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CHAPITRE 7 - PROCESSUS DÉMOCRATIQUES ET DÉVELOPPEMENT DURABLE EN ZONES CIRCUMPOLAIRES : PEUPLES AUTOCHTONES, RÉGIONS NORDIQUES ET INTÉRÊT PUBLIC


Soutenir la participation des communautés autochtones aux affaires circumpolaires

Le principal ingrédient qui assure la réussite des politiques canadiennes est d'une grande simplicité : il suffit de se rendre compte que l'Arctique est peuplé.
Peter Jull189

Les peuples autochtones de l'Arctique, dont l'histoire est marquée depuis longtemps par la colonisation, la marginalisation économique et politique et le déni de leurs droits légitimes sur leurs terres et leurs ressources, réclament aujourd'hui une participation effective au développement durable de leur région et à l'élaboration des décisions qui peuvent influer tant sur leurs droits civiques et politiques que sur leur statut culturel particulier.
Sanjay Chaturvedi190

Pendant toute l'année qu'a duré son enquête, le Comité a remarqué à maintes reprises que les aspirations humaines des peuples des régions circumpolaires - peuples très divers ayant chacun sa propre culture - constituent aujourd'hui l'un des principaux moteurs de l'évolution des priorités dans ces régions, ainsi que des manifestations populaires de plus en plus nombreuses de l'émergence d'une conscience politique circumpolaire. Autrement dit, les stratagèmes éculés des États souverains, par exemple la tendance à considérer l'Arctique comme un «théâtre» d'opérations militaires ou comme une réserve de richesse mondiale, doivent de plus en plus laisser des acteurs non étatiques, dont les préoccupations et les attentes sont différentes à l'égard de la coopération circumpolaire occuper la scène. Il va de soi que ces préoccupations incluent non seulement l'environnement, la santé et le développement économique durable des communautés, mais - ce qui est tout aussi important - l'«autodétermination» politique et la survie culturelle.

Une politique étrangère canadienne orientée vers l'avenir des régions circumpolaires doit tenir compte de cette réalité. Les intérêts étatiques ne se retirent pas d'un champ déjà occupé par une foule d'«intéressés»; en fait, ces intérêts demeurent prépondérants dans certains domaines et sont indispensables à l'établissement des grands objectifs internationaux. C'est plutôt que les gouvernements des États arctiques sont appelés de plus en plus à travailler ensemble pour atteindre des objectifs utiles au chapitre du développement humain durable, et à le faire de manière à respecter et à soutenir aussi bien les droits spécifiques des peuples autochtones que les principes plus généraux de la démocratie. Le Canada ne pourra pas adopter une politique circumpolaire éclairée sans tenir compte des efforts accomplis par les gouvernements des autres pays et par les peuples, les citoyens et les communautés de l'ensemble de l'Arctique.

Au cours d'un témoignage conjoint dans le cadre de l'examen de la politique étrangère du Canada, en 1994, deux des Autochtones les plus remarquables qui se soient présentés devant notre Comité - Mary Simon, qui n'était pas encore ambassadrice du Canada aux Affaires circumpolaires, et Rosemarie Kuptana, alors présidente d'Inuit Tapirisat et qui occupe aujourd'hui le même poste à la Conférence circumpolaire inuit - ont exprimé devant les parlementaires une conviction que nous avons souvent entendue et dans divers contextes.

Les Inuit sont convaincus que les questions de politique arctique ont de plus en plus une portée transnationale et que la coopération et la coordination des régions sont essentielles à la réussite des politiques relatives à l'Arctique. Nous considérons également que des mécanismes officiels doivent permettre aux Inuit de participer activement à l'élaboration d'autres politiques étrangères touchant leurs droits et intérêts191.
Il est clair que les Autochtones de l'Arctique veulent participer activement au processus d'élaboration de la politique circumpolaire, ce qui constitue à leurs yeux un droit, et non un privilège accordé à contrecoeur ou pour des raisons de commodité, et qu'ils souhaitent à la fois que les États arctiques leur reconnaissent, sur le plan international, ce droit de participer. Il n'est donc pas étonnant que l'octroi du statut de «participant permanent» à trois organisations autochtones circumpolaires, et peut-être plus, au Conseil de l'Arctique ait acquis une telle importance. De même, les leaders autochtones canadiens qui ont comparu devant le Comité, notamment Mme Kuptana, le chef Bill Erasmus, de la Nation dénée, ainsi que le chef Matthew Coon-Come et l'ambassadeur Ted Moses, du Grand conseil des Cris du Québec, ont insisté dans leurs témoignages sur la nécessité que le Canada soutienne les droits des peuples autochtones sur la scène internationale, dans le contexte circumpolaire.

Nous avons cité dans la Partie I les commentaires de l'ambassadrice Simon au sujet des changements tout à fait remarquables qui sont en train de transformer le paysage humain et politique des territoires du Nord canadien. Il est vrai que les populations autochtones de l'Arctique canadien sont éparpillées et peu nombreuses, surtout en comparaison avec les minorités et les concentrations urbaines autochtones plus considérables dans l'extrême-nord oriental de la Fédération de la Russie (voir l'encadré 11 consacré au profil des peuples et organisations circumpolaires autochtones) Moins d'un tiers de 1 p. 100 des Canadiens habitent au nord du 60e parallèle. La Commission royale sur les peuples autochtones donne dans son rapport une définition du «Grand Nord» plus étendue, pour y inclure «le grand nord» des provinces; même alors, les Autochtones composent moins de la moitié (42 p. 100) d'une population qui ne s'élève qu'à 152 000 personnes au total. Comme nous l'avons fait remarquer dans les chapitres précédents, 90 p. 100 des Autochtones du Canada vivent dans les régions plus au sud. Pourtant, comme l'ont souligné certains témoins et comme nous avons pu le vérifier au cours de nos visites dans les communautés arctiques, les résidents permanents sont déterminés à prendre leur destinée en mains dans les domaines de la gestion des affaires publiques, de la sécurité et de la protection de l'environnement, du développement économique durable et du partage des connaissances, tant à l'intérieur du Canada que dans un contexte de plus en plus résolument circumpolaire.

