capitaux qui nous sont confiés de manière à maximiser l'efficacité et la productivité.
Quand je suis entré en fonction à la SFI il y a deux ans et quelques mois, j'ai lancé une politique axée sur une rigoureuse compression des dépenses qui tient toujours. Nos budgets administratifs sont essentiellement demeurés au même niveau ces dernières années, tandis que notre portefeuille a connu une croissance cumulative moyenne d'environ 15 p. 100 par année. Bien sûr, ces gains de rendement et de productivité ont permis d'améliorer la rentabilité fondamentale de nos opérations de prêt et de participation en actions.
Avant de conclure, je voudrais aborder trois questions qui intéressent votre comité, comme en témoigne votre rapport, De Bretton Woods à Halifax et au-delà. La première question est celle de la performance au chapitre de l'environnement d'institutions multilatérales comme la SFI. La deuxième est la transparence de nos opérations - ou l'importance de la divulgation de renseignements, si vous voulez. La troisième, c'est la coopération et la coordination entre les différentes institutions qui composent le Groupe de la Banque mondiale.
Je veux d'abord vous parler de l'environnement. Dans toutes nos activités, nous nous efforçons de faire en sorte d'investir dans des projets qui ne risquent pas de nuire à l'environnement. Je conviens que, par le passé, l'environnement n'a pas toujours eu l'importance qu'il aurait dû avoir; cependant, quand je suis arrivé à la SFI il y a deux ans, j'ai bien indiqué dès le départ que l'environnement avait toujours été une de mes grandes priorités. À mon avis, la SFI a l'obligation d'être un chef de file dans les efforts pour améliorer la performance environnementale du secteur privé dans les pays en développement. Cela n'est pas toujours facile. Ainsi, il arrive souvent que nous exigions de nos clients du secteur privé qu'ils appliquent des exigences environnementales qui sont bien plus rigoureuses que les normes du gouvernement local, et partant de leurs concurrents immédiats.
Ces trois dernières années, nous avons considérablement resserré nos normes environnementales et veillé avec plus de rigueur à leur mise en oeuvre. Nous avons élaboré ces politiques en étroite collaboration avec le Canada et d'autres intervenants clés, entre autres, qui mettent beaucoup l'accent sur les questions environnementales au conseil d'administration. En cours de route, nous avons largement consulté les ONG intéressées, même si nous n'avons pas toujours réussi à nous entendre parfaitement avec elles.
Même si l'importance des effectifs n'est pas en soi un élément déterminant, la SFI a plus que doublé les effectifs qu'elle affecte au travail environnemental depuis trois ans. J'ai également désigné un des vice-présidents aux opérations de la SFI pour s'occuper des questions relatives à l'environnement et à la divulgation de renseignements pour l'ensemble de l'entreprise. Ces questions sont ainsi plus susceptibles de recevoir l'attention qu'elles méritent au niveau de la direction et à l'échelle de l'organisation dans son ensemble.
Non seulement nous nous intéressons aux mesures correctives, mais nous faisons la promotion active des possibilités d'investissement dans le secteur environnemental.
Quant à la divulgation de renseignements, la SFI s'est dotée il y a un an et demi d'une nouvelle politique à ce sujet et, en décembre dernier, nous avons revu cette politique et l'avons renforcée en fonction des 18 premiers mois de son application. Encore là, notre politique a été élaborée après des consultations exhaustives avec les ONG, et elle nous amène donc à publier beaucoup plus de renseignements détaillés sur les divers projets avant même qu'une proposition d'investissement ne soit soumise au conseil d'administration.
La SFI a dû relever le défi d'élaborer une politique de divulgation de renseignements qui assure un équilibre raisonnable entre l'obligation de transparence et la nécessité de respecter le caractère forcément confidentiel de renseignements commerciaux qui nous sont fournis par nos clients du secteur privé. Dans l'élaboration de notre politique sur la divulgation de renseignements, nous avons été guidés par la nécessité de publier les renseignements suffisamment à l'avance pour que les personnes qui pourraient être touchées par un projet puissent être consultées et avoir leur mot à dire.
Pour favoriser la compréhension et l'établissement de nouveaux partenariats, nous avons voulu compléter notre politique renforcée sur la divulgation de renseignements par un programme de liaison avec les ONG. Ainsi, dès que des dirigeants de la SFI se rendent dans un pays membre, nous allons rencontrer les ONG afin de les consulter et d'établir de nouveaux liens avec elles. C'est d'ailleurs dans cette optique que je rencontrerai plus tard aujourd'hui un groupe d'ONG canadiennes.
J'ai quelques mots à vous dire au sujet de la collaboration avec la Banque mondiale. Le mois prochain, votre comité recevra le président du Groupe de la Banque mondiale, Jim Wolfensohn. Une des grandes priorités du président du Groupe, qui est certainement une de mes priorités à moi, c'est d'améliorer la coordination et la coopération au sein du Groupe de la Banque mondiale. La SFI et la banque travaillent d'arrache-pied afin de réaliser cet objectif, même si ce n'est pas là chose évidente, notamment parce que la Banque mondiale et la SFI ont deux cultures assez différentes.
