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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 7 mai 1996

.0907

[Traduction]

Le président: La séance est ouverte.

Il y a quorum.

Nous sommes heureux d'accueillir des témoins du Conseil national de prévention du crime,M. Hastings et Mme Bradshaw.

Nous sommes heureux que vous ayez accepté de participer à ce que nous considérons comme étant une étude importante. Nous espérons que, malgré la brièveté de la séance de ce matin, celle-ci ne sera que la première de plusieurs rencontres que nous pourrons avoir au cours de cette étude.

M. Ross Hastings (président, Conseil national de prévention du crime): Nous nous réjouissons vraiment de voir que le comité se penche sur cette question et nous sommes très reconnaissants de la possibilité qui nous est offerte de venir comparaître.

Je suis accompagné par Claudette Bradshaw, coprésidente de notre Comité de la prévention et des enfants. Essentiellement, le comité se concentre sur les enfants, de la naissance à six ans. Nous sommes aussi accompagnés par trois membres du secrétariat: Elaine Scott, directrice exécutive du conseil; Francine Charlebois, du ministère de la Justice; et Catherine MacLeod, conseillère principale du secrétariat, qui a participé au travail du comité.

Quelques mots sur le conseil. Il a été créé en juillet 1994.

Nous avons un double mandat.

Premièrement, il s'agit de conseiller les gouvernements sur des propositions d'élaboration d'une stratégie complète en matière de prévention. Essentiellement, on se dit que la solution à la criminalité devra être suffisamment nuancée pour tenir compte de toute la complexité des problèmes dont découlent la criminalité et la victimisation.

Deuxièmement, nous espérons constituer une ressource pour les collectivités et être leur porte-parole - une ressource en ce sens que nous essayons de mettre au point des trousses d'information et des stratégies de mobilisation des collectivités, être leur porte-parole en ce sens que nous essayons de bien faire comprendre aux différents ordres de gouvernement qu'ils doivent soutenir les communautés dans la mise en application des programmes de ce genre.

Le plan de travail du conseil comporte trois volets, dont on trouvera un résumé dans notre rapport annuel. Je crois que le greffier en a des exemplaires pour tout le monde.

La grande priorité du conseil, ce sont les enfants et les jeunes, et l'idée maîtresse qui guide le travail du conseil, c'est que l'on se rend compte que les enfants qui deviennent des délinquants récidivistes entre 12 et 18 ans, les enfants qui sont le plus souvent traduits en justice en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants, sont, dans presque tous les cas, associables à des constats qui ne sont pas aléatoires. On peut les reconnaître à un très jeune âge, même avant l'âge de six ans.

Il existe tout un ensemble de facteurs de risques, dont Mme Bradshaw vous parlera.

Deuxièmement, nous sommes en train de mettre au point des mesures de soutien du travail effectué par ces comités de priorité, surtout dans les domaines de l'analyse des facteurs économiques et de l'analyse de rentabilité, des pratiques à privilégier en ce qui concerne les programmes et la mobilisation communautaires. Nous nous inquiétons entre autres choses du fait qu'une grande partie du travail est confiée à des communautés sans qu'on leur fournisse nécessairement le soutien dont elles ont besoin pour relever ces défis. Nous craignons vraiment que les efforts s'arrêtent là.

.0910

Nous nous penchons aussi sur différentes questions ponctuelles, mais nous nous attachons surtout à présenter des suggestions constructives sur la façon d'utiliser les fonds dont nous disposons.

Mme Claudette Bradshaw (coprésidente, Comité de la prévention et des enfants, Conseil national de prévention du crime): Merci de nous avoir invités. À mes amis français, bonjour. Heureusement, je suis acadienne et je parle vite.

Pour vous situer un peu, j'ai passé six ans dans des clubs de garçons et filles quand j'étais jeune. En travaillant là, j'ai mis au point un programme à Moncton pour des enfants de deux à cinq ans et leur famille. Ce sont tous des enfants maltraités. Bon nombre d'entre eux ont déjà eu une relation sexuelle.

Quand j'ai été nommée au Conseil national de prévention du crime, à notre troisième réunion, Ross et Elaine ont demandé quelles devaient être les priorités pour les trois prochaines années. Je dois vous dire que travaillant au niveau communautaire, me retrouvant avec des docteurs en criminologie et en psychologie ainsi qu'avec des psychiatres et des chefs de police, je n'avais jamais pensé que la prévention du crime, relevant de deux ministres, concernerait les enfants de six ans et moins. Au cours de ma carrière, c'était la plus importante décision que j'ai jamais prise dans ce pays au sujet des enfants à risque et du déficit du Canada.

On m'a demandé d'assumer la coprésidence du comité avec Doug McNally, qui alors était chef de la police à Edmonton. Cela en dit long sur la décision qu'a prise le Conseil national de prévention du crime. Nous avons eu l'autorisation de choisir sept membres du Conseil national de prévention du crime pour qu'ils siègent à notre comité.

Nous travaillons à la rédaction d'un manuel. Ce manuel porte sur les enfants de six ans et moins. Que pouvons-nous faire pour eux? Je crois savoir que dans votre comité, vous vous intéressez aux enfants de trois ans et moins. C'est excellent, parce que c'est une tranche d'âge qui est aussi très importante.

Une voix: Et aussi jusqu'à six ans.

Mme Bradshaw: Bravo, c'est encore mieux que ce que je pensais ce matin.

Nous examinons le facteur prénatal. Nous examinons le facteur naissance, nous examinons le facteur famille, les tout-petits qui commencent à marcher et ceux qui sont d'âge préscolaire, et puis nous tenons aussi compte de l'année scolaire.

Il y a une chose dont j'aimerais vous parler. J'ai eu l'occasion d'aller à Edmonton et de travailler avec des gens qui vivent dans la rue, avec des prostitués. Combien y a-t-il d'enfants dans notre pays qui ont le syndrome d'alcoolisme foetal parce que leurs mères buvaient ou se droguaient quand elles les ont portés?

Pour combien d'enfants faut-il payer plus tard parce que personne ne les a compris dans notre communauté? Par exemple, combien connaissez-vous de gens qui ont adopté des enfants, les ont accueillis chez eux, mais qui en ont confié le soin à d'autres au moment de l'adolescence parce qu'ils ne connaissent pas l'enfant? Bon nombre de ces enfants qu'ils ont adoptés à la naissance ou à l'âge de un an, de deux ans ou de trois ans peuvent avoir eu le syndrome d'alcoolisme foetal.