Peter Jull faisait remarquer, il y a déjà plusieurs années, que les peuples du Nord ont toujours préféré l'autonomie à l'assimilation ajoutant : «Parachever une infrastructure nationale à l'intérieur de notre propre territoire, par la mise sur pied d'institutions propres aux Autochtones du Canada, fera plus pour assurer la souveraineté du pays que de tracer sur les cartes de l'Arctique des frontières à défendre au moyen de flottes de navires et de discours d'avocats192.» Les progrès de la dévolution des pouvoirs et de la mise en place de structures démocratiques appropriées dans les régions canadiennes situées au nord du 60e parallèle représentent donc un élément essentiel du rôle particulier que le Canada pourrait être amené à jouer dans l'avenir parmi les pays arctiques193. Il reste encore à régler, au sujet de la forme que prendront les gouvernements autochtones, toute une série de questions d'ordre pratique et constitutionnel très complexes et parfois controversées, par exemple l'étendue de l'«autonomie gouvernementale» autochtone et l'avenir des «gouvernements nationaux» plus importants à la suite de la division des Territoires du Nord-Ouest, de même que les innovations proposées au sujet de l'égalité des sexes à la nouvelle assemblée législative du Nunavut194. Ce qui est clair cependant, comme l'ont confirmé nos audiences, c'est que les peuples autochtones du nord du Canada ont trouvé le moyen de s'exprimer et de faire valoir leur volonté de participer aux processus décisionnels, au pays et à l'étranger. Il est donc essentiel d'en tenir compte à toutes les étapes de l'élaboration de la politique circumpolaire195.


Encadré 11 - «Profil des peuples et des organisations autochtones de la région circumpolaire»

La région circumpolaire située au nord du 60e parallèle est habitée par une fraction minime de la population mondiale, soit 9 millions de personnes, dont un sixième (environ 1,5 million) peuvent être considérées comme autochtones, c'est-à-dire originaires de la région arctique. La concentration des habitats et quelques autres caractéristiques démographiques varient grandement d'une partie de la région à l'autre. Dans les rares grandes villes (Anchorage, en Alaska, ou encore Novossibirsk, en Sibérie) les minorités autochtones sont très peu nombreuses. Toutefois, dans plusieurs régions septentrionales, elles jouent un rôle politique plus marqué et sont plus déterminées que jamais. En certains endroits - surtout dans la partie orientale de l'Arctique canadien, dans le nord du Québec, au Labrador et au Groenland - les majorités autochtones (dans ce cas, les Inuit, qui représentent plus de 80 p. 100 de la population) ont déjà obtenu, ou sont en train d'acquérir, une certaine autonomie administrative sur ces territoires qu'elles revendiquent depuis toujours.

Dans l'Arctique nord-américain, d'une façon générale, le pourcentage d'Autochtones augmente à mesure qu'on avance d'ouest en est. Les diverses communautés de l'Alaska (on y parle quelque vingt langues) ne représentent que 15 p. 100 de la population de l'État - environ 85 000 personnes. Dans l'immense Arctique canadien, où vivent moins d'un tiers de un pour cent des Canadiens, on compte moins de 60 000 Autochtones au total. C'est au Yukon que le pourcentage d'Autochtones est le plus faible, soit environ 25 p. 100. À peu près la moitié de la population des Territoires du Nord-Ouest est autochtone : elle a une ascendance mélangée (indienne, métisse et inuvialit) dans la partie occidentale, mais est en grande majorité inuit dans la partie orientale, c'est-à-dire dans la région qui deviendra le nouveau territoire du Nuvavut en 1999. Dans la partie nord du Québec et du Labrador, les Inuit (quelque 8 000) forment une majorité comparable dans leur région, le Nunavik, tandis que plusieurs milliers d'Innus vivent dans la zone adjacente du Labrador. Environ 9 000 Cris occupent leurs terres ancestrales dans la région de la Baie James, tandis que quelques milliers d'Indiens appartenant à d'autres tribus (Naskapis et Montagnais) sont éparpillés dans la moitié nord du Québec et du Labrador. Au Groenland voisin, la plus grande île de la planète, vivent 45 000 Inuit (qui représentent plus de 80 p. 100 de la population, comme nous l'avons déjà dit) ayant de fortes attaches avec les Inuit du Canada.

Dans l'Euro-Arctique scandinave, les Saamis, Autochtones de cette partie la plus septentrionale du continent, généralement appelée «Laponie», sont environ 60 000 au total : 40 000 en Norvège, 15 000 en Suède, 4 000 en Finlande et moins de 2 000 dans la partie russe de la presqu'île de Kola. S'il est vrai que les Saamis de Scandinavie se sont donné une forme de représentation qui leur est propre, les «parlements saamis» (plutôt consultatifs que législatifs), ainsi que quelques organisations régionales comme le Conseil nordique et celui de Barents, ils n'ont pas atteint l'état d'avancement des Autochtones d'Amérique du Nord en ce qui concerne les revendications territoriales. Les Saamis sont surtout connus en tant que nomades accompagnateurs des troupeaux de rennes. Aujourd'hui toutefois, il est probable que ce mode de vie traditionnel soit davantage pratiqué dans les régions excentriques de l'Arctique russe qu'en Laponie.

C'est en Russie que la situation des Autochtones est la plus complexe, et de loin, puisqu'ils sont plus d'un million à vivre sur une étendue qui représente près des trois cinquième de l'actuelle Fédération de Russie. Deux minorités ethniques autochtones, les Komis et les Yakuts, représentent à peu près les trois-quarts de la population totale. Elles possèdent leurs propres «républiques autonomes» (des 89 entités régionales de la Russie, celles-ci comptent parmi les plus indépendantes à l'égard de Moscou). Sur le plan de la survie culturelle et socioéconomique, les quelque 200 000 personnes appartenant à ce qu'on appelle les «petits peuples» du Nord et de l'extrême-est de la Russie, dont 26 sont officiellement reconnus par l'État, sont dans une situation plus incertaine. En effet, l'avenir de certaines de ces minorités est extrêmement précaire, même si, tout comme les Saamis et les Inuit de Russie, elles sont désormais mieux à même d'établir des liens utiles avec leurs «cousins» d'Occident. Les Inuit canadiens, par le truchement de la Conférence circumpolaire inuit, travaillent avec les Inuit de la région extrême-orientale de Chukotka, qui vivent dans des conditions difficiles. Toutefois, comme l'a souligné le chef de l'association russe des minorités septentrionales, Yeremei Aipin, dans la déclaration qu'il a faite lors de l'inauguration du Conseil de l'Arctique, les Inuit que représente son association sont moins de 200.

