Privilège parlementaire / Droits des députés

Protection contre l’obstruction : députés se voyant refuser l’accès à l’enceinte parlementaire pendant une visite d’État; question fondée de prime abord

Débats, p. 6333–6334

Contexte

Le 2 mars 2012, Pat Martin (Winnipeg-Centre) soulève une question de privilège en raison des difficultés éprouvées par certains députés à accéder à l’enceinte parlementaire lors de la visite du premier ministre d’Israël, Benyamin Netanyahou. M. Martin déclare que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a refusé de laisser certains députés entrer dans l’enceinte parlementaire et leur a demandé de plus amples preuves d’identité. M. Martin allègue que les mesures de sécurité resserrées à l’occasion de cette visite d’État ont empêché les députés de s’acquitter de leurs fonctions. Plusieurs autres députés font des commentaires et le Président suppléant (Barry Devolin) prend la question en délibéré[1].

Résolution

Le 15 mars 2012, le Président rend sa décision. Après avoir reconnu l’importance d’atteindre un équilibre entre sécurité et accès, il déclare que les mesures de sécurité ne peuvent avoir préséance sur le droit des députés d’accéder de façon libre et entière à l’enceinte parlementaire, puisque les députés doivent être en mesure d’exécuter leurs fonctions parlementaires même quand d’autres activités ont lieu. Par conséquent, il statue qu’il a des motifs suffisants pour conclure qu’il y a, de prime abord, matière à question de privilège, et invite M. Martin à proposer la motion de circonstance.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le 2 mars 2012 par le député de Winnipeg-Centre au sujet des difficultés qu’ont éprouvées certains députés pour accéder à la Cité parlementaire ce jour-là durant la visite du premier ministre d’Israël, Benyamin Netanyahou.

Je remercie le député d’avoir soulevé cette question, de même que le ministre d’État aux Sciences et à la Technologie et ministre d’État responsable de l’Agence fédérale de développement économique pour le Sud de l’Ontario, le whip en chef du gouvernement, ainsi que les députés de Western Arctic et de Winnipeg-Nord pour leurs interventions.

Lorsqu’il a soulevé la question de privilège, le député de Winnipeg-Centre a soutenu que, en raison du resserrement des mesures de sécurité à l’occasion de la visite du premier ministre d’Israël, certains députés se sont heurtés à des difficultés lorsqu’ils ont tenté d’accéder à la Cité parlementaire. Certains députés se sont même fait renvoyer à leurs bureaux par des agents de la GRC afin qu’ils aillent y chercher une pièce d’identité prouvant qu’ils étaient députés. Bien qu’il reconnaisse la nécessité d’assurer la sécurité au Parlement, il a fait valoir qu’on avait porté atteinte de façon injustifiée au droit d’accès des députés, les empêchant ainsi d’exercer leurs fonctions parlementaires.

Le député de Winnipeg-Centre a également soulevé des questions concernant le problème plus vaste de la compétence et du contrôle des édifices et de l’enceinte parlementaire. Il a avancé que les situations de ce genre seraient évitées si la Chambre et ses députés exerçaient un plus grand contrôle sur la gestion des édifices et de l’enceinte parlementaires.

À ce sujet, le Président Milliken a déclaré, dans une décision rendue le 10 mai 2006, à la page 1189 des Débats, qu’il incombe au Président, et je cite, « […] de sauvegarder le contrôle de la Chambre sur ses locaux et de protéger l’accès des députés à ces locaux ». L’ouvrage de Maingot, Le privilège parlementaire au Canada, à la page 163 de la seconde édition, définit en quoi consistent ces locaux, et je cite :

[…] les locaux sur lesquels chaque Chambre, par l’intermédiaire de son président, exerce un contrôle matériel pour permettre à ses membres de s’acquitter de leur travail parlementaire sans entrave ni ingérence extérieure.