Je pense que nous devons aussi nous pencher sur la question de la prostitution quand nous pensons aux enfants à risque pour lesquels il faudra payer plus tard parce qu'ils commettront des délits. Il y a de 50 000 à 60 000 enfants qu'on laisse à des souteneurs ou à Dieu sait qui tous les soirs pendant que leurs mères se prostituent?

Dans notre guide nous nous intéressons aux questions concernant les enfants de six ans et moins. Nous avons entre autres choses travaillé de concert avec la communauté. Nous avons utilisé le manuel que le Dr Steinhauer nous a aidés à rédiger. Nous nous sommes adressés à des organismes communautaires de tout le pays et nous avons dit que le Dr Steinhauer nous avait aidé à ériger des programmes pour les enfants de six ans et moins. Maintenant, pour ce qui est des programmes communautaires, essayons de meubler tout cela. Bâtissons quelque chose que tout le monde au pays peut utiliser en vue de la prévention du crime.

Nos expériences ont dépassé nos attentes. Par exemple, à Baker Lake, nous avons eu la GRC, nous avons eu la santé publique, nous avons eu des Autochtones qui travaillent au niveau communautaire, et nous avons eu des politiciens autochtones. La GRC a réagi en disant: «Bravo, on ne me demande pas de faire de la prévention. On me demande toujours de faire de la prévention. Mon travail ce n'est pas la prévention.» On va s'occuper de prévention au niveau communautaire. C'était excellent.

À Moncton, le directeur exécutif de Centraide: «Bravo, venez et adressez-vous au conseil d'administration de toutes les agences de Centraide, parce c'est là que les choses se passent; il faut que nous prévenions la criminalité».

.0915

Nous allons procéder au lancement officiel de notre manuel à une conférence qui aura lieu à l'Île-du-Prince-Édouard du 1er au 4 juin. Je vous y invite tous. Nous accueillerons environ300 personnes de toutes les régions du Canada. La conférence portera sur la prévention du crime.

En septembre ou en octobre, nous allons ajouter un plan d'action à notre manuel et nous allons aussi procéder à une analyse des coûts. C'est vraiment formidable. Aujourd'hui, les entreprises veulent savoir où va leur argent, et elles ont tout à fait raison. Nous ne pouvons plus nous permettre de nous y prendre de la mauvaise façon, c'est pourquoi nous allons procéder à une analyse des coûts.

Nous allons nous rendre dans chacune des capitales dans tout le Canada, en septembre ou en octobre. Et, je m'adresse ici à chacun des députés, j'espère que quand nous irons dans votre capitale, vous serez là à nos côtés. Peu m'importe qu'on soit libéral, conservateur, néo-démocrate ou réformiste, venez avec nous et agissons ensemble...

[Français]

Et le Bloc québécois. Bien sûr, vous serez là aussi.

[Traduction]

C'est la dernière chose que je veux vous dire. Chaque fois que je parle à un politicien ou à un fonctionnaire, ils disent que c'est un gros bateau à mener. Voyez cela comme un bateau. Vos agences communautaires se trouvent dans la salle des machines, vos fonctionnaires et le gouvernement provincial sont sur le pont en train de s'occuper des manoeuvres, et le gouvernement fédéral est à la barre.

Avec la communauté dans la salle des machines et avec le fédéral, nous pouvons y arriver. Aujourd'hui, si l'on pense à la prévention du crime - pour ce qui est des enfants de six ans et moins - , nous pouvons garantir à chaque enfant qui voit le jour aujourd'hui que quand il ou elle aura 25 ans, le Canada sera le seul pays qui fermera des prisons et le Canada sera le seul pays sans déficit, parce qu'en 1996, nous avons pris des mesures pour les enfants de six ans et moins...

Je vous laisse y réfléchir. Notre manuel n'est pas un manuel de réparation des enfants. Notre manuel est destiné aux familles afin qu'elles puissent mieux fonctionner à la maison. Montrez à un parent comment être parent et je vous montrerai un enfant qui deviendra autonome, qui contribuera au bien-être de notre pays. Vous n'aurez jamais à payer pour cet enfant. C'est lui qui vous paiera.

Je vous remercie de vous être mis sur notre longueur d'ondes. Si nous travaillons ensemble, nous y arriverons. Merci pour l'invitation.

Le président: Merci, Claudette. Merci, Ross.

Pauline Picard.

[Français]

Mme Picard (Drummond): Si j'ai bien compris, plusieurs études ont été faites sur les facteurs qui sont susceptibles de faire des enfants de 0 à 6 ans des personnes qui auront plus tard des comportements criminels. Je vois aussi que vous travaillez à mettre en place des stratégies pour aider ces enfants-là.

Le comité se penche actuellement là-dessus et voudrait faire des études, mais je vois que le Conseil national est déjà au courant et travaille là-dessus. Quelles sont vos recommandations concrètes? Il ne faudrait pas que le Conseil et le comité se dédoublent, mais on voudrait être actifs et apporter des éléments qui permettraient de faire de bonnes recommandations au gouvernement afin qu'il puisse mettre en place des programmes qui pourraient vous venir en aide à ces enfants-là. Quelles seraient vos recommandations concrètes à cet égard?

Mme Bradshaw: À la première réunion à laquelle j'ai assisté pour le Comité national de la prévention du crime, il y avait des observateurs et trois groupes qui avaient fait des études sur les enfants. Je suis d'ailleurs fatiguée de toutes ces études et je suis d'accord avec vous pour dire qu'il faudrait s'asseoir et commencer à réfléchir concrètement à cette question.

Dans mon exemple sur le bateau, je voulais dire que le gouvernement fédéral, quand il donne de l'argent aux provinces, devrait donner non seulement un certain montant pour l'administration, mais aussi un certain montant pour les programmes communautaires. Ce n'est pas le cas actuellement. Je vous expliquais que les programmes communautaires sont le moteur du bateau conduit par le capitaine, mais qu'on a oublié l'enfant qui est embarqué et dont il faut s'occuper aussi.

.0920

Les comités et les politiciens pourraient travailler ensemble pendant les dix prochaines années. Il faut aller parler aux industriels et aux diverses compagnies gouvernementales et communautaires pour les convaincre d'investir de l'argent dans la prévention parce que c'est important. Serez-vous là avec nous?

Mme Picard: Merci.

M. Hastings: Je pourrais faire quelques commentaires pour compléter votre discours. Il y a deux choses qui ressortent des études qui ont été faites, et il existe des résumés, ce qu'on appelle des fact sheets, qui vous ont été distribués. Il faut d'abord dire qu'il y a un grand nombre de bons programmes, mais que la plupart des programmes efficaces ne réussissent qu'à un âge particulier, c'est-à-dire à un stade particulier du développement de l'enfant. Il s'agit donc de s'assurer que le programme est livré au bon endroit et au bon moment.