Il convient d'évoquer ici les organisations circumpolaires qui défendent, à l'échelon international, les intérêts des peuples autochtones de l'Arctique. Les grands organismes, auxquels a été accordé le statut de participant permanent au Conseil de l'Arctique, font l'objet d'une brève présentation au chapitre trois et dans l'encadré 3. Le Comité a eu l'occasion de rencontrer séparément les chefs des trois principales associations autochtones - à Ottawa, Rosemarie Kuptana, de la CCI; à Moscou, Yeremei Aipin; et à Tromsø, Leif Halonen, du Conseil saami. Cette dernière association est la plus ancienne, ayant été créée dans les années 1950; elle a son siège à Kautokeino, en Norvège septentrionale. Ses adhérents sont exclusivement scandinaves, à l'exception d'un petit nombre de Saamis russes de Kola, qui s'y sont récemment joints. La CCI, créée deux décennies plus tard et dont les bureaux sont à Ottawa, représente environ 130 000 Inuit nord-américains (y compris du Groenland, entité qui fait également partie du Norden), ainsi que quelques Inuit russes. Le Conseil saami et la CCI ont tous deux, en tant qu'ONG, un statut consultatif auprès des Nations Unies. Le plus récent de ces organismes, qui représente les «petits peuples» et dont le siège est à Moscou, a été créé après 1989. Il a changé de nom en 1993, pour devenir l'Association des minorités autochtones du Nord, de la Sibérie et de l'extrême-est de la Fédération de Russie. En 1994, il a été officiellement constitué et reconnu par le ministère russe de la Justice.

Ces trois organisations autochtones circumpolaires se sont réunies pour la première fois lors d'un Sommet des chefs autochtones, en 1991, pour créer un mécanisme permanent de coopération panarctique, au niveau non gouvernemental. Elles ont également commencé à travailler à l'échelon multilatéral avec les États arctiques, dans le cadre de la SPEA, appuyés depuis 1993 par le secrétariat des peuples autochtones, qui a été maintenu dans le cadre du Conseil de l'Arctique. Malgré les progrès accomplis par ces organismes participants permanents, comme nous l'avons dit au chapitre trois, plusieurs arguments importants plaident en faveur d'un élargissement de la représentation autochtone. Il s'agit là d'une question qu'il faudra résoudre au fur et à mesure qu'évoluera la coopération circumpolaire.


Ce qui est vrai pour le Canada l'est aussi pour les autres pays circumpolaires comptant des populations autochtones minoritaires196. Comme nous l'avons entendu dire, les transformations profondes qui secouent l'ensemble de la Russie, de même que l'incertitude qui en découle, semblent avoir une importance particulière et mériter tout spécialement l'attention et l'aide de la communauté internationale. Les vastes territoires du nord de la Russie abritent une mosaïque complexe de peuples autochtones - le recensement de 1989 faisait état de 26 groupes ethniques désignés collectivement sous le vocable de «petits peuples du Nord et de l'Extrême-Orient» - regroupant moins de 200 000 personnes au total. Ces chiffres n'incluent toutefois pas les grandes entités ethniques reconnues des Komis et des Iakoutes, qui comptent chacune une population de plus de 300 000 personnes, même si elles demeurent des minorités dans leurs républiques autonomes respectives. Ces «petits peuples» sont particulièrement vulnérables puisque leur nombre est de loin inférieur, sur leur propre territoire, à celui des colons russes dont beaucoup ont été envoyés dans ces régions isolées pour réaliser les ambitions militaro-industrielles et les initiatives de développement forcé des Soviétiques, et dont la présence a bouleversé l'environnement local, de même que les populations humaines et animales. Ces minorités assiégées doivent maintenant se battre pour trouver leur propre voie à travers les transitions traumatisantes de l'ère post-soviétique197.

Piers Vitebsky, directeur de l'École des sciences sociales et des études russes à l'Institut Scott de recherche polaire de l'Université de Cambridge qui possède les archives les plus volumineuses au monde sur l'Arctique russe, a écrit : «Entre les années 1930 et le milieu des années 1980, les minorités du Nord ont vécu une succession de mesures et de transformations qui ont presque toutes eu un effet négatif198.» Par exemple, lorsque les plus importantes réserves au monde de pétrole et de gaz ont été découvertes dans l'ouest de la Sibérie pendant les années 1960, les peuples minoritaires de la région, au lieu de pouvoir en profiter de manière à soutenir la vie communautaire autochtone, ont été encore plus exposés qu'avant aux conséquences environnementales, sanitaires et socio-culturelles de ce développement trop rapide venu de l'extérieur. Heureusement, les réformes décrétées par M. Gorbatchev à la fin des années 1980 ont révélé l'état de dégradation du milieu lié aux difficultés des minorités autochtones du Nord et ont, au moins pour quelque temps, mobilisé l'opinion publique russe. L'écrivain khanti Yeremi Aipin, dont le Comité a fait la connaissance au cours d'une réunion avec un groupe de leaders autochtones à Moscou le jour même de sa rencontre avec Mikhaïl Gorbatchev, a été l'un des premiers à se battre pour la reconnaissance des droits autochtones, de même que pour la survie et l'autonomie gouvernementale des communautés culturelles traditionnelles du nord de la Russie. M. Aipin est aujourd'hui le représentant officiel, au Conseil de l'Arctique, de l'association constituée en 1990 pour y assurer la «participation permanente» des minorités autochtones du nord et de l'extrême-orient est de la Russie199.

Bon nombre des obstacles que doivent surmonter ces peuples sont semblables à ceux que rencontrent les habitants d'autres régions circumpolaires, même si le problème est plus aigu dans leur cas : la négociation des revendications territoriales autochtones, des droits de propriété et de gestion des ressources; la transformation des rapports de force entre les autorités régionales et le gouvernement central; la préservation des économies et des modes de vie traditionnels (la vie communautaire et culturelle de ces peuples reposant surtout sur les troupeaux de rennes, la chasse et la pêche); la réglementation pour la mise en valeur des principales ressources non renouvelables (pétrole et gaz, diamants, autres minéraux); les nouvelles questions soulevées par la privatisation de l'économie et les moyens de stimuler l'activité commerciale autochtone à la suite d'une nette diminution du soutien de l'État. Malgré la démocratisation qui s'est produite depuis 1989, l'extrême gravité de la situation en Russie est troublante. Comme le fait remarquer M. Vitebsky :