Je vous donne un exemple. Jusqu'à cette année, les représentants de la SFI et ceux de la banque travaillaient le plus souvent de façon indépendante quand il s'agissait d'élaborer leur stratégie opérationnelle pour un pays donné. Par conséquent, la SFI ne pouvait pas profiter pleinement des connaissances que la banque avait acquises, notamment au niveau macro-économique, et la banque ne pouvait pas non plus profiter pleinement de l'expérience acquise par la SFI grâce à son travail sur le terrain auprès du secteur privé.
Nous participons maintenant à un programme pilote de stratégies d'aide conjointes; dans le cadre de ce programme, la banque et la SFI collaboreront à l'élaboration d'une stratégie globale du Groupe de la Banque mondiale pour un nombre limité de pays, afin de déterminer si une stratégie de ce genre pourrait être utile.
D'autres mesures ont aussi été prises afin d'assurer une meilleure coordination des activités du Groupe de la Banque mondiale auprès du secteur privé. Ainsi, le président Wolfensohn a confié à un directeur général, M. Richard Frank, la responsabilité générale de ces activités, en lui demandant, au besoin, de les rationaliser et d'éliminer le double emploi.
Je demeure toutefois convaincu que le monde a besoin d'un Groupe de la Banque mondiale sain et bien géré. Sans le travail de réforme macro-économique entrepris par la banque et les gouvernements concernés et sans les investissements sociaux de la banque dans la santé et l'éducation, le travail de la SFI auprès du secteur privé n'aura qu'un effet marginal au fil des ans. Il faut que tous les outils nécessaires soient en place.
Je laisse à M. Wolfensohn, qui doit venir vous rencontrer le mois prochain, le soin de vous parler de façon plus détaillée des changements qui sont en voie d'être mis en oeuvre à la banque.
Merci beaucoup pour votre attention et pour votre patience. Je suis ravi d'être ici, et j'attends impatiemment de répondre aux questions ou aux observations que voudront formuler les membres du comité.
Le coprésident (M. Graham): Merci beaucoup, monsieur Lindbaek.
Vous avez eu raison de faire allusion au rapport de notre comité, puisque ce rapport montre bien l'importance que les parlementaires accordent maintenant aux questions relatives tant à la Banque mondiale qu'à la Société financière internationale.
Je crois que vous constaterez que les parlementaires s'intéressent de plus en plus aux activités de vos institutions, car ils savent comme les Canadiens considèrent que ces institutions jouent un rôle très important dans l'exécution de nos programmes d'aide publique au développement. Cette séance conjointe du Comité des finances et du Comité des affaires étrangères met en lumière l'importance que les partenaires attachent au travail de votre société.
C'est une excellente idée de rencontrer les ONG cet après-midi; elles aussi ont des enjeux dans cette affaire.
M. St. Denis et moi-même savons que nous disposons de très peu de temps. Il y a beaucoup de députés ici. Personne n'aura plus de cinq minutes pour poser ses questions. Nous espérons que personne ne dépassera quatre minutes. Nous essaierons de permettre aux députés de poser autant de questions que possible. Nous alternerons entre l'opposition et les ministériels du Comité des finances et de celui des affaires étrangères.
[Français]
Monsieur Paré, cinq minutes.
[Traduction]
Excusez-moi, monsieur Paré. Un avis de motion m'avait déjà été remis. M. Duhamel voulait soulever brièvement...
[Français]
M. Duhamel (Saint-Boniface): Je crois que vous avez répondu à la question.
[Traduction]
Ma question est essentiellement de savoir comment vous choisissez les intervenants. Vous avez parlé des partis. Une décision a-t-elle été prise?
Le coprésident (M. Graham): Oui, nous allons alterner entre les représentants du Comité des affaires étrangères et ceux du Comité des finances, et les deux présidents essaieront de donner une chance à chacun.
[Français]
M. Paré (Louis-Hébert): Je remercie M. Lindbaek d'être présent parmi nous. C'est toujours intéressant de rencontrer les grands mandarins qui gèrent l'argent que le Canada consent pour le développement international.
On a souvent reproché aux institutions financières internationales d'investir dans de grands projets qui ne respectaient pas toujours les populations et l'environnement.
On se rappelle aussi que les institutions financières internationales ont souvent imposé aux pays en voie de développement des programmes d'ajustement structurel qui ont contribué à appauvrir davantage les populations les plus démunies.
Je suis donc heureux et très satisfait de constater que vous vous êtes donné comme objectif, entre autres, d'atténuer la pauvreté et de travailler au développement durable.
J'aimerais vous poser quelques questions. Dans la centaine de pays en voie de développement où vous avez mené des projets, quelle place occupe la société civile?
Vous avez aussi un peu parlé des ONG. Les ONG sont-elles consultées seulement au moment du lancement d'un projet ou sont-elles associées à la réalisation des projets?
Quelles préoccupations avez-vous quant à la défense des droits de la personne? En avez-vous, des préoccupations de ce type-là? Posez-vous des gestes visant à favoriser l'émergence d'une société démocratique dans les pays en voie de développement où vous intervenez?
Enfin, quels mécanismes vous êtes-vous donnés pour évaluer l'atteinte des objectifs en termes d'élimination de la pauvreté et de recherche du développement durable?