Également, il ressort très clairement qu'il est important de ne pas se limiter à l'enfant; il faut aussi penser au développement de la famille. On a souvent tendance à dire qu'il y a des enfants à risque parce qu'ils viennent de mauvaises familles. On met le blâme sur la famille, alors qu'il faudrait reconnaître qu'une famille a besoin de connaissances, de compétences et de ressources pour réussir. À moins qu'on fournisse ces connaissances, ces compétences et ces ressources à la famille, l'enfant est exposé à un risque énorme.

Mme Picard: Vous dites qu'on donne des subventions aux provinces, mais qu'il y a un dédoublement ou un chevauchement, de sorte que les organismes communautaires n'ont pas toujours l'argent ni les ressources nécessaires pour mettre en place des stratégies de prévention. C'est ce dont il faudrait se préoccuper.

Mme Bradshaw: Il faudrait en effet réfléchir à cette question.

Mme Picard: Il faut évaluer les programmes.

Mme Bradshaw: C'est ça. Il faut aussi tirer des leçons de ce qui a été fait pendant les 30 dernières années, où on a réglé tous les problèmes avec de l'argent. On a dépensé beaucoup d'argent pour aider l'enfant ou la famille, sans pour autant penser à la façon dont on pourrait régler le problème. Il faut se rappeler que les enfants à risque viennent souvent de familles pauvres. Pendant longtemps, on a caché nos pauvres. Il faut donc changer complètement de mentalité et penser que la prévention est très importante. Nous avons du travail sur la planche et il faut le faire ensemble. Nous vous guiderons volontiers. Merci beaucoup.

Mme Picard: Merci.

[Traduction]

Le président: Sharon est la suivante. Je regrette, vous ne ressemblez pas à Sharon.

Grant.

M. Hill (Macleod): On peut toujours rêver.

Des voix: Oh, oh.

M. Hill: Vous dites que si seulement on pouvait s'assurer que la mère sera en mesure de bien jouer son rôle, on réglerait du même coup un bon nombre des problèmes que connaît notre société, et je suis tout à fait d'accord là-dessus. Pourriez-vous nous parler de ce que pense votre association de la situation des enfants qui sont élevés à la maison par leur mère plutôt qu'à l'extérieur dans des garderies et d'autres établissements?

Mme Bradshaw: Une des choses - et je n'aime pas dire cela parce que cela pourrait miner ma crédibilité... Après 27 ans dans ce domaine, après avoir côtoyé quotidiennement des parents, je n'ai rencontré que deux mères seules. Beaucoup de mères que je rencontre ont des compagnons et des relations. Une des bonnes choses que nous avons essayé de faire dans le manuel, c'est de nous adresser aux «parents», parce que dans notre programme, s'il y a un ami dans le paysage, il participe à notre programme parce qu'il fait partie de cette famille. Je pense que nous devons commencer par parler aux parents, et nous devons nous montrer bien réalistes à ce sujet.

Je n'ai jamais été pauvre et je ne viens pas d'une famille où l'on subissait de mauvais traitements. Comme je l'ai dit au député du Bloc québécois, c'est pourquoi il est si important que nous commencions à nous informer sur ce dont il est question quand nous parlons d'enfants à risque. On parle de parents qui sont passés par 20, 30 ou 40 foyers d'accueil. Vous parlez de parents qui ont été très maltraités.

Shell Canada nous a construit une grande cuisine. Les parents y viennent et y passent quatorze semaines, à s'occuper de cuisine. Si je vous disais aujourd'hui que certains parents se servent d'eau chaude et d'eau froide mais ne savent pas qu'en les mélangeant on obtient de l'eau tiède, me croiriez-vous? Si je vous disais aujourd'hui qu'ils pensent qu'une boîte de carottes en conserve, une boîte de petits pois et une boîte de haricots constituent un repas, me croiriez-vous? Quand on regarde nos statistiques, c'est ce qu'on voit.

.0925

Quand nous vous parlons d'enfants à risque, c'est ce que nous voulons dire quand nous vous parlons de parents qui sont de bonnes gens mais qui n'ont jamais eu ce que nous nous avons eu. Quand on a été élevé dans une famille où les parents étaient comme cela et où on a aussi été maltraité, c'est le modèle qu'on a eu devant les yeux et c'est là où on en est aujourd'hui.

Nous devons commencer à créer un programme où il n'est plus simplement question de réparer les pots cassés. Nous devons créer des programmes où les fonds fédéraux et provinciaux serviront à des mesures à long terme, et non plus à des solutions temporaires ou à la création de programmes de six semaines. Pensons à la mère dès le moment où elle attend un enfant. Suivons-la pendant toute la grossesse. Intéressons-nous à l'enfant dès sa naissance pour voir si c'est un enfant à risque. Assurons un suivi, et tâchons de faire de la prévention de plus en plus tôt. Nous ne pouvons pas nous permettre de dépenser encore plus d'argent pour des solutions improvisées. Nous ne pouvons plus nous permettre de dépenser de l'argent après coup. C'est ce que nous faisons depuis trente ans.

Je ne sais pas si je réponds à votre question, mais les programmes dont on a besoin sont de trois types. Certains ont besoin de garde à la maison, d'autres ont besoin de garderies, d'autres ont besoin d'un traitement psychiatrique, d'autres doivent être en institution. Nous ne pouvons pas uniformiser un programme. Nous ne pouvons pas uniformiser. Nous vivons nos vies.

Nous devons commencer à parler à nos professionnels pour qu'il y ait des liens, parce que pour le parent qui a été maltraité toute sa vie et qui à son tour maltraite son enfant, nous avons besoin de créer une dépendance - et ce n'est pas un mot qu'on utilise au gouvernement, parce qu'on n'aime pas créer de dépendance. Si je jette un regard autour de la table ici aujourd'hui, combien d'entre vous dépendent de votre famille, combien d'entre vous dépendent de vos amis, combien d'entre vous dépendent de votre église? Vous êtes indépendants aujourd'hui parce que vous avez eu des dépendances. Donc nous devons commencer par regarder, nous devons commencer à nous interroger sur les besoins de nos enfants qui sont à risque, et la grande question c'est de savoir qui sont ces enfants.

M. Hill: Vous avez mentionné que l'un des grands problèmes qu'ont les femmes qui sont pauvres, c'est le syndrome d'alcoolisme foetal, le fait de boire quand elles sont enceintes.

Mme Bradshaw: C'en est un.