. . . les Autochtones doivent s'attaquer à la tâche titanesque qui consiste à préserver des communautés viables malgré des coûts de transport et des frais généraux élevés. Ce problème est généralisé dans l'ensemble de l'Arctique autochtone et touche de vastes régions du Groenland, de l'Alaska et du Canada. Dans ces pays, quelles que soient les ressources naturelles prélevées dans les régions nordiques, les communautés autochtones reçoivent en retour des subventions massives et une pléthore de services sociaux. Les minorités nordiques de Russie, en revanche, se retrouvent en marge d'un État industriel qui veut leurs terres pour d'autres fins ou qui finira peut-être par abandonner complètement la région [. . .] Bien que la situation s'aggrave probablement sur le plan écologique, [. . .] on estime généralement qu'une saine gestion de l'environnement est un luxe coûteux. À bien des endroits, les gens en sont réduits à se demander chaque année comment ils vont pouvoir survivre à l'hiver200.
Nos rencontres en Russie - notamment avec le ministre Vladimir Kuramin, président du GOSKOMSEVER, comité d'État chargé du développement du Nord et des peuples autochtones - et en Finlande, au sujet de la situation dans la presqu'île de Kola, ont certainement confirmé l'existence des problèmes chroniques d'approvisionnement pour satisfaire les besoins essentiels201. Valery Shustov, le secrétaire général de l'association russe regroupant les minorités autochtones, a parlé également de l'énorme travail qu'il reste à accomplir pour consolider les bases des droits juridiques et des structures démocratiques, depuis le niveau fédéral jusqu'aux échelons régionaux. Malgré les obstacles, le président de l'association, Yeremi Aipin, s'est dit optimiste quant aux chances de succès d'un accord quinquennal de coopération mutuelle conclu récemment avec le GOSKOMSEVER et devant entrer en vigueur en janvier 1997; il pourrait s'agir selon lui d'un premier pas important sur le plan intérieur. Après la percée sur le plan international qu'a représentée la participation autochtone à la fondation du Conseil de l'Arctique, il avait bon espoir que cet accord donne enfin aux peuples autochtones une «fonction de contrôle» et leur assure un véritable partenariat avec le gouvernement russe202. En même temps, il a insisté sur l'importance absolue de préserver le milieu naturel qui soutient le mode de vie traditionnel des peuples autochtones et de «créer une assise économique durable permettant aux gens de survivre», pendant qu'ils auront à supporter les vicissitudes de la transition vers une économie de marché; ce sont là deux priorités absolues et immédiates pour les populations circumpolaires.

Tous les interlocuteurs russes du Comité se sont dits extrêmement intéressés à s'inspirer de l'expérience canadienne et à profiter des essais de coopération. Ils ont cité comme exemple l'important projet de mise sur pied d'institutions autochtones par la Conférence circumpolaire inuit; il s'agit d'une des initiatives de coopération technique bilatérale que nous examinerons plus en détail au chapitre neuf. Il importe de signaler ici l'important playdoyer politique qui s'est constitué sur le plan international à la suite de l'émergence d'organismes autochtones circumpolaires et qui est venu s'ajouter à l'activisme démocratique pratiqué sur les plans local et national. Il en a aussi découlé la possibilité de diffuser par des voies indépendantes de l'information sur diverses initiatives canadiences innovatrices, comme la mise sur pied de sociétés dirigées par les Autochtones, la mise en application de régimes de cogestion des terres et des ressources naturelles, ou l'établissement du nouveau territoire du Nunavut203. La présidente de la CCI, Rosemarie Kuptana, a également parlé devant le Comité, à Ottawa, de la nécessité particulière d'un soutien officiel visant à resserrer les liens avec les Inuit de Russie et les peuples Autochtones de Sibérie, entre autres grâce à l'envoi d'une aide humanitaire accordée aux régions dans un état de marasme économique comme la Tchoukotka. À Moscou, Maiya Ettirintina, qui a déjà représenté cette région de l'extrême-orient de la Russie au Conseil de la Fédération, a dit apprécier les liens étroits entretenus avec les leaders autochtones du Canada et le soutien accordé par notre pays aux droits des minorités internationales. Comme elle l'a fait remarquer : «Les Canadiens sont des gens de parole, tout comme ceux des minorités traditionnelles.» Les représentants de la république de Sakha (Iakoutie) ont fait l'éloge des liens tissés avec les habitants des territoires nordiques du Canada et entrevoyaient des possibilités de participation autochtone plus poussée.

Le ministre Kuramin a souligné, devant le Comité, à Moscou, que la Russie veut apprendre de l'expérience du Canada au chapitre de l'évolution de ses relations avec les peuples autochtones et ce, dans tous les domaines, dont les droits juridiques et la réglementation, ainsi que la cogestion, la fonction gouvernementale et les questions constitutionnelles. Le Parlement russe (la Douma d'État) est actuellement saisi d'un projet de loi portant sur le statut et les besoins particuliers des «petits peuples» du Nord, bien que la gestion fondamentale des droits territoriaux demeure irrésolue. Par ailleurs, le régime soviétique ayant maintenu ces peuples dans un état de dépendance extrême, son effondrement soudain a laissé un vide. La mise en place d'une économie de marché constitue donc un bond considérable, particulièrement difficile à faire pour les régions isolées du Nord dont les difficultés sont encore aggravées par celles de la Russie sur le plan budgétaire. M. Kuramin a indiqué très clairement qu'une assistance financière accrue serait nécessaire pour aider les peuples du nord de la Russie à réaliser la transition vers l'autonomie économique et politique.

La situation de la population saami de Russie, dans la région de Mourmansk, est particulièrement préoccupante même si, comme les Inuit, cette minorité pauvre a au moins la chance d'avoir des liens de parenté au-delà des frontières russes, en l'occurrence avec les populations saamis plus nombreuses de la Fennoscandie voisine204. En 1992, les Saamis de Russie ont pu se joindre au Conseil saami du Nord, une des premières organisations autochtones internationales à voir le jour, en 1956, qui a reçu le statut d'ONG aux Nations Unies en 1988 et qui est aujourd'hui un des trois «participants permanents» autochtones au Conseil de l'Arctique. À l'automne 1996, Mourmansk a également été l'hôte de l'Assemblée saami pour la première fois.

Les membres du Comité qui se sont rendus à Tromsø, dans le nord de la Norvège, et dans les capitales nordiques ont entendu les témoignages des principaux représentants du Conseil saami (y compris de son président, Leif Halonen), des membres des parlements saamis nationaux et d'autres organisations saamis. Ils ont également reçu de l'information sur le travail de la commission norvégienne chargée des droits des Saamis. Les préoccupations exprimées par tous ces témoins, au sujet des répercussions environnementales et sociales du développement, leurs luttes pour la reconnaissance juridique de leur territoire, leurs ressources et de leurs droits politiques, sont souvent en parallèle avec celles des peuples autochtones du nord du Canada. Cependant, de façon générale, le Canada est perçu comme étant en avance sur les pays nordiques au chapitre de la reconnaissance des aspirations de ses peuples autochtones (la Russie étant le pays le plus en retard). Les parlements saamis demeurent des organes consultatifs relativement faibles, et la politique d'assimilation, surtout en Suède, a rendu encore plus difficile la reconnaissance juridique et politique d'un statut particulier pour les Saamis. Leurs représentants saamis considèrent par conséquent que les leçons à tirer de l'expérience et des progrès des peuples autochtones du Canada comptent au nombre des avantages d'une collaboration internationale plus soutenue.