Avez-vous seulement des intentions ou si vous vous êtes donné des mécanismes pour évaluer l'atteinte des objectifs?
[Traduction]
M. Lindbaek: Préférez-vous que je réponde tout de suite?
Le coprésident (M. Graham): Oui, si vous le voulez bien.
M. Lindbaek: Tout d'abord, nos rapports avec les ONG, les consultations directes que nous effectuons, sont relativement de fraîche date. De fait, j'ai pris sur moi de tenir des consultations récemment auprès des ONG établies dans la région de Washington afin d'écouter leurs préoccupations et de voir si nous pouvions améliorer la consultation à la fois sur les projets et sur les grandes orientations.
Beaucoup de ces organisations appuient dans les grandes lignes ce que nous faisons. Mais il en restera toujours qui auront des réserves.
Les politiques dont nous nous sommes dotés relativement à l'environnement et à la divulgation de l'information garantissent qu'il y aura des consultations à Washington - en s'assurant que les documents sur le projet sont à la disposition des citoyens suffisamment à l'avance, avant que le conseil n'en discute - et que l'on tiendra des consultations publiques sur les projets auprès des ONG. Je parle de ceux qui sont les plus compliqués du point de vue écologique.
Je serais heureux de vous donner des renseignements plus détaillés sur nos procédures environnementales, mais je crains que cela ne soit trop long. Chose certaine, les procédures dans ce domaine dans une institution comme la SFI sont en constante évolution. Pour nous, les échanges avec les groupes touchés font partie de cette évolution.
Vous avez parlé des droits de l'homme et des efforts visant l'instauration d'un régime démocratique dans les pays où nous travaillons dans le but ultime d'atténuer la pauvreté. Vous avez aussi parlé du rôle des divers programmes de prêt.
Il n'est sans doute pas nécessaire de vous le rappeler, mais la SFI ne prête pas aux gouvernements comme tels. Nous ne participons pas à ces programmes de prêt. Cela est réservé à la Banque mondiale ou aux banques de développement régionales. Quant à nous, nous collaborons exclusivement avec le secteur privé dans les pays en développement.
Nos statuts nous empêchent de tenir compte de l'aspect politique lorsque nous étudions un projet. Néanmoins, il est vrai que le type de société dans lequel nous travaillons influencera ce que nous pensons du projet. Si cette société ne fonctionne pas de façon raisonnable, cela signifie qu'il est impossible pour nous d'attirer des capitaux en provenance d'autres bailleurs de fonds.
J'ajouterais que...
Le coprésident (M. Graham): Monsieur Lindbaek, je suis désolé de vous interrompre; mais comme beaucoup d'autres députés veulent poser des questions, peut-être pourriez-vous aborder les autres sujets en réponse à d'autres questions. Pour veiller à ce que les autres députés soient traités équitablement, je dois céder la parole à quelqu'un d'autre. Merci.
Le coprésident suppléant (M. St. Denis): Je vous remercie de votre question, monsieur Paré.
La première question du Parti réformiste sera posée par M. Grubel.
M. Grubel (Capilano - Howe Sound): Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Lindbaek. Je suis heureux de vous recevoir parmi nous.
Nous savons tous que le Groupe de la Banque mondiale et la SFI ont joué un rôle important dans les années d'après-guerre, à une époque où les marchés internationaux de capitaux laissaient beaucoup à désirer. Nous savons également que ces marchés ont aujourd'hui atteint un degré de perfectionnement quasiment exaspérant, vu la vitesse avec laquelle les capitaux transitent d'un endroit à l'autre et viennent contrecarrer les politiques nationales des pays.
Maintenant que les marchés privés de capitaux sont efficaces à ce point, la question est de savoir s'il y a encore place pour le Groupe de la Banque mondiale, et en particulier pour la SFI. Sauf erreur, la société, quand elle avance des capitaux, doit rentrer dans ses frais. Savez-vous quel pourcentage des capitaux injectés dans les pays en développement il y a 20 ou 30 ans provenaient de la SFI? Quel est ce pourcentage aujourd'hui? Ce pourcentage a beaucoup baissé. Avez-vous les chiffres en tête? Ce n'est peut-être pas juste de vous poser la question, mais...
M. Lindbaek: Je peux demander à un de mes collaborateurs de chercher les chiffres. L'activité de la SFI a connu une croissance spectaculaire, comme je vous l'ai dit, mais nous ne représentons encore qu'une toute petite partie des capitaux injectés dans les pays en développement.
Ce qui est intéressant, c'est la croissance très rapide des mouvements de capitaux privés vers les pays en développement. Ces mouvements représentent une partie beaucoup plus importante du financement dans les pays en développement, tandis que le financement d'origine publique est resté relativement stable.
J'aimerais partager votre optimisme en ce qui concerne le degré de perfection des marchés de capitaux. En effet, dans la très grande majorité des pays en développement, il n'y a tout simplement pas de financement à long terme pour les projets du secteur privé. C'est le cas dans la plupart des pays d'Amérique latine et dans de nombreux autres d'Extrême-Orient et dans la majorité des pays d'Afrique.