M. Hill: Un de nos collègues ici a soumis un programme visant à apposer des mises en garde sur les contenants de boissons alcoolisées afin d'essayer de mieux sensibiliser la population. Que pensez-vous du recours à ces mises en garde pour sensibiliser la population au problème du syndrome de l'alcoolisme foetal?

Mme Bradshaw: Je pense que ce ne serait pas mauvais pour vos enfants et mes propres enfants, les enfants qui forment ma famille. Mais les enfants de mon autre famille ont déjà commencé à boire de la bière dans leur biberon. Nous connaissons des enfants qui savent poser la bande élastique et laver la seringue quand leur mère se drogue. Peu importe donc ce que vous faites de la bouteille de bière à cet âge, puisqu'un bon nombre de ces enfants ne savent même pas encore ni lire ni écrire.

Quand nous parlons d'enfants à risque et quand nous vous remettons nos feuillets d'information, vous voyez que cela dépasse largement le cadre de ces questions. Pour ce qui est des enfants avec qui j'ai travaillé pendant 22 ans, pour leurs parents, on a beau apposer toutes les mises en garde qu'on veut sur les bouteilles, cela ne leur dira rien. Cela servirait pourtant à quelque chose dans le cas de mes enfants. Cela servirait à quelque dans le cas de vos enfants.

M. Hill: Vous dites donc que dans leur cas ce serait trop tard.

M. Bradshaw: Exactement.

M. Hill: J'ai une autre question, si vous le permettez. Y a-t-il un autre pays, une autre collectivité, qui soit plus en avance que le Canada en matière de prévention? Y a-t-il quelqu'un qui a déjà essayé ceci, a commencé ceci et en voit déjà les résultats.

Mme Bradshaw: Nous travaillons en étroite collaboration avec le Dr Weikart, qui a mené l'étude Perry et a montré que pour chaque dollar dépensé... Le Dr Weikart était avec nous il y a trois semaines à Moncton pour y donner une conférence, et je crois savoir qu'il sera aussi à Edmonton en mai pour une autre conférence.

Je vous regardais quand vous me posiez cette question et je vous dirai que j'ai entendu parler de la Suède et des États-Unis. Je pense que quand nous allons à l'étranger et que nous arborons l'unifolié sur nos bagages, nous sommes bien accueillis parce qu'en tant que Canadiens, nous avons toujours su bien faire les choses. Si vous me posez cette question, je vous répondrai en vous regardant droit dans les yeux et en disant que le Canada est sans doute l'un des pays où l'on sait le mieux prendre soin des gens. Actuellement, je pense que nous en sommes à la croisée des chemins et il faudra décider si nous allons nous modeler sur des pays qui n'ont pas aussi bien fait ou si nous allons continuer de maintenir la tradition canadienne d'agir comme il se doit.

Donc quand je vous regarde et que vous me posez cette question, je dois répondre que nous avons le Dr Weikart, mais pour ce qui est du sort que le pays réserve à sa population et pour ce qui est de faire ce qui doit être fait, quand on voyage à l'étranger, que les gens voient qu'on arbore le drapeau canadien, ils nous réservent toujours un bon accueil.

.0930

M. Hastings: On pourrait pousser cette question un peu plus loin. Étant donné qu'une grande partie de cette responsabilité, au Canada, relève des provinces, on peut examiner ce qui se passe dans une province comme le Québec. Elle s'est montrée un peu plus généreuse en ce qui a trait au soutien aux jeunes parents et un peu plus tolérante en ce qui a trait au niveau de soutien accordé aux enfants en difficulté. On y enregistre également le plus faible taux de récidive et le plus faible taux de délinquance juvénile. Cela donne donc à penser que, même ici, nous pouvons tirer de très importantes leçons.

[Français]

M. Dubé (Lévis): J'allais justement parler de ça. On connaît les mêmes problèmes au Québec. Vous parlez de prévention et je crois que l'on peut aussi parler de réparation, c'est-à-dire réparer les choses qui ne vont pas bien.

Il faut considérer ce qui va se produire à l'avenir. Je ne crois pas, malheureusement, qu'il y aura moins de familles monoparentales, mais je le souhaite pas. Pour faire une bonne prévention, il faut être capable de prévoir les changements sociaux qui risquent de se produire. Avez-vous des éléments de réflexion à ce sujet?

La situation à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui aura complètement changé dans dix ans. Nous sommes en 1996 et bientôt nous serons en l'an 2 000. Qui sait quelle sera alors la situation? Est-ce que la télévision aura autant d'influence sur la société?

Je pense à des tas de choses comme la drogue, par exemple, qui revêtira d'autres formes, ou le crime organisé ou autre chose. Est-ce que vous avez des idées pour mettre sur pied une réflexion de ce genre? Comment peut-on anticiper l'avenir par rapport au sujet qui nous occupe?

M. Hastings: Je pense qu'il faut, en effet, poser la question de cette façon. Cela revient un peu à la question qui a été posée il y a un instant, à savoir si l'enfant est mieux à la maison ou en dehors de la maison.

Pour la plupart d'entre nous, l'idéal serait d'avoir deux parents à la maison avec un salaire qui serait obtenu avec le moins d'heures de travail possible. On pourrait essayer de créer toutes sortes de contextes.

L'important, maintenant, est de savoir comment on va s'adapter aux changements sociaux qui sont en train de s'opérer, aussi bien au niveau du fédéral qu'à celui du provincial et de la communauté. Il y a deux stratégies possibles. La première serait d'avoir une politique de soutien de la famille; on investirait dans la famille et on reproduirait l'ancien système, ce qui serait peut-être idéal mais assez peu réaliste de nos jours. La deuxième stratégie serait, à mon avis, beaucoup plus réaliste et consisterait à voir d'abord quels sont les besoins de l'enfant. Le modèle que nous proposons est de s'occuper de l'enfant avant la naissance, à la naissance, au début de son insertion sociale, lors de son insertion à l'école et au moment où il doit franchir des seuils de problèmes.

Ce sont ces seuils de problèmes qui doivent servir de point de réflexion à la mise en place de programmes communautaires. Étant donné le changement de la société aux dépens de la famille, notre responsabilité est de soutenir la reproduction du lien familial au niveau de la communauté du mieux que nous le pouvons.

Heureusement, nous avons constaté, en parcourant le pays, que des centaines de programmes existent et ont du succès malgré beaucoup de difficultés. Il est encourageant de voir qu'ils réussissent dans leur oeuvre malgré une mauvaise intégration dans le système et très peu d'appui. Nous voudrions donc essayer de systématiser ces programmes un peu plus largement.

Je voudrais vous faire remarquer qu'au Québec comme ailleurs au Canada, les gouvernements veulent actuellement assainir leurs finances et, d'une manière ou d'une autre, sont obligés de couper dans les dépenses, notamment dans les programmes sociaux et les programmes de santé. Les conséquences sont désastreuses.