Lors de son passage au Secrétariat des peuples autochtones à Copenhague, le Comité a toutefois entendu un point de vue plus critique, au sujet du resserrement de la coopération internationale. L'ironie a voulu qu'elle soit exprimée par son secrétaire général canadien, Chester Reimer. Le Secrétariat, financé par le Danemark depuis sa création dans le cadre de la SPEA en 1993, sera bientôt absorbé dans la nouvelle structure du Conseil de l'Arctique; son avenir est donc incertain. M. Reimer a dit craindre que le Canada n'exerce plus le même leadership que lors de la création du Conseil, puisque la rumeur veut que son financement des programmes arctiques soit encore réduit. En fait, juste au moment où les outils institutionnels de la coopération circumpolaire sont en place, il se pourrait bien que les ressources manquent pour produire les retombées concrètes que les Autochtones, du Nord en particulier, s'attendent à recevoir comme dividendes de leurs efforts soutenus de participation aux négociations, avec les représentants des États arctiques. Les organisations autochtones voudraient pouvoir montrer à leurs commettants, dans les nombreuses petites communautés de l'Arctique, que leur participation à ce processus a rapporté un certain nombre d'avantages tangibles.

Dans les recommandations qu'il a faites au chapitre trois, le Comité s'est dit d'avis que les organisations autochtones du Canada devraient être mieux représentées au Conseil de l'Arctique. Bien que cette participation officielle soit importante, il est peut-être encore plus essentiel que les représentants des peuples autochtones aient la possibilité d'exercer une influence dès les premières étapes de l'élaboration de la politique, dans leur propre pays, ce qui pourrait les mener par la suite aux tables de négociations internationales. Il est également important que les groupes autochtones canadiens bénéficient du soutien nécessaire à l'établissement sur le plan local d'alliances plus soutenues avec d'autres peuples autochtones circumpolaires relativement à des questions liées au développement durable des communautés, pour faire entendre de plus en plus clairement les voix démocratiques des premiers habitants de l'Arctique à tous les paliers où se prennent des décisions pouvant influer sur l'avenir de la région.

Par conséquent :

Participation des régions nordiques et défense des intérêts de la population

Il faut s'assurer à tout le moins que les leaders du Nord participent pleinement aux décisions consultatives, coopératives et stratégiques qui touchent leur économie.
Gerald Lock205

. . . le Sud doit renoncer à son désir de contrôler le Nord et apprendre à se faire le partenaire des populations nordiques dans la gestion des affaires du Nord.
Franklyn Griffiths206

. . . l'Arctique, ce n'est pas seulement l'affaire des Autochtones; c'est à nous aussi de nous en occuper, d'abord parce que c'est une question universelle et ensuite parce que la situation de l'Arctique est tout aussi importante pour nous ici, dans ce qu'on appelle le Sud, que pour les populations qui vivent dans l'Arctique [. . .] Si vous voulez une politique étrangère pour l'Arctique, il faudra que l'ensemble de la population canadienne considère que cette région du monde est une région stratégique pour le Canada [47:26].
Paul Painchaud

Nous avons surtout insisté dans le présent chapitre sur l'importance du rôle que doivent jouer les peuples autochtones, trop souvent muselés ou mis de côté par le passé, dans les activités futures de coopération circumpolaire en matière de développement durable. Toutefois, il faut aussi prendre en considération plusieurs autres éléments démocratiques très importants pour l'élaboration d'une politique qui repose sur la participation et la responsabilité et qui tienne compte des intérêts de la population.

Tout d'abord, il faut aussi reconnaître et souligner la contribution des habitants non autochtones des régions nordiques aux initiatives circumpolaires, et encourager les communautés du Nord à oeuvrer ensemble afin de jouer un plus grand rôle dans la recherche de politiques de rechange aptes à répondre le mieux possible à leurs besoins. En ce sens, la formulation d'une politique étrangère plus démocratique pour l'Arctique ne pourra pas provenir de l'extérieur; elle doit découler directement de la capacité plus grande qu'auront ces communautés d'exercer un contrôle politique sur leur développement futur207. Par conséquent, le Comité se réjouit de voir s'amorcer un mouvement circumpolaire de «décolonisation» qui est soutenu par l'éveil politique des peuples autochtones, mais n'en dépend pas exclusivement. D'après ce que nous avons pu voir et entendre, et comme nous l'a expliqué l'ancien premier ministre du Yukon, Tony Penikett, cette prise de conscience nordique est en train de transformer à la fois le processus et le contenu de l'activité internationale et de l'élaboration de la politique. Les organisations non gouvernementales, dont certaines ont des listes de membres et des opérations qui dépassent les frontières nationales, sont elles aussi de plus en plus présentes à l'échelle circumpolaire, notamment dans les dossiers touchant l'environnement et le développement durable.

Déjà, en 1994, Nicholas Pouchinsky disait au comité parlementaire qui examinait la politique étrangère du Canada que «la notion d'indépendance et d'autodétermination doit être prise en considération si l'on veut bien comprendre les situations, et élaborer une politique étrangère réaliste [. . .] les initiatives de politique étrangère circumpolaire ont été lancées malgré le manque d'intérêt du ministère des Affaires étrangères [. . .] Il en est apparu dans le domaine de la santé et de l'éducation et on a vu s'organiser une tribune nordique (le Forum nordique.)208. Les communautés du Nord ont elles-mêmes forgé des liens internationaux au moyen d'un réseau de plus en plus étendu de canaux fonctionnels et infranationaux. Le Consortium est/ouest des routes aériennes, l'Association internationale des maires des villes du Nord et l'Association internationale des villes d'hiver sont quelques exemples. À un niveau plus officiel, les territoires et les provinces ont eux aussi établi des contacts à l'étranger en fonction de leurs intérêts polaires importants. Par exemple, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a ouvert un bureau de liaison dans la république russe de Sakha (Iakoutie), le Manitoba s'intéresse à l'avenir de Churchill en tant que port arctique et à la préservation de l'habitat des ours polaires de la Baie d'Hudson; le Québec cherche lui aussi à resserrer ses liens avec les pays nordiques et la Sibérie. Dans la recherche d'une formule démocratique et bien adaptée d'élaboration d'une politique étrangère circumpolaire, le gouvernement fédéral doit reconnaître et encourager cet intérêt et ces initiatives des autres intervenants et des autres paliers de gouvernement, et prendre soin d'éviter tout dédoublement ou de donner l'impression qu'il veut tout diriger lui-même.