Notre rôle est de corriger un tant soit peu les imperfections majeures du marché. Il est peut-être possible d'obtenir des prêts pour une ou deux années, mais dans la plupart des pays il est impossible de trouver du financement à long terme pour un projet industriel.
M. Grubel: Pourquoi?
M. Lindbaek: Il y a bien des raisons à cela. En un mot, c'est qu'il faut des économies, et pour que les gens économisent il faut qu'ils aient confiance dans la monnaie. Et pour qu'ils aient cette confiance, il faut juguler l'inflation.
M. Grubel: Je ne parle pas des marchés internes qui ont des problèmes. Pourquoi les marchés du secteur privé d'autres pays n'investissent-ils pas là-bas?
M. Lindbaek: En termes simples, c'est à cause de la perception de risque politique que présente le pays. La crise mexicaine est un bon exemple de ce qui arrive sur les marchés de capitaux. Beaucoup de pays d'Extrême-Orient et d'Afrique subsaharienne sont jugés trop instables sur le plan politique pour que les institutions financières du secteur privé dans le monde industrialisé soient disposées à y investir.
M. Grubel: Mais la SFI, c'est nous.
M. Lindbaek: Oui.
M. Grubel: Dans ce cas, cela devrait transparaître dans le rendement, par exemple. C'est une forme de subvention que vous offrez aux pays en développement.
M. Lindbaek: Nos prix sont fixés en fonction des conditions du marché. Il est difficile de déterminer ce que sont ces conditions lorsqu'il n'y a pas de solution de rechange, mais je peux vous assurer que nous prenons une marge bénéficiaire très importante pour acquitter nos dépenses administratives et nous prémunir contre les risques de mauvaises créances que nous assumons. Nous fonctionnons tout à fait comme une entreprise commerciale.
M. Grubel: Les avantages pour la société viennent donc de la diversification du risque politique dans ces pays.
M. Lindbaek: Nous essayons toujours de monter des entreprises et des projets viables dans les pays en développement, des compagnies qui peuvent résister à l'épreuve du temps et soutenir une concurrence internationale féroce. Les 169 pays souscripteurs nous ont confié un mandat international, qui est de canaliser des fonds en direction de projets du secteur privé dans les pays en développement, dont un grand nombre ne verraient jamais le jour sans notre aide.
Le coprésident suppléant (M. St. Denis): Merci beaucoup, monsieur Grubel et monsieur Lindbaek.
La première question des banquettes ministérielles viendra de M. Duhamel.
M. Duhamel: Monsieur Lindbaek, je vous remercie de votre exposé.
J'aimerais vous poser deux brèves questions. Pour le profane, le marché semble compter un très grand nombre d'intervenants. Il semble y avoir chevauchement des mandats, chevauchement des services sur le plan géographique et aussi certaines lacunes, puisque certains besoins ne sont pas comblés. Ma description est peut-être imparfaite, et j'aimerais entendre votre réaction.
Deuxièmement, quel résultat souhaitez-vous obtenir de la rencontre d'aujourd'hui?
M. Lindbaek: L'appui sans faille du Canada pour les activités de la Société financière internationale et de l'ensemble du Groupe de la Banque mondiale.
La SFI est une institution unique en son genre, la seule source de capitaux pour le financement à long terme et le financement par actions dans un grand nombre de pays en développement. Par contre, nous sommes à la limite de nos capacités. Près de 100 pays sont représentés dans notre portefeuille. Nous avons réalisé des projets dans 65 pays l'année dernière et, grâce à notre budget relativement peu important et à notre effectif d'environ 1200 employés à travers le monde, nous essayons de répondre aux besoins d'une multitude de pays ainsi qu'aux souhaits d'une très vaste clientèle. Ce n'est pas une mince tâche, mais la SFI prend rapidement de l'expansion, et nous espérons nous en acquitter de la meilleure façon qui soit.
Pour ce qui est des lacunes et du chevauchement, j'aimerais vous parler de la collaboration que nous entretenons avec des institutions bilatérales comme la SEE. Nous sommes associés dans de nombreux projets et nous collaborons à des projets de développement avec la SEE et d'autres institutions bilatérales analogues partout dans le monde. Ce n'est pas un chevauchement d'énergies. Souvent, ces institutions nous font profiter de leurs connaissances du pays où nous travaillons et nous font connaître des bailleurs de fonds canadiens inconnus jusqu'alors.
De même, nous travaillons également avec des banques de développement et des institutions financières multilatérales. Par exemple, nous collaborons avec la BERD en Europe de l'Est. C'est de la complémentarité, pas du chevauchement.
M. Duhamel: Dans ce cas, j'aimerais avoir une précision. Vous dites que le chevauchement n'est pas un problème et que les interactions entre ces divers intervenants sont en fait très salutaires. Je vous ai bien compris?
M. Lindbaek: C'est ce que je crois, oui. Je n'ai pas d'inquiétudes à propos du chevauchement. Si cela se trouve, j'aurais plutôt peur du contraire.