Dernièrement, pendant la Semaine du bénévolat, j'ai assisté à un colloque où j'ai entendu des bénévoles dire qu'ils étaient les victimes de ces coupures, car on leur déléguait plus de responsabilités mais avec moins d'argent.

.0935

C'est une réalité, en effet. Ce qui est frustrant, cependant, c'est que malheureusement, nos stratégies de coupures ne sont pas conçues comme des stratégies d'investissement. On coupe, mais peut-être pas toujours au bon endroit et quand on investit, on investit mal.

Je vais vous donner un exemple d'une chose que je trouve stupide. On dépense 100 000$ par an pour garder un jeune en prison. Ces 100 000$ seraient autrement plus utiles à des programmes communautaires! La population canadienne semble pourtant être assez contente de voir augmenter le nombre de personnes et de jeunes en prison, même quand c'est au détriment de programmes pour les très jeunes enfants qui ont fait leurs preuves.

Il faut donc renverser l'équilibre. C'est comme un plan de pension. Au bout d'un an ou deux, on ne vous donne pas grand-chose, mais au bout de 10, 15 ou 20 ans, vous aurez un retour assez intéressant. C'est une stratégie d'investissement qui a fait ses preuves.

[Traduction]

Le président: Je dois m'excuser pour avoir oublié mon bon ami, Joe Volpe. C'est une chose que je ne devrais jamais faire, et je sais que j'en paierai le prix.

M. Volpe (Eglinton - Lawrence): Monsieur le président, merci beaucoup. Mieux vaut tard que jamais.

Je tiens à féliciter les témoins pour la conviction avec laquelle ils ont présenté leurs exposés. Ils semblent très convaincus de ce qu'ils devraient faire, et je pense que c'est une règle de base quand on cherche à convaincre les autres.

Je pourrais peut-être citer un extrait du document intitulé NCPC Priorities and Activities, qui semble reprendre certaines des déclarations que vous avez faites au sujet de cette question. Vous estimez que le fait de ne pas:

Plus loin, vous dites:

Je ne veux pas me faire l'avocat du diable, mais il me semble que vous êtes passés d'une petite entité à une grande entité. Dans votre exposé, madame Bradshaw, je pense qu'en réponse au Dr Hill et à M. Dubé, vous avez parlé de la nécessité de soutenir l'unité familiale ainsi que de la nécessité d'orienter les ressources financières vers la plus petite unité possible. Je présente les choses ainsi, mais je pense que c'est ce que vous vouliez dire quand vous avez dit que l'argent devait venir d'en haut et être canalisé vers la base.

J'ai deux ou trois questions à vous poser à ce sujet, et mes questions visent à mieux comprendre ce que vous voulez dire. Vous avez dit qu'il nous fallait savoir exactement de qui nous parlions, et c'est pourquoi je veux savoir de qui nous parlons.

Au cours des 10 dernières années, nous avons permis à quelques 2,5 millions de nouveaux venus d'entrer au Canada grâce à nos politiques d'immigration. Sans remettre en question le bien-fondé de cette décision, le fait est qu'il y avait beaucoup d'enfants parmi ces 2,5 millions de personnes, ou que celles-ci en ont eu beaucoup. En avez-vous tenu compte dans votre analyse préliminaire?

Mme Bradshaw: Bon, j'aime bien les avocats du diable, parce que si nous allons...

M. Volpe: Je n'ai même pas commencé.

Des voix: Oh, oh!

Mme Bradshaw: D'accord, mais si nous devons travailler ensemble au cours des trois prochaines années pour leur transmettre un message, allons-y et présentons-le. Nous devons pouvoir nous répondre, discuter l'un avec l'autre et nous tendre les bras.

«Ceux» que j'ai côtoyés pendant 22 ans - les statistiques le montrent - sont des enfants qui très souvent sont nés de parents qui sont pauvres depuis des générations. Nous ne connaissons pas ces gens. Je les ai suivis tout au long de ces 22 ans et je ne les connais toujours pas. J'en apprends toujours un peu plus chaque jour, parce que c'est une vie complètement différente de la vôtre et de la mienne. Voilà pour ce qui est de «qui» ils sont.

Je pense que nous devons vraiment tout apprendre quand nous parlons d'enfants à risque. Quand nous parlons d'enfants qui vivent dans la pauvreté, ce n'est pas tout le monde. J'ai rencontré des gens pauvres qui sont très riches simplement parce qu'ils sont très riches. Mais quand on parle de maltraitance et de générations... alors il y a des enfants qui sont vraiment à risque. Ce sont ceux dont je parle. Je dis que nous devons demander ce que nous devons faire pour briser ce cycle.

.0940

À propos de votre question sur l'immigration, vous devez aussi savoir que pendant dix ans j'ai refusé de siéger à tout comité fédéral, pour deux raisons. D'abord, je n'en avais pas le temps. Deuxièmement, j'ai peur de prendre l'avion. Quand j'ai accepté ceci, j'ai sillonné le pays en avion dans tous les sens, et chaque fois que je monte à bord, je me dis que si je meurs je meurs pour une enfant.

Donc, je ne connais pas la question de l'immigration. Quand je suis arrivée à Toronto, en février dernier, je suis entrée dans un ensemble d'immigration et j'ai été renversée. Je pense qu'il y avait là 45 différents groupes. Ma première réaction, quand je suis entrée dans cet ensemble, ça été de me dire, mon Dieu, si nous les laissons venir ici parce que nous sommes préoccupés par ce qui va leur arriver s'ils restent dans leur propre pays, comment pouvons-nous les traiter ainsi? Si nous ne les traitons pas comme il se doit...

M. Volpe: Puis-je vous interrompre pour revenir un peu là-dessus, puisque vous avez à nouveau parler de groupes. Peut-être que Toronto n'est pas le meilleur exemple pour lancer la discussion, mais puisque vous l'avez évoqué, permettez que je le reprenne.

Il y en a qui estime que l'une des raisons qui font qu'une ville comme Toronto fonctionne, c'est qu'un bon nombre de ces nouveaux venus ont apporté avec eux une solide éthique des responsabilités familiales; je ne parle pas de responsabilités communautaires, mais bien de responsabilités familiales. Ces mêmes personnes estiment que l'accent qu'on met sur la communauté joue au détriment de l'accent qu'on pourrait mettre sur la famille.