En ce qui a trait au Forum nordique, comme nous l'avons noté au chapitre trois au sujet de sa demande d'inclusion dans le Conseil de l'Arctique, seuls l'Alberta et le Yukon en sont membres pour le moment. Les Territoires du Nord-Ouest, qui entretiennent leurs propres relations suivies avec d'autres régions circumpolaires, examinent la possibilité de s'y joindre209. Nous avons remarqué que la Russie et les pays nordiques sont très intéressés à développer des liens de cette nature avec le Canada. Le Forum nordique tiendra sa prochaine réunion à Iakoutsk, dans l'extrême nord oriental de la Russie, où la société Ferguson, Simek, Clark, des Territoires du Nord-Ouest, s'est acquis une réputation circumpolaire en construisant un «village nordique» modèle. À Helsinki, les membres du Comité ont également rencontré Ekaterina Balaganskaya, de l'Académie du Forum nordique, une extension du Forum qui a son siège au Centre arctique de l'Université de Laponie à Rovaniemi; elle était très intéressée à resserrer les liens avec le Canada. Quels que soient le moyen choisi et le secteur d'activité, l'objectif devrait être de créer de nouvelles avenues permettant aux populations des communautés et des régions arctiques de communiquer les unes avec les autres sur les sujets d'intérêt mutuel, tant par des contacts dans le secteur privé que par les mécanismes politiques les plus appropriés, c'est-à-dire les plus accessibles aux gens.

Dans son mémoire au Comité, le directeur général du Forum nordique pour l'Alaska, Stephen Cowper, a également indiqué que la participation d'entités politiques de statut moins élevé que celui d'État-nation pourrait bien être essentielle à la mise en oeuvre d'éventuels accords circumpolaires dans des domaines comme la protection de l'environnement et le développement durable. Il a ajouté :

Selon nous, les événements actuels montrent que, dans la plupart des pays, le pouvoir politique se déplace du centre vers les gouvernements régionaux et locaux. Pour des raisons historiques évidentes, nombre de nos membres réagissent fortement à tout signe d'un retour à l'époque du colonialisme dans le Nord où nos territoires étaient pratiquement soumis aux décisions des capitales nationales en ce qui concernait les buts et objectifs à atteindre. [. . .]
Il est impossible d'établir une véritable politique de l'Arctique sans la participation d'entités qui représentent tous les peuples vivant dans l'Arctique. Comme il est impensable que tous les gouvernements régionaux de l'Arctique participent aux décisions, le Forum nordique établit un lien direct avec chacun de ces gouvernements, lesquels, en retour, assurent la liaison avec les gens. [Mémoire du 3 décembre 1996, p. 4-5.]
En plus de maximiser la participation des gens du Nord à l'élaboration de la politique circumpolaire, que ce soit par voies officielles ou non gouvernementales, il importe également de défendre les intérêts de l'ensemble de la population canadienne, comme l'ont dit très clairement certains témoins, dont Paul Painchaud, que nous avons cité au début de la présente partie. Nous croyons que la manière la plus démocratique et la plus efficace d'y arriver consiste à se servir de façon optimale des canaux parlementaires existants, qui ont explicitement pour mandat d'établir les priorités publiques et de rendre des comptes à la population. En fait, le vif intérêt manifesté par notre Comité, de même que par le Comité permanent de l'environnement et du développement durable, témoigne du rôle que les parlementaires canadiens peuvent et doivent jouer dans le resserrement de la coopération circumpolaire, dans l'intérêt de tous les Canadiens. Le bureau de l'ambassadrice aux affaires circumpolaires et les autres services du gouvernement qui s'occupent de dossiers internationaux concernant l'Arctique doivent considérer le Parlement comme une tribune nationale permanente capable à la fois d'intéresser le grand public aux enjeux que représentent ces dossiers pour le Canada et d'élargir le processus de discussion sur la politique gouvernementale à cet égard.

Au niveau interparlementaire international, il est important de reconnaître et d'appuyer davantage le travail du Comité permanent des parlementaires de la région de l'Arctique (le CPPRA), dont nous avons déjà parlé quand nous avons évoqué la nécessité d'améliorer la représentation au Conseil de l'Arctique et d'encourager les gouvernements des États circumpolaires à appliquer les importantes résolutions adoptées par ce comité lors de sa deuxième conférence, à Yellowknife il y a un peu plus d'un an. La première Conférence des parlementaires de la région de l'Arctique, organisée grâce aux efforts du Conseil nordique, organisation régionale regroupant les cinq pays nordiques, s'était tenue à Reykjavik, en Islande, en 1993, avec la participation du Canada. Elle a donné lieu à une recommandation sur la création d'un comité permanent composé de parlementaires de l'Arctique; le Conseil nordique accepterait la responsabilité de mettre cette recommandation en oeuvre et d'appuyer le travail du secrétariat de ce future comité permanent, lequel a commencé ses travaux en septembre 1994.

À l'heure actuelle, ce comité se compose des membres suivants : trois représentants du Conseil nordique (dont deux, Birgitta Dahl, présidente du Parlement suédois, et Jan Syse, membre du Storting norvégien, ont rencontré les membres du Comité, respectivement à Stockholm et à Oslo; le troisième étant le président du CPPRA, l'Islandais Geir Haarde); deux membres de la Douma russe; un membre du Parlement européen; un représentant des États-Unis (le sénateur Murkowski, de l'Alaska); un représentant du Canada (le député Clifford Lincoln, qui a présenté les résultats de la conférence de Yellowknife au Comité et qui a agi comme porte-parole du CPPRA lors de l'inauguration du Conseil de l'Arctique); un représentant du Conseil saami et un de la Conférence circumpolaire inuit. Le poste de secrétaire du CPPRA est occupé par Guy Lindstrom, également secrétaire général de la délégation finlandaise au Conseil nordique, qui a convaincu notre Comité, au cours de nos rencontres au Parlement finlandais à Helsinki, du sérieux avec lequel nos homologues européens abordent l'aspect parlementaire de l'élaboration et de la mise en oeuvre de la politique circumpolaire.