Comme nous le savons tous, la Cité parlementaire et ses édifices existent principalement pour soutenir les fonctions du pouvoir législatif. L’édifice du Centre en particulier, étant donné qu’il abrite les salles où siègent la Chambre des communes et le Sénat, est un « édifice de travail » où se déroulent les travaux parlementaires et où les députés doivent être libres d’exercer leurs fonctions sans entrave, même lorsque d’autres activités y ont lieu. Il va sans dire que ces édifices patrimoniaux, surtout l’édifice du Centre, sont également l’endroit idéal pour tenir divers événements et nous sommes fiers de les mettre en valeur pour accueillir nos invités de marque. Cependant, lorsque se produisent des activités comme la visite du premier ministre d’Israël le 2 mars dernier, il faut faire particulièrement attention à ce que les exigences concurrentes concernant l’utilisation des édifices et de l’enceinte soient bien comprises, afin d’effectuer les accommodements nécessaires et d’atteindre l’équilibre voulu.

Le whip en chef du gouvernement a parlé de la nécessité de trouver le juste équilibre entre sécurité et accès. Cependant, la mise en place de mesures de sécurité ne peut avoir préséance sur le droit des députés d’avoir libre accès à la Cité parlementaire sans entrave ni obstruction.

L’affaire à l’étude aujourd’hui comporte des ressemblances frappantes avec les faits à l’origine de la question soulevée le 1er décembre 2004, alors que certains députés, en raison des mesures de sécurité accrues mises en place pour la visite du président des États-Unis de l’époque, George W. Bush, s’étaient vu refuser l’accès à la Cité parlementaire par des agents de sécurité. À la suite de ce qui était apparu comme étant de prime abord une question de privilège, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre avait présenté à la Chambre, le 15 décembre 2004, son 21e rapport, qui a ultérieurement été adopté par la Chambre et dans lequel il est affirmé ce qui suit, et je cite :

Il est inouï qu’on ait empêché — même temporairement — des députés d’accéder à la Colline, et cela constitue un outrage à la Chambre. Les députés ne doivent pas être entravés lorsqu’ils se rendent à la Chambre ni dans les allées et venues exigées par leurs fonctions parlementaires. Le permettre serait entraver le fonctionnement de la Chambre des communes et affaiblirait le droit prééminent qu’elle a de compter sur la présence et les services des députés.

L’ouvrage La procédure et les usages de la Chambre des communes, deuxième édition, aux pages 110 et 111, énumère plusieurs autres précédents pertinents et précise, à la page 110 :

La présidence estime qu’il y a de prime abord atteinte aux privilèges pour des cas d’obstruction physique —comme des barrages routiers, des cordons de sécurité et des piquets de grève qui empêchent un député d’accéder à l’enceinte parlementaire ou nuit à sa liberté de mouvement dans cette enceinte [...]

Compte tenu de l’importante jurisprudence se rapportant à des affaires semblables à celle-ci et étant donné les renseignements fournis à la Chambre par le député de Winnipeg-Centre, j’estime qu’il existe des motifs suffisants pour conclure qu’il y a de prime abord matière à question de privilège en l’espèce. J’invite donc l’honorable député à présenter la motion appropriée.

Post-scriptum

M. Martin propose que la question soit renvoyée au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, et la motion est adoptée[2]. Le 31 mai 2012, le Comité présente son 26e rapport à la Chambre[3]. Bien que le Comité n’ait pas conclu qu’il y avait eu atteinte au privilège parlementaire, il précise dans son rapport les obligations de la GRC et des députés ainsi que les attentes à leur égard lorsque la sécurité est resserrée et que l’accès à la Colline du Parlement est restreint. Le rapport indique qu’il ne convient jamais de refuser ou de retarder l’accès des députés à l’enceinte parlementaire. Le rapport n’a pas été adopté.

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[1] Débats, 2 mars 2012, p. 5759–5760.

[2] Journaux, 15 mars 2012, p. 991, Débats, p. 6334–6335.

[3] Journaux, 31 mai 2012, p. 1353.