Mme Bradshaw: Mais quand nous avons discuté de notre manuel... et nous l'avons fait en long et en large, et j'espère que quand il sera publié en juin nous vous en enverrons à chacun un exemplaire, et j'espère que vous direz à Elaine ce que vous en pensez et ce que vous en avez conclu. Nous en avons discuté en profondeur et nous avons demandé, est-ce que nous allons faire des distinctions qui opposent les communautés les unes aux autres? Nous avons eu toute une discussion là-dessus. Quand nous avons dit non parce que peu importe de quelle couleur ou de quelle race on est, l'enfant et la mère ont des besoins. Quand l'enfant naît, il a besoin qu'on en prenne soin, qu'on s'attache à lui.

Donc avec notre manuel, nous avons essayé de ne pas trop entrer là-dedans. Je pense que c'est toujours ce qui se passe avec nos enfants et avec la recherche que nous faisons. Chaque fois qu'on commence à parler des enfants on soulève différents types de questions...

M. Volpe: J'essaie de comprendre exactement comment cela fonctionne. J'ai encore des questions pour utiliser mon temps de parole.

Mme Bradshaw: Peut-être devrais-je céder la parole au docteur.

M. Volpe: Pas nécessairement.

Il y a 25 ans, l'Ontario a connu une série de changements sociaux et a adopté des décisions de principe pour en tenir compte. On estimait que puisque nos conseils scolaires représentaient essentiellement la communauté et que puisqu'ils étaient censés maintenir les valeurs inhérentes à toute communauté, ce que nous devions alors faire c'était de supprimer les petits conseils scolaires et de procéder à des fusions, parce que certaines valeurs s'infiltrent dans l'ensemble de la société.

Ce système est toujours en place. Dans la province de l'Ontario, on propose de réduire le nombre de conseils scolaires pour qu'il n'y en ait plus que 80 environ. Il y a 25 ans, il y en avait plus de 300.

Quand on élimine une influence locale - et je pense que je tiens compte de votre réponse - est-ce qu'on élimine les types de remèdes que vous proposez pour corriger les grands maux de la société? C'est la première question.

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Deuxièmement, voulez-vous dire que nous pourrions inculquer une certaine éthique communautaire par la rééducation des mères?

Troisièmement, si c'est effectivement ce que vous voulez dire, est-ce que vous êtes au courant du fait que certains soutiennent que, par exemple, la communauté des Premières nations est la plus menacée parce que dans les générations passées on n'a pas su construire cette éthique communautaire, ou remplacer celle qui existait par une éthique fonctionnelle, au fur et à mesure que les gens délaissaient les petites communautés?

Je suppose qu'en quatrième lieu, je vous demanderai si vous suggérez quelque chose qui va au-delà de la famille pour entendre la collectivité, mais aux dépens de la famille? Ou suggérez-vous une restructuration des priorités financières afin de veiller à ce que l'éthique fondamentale de la vie en collectivité qui est inhérente au plus petit microcosme de la société soit ranimée?

M. Hastings: Je répondrai par l'affirmative.

M. Volpe: À toutes les questions?

M. Hastings: Non. J'essaierai d'en regrouper une ou deux.

La tension que vous peignez est la tension entre la famille et la collectivité et leurs priorités relatives. À notre avis - je crois pouvoir me faire le porte-parole du comité - l'essentiel est certainement la famille. C'est à elle qu'il faut fournir les services.

D'autre part, toutefois, on reconnaît que les gouvernements ont systématiquement au cours de la dernière génération éliminé les aides directes à la famille. L'exemple qui vient tout de suite à l'esprit est celui des allocations familiales. Le gouvernement fédéral disait autrefois: «Nous nous occuperons de fournir certaines des ressources dont ont besoin les familles».

Les gouvernements, pour de bonnes raisons financières mais parfois se laissant guider par des principes mal inspirés, ont systématiquement éliminé tout cela, tant et si bien que les familles ont plus de mal à s'en tirer. Il leur manque certaines connaissances, compétences et ressources.

Ce que nous suggérons s'adresse aux familles mais devra probablement être assuré par les collectivités. Je dirais que tant qu'on ne met pas les familles en mesure de participer activement à la collectivité, on ne peut s'attendre à ce que se développe et s'épanouisse une communauté. Nous pensons que c'est un outil essentiel non seulement pour les familles mais pour les collectivités.

Finalement, il faut être très prudent au sujet de l'immigration. Il y a une très forte corrélation entre l'immigration et la pauvreté. Le Canada a énormément d'immigrants qui réussissent très bien, financièrement et au sein de la collectivité, qui se sont bien intégrés à la société. Ceux qui ne s'y sont pas intégrés sont en général les derniers arrivés et ceux qui viennent des pays les plus difficiles, culturellement et politiquement parlant. La période d'adaptation ne fait que commencer et, malheureusement, surtout depuis les années 80, ils sont arrivés à un moment où nous avons éliminé certaines aides que nous offrions auparavant.

Mme Bradshaw: Vous avez dit quelque chose qui m'intéressait à propos des Autochtones. J'ai beaucoup travaillé au Nouveau-Brunswick avec les groupes autochtones. Je conviens avec vous que nous les avons privés de beaucoup de choses qui faisaient leur richesse.

Je vous donne un exemple. Nous avions beaucoup de suicides à la réserve Big Cove. Nous sommes allés faire une enquête, une étude, etc. Savez-vous ce qu'il en est ressorti? Qu'il nous faut plus de psychologues, plus de psychiatres, plus de centres de traitement pour la toxicomanie et pour l'alcoolisme et qu'il nous faut une clinique pour maladie mentale. Personne au cours de cette enquête ne s'est penché sur le groupe de six ans et moins.

Je vous dirai qu'à Noël, alors que j'avais tous les représentants des médias autour de moi, j'en ai parlé. J'ai dit: «Qu'est-ce que je vous ai appris depuis 22 ans?» C'est ce que dit le guide. Il faut commencer par observer parce que tous les enfants ont besoin des mêmes choses, quelles que soient leur couleur ou leur race.

Le président: Nous avons déjà dépassé l'heure mais il y a trois personnes qui n'ont pas pu poser de questions et je vais donc leur donner la possibilité de le faire rapidement, si vous voulez bien, dans l'ordre suivant: Paul, Beryl et Andy.

M. Szabo (Mississauga-Sud): Merci, monsieur le président.

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Pourriez-vous me dire combien de femmes sont au courant du SAF-EFA?

Mme Bradshaw: Malheureusement, je dois vous dire qu'il n'y en a pas beaucoup.

M. Szabo: Pas beaucoup. Donc si quelqu'un vous disait que 95 p. 100 des femmes au Canada sont au courant du SAF et ne boivent pas pendant leur grossesse, cela vous dérangerait?

Mme Bradshaw: Non.