Le CPPRA a prouvé qu'un groupe même restreint de parlementaires engagés pouvait faire démarrer un examen des questions circumpolaires centré sur l'intérêt public en fournissant une bonne dose de créativité et d'énergie. Il a préconisé la coopération multilatérale et la création d'institutions (par exemple le Conseil de l'Arctique), l'étroite surveillance des aspects touchant la sécurité environnementale et le développement durable dans l'Arctique, l'encouragement des gouvernements pour qu'ils réagissent plus énergiquement, la responsabilité politique, et les échanges de vues entre les représentants officiels, les porte-parole des peuples autochtones, les ONG et les populations intéressées. Comme la conférence du CPPRA qui suivra celle de Yellowknife doit avoir lieu en Russie, le représentant du Parlement canadien, Clifford Lincoln, a assisté en mars 1997 à une rencontre préparatoire à Moscou. Cependant, la participation du Canada demeure jusqu'ici plutôt ponctuelle et a pris la forme, dans le cas du CPPRA, d'un soutien provisoire très limité de l'Association parlementaire Canada-Europe. Nous aimerions par conséquent que des mesures plus stables et substantielles soient mises en place dans le but de promouvoir une participation régulière accrue des parlementaires canadiens à l'évolution continue d'importantes tribunes parlementaires circumpolaires, qui ont surtout dû jusqu'ici compter sur le leadership et le soutien du Conseil nordique.

Bref, le Canada devrait être aux premières lignes lors des débats touchant les questions circumpolaires d'intérêt public, tant en favorisant les liens autochtones interrégionaux, non gouvernementaux et interparlementaires qu'en soutenant les efforts que nous appuyons sans réserve de quelques hauts fonctionnaires chargés des négociations intergouvernementales sur l'Arctique. Ces négociations sont évidemment nécessaires, souvent complexes et, portant, confidentielles. Mais cet effort diplomatique doit s'accompagner d'une participation démocratique croissante de la part du public à l'élaboration de la politique étrangère circumpolaire et à la coopération circumpolaire.

Par conséquent :


189
«Canada, Arctic Peoples, and International Affairs», Behind the Headlines, vol. 45, no 6, juillet/août 1988, p. 2.

190
The Polar Regions (1996), p. 143.

191
Comité mixte spécial, Procès-verbaux, fascicule no 36, le 9 juin 1994, p. 28. Voir également le plaidoyer similaire de John Amagoalik (l'actuel directeur de la Commission d'établissement du Nunavut, considéré parfois comme le «père» du Nunavut), «Northern Peoples and the Formulation of Foreign Policy in the Arctic», Lamb, éd., Une politique extérieure nordique pour le Canada (1994), p. 184-186.

192
Peter Jull, «Canada, Arctic Peoples, and International Affairs» (1988), p. 3 et 10.

193
Cette réalité commençait déjà à s'imposer il y a une dizaine d'années. Voir Gordon Robertson, «Nunavut and the International Arctic», Northern Perspectives, automne 1987.

194
Rudy Platiel, «Inuit Endorse Gender-Equal Legislature», The Globe and Mail, Toronto, décembre 1996; «Equal Seats For Women, Men Eyed for Arctic Legislature», The Toronto Star, le 18 février 1997. Il pourrait cependant y avoir un plébiscite afin de déterminer si la population appuie majoritairement cette proposition. Au sujet des questions plus vastes liées à la restructuration du gouvernement territorial, le gouvernement fédéral a annoncé au cours des discussions qui ont entouré la division des T.N.-O. qu'il aimerait voir le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale autochtone s'exprimer d'abord et avant tout sous la forme d'un gouvernement populaire, et s'appliquer en collaboration avec les gouvernements fédéral et territoriaux. (Discours de l'honorable Ron Irwin, ministre des Affaires indiennes et du Nord, au cours de la conférence du comité directeur du développement constitutionnel de l'ouest de l'Arctique dans les T.N.-O., janvier 1995, cité dans Kirk Cameron et Graham White, Northern Governments in Transition, Institut de recherches en politiques publiques, Montréal, 1995, p. 81.) La division des Territoires du Nord-Ouest, née du désir exprimé par lesInuit de l'est de l'Arctique d'obtenir leur propre entité politique autonome, le «Nunavut», a été approuvée à l'origine par une majorité de 56 p. 100 lors d'un plébiscite tenu en 1982, mais les frontières du nouveau territoire n'ont été arrêtées qu'en 1992, après avoir été approuvées par un autre plébiscite (par une majorité de 54 p. 100). À la fin de la même année, lesInuit ont conclu avec le gouvernement fédéral un accord politique et un accord de règlement final sur leur revendication territoriale globale. En juin 1993, avec l'appui de tous les partis, le Parlement a adopté la loi portant création du Nunavut d'ici 1999. Lors d'un plébiscite tenu en décembre 1995, la capitale a été fixée à Iqaluit par une majorité de 60 p. 100. Le Comité a visité les bureaux des services d'établissement du Nunavut à l'occasion de ses séances à Iqaluit en mai 1996.

195
Comme l'a écrit récemment Louis-Edmond Hamelin, un éminent spécialiste québécois de la géographie sociale : «On peut alors s'interroger sur des projets originaux et étendus, soit Nunavik au Québec, soit Nunavut, Inuvialuit, Dénedeh, aux Territoires du Nord-Ouest. La nordologie est intimement liée à l'autochtonie. . .» Déjà, en 1965, Hamelin faisait la mise en garde suivante : «les sudistes ne peuvent plus échafauder des politiques nordiques sans vraiment consulter les Indigènes». (L'Écho des pays froids, Les Presses de l'Université Laval, Sainte-Foy, 1996, p. 212.)

196
On trouvera une analyse très utile du stade de développement des peuples autochtones du Nord dans Jens Dahl, «Indigenous Peoples of the Arctic», Arctic Challenges (1993), p. 103-127. Le rapport du Groupement pour les droits des minorités intitulé Polar Peoples: Self-Determination and Development (1994) contient également des profils plus détaillés. Voir aussi Chaturvedi, The Polar Regions (1996), au chapitre 6, «Indigenous Peoples: Consciousness, Assertion of Identity and Geopolitical Ferment». Sur les huit pays membres du Conseil de l'Arctique, l'Islande est le seul à ne pas avoir de population autochtone importante.

197
On trouvera une analyse excellente, quoique succincte, des défis historiques que doivent relever les peuples autochtones du nord de la Russie dans Piers Vitebsky, «The Northern Minorities», au chapitre 5 de l'ouvrage intitulé The Nationalities Question in the Post-Soviet States, Graham Smith, dir., Longman, Londres et New York, 2e édition, 1996. Voir aussi Yuri Slezkine, Arctic Mirrors: Russia and the Small Peoples of the North, Cornell University Press, Ithaca N.Y., 1994.