M. Assadourian (Don Valley-Nord): Je vous remercie beaucoup de votre exposé.
L'année dernière, je me suis rendu dans des pays en développement, et il y a deux ans je me suis rendu dans des pays de la CEI. On parlait beaucoup d'entreprises en participation, et cela m'inquiète beaucoup. Pour moi, une entreprise en participation, c'est un raccourci vers un compte en banque suisse. Ce qui m'inquiète beaucoup, c'est la corruption. Comment séparez-vous l'ivraie du bon grain? Comment vérifiez-vous où l'argent aboutit, et quelle est l'efficacité de votre investissement?
M. Lindbaek: Ma réponse risque d'être longue, monsieur.
M. Assadourian: Nous avons 40 minutes. Allez-y.
Le coprésident (M. Graham): Quoi qu'il en soit, nous n'avons pas le temps de faire l'aller-retour entre le Canada et la Suisse.
M. Lindbaek: Nous reconnaissons tous que l'absence de transparence est un gros problème partout dans le monde, aussi bien dans les pays industrialisés que dans les pays en développement.
À la SFI, nous collaborons avec le secteur privé et nous exerçons donc un contrôle rigoureux sur le coût de chaque projet. Nous avons donc une assez bonne idée du coût du projet. Cela nous rassure un peu contre les risques de détournement de fonds. C'est peut-être la chose la plus importante.
Les méthodes d'évaluation de la SFI sont très minutieuses et c'est pourquoi on nous taxe un peu de lenteur bureaucratique. Pour moi, c'est plutôt de la rigueur et je prends cela comme un compliment.
Pour ce qui est de la conduite du projet, nous sommes souvent représentés au conseil d'administration de ces co-entreprises que nous finançons et nous contrôlons en permanence ce qui se fait. Je ne peux pas vous assurer que nous pourrons éviter les problèmes de ce genre à l'avenir pas plus que maintenant, mais je pense que nous avons des méthodes de surveillance supérieures à ce que vous trouverez ailleurs. De plus, si les financiers ou les bailleurs de fonds de ces projets projetaient, disons, d'avoir recours à des pratiques douteuses, ils ne s'adresseraient sans doute pas à la SFI parce qu'ils savent que nous exigeons la transparence et imposons des contrôles minutieux.
M. Assadourian: J'ai une brève question. Identifieriez-vous un pays par son nom si vous aviez vent de corruption ou de détournement de fonds? Identifieriez-vous ce pays sur la place publique pour que le Canada, et non pas votre Société, puisse suivre la situation et ne répète plus son erreur? Les résultats de vos enquêtes restent-ils secrets?
M. Lindbaek: Malheureusement, je ne peux pas vous promettre que nous le ferions. Il s'agit normalement de renseignements commerciaux confidentiels. Cela nous empêcherait de faire des affaires avec ces entreprises ou ces individus par la suite. Notre rôle n'est pas celui d'un policier.
M. Assadourian: Merci.
Le coprésident suppléant (M. Denis): Merci. Monsieur Pomerleau, je vous en prie.
[Français]
M. Pomerleau (Anjou - Rivière-des-Prairies): Merci, monsieur Lindbaek, pour votre présentation.
J'aimerais vous poser une question qui a trait jusqu'à un certain point à ce que M. Grubel nous disait plus tôt. Vous avez fait remarquer que, dans plusieurs pays du monde, le financement privé était difficile à obtenir à long terme. Vous avez cité l'Afrique et quelques pays de l'Amérique du Sud, entre autres. Comme M. Grubel le disait plus tôt, les ressources financières qui ont été mises à la disposition des pays en voie de développement par la Société financière internationale semblent avoir beaucoup diminué au cours des années.
Votre société est probablement en concurrence avec le capital international privé qui appartient à d'autres organisations. Comment définiriez-vous alors la nature de ce que vous faites? Pourquoi existez-vous si le capital privé fait déjà ce que vous faites?
[Traduction]
M. Lindbaek: Merci. Je vous dirai tout d'abord que dans la plupart des pays d'Amérique latine, il est impossible pour les compagnies ou des entreprises du secteur privé de trouver du financement à long terme. Même les entreprises les plus fortes de ces pays n'arrivent pas aujourd'hui à obtenir du financement pour plus de deux ou trois ans. Les services que procure la SFI, en collaboration avec d'autres participants, y compris les banques canadiennes - sont très en demande.
Vous avez donc tort de croire que les marchés internationaux se livrent la concurrence pour consentir des prêts à des projets du secteur privé dans les pays en développement. Ce n'est pas le cas.
Nous-mêmes avons tâché d'être ouverts et transparents en ce qui concerne notre politique de concurrence avec les institutions du secteur privé. Nous avons examiné à fond la question de concert avec un grand nombre de banques internationales, certaines parmi les plus grandes au monde. Elles ont eu l'occasion de discuter librement de nos règles de concurrence et de collaboration avec les banques internationales. Cela a abouti à un document publié il y a six mois et qui constitue aujourd'hui nos lignes directrices. Dans l'ensemble, ce document a été très bien reçu par les milieux de la finance internationale et a permis de définir plus clairement les zones de collaboration pour l'avenir.
Ce problème est donc à mon avis bien moins grave qu'il n'en a l'air. La SFI est l'une des rares sources de capitaux aujourd'hui pour le secteur privé dans la plupart des pays en développement.
Le coprésident (M. Graham): Merci. Monsieur Flis.