Qu'est-ce que vous m'avez demandé?

M. Szabo: Si quelqu'un vous disait que 95 p. 100 des femmes savent qu'il est dangereux de boire pendant la grossesse, cela vous dérangerait-il?

Mme Bradshaw: Non, pas du tout.

M. Szabo: Cela ne serait pas vrai, n'est-ce pas?

Mme Bradshaw: Tout dépend de qui vous parlez. Si vous parlez de mes amies, nous sommes au courant. Si vous parlez des familles que j'ai à Bon départ, ce n'est même pas...

M. Szabo: Ma dernière question est la suivante: êtes-vous au courant de l'étude importante qui vient d'être annoncée - je crois que cela vient du New Jersey, qui est peut-être la compilation la plus complète d'études sur les interventions pendant l'enfance? Cette étude conclut que si l'on reçoit plus de 10 heures de soins à l'hôpital par semaine, cela peut accroître sensiblement le facteur risque.

M. Hastings: J'ai simplement vu certains articles là-dessus.

Ce qu'il faut savoir, c'est à quoi correspondent ces 10 heures de soins car, habituellement, c'est lié à la pauvreté et à un niveau de stress élevé dans la famille.

Mme Gaffney (Nepean): Merci, docteur Hastings et madame Bradshaw.

Je tiens également à vous féliciter de votre exposé, madame.

Le Conseil national de la prévention du crime a été créé en 1994 par le ministre de la Justice et du solliciteur général et vous vous occupez d'enfants d'âge prénatal à l'âge de six ans. Comme vous le savez, nous sommes en train de préparer un plan de travail pour nous occuper de ce même groupe d'âge. Lorsqu'on parle de problèmes de développement, on parle des mêmes choses que vous: nutrition, épanouissement, éducation, etc.

Je manque de temps et j'essaie de résumer ma question. Je crains qu'il y ait là un certain chevauchement, à savoir que ce que nous faisons pourrait être fait par vous à condition que nous ajoutions le ministre de la Santé au solliciteur général et au ministre de la Justice. Par souci d'économie, que diriez-vous que notre comité recommande au ministre de la Santé que ceci relève en fait de votre groupe, que nous ne devrions pas nous en occuper et que vous pouvez vous occuper aussi des questions de santé.

M. Hastings: Je répondrai très simplement que nous serions ravis d'assumer cette responsabilité.

Je vous signalerai que nous avons déjà quelqu'un du ministère de la Santé au secrétariat.

Ce que vous êtes en train de dire, en fait, c'est qu'il faut que nous en arrivions à cesser d'organiser les problèmes en fonction des organismes prêts à s'en occuper pour réorganiser au contraire nos institutions en fonction du genre de problèmes et de défis qui se présentent. Essentiellement, notre priorité doit être les enfants.

Mme Gaffney: Mais vous vous occupez de santé au sein de...

M. Hastings: Oui.

Mme Gaffney: Vous le faites déjà.

Vous n'avez pas dit si vous pensez qu'il pouvait y avoir chevauchement, gaspillage.

M. Hastings: À court terme, il y aura probablement quelque chevauchement, parce que nous commençons simplement à arrêter un certain nombre de stratégies permettant de coordonner les différentes questions. À moyen et à long terme, nous découvrirons probablement tous que nous allons à peu près dans le même sens et que les rôles pourraient être mieux répartis.

Mme Gaffney: Bien. Merci beaucoup.

M. Scott (Fredericton - York - Sunbury): Merci beaucoup, monsieur le président. Avant que vous ne me coupiez la parole pour lever la séance, je vous conseille de réfléchir à ce qui pourrait arriver à un Terre-Neuvien qui interromprait deux Néo-Brunswickois en pleine conversation.

Je dois vous dire que nous sommes tous très fiers au Nouveau-Brunswick de Claudette et de son programme Bon départ. Elle est devenue une légende.

Quand on pense qu'il y a des gens qui ne savent pas qu'en mélangeant de l'eau chaude et de l'eau froide, on obtient de l'eau tiède, et je ne méprise personne, il ne faut pas s'étonner qu'en matière de politiques publiques et d'enfants à risque, on soit aussi ignorant.

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Je sais très bien ce dont je parle. Ma femme a vécu cette situation. Malgré toutes mes bonnes intentions durant toute ma vie, je n'ai jamais vraiment compris ce dont je parlais avant de comprendre la vie qu'elle avait eue - et je ne suis toujours pas sûr de comprendre. Comme vous dites, on peut vivre cela indéfiniment mais on ne comprend jamais vraiment.

Aussi, lorsque l'on met sur pied des programmes, il faut essayer de comprendre ce qu'est une mère célibataire. Nous décidons un beau jour que nous allons mettre sur pied un programme pour les mères célibataires alors que nous ne savons même pas ce qu'est une mère célibataire. La mère célibataire ne se considère certainement pas comme une mère célibataire. Elle pense que son partenaire, son ami est tout aussi important dans sa vie... même s'il n'y a pas forcément la même stabilité ou continuité. Je pense qu'il est important de commencer par comprendre cela.

À propos des communautés et des familles, j'aimerais parler de lecture et d'alphabétisation. Un exemple de réussite, me semble-t-il, sont les programmes d'alphabétisation familiaux. Ils sont offerts par la collectivité mais se sont les familles qui s'en occupent. Le meilleur des deux mondes. Cela permet d'aider la famille comme semblait le préconiser M. Volpe tout en reconnaissant qu'il faut quelques fois définir la famille au sens large. Certainement, dans le cas de ma femme, ce n'était sans doute pas une famille au sens conventionnel du terme pour la classe moyenne canadienne. Il fallait donc que la collectivité intervienne. Il n'y avait rien d'autre.

Claudette, peut-on établir un lien entre la capacité fondamentale de choisir et la capacité de lecture?

Mme Bradshaw: Jusqu'à il y a environ quatre ans, lorsque les parents nous parlaient de l'enfance maltraitée qu'ils avaient eue, qui était absolument incroyable, ils nous parlaient également avec beaucoup de franchise du fait qu'ils maltraitaient leurs enfants, et là encore c'était absolument incroyable. Par contre, ils nous disaient très rarement qu'ils étaient illettrés. Ceci, jusqu'à ce que nous ouvrions la cuisine, où ils sont venus participer...

Nous aimons enseigner. Nous sommes des enseignants par profession. Nous disons: «C'est pas bien, je vais t'apprendre». Mais quand nous avons ces ateliers, c'est là que nous constatons qu'en fait, ils ne savent pas.