198
Piers Vitebsky, The Northern Minorities (1996), p. 97.

199
Mikhaïl Gorbatchev, qui était toujours président de l'Union soviétique à cette époque, avait assisté à Moscou à la réunion inaugurale de l'association, à l'intérieur même du Kremlin. Au cours de ses séances de novembre 1996, le Comité s'est penché notamment sur les travaux de la Fondation Gorbatchev, qui a participé avec des partenaires canadiens à des projets visant à assurer le développement durable du Nord et à améliorer la situation des peuples autochtones de l'Arctique, notamment les Saamis de la presqu'île de Kola. Voir au chapitre 9 notre exposé sur la coopération technique Canada-Russie.

200
Piers Vitebsky, «The Northern Minorities» (1996), p. 103. Voir aussi Valery Shustov, «Problems of the Indigenous Minorities of the Russian North Stemming from Industrial Development of the Arctic», version anglaise du texte d'une allocution prononcée en russe à la Troisième Conférence des parlementaires de la région de l'Arctique à Yellowknife, le 4 mars 1996.

201
De graves pénuries de nourriture et d'énergie ont été signalées. Vladimir Goman, le président du Comité de la Douma chargé des affaires du Nord (que le Comité n'a malheureusement pas pu rencontrer en raison de problèmes de santé), aurait qualifié la situation de «catastrophique» d'après un rapport de renseignements («Arctic Exodus», Foreign Report, Jane's Information Group Ltd., le 17 octobre 1996, p. 7). Bien que le mauvais temps ait empêché le Comité de rencontrer des représentants des Autochtones et du gouvernement local à Mourmansk, les spécialistes finlandais de la région de Barents qui ont rencontré le Comité à Helsinki ont évoqué eux aussi des difficultés extrêmes, affirmant qu'il fallait régler de toute urgence ces questions fondamentales. Si les gens s'inquiètent de leur survie même, les progrès du développement durable et de la stabilité démocratique seront très difficiles.

202
Il ne faut toutefois pas fonder trop d'espoirs sur les résultats des accords de ce genre. Piers Vitebsky juge en fait que l'association des minorités autochtones est en déclin, depuis son apogée au début des années 1990, et il croit davantage aux chances de réussite des associations de niveau local. Cette conviction semble refléter les commentaires faits par Oran Young au Comité au sujet de la difficulté, pour les leaders des grandes organisations autochtones, de demeurer en contact avec leur base. Au niveau du gouvernement fédéral, il est également intéressant de souligner que le ministre chargé des affaires du Nord - dont le mandat est tellement vaste qu'il est presque impossible à remplir, d'autant plus qu'il ne peut compter que sur 30 employés - a aussi connu des temps difficiles au cours des bouleversements des années 1990. Comme l'a dit Kuramin au Comité, à Moscou, le GOSKOMSEVER a été intégré pendant un certain temps au ministère chargé des minorités nationales. C'est seulement en 1995 que ce comité d'État a été ressuscité par un décret du président Yeltsin, qui reconnaissait ainsi les graves lacunes à combler en vue de la mise en place d'un cadre approprié pour l'élaboration d'une politique de développement du Nord.

203
Sanjay Chaturvedi souligne que le Nunavut intéresse les Russes qui étudient les questions de gouvernement régional dans le Nord et que sa création est une source d'inspiration pratique pour d'autres peuples autochtones, du moins en ce sens qu'elle établit un précédent (The Polar Regions (1996), p. 156). L'Institut Scott de recherche polaire s'est également inspiré des expériences de gouvernement local et de gestion de la mise en valeur des ressources, chez les Autochtones du nord de l'Alaska, pour l'élaboration d'un impressionnant programme consistant à mettre sur pied des projets de développement socioéconomique durable dans les régions isolées de la Russie. On trouvera au chapitre 9 de plus amples détails sur la question.

204
Les membres du Comité n'ont pas pu se rendre aux rencontres prévues avec des représentants de l'association des Saamis de Kola, à Mourmansk, mais nous avons entendu à Helsinki des témoignages de première main, de la part d'experts qui avaient visité la région récemment. Le professeur Leif Rantala, de l'Université de Laponie à Rovaniemi, un ancien secrétaire général du Conseil saami, a averti le Comité : les pénuries sont telles que la situation est explosive et que tout peut arriver. Il lui a également demandé de ne pas oublier les gens ordinaires dans ses discussions sur le Conseil de l'Arctique. Le lieutenant-colonel Arto Nokkola, de l'Institut de recherches sur la paix à l'Université de Tampere, a parlé lui aussi des difficultés qui pèsent sur les communautés de Kola (et qui ont poussé environ 10 p. 100 de la population à quitter la région ces dernières années), mais il a fait observer également que les gens commencent à s'organiser au niveau local, pour essayer d'établir en quelque sorte une stratégie nordique leur permettant de survivre. (Pour de plus amples renseignements, voir Nina Afanasjeva et Leif Rantala, «Programme of Aid to the Russian Saami», Conseil saami, Utsjoki, Finlande, 1993; Rantala, «The Russian Saami of Today», The Barents Region, Université de Tromsø, Tromsø, Norvège, 1995, p. 56-62; Odd Mathis Haetta, The Saami - an Indigenous People of the Arctic, Davvi Girji o.s., Karasjok, Finlande, 1996.)

205
Lamb, éd., Une politique extérieure nordique pour le Canada (1994), p. 82.

206
«The Formulation of a Northern Foreign Policy for Canada: A Southern Perspective», ibid., p. 187.

207
La promotion de la démarche démocratique est intrinsèquement liée à la capacité des gens de décider eux-mêmes de leur développement. De plus, comme le montre M. Chaturvedi dans son analyse du développement durable dans l'Arctique : «parmi les divers modèles de développement, la démarche communautaire, fondée sur les citoyens, est probablement celle qui permettrait le mieux de réaliser des changements fondamentaux dans les stratégies de survie socioéconomique, écologique et culturelle de l'Arctique circumpolaire. . . [en mettant l'accent] sur la planification économique locale, axée sur la participation, comme solution de rechange la plus efficace pour remplacer l'insécurité, la dépendance et la vulnérabilité qu'entraîne généralement le développement économique à grande échelle, décidé à distance, détaché des réalités sociales et échappant à toute responsabilité politique.» (The Polar Regions (1996), p. 257.)

208
Comité mixte spécial, Procès-verbaux, fascicule no 20, 2 juin 1994, p. 120 et suiv.

209
Les droits d'adhésion s'élèvent normalement à 10 000 $ U.S. par année, mais ils diminuent de moitié pour les régions comptant moins de 100 000 habitants.


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