M. Flis (Parkdale - High Park): J'ai voulu vous poser, comme première question, quelles recommandations - du document intitulé De Bretton Woods à Halifax et au-delà ont été acceptées et mises en oeuvre par la SFI. Vous avez déjà répondu à cette question lors de votre déclaration préliminaire, ce qui plaît énormément aux membres du comité.
La SFI a été fondée en 1956. Il s'ensuit que votre groupe a été surtout actif, du point de vue financier, au sommet de la Guerre froide entre les deux superpuissances. Cette époque est maintenant révolue. Voici la question que je vous pose. Les anciennes prises de position adoptées pendant la Guerre froide ont-elles eu des répercussions sur la participation de la SFI à certains projets? Cuba me vient à l'esprit. Avez-vous des projets à Cuba? Et est-ce que le projet de loi Helms adopté tout récemment pourrait empêcher la SFI de faire affaire à Cuba? Nous avons des sociétés canadiennes ou des sociétés privées qui y font affaire. Est-ce que ces sociétés auront droit à une aide de 25 p. 100 de la SFI?
Toujours dans le même ordre d'idées, vous avez dit que vous assurez une certaine aide aux pays de l'Europe centrale et de l'Europe de l'Est. Permettez-moi de vous donner un exemple. Un pays comme le Bélarus a besoin de beaucoup de notre aide. La politique militaire et commerciale de ce pays est très pro-Russie. Par contre, un pays comme l'Azerbaïdjan a adopté, dans ces mêmes domaines, une politique très anti-Russie. Les besoins y sont encore plus pressants. Ce pays compte sept millions d'habitants, dont un million de réfugiés. Est-ce que les lignes de conduite de l'après-Guerre froide ont un impact sur la SFI, surtout en ce qui concerne Cuba et les pays de l'ex-Union soviétique?
M. Lindbaek: Merci. Premièrement, permettez-moi de vous dire qu'on ne peut entamer un projet que si le pays est membre de la SFI et Cuba n'est pas un membre de la SFI aujourd'hui. Si jamais Cuba devient un membre de notre organisme, nous serions heureux de poursuivre nos activités dans ce pays.
Lorsqu'il s'agit de l'ex-Union soviétique et les pays tels que le Bélarus et l'Azerbaïdjan, nous essayons de faire notre possible, compte tenu de nos ressources, de développer nos activités dans ces pays. Permettez-moi de vous parler d'abord de la Russie. Nous avons investi dans environ 15 projets différents - surtout des projets d'envergure - dans le secteur pétrolier, gazier et minier et également dans l'industrie de la papeterie et dans des projets de fabrication générale de bien des sortes.
Nous avons également des projets majeurs en Russie, lesquels s'étendent maintenant à l'Ukraine, où on est en train de privatiser la terre agricole avec l'aide du financement donateur, qui provient surtout des Britanniques et des Américains. C'est un projet permanent d'une grande envergure. Nous avons déjà privatisé plus d'une centaine des grandes fermes de l'État dans la région de Nizhni Novgorod. Il s'agit en quelque sorte d'une période de rodage.
Notre méthode de privatisation des terres agricoles a été adoptée par le Parlement de la Russie comme la norme devant s'appliquer à tout le pays, mais je crois que nous savons tous qu'il s'agit d'une question politique très controversée intérieurement. Je crois que vous pouvez également envisager les conséquences énormes si jamais on réussit à transformer l'agriculture en Russie.
Alors nous tâchons de faire de notre mieux, tout comme nous avons fait au tout début en accordant de l'aide à la Tchécoslovaquie, qui était le nom de ce pays à l'époque, ainsi qu'à la Pologne et à la Hongrie. Nous essayons d'aider les pays baltiques. Nous faisons des efforts partout.
M. Flis: La Banque européenne pour la reconstruction et le développement a été fondée en 1991. Elle peut prêter jusqu'à 60 p. 100 de ses ressources au secteur privé; vous pouvez prêter jusqu'à 25 p. 100. Expliquez-nous comment la SFI peut collaborer avec les banques régionales, comme la BERD, pour aider ces pays en transition?
M. Lindbaek: On a fondé la BERD dans le but précis d'aider l'Europe de l'Est et l'Europe centrale ainsi que l'ex-Union soviétique. À nos yeux, il s'agit d'une région parmi bien d'autres. Cette banque peut investir beaucoup plus de ressources dans cette région que nous ne pourrions espérer le faire.
Nous travaillons en collaboration avec la BERD parce qu'un bon nombre de ces projets exigent un capital et une aide qui dépassent largement les ressources individuelles de chacun de nous. Par conséquent, souvent il y a de la place pour nous deux. Nous nous aidons mutuellement et souvent notre travail se fonde sur l'évaluation de l'autre institution.
Quant aux plus petits projets, il y une certaine concurrence, mais je crois qu'il s'agit essentiellement d'une concurrence plutôt saine.
M. Morrison (Swift Current - Maple Creek - Assiniboia): M. Lindbaek, j'aimerais vous poser une question qui relève du contexte purement canadien.
La plupart des investissements canadiens dans les pays en voie de développement sont sous forme de capital propre pour les compagnies multinationales et sous forme d'initiatives promotionnelles. En effet, certaines initiatives promotionnelles sont d'une grande envergure. Appliquez-vous les mêmes règles qu'une banque privée lorsque vous accordez des prêts aux compagnies, c'est-à-dire, est-ce que votre participation dépend de la volonté de ces gens à dépenser leur propre argent, leur capital propre? Suivez-vous cette politique? Ou bien, est-ce que vous investissez, par exemple, dans des projets miniers promotionnels pour lesquels la compagnie commanditaire investit son capital propre?
M. Lindbaek: Permettez-moi de vous rappeler que notre financement d'un projet ne dépasse pas 25 p. 100 du coût. Par conséquent, nous sommes toujours à la recherche de bons partenaires. C'est l'une des raisons qui explique notre présence ici. Nous collaborons avec plusieurs sociétés minières canadiennes importantes à des initiatives aux pays en voie de développement là où certaines difficultés se posent.
La question du plan de financement d'un projet est, bien entendu, le sujet de vifs débats et de négociations, comme vous pouvez très bien comprendre.
Il est dans notre intérêt d'avoir un partenaire stratégique fort, comme, par exemple, une société minière canadienne. Nous aimerions que ce partenaire investisse, de façon raisonnable, un certain capital propre pour nous convaincre de son engagement face au projet et pour que ce partenaire ait des intérêts dans le succès du projet. C'est une sorte d'encouragement. Par contre, nous sommes tout à fait prêts à collaborer, en tant que partenaires et de fournir une part de capital propre et peut-être lui accorder une partie du financement du prêt et leur obtenir des fonds des banques internationales par l'entremise de notre syndication. Grosso modo, c'est comme cela que ça marche.
Parfois cette question de financement par capitaux propres de la part du partenaire international peut poser un obstacle dans des négociations, mais nous devons exiger que le partenaire stratégique investisse de façon importante pour s'assurer que ce dernier s'engage vraiment à entreprendre le projet.
M. Morrison: Merci.
Le coprésident (M. St. Denis): Merci, monsieur Morrison. Dianne Brushett, s'il vous plaît.
Mme Brushett (Cumberland - Colchester): Merci, monsieur le président. J'ai une courte question.
Ma question découle d'autres questions soulevées, notamment par les journaux internationaux, qui signalent que la Banque mondiale et la SFI résistent à la mise en oeuvre de certaines de ces réformes que vous avez mentionnées - c'est-à-dire la transparence et l'élimination du chevauchement - et que vous ne pouvez pas réaliser les réformes comme vous voulez en raison de leur résistance à l'intérieur de votre propre bureaucratie.
Étant donné les coûts administratifs, et, comme d'autres membres l'ont déjà suggéré, la circulation libre sans précédent de capital à travers le monde aujourd'hui, peut être que la Banque mondiale et la SFI ont fait leur temps et que nous n'arrivons pas à faire les modifications de façon assez rapide et ainsi optimiser les investissements. Peut-être que les États-Unis seraient parmi les premiers à s'orienter dans cette direction.
M. Lindbaek: Je crois fermement qu'il faut suivre les programmes responsables. C'est à moi qu'il incombe de veiller à ce que l'organisme, au fil des ans, mette en oeuvre ces programmes de façon responsable.
Vous avez tout à fait raison de dire qu'un organisme ne réagit pas toujours très bien au changement et qu'il faut du temps, tout simplement, pour établir les compétences professionnelles voulues dans un domaine comme, par exemple, l'environnement. Je ne prétends pas que tout est parfait, mais je peux assurer que la direction de la SFI ainsi que de la Banque mondiale ont fait de ces problèmes une priorité.
Mme Brushett: Croyez-vous pouvoir améliorer la situation ou résoudre leurs problèmes assez rapidement?
M. Lindbaek: En effet, on a constaté une nette amélioration des programmes relatifs à l'environnement et à la divulgation de la SFI par rapport à ce qui se faisait il y a cinq ans. À cet égard, on a fait beaucoup de progrès assez vite.
Mme Brushett: Merci.
Le coprésident suppléant (M. St. Denis): M. Peterson.
M. Peterson (Willowdale): Merci beaucoup, monsieur le président.
Un des plus grands rêves des signataires de l'Accord de Bretton Woods en 1947, soit il y a environ 49 ans, était de pouvoir faire disparaître les disparités entre le monde développé et les pays en voie de développement. Cependant, ces dernières années on a constaté que l'aide intergouvernementale pour le développement a baissé, et l'Organisation des Nations Unies a énormément de difficultés à obtenir les fonds dont elle a besoin.
Sans une augmentation énorme de l'aide au développement à l'étranger, croyez-vous que les initiatives d'organisations comme la vôtre, la SFI, qui s'efforce de promouvoir les investissements du secteur privé, parviendront vraiment à réaliser les niveaux de développement que nous voulons voir dans le tiers monde?
M. Lindbaek: Le fait est qu'actuellement le taux de croissance des pays en voie de développement est plus rapide que celui des pays développés, mais leur point de départ est beaucoup plus bas.
Il faut noter aussi qu'à l'intérieur du groupe de pays développés, le taux de croissance est malheureusement très inégal. Dans certains pays le taux de croissance est très rapide, tandis que beaucoup d'autres font très peu de progrès.
Il est intéressant d'étudier le cas des pays qui ont connu du succès. Au cours d'une seule génération, certains pays de l'Extrême-Orient qui étaient des pays en voie de développement sont devenus des partenaires de premier plan sur la scène mondiale, ce qui est, il faut le reconnaître, un exploit. C'est donc possible.
Pour remédier à la misère des pays les plus pauvres du monde, l'aide offerte par l'intermédiaire de l'Association internationale de développement et d'autres organismes continuera d'être nécessaire pendant encore longtemps. Je crois que la communauté internationale a l'obligation de continuer à aider ainsi les pays en voie de développement.
La SFI est le seul organisme à l'échelle mondiale qui travaille pour le secteur privé. Nous disposons de moyens très limités. Nos activités augmentent très rapidement, et pour devenir aussi efficaces que nous le voudrions, nous aurons certainement besoin de ressources supplémentaires. La demande de nos services est énorme.
Le coprésident (M. Graham): Monsieur Lindbaek, j'aimerais vous poser une question sur votre visite au Canada. Je crois que vous étiez à Toronto hier où vous vous êtes adressé aux représentants des banques privées car vous voulez qu'elles participent en tant que consortium à vos activités. Pourriez-vous expliquer au comité dans quelle mesure vous avez réussi à cet égard tant au Canada que dans d'autres pays?
Pourriez-vous aussi nous donner votre avis sur une rumeur que j'ai entendue, selon laquelle vous avez de la difficulté à attirer les associations de banques privées car lorsque la SFI est la banque principale participant à un de ces consortiaux elle cherche surtout à protéger ses intérêts, et les banques privées se sentent donc un peu menacées. C'est simplement une rumeur que j'ai entendue et à laquelle je n'accorde absolument pas foi. Mais j'aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Lindbaek: Je suis très heureux de pouvoir mettre fin à cette rumeur, car dans le cadre de notre consortium avec les banques privées, notre participation est exactement la même que celle de nos partenaires. L'avantage que nous offrons aux banques privées du Canada et d'autres pays est que leur participation est protégée en partie contre certains risques politiques et qu'elle jouisse d'un certain niveau d'immunité accordé au projet du fait que le pays est membre de la SFI.
Ces conditions sont à la base de la croissance rapide de notre syndication. Dans ce cadre, nous travaillons avec plus de 100 banques commerciales et d'investissement autour du monde, et l'an dernier, nos activités ont augmenté de plus de 40 p. 100. Pour vous donner une idée de l'importance de ce phénomène, aujourd'hui le volume global de prêts consortiaux est supérieur aux prêts consentis par la SFI elle-même.
Après la crise de l'endettement des années 80, les banques américaines et canadiennes ont hésité ces dernières années à participer à nos programmes, mais je suis content de pouvoir dire que tant les banques que les compagnies d'assurances américaines, ainsi que les banques canadiennes, recommencent à y participer. Je suis venu ici en partie pour réactiver les anciens partenariats et amitiés que nous avons avec les grandes banques canadiennes. Ces dernières nous ont très bien reçus, et je crois qu'elles s'intéressent vivement à la possibilité d'augmenter ces activités à l'avenir.
Le coprésident (M. Graham): Pour une banque privée l'avantage de participer à un consortium grâce à la SFI, est que le pays bénéficiaire du prêt est un membre de votre organisation, et en cas d'inexécution des obligations, les pays prêteurs seraient mieux protégés que s'ils agissaient seuls. Est-ce que cela résume essentiellement les rapports entre les pays participants et votre organisation?
M. Lindbaek: Permettez-moi de vous reprendre sur un point, car nous ne prêtons jamais aux gouvernements. Nous prêtons uniquement au projet du secteur privé dans le pays concerné.
Le coprésident (M. Graham): D'accord.
M. Lindbaek: S'il y a un partenaire canadien et qu'une banque canadienne désire aider son client, soit le partenaire canadien, a réaliser le projet dans le pays en voie de développement, elle peut le faire sous l'égide de la SFI, car elle pourra disposer de la protection contre certains risques et du traitement de faveur dont jouit la SFI. Cela nous permet d'organiser des prêts syndiqués pour certains pays où aucune banque commerciale ne serait actuellement disposée à prêter directement au secteur privé.
Le coprésident (M. Graham): Merci monsieur.
Le coprésident suppléant (M. St. Denis): Monsieur Lindbaek, au nom de tous les membres du comité j'aimerais vous remercier et remercier aussi vos collègues d'avoir passé une heure très utile avec nous aujourd'hui. Il est certain qu'à l'avenir les institutions financières internationales, telle que la vôtre, joueront un rôle de plus en plus important sur la scène mondiale. Nous vous remercions de votre comparution aujourd'hui et vous souhaitons du succès dans vos activités.
M. Lindbaek: Merci beaucoup.
Le coprésident (M. Graham): La séance du Comité permanent des affaires étrangères est levée jusqu'à 15 h 30, quand nous accueillerons le ministre Axworthy. La ministre Stewart ne comparaîtra pas.
La séance est levée jusqu'à 15 h 30. Merci.