Nous avons donc commencé un programme d'alphabétisation. N'oubliez pas que nous avons affaire à une population à très grand risque. Sur 14 parents qui participent à notre cours d'alphabétisation, six ont atteint un plateau au niveau de la 5e année. Ils n'ont pas bougé depuis un an; ça n'entre plus. Nous voulons essayer un programme informatique, avec l'université Mount Allison. Nous voulons utiliser cela dans notre cours d'alphabétisation et mettre ces six personnes à ce cours pour voir si nous ne pourrions pas améliorer leur niveau en leur enseignant les choses par ordinateur.

Eh bien, figurez-vous que nous ne pouvons pas obtenir les fonds nécessaires parce que nous sommes un organisme à but non lucratif. Nous ne sommes pas une université ni un organisme privé si bien que nous ne pouvons mener cette recherche à bien. C'est pourtant très important car, si nous disons: «Lis un livre», ils ne savent pas lire.

Combien d'entre vous connaissent des gens qui suivent quelqu'un qui est assisté social à l'épicerie? Vos électeurs vous demanderont pourquoi on leur donne plus d'argent. Ils achètent une pizza qui est toute faite et ils achètent de la soupe Campbell. En effet. Ils ne savent pas lire. Qu'est-ce que vous voulez qu'ils achètent, de la nourriture pour les chiens? Si nous pouvions leur apprendre à lire, ils sauraient quoi acheter lorsqu'ils vont à l'épicerie.

Si je venais ici vous donner une boîte sur laquelle tout est écrit en chinois, peut-être certains d'entre vous pourraient lire ces caractères mais qu'arriverait-il aux autres? Il y a une enveloppe et deux boîtes. J'aimerais bien voir quel genre de recettes vous en sortiriez.

C'est pourquoi j'ai dit qu'il va falloir trois ans pour que nous puissions nous expliquer, nous déplacer, nous réunir, pour que le commandant du navire, les manoeuvres et les mécaniciens parlent tous la même langue. Je puis vous dire que si nous réussissons à apprendre cela en trois ans, lorsque les enfants qui naissent aujourd'hui sortiront de l'université, ils auront un emploi, il n'y aura plus de déficit et nous fermerons nos prisons.

Il y a donc une façon correcte et une façon incorrecte de faire les choses.

Le président: Antoine.

[Français]

M. Dubé: Je constate que nous n'avons pas beaucoup de temps, mais je voudrais dire que l'exposé qui vient d'être fait a été très intéressant. J'ai lu les questions et le document préparé par le service de recherche de la Bibliothèque. J'y ai trouvé un concept qui, pour moi, est un peu nouveau, à savoir le concept de résistance.

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À première vue, cela me semble intéressant. Si, en termes de prévention, on pouvait apprendre à nos enfants à mieux résister à une situation quelconque, ce serait une bonne chose.

Je ne vous demande pas d'expliquer cela, mais je voudrais vous remercier d'avoir attiré mon attention sur ce concept-là. Il me semble cependant qu'à défaut de pouvoir faire une évaluation complète de tous les programmes, ce qui serait long et fastidieux, vous pourriez peut-être nous parler un peu des success stories de certains programmes qui pourraient susciter un certain intérêt et entraîner d'autres groupes dans cette voie.

M. Hastings: Il faut faire une distinction importante entre une stratégie qui serait complète et globale, et des programmes qui seraient des morceaux de stratégie.

Je suis en train de penser à un programme pour les jeunes mères. C'est un programme qui a été mis sur pied ici, à Ottawa, au Centre d'Youville, où on prend en charge des jeunes filles enceintes de 15, 16 ou 17 ans que l'on garde à l'école secondaire pour qu'elles continuent leurs études durant leur grossesse; ensuite il y a un programme coopératif pour la garde des bébés.

Le taux de réussite est important. Parmi ces jeunes filles, 92 sur 110 ont terminé leur secondaire et la majorité ont maintenant un emploi. C'est un programme très modeste, qui a surtout recours à des bénévoles, mais qui est parfaitement intégré à une stratégie globale et compréhensive.

C'est justement cela qu'il faut faire. Le temps des gros programmes est terminé parce qu'il est évident que les gouvernements n'ont pas l'argent nécessaire. Si nous voulons rebâtir un ensemble de programmes qui seront à la hauteur de la stratégie que nous envisageons, nous devrons avancer doucement et faire la preuve de nos réussites avant de pouvoir les intégrer.

M. Dubé: Est-ce que vous avez une liste de ces programmes?

M. Hastings: Vous verrez, dans le document, que chaque fois qu'on identifie une étape avec ses risques et ses dangers, on essaie aussi d'identifier un ou deux programmes qui ont déjà prouvé leur efficacité.

À plus long terme, nous voudrions que ces documents servent de base aux communautés pour identifier les problèmes.

Nous voudrions aussi créer un répertoire de programmes qui ont été efficaces pour offrir des pistes de solution à ces mêmes communautés, ainsi que des short cuts.

M. Dubé: Et cela serait publié dans les prochains mois?

M. Hastings: Nous espérons avoir l'ensemble de ces documents avant la fin de notre mandat, dans un an.

M. Dubé: Merci.

[Traduction]

Le président: Ross, merci.

Avant de lever la séance, j'aimerais dire que le comité tiendra une courte réunion à huis clos pour régler quelques questions. J'aimerais aussi proposer que nous prenions quelques minutes pour parler un peu avec les cinq représentants du Conseil national de prévention du crime. Pouvez-vous nous rappeler leurs noms, Ross, s'il vous plaît.

M. Hastings: Elaine Scott est la directrice exécutive du conseil et responsable de la stratégie nationale de prévention; Catherine MacLeod a accompli énormément de travail préparatoire et elle mérite une reconnaissance particulière pour avoir réussi à obtenir que sept personnes grincheuses travaillent en équipe; Francine Charlebois du ministère de la Justice s'occupe de coordonner le travail de mobilisation communautaire et de liaison fédérale-provinciale que nous entreprenons.

Le président: Votre témoignage a été des plus intéressant. Je propose que les membres du comité prennent cinq ou six minutes pour prendre un café avec nos témoins et extraire d'autres informations avant que nous ne reprenions nos travaux.

Pauline veut ajouter quelque chose avant que la séance soit levée.

[Français]

Mme Picard: Monsieur le président, permettez-moi de féliciter Mme Bradshaw etM. Hastings pour leur magnifique exposé et leur magnifique travail. On sent bien qu'ils sont vraiment impliqués dans le milieu et qu'ils ont la volonté de venir en aide à nos enfants et d'améliorer la situation de la population. Je vous renouvelle nos félicitations.

Mme Bradshaw: Ce que vous venez de dire est important aussi.

[Traduction]

Le président: La séance est levée